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comme la protectrice des notabilités-dont elle
avait médité et comploté la perte. Dominer à
tout prix étant devenu son Dut, le dioide et
impera était devenu sa maxime, sa grande
règle de conduite. Le despotisme pur et simple
eût été bien plus dans ses goûts que cette
dissimulation constante et ces efforts inces-
sants pour balancer les unes par les autres les
influences'qui contrariaient ses rêves de pou-
voir absolu. Le témoignage de d'Aubigné nous
apprend que, dans son entourage, Catherine
de Medicis manifestait la plus profonde admi-
ration pour le gouvernement turc. « En Tur-
quie, disait-elle, le Grand Seigneur a seul entre
ses mains les biens, la vie et l'honneur des
sujets; les gens doivent ce qu'ils sont et ce
qu'ils ont au souverain : tout le monde est prêt
a périr en un clin d'œil ; les janissaires sont
tout; il n'y a de forteresses qu'aux frontières;
enfin le souverain, pour contérer des fonctions
et des dignités, n'est pas entravé par des con-
sidérations de race et de parentage. « Aussi
écoutait-elle avec une satisfaction marquée
les conseils que lui donnait l'un des commen-
saux du chancelier de Birague, le voyageur
Poncet, « d'ôter les princes et d'affaiblir telîe-
» ment la noblesse, qu'elle ne pût contrevenir
» au roi et lui donner la loi. Quant aux princes,
* Qu'il n'était pas possible d'ôter, disait Poncet,
» il fallait ne donner aucun honneur ni charge
> à personne sur leur recommandation, et, en
» outre, les tenir en division ou du moins en
» soupçon les uns contre les autres. - Comme
moyen de détruire la noblesse, Poncet trou-
vait la guerre civile, pour fait de religion,
chose excellente, parce que, disait-il, l'ecclé-
siastique se fait votre partisan et le peuple
ennemi de ce qui pourrait le décharger; à ce
jeu, les plus mauvais garçons (c'est-à-dire les
caractères les plus énergiques) périssent; le
reste se précipite en une basse humilité. Etei-
gnez soigneusement ceux qui parleront d'états
généraux, ou plutôt servez-vous des petits
états provinciaux qui ont une bien contraire
opération.. En temps de paix, faites travailler
la justice sur les réchappes de la guerre;
laissez à vos*grands les charges ruineuses, en
ayant soin qu'ils n'en aient que l'apparence,
et donnez la vraie administration h des gens
de peu, surtout de la robe, pour qu'ils ne
puissent jamais conspirer. Avec ce système,
vous démantellerez les villes mutines et les
châteaux de ceux qui voudraient refuser de
courber la tète, et lors, vous ferez des biens,
des vies et de la religion tout ce qu'il vous
plaira. » Le système turc captivait alors tous
les monarques européens ; tous mettaient
leur ambition à détruire, autant que possible,
dans leurs Etats toute puissance individuelle,
Philippe II d'Espagne n'avait pas d'autre
pensée, et sous sa main la monarchie espa-
gnole se remodelait pour devenir une image
assez fidèle de l'empire turc. Catherine, pour-
suivant le même idéal, s'attacha à miner toute
indépendance, toute puissance qui n'émanait
pas du trône, se félicitant d'événements que
tout autre qu'elle aurait considérés comme
des calamités nationales, dès qu'elle y voyait
des moyens d'acheminement vers son but. Ce
but, Richelieu devait l'atteindre dans le siècle
suivant, sans être obligé de faire des alliances
momentanées avec les diverses influences in-
térieures qu'il voulait détruire. Il n'eut besoin
que de les attaquer les unes après les autres.
En appliquant à leur défense les maximes et
les pratiques dont Catherine de Médicis leur
avait donné l'exemple, ces influences auraient
pu tenir en échec le pouvoir central et l'ame-
ner à changer de direction ; mais, préoccupées
uniquement de leurs intérêts exclusifs, elles
s'inquiétaient peu des ruines voisines. Comme
tout ce qui a perdu sa vigueur* primitive, con-
tentes du reste de vie qui leur était laissé, ces
influences semblaient croire que la tempête ne
les atteindrait pas ou peut-être les dédai-
gnerait.
Le système de bascule est aussi une consé-
quence forcée chez les nations où le pouvoir
exécutif est divisé entre plusieurs mains. En
France, la période directoriale en fournit un
exemple frappant. Les hommes, fait avec
juste raison remarquer M. Thiers dans son
Uistoirede lalïévolution fra.3tçaise,ne peuvent
pas vivre longtemps ensemble sans éprouver
du penchant ou de ta répugnance les uns pour
les autres. Les haines profondes que se por-
taient les hommes issus de partis contraires et
d'humeurs et de dispositions d'esprit si oppo-
sées, devaient forcément conduire à des tirail-
lements dans la marche des affaires. La
personnalité la plus tranchante et la plus
marquante de ce gouvernement, Paul Barras,
représente surtout le système de bascule.
« Républicain par position et par sentiment,
dit M. Thiers, mais nomme sans foi, il recevait
chez lui les plus violents révolutionnaires des
faubourgs et tous les émigrés rentrés en
France; convenant aux uns par son esprit
d'intrigue, plaisant aux autres par sa violence
triviale, il était en apparence chaud patriote, et,
en secret, il donnait des espérances à tous les
partis. » A cette épooue, le système de bascule
résultait aussi des dispositions constitution-
nelles et légales, qui permettaient à une ma-
jorité législative, ennemie de la Révolution,
de réformer les lois en harmonie avec les
nouveaux principes politiques et de contrarier
la marche du gouvernement. Le résultat d'un
tel ordre de choses est bien connu, il aboutit
et devait aboutir à des coups d'Etat. Le pre-
mier en date, celui du 18 fructidor, est con-
sidéré par les historiens attachés à la Révo-
lution comme l'unique et seule ressource
qu'avait alors le gouvernement pour sauver
son existence et éviter un retour violent à
l'ancien régime. La division du pouvoir exé-
cutif permettait aussi de laisser s'introduire
dans son sein des adversaires mêmes du prin-
cipe du gouvernement ; ce qui eut lieu en effet.
La nomination de Siéyès eut pour premier
résultat la dissolution de l'ancien Directoire.
Le jeu de bascule employé pour arriver à ce
but est encore admirablement caractérisé par
M. Thiers. « Toutes les factions, dit cet émi-
nent historien, que.le Directoire avait essayé
de réduire, s'étaient réunies pour l'abattre et
avaient mis leurs ressentiments en commun. Il
n'était coupable que d'un seul tort, celui d'être
plus faible qu'elles; tort immense, il est vrai,
et qui justifie la chute d'un gouvernement. >>
Ce coup d'Etat ne consolida pas le Directoire-,
le système de bascule, plus ou moins avanta-
geux et plus ou moins utile quand un moteur
unique lui communique son impulsion, ne peut,
au contraire, aboutir qu'à l'anarchie et à la
décomposition politique, quand il n'est que le
résultat des efforts faits par les partis pour se
maintenir au pouvoir ou se l'arracher. Les
partis, a-t-on fait remarquer avec juste raison,
se soumettent, mais ne se réconcilient pas, car
il faudrait pour cela qu'ils renonçassent à leur but.
Le système de bascule est aussi une né-
cessité de situation pour les gouvernements
comme celui de la Restauration. En 1814, on
s'en souvieDt, il y avait deux manières d'en-
tendre le rétablissement de la royauté, de
concevoir son droit, d'expliquer son origine
et de comprendre ses devoirs envers elle-
même. Pour les uns, Louis XVIII n'était roi "
qu'en vertu de l'acte du Sénat qui lui avait
conféré la royauté, sous l'expresse condition de
jurer qu'il respecterait les institutions dont cet
acte déterminait les bases. Pour les autres, le
droit était antérieur à tout et ne relevait d'au-
cune puissance humaine. Les corps politiques
pouvaient le constater, mais cette constatation
ne lui donnait ni ne lui ôtait rien. Les actes
du gouvernement devaient se ressentir de
cette dualité dans les idées. Ainsi, tout en adop-
tant l'ordre civil et l'organisation militaire
créés par la Révolution et l'Empire, on réta-
blissait toutes les anciennes charges de la
maison royale, avec les dénominations su-
rannées que la Révolution avait emportées et
que Napoléon n'avait osé ressusciter quand il
commit la faute de reconstituer une cour: on
vit reparaître les gardes du corps avec leur
compagnie écossaise, les mousquetaires et les
chevau-légers. On annonçait Louis XVIII
comme résolu à adopter la Révolution dans
ses faits accomplis, et on donnait des gages
aux adversaires irréconciliables de cette Ré-
volution , en mettant toutes- les fonctions
publiques entre les mains d'hommes que
la France ne connaissait que pour avoir
porté les armes contre la patrie, ou pour
avoir provoqué et dirigé la guerre civile.
On s'engageait à respecter la situation et
les grades des officiers de l'ancienne armée
impériale ; en même temps, une ordonnance
royale permettait l'admission dans la marine
des anciens officiers qui, après avoir quitté la
France, auraient servi une puissance étran-
gère. Les grades acquis à l'étranger, fût-ce en
combattant la France, et les campagnes de
guerre au service de l'étranger devaient comp-
ter pour les pensions à obtenir. On déclarait
inviolable la vente des biens nationaux, et
dans des actes publics, tels que des exposés
de motifs de projets de loi, les émigrés dépos-
sédés étaient représentés comme restant pro-
priétaires légitimes des biens vendus, et on
taisait pressentir qu'ils seraient un jour réin-
tégrés dans leurs droits. La liberté des cultes
était reconnue, et,d'un autre côté, des mesures
réglementaires, transformées bientôt en dispo-
sitions légîslatives? prohibaient, sous des peines
sévères, toute espèce de travail les dimanches
et jours de fêtes religieuses. On promettait
de respecter les monuments élevés pour per-
Eétuer le souvenir des grands faits de notre
istoire militaire pendant les vingt-cinq der-
nières années, et, comme contre-partie de ce
respect, on organisait des souscriptions pour
élever des monuments funéraires et des pyra-
mides commémoratives en l'honneur des roya-
listes tués sur divers points du territoire na-
tional , en combattant contre la patrie. Un
ex-maréchal de l'Empire, Soult, duc de Dal-
matie, présida lui-même à l'érection de la
colonne de Quiberon. La charte proclamait la
liberté de la presse, et, sous prétexte d'en
prévenir les &>us, on établissait la censure.
L'a seconde Restauration débuta sous les
. auspices de l'homme qui représentait le système
de bascule sous ses cotés non-seulement les
moins acceptables, mais même les plus répu-
gnants. Egorgeur en 1793, servile en 1812,
conspirateur en 1815 avec les hommes qu'il
était chargé de surveiller, Fouché était admi-
rablement propre à continuer un pareil sys-
tème. Mais la chambre introuvable elle-même
ne voulut point d'un pareil instrument. La
vérité historique veut qu'on reconnaisse que
cette assemblée si violente, si impitoyable,
était composée en grande majorité d'hommes
incapables de supporter, de sang-froid, le
spectacle do revirements aussi scandaleux.
Néanmoins, le système de bascule était
alors si fortement dans les nécessités de la
situation, que le gouvernement fut obligé d'y
recourir. Seulement, la royauté changea d'in-
strument. Désespérant d'obtenir des votes
sages et modérés d'hommes dont la foi poli-
tique se confondait avec lu loi religieuse,
Louis XVIII ne vit, pour les contenir, rien de
mieux que de leur donner pour chef un
homme qui partageait leurs croyances, en de-
meurant étranger à leurs passions. Aidé par
l'esprit souple de M. Decazes, le duc de Riche-
lieu, tout en subissant la loi de proscription,
dite d'amnistie, votée par la majorité, proté-
f ea dans leucs vies et dans leurs biens nom-
re de notabilités de la République et de
l'Empire que les ultras voulaient ruiner, sinon
faire périr. En s*alliant avec M. Laîné, les
mêmes hommes réussirent à faire écarter un
projet de loi électorale qui eût assuré la pré-
pondérance, dans la représentation nationale,
à la propriété agricole et au clergé. Tout en
faisant au premier de ces éléments une très-
large part, le système censitaire permettait
aux autres éléments de richesse de tenir en
échec la grande propriété foncière.
Qualifié de système de bascule par les ultras
de l'extrême droite, le système de MM. de Ri-
chelieu et Decazes, considéré dans son en-
semble, fut surtout un système de transac-
tion. Tant que dura l'orage causé par les
Cent-Jours, on courba la tête devant'une ma-
jorité violente; mais dès qu'on vit que l'opi-
nion publique s'éloignait de cette majorité, on
la brisa par l'ordonnance de dissolution du
5 septembre 1816. Après avoir mis toutes les
fonctions importantes de l'Etat entre les mains
des royalistes, quand on vit qu'avec un élément
aussi exclusif, le gouvernement et l'adminis-
tration devenaient, sinon impossibles, du moins
très-difficiles, on rouvrit les rangs de la magis-
trature et ceux des carrières privilégiées aux
ambitions plébéiennes. La pairie de 1815, ef-
frayée par l'élection de Grégoire, à Grenoble,
voulait briser la loi électorale ; tout en se
prêtant à des modifications regrettables dans
le régime des élections, et tout en concourant
au refus de reconnaître le mandat conféré à
Grégoire par les électeurs de l'Isère, le mi-
nistère Decazes sauva, dans ses principes
fondamentaux, le système électoral de 1816,
en modifiant, par l'Introduction de soixante-
dix membres nouveaux, la composition de la
chambre des pairs. Ce mode de gouverne-
ment avait alors naturellement pour adver-
saires les ardents des deux partis. Appuyé
par la faveur royale, M. Decazes luttait
avec la même énergie contre le pavillon Mar-
san, et contre les hommes d'action, qui alors
se flattaient de rappeler le grand vaincu de
Sainte-Hélène; et il fallut l'attentat deLouvel
pour renverser l'homme et le système.
Ce mode de gouvernement était, du reste, à
cette époque, tellement dans la force des
choses, qu une fois l'orage passé, les hommes
oui l'avaient le plus combattu furent obligés
de le pratiquer. L'histoire du ministère de
M. de Villèle en est la preuve. Placé entre les
royalistes et les libéraux, entre la noblesse et
la bourgeoisie, M. de Villèle n'accordait aux
uns que ce qu'il ne pouvait leur refuser, et
chercnait, en enrichissant les autres, à leur
faire supporter des concessions que la nécessité
lui commandait. N'ayant pas moins besoin des
votes des congréganistes que des écus des
banquiers, du concours politique de l'émigra-
tion que du concours financier de la Bourse,
M. de Villèle déploya une habileté sans égale
pour calmer les passions par les intérêts. Il
pratiqua, pendant les six années de son minis-
tère, une sorte de système de bascule, non
pas, comme MM. de Richelieu et Decazes,
ses prédécesseurs, entre les diverses coteries
parlementaires, mais entre les classes mêmes
de la société que leurs traditions et leurs ha-
bitudes semblaient vouer à un éternel anta-
gonisme. Obligé de concéder à la congréga-
tion la loi dite du sacrilège, il en atténua
la portée en ce que les circonstances aux-
quelles, en pareille matière, était surbordon-
née l'application de la peine de mort, étaient
combinées de telle façon que cette application
était rendue presque impossible. Cest qu'en
effet cette loi eût été un effroyable péril si
elle n'eût été une lettre morte. La loi d'aî-
nesse, qui consistait, en somme, dans la sub-
stitution d'un préciput légal au préciput facul-
tatif, sauf disposition contraire par un acte
de dernière volonté, portait aussi en elle-
même son correctif : un testament suffisait
pour y échapper. Charles X et M. de Poli-
gnac, effrayés par l'insuccès de cette politi-
que , essayèrent d'une autre, exempte de
tout esprit de ménagement et de concession.
Le résultat en est connu. La France, qui,
jusque-là, dans ses réclamations les plus
pressantes, s'était contentée d'un simple chan-
gement de ministère, brisa par une révolu-
tion la tentative avouée de revenir purement
et simplement à l'ancien régime.
Le reproche de n'être qu'un système de bas-
cule a été encore, avec plus de raison, adressé
au gouvernement de Juillet, tant dans la politi-
que intérieure que dans la politique extérieure.
Dès les premiers jours de son établissement,
ce gouvernement donna un spectacle étrange.
On se déclarait décidé à maintenir l'ordre
avant tout, et le chef de l'Etat s'associait, sur
les places publiques, au chant de la Marseil-
laise. On disait que les traités ue 1815 n'exis-
taient plus, et en même temps on se faisait
représenter auprès de la puissance qui avait
pris le plus de part à ces traités, auprès de
l'Angleterre, par M. de Talleyrand'. On déplo-
rait en pleine Chambre le sort de la Pologne,
et, eu même temps, un ambassadeur, choisi à
cause de ses anciennes relations d'intimité
avec l'empereur Nicolas, M. de Mortemart,
était envoyé à Saint-Pétersbourg. La liberté
de la presse était une des conquêtes de la Ré-
volution; mais, bien avant que d'abominables
attentats eussent expliqué les restrictions léga-
les apportées à l'exercice de cette liberté, des
lois fiscales rendaient impossible la créa-
tion de journaux à bon marché._Toutes les
propositions faites pour garantir la liberté in-
dividuelle contre une législation qui ne favo-
risait que trop l'arbitraire échouaient devant
les Chambres. Le pays demandait-il une
grande mesure financière, on la laissait discu-
ter et adopter par la Chambre des députés,
bien sûr qu'on était que cette même mesure
serait infailliblement rejetée par la Chambre
des pairs. Le ministère de M. Guizot prit,
avec la certitude d'un pareil résultat, l'initiative
d'un projet de conversion de la rente, et se
refusa à suivre les conseils qu'on lui donnait
d'imiter l'exemple de la Restauration, qui, en
présence de l'hostilité déclarée de la Chambre
des pairs à une mesure réclamée par le pays,
avait modifié la composition de cette partie de
la législature. La guerre d'Afrique elle-même
n'était qu'un moyen de satisfaire le besoin de
conquête dont on prétendait que le peuple
français était incurablement atteint. La lé-
gislation sur la presse empêchait la fondation
de recueils politiques, qui eussent éclairé les
esprits et facilité la dissémination des vrais
principes économiques ; mais, à défaut de cette
nourriture salutaire qu'il eût fallu donner aux
esprits, on laissait passer des romans licen-
cieux et malsains, qui minaient les principes
les plus fondamentaux de toute société. Selon
le jugement de ses propres amis, ce gouver-
nement passe pour avoir subi trop souvent,
dans l'ordre moral, l'empire d'hommes qui,
comme condition de leur appui, lui imposaient
le ménagement de leurs mauvaises passions ;
cependant, au lieu de voir dans ses tergiversa-
tions continuelles la cause principale de la
ruine de cette monarchie, ces mêmes ami3
trouvent qu'elle ne sut pas assez pratiquer le
système de bascule. La révolution de 1848 ne
serait pas arrivée, disent-ils, si le système
électoral avait laissé pénétrer dans la Cham-
bre un plus grand nombre de républicains et
de légitimistes. Les uns, dit M. de Carné,
auraient servi d'épouvantail, et les autres,
à un moment donné, de point d'appui. L'exa-
men de la marche des autres gouvernements,
à cet égard, est une question d'avenir plus
que d'actualité.
En Angleterre, le système de bascule a été,
à partir de la restauration des Stuarts, sou-
vent employé par les hommes d'Etat, pour
empêcher les partis de triompher trop complè-
tement de leurs adversaires. Le célèbre George
Saville, marquis d'Halifax, pratiqua ce sys-
tème pendant toute sa vie. - Halifax, dit l'his-
torien Macaulay, était le chef de ces hommes
politiques que les deux grands partis appe-
laient dédaigneusement balanceurs(Trimmers).
Loin de se fâcher de ce sobriquet, il l'accep-
tait comme un titre d'honneur et en discutait
faiement la signification. Tout ce qui est bon,
isait-il, se balance entre les extrêmes. La
zone tempérée est entre le climat où les
hommes sont rôtis et celui où ils gèlent.
L'Eglise anglicane tient le milieu entre les fu-
reurs anabaptistes et la liturgie romaine. La
constitution anglaise est tout aussi éloignée
du despotisme turc que de l'anarchie polo-
naise. La vertu elle-même n'est qu'un balan-
cement entre différents penchants, dont un
seul, poussé h. l'extrême, devient vice; bien
plus, la perfection de l'Etre suprême repose
sur l'exact équilibre de ses attributs, qui, s'il
était rompu, entraînerait la perturbation de
l'ordre physique et moral du monde...Sa place,
dit encore Macaulay en parlant d'Halifax, fut
toujours entre les deux factions qui divisaient
l'Etat; et jamais il ne s'écarta beaucoup de leur
frontière commune. Le parti auquel il appar-
tenait était, pour le moment, ce qu'il aimait le
moins, parce qu'il le voyait de plus près ; aussi
se montra-t-il toujours sévère envers les violen-
ces de ses amis, et resta-t-îl constamment en
bons termes avec ses adversaires modérés; sa
censure ne manqua jamais à une faction, du
jour où son triomphe la rendait arrogante et
vindicative; sa protection ne se faisait pas
attendre, du jour où cette faction était vaincue
et persécutée. » De nos jours, en Angleterre, on
appelle aussi jeu de oascule les manœuvres
des députés irlandais qui, faisant en général
de l'opposition à tous les ministères, whigs
ou torys, conservateurs ou libéraux, n'écou-
tent, dans les moments décisifs où les deux
grands partis sont en lutte, que leur intérêt
Îiersonnel, pour les maintenir au pouvoir ou
es renverser en portant leurs votes soit d'un
côté, soit de l'autre, bien que les deux partis
leur soient également antipathiques.
Ainsi le système de bascule est l'expédient in
extremis des gouvernements faibles ou mal dé-
terminés; un gouvernement absolu, qui puise
sa force dans son absolutisme, dédaigne les re-
mèdes de cette nature : tel fut le gouvernement
de Richelieu ; un pays franchement républicain
ne recourt jamais à ces fictions : tels sont les
Etats-Unis, telle fut la France après 89. En
cela comme en beaucoup d'autres choses, les
extrêmes se touchent.

BASCULER
v. n. ou intr. (ba-sku-lè — rad.
bascule). Exécuter un mouvement de bas-
cule : Cette poutre A BASCULÉ.
300
. — Fig. Passer réciproquement par des al-
ternatives en sens contraire : Le président de
la République, nommé par l'Assemblée, BASCU-
LERAIT sans cesse de la majorité à la minorité.
(Cormen.)

BAS-DESSUS
s. m. (ba-de-su). Mus. Se-
cond dessus, dessus moins aigu que le pre-
mier. Se dit surtout d'une voix de femme
que les Italiens appellent mezzo soprano.

BAS-DESTAMIER
s. m. Techn. Celui qui
fait des bas d'estame.

BASE
s. f. (ba-ze — du gr. basis, même
sens). Point d'appui sur lequel un objet re-
pose par son propre poids : La BASE d'une co-
lonne. La BASE d'un clocher. Chanceler sur sa
BASE. Les députés d'une province étant venus
annoncer à Vespasien que, par délibération pu-
blique, on avait destiné un million de sesterces
à lui ériger une statue colossale, ce prince leur
dit en leur présentant la main : « Placez-la
ici saiis perdre de temps, voici une BASE toute
prête. » ("*)
— Par ext. Partie d'un objet située au ni-
veau du sol, ou point d'attache de cet objet :
La BASK d'une montagne. La BASE d'une tour,
d'une maison. La BASE des cornes d'un animal.
Saper une tour par la BASE.
J'atteignis le sommet d'une rude colline
Qu'un lac baigne a sa base
LAMARTINE.
— Poét. Point d'appui imaginaire sur le-
quel la terre repose : La terre chancelle sur
ses BASES. (Chateaub.)
— Principal ingrédient qui entre dans la
composition d'un mélange ou d'une combi-
naison chimique : Médicament à BASE de mer-
cure. C'est l'alcool affaibli qui donne l'eau-de-
vie, BASE de toutes les liqueurs. (A. Rion.) On
a souvent conseillé de composer des mélanges
de fumier avec d'autres substances dont la terre
forme la BASE. (Math, de Dombasle.)
— Fig. Principe, fondement : La justice
est la BASE de toute autorité. La BASE des ver-
tus, c'est l'amour filial. (Cicéron.) La gram-
maire est la BASE et le fondement desjiutres
sciences. (La Bruy.) Le sentiment de l amour
de soi est la seule BASE sur laquelle on puisse
jeter les fondements d'une morale utile. (Helv.)
Tout système qui n'a point, l'expérience pour
BASE est sujet à l'erreur. (Dumarsais.) L'é-
loge a la vérité pour BASE. (Buff.) Un ministre
est toujours un homme en spectacle à l'Europe;
son honneur est la BASE de son crédit. (Volt.)
L'ordre social est un droit sacré qui sert de
BASE à to'us les autres. (J.-J. Rouss.) La sa-
gesse est la BASE de toute vertu. (J.-J. Rouss.)
La présomption a tant de hauteur et si peu
de BASE, qu'elle est bien facile à renverser.
(M'nc de Staël.) La morale doit avoir le de-
voir et non l'intérêt pour BASE. (Mme de Staël.)
L'arbitraire sape dans sa BASE toute institu-
tion politique. (B. Const.) La loi morale est
la seule BASE sur laquelle puisse reposer une
éducation complète. (Mme Guizot.) L'intérêt
ne saurait être la BASE d'aucun système com-
plet d'éducation, (Mme Guizot.) La BASE la
plus inébranlable de l'ordre social est l'éduca-
tion morale de la jeunesse. (Guizot.) Beaucoup
de protestants croient qu'ils ne font qu'user du
libre examen et qu'ils restent chrétiens, quand
ils abandonnent les BASES et s'éloignent des
sources de la foi. (Guizot.) Ce fut évidem-
ment sur la BASE chrétienne que s'affermit la
royauté des Capétiens. (Guizot.) Bien labourer
et bien fumer sont les deux BASES de la culture.
(Math, de Dombasle.) Plus il entre de plai-
sir physique dans la BASE d'un amour, plus il
est sujet à l'infidélité. (H. Beyle.) La psycho-
logie n'a point de BASE plus sûre que l'étude
du genre humain. (Vinet.) Trois vérités for-
ment la BASE de l'édifice social ; la vérité re-
ligieuse, la vérité philosophique, la vérité po-
litique. (Chateaub.) Tout drame pèche essen-
tiellement par la BASE, s'il offre des joies sans
mélange de chagrins évanouis ou de chagrins
à naître. (Chateaub.) La religion, cette BASE
fondamentale de la république, avait perdu
de son prestige. (Napol. III.) La souverai-
neté du droit divin est la BASE du despotisme.
(Colins.) La seule BASE solide du bonheur des
rois est le bonheur des peuples. (A. Martin.)
La BASE de toute société rationnellement con-
stituée, c'est la souveraineté individuelle. (E.
de Gir.) Le sentiment moral est la BASE de la
religion. (Ed. Scherer.) Les sciences mathé-
matiques et physiques sont la BASE des sciences
sociales. (Renan.i II se passera bien des an-
nées avant que l Europe ait compris qu'il n'y
a d'association solide que sur la BASE du droit.
(Ed. About.) L'autorité ne peut avoir pour
BASE que l'affection, la confiance ou la crainte.
(J. Favre.) La BASE de t'étymologie est dé-
sormais placée dans l'induction historique. (Littré.)
De leur trône abattu l'équité fut la base.
LEMERCIER.
— Fam. Homme carré par la base, Homme
ferme, résolu, franc et ouvert, et dans la pa-
role duquel on peut avoir toute confiance :
J'aime les hommes CARRÉS PAR LA BASE. (Na-
poléon 1er.) H Cette expression si énergique
a été omise par tous les dictionnaires.
— Archit. Partie d'un édifice ou d'un sup-
port qui repose immédiatement sur le sol,
et offre une saillie sur la partie qu'elle sup-
porte : La BASE d'une colonne, d'un pilastre.
La BAÇE est une partie aussi essentielle de la
colonne que le chapiteau. (Millin.) il Base con-
tinuée, Base qui commence tout un système
de supports, il Base mutilée, Base profilée
seulement sur les côtés du pilastre, il Base
du fronton, Corniche horizontale du fronton.
— Géom. Côté quelconque d'un triangle,
mais choisi suivant les besoins d'une dé-
monstration ou d'une opération : Bans le
triangle rectangle, c'est toujours l'hypoténuse
qui sert de BASE. La hauteur d'un triangle est
la perpendiculaire menée sur la BASE par le
sommet opposé, il L'un quelconque des côtés
parallèles, dans un quadrilatère dont deux
côtés sont parallèles entre eux : BASE d'un
trapèze, d'un parallélogramme. Il Cercle ou
polygone sur lequel est construit un cône ou
une pyramide.
— Géom. prat. Ligne droite que l'on choi-
sit sur le terrain, et sur laquelle on élève et
on abaisse ties perpendiculaires qui abou-
tissent à chacun des angles opposés : On doit
choisir la BASE aussi grande quepossible, quand
on veut mesurer un terrain.
— Mathém. Nombre qui, dans un système
de logarithmes, a pour logarithme 1 : Bans
les logarithmes dont la BASE est 10, la carac-
téristique contient autant d'unités qu'il y a de
chiffres moins un, dans la partie entière du
nombre. \\ Nombre exprimant le rapport qui
existe entre les différentes unités successives
d'un système de numération : 10 est la BASE
du système décimal, parce que chaque unité
en vaut 10 de l'ordre immédiatement inférieur;
12 est la BASE du système duodécimal.
— Fortif. Plan par terre d'un ouvrage :
La BASE d'un bastion. Tracer la BASE du pa-
rapet. Il faut qu'un bastion de terre ait en sa
BASE le double de la largeur qu'il a en sa plus
haute superficie. (Trév.)
— Mus. Tonique ou note fondamentale.
— Perspcct. Intersection du plan objectif
avec la surface supposée verticale sur la-
quelle on dessine.
— Chim. Bases sali fiables, ou simpl. bases,
Corps susceptibles de neutraliser les acides
par leur combinaison avec eux : Les alcalis
sont des BASES solubles dans l'eau. Les pro-
priétés des BASES ne sont pas absolues, et le
même corps peut jouer le rôle de BASE à l'é-
gard d'un composé, et le rôle d'acide à l'égard
d'un antre. (Duméril.) Il Bases alcalines^ Nom
que l'on donne à certains oxydes qui sont
des bases plus énergiques que les autres et
qui ont plus d'affinité pour les acides. Tels
sont les oxydes de calcium, de strontium, de
baryum, de lithium et surtout de sodium et
de potassium, connus vulgairement sous les
noms de chaux, de strontiane, de baryte, de
lithine, de soude et de potasse.
— Bot. Partie d'un organe la plus rappro-
chée de son origine ou de son point d'inser-
tion, et qui est opposée au sommet : La ra-
cine et la tige ont leur BASE au même point,
c'est-à-dire au collet. La BASE de l'ovaire est
le point où il touche au réceptacle.
— Anat. Point d'attache ou partie infé-
rieure de certaines parties du corps : La BASE
du crâne, de la colonne vertébrale, etc. Il Base
du cœur, Partie supérieure de cet organe, qui
est la plus large, et qui donne naissance aux
grands vaisseaux. Il Base de l'omoplate, Par-
lie de cet os la plus voisine des vertèbres.
— Entom. Origine ou point d'insertion des
parties extérieures du corps des insectes,
telles que les ailes, la tête, les jambes, les
antennes, etc. : La BASE ou l'insertion de
l'antenne est la partie qui sort du front. (Du-
méril.)
— Conchyl. Partie de la coquille qui re-
pose sur le dos du mollusque : On indigue
par le mot BASE des parties qui diffèrent en
raison des différentes classes de coquilles.
(Deshayes.)
— Dynam. Base de sustentation, Plan cir-
conscrit sur lequel repose un corps en équi-
libre : Un corps est en équilibre toutes les fois
que la verticale qui passe par le centre de
gravité rencontre la BASE DE SUSTENTATION. Il
Mamm. Espace compris entre les extrémités
d'un quadrupède. Cette base doit toujours
être en harmonie avec la taille des animaux.
Plus le poids à supporter est lourd, plus la
base doit être développée : Les animaux amin-
cis, haut montés sur leurs membres, à poitrine
étroite, sont généralement d'excellents cou-
reurs; mais ils sont sujets à broncher, parce
que leur BASE DE SUSTENTATION n'est pas assez
étendue.
— Astron. Distance prise sur la terre entre
deux points très-éloignés, pour servir de
base aux triangles qui doivent déterminer la
distance des astres : Le diamètre de la terre
est une BASE trop petite pour servir à mesurer
la distance des étoiles.
— Opt. Base distincte ou distance focale,
Distance à laquelle les rayons parallèles se
croisent en. arrière d'une lentille ou en avant
d'un miroir concave.
— Techn. Pièce do bois fixée au bas d'une
porte et mordant sur la pièce qui forme le
seuil, ii Moulure ordinaire en cuivre établie
au. bas des balustrades en fer, et figurant
une base de colonne.
— Syn. Base, fondement. La base est ce
3ui est en bas, c'est la partie la plus basse
'une chose, et celle sur laquelle toutes les
autres parties sont appuyées. Le fondement
est au-dessous même de la base et il lui-sert
d'appui comme a tout le reste-, les fondements
d'un édifice sont sous la terre. La base d'un
système, d'un raisonnement, c'est la proposi-
tion principale sur laquelle toutes les autres
propositions sont établies; mais il faut que
cette base elle-même repose sur des fonde-
ments solides, c'est-à-dire sur des vérités in-
contestables. Un mauvais raisonnement peut
pécher par la base: une fausse nouvelle est
dénuée de fondement, même lorsqu'elle a
pour base l'affirmation d'une personne ordi-
nairement digne de foi.
— Antonymes. Chapiteau, faite, haut, pi-
nacle, sommet, couronnement.
— Encycl.I. — Archit. Conformément àl'éty-
mologie du mot, les architectes entendent par
base tout membre d'architecture qui en sou-
tient et en porte un autre, et, plus particuliè-
rement, l'empattement inférieur de la colonne,
du pilastre, du piédestal. Suivant le système
qui consiste à présenter l'architecture grec-
que comme une imitation des constructions en
charpente (v. ARCHITECTURE), les premiers
essais de l'art de bâtir n'offraient point encore
l'idée des bases; les colonnes reposaient direc-
tement sur le sol, comme les arbres ou pou-
tres destinés à soutenir le toit de la cabane
rustique. Le plus ancien des ordres, l'ordre
dorique, conserva cette tradition ; il n'a jamais
eu de base chez les Grecs, et ce ne fut que
dans quelques monuments que les Romains lui
en donnèrent une. Mais, de même que le be-
soin de préserver de l'humidité les supports
de bois plantés en terre et d'élever ceux qui
n'avaient pas la longueur voulue, avait fait
adopter l'usage d'un ou de plusieurs plateaux,
de même on eut recours aux bases de pierre
pour élever le fût des colonnes et lui donner
en même temps plus d'assiette. Les théori-
ciens, dont nous venons de reproduire l'opi-
nion, ajoutent que de la multiplicité des pla-
teaux naquirent les tores et les moulures des
bases. Scamozzi et quelques autres écrivains
pensent que ces .diverses parties ont eu pour
origine les ligaments de fer qu'on employa
primitivement pour assujettir le bas de la co-
lonne. Sans discuter la valeur de ces diverses
hypothèses, nous pouvons regarder comme
certain que les bases ont été imaginées parles
architectes pour élargir le pied des colonnes
et leur donner, par suite, plus de solidité, de
même que leur tête se développa en forme de
chapiteau, afin de présenter à l'architrave un
plus large point d'appui.
La base la plus simple, celle qui fut probable-
ment employée dès le principe, est la plinthe,
qui n'est autre chose qu'un dé de pierre carré..
Par la suite, on enrichit cette espèce de socle
de tores, de filets, de scoties (v. ces différents
mots), qui devinrent autant de divisions de la
base. La disposition et la forme de ces diver-
ses parties ont varié à l'infini, suivant le ca-
price des architectes. Bien que les règles qu'on
a voulu établir à cet égard n'aient rien de
positif, nous allons les exposer brièvement.
L'ordre dorique, comme nous l'avons déjà
dit, n'eut jamais de base chez les Grecs. - On
peut même affirmer, dit Quatremère de
Quincy, que les Romains ne lui en donnèrent
point, à proprement parler. Les autorités
qu'on a cru trouver dans quelques édificeSj
n'ont d'autre fondement que le mélange qui
s'introduisit entre le dorique et le toscan, et
qui a fait attribuer au premier ce qui constitue
le second. » Vitruve dit expressément que
l'ordre dorique n'a point de base. Toutefois,
les plus célèbres artistes modernes, Alberti,
Barbare, Palladio, Catana, Serlio, Scamozzi,
Perrault, ont admis pour cet ordre la base at-
tique ou atticurge, composée d'une plinthe et
de deux tores de module différent (le tore in-
férieur étant le plus gros), réunis par une
scotie entre deux hiets.
La base toscane doit avoir en hauteur, selon
Vitruve, la moitié de son épaisseur; elle se
compose d'une plinthe circulaire ayant en
hauteur la moitié de son diamètre, et d'un
tore mesurant avec l'apophyge ou congé
(moulure placée à l'extrémité inférieure du
fût) la hauteur de la plinthe. Les modernes
ont ajouté un filet entre l'apophyge et le tore.
Cette base se rapproche beaucoup de celle
que Vitruve a assignée à l'ordre dorique ; la
seule différence consiste en ce que, dans cette
dernière, une astragale sépare le tore du filet.
La base ionique comprend une plinthe, deux
scoties munies chacune de deux filets et sépa-
rées par deux astragales, et un gros tore qui
domine le tout. La plinthe mesure le tiers de
la hauteur totale de cette base; les deux au-
tres tiers étant divisés en sept parties, on en
donne trois au tore supérieur. Les anciens ont
rarement fait usage de cette t-ase, que Vitruve
dit avoir été commune à l'ordre corinthien et
à l'ordre ionique ; ils ont souvent employé,
pour ce dernier la base attique, comme on le
voit dans le temple de Minerve-Poliade et à
l'Erechtéion d'Athènes, avec cette particula-
rité que, dans ces édifices, la plinthe a été
supprimée à cause de l'étroitesse des entre-
colonnements. Philibert Delorme a proposé
une base ionique, qu'il dit avoir trouvée dans
des édifices antiques; elle s'éloigne de celle
que nous venons de décrire d'après Vitruve,
en ce que deux astragales de grosseur diffé-
rente séparent la plinthe du filet de la première
scotie.
La base corinthienne a deux tores comme la
base attique, deux astragales et deux scoties
comme la base ionique. Suivant Perrault, la
hauteur de cette base doit être égale au demi-
diamètre de la colonne, et la quatrième partie
de cette hauteur fait celle de la plinthe. Le
tore supérieur est plus gros que celui 'd'en
bas. Cette base était inconnue du temps de
Vitruve, qui laisse à l'ordre corinthienla liberté
d'emprunter la base de l'ionique et ses diver-
ses parties. Les colonnes corinthiennes du
monument de Lysicrate, à Athènes, ont la
base attique, mais sans plinthe.
La base composite diffère de la corinthienne
en ce qu'elle a ordinairement une astragale
de moins. Quelques monuments composites,
tels que l'arc de Vérone et les thermes de Dio-
clétien, offrent des bases attiques.
Les règles que nous venons d'indiquer n'ont
rien d'absolu, nous le répétons. * L'archi-
tecte, dit Quatremère de Quincy, reste tou-
jours le maître de varier, de réduire ou de
multiplier les membres et les parties des ba-
ses, selon la forme ou le caractère de ses édi-
fices. Le goût ou la mesure de leurs ornements
comporte encore moins de principes positifs.
En général, tout ornement affaiblit la partie
sur laquelle on l'applique, soit en la masquant,
soit en atténuant la forme même qui en est
revêtue. Dès lors, on sent assez avec quelle
économie on doit les distribuer aux membres
d'architecture dont l'emploi annonce la néces-
sité d'une force aussi réelle qu'appârente; Les
Romains nous ont laissé l'exemple du goût le
plus vicieux dans ce genre. Il nous est par-
venu plusieurs de leurs bases dont tous les
tores, et jusqu'aux moindres listels, sont char-
f és d'ornemeDts. Lorsque la richesse générale
e l'ordonnance paraîtra l'exiger, on pourra
introduire quelques détails d'ornements dans
les moulures des bases; mais on observera :
lo de choisir ceux qui seront les plus légers
et dont la nature ne tend point à altérer la
configuration des membres ; 2c les bases étant
ordinairement à portée de vue, on traitera ces
ornements d'une manière douce, et l'on évi-
tera ces taillées trop vives qui font dispa-
raître la finesse primitive des moulures ; 3° on
n'en placera que sur les moulures principales,
ayant soin de laisser nues les petites parties
oui servent alors de nuance et de liaison, et
font briller, par leur repos, les détails, des
autres. »
L'imitation de la base antique persista assez
longtemps au moyen âge, particulièrement
dans les pays où des édifices romains demeu-
raient debout; du reste, on n'observa de règles
fixes ni dans les proportions, ni dans les profils ;
chaque tailleur de pierre suivait sa fantaisie.
Pour ne parler que des constructions élevées
dans le nord de la France aux époques méro-
vingienne et carlovingienne, on y remarque
parfois des bases très-hautes pour le diamètre
des colonnes, ou très-basses pour de grosses
colonnes j elles sont composées tantôt d'un
simple biseau , tantôt d'une série de mou-
lures superposées sans motif raisonnable. Ce
qui distingue essentiellement, dès l'origine,
ta base du moyen âge de la base antique, c'est
la suppression dé la saillie inférieure com-
posée d'un congé et d'un listel, qui, dans la
colonne romaine, sert de transition entre le
fût et la base. Les tailleurs de pierre s'épar-
gnèrent ainsi un travail considérable, celui
d'évider le fut de la colonne sur toute sa lon-
gueur, pour ménager la saillie en question.
Une autre innovation, intéressante à consta-
ter, s'introduisit au ixe siècle : on fit reposer
sur une base unique, ordinairement circulaire,
les piliers composés de colonnes accouplées.
Ces colonnes conservaient d'ailleurs leurs
propres bases, tantôt formées d'un simple bi-
seau (crypte de Saint-Etienne d'Auxerre),
tantôt composées de tores, de scoties-et de
filets (piliers de la nef de Saint-Remy de
Reims). Au xe siècle, les moulures antiques
commencent à faire place à des combinaisons
nouvelles : dans plusieurs provinces (Berry,
Nivernais), on trouve des hases profilées au
tour et offrant une grande multiplicité d'arêtes
et de filets; plus au nord de la France, en
Normandie, dans le Maine, les profils sont
fins, peu saillants, d'un galbe doux et délicat.
C'est surtout dans les constructions élevées
par les moines de Cluny, au xio siècle, dit
M. Viollet-Leduc, que nous voyons la base
s'affranchir de la tradition romaine, adopter
des profils nouveaux et une ornementation
originale, composée quelquefois de feuillages
et même de figures d animaux (bases des co-
lonnes engagées de la nef d© l'église de Véze-
lay). Le savant que nous venons de citer,
ajoute : « Les monuments clunisiens offrent
seuls, dans la taille des. profils des bases, l'ap-
plication d'une méthode régulière : cette mé-
thode procédait par épannelages successifs,
pour arriver du cube à -la forme circulaire
moulurée... L'épannelage donne à la base
quelque chose de ferme, qui convient parfaite-
ment à ce membre solide de l'architecture et,
qui contraste avec la mollesse et les formes
indécises de la plupart des profils des bases
romaines. Le tore inférieur, au Heu d'être
coupé suivant un deini-cercle, et de laisser
entre lui et la plinthe une surface horizontale
qui semble toujours prête à se briser sous la
charge, s'appuie et semble comprimé sur cette
plinthe. » Les architectes du xne siècle adop-
tèrent une modification non moins importante :
observant que le tore inférieur laisse les quatre
angles de la plinthe vides, que ces angles peu
épais s'épaufrent facilement, ils imaginèrent
de les renforcer par un petit contre-fort diago-
nal, partant du tore. Cet appendice, auquel
on a donné le nom de griffe, devint bientôt un
motif de décoration et revêtit des formes em-

pruntées à la flore ou au règne animal. On
en trouve des exemples dans un grand nombre
d'édifices du xnic siècle , sur les bords du
Rhin, en Provence, en Auvergne , dans le
Berry, dans le Bourbonnais, dans le Poitou,
etc. Bien que les griffes eussent pour effet
d'adoucir les angles de la plinthe, les con-
structeurs du xine siècle jugèrent à propos
d'abattre ces angles, afin de rendre la circula-
tion plus facile autour des gros piliers isolés
(chœur de la cathédrale de Paris, nefs de la
cathédrale de Meaux et de la cathédrale d'A-
miens, etc.); mais la plinthe carrée fut con-
servée longtemps encore pour les colonnes
engagées des galeries et des fenêtres. Plus
tard, toujours dans le même but, on fit débor-
der de beaucoup le tore inférieur sur la plinthe
(cathédrale de Laon, Notre-Dame de Dijon,
Notre-Dame de Semur-en-Auxois). A mesure
que ce tore acquiert plus d'importance , la
scotie se creuse; quelquefois elle est remplie
par un perlé, comme on en voit dans quelques
églises de Normandie. En général, les bases
ont été traitées avec un soin particulier, avec
amour , par les architectes du xme siècle :
- Si elles sont posées très-près du sol et vues
de haut en bas, dit M. Viollet-Leduc, leurs
profils s'aplatissent, leurs moindres détails
se prêtent a cette position; si, .au contraire,
, elles portent des colonnes supérieures, telles
que celles des fenêtres hautes, des triforiums,
leurs moulures, tores, scoties et listels, pren-
nent de la hauteur de manière que, par l'effet
de la perspective, les profils de ces bases su-
périeures et inférieures paraissent les mêmes...
Si grand que soit l'édifice, les bases dont le
niveau est le plus élevé ne dépassent jamais
et atteignent rarement la hauteur de l'œil,
c'est-à-dire 1 m. 60. La hauteur de la base est
donc le véritable module de l'architecture ogi-
vale : c'est comme une ligne de niveau, tracée
au pied de l'édifice, qui rappelle partout la
stature humaine. » Au commencement du
xive siècle, les moulures des bases perdent de
leur hauteur et de leur saillie; la scotie dis-
paraît entièrement, et les deux tores finissent
Ear se souder et se confondre. D'un autre côté,
î profil des bases obéit au contour donné par
le plan des piliers; la plinthe reprend son plan
carré, dont l'angle est recouvert par la saillie
du tore. Au xve siècle, les piles de forme mo-
nocylindrique n'ont qu'une seule base à socle
polygonal; quant aux piles composées de
prismes curvilignes, leur base principale est
pénétrée par les petites bases partielles et res-
sautantes de ces prismes. Le xvie siècle, enfin,
ramène l'imitation des formes de l'architec-
ture antique : les profils de la base romaine
reparaissent, mais non sans subir diverses
modifications, dont quelques-unes ont été indi-
quées ci-dessus dans les renseignements que
nous avons donnés sur les bases employées
dans le style classique.
II. — Mathém. Un système de logarithmes
étant défini par deux progressions à termes
commensurables,choisies d ailleurs au hasard,
on peut toujours aisément en déterminer la
basé. Ainsi, soit le système défini par les deux
progressions
49 : 343
10 15
pour introduire le terme 1 dans la progres-
sion par différence, il suffira d'insérer quatre
moyens différentiels, -—,—,_ et — ou l, entre
— et -— ; il suffira donc, pour connaître la base
du système, d'insérer pareillement quatre
moyens proportionnels 7^7, 7v/7_', 7/7 * et
entre 7 et 49, c'est-à-dire dans l'inter-
valle correspondant de la progression par
quotient. 1 étant le quatrième moyen diffé-
rentiel inséré, la base sera le quatrième moyen
proportionnel ou 7v/7*.
La base du système des logarithmes vul-
gaires est 10, c'est-à-dire que le système de
ces logarithmes est défini par les deux pro-
gressions.
Les avantages que présente le choix de
cette base tiennent à 1 adoption du système
décimal de numération. Les multiplications
et divisions par 10 et ses puissances se pré-
sentant à chaque instant, il était impoi'tant-
qu'elles fussent ramenées aux opérations les
plus simples, et, pour cela, que les logarithmes
de 10 et de ses puissances fussent très-simples.
Lorsqu'on définit les logarithmes comme les
exposants des puissances auxquelles il fau-
drait élever un nombre constant a pour re-
trouver tous les nombres, c'est ce nombre a
qui définit le système, et il en est, d'ailleurs, la
base, puisque a1 étant a, 1 est le logarithme
de a.
Le logarithme x d'un nombre y, dans la
base a,""est défini par l'équation
y = Il est toujours facile de passer d'une base à
une autre, c'est-à-dire que les logarithmes des
nombres ayant été calculés dans une base a, on
peut s'en servir pour les former aisément
dans une autre base a'. En effet, soient y un
BAS
nombre quelconque et x, xr les logarithmes
de ce nombre dans les deux systèmes ayant
pour bases a et a' : des deux hypothèses
il résulte y = a" et y = a'x'
n&
ou, prenant les logarithmes des deux membres
dans la base a,
d'où x = x' logrt a'
1_
Ainsi, pour passer des anciens logarithmes
aux nouveaux, il suffira de les multiplier tous
par l'inverse du logarithme de la nouvelle
base dans l'ancien système.
On se sert souvent d'un théorème qui doit
trouver place ici : les logarithmes de deux nom-
bres pris chacun dans le système dont l'autre
serait la base, sont inverses l'un de l'autre,
c'est-à-dire que
logaa'xloga, a= 1.
I En-effet, si l'on prend, dans, le système a', les
j logarithmes des deux membres de l'identité
! log af
a' = a a
I il vient identiquement
l = logfl ar x loga,, a.
— Géod. Pour évaluer la surface d'un ter-
rain d'une grande étendue, on la divise par
des lignes qui forment un réseau de triangles
se reliant deux à deux par un côté commun.
Les côtés qui bordent le terrain appartiennent
chacun à un seul triangle. Considérons un de
ces derniers côtés : si on le mesure, ainsi que
les angles du triangle dont il fait partie, on
pourra évaluer l'aire de ce triangle et un côté
de chacun des triangles adjacents. A l'aide
de ces deux côtés, on carrera ces deux autres
triangles; et ainsi, de proche en proche.
Mais l'exactitude de toute l'opération dépend
de la mesure du premier côté : c'est ce pre-
mier côté qui poçte le nom de base.
L'opération de la mesure d'une base géo-
désiqne doit être entourée des précautions les
plus minutieuses. Après avoir choisi un ter-
rain uni, spacieux et découvert, on y plante
des piquets verticaux, alignés à l'aide d'une
lunette et formant une ligne droite aussi
longue que possible, de plusieurs kilomètres,
par exemple. La base ainsi jalonnée se me-
sure au moyen de trois règles d'égale lon-
gueur, successivement ajoutées bout à bout.'
Ces règles sont en fort bois de sapin, préala-
blement trempé dans l'huile bouillante, puis
verni; préparation qui a pour résultat de les
rendre presque insensibles à l'influence de
la température. La longueur des trois règles
constitue une portée. On dispose chaque portée
exactement en ligne droite et horizontale,
ce qui se fait en posant chaque règle sur
des poutrelles soutenues par des chevalets,
et en consultant fréquemment le niveau à
bulle d'air logé dans chacune d'elles. De
grandes précautions sont prises pour que
les extrémités des règles affleurent aussi
rigoureusement que possible. On les garan-
tit du soleil, au moyen d'une petite toiture
portative. Si l'on ne peut empêcher l'inclinai-
son d'une des règles, on en calcule la projec-
tion horizontale. Pour cela, soitL la longueur
connue de la règle inclinée, i l'inclinaison, et
P la projection horizontale de la longueur L.
L'angle i appartient à un triangle rectangle
dont l'hypoténuse est L, et dont un des côtés
est P ; et l'on a :
P = L cos i
L —P = L — Lcost = L (l —cosi).
donc
- cos i = 2 sin* — i :
L—P = 2Lsinî— i. 2
Quand l'arc i est très-petit, ce qui est le cas
ordinaire, il peut remplacer son sinus, et l'on a
L —P = 2L x— i1 = — Li». 4 2
Avec cette formule on peut, à l'avance,dresser
une table de réduction de minute en minute,
donnant, pour chaque inclinaison, ce qu'il faut
retrancher de la longueur L.
La base B étant ainsi mesurée sur le sol, il
reste à déterminer la projection b de cette
base sur la sphère formée par le prolongement
supposé de la superficie des mers, car c'est
cette projection qui est la véritable base cher-
chée, lorsqu'il s'agit d'une grande étendue de
terrain. Appelons R le rayon de la sphère des
mers, rayon qui est celui de l'arc b et R + h,
le rayon de la sphère terrestre à laquelle ap-
partient l'arc B. La différence h est ce qu'on
appelle la hauteur du sol au-dessus du niveau
des mers, hauteur connue, ou qu'on peut
trouver par le baromètre. On a
B R+ h
d'où
d'où encore
b
6=-
B — *«-
R >
BR R+ A »
B h
BAS
diminution qu'il faut faire subir à B pour
avoir la base réduite au niveau des mers.
Comme h est extrêmement petit par rapport à
R, on néglige cette quantité au dénominateur,
et l'on calcule simplement
^ t B A
Comme vérification, il convient de mesurer
directement une seconde base et de constater
qu'elle a là même longueur que celle qui lui
est attribuée par le calcul de tout le réseau
trigonométrique.
— Chim. Les mots base et acide se définis-
sent l'un par l'autre. Ils expriment des idées
opposées. Les bases sont des hydrates qui
font la double décomposition avec les acides,
en donnant de l'eau et un sel, tout comme les
acides sont des hydrates dont le principal ca-
ractère est de faire la double décomposition
avec les bases, en donnant un sel et de l'eau.
Ce qui différencie d'ailleurs les hydrates
acides des hydrates basiques, c'est que, dans
les premiers, l'hydrogène fait fonction de
métal, ou, en d'autres termes, d'élément élec-
tro-positif; tandis que, dans les bases, il fonc-
tionne comme élément métalloïdique ou-élec-
tro-négatif. Il en résulte que, si Ion enlève à
une base son hydrogène, uni à son oxygène ty-
pique, ce qui reste est un radical électro-po-
sitif capable de se substituer à l'hydrogène
positif des acides. Exemple :
BAS 301
Acide azotique. + K+; o H
Potasse.
I±jo + (A20r+\o
Azotate potassique
Le signe — indique que l'élément ou le groupe
dont le symbole en est affecté, fonctionne
comme électro-négatif ; et le signe -f- qu'il
fonctionne comme électro-positif.
Parmi des hydrates basiques, il en est qui
dérivent d'une seule molécule d'eau, comme
l'hydrate potassique (potasse) u(0; on les dit
monoatomiques. D'autres dérivent de deux,
trois, quatre, cinq et même six molécules
d'eau; elles renferment alors un nombre d'a-
tomes d'hydrogène typique égal à 2, 3, 4 ou
5; on les dit polyatomiques en général; et,
d'une manière plus spéciale, di, tri, tétra,
penta et hexatomique pour indiquer le nombre
d'atomes d'hydrogène typique qu'elles ren-
ferment. Ainsi on dit que l'hydrate de baryum
Ri") TJ-ÎO' est diatomique, et que l'hydrate de
fer au maximum exj*(C*' est hexatomique.
Les bases monoatomiques ne renfermant
qu'un atome d'hydrogène typique, la substi-
tution d'un radical acide à cet hydrogène ne
peut se faire qu'à la condition de porter sur
la totalité de cet élément. Les bases monoa-
tomiques ne donnent donc par elles-mêmes
qu'une seule série de sels. Les bases polya-
tomiques, au contraire, contenant plusieurs
atomes d'hydrogène, cet élément peut y être
remplacé par fractions. Dans les bases diato-
miques, la substitution peut porter sur la moi-
tié ou sur la totalité de l'hydrogène ; daus les
bases triatomiques, elle peut se faire par tiers, -
et dans les bases polyatomiques en général,
la plus faible quantité d'hydrogène rempla-
çante est exprimée par une fraction qui a
pour numérateur l'unité et pour dénominateur
l'atomicité même de la base. Dans une base
n atomique, l'hydrogène serait remplaçante par
v Les bases polyatomiques donnent donc, avec
les radicaux acides monoatomiques, autant de
séries de sels qu'elles renferment d'hydrogène
typique. Parmi ces sels, ceux dans lesquels
l'hydrogène typique est complètement rem-
placé portent le nom de sels neutres; ceux, au
contraire, qui renferment encore de l'hydro-
gène non remplacé participent des propriétés
de la base libre, et ont été appelés par cette
raison sels basiques. V. SELS.
Telle est, d'après la théorie actuelle, la si-
gnification du mot base. Cette signification
était tout autre dans la théorie dualistique.
Cette théorie envisageait les sels comme for-
més de deux composés binaires de premier
ordre, réunis par des forces électriques anta-
gonistes. Ainsi, le sulfate de cuivre était con-
sidéré comme formé d'oxyde de cuivre, CuO,
et d'acide sulfurique SO* (anhydride sulfu-
rique) ; on l'écrivait CuO, S O*. On désignait
alors sous le nom de base, l'oxyde, le sulfure,
ou le séléniure électro-positif (l'oxyde de
cuivre, dans l'exemple ci-dessus), etl'on réser-
vait le nom d'acide à l'oxyde de sulfure ou sélé-
niure négatif (l'oxyde de soufre dans le même
exemple). La théorie dualistique a été juste-
ment abandonnée. Elle supposait dans tous
les sels deux composés binaires distincts, et
une étude plus approfondie a montré qu'un
grand nombre de sels ne renferment pas une
quantité suffisante soit de métal, soit de métal-
loïde pour constituer les composés que l'on y
supposait tout formés. Ainsi l'on écrivait l'a-
zotate de potasse KO,AzO\ On a reconnu,
depuis, que la vraie formule de l'oxyde de
potassium est non KO, mais K'O, et que la
formule de l'acide azotique anhydre est non
Az 0% mais Az'OÎ, l'oxygène ayant un poids
atomique double de celui qu'on lui supposait.
Dès lors, l'azotate potassique ne pourrait con-
tenir les deux groupes qu'exige la théorie
dualistique, que si l'on doublait Ta formule an-
cienne, et si l'on écrivait le sel RaO, AzsOs.
Tous les faits chimiques prouvent que cette
formule correspondrait à une molécule double
de la vraie molécule de l'azotate de potasse,
et, dès lors, on est conduit à admettre la for-
mule'simple AzKO*, qui ne cadre plus avec
les idées dualistiques. Les premières idées
que nous avons développées a propos du mot
base sont donc les seules acceptables aujour-
d'hui.

BASÉ,
ÉE (ba-zé) part. pass. du v. Baser.
Fondé, établi*: Un système BASÉ sur une hypo-
thèse. Le bien qu'on pense des uns est BASÉ
parfois sur le mal qu'ils disent des autres.
(Petit-Senn.) Ces réflexions expliquent pour-
quoi ta vie de province est si fortement BASÉE
sur le mariage. (Bâlz.)
— Cristall. Corps basé, Corps dont la forme
cristalline dérive d'une forme à sommets
pyramidaux, dont chacun est remplacé par
une face perpendiculaire à l'axe et faisant
fonction de base.

BASÈCLES
bourg de Belgique, prov. de
Hainaut, à 25 kil. E. de Tournai; 2,922 hab.
Exploitation importante de calcaire bleu, dit
marbre de Basècles.

BASEDOW
(Jean-Bernard), appelé aussi
Bassedau ou Bernard de Nordalbingen, cé-
lèbre pédagogue allemand, né à Hambourg
en 1723, mort à Magdebourg en 1790. Après
avoir étudié la philosophie et la théologie à
Leipzig, il accepta, à l'âge de vingt-six ans,
une place de précepteur dans une famille noble
du Holstein. En 1753, il fut nommé professeur
de morale et de belles-lettres à l'académie de
Suroê (Danemark) ; mais des écrits entachés
d'hétérodoxie lui attirèrent tant d'adversaires,
que l'autorité crut devoir lui ôter sa chaire et
l'envoyer professeur à Altona. Cet avertisse-
ment ne le découragea pas ; il continua à in-
quiéter les orthodoxes et se fit excommunier.
C'était surtout le dogme de la Trinité qu'il se
plaisait à attaquer sur tous les tons et à
tout propos. La lecture de l'Emile de Rous-
seau tourna ses idées et son activité du côté
de la pédagogie. En 1774, il publia son Traité
élémentaire, ou Recueil méthodique des con-
naissances nécessaires à Vinstruction de la jeu-
nesse {4 vol., Dessau). Cet ouvrage, enrichi
de cent planches gravées sur acier, n'était, au
fond, que YOrbis pictus de Coménius, rema-
nié d'après le plan d'études de Rousseau. On
y passait de la prescription des objets natu-
rels à celle des objets d'art; de celle des
objets d'art à celle des relations sociales.
Comme YOrbis pictus , le Traité élémentaire
visait à un enseignementparallèle des choses
et de leurs désignations dans les différentes
langues. La méthode qui y était préconisée
consistait, pour l'enseignement des langues, à
débuter par la lecture des auteurs, et à faire
intervenir assez tard la grammaire; pour la
géométrie, à suivre les vues de Rousseau,
qui insistait sur un dessin correct et aussi
exact que possible des figures géométriques,
en un mot, à donner toujours pour base à
la notion l'image, à l'abstrait le concret; pour
la géographie, à passer du tracé d'une cham-
bre, d'une demeure, d'une ville et d'une con-
trée connue, aux divisions principales du
Goethe qui, en 1774, fit connaissance avec
Basedow, dans la ville de Francfort où ce
dernier était venu solliciter les secours des
grands, des riches, des* savants, pour mettre
à exécution ses projets de réforme pédagogi-
que, nous apprend l'impression que rît sur lui
ce personnage avec son livre et son système.
« Je ne pouvais, dit-il, sympathiser avec ses
plans, m même parvenir à me rendre tout à
tait intelligibles les projets dont il poursuivait
l'exécution. Qu'il voulût rendre toute instruc-
tion vivante et conforme à la nature, il y avait
là sans doute de quoi me plaire; que les lan-
gues anciennes dussent être enseignées en
tenant compte du présent, cela me semblait
- digne d'éloge, et je reconnaissais volontiers ,
ce qu'il y avait dans ce dessein de favorable
au développement de l'activité et d'une con-
ception plus vivante du monde ; mais il me dé-
plaisait de voir que les dessins de son 'Traité
élémentaire ne pouvaient que distraire encore
plus de la nature que les objets eux-mêmes.
Dans le monde réel, il n'y a de voisin que les
choses dont le rapproohement est possible, de
sorte que, malgré sa diversité et son apparente
confusion, il conserve toujours, en toutes ses
parties, quelque chose de réglé et de métho-
dique. Basedow, dans son livre, ne nous pré-
sente la nature qu'à l'état de dispersion, car
des choses qui ne se trouvent nullement con-
corder dans la représentation réelle de l'uni-
vers sont rassemblées ici, à cause de la
farenté des conceptions; d'où il suit que
ouvrage manque des qualités d'une méthode
fondée sur la sensation, qualités que nous
sommes contraints de reconnaître dans les
travaux semblables d'Amos Coménius... Ce
qu'il y avait néanmoins de bien plus curieux
et de plus difficile à comprendre que sa doc-
trine, c'était la manière d'être de Basedow.
Le but de son voyage à Francfort était de
gagner les gens, par sa personnalité, à l'exé-
cution de son entreprise philanthropique, et
d'ouvrir, non pas seulement les cœurs, mais
encore et surtout les bourses. Il s'entendait à
parler de son projet d'une façon grandiose et
S02
persuasive, et chacun lui cor.cédatt volontiers
ce qu'il affirmait; mais ce qu'il y avait de
bizarre, c'estqu'il blessait le sentiment intime
des gens dont il sollicitait l'appui; il les offen-
sait même sans nécessité, en ce qu'il ne pou-
vait contenir ses opinions et ses saillies tou-
chant les objets de la religion. »
L'activité de Basedow ne pouvait s'en tenir
à des écrits :il voulait agir; la pratique- était
le but qu'il poursuivait ardemment; il enten-
dait prouver au monde entier, par les épreu-
ves du fait, la valeur et l'efficacité de son
système. « Il avait, dit M. Ch. DoUfus, voyagé
pour sa doctrine, comme d'autres pour leur
marchandise. Il s'était institué à la fois pon-
tife et missionnaire de la nouvelle église pé-
dagogique, et chargé de se répandre lui-
même. » Le voyage qu'il fit a travers l'Alle-
magne, et qui 1 avait conduit à Francfort, ne
fut pas sans résultat. Malgré son franc parler
sur la religion, et l'intempérance de ses atta-
ques contre le mystère de la sainte Trinité, il
sut gagner à sa cause bien des gens, et en
particulier le prince d'Anhalt-Dessau.
Avec ce concours, il fonda dans la ville de
Dessau l'établissement devenu célèbre en
Allemagne sous le nom de Philanthropie. En
1776, tl publia sur cet établissement un rap-
port où il parlait sur un ton dithyrambique
des résultats qu'il obtenait de sa méthode. Il
était adressé - aux tuteurs, avocats et bien-
faiteurs de l'humanité, ainsi qu'aux cosmopo-
lites éclairés, » et dédié à l'empereur Joseph,
au roi de Danemark et à l'impératrice Ca-
therine. - Envoyez-nous,disait-il,des élèves;
ils sont heureux chez nous, et font de bonnes
études. Ils y apprennent d'une manière natu-
relle, sans fatigue et sans punition, le latin,
l'allemand, le français, l'histoire naturelle, la
technologie et les mathématiques. Il faut six
mois à Dessau pour apprendre à parler une
langue, et six autres mois pour y joindre la
perfection grammaticale. Nos méthodes ren-
dent les études trois fois plus courtes et trois
fois plus agréables. En quatre ans, un enfant
de douze ans est préparé pour les études uni-
versitaires, sans qu il ait ensuite besoin de
passer par la faculté de philosophie.» — «Notre
' entreprise,'dit-il ailleurs, n'est ni catholique,
ni luthérienne, ni réformée : elle peut même
accommoder les juifs et les mahométans.
Nous sommes des philanthropes, des cosmo-
polites, et notre but est de former des Euro-
péens dont la vie puisse être aussi inoffensive,
aussi utile et aussi heureuse qu'il est possible
de l'espérer avec le secours de l'éducation...
Le soin d'élever chaque élève dans la religion
paternelle est abandonné au clergé; mais
nous nous chargeons nous-mêmes de la reli-
gion naturelle et de la morale, partie essen-
tielle de la philosophie. »
Comme on le voit,, le Pkilanthropin repo-
sait, quant à la religion, sur le déisme de
Rousseau ; quant à la morale, sur la philan-
thropie ; quant à la politique, sur le cosmopo-
litisme des nations civilisées. Il se soutint
durant une période de dix années (1774-1785).
En 1782, il possédait cinquante-trois pension-
naires. On en envoyait depuis Riga et Lis-
bonne. Le caractère bizarre de son fondateur
contribua sans doute, plus que le système lui-
même, à sa ruine. Des excès de boissons, un
procès avec Wolke, son émule dans l'ensei-
gnement de l'institution, contribuèrent à dis-
créditer Basedow, et assombrirent les dernières
années de sa vie. Son activité fiévreuse le
suivit jusqu'au bout. En 1785, il rééditait en-
core son Traité élémentaire, et écrivait l'ou-
vrage intitulé De la méthode d'enseignement
du latin par ta connaissance des choses, puis
un opuscule sur l'enseignement de la lecture.
En 1786 parut son dernier ouvrage, sous ce
titre : Nouoellç méthode pour apprendre à
lire, pour connaître Dieu et enseigner les lan-
gues avec la plus grande exactitude.
Au mois de juillet 1790, une hémorrhagie
surprit Basedow à Magdebourg, où, depuis
1785, il s'en allait enseigner chaque année,
durant quelques mois, dans une école de filles.
a II sentit venir sa fin, dit M. de Roumer,
dicta encore quelques suppléments à son tes-
tament, dit tendrement adieu à son plus jeune
fils; et mourut en pleine connaissance, le
25 juillet, à l'âge de près de soixante-sept ans.*
Il ne laissait d'autre héritage que son corps,
dont il disposa au moment de mourir : « Je
veux, dit-il, qu'on me dissèque pour le bien de
mes semblables. »

BASEILHAC
(Jean, dit le frère CÔME ou
COSMK), chirurgien français, né à Pouyastruc,
çrèsTarbes, en 1703, mort en 1781. Il était
fils de Thomas et petit-fils de Simon Baseilhac,
chirurgiens distingués.
Nommé chirurgien ordinaire du prince de
Lorraine, il perdit son protecteur en 1728, et
entra chez les feuillants, sous le nom de
- frère Donat, et avec l'expresse condition de
Î)ouvoir encore exercer l'art chirurgical, pour
equel il avait un goût profond. Dans le grand
nombre de malheureux qu'il voyait chaque
jour, il fut frappé de la quantité des individus
qui étaient sujets à la maladie dite de la pierre,
et résolut de rendre les méthodes d'opération
plus faciles et moins dangereuses. Après plu-
sieurs années de méditations prolongées, il in-,
venta le lithotome caché, instrument vérita-
blement remarquable pour son époque , et au
moyen duquel Baseilhac obtint de nombreux
succès, qui le dédommagèrent des attaques
malveillantes dont il était l'objet. Sa réputa-
tion devint telle, qu'il jugea à propos de fonder
BAS
f un hospice spécial près de la porte Saint-Ho-
1 noré. Outre les talents dont il faisait preuve,
frère CÔme exerça toujours la chirurgie avec
t le plus grand désintéressement. L'argent du
\ riche servait au soulagement du pauvre, et
i jamais, on peut le dire , il ne donna l'exemple
j de la dureté ou de l'avarice. Le reproche qu on
j pourrait lui faire serait peut-être d'avoir tiré
i trop grande vanité de ses succès ; mais ses
autres qualités compensent trop ce défaut
f>our qu'on puisse le lui reprocher. Outre
es perfectionnements que le frère Côme ap-
lui porta dans les opérations de la taille, on
doit des instruments pour l'opération de la ca-
taracte, par la méthode d'extraction, et un
I trois-quarts courbe pour la ponction de la ves-
sie par l'hypogastie dans les rétentions d'u-
rine. Scarpa, qui l'a vu opérer plusieurs fois,
dit qu'il était curieux par sa dextérité et sa
promptitude, et qu'il accordait difficilement aux
gens de l'art, nationaux ou étrangers, la liberté
d'assister a ses opérations. Il a laissé les ou-
vrages suivants : Recueil de pièces impor-
tantes sur l'opération de la taille, faite par le
lithotome caché, avec un mémoire concernant
la rétention d'urine causée par l'embarras du
canal.de l'urèthre (Paris 1751, in-12). Addi-
tion à la suite du recueil de toutes les pièces
qui ont été publiées au sujet du lithotome ca-
ché (Paris 1753, in-12). Réponse à M. Levacher
(Paris 1756, in-12). Nouvelle méthode d'ex-
traire la pierre par-dessus le pubis (Paris 1770,
in-8«).

BASEL
nom allemand de Bâle, en Suisse.
BASEL1CE, ville de l'Italie méridionale, dans
l'ancien roy. de Napies,- prov. de Molise, à
30 kil. S.-E. de Campobasso; 4,406 h.

BASELIUS
(Jacques VAN BASLK), écrivain
hollandais, né en 1530, mort en 1598. Il s'est
occupé de théologie et d'histoire, et il a laissé
un récit du siège de Berg-op-Zoom en 1598.—
Son petit-fils, Jacques BASKLIUS, fut un théo-
logien distingué, très-versé dans l'histoire
civile et ecclésiastique. 11 a écrit une Histoire
des progrès et de la réforme de la religion en
Belgique (Leyde, 1657).

BASELLAGÉ
É*: adj. (ba-zèl-la-sé — rad.
baselle). Bot. Semblable à la baselle.
— s. f. pi. Famille, ou, suivant d'autres au-
teurs, simple tribu des atriplicées ou cliéno-
podées, ayant pour type le genre baselle :
Dans les BASELLACÉES, le calice persiste mem-
braneux ou charnu. (Ad. de Jussieu.)
— Encycl. Cette petite famille, formée par
M. Moquin-Tandon d'un certain nombre de
genres de la famille des atriplicées, serait,
suivant ce botaniste, caractérisée par des fleurs
pédicellées, demi-closes, colorées;par un ca-
lice double, vers le milieu duquel s'insèrent
ordinairement les étamines, et par des anthères
sagittées dont le pollen présente'des granules
cubiques. Les basellacées ont à peu près le
même port que les portulacées, mais elles ont
des tiges volubîles. Ce naturaliste les distin-
guait en deux genres : les anrédérées et les ba-
sellées; l'espèce type de ce dernier genre est
la baselle.

BASELLE
s. f. (ba-zè-le). Bot. Genre de
plantes de la famille des chenopodées, qui pa-
raît former le passage de celles-ci aux portu-
lacées; type d une petite famille, pour quel-
ques auteurs. Il renferme cinq ou six espèces,
propres à l'Asie équatoriale,et dont plusieurs
sont cultivées comme plantes potagères, aci-
dulés et rafraîchissantes : On est parvenu à
acclimater en France la BASELLE rouge et la
BASELLE blanche. On appelle BASELLE une sorte
d'épinard abondant en feuilles, et qui ne peut
passer l'hiver. (Raspail.)
— Encycl. Les baselles sont des herbes an-
nuelles, charnues, succulentes, volubiles; à
feuilles alternes, pétiolées, planes, larges,
très-entières; à épis simples ou rameux, axil-
laires, solitaires, dressés et aphylles. Les fleurs
sont petites, éparses, méridiennes, adnées parla
base, tribractéolées ; les pétales sont pourpres.
Ces plantes sont originaires de l'Asie équato-
riale, où on les cultive comme plantes pota-
gères. On en compte cinq ou six espèces, parmi
lesquelles nous signalerons la baselle rouge,
appelée aussi épinard du Malabar, brède d'An-
gole, gandole ou épinard rouge. Sa tige, haute
de 1 m. 50 à 2 m., est grimpante, rameuse,
sucoulente, de couleur rouge pourpre ; les
feuilles alternes, ovales, entières, charnues,
sont également de couleur rouge. On mange
la baselle comme l'épinard commun. Le fruit
est une baie noire qui exprime un suc pourpre
employé, dit-on, utilement en fomentation sur
les boutons de la petite vérole. La baselle rouge
est cultivée comme légumière en Chine. Elle
réussit fort bien en France. Les graines doivent
être semées en février, mars ou avril, sur
couche chaude et sous châssis. Les froids
passés, on repique en pleine terre et contre un
mur treillage, a l'exposition du midi. La ba-
selle blanche porte le nom à'épinard blanc du
Malabar; et la baselle tubéreuse donne des
racines que les femmes de Quito mangent pour
augmenter leur fécondité.

BASELLI
(Benoît), médecin et chirurgien
de Bergame, né vers le milieu du xvic siècle,
mort en mai 1621. Après avoir étudié la mé-
decine à Padoue, il voulut, en 1594, se faire
admettre dans le collège des médecins de son
pays, et vit sa demande rejetée par le corps
tout entier, qui considérait la chirurgie comme
un art dégradant. Pour se venger, et pour
BAS
attaquer le préjugé dont il était la victime, il
écrivit alors : Apologiœ, qua pro chirurgiœ
nobilitate chirurgi strenue pugnantur, libri
très (Bergame, 1604, in-4o).

BASELLOÏDE
adj. (ba-zèl-lo-i-de — de
baselle, et du gr. eidos, aspect, forme). Bot.
Qui ressemble a la baselle.
-BAS-EMPIRE, nom sous lequel on désigne
l'empire romain depuis Constantin, d'autres
disent depuis Valérien, et l'empire grec depuis
Théodose. Il s'entend comme synonyme de
décadence, de corruption, de bassesse et
d'anarchie gouvernementales, et se donne, par
analogie, aux nations déchues, dégradées,
livrées aux révolutions de palais, ou asservies
par les factions militaires. L'histoire du Bas-
Empice n'est, en effet, que le récit d'une
longue suite d'usurpations et de crimes, au
milieu desquels tout sentiment de ce qui fait
la grandeur morale et la dignité des nations
semble avoir complètement disparu. Nous
| allons essayer de la résumer rapidement dans
- son ensemble, de rechercher les causes mo-
I raies de dissolution et de ruine que l'établis-
I sèment romain traînait, pour ainsi dire, avec
lui, et de faire ressortir les causes occasion-
nelles qui en déterminèrent la chute défini-
tive. Nous glisserons rapidement sur les évé-
nements, qu'on trouvera racontés plus au long
dans l'article consacré à chaque empereur en
particulier.
Au ivc siècle de l'ère chrétienne, la puis-
sance romaine était en pleine voie de déca-
dence. Le nom romain avait perdu tout son
prestige, et la terreur profonde que les con-
quérants du monde avaient si longtemps in-
spirée à tant de nations vaincues était singu-
lièrement amoindrie. Les barbares s'étaient
glissés dans l'administration et dans l'armée;
les frontières, trop étendues, ne pouvaient plus
être efficacement défendues; les exigences
toujours croissantes des prétoriens, les pro-
digalités inouïes des empereurs, avaient en-
gendré une fiscalité effrayante, et les pro-
vinces, courbées sous la tyrannie de gouver-
neurs cupides, pour leur propre compte et pour
le compte de ceux dont ils tenaient" leur pou-
voir, avaient hâte de secouer un joug si dur.
A partir de Dioclétien, les empereurs avaient
compris qu'un seul homme ne suffisait plus
pour s'opposer à tant de causes de dissolution,
et que, si le colosse romain pouvait encore
être sauvé, ce n'était plus que par la division
de la puissance impériale, et surtout par son
affranchissement absolu de la tutelle dans
laquelle la tenaient les prétoriens. Mais le
premier remède était pire que le mal : outre
que son application entraînait nécessairement
la guerre civile par le choc de toutes les am-
bitions rivales qu'on allait mettre en présence ;
outre que, parla création de trois ou quatre
cours et l'entretien de trois ou quatre empe-
reurs, la charge déjà si lourde des impôts ne
pouvait que s'augmenter, il était évident que
chacun des associés à l'empire devait viser à
un seul but, le pouvoir suprême, et que tous
ses efforts devaient tendre à franchir le der-
nier pas qui l'en séparait. Quant au prétoria-
nisme, c'était là le vice radical de l'œuvre
entreprise par César, accomplie par Auguste
et ses successeurs, vice inhérent à la consti-
tution même de l'empire, et il n'était en Ja
puissance de personne de s'opposer à ses pro-
grès toujours croissants. Dioclétien l'avait
tenté, et il s'était décidé à dissoudre la garde
prétorienne ; mais il fut obligé de Ja remplacer
f»ar la garde jovienne et la garde hercutiemie,
a même institution sous des noms différents.
Constantin, à son tour, essaya de briser l'aristo-
cratie militaire, et de faire de la préfecture du
prétoire une sorte de magistrature civile; il
réussit même jusqu'à un certain point; mais
il comprit que, dès lors, le séjour de Rome
n'était plus possible aux empereurs ; il trans-
porta donc à Constantinople le siège du pou-
voir, et l'empire romain n'exista plus. Cela
était fatal : fondé sur la force militaire, il
devait périr par elle, tant il est vrai que c'est
un appui fragile que la force, et que mieux
vaut l'empire des lois et des institutions.
Trois siècles écoulés depuis l'usurpation de
César, tant de révolutions accomplies, tout un
système organisé de corruption et d'abrutis-
sement (système suivi avec une rare et signi-
ficative persistance par les empereurs à l'égard
du peuple), le monde entier conquis et ses
richesses - prodiguées à l'assouvissement des
passions de la multitude, les naumachies, des
armées de gladiateurs se heurtant dans le
cirque contre toutes les bêtes féroces de l'uni-
vers, cent mille chrétiens égorgés pour le
plaisir du peuple roi, rien n avait pu faire
oublier à l'antique Rome sa liberté perdue et
les vieilles gloires républicaines. Constantin
vit tout cela, et se dit qu'il fallait créer une
Rome nouvelle en face de l'ancienne, rompre
d'une manière absolue avec les traditions,
laisser les Romains à leurs faux dieux et à
leurs idées toujours vivantes de république,
tenter enfin d'asseoir un établissement puis-
sant sur tant de ruines amoncelées. Mais soit
que l'œuvre fût impossible, soit que Constan-
tin ne fût pas à la hauteur de cette tâche, sa
tentative échoua. Peut-être eut-il le tort de
voir dans le christianisme, déjà dévoyé, un
moyen d'action tout-puissant; ce qu'il y a de
certain, c'est que les principales causes de
ruine qui se manifestèrent dès le début du
Bas-Empire, furent l'ardeur des controverses
religieuses et la multiplicité des sectes qui en
sortirent. Les luttes des orthodoxes et des
BAS
hérésiarques, la passion de l'argumentation,
qui gagna jusqu'aux empereurs eux-mêmes,
firent presque autant de mal au nouvel ordre
de choses, que la turbulence et les exigences
des prétoriens en avaient fait à l'ancien. Les
questions religieuses se subdivisèrent à l'in-
fini; les rhéteurs soulevèrent toutes les ques-
tions, argumentant sur des subtilités où le
bon sens n'avait rien à faire, et au milieu des-
quelles il est presque impossible de se recon-
naître; ils mirent l'anarchie dans la religion
à côté de l'anarchie dans le gouvernement.
D'ailleurs, les prétoriens n'avaient pas aban-
donné la partie, pas plus que les bestiaires et
les préposés aux jeux du cirque. Toutes ces
classes de gens, habituées à vivre des largesses
des empereurs, les avaient suivis à Constan-
tinople, et ces derniers durent maudire plus
d'une fois l'imprudence de leurs prédéces-
seurs, gui en avaient, avec tant de complai-
sance, favorisé le développement. Seulement,
au contact de l'Orient, la moralité de tous ces
.parasites déchut encore d'un degré, leur inso-
lence et leur pouvoir s'accrurent d'autant, et
bientôt on vit les cochers du cirque disposer
du trône en faveur de qui les payait le mieux.
Le christianisme, à son tour, se plia aux exi-
gences de la vie orientale ; il toléra de hon-
teuses mutilations, et on put voir de vils eunu-
ques, déchus* de leur rang d'hommes, exercer
le pouvoir suprême au nom d'empereurs en-
core plus impuissants qu'eux. La corruption
arriva à son comble; la longue lutte et les
querelles interminables des sectes religieuses
aboutirent au schisme d'Orient ; la rivalité des
papes et des patriarches de Constantinople,
s'anathématisant tour à tour, vint jeter un
élément de dissolution de plus au milieu de
cette société vermoulue. Dans les préoccupa-
tions publiques, la haine contre les Latins
prit la place qu'aurait dû occuper celle des
Barbares, qui assaillaient de toutes parts l'em-
pire ; les ordres religieux augmentèrent dans
une telle proportion et acquirent une impor-
tance telle, que les empereurs se préoccu-
pèrent bien plus de l'approche des enfants de
saint Basile, que d'une rencontre avec les
Perses ou avec les Bulgares ; l'Occident, ortho-
doxe et barbare,' regarda avec mépris cet
Orient civilisé jusqu'à la corruption, rhéteur
et schismatique; et, dès lors, entourée d'en-
nemis, Constantinople ne fut plus qu'une proie.
promise au plus audacieux ou au plus fort.
Elle n'avait rien de ce qui sauve les empires :
ni la foi brutale et inconsciente, qui fit la gran-
deur du moyen âge chrétien ou mahométan ;
ni l'esprit d examen et de libre pensée, pré-
servateur des sociétés modernes. Les rudes
soldats de Godefroy de Bouillon et de Bau-
douin de Flandre ne comprirent rien à toutes
les obscures subtilités au milieu desquelles se
débattaient les rhéteurs et les scolastiques
grecs : ils ne pouvaient y voir que la négation
partielle ou totale des dogmes qui faisaient la
base de leur foi aveugle, et ils emportèrent en
passant ce dernier débris de la civilisation
romaine. Ces barbares accomplissaient ainsi
leur tâche jusqu'au bout, en achevant de pré-
cipiter la ruine du monde ancien, et de faire
la place libre à l'épanouissement de l'esprit
nouveau. La renaissance du xiie siècle, plus
remarquable, ainsi que le dit M. Henri Martin,
que l'éclat passager du règne de Charlemagne
ou de Sixte-Quint, parce que, selon une admi-
rable expression de cet historien, ce fut une
naissance, avait déjà dit son premier mot.
Abailard et Arnaud de Brescia faisaient pré-
voir Luther ; le temps était venu d'en finir avec
les vaines discussions d'écoles, de rompre avec
tous les souvenirs du passé et d'en faire dispa-
raître les dernières traces. Aussi l'établisse-
ment des Latins à Constantinople ne fut-il
qu'un épisode de plus dans l'histoire de la dé-
cadence du Bas-Empire, et cela ne pouvait rien
changer à ses destinées. Eux partis, la disso-
lution qu'ils n'avaient fait que hâter se des-
sina de plus en plus, précipitée par les mêmes
causes ; les querelles religieuses recommen-
cèrent, plus violentes que jamais; les usur-
pations a main armée devinrent de plus en plus
Fréquentes ; les Bulgares entamèrent toutes
les frontières; les Turcs, dont la puissance
s'accroissait de toute la faiblesse de leurs
ennemis, se ruèrent avec plus d'acharnement
à la conquête de Constantinople, dont ils
finirent par s'emparer en 1453, quelques an-
nées avant la découverte de l'Amérique, au
moment où allaient naître Erasme, Luther,
l'Arioste, Machiavel et Michel-Ange.
Quelques historiens ont divisé l'histoire du
Bas-Empire en six périodes. Nous suivrons
cette division, qui nous permettra de tracer à
grands traits la marche des événements. Ces
événements, ainsi que nous l'avons dit au
commencement de cet article, sont plus lon-
guement racontés ailleurs. La première période
va de l'an 395, année de la mort de Théodose
et du partage de l'empire romain entre ses
deux fils, Honorius et Arcadius, à l'an 5fi5,
époque où finit le règne de Justinien 1er. Cet
empereur est le personnage important de cette
période, signalée par la chute de l'empire
d'Occident, la tentative d'Attila contre l'em-
pire d'Orient, l'hérésie d'Eutychès, le com-
mencement des guerres religieuses, la perte
de l'Arménie, enlevée par le roi des Perses,
Cabad ; les invasions des Bulgares, contre
lesquelles il fallut bâtir un mur, qui allait du
Pont-Euxin (mer Noire) à la Propontide (mer
de Marmara) ; les travaux législatifs de Justi-
nien; les factions des cochers du cirque; les
303
guerres contre les Perses, les Vandales, les
Ostro^oths et les Bulgares ; les conquêtes de
Bélisaire, qui s'empara de l'Italie, de l'Afrique
et de l'Espagne, débris de l'empire d'Occident,
et ne fut récompensé que par l'ingratitude de
son maître ; enfin, l'organisation de l'exarchat
de Ravenne par l'eunuque Narsès. Les empe-
reurs de cette période sont : Arcadius (395-
408); Théodose II (408-450); Marcien (450-
457); Léon 1er (457-474); Léon II (474) ; Ze-
non 1er (474 ( renversé par Basiîisque en 476,
mort en 481); Anastase (481-518); Justin
(518-527) ; Justinien 1er (527-565).
Le seconde période s'étend de la mort de
Justinien à l'an 717, époque de l'avènement
au trône de la dynastie isaurienne. La déca-
dence, arrêtée un instant par la vigueur du
gouvernement de Justinien, va dès lors en se
précipitant avec une vitesse à peu près con-
stante. Pendant cette période, le Bas-Empire
est assailli par une véritable inondation de
Barbares ; les Lombards lui enlèvent l'Italie ;
les Avares l'entament au nord et les Perses a
l'orient; les Arabes s'emparent de l'Egypte,
de la Syrie, des îles de la Méditerranée, et
viennent même assiéger Constantinople, qui
ne se sauve que par l'emploi du feu grégeois ;
enfin, les P.erses occupent la Palestine, la
Cyrénaïque et l'Asie Mineure. Les empereurs
de cette période sont : Justin II. (565-574) ;
Tibère II (574-576) ; Maurice (576-583) ; Phocas
(583-610); Héraclius 1er (610-611) ; Héraclius II
(611-613); Constantin III (613-641); Héra-
cléonas (641) ; .Constant II (641-668) ; Constan-
tin IV Pogonat, celui qui défendit sa capitale
avec le feu grégeois (668-685) ; Justinien II
(685, renversé du trône par Léonce en 695,
une seconde fois par Tibère III en 705, et enfin
assassiné en 71i); Philippicus Bardanes (711-
715); Anastase II (715); Théodose III (715-717).
La troisième période va de l'avènement au
trône de le. dynastie isaurienne, en la personne
de Léon III, l'Isaurien, à l'année 867, où cette
dynastie est remplacée par la dynastie macé-
donienne, en la personne de Basile 1er. Les
principaux événements qui signalèrent ces
cent cinquante années sont : la naissance
de la secte des iconoclastes (briseurs d'images),
pour ou contre laquelle on vit souvent les em-
f)ereurs recourir aux mesures les plus vio-
entes ; l'affranchissement des papes sous Gré-
goire II et Grégoire III, qui profitèrent de ce
que Léon III était un fougueux iconoclaste,
pour se soustraire à la souveraineté de Con-
stantinople ; la perte définitive pour l'empire
de l'exarchat de Ravenne ; le second concile
de Nicée, qui rétablit le culte des images; le
projet avorté du mariage de l'impératrice
d'Orient, Irène, avec l'empereur d'Occident,
Charlemagne ; l'établissement d'un grand nom-
bre d'ordres religieux et monastiques ; enfin,
le commencement du schisme grec. Les em-
pereurs qui se succédèrent sur le trône sont :
jéon III, l'Isaurien (717-741); Constantin V
741-775); Léon IV (775-780); Constantin VI
780-792); Nicéphore-Logothète (792-811);
Michel 1er (811-813); Léon V,l'Arménien (813-
820); Michel II, le Bègue (820-829); Théophile
(829-842) ; Michel III, l'Ivrogne (842-867).
La quatrième période de l'empire bysantin
commence a l'avènement de la dynastie macé-
donienne, et se termine en 1056, par l'acces-
sion au trône de la dynastie des Comnènes.
Elle est signalée par quelques hommes remar-
quables, surtout comme législateurs, tels que
Basile 1er et Léon VI, qui publia les Basiliques,
recueil des lois-et ordonnances édictées par
l'empereur son père. Quoique l'empire fût
alors assailli par les Bulgares et les Roxolans
(Russes) il put cependant reconquérir la Bul-
garie et la Servie, Chypre, la Cilicie, Candie,
Alep et la Sicile. Les empereurs qui se succé-
dèrent pendant cette période sont : Basile 1er
(867-878); Léon VI, le Philosophe (878-911);
Alexandre (911); Constantin VII, Romain 1er
et Constantin VIII (911-959); Romain II (959-
963) ; Nicéphore II-Phocas (963-969) ; Jean 1er
Zimiscès (969-976); Basile II (976-1025); Con-
stantin IX (1025-1028); Romain III Argyre
(1028-1034) ; de 1034 à 1056, Zoé et Théodora,
deux femmes indignes du nom de leur père
Basile II, qui avait mis fin au royaume des
Bulgares, prostituèrent la couronne à un chan-
geur de monnaies, Michel IV, à un calfat,
Michel V, et à un gladiateur. Constantin X.
La cinquième période de l'histoire du Bas-
Empire s'étend de l'avènement au trône
d'Isaac 1er Comnène, jusqu'à la chute du pre-
mier empire grec et à la prise de Constanti-
nople par les croisés en 1204. C'est l'époque où
commencent les invasions des Turcs-Seldjou-
cides, invasions qui durèrent jusqu'à la chute
définitive de l'empire, et ou les croisades
achèvent de ruiner la puissance impériale.
Les Normands envahissent la Sicile, les Bul-
gares se soulèvent, les Hongrois inquiètent
les frontières, les Serbes reprennent les armes,
et presque toute l'Asie Mineure est conquise
par les Turcs. Pendant cette période de cent
quarante-sept ans, les empereurs qui mon-
tèrent sur le trône sont : lsaac 1er Comnène
(1057-1059) ; Constantin XI Ducas (1059-1067);
Romain IV Argyre (1067-1069); Michel Ducas
(10C9-1078) ; Nicéphore Botoniate (1078-1095);
Alexis 1er Comnène (1095-1118); Jean Com-
nène (1118-1153); Manuel Comnène (1153-
1180); Alexis Andronic (1180-1184); lsaac
l'Ange (1184-1204); Alexis Murzuphle (1204).
Avant de passer à la sixième période, et
quoique, d'haçitude, on ne considère pas comme
taisant partie du Bas-Empire le demi-siècle
de la domination latine, nous allons donner
les noms des empereurs français de Constan-
tinople : Baudouin 1er (1204-1206) ; Henri (1206-
1217); Pierre et Robert (1217-1228); Bau-
douin II (1228-1251). Pendant que les croisés
occupaient Constantinople, les princes Com-
nènes, chassés de leur capitale, allèrent former
dans l'Asie Mineure deux petits empires, l'em-
pire de Nicée et l'empire de Trébizonde, où se
conservèrent les traditions grecques, et d'où
Michel Paléologue revint s'emparer de Con-
stantinople, que sa famille conserva jusqu'à la
prise de cette ville par les Turcs.
Ce second empire grec forme la sixième
période de l'histoire générale du Bas-Empire,
pendant laquelle eut lieu une tentative de
réconciliation avec l'Eglise orthodoxe, au
concile de Lyon. Mais cette tentative ayant
avorté, l'Occident abandonna définitivement
les empereurs de la maison des Paléologues,
qui perdirent tour à tour la Servie, la Vala-
chie, la Bosnie, les Iles, l'Asie Mineure, et se
trouvèrent enfin réduits à la possession de la
seule ville de Constantinople. D'ailleurs, les
dissensions religieuses et les guerres civiles
avaient recommencé, et se continuèrent sous
les règnes de Michel VIII Paléologue (1261-
1282); Andronic III l'Ancien (1282-1328); An-
dronic IV le Jeune (1328-1341); Jean V Pa-
léologue (1341-1391); Jean VI, empereur
enfant, Mathieu Cantacuzène et un inter-
règne conduisent à l'an 1425; Jean VIII Pa-
léologue (1425-1448); Constantin XII Dracosès
(1448-1453). Celui-ci, du moins, se défendit
avec le courage du désespoir contre une
armée turque de 300,000 combattants, et
mourut sur la brèche. Ce qui restait de la
colossale puissance romaine fut ainsi anéanti
2,206 ans après la fondation de Rome, et
1,498 ans après l'établissement de l'empire par
César,
Si nous recherchons maintenant quelle a
été l'influence du Bas-Empire sur les desti-
nées des nations modernes et sur le dévelop-
pement de l'esprit humain, nous ne trouvons
guère qu'un grand fait : les travaux législa-
tifs de. Justinien, réunis en plusieurs codes
formant le corps du droit romain. Ces travaux
sont devenus la base de presque toutes les
législations, et le Digeste, ainsi que les Insti-
tutes, s'étudient encore dans nos écoles. On
peut ajouter à cela un très-petit nombre d'in-
ventions ou d'applications nouvelles, telles
çiue celles des versa soie et des moulins à vent,
importés en France vers la fin du xne siècle..
Quant au feu grégeois, il est perdu, et il ne
nous paraît pas indispensable de le retrouver ;
nous avons mieux ou pis. La littérature du
Bas-Empire peut se résumer en deux noms,
ceux du scolastique Socrate et du rhéteur
Phocas, dont les œuvres obscures et confuses
sont bien les images fidèles des temps et du
pays où elles ont été conçues. L'art byzantin
a plus d'importance, particulièrement au point
de vue architectural ; outre que ses produc-
tions propres ne manquent pas de grandeur,
l'art gothique découle de lui, et, à ce titre, il
mérite la plus grande attention. Mais la véri-
table gloire des Grecs du moyen âge, c'est de
nous avoir conservé quelques-unes des œuvres
les plus remarquables de l'ancienne littérature
grecque, et de nous avoir transmis les secrets
de la langue d'Homère et de Ménandre. Il
est constant que cette langue, dégénérée
parmi les gens du peuple, était conservée
dans toute sa pureté au milieu des classes
élevées, qu'à l'époque des Comnènes on
lisait encore Alcèe, Sapho et Théopompe, et
qu'on ne peut accuser de la disparition des
œuvres de ces grands écrivains que l'igno-
rance brutale des croisés. Les Grecs, fuyant
le sabre des Turcs, répandirent partout en
Europe le goût de la langue grecque ; le moine
Barlaam vint l'enseigner à Pétrarque, Léonce
Pilate la professa publiquement a Pavie et à
Rome, et Manuel Chrysoloras à Florence, où -
il eut Boccace pour auditeur. N'oublions pas
enfin qu'au milieu des mesquines argumenta-
tions et des discussions futiles des théologiens
et des hérésiarques grecs, l'esprit de discus-
sion se montra toujours vivant, quoique perdu
dans de vaines spéculations, préparant ainsi,
sans en avoir conscience, le terrain de l'exa-
men et de la critique, éléments indispensables
de la liberté qui fait la dignité humaine.
Mais au point de vue moral et politique,
l'influence du Bas-Empire fut désastreuse.
Toutes les grandes idées, tous les nobles sen-
timents qu avait engendrés le règne de la
liberté dans les républiques de la Grèce et
dans celle de Rome furent étouffés. On oublia
jusqu'au nom de citoyen ; l'amour de la patrie,
qui avait produit tant de héros, avait complè-
tement disparu de toutes les âmes j comment
aurait-on pu s'attacher à un sol ou tous les
hommes naissaient sujets ou esclaves d'un
maître, qui n'avait pas même le prestige de
la grandeur et dont le pouvoir éphémère
était à la merci d'une bande de soldats ou
d'histrions ? Il fallut de longs siècles pour
réparer les ruines amoncelées dans le règne
des idées humaines par les tristes excès du
Bas-Empire et par ceux du moyen âge ; on
peut dire même que ce travail de réparation
est loin encore d'être terminé. Nous faisons
entrer trop de vaines pratiques dans l'idée
que nous nous formons de la vertu ; nos sen-
timents patriotiques, quoique notre grande Ré-
volution les ait un peu réveillés, sont trop
mêlés à des sentiments personnels; notre haine
du despotisme n'est pas assez vivace, pour
qu'on ne puisse pas nous accuser de ressem-
bler encore, sous bien des rapports, aux peu-
ples du Bas-Empire. Cependant, l'étude des
événements qui remplissent cette longue suite
de siècles obscurs, si elle est triste pour l'hu-
manité, peut du moins être utile, en prouvant
que l'homme perd toute sa dignité quand il
courbe lâchement la tête sous le joug d'un
maître que des "bandes armées lui ont imposé.
Bas-Empire (HISTOIRE nu), par Le Beau.
Cette vaste compilation peut être considérée
comme la suite et le complément de l'Histoire
des empereurs, par Crevier. Le Beau étant
mort pendant l'impression du vin»t-deuxième
volume, Ameilhon l'acheva et continua ensuite
l'ouvrage7 dont le vingt-septième et dernier
tome, divisé en deux parties, n'a vu le jour
qu'en 1811. Le travail de Le Beau embrasse les
annales du monde gréco-romain, depuis Con-
stantin le Grand jusqu'à la prise de Constan-
tinople par les Turcs. L'auteur avait assez
d'érudition pour pouvoir réunir en corps d'ou-
vrage les récits des historiens et chroniqueurs
byzantins, que personne ne lit, si ce n'est ceux
qui veulent être eux-mêmes historiens. Le Beau,
a patiemment consulté les sources ; il a su faire
un résumé judicieux et exact de narrations hé-
térogènes, embrouillées, arides, fit pourtant,
malgré son savoir et son zèle, il n'a fait qu'un
ouvrage médiocre sous beaucoup de rapports.
Disciple de Rollin, il a traité en rhéteur et en
professeur d'humanités un sujet qui demandait
surtout des aperçus, des jugements élevés,
c'est-à-dire le coup d'œil du philosophe et de
l'homme d'Etat. On s'accorde généralement
aujourd'hui à trouver le style de Le Beau
diffus, terne, incorrect et déclamatoire. Aux
meilleurs endroits, on croirait lire des mor-
ceaux de Thomas. Mais le défaut capital
de l'Histoire du Bas-Empire est surtout
l'absence de combinaison et de synthèse. Ce-
pendant, il ne faudrait pas pousser à l'ex-
trême une appréciation toute défavorable ;
voici ce que dit un érudit de ce travail esti-
mable : « h'Histoire du Bas-Empire restera
comme un témoignage du savoir et du talent
de son auteur. Sans doute? Le Beau n'a pas la
profondeur et les vues philosophiques de Gib-
bon ; il se laisse trop aller à cette éloquence
un peu déclamatoire qui fut le défaut de son
temps, mais il a la clarté et la précision ; il
nous fait suivre sans fatigue les détails, par-
fois fastidieux, de ces intrigues de palais, de
ces guerres sans résultat, de ces luttes fana-
tiques pour des dogmes incompris, qui rem-
plissent les annales de la Byzance chrétienne,
et il édifie avec vigueur et solidité un ensemble
d'événements dont La Bletterie avait, d'une
main moins sûre, posé les premières assises
dans ses Becherches sur la vie de Jovien et de
Julien, communiquées à l'Académie. » Il s'agit
ici de l'Académie des inscriptions et belles-
lettres. On voit que M. Alfred Maury, l'his-
torien de ce corps savant, proteste dans une
certaine mesure contre l'opinion accréditée
jusqu'ici sur l'ouvrage de Le Beau. En effet,
Le Beau est le premier et même le seul qui
ait songé à classer dans un ordre facile à sai-
sir tous les faits contenus dans la vaste collec-
tion des auteurs byzantins; il y a joint tout ce
que les écrivains grecs et latins, les ouvrages
et les chroniques du moyen âge ont pu lui
fournir, et il est résulté du tout un corps
d'annales aussi complet qu'il était possible de
le faire de son temps. Si d'autres, comme
Gibbon, ont montré plus de critique et sont
parvenus à donner a leur récit une forme
quelquefois plus agréable, ils n'ont aucun
avantage sur Le Beau pour la connaissance
des sources originales. La meilleure édition
de cet ouvrage est celle de Saint-Martin. (Pa-
ris, 1829-1833, 21 vol. Ùl-SO.)

BAS-EN-BASSET,
bourg de France (Haute-
Loire, ch.-l. de cant., sur la Loire, arrond. et
àl8kil.N.d'Yssengeaux;pop. aggl. 1,087 hab.
— pop. tôt. 3,189 hab. Fabrique de poterie et
,dentelles. Commerce de bestiaux, rouennerie,
chapellerie, mercerie, quincaillerie, céréales.
Dominé par les ruines du château de Roche-
baron, ce bourg, d'origine très-ancienne, pos-^
sède une source d'eau minérale dont on ne
fait aucun usage. Quelques débris d'urnes fu-
néraires et lacrymatoires ; des vestiges de
constructions romaines, découverts de temps
à autre sur divers points du canton, offrent
des traces de l'habitation de cette contrée par
les Romains.

BASENTIDÈME
s. m. (ba-zan-ti-dè-me —
du gr. basis, marche, et entithêmi, je mets
dessus). Entom. Genre d'insectes diptères
brachocères, formé aux dépens des stratyo--
mis, et comprenant une seule espèce, qui vit
au Brésil, et dont les antennes sont insérées
très-bas, ce qui lui a valu son nom.

BASENTINUS
nom latin du Basiento.

BASÉOLOGIE
s. m.. (l>a-zé-o-lo-jî — du
gr. basis, base; logos, discours]. Didact. Phi-
losophie fondamentale, il Traite sur les bases
chimiques.

BASÉOPHYLLE
s. m. (ba-zé-o-fi-le — du
gr. basis, base; phullon, feuille). Bot. Subdi-
vision du genre casse.

BASER
v. a. ou tr. (ba-zé — rad. base).
Fonder, établir : L'homme habile BASE ses cal-
culs sur l'intérêt d'autrui. (Acad.) BASER un
système sur l'autorité. Il faut BASER le droit
public sur la morale. (Lav.) De quoi s'agit-il?
de BASER au moins sur des conventions un Etat
qui n'avait plus les lois pour appui. (Moreau.)
Se baser v. pr. Se fonder, s'appuyer : SE
BASER sur des calculs exacts. Les légitimistes
SE BASENT sur le droit divin. En matière de
gouvernement, il faut SE BASER sur les opi-
nions démontrées et non sur les opinions va-
riables. (Poitev.) il Etre basé, fondé, appuyé :
Toute tyrannie SE BASE sur l'ignorance et la
peur. (L. Blanc.)

BAS-FEUILLET
s. m. (ba-feu-Ilè ; Il mil.
— de bas et de feuillet). L'une des feuilles de
la scie du tabletier ; l'autre s'appelle HAUT-
FEUILLET. Il Pi. Des BAS-FEUILLETS.

BASFOIN
nom,d'un établissement de fous
tenu par les frères de Saint-Jean-de-Dieu,
près de Dînan (Côtes-du-Nord).

BAS-FOND
s. m. (bâ-fon — de bas et de
fond). Terrain bas, par rapport aux terrains
environnants : Cette maison est située dans
un BAS-FOND. Les BAS-FONDS sont fertiles,
viais humides et souvent inondés. (Acad.)
— Par ext. Lieu quelconque moins élevé
que"les lieux voisins : Des BAS-FONDS du par-
terre, un bravo général s'éleva, en circulant
jusqu'aux hauts bancs duparadis. (Beaumarch.)
— Endroit de la mer ou d'une rivière où
l'eau est peu profonde : BAS-FOND de sable,
de rochers. Cette rivière est navigable, mais
elle offre des BAS-FONDS dangereux. (***) La
rouge clarté du levant embrasait les flots, que
le voisinage des BAS-FONDS avait fait passer
du bleu de cobalt au vert émeraude. (G. Sand.)
Chaque BAS-FOND devient une ile et chaque île
devient un jardin. (M.-Br.) Il Plus exactement,
mais moins communément : Fond très-dis-
tant de la surface de la mer, et au-dessus du-
quel les navires peuvent passer sans danger.
En ce sens, le mot est opposé à haut-fond, au
lieu que, dans le premier sens, il est syn. de
ce dernier mot.
— Fig. Classe d'hommes vils ou méprisa-
bles : L'idée de l'impôt du luxe est sortie des

BAS-FONDS
de la médiocrité envieuse et im-
puissante, (Proudh.) La bourgeoisie ne peut
plus refouler dans les BAS-FONDS de l'ordre
social des millions d'hommes auxquels le suf-
frage universel a révélé leur puissance. (Gue-
roult.)
— Encycl. La signification donnée par les
marins à ce mot peut sembler un contre-sens,
puisqu'elle est en opposition avec celle que
lui donne le langage vulgaire. En effet, tout
le monde entend par un bas-fond un terrain bas,
enfoncé, formant un creux par rapport aux
terrains qui l'entourent, et les marins, au
contraire, appellent bas-fond un endroit de la
mer où il y a peu d'eau, où le fond-de la mer,
. loin de former un creux, forme une saillie, un
véritable monticule caché sous l'eau. Pour
comprendre comment on a pu nommer ainsi
les parties de la mer peu profondes, il faut se
rappeler que la mer, dans sa vaste étendue,
paraît presque partout sans fond, c'est-à-dire
que l'œil des marins cherche vainement à en
scruter "la profondeur; ils n'aperçoivent que
de l'eau aussi loin que la vue peut pénétrer,
et ils en concluent naïvement cju'il n'y a
pas de fond. Supposez, au contraire, qu'à un
certain endroit de la pleine mer, ils aperçoi-
vent le sable, la vase ou les rochers au-des-
sus desquels passent les eaux, ils disent alors :
Voilà le fonu, voilà un fond, c'est-à-dire un
terrain solide sur lequel la mer coule comme
un fleuve sur son lit. Maintenant, si le ter-
rain, le lit est assez bas pour que les navires
puissent flotter au-dessus sans danger, ce
sera un bas-fond; si, au contraire, ce lit est
trop près de la surface des eaux pour per-
mettre de naviguer au-dessus, ce sera un
haut-fond, et tout haut-fond constitue un
danger, un écueil.
Quand on navigue dans des parages qui ne
sont pas parfaitement connus, les bas-fonds
eux-mêmes peuvent devenir dangereux, parce
qu'ils indiquent dans les mouvements du sol
une tendance à s'exhausser qui fait prévoir un
haut-fond à une distance peut-être assez fai-
ble. Il importe donc beaucoup que celui qui
dirige le navire puisse apercevoir les bas-
fonds pour les éviter. L'expérience a prouvé
que plus l'œil est élevé au-dessus de la surface
des eaux, plus il distingue facilement les ob-
jets placés au fond; aussi voit-on souvent les
marins monter au haut des mâts pour explo-
rer du regard les profondeurs de la mer. La
science explique ce fait, bizarre en apparence,
par un principe bien connu de l'optique, le-
quel consiste en ce que les rayons de lumière
qui arrivent à la surface de l'eau se réflé-
chissent d'autant plus que leur angle avec
cette surface est plus petit; or, plus l'œil est
élevé, plus les rayons partant d un bas-fond
situé à quelque distance du navire approchent
de la direction verticale, et plus, par consé-
quent, la surface de l'eau perd son pouvoir
réQectif, ce qui leur permet plus aisément
d'arriver jusqu'à l'œil, Arago a proposé un
autre moyen de rendre encore plus facile et
plus nette la vue des bas-fonds, c est de regar-
der la mer, non plus à l'œil nu, mais à travers
une lame de tourmaline, taillée parallèlement
aux arêtes du prisme, et placée devant la pu-
pille dans une certaine position. Il a démontré
que, par un effet de polarisation, tous les
rayons réfléchis par la surface de la mer se
trouvent éliminés, et l'œil ne reçoit plus o,ue
ceux qui proviennent directement des objets
placés sous l'eau, ce qui en rend la vue bien
plus nette, Arago termine l'exposé de cet in-
génieux emploi de la tourmaline par les lignes
304
suivantes : « En introduisant la polarisation
dans l'art nautique, les marins montreront,
par un nouvel exemple, à quoi s'exposent ceux
qui accueillent sans cesse les expériences et
les théories sans applications actuelles, d'un
dédaigneux à quoi bon? »

BASFORD,
petite ville d'Angleterre, comté
et à 4 kil. N.-O, de Nottingham; 6,335 hab.
Commerce de laines et bestiaux.

BASIIAW
(Edouard), théologien anglais de
la secte des non-conformistes, mort en 1671
dans la prison de Newgate, où il avait été
enfermé pour avoir refusé de prêter le ser-
ment d'allégeance et suprématie. On a de lui
deux Dissertations antisociniennes, et une
Dissertation sur la monarchie absolue et po-
litique.

BASHUISEN
(Henri-Jacques VAN), savant
orientaliste allemand, né à Hanau en 1679,
mort en 1758. Après avoir étudié à Brème et
à Leyde, et rempli plusieurs chaires de lan-
gues orientales, d'histoire ecclésiastique et de
théologie, dans diverses villes de l'Allemagne,
il abandonna le professorat pour installer
dans sa maison, et à ses frais, une imprimerie
destinée à éditer les meilleurs commentaires
hébreux. C'est de ses presses que sortirent ie
Pentateuque d'Abrabanel (1710), édition plus
soignée que celle de Venise, et où Bashuisen
restitue les passages supprimés par les inqui-
siteurs ; les Psaumes de David, avec des notes
tirées des rabbins, et plusieurs autres ou-
vrages très-estimés.

BASÏACH
gros bourg de l'empire d'Au-
triche, dans la prov. frontière du Banat, sur
la rive gauche du Danube, à 85 kil. E. de
Belgrade; 3,000 hab. C'est la dernière station
des chemins de fer autrichiens. Environs
charmants; navigation active. Commerce de
transit.

BASIAL
ALE adj. (ba-zi-al, a-le — rad.
base). Anat. Principal : Pièce BASIALE d'une
vertèbre.
— s. m. Pièce principale d'une vertè-
bre : Le BASIAL d'une vertèbre.

BASIANA
ville de l'ancienne basse Panno-
nie; elle ne présente plus aujourd'hui qu'un
amas de ruines près du village de Botaicza.

BASICÉRINE
s. f. (ba-zi-sé-ri-ne — de base
et de cérine, oxyde de cérium). Miner. Nom
donné par Beudant au fluorure de cérium ba-
sique.
— Encycl. Cette substance, qu'on a aussi
appelée FLUO-BASICÉKINE, se rencontre dans
les pegmatites de Broddbo et de Fimbo, en
Suède. Elle se présente en masses jaunes,.
cristallines. On n'est pas parfaitement d'ac-
cord sur sa nature chimique. Un illustre mi-
néralogiste allemand, Naumann, la regarde
comme formée par l'union de l'hydrate de
cérine avec le fluorure de cérium; aussi la
désigne-t-il sous la dénomination à'hydro-
fuocérite. Quoi qu'il en soit, le corps qui nous
occupe est absolument infusible au chalu-
meau. Chauffé sur le charbon, il noircit, pour
redevenir jaune en refroidissant et donner de
l'eau quand on le chauffe dans un matras
d'essai.

BASICITÉ
s. f. (ba-zi-si-té — rad. base).
Chim. Etat do base, propriété qu'a un corps
de jouer le rôle de base dans les combinai-
sons.

BASIDE
s. f. (ba-zi-de — dim. du lat. ba-
sis, base). Bot. Petite éminence du chapeau
des agarics : Dans certaines espèces d'agarics,
on remarque wi nombre considérable de BA-
SIDES ou petites éminences qui se divisent en
quatre pointes, à l'extrémité de chacune des-
quelles est fixée un spore. (D'Orbigny.)

BASIDIOSPORÉES
s. f. pi. (ba-zi-di-o-spo -
ré — rad. baside et spore). Bot. Ordre de
champignons dont le caractère essentiel est
d'avoir des basides pour support gde leurs
sporulcs. Tels sont les agarics, les bolets, et
autres champignons les plus élevés dans l'or-
dre taxonomique.
BAS1ENTO, en latin Basentinus, petit fleuve
de l'Italie méridionale, dans la Basilicate ;
prend sa source près de Potenza, dans les
Apennins, passe près de Tricarico, à Ber-
nalda, et se jette dans le golfe de Tarente,
après un cours de 80 kil.

BASIFICATION
s. f. (ba-zi-fi-ka-si-on —
du lat. basis, base: facere, faire). Chim. Pas-
sage d'un corps à l'état de base.

BASIFIXE
adj. (ba-zi-fi-kse — du lat. ba-
sis, base; fixus, fixé). Bot. Fixé à base :
Anthère BASIFIXK. Le placentaire BASIFIXE est
celui qui, à la maturité, ne tient qu'à la base
du péricarpe. (Massey.)

BASIGÈNE
adj. (ba-zi-jô-ne — du gr. ba-
sis, base; gennaô, j'engendre). Chim. Qui
produit des bases, il Peu usité.

BASIGYNE
s, m. (ba-zi-ji-ne — dû gr. ba-
sis, base; gunê, femelle). Bot. Support de
l'ovaire, formé par le réceptacle plus ou
moins prolongé de la ileur.

BASIHYAL
adj. et s. m. (ba-zi-i-al). Anat.
Se dit de celle des pièces de l'os hyoïde qui
sert de base â cet os.
- Ba«U, roman anglais de Wilkie Collins, qui
parut à Londres en 1853. C'est une histoire
très-simple et très-émouvante, et, sinon une
œuvre de premier ordre, comme aiment à le
BAS
dire messieurs les Anglais, du moins une des
études de mœurs les mieux réussies qu'on ait
vues se produire depuis longtemps. L'auteur
a choisi son héros dans le sein de cette aristo-
cratie anglaise, si peu accessible aux écrivains
de profpssion. Basil est le fils d'un noble
d'ancienne roche, très-fier de son origine , et
chezqui va de pair, avec la préoccupation des
devoirs qu'elle impose, le sentiment des pri-
vilèges exceptionnels qu'elle donne le droit de
revendiquer. Chez lui, l'honneur est poussé
jusqu'au fanatisme, la délicatesse atteint aux
dernières limites du scrupule. Digne et cour-
tois envers ses enfants, comme a l'égard des
étrangers, ce fier champion du pur sang res-
pecte jusqu'en eux la race dont il s'enorgueil-
lit d'être issu. Resté veuf, il reporte sur sa
fille Clara les égards chevaleresques dont sa
femme avait toujours été l'objet. En revan-
che, il attend de ces mêmes enfants qu'ils
se respecteront aussi plus que ne font les
g^ens de petite naissance. Cependant, le
frère aîné de Basil, Ralph, a contracté de
nombreuses dettes au sortir de l'université et
s'est compromis dans une intrigue avec la
fille d'un de leurs tenanciers. Il y a là quelque
chose d'avilissant pour le nom. Ralph est
donc exilé par son inflexible père, qui reste
seul avec ses deux autres enfants : Basil et
Clara, Basil, destiné au barreau, arrive du
continent, où i! a recueilli les matériaux d'un
roman historique. L'étude des lois le séduit
peu, et il espère aborder la vie d'écrivain par
un succès éclatant, qui rendra excusable aux
yeux de son père ce début dans une carrière
inconnue à ses nobles ancêtres. Le caractère
de Basil ainsi dessiné, on entrevoit un esprit
élégant, mais sans beaucoup de portée, une
imagination excitable, une aine délicate, faci-
lement effrayée et dominée; un caractère
faible qui, en face d'une volonté énergique,
biaise et dissimule, au lieu d'aborder franche-
ment l'obstacle. Ce type était d'autant plus
difficile à bien accuser, que Basil raconte
lui-même sa vie, et ne saurait avec vraiseni'-
blance s'analyser lui-même. Ce jeune rêveur
rencontre fortuitement, dans un vulgaire om-
nibus, une splendide inconnue, dont la beauté
le fascine par l'éclat de sa jeunesse et par le
charme voluptueux de son regard, à la fois
timide et chargé de promesses ardentes. Basil
se jette éperdu sur ses traces. Honteux lui-
même de sa faiblesse, il lutte un instant, mais
finit par céder au courant qui l'entraîne. Il re-
voit la jeune, fille à son balcon, s'abaisse au
mensonge pour savoir qui elle est, et corrompt
une domestique pour se procurer une minute
d'entretien avec elle; il lui parle enfin, et
pour lui cette parole est un engagement déci-
sif. Enfin, à la suite d'une seconde entrevue,
il va demander sa main à son père, M. Sherwin,
riche marchand de toiles, auquel il dévoile la
nécessité où il sera de tenir son mariage se-
cret. Le père consent, à la condition que., le
mariage une fois célébré, Basil donnera sa
parole de ne pas revendiquer ses droits d'é- .
poux avant une année. Ce temps d'épreuves
s'écoule, semé de mille incidents qu'il faut lire
dans le livre même, et parmi lesquels nous
citerons le retour chez son patron de Mannion,
son premier commis, pour lequel Basil éprouve
une vague antipathie, malgré lés bons procé-
dés de ce personnage à son égard. Enfin, cette
belle jeune femme, liée à lui par un serment
irrévocable, va lui appartenir tout entière ; un
jour encore, et Vépoux de Margaret, dégagé
de ses promesses, emmènera, désormais oien
à lui, cette conquête achetée à si haut prix,
lorsque le hasard lui révèle l'infâme trahison
préparée de longue main pour le déshonorer,
lui et toute sa race : Margaret est la maîtresse
de Mannion : ils s'étaient fiancés avant que la
jeune fille eut rencontré Basil, et le commis a
voulu, en la possédant, se venger tout à la
fois de l'infidélité de Margaret, qui l'a sacrifié
par ambition, et du jeune nomme qui lui a volé
son bonheur. Basil surprend sa femme dans
un rendez-vous avec son amant, et engage
avec ce dernier une lutte dans laquelle il le
renverse sanglant sur un tas de pavés; il veut
ensuite poursuivre sa femme; mais celle-ci
lui échappe, et lui-même tombe sans connais-
sance sur la voie publique. On le ramène chez
son père ; il tombe dans le délire d'une fièvre
ardente, pendant laquelle il laisse échapper
des paroles incohérentes dont son père ni
Clara ne peuvent saisir le sens. Enfin, le pau-
vre malade revient à lui, et, dans une scène
poignante, réunit tout ce qu'il a de forces pour
tout avouer à son père et en appeler à sa mi-
séricorde; mais l'orgueil patricien reçoit ici
un choc trop rude pour ne pas se montrer in-
flexible. Refoulant les sentiments paternels,
le fier gentilhomme ne pardonnera point à un
fils qu'ont doublement déshonoré le mensonge
de sa conduite et l'ignominie- de sa mésal-
liance. Avec un calme hautain, le père, pla-
çant un papier devant son fils, le somme ç'y
rédiger lui-même les conditions pécuniaires
qu'il voudra mettre à l'abandon du nom qu'il
porte, à l'exil éternel qu'il devra s'imposer.
Basil se préparait déjà à faire ce qui lui était
commandé, mais tout à coup le malheureux
fils retrouve, dans l'excès même de sa dou-
leur, la force de repousser un marché odieux
et humiliant. Il ne veut pas l'accepter, même
de son père. Au moment où celui-ci, furieux
de sa désobéissance, se laisse emporter jus-
qu'à-la menace, jusqu'à l'insulte, Clara, qu'une
tendre sollicitude pour son frère avait attirée
à la porte du cabinet où vient d'avoir' lieu
cette scène orageuse, Clara, surmontant sa
BAS
timidité, son respect pour l'autorité d'un père,
paraît tout à coup. Vainement son père veut
l'éloigner; pour la première fois de sa vie,
elle méconnaît sa voix. Rien ne sauvait l'em-
pêcher de venir se placer à côté de son frère :
elle invoque le souvenir de sa mère, qui
n'est plus; mais elle frappe vainement sur
ce cœur sourd a ses prières, et Basil quitte,
pour n'y plus rentrer, la maison paternelle.
Cependant Mannion, horriblement mutilé
dans sa chute, n'est pas mort; il voue, plus
que jamais, a Basil, une haine devenue l'uni-
3ue objet de sa vie. De l'hôpital où il a reçu
es soins, il lui révèle tout le secret de sa
conduite passée, et lui dénonce la guerre sans
trêve dont il compte le poursuivre. Margaret,
rentrée chez son père, a d'abord voulu, de
concert avec lui, opposer une dénégation ab-
solue aux reproches de Basil, se présenter
comme victime d'une odieuse machination et
revendiquer hautement ses droits d'épouse. A
coup sûr, Mannion devrait l'encourager dans
cette voie ; mais il use de l'ascendant qu'il a
conservé sur elle pour la mander à son che-
vet et lui faire abandonner définitivement la
maison de son père. Sherwin se trouve par là
désarmé ; Margaret meurt, d'ailleurs, victime
d'une maladie qu'elle a contractée dans l'hô- .
pital. Basil, toujours généreux, accourt auprès
de la mourante, et adoucit par sa présence
les horreurs de son agonie. Mannion cepen-
dant trouve moyen d'y assister, lui aussi, mais
invisible. Sur la fosse même de Margaret,
Basil le retrouve encore, toujours menaçant,
toujours attaché à ses pas, Lien décidé à le
suivre sans cesse, comme un fantôme sinistre.
Cette persécution obsède l'esprit timide du
malheureux jeune homme. En quittant Lon-
dres, il essaye de dépister Mannion; mais ce-
lui-ci ne le perd pas de vue, et de temps à
autre se révèle à lui par quelque apparition
terrifiante. On ne sait comment finirait cette
espèce de cauchemar, si la haine et la vie de
Mannion ne s'éteignaient en même temps au
fond d'un précipice, aux bords duquel, par une
matinée brumeuse, il suivait, avec son achar-
nement habituel, les traces de savictime. Ainsi
délivré de sa honte et de ses terreurs, Basil
vivra ; il rentrera même dans le sein de sa
famille, lorsque la mort de son père aura levé
l'interdiction qui pèse sur lui; mais, frêle créa-
| ture frappée par le malheur, il gardera pendant,
toute sa vie vouée à d'amers souvenirs, à une
tristesse incurable, cette attitude humiliée, ce
besoin de solitude auxquels se reconnaissent
les élus du malheur.
Nous ne sommes rien moins que certain
d'avoir fait ressortir toutes les qualités du li-
vre que nous venons d'analyser; nous n'avons
pu rendre tout ce que le début de Basil a de
simplicité vraie et touchante. Au contraire, il
nous a fallu, malgré nous, conserver au dé-
noùment ce qu'il a de mélodramatique et
d'exagéré. Le mérite du roman est surtout
dans les détails, dans le choix des épisodes,
dans la logique et l'enchaînement de la narra-
tion, ainsi que dans le style, à la fois noble et
correct. C'est, jusqu'à ce jour, l'ouvrage qui
fait le plus d'honneur au jeune écrivain, ou-
vrage qui l'a placé, du premier coup, à la
tête des romanciers de la Grande-Bretagne.

BASILACAS
(Nicéphore), écrivain grec qui
professaitla rhétorique sous Manuel Comnène,
et qui s'acquit, par ses ouvrages, une assez
grande réputation parmi ses contemporains.
Son nom même avait fini par être adopté pour
désigner une certaine manière d'écrire, un
style particulier. Il est auteur d'un petit nom-
bre de fables et de quelques étnopées ou
exercices oratoires écrits avec assez d'élé-
gance, qui ont été publiés par Léon Allatius.
Comme tous les savants de l'époque, il voulut
prendre part aux discussions religieuses ; il
composa même un commentaire sur les Epi-
tres de saint Paul; commentaire dont Nicétas
Choniate paraît faire grand cas. Sur la fin de
sa carrière, plusieurs de ses amis le prièrent
de composer un recueil de ses ouvrages. Pour
leur complaire, il réunit tout ce qu'il put
trouver de ses anciens écrits, et il plaça en
tète une espèce de préface, qui est très-cu-
rieuse , parce qu'elle peut être considérée
comme une autobiographie littéraire de l'au-
teur. Avec une naïveté inouïe, il s'accorde
tous les éloges possibles et prétend avoir
réussi dans tous les genres': prose, poésie,
discours oratoires, écrits politiques, lettres,
commentaires sur les anciens. Il donne même
le titre de ses principaux ouvrages, qui tous
sont perdus aujourd'hui. Il avait composé plu-
sieurs pièces comiques d'une certaine éten-
due : mais ayant bu, comme il dit, aux sources
de la divine sagesse, il jeta au feu toutes
ces frivoles compositions, afin de ne pas de-
venir lui-même la proie des flammes de l'en-
fer. C'est ce qui explique pourquoi il a eu
tant de peine à réunir un volume de ses
œuvres.
Ces curieux détails nous ont été communi-
qués par M. Muller, bibliothécaire du Corps
législatif, qui a retrouvé la préface de Nicé-
phore Basilacas, malheureusement sans les
ouvrages dont elle parle.

BASILAIRE
adj. (ba-zi-lè-re — rad. base).
Anat. Qui sert de base, ou qui appartient à
une base. Il Os basilaire, Nom donné par
quelques anatomistes au sacrum; par d'au-
tres, au sphénoïde. Il Apophyse basilaire, An-
gle inférieur de l'occipital, il Gouttière, fosse
basilaire, Face supérieure ou cacéphaîiqucdc
BAS
l'apophyse basilaire, ainsi nommée parée
qu elle est creusée en gouttière. Il Surface ba-
silaire, Face inférieure ou pharyngienne do
l'apophyse basilaire. \\- Artère basilaire,
Tronc artériel formé par l'anastomose des
deux artères vertébrales, il Sinus basilaire,
Sinus de la dure-mère, situé transversale-
ment à la partie supérieure et antérieure de
l'apophyse basilaire; il est aussi nommé sinus
occipital antérieur.
— Entom. Qui forme la base, qui naît de la
base, qui appartient à la "base u un organe :
Nervure BASILAIRE. Article BASILAIRE.
— Bot. Qui naît de la base d'un organe, il
Style basilaire, Celui qui naît à la base do
l'ovaire : Le style est BASILAIRE dans l'alché~
mille. (A. Richard.) H Embryon basilaire, Ce-
lui qui est logé en entier dans la portion du
périsperme la plus voisine du style, il Placen-
taire basilaire, Celui qui occupe la base do la
cavitépéricarpienne. II Aréole basilaire, Celle
qui est située à l'endroit de la base du péri-
carpe futur, u Bourrelet basilaire, Celui qui
entoure l'aréole. Il Arête basilaire, Celle qui,
dans les graminées, est fixée à la base de
l'écaillé qui la supporte. Il Ecailles basilaires,
Glumes calicinales.dans les graminées à
épillets multiflores.
— Encycl. Anat. Apophyse basilaire. L'apo-
physe basilaire est constituée par l'angle in-
térieur de l'occipital, angle très-épais, tron-
qué, qui présente une face articulaire rugueuse,
laquelle s'articule avec le corps du sphénoïde,
à l'aide d'un, cartilage. Ce cartilage s'ossifie
de très-bonne heure, de sorte que l'occipital
et le sphénoïde ne forment, en réalité, aux
yeux de quelques anatomistes, qu'un seul os.
L'anatomie comparée justifie d'ailleurs cette
manière de voir, en nous.montrant l'apophyse
basilaire et le sphénoïde confondus dans cer-
tains animaux. Limitée en arrière par le trou
occipital, l'apophyse basilaire possède deux
faces : une face supérieure ou encéphalique,
présentant une large gouttière médiane, légè-
rement oblique de haut en bas et d'avant en
arrière, la gouttière ou fosse basilaire, et deux,
dépressions latérales très-petites, qui concou-
rent à former les gouttières pétreuses inférieu-
res; une face inférieure, dirigée horizontale-
ment, rugueuse, formant la voûte osseuse du
pharynx, pourvue sur la ligne médiane d'une
arête plus ou moins saillante et d'un tubercule
auquel s'attache une portion de la couche
fibreuse du pharynx.
— Artère basilaire. L'artère basilaire est
produite par l'anastomose à angle aigu des
deux artères vertébrales; son volume est su-
périeur à celui de chacune d'elles prise isolé-
ment, inférieur à leurs volumes réunis. Elle se
porte obliquement en haut et en avant, logée
dans un sillon médian et superficiel, que lui pré-
sente la protubérance annulaire, et fournit un
grand nombre de ramuscules destinés à cette
protubérance, puis, quatre collatérales plus
importantes : les deux artères cérébelleuses
inférieures et antérieures (droite et gauche) et
les deux artères cérébelleuses supérieures;
toutes les quatre sont destinées au cervelet.
Les deux premières naissent de la partie
moyenne du tronc basilaire, se portent en de-
hors et en arrière, contournent les pédoncules
cérébelleux et se terminent sur la face infé-
rieure du cervelet. Les artères cérébelleuses
supérieures naissent près de l'angle de bifur-
cation du tronc basilaire ; chacune d'elles
contourne le pédoncule cérébral qui lui cor-
respond en suivant le sillon qui sépare ce pé-
doncule de la protubérance annulaire, et, arri-
vée au niveau des tubercules quadrijumeaux,
se divise en deux branches, l'une externe,
l'autre interne. La branche externe longe la
moitié antérieure de la circonférence du cer-
velet, alimente la face supérieure de cet or-
gane et s'anastomose avec la cérébelleuse
inférieure ; la branche interne fournit un ra-
meau qui se dirige transversalement entre le
vermis supérieur et la valvule de Vieussens,
et s'avance, en serpentant, sur la face supé-
rieure du cervelet qu'elle recouvre de ses ra-
mifications.
Au niveau de la partie antérieure de la pro-
tubérance annulaire, le tronc basilaire, après
avoir donné les quatre branches collatérales
dont nous venons de parler, se divise en deux
branches terminales, qui portent le nom d'ar-
tères cérébrales postérieures. Chacune de ces
artères se dirige d'abord obliquement en avant
et en dehors, puis se recourbe d'avant en ar-
rière, reçoit, au niveau de ce point où elle
change de direction, l'artère communicante
postérieure, donne la choroïdienne postérieure,
contourne le pédoncule cérébral, marche pa-
rallèlement à la grande fente cérébrale jus-
qu'à l'extrémité postérieure du corps calleux,
où elle devient antéro-postérieure, et se par-
tage en un grand nombre de rameaux, qui
serpentent sur la partie la plus reculée du
lobe postérieur du cerveau. Rappelons ici quo
le tronc basilaire et ses branches de bifurca-
tion, les artères cérébrales postérieures, for-
ment les côtés postérieurs d'un hexagone ar-
tériel dans l'aire duquel se trouvent les tuber-
cules mamillaires, le corps cendré, la tige
pituitaire et les nerfs optiques. Les côtés an-
térieurs de cet hexagone sont représentés par
les artères du corps calleux et la communi-
cante antérieure, et les latéraux par les com-
municantes postérieures.
— Sinus basilaire. Ce n'est pas ici le lieu de
parler des sinus de la dure-mère en général.

Bornons-nous à dire que ce sont des canaux
veineux particuliers creusés, pour ainsi dire,
dans l'épaisseur de cette membrane fibreuse.
Le sinus basilaire est ordinairement unique;
mais il n'est pas rare de le rencontrer double.
Il est situé transversalement sur la gouttière
pasilaire, en arrière de la selle turcique ; il
reçoit quelques petits vaisseaux qui viennent
de la protubérance annulaire et du bulbe ra-
chidien, mais surtout des vaisseaux osseux ; il
communique par ses deux extrémités avec les
s'mus caverneux et les sinus pétreux inférieur
et supérieur; en bas, avec les plexus veineux
du canal rachidien, dont il constitue le pro-
longement intracrânien. Sa capacité devient
plus considérable chez les vieillards. Ses pa-
rois sont hérissées de filaments rougeâtres
comme celles du sinus caverneux. Le sinus
basilaire est souvent désigné sous les noms de
sinus de la gouttière basilaire, de sinus occipi-
tal antérieur, de sinus occipital transverse.

BASILAN
ou BASSILAN, groupe de petites
îles de l'Océanie, dans la Malaisie, archipel de
Soulou, entre Bornéo et Mindanao, par 70 de
lat. N. et de 12° de long. E., à environ 16 k.
de la pointe S.-O. de Mindanao. L'île de Ba-
silan, la plus grande de toutes celles du
groupe, mesure a peu près 90 kil. de circuit,
et, quoique montueuse et peu peuplée, produit
d'excellents fruits, du sucre de canne, du riz
et surtout du bois de construction. On recueille,
sur les côtes, outre la nacre et la perle, une
quantité considérable d'ambre gris. Le groupe
des îles Basilan a pour chef-lieu une petite
ville du même nom, située sur la côte S.-E.
de l'île principale; repaire de pirates, qui fu-
rent châtiés en 1845 par les Français. Les
autres îles, beaucoup moins importantes, sont :
Santa-Cruz, Cocos, Sibago, Manalipa, La-
rak, etc. L'archipel Basilan a été occupé, en
1853, par les Espagnols.

BASILE
s. m. (ba-zi-le). Techn. Inclinaison
du fer d'un outil à raboter.
Bnsîie, un des personnages du Mariage de
Figaro et du Barbier de Sëuitle, de Beaumar-
chais, type du calomniateur patelin, du com-
plaisant cupide. C'est Tartufe, moins la gran-
deur. Chez l'hypocrite Tartufe, lu calomnie
n'est qu'un des mille engins de son arsenal dia-
bolique ; chez le calomniateur Basile, c'est l'en-
gin principal auquel tous les autres sont sou-
mis. « Calomniez,calomniez; il en restera tou-
jours quelque chose (v. CALOMNILSR) ; » telle
est sa devise. Basile aura beau jeter par-
dessus les moulins sa longue souquenille noire
et son long chapeau espagnol; il aura beau,
si c'est possible, cesser de tenir ses bras en
croix, redresser son front longtemps incliné ;
son signalement a été si bien pris, que par-
tout Figaro, c'est-à-dire le peuple, le recon-
naîtra et l'appréhendera au corps.
Basile, comme nous venons de le dire, est
resté le type d'un calomniateur hypocrite, et,
dans les applications qu'on en fait, Basile
appartient a la religion plutôt qu'à la vie
laïque :
« Ce projet de loi n'est pas moins hostile à
la production littéraire qu'à la polémique po-
litique, et c'est là ce qui lui donne son cachet
de loi cléricale. Il poursuit le théâtre autant
que le journal, et il voudrait briser dans la
main de Beaumarchais le miroir où Basile
s'est reconnu. » V. HUGO.
a II est si facile d'aiguiser des personnalités ;
il est si facile d'abriter sa tête et ses épaules
sous un chapeau et un manteau de Basile, que
c'est là un genre de mérite dont tout écrivain
de quelque esprit, tout journal de quelque va-
leur doivent se montrer peu jaloux. »
EM. DE GIRARDIN.
BASILE, évêque d'Ancyre au ive siècle, qui
eut une vie très-agitée et se rendit célèbre
comme défenseur des ariens. Il professait la
médecine et passait pour un homme très-in-
struit. II fut choisi, en 336, par les eusébiens,
pour évêque d'Ancyre, à la place de Marcel,
qu'ils venaient de déposer comme convaincu
de sabellianisme. Lorsqu'il vint, en 347, au
concile de Sardique, on ne voulut point le re-
garder comme évêque, on l'excommunia et on
rétablit Marcel dans ses fonctions épiscppales.
Mais ce dernier en fut dépouillé presque aus-
sitôt par l'empereur Constance, qui les rendit
à Basile. C'est en cette qualité que Basile, en
351, assiste au concile de Sirmium, contre
Photin, Plus tard, en 355. il prend part à
l'intrusion de l'antipape Félix; assemble, en
358, un concile à Ancyre, contre les ano-
méens ; souscrit au nouveau formulaire de
Sirmium; fait, avec ceux de son parti, une
profession de foi ; assiste au concile de Séleu-
cie et est déposé par un concile de Constanti-
nople, en 360. Il fut ensuite exilé en Illyrie,
et les ariens mirent Athanase en sa place.
Basile vivait encore .en 363. Il avait composé
divers ouvrages : un contre Marcel, son pré-
décesseur; un sur la virginité, et quelques au-
tres, dont saint Jérôme ne donne pas les titres.
On ne possède que sa profession de foi, mise
par saint Epiphane après la lettre du concile
d'Ancyre.
BASILE (saint)r surnommé le Grand, célè-
bre Père de l'Eglise au ivc siècle, évêque de
Césarée, en Cappadoce, né dans cette ville en
329, mort en 379. Sa famille était originaire
du Pont; mais son grand-père avait épousé"
une chrétienne de Néo-Césarée, nommée Ma-
BAS
crine. Son père, qu'on représente comme un
homme instruit, doué d éloquence et d'une
grande piété, eut dix enfants, dont trois fu-
rent évoques : Basile, l'aîné des trois, évêque
de Césarée ; Grégoire, évêque de Nysse, et
Pierre, le plus jeune, évêque de Sébaste. Ces
trois frères ont été mis au nombre des saints
par l'Eglise, ainsi que leur père, nommé Ba-
sile comme son fils aîné, leur mère Emmélie,
leur aïeule Macrine et une de leurs sceurs
nommée aussi Macrine. Cette famille devait
sa foi à des disciples de Grégoire le Thauma-
turge. Après avoir fait ses premières études
sous la direction de son père, Basile alla,
comme les jeunes gens riches de son temps,
suivre les leçons des maîtres de l'éloquence
et de la philosophie, d'abord k Césarée, puis à
Constantinople. Il fut, dans cette dernière
ville, le disciple du célèbre rhéteur Liba-
nius, qui conserva toujours pour lui la plus
grande estime. De Constantinople, il passa
à Athènes, où il retrouva un de ses condisci-
ples de Césarée, Grégoire de Nazianze, avec
lequel il fut uni toute sa vie de la plus tendre
amitié. C'était chez tous deux même pureté de
mœurs, même culte pour les souvenirs du
toit paternel, même piété, même enthousiasme
pour les lettres, l'éloquence et la poésie. «Ah!
disait plus tard Grégoire, comment se rappe-
ler ces jours sans verser des larmes! Lélo-
3uence, la chose du monde qui excite le plus
'envie, nous enflammait d'une ardeur égale,
et'cependant nulle jalousie ne se glissait entre
nous : un zèle commun nous excitait; nous
luttions, non à qui remporterait la palme,
mais à qui la céderait £ l'autre ; car pour
chacun la gloire de l'autre était la sienne
propre. C'était une seule âme qui avait.deux
corps. Et, s'il ne faut point croire ceux qui di-
sent que tout est dans tout, du moins faut-il
convenir que nous étions l'un dans l'autre
Nous ne connaissions que deux chemins : le
premier, le plus aimé, qui nous menait vers
l'Eglise et vers ses docteurs; l'autre, moins
élevé, qui nous conduisait à l'école et vers nos
maîtres. Nous laissions à d'autres les sentiers
qui mènent aux fêtes, aux théâtres, aux
spectacles et aux repas. » Entre les deux amis
se plaçait souvent un autre jeune homme,
grave et sérieux comme eux, comme eux pas-
siorné pour l'étude : c'était Julien, le neveu
de l'empereur Constance, le futur ennemi du
christianisme. Une lettre de Basile nous ap-
prend qu'alors Y apostat et le saint étudiaient
ensemble Y Ecriture sacrée, cherchant sans
doute une'conciliation entre elle et la doctrine
de leurs maîtres ; étude pleine de vives discus-
sions entre lès deux jeunes gens, et qui, avec
plus d'une analogie, remarque M. Fialon, de-
vait aboutir dans l'un à YHexaméron ; dans
l'autre, à la doctrine du soleil roi.
Basile quitta Athènes avant son ami Gré-
goire de Nazianze, et revint à Césarée. Son
père était mort. Sa sœur aînée, Macrine, de-
puis la perte d'un fiancé chéri, s'était toute
consacrée à Dieu et à la prière. Appelé natu-
rellement à recueillir la succession paternelle
au barreau, il commença k plaider quelques
causes avec le plus grand succès. Mais bien-
tôt l'exemple et l'influence de sa sœur le déci-
dèrent à rejeter la gloire des lettres profanes
et à se donner sans réserve à l'Eglise. Ecou-
tons-le raconter lui-même sa conversion et le
grand parti qu'il prit. On croit lire un chapitre
des Confessions de saint Augustin. «Après
avoir donné beaucoup dé temps à la vanité,
après avoir perdu presque toute ma jeunesse
en travaux futiles, pour saisir les enseigne-
ments d'une sagesse que Dieu fait déraison-
ner, je me réveillai enfin comme d'un profond
sommeil, et je jetai les yeux sur l'admirable
lumière de la vérité, celle de l'Evangile. Je
vis alors l'inutilité de la sagesse des princes
du monde, qui travaillent sans résultat. Je
pleurai longtemps sur les misères de ma vie,
et, dans mes prières, je demandais qu'une
main vînt me prendre pour me conduire k la
connaissance des doctrines de la piété... Li-
sant alors l'Evangile, je vis que ce qui pou-
vait le plus nous avancer vers la perfection,
c'était de vendre tous nos biens, de les don-
ner à nos frères pauvres et de vivre dégagé
de tous les soucis de cette terre. » La résolu-
tion, à peine conçue, fut arrêtée et rendue
fiublique. On sut dans toute la province que
e célèbre rhéteur Basile allait quitter son au-
ditoire pour vivre en solitaire, à l'image des
anachorètes d'Egynte, dont le nom était déjà
fort connu. Cela fit grand bruit et fut jugé
diversement. Libaniu's, son ancien maître,
pour qui tout était sujet de rhétorique, lui
écrivit pour lui faire compliment : « Je me
demandais, lui dit-il, que fait notre Basile,
quel genre de vie va-t-il embrasser? Paraît-il
au barreau pour nous reproduire l'image de la
vieille éloquence? Les pères ont-ils le bon-
heur qu'il enseigne l'art de la parole à leurs
fils ? Mais des personnes sont venues, qui
nous ont dit que vous embrassiez une vie bien
supérieure, et que vous songiez plus k vous
rendre agréable à Dieu qu'à gagner de l'ar-
gent. Alors, j'en ai félicité et la Cappadoce et
vous-même. * Basile, insensible aux compli-
ments, marchait droit à son but. Avant de
s'établir lui-même dans la retraite, il voulut
étudier les grands modèles de vie ascétique
qu'offraient alors l'Egypte, la Palestine, la
Syrie, la Mésopotamie. Il vit et admira 1 ab-
stinence des solitaires, leur patience dans
les travaux, leur constance dans les prières,
le sommeil vaincu, les besoins de la nature
foulés aux pieds, et la force divine mainte-
BAS
nant la liberté de l'âme dans la faim, la soit,
la nudité du corps. «Vivant, en quelque sorte,
dans une chair étrangère, ils m'ont fait voir,
dit-il, comment l'homme, dès ici-bas, peut
être étranger à la terre et vivre dans le ciel. »
De retour dans son pays, Basile prit, pour
s'enchaîner tout à fait, les premiers degrés du
sacerdoce, avec la qualité de lecteur, et alla
s'établir dans le Pont, sur les bords de la petite
rivière d'Iris. Ce qui l'y attira, c'est que sa mère
et sa sœur s'y étaientdéjà retirées en une terre
qui faisait partie du patrimoine de la famille.
Elles y avaient rassemblé plusieurs femmes
pieuses, et formé un monastère. Ce fut près
de ce monastère que Basile se fixa. Il a lui-
même décrit sa riante solitude dans une lettre à
Grégoire de Nazianze : « Dieu m'a fait trouver
ici le séjour que nous avons tant de fois rêvé
ensemble. C'est une montagne élevée, cou-
verte d'un bois épais, et du côté du nord ar-
rosée d'une eau limpide. Au pied s'étend une
vaste plaine fécondée par les sources de la
colline. Une forêt qu!aucune main n'a plantée
l'environne de toutes sortes d'essences d'ar-
bres, comme de remparts, mais lui laisse en-
core une telle étendue qu'en comparaison
l'île de Calypso, la plus belle des contrées, au
dire d'Homère, ne serait qu'un petit territoire.
Il s'en faut peu que ce soit une île, tant elle
est séparée du reste du monde. Ce lieu se
partage en deux vallées profondes : d'un
côté, le fleuve, qui se précipite de la crête du
mont et forme, par son cours, une barrière
continue et difficile à franchir ; de l'autre, une
large croupe de montagnes, qui communique
à la vallée par quelques chemins tortueux. Il
n'y a qu'une seule entrée, dont nous sommes le«
maîtres. Ma demeure est bâtie sur la pointe la
plus avancée d'un autre sommet, de sorte que la
vallée se découvre et s'étend sous mes yeux,
et que je puis regarder d'en haut le cours du
fleuve, plus agréable pour moi que le Strymon
ne l'est aux habitants d'Amphipolis. Les eaux
tranquilles et dormantes du Strymon méritent
à peine le nom de fleuve; mais le mien, le
plus rapide fleuve que je connaisse, se heurte
contre une roche voisine, et, repoussé par
elle, retombe en un torrent qui me donne k le
fois le plus ravissant spectacle et la plus
abondante nourriture, car il a dans ses eaux
un nombre prodigieux de poissons. Parlerai-
je des douces vapeurs de la terre et de la fraî-
cheur qui s'exhale du.fleuve. Un autre admi-
rerait la variété des fleurs et le chant des oi-
seaux; mais je n'ai pas le loisir d'y faire
attention. Ce qu'il y a de mieux à dire de ce
lieu, c'est qu'avec l'abondance de toutes cho-
ses, il me donne le plus doux des biens pour
moi, la tranquillité. » Dans une autre lettre à
son ami, Basile décrit la vie de son monastère,
où l'étude de l'Ecriture sainte, la prière, le
travail des mains, des entretiens sans osten-
tation et pleins d'affabilité, un seul repas, de
légers sommeils, partagent les vingt-quatre
heures du jour, où le chant des hymnes fait
imiter sur la terre le concert des anges.
Grégoire de Nazianze vint partager quelque
temps cette vie monastique, dont il paraît
d'ailleurs avoir goûté assez médiocrement les
délices. Dans une lettre écrite plus tard à
Basile, il décrit d'une manière plaisante
l'existence qu'il avait menée en ce lieu. Il dit
n que la maison n'avait ni couverture, ni
porte; qu'on n'y voyait jamais ni feu, ni fu-
mée, excepté pour sécher les murailles, qui
étaient faites de boue ; qu'on y souffrait le
supplice de Tantale, car on mourait de soif au
milieu des eaux; qu'au lieu des délices d'AIci-
noùs, que Basile lui avait fait espérer pour le
tirer de la Cappadoce, il y avait trouvé la
f ueuserie des Lotophages; qu'il se souvien-
rait toujours des pains qu'il y avait mangés ;
que ces paius étaient si durs que les dents y
glissaient au lieu de les entamer, et qu'ils
étaient si mal cuits qu'après y être entrées
par force, elles s'y trouvaient enfoncées
comme dans un bourbier, d'où elles ne pou-
vaient plus se tirer qu'avec toutes les peines
imaginables... » Il est juste de dire que, dans
d'autres lettres, il parle sur un ton très-diffé-
rent des jours passés auprès de son cher Ba-
sile : - Qui me rendra, dit-il, ces psalmodies
et ces veilles, ces ascensions vers le ciel par
la prière, cette vie affranchie du corps, cette
concorde, cette union des âmes qui s'élevaient
à Dieu sous ta conduite; cette émulation,
cette ardeur de vertu contenue et affermie par
nos règles et nos lois écrites ; cette étude de
la divine parole, et la lumière qui en jaillis-
sait pour nous sous l'inspiration de l'Esprit
saint? Dirai-je aussi, pour descendre à de
moindres détails, ces travaux si bien parta-
gés qui remplissaient nos journées, comment
tour à tour nous fendions le bois, nous tail-
lions la pierre, nous plantions les arbres, nous
arrosions les plaines ? »
On doit remarquer, du reste, que des deux
amis saint Basile fut de beaucoup le plus
porté vers la vie ascétique. « Grégoire, dit
M. Pierre Leroux, fut un bon évêque et un
orateur éloquent ; Basile, excellent évêque
et orateur souvent sublime, eut seul le ca-
ractère d'un moine... Ce régime monacal, qu'il
contribua tant à répandre dans le monde
chrétien et dont il devint le type, était à ses
yeux l'instrument nécessaire d'une vie mo-
rale; c'était uniquement par cette voie de la
sévérité qu'il concevait la possibilité d'un bon
gouvernement du corps et des passions par
Pâme et parla volonté... D'où venait cet idéal
ascétique de la perfection morale? M. Pierre
BAS 305
Leroux croit en reconnaître l'origine dans la
croyance au dogme oriental des anges et des
puissances invisibles, croyance qui lui paraît
fondamentale , dominante , caractéristique ,
chez saint Basile comme chez la plupart des
premiers moines. Il fait remarquer que, par
cette croyance et par la poitée qu'il lui
- donne, saint Basile estorigéniste ; qu'il paraît
croire, comme Origène, que nos âmes ont
existé h l'état d'anges avant la création des
corps, et qu'elles redeviendront purement spi-
rituelles un jour. Or, quelle est, dit-il, la consé-
quence naturelle de cette foi dans une âme
dévote?Evidemment,une tendance à ressem-
bler aux anges, à se spirîtualiser, à vivre de
cette vie incorporelle que Basile voulut en
effet réaliser. Voilà la source et le fondement
de toute sa vie ascétique. Plus tard, la vie
ascétique,Nen général, se formulera davan-
tage : un autre élément s'y introduira, qui la
précisera sous toutes les faces ; mais cet élé-
ment ne nous paraît pas encore très-dé ve-
loppé dans le monachisme de saint Basile; ce
second élément, c'est la peur du mal répandu
partout dans le monde, c'est la croyance au
péché originel rigoureusement appliquée à la
vie naturelle et sociale tout entière. Ce second
point de vue, parfaitement en rapport, il est
vrai, avec le premier, c'est saint Augustin
surtout qui nous paraît l'avoir introduit dans
le monachisme, un siècle environ après saint
Basile. Chez ce dernier, l'ascétisme est bien,
plutôt une aspiration à l'état d'ange vertueux
et pur, qu'un effroi de participer a la nature
du mauvais ange, en touchant au monde, qui
est sa pâture. » Nous montrerons ailleurs
(v. MONACHISME) qu'il faut chercher les ori-
gines de l'ascétisme chrétien, non dans la
croyance aux anges, mais dans l'Evangile
même, dans cet esprit évangélique qui glorifie
la pauvreté, la douleur, la peine, la pénitence,
qui condamne le monde avec ses uiens, ses '
richesses, ses jouissances, ses agitations, et,'
dans la difficulté d'une vie chrétienne, d'une vie
conforme à l'Evangile, au milieu des mœurs,
des coutumes, des lois alors régnantes. De-
vant le droit de Dieu, protecteur des pauvres ;
devant le devoir de charité universelle, que
pouvaient peser aux yeux de saint Basile les
droits de la propriété mondaine? Aussi, voyez
comme il fait bon marché de ces droits. « Qu'est-
ce qui est à toi? s'écrie-t-il, de qui l'as-tu
reçu? N'es-tu pas comme celui qui, au théâtre,
réclamerait pour lui seul les places préparées
pour l'usage commun? Ainsi, les riches ayant
occupé les premiers ce qui appartient à tous
se l'approprient comme étant à eux seuls...
Quel est le spoliateur, sinon celui qui ôte aux
autres ce qui est à eux? A ce compte, n'es-tu
pas spoliateur, toi qui t'appropries ce que tu
n'as reçu que pour le distribuer? On appelle
larron celui qui ôte à un autre son habit; ne
donnera-t-on pas le même nom à celui qui,
pouvant couvrir la nudité d'autrui, néglige de
le faire? Le pain que tu gardes est à celui qui
a faim ; le manteau que tu conserves est à
celui qui est nu; à l'indigent, l'argent que tu
enfouis. » Communiste en principe, tirant
toute sa morale privée de la tempérance, c'est-
à-dire de l'asservissement du corps à l'âme
et des passions à la volonté; toute sa morale
sociale, de la charité, du dévouement réci-
proque, saint Basile fut conduit naturellement
a associer ces deux grands principes de la vie
chrétienne, et à faire prédominer le cénubt-
tisme sur l'ascétisme érémitique. C'est seule-
ment comme précepteur de cette vie cénobi-
tique qui, après lui, se répandit en Orient et
en Occident, qu'il mérite de passer pour le
père du monachisme.
En 362, Basile avait été ordonné prêtre ; en
370, il fut élu évêque de Césarée. La situation du
christianisme était alors fort triste; aux jours
de triomphe, sous Constantin,avaientsuccédô
des divisions interminables. L'arianisine, à
divers degrés, régnait dans les villes; l'ortho-
doxie, pour se sauver, avait presque été for-
cée de se retirer aux déserts chez les moines.
Puis des schismes et des rivalités de toutes
sortes avaient éclaté partout. Enfin, outre
cette division dans le dogme et dans le gou-
vernement des églises, le conflit continuel du
pouvoir séculier avec le pouvoir épiscopal
était pour la société une cause permanente dei
dissolution et de maux de tous genres. Après
Julien, qui'avait tenté de restaurer le paga-
nisme, vint Valens qui prit l'arianisine sous
sa protection et voulut le faire triompher par
la force. Les moines n'avaient cessé d'être
l'appui de l'autorité spirituelle, de l'orthodoxie,
et contre les hérésies, et contre le pouvoir
civil : Basile, qui était moine, résista à l'aria-
nisine. Valens étant venu en Orient pour for->
cer les catholiques à recevoir les ariens dans
leur communion, on lui désigna Basile commet
le rebelle le plus redoutable. Un préfeteut or^
dredele forcer àse soumettre, 11 te fit venir de-
vant son tribunal et le menaçade l'exil-et de la
mort, s'il n'ouvrait pas les églises aux ariens^
«Celui qui n'a rien, dit Basile, que des haillons
et quelques livres ne craint pas d être dépouillé.
Je regarde comme ma patrie, non le sol sur
lequel je suis né, mais le ciel. Un corps exté-
nué comme le mien ne peut souffrir longtemps ;
la mort, en terminant mes peines, me réunira
plus tôt à mon Créateur. » Les historiens ecclé-
siastiques ont raconté qu'un ordre d'exil allait
être donné contre Basile, lorsque le fils do
l'empereur tomba malade; le saint évêque s©
mit en prière et l'enfant guérit; mais ensuite,
ayant été baptisé par un évéjque arien, il re-
tomba malade et mourut. Ils ajoutent que^
39
306
l'empereur ayant voulu signer l'ordre d'exil,
sa plume se brisa par trois fois. Il n'est pas
besoin de ces prétendus miracles pour expli-
quer l'ascendant de l'évêque de Césarée sur
un prince faible et furieux. Basile reçut Va-
lens dans l'église derrière le voile du sanc-
tuaire, lui parla longtemps et sut apaiser sa
colère par un mélange de fermeté et de dou-
ceur.
L'évêque de Césarée fut souvent, dans la
suite, mêlé aux querelles religieuses de l'O-
rient; il eut à lutter notamment contre les
Macédoniens, qui niaient la divinité du Saint-
Esprit. « Mais il est plus intéressant, dit avec
raison M. Villemain, de le contempler instrui-
sant par ses paroles les pauvres habitants de
Césarée, les élevant à Dieu par la contem-
plation de la nature, leur expliquant les mer-
veilles de la création dans des discours où la
science de l'orateur formé dans Athènes se ca-
che sous une simplicité persuasive et populaire.
C'est le sujet des homélies qui portent le nom
â'Hexaméron (v. ce mot). Parmi des erreurs de
physique communes à toute l'antiquité, elles
renferment beaucoup de notions justes, de
descriptions heureuses et vraies; on croirait
lire parfois de belles pages détachées des
Etudes de la nature ; c'est le même soin pour
montrer Dieu partout dans son ouvrage...
Saint Basile n'excelle pas moins dans la pein-
ture de la brièveté de la vie, du néant des
biens terrestres, de la tromperie des joies les
plus pures. Après les anciens philosophes, il
est éloquent sur ce texte monotone des cala-
mités humaines. La source de cette éloquence
est dans la Bible, dont il aime à emprunter la
poésie plus pittoresque et plus hardie que celle
des Grecs. Il renouvelle les fortes images de
la muse hébraïque ; mais il y mêle ce senti-
ment tendre pour l'humanité, cette douceur
dans l'enthousiasme qui faisaient la beauté de
la loi nouvelle. Les yeux élevés vers le ciel, il
tend des mains secourables à toutes les misè-
res : il veut soulager autant que convertir. »
Moraliste plutôt que théologien, saint Basile
fut surtout le prédicateur delà charité, le vé-
ritable évêque de l'Evangile, le père du peuple,
l'ami des malheureux. Pauvre lui-même, il
n'avait qu'une seule tunique, et ne vivait que
de pain et de grossiers légumes; mais il em-
ployait des trésors à embellir Césarée. Il fit
bâtir pour les étrangers et pour les indigents
un hospice que Grégoire de Nazianze appelle
une seconde ville ; il établit de nombreux
ateliers et des écoles. Faible de corps, con-
sumé par la souffrance et les austérités, un
zèle ardent, une charité infatigable le soute-
naient dans ses prédications continues, dans
ses courses pastorales, dans ses voyages.
Quand il mourut, tout le peuple de la pro-
vince accourut à ses funérailles. Les païens,
les juifs le disputaient aux chrétiens pour l'a-
bondance de leurs larmes ; car il avait été le
bienfaiteur de tous.
Il nous reste quatre panégyriques pronon-
cés en l'honneur de saint Basile par saint
Grégoire de Nysse, son frère, saint Grégoire
de Nazianze, saint Ephrem et saint Amphi-
loque. Les ouvrages laissés par saint Basile
sont : YHexaméron, explication de l'ouvrage
des six jours de la création; un certain nom-
bre d'homélies sur les psaumes et sur divers
sujets ; les traités pour la conduite des moines,
qu'on nomme, en général, les Ascétiques, et
qui comprennent les Morales, les Grandes rè-
gles et les Petites règles de saint Basile; un
traité de la Lecture des auteurs profanes ; une
réponse à Eunomius, en réfutation de l'aria-
nisme; un traité de la divinité du Saint-Es-
prit; enfin, trois cent trente-six lettres sur
divers sujets. Les meilleures éditions des
œuvres de saint Basile sont celles de Garnier
et Maran (1721-1730, 3 vol. in-folio) et de
Gaume (4 vol., 1839). Ses Lettres et sermons
ont été traduits par l'abbé de Bellegarde (1691
et 1693); ses Morales, par Leroy (1663);
YHexaméron, les Homélies, par l'abbé Auger
(1788); les Ascétiques, par Hermant (1661).
Bastio (RÈGLES DE SAINT), ouvrage rédigé
en forme de questions du disciple et de ré-
ponses du maître, et dans lequel saint Basile
a tracé les règles de la vie monastique. S'é-
loignant avec éclat des moines d'Egypte qu'il
avait visités, l'auteur commence par déclarer
que la vie solitaire est chose tout a-la fois dif-
ficile et dangereuse. Ceux dont le but commun,
dit-il, est de se rendre agréables à Dieu, doi-
vent vivre en commun. C'est dans cette vie en
commun, et non dans l'ascétisme solitaire, qu'il
faut chercher la perfection chrétienne. D'abord
nul ne peut se suffire à lui-même pour satis-
faire aux nécessités de la vie matérielle; nous
avons tous besoin les uns des autres; Dieu a
voulu qu'il en fût ainsi, afin que nous fussions
unis comme les membres dun même corps.
Ensuite, la loi de charité ne permet pas que
chacun se préoccupe uniquement de son bon-
heur personnel, de sa perfection individuelle.
La vie solitaire rétrécit singulièrement la
sphère des devoirs ; elle n'est compatible
qu'ayec une perfection très-limitée et pour
ainsi dire négative, parce qu'elle supprime en
partie la matière du bien comme celle du
mal, l'occasion de pratiquer l'un comme celle
d'éviter l'autre, et au elle ôte toute raison
d'être à la plupart des commandements de
Dieu. Les vertus impliquent des rapports ; hu-
milité, compassion charitable, patience, ne
peuvent se manifester ni, par conséquent,
se développer chez le solitaire. * Jésus-Christ,
dit saint Basile, pour nous donner un exem-
BAS
plo d'humilité dans une charité .parfaite, s'est
ceint d'un linge afin de laver les pieds de ses
disciples. Mais à qui laverez-vous les pieds?
A qui rendrez-vous quelque service? A l'égard
de qui vous mettrez-vous au dernier rang, si
vous ne vivez que pour vous-même, hors de
toute société? » Chacun a besoin des exem-
ples, des conseils et des corrections de ses
frères pour ne pas tomber ; cet appui moral
manque dans la vie solitaire. Le péril de cette
vie, c'est l'orgueil, c'est la secrète complai-
sance que l'on nourrit pour soi-même, c'est la
trop haute estime qu on fait de sa propre
vertu par l'impossibilité où l'on est de l'é-
prouver, faute d'occasion, et de la mesurer,
faute de termes de comparaison. Qui peut
connaître facilement ses défauts, s'il n'y a là
personne pour les lui montrer? Enfin, la vie
cénobitique offre cet avantage, qu'elle implique
la communauté non-seulement pour la vie ma-
térielle, mais encore pour la vie spirituelle,
c'est-à-dire l'heureuse participation de tous
aux dons spirituels, aux grâces de chacun.
Après cette condamnation curieuse de l'as-
cétisme érémitique, saint Basile examine
quelles doivent être les lois de cette vie en
commun, qu'il considère comme la vie chré-
tienne parfaite. Il faut que les moines s'exer-
cent au silence, et parce qu'en se rendant
maîtres de leur langue, ils témoignent qu'ils
font profession de la continence, et parce que
l'habitude du silence est la meilleure prépara-
tion au bon usage de la parole, soit pour pro-
poser des questions, soit pour répondre aux
demandes. Du reste, l'habitude du silence, do-
mination de l'âme sur la langue, rentre dans
la grande vertu de la tempérance, domination
de l'âme sur le corps, de la volonté sur les
passions. L'âme n'est libre qu'à la condition
d'être souveraine, d'exercer sur son compa-
gnon un empire pour ainsi dire despotique. La
tempérance ne consiste pas^ seulement à re-
trancher les plaisirs du goût; elle implique
une abstinence générale de tout ce qui peut
être un obstacle à notre perfection ; elle ren-
ferme en quelque sorte toutes les vertus : hu-
milité, c'est tempérance à l'égard de la vaine
gloire ; amour de la pauvreté èvangélique,
c'est tempérance vis-à-vis des richesses; pa-
tience, douceur, tranquillité d'âme, c'est tem-
pérance relativement aux émotions de la co-
lère. La tempérance s'applique aux yeux, aux
oreilles, à la langue, au rire. Il faut dompter
la spontanéité passionnelle. Réflexion, gravité
constante, possession de soi sous l'œil de
Dieu, du témoin éternel, voilà l'idéal. Le moine
doit se contenter de sourire; rire sans mesure
est une marque d'intempérance, un témoi-
gnage du peu de pouvoir que 1 on a sur ses
mouvements intérieurs. Il faut s'abstenir ab-
solument des aliments qui n'ont pas d'autre
fin que le plaisir ; le moine doit se reconnaître
à la maigreur de son corps (une locution po-
pulaire de notre langue témoigne de la fidélité
que devaient montrer les moines occidentaux
a ce précepte du maître). Le vêtement ne doit
satisfaire qu'à deux nécessités, celle qui dé-
rive de la pudeur et celle où l'on est de se
protéger contre le froid ; tout ce qui est donné
à l'ostentation doit être supprimé. Le vête-
ment des moines sera aussi simple que possi-
ble ; on chercheraj sous ce rapport, le mini-
mum nécessaire ; il sera fait de telle sorte
qu'il puisse se prêter à toutes les nécessités
et qu on puisse s'en servir la nuit comme le
jour. Il sera d'ailleurs uniforme pour tous les
membres de la communauté : cette uniformité
est nécessaire et comme symbole des liens qui
les unissent, et comme marque extérieure de
leur vocation particulière, de la vie toute
sainte et toute divine dont ils font profession.
Ce vêtement qui les distinguera du monde, en
leur rappelant sans cesse les actions qu'on a
droit d exiger d'eux, constituera pour les fai-
bles une sorte d'instruction et de stimulation
permanentes. Les moines travailleront des
mains; ils exerceront les métiers utiles atout
le monde, tels que l'architecture, la menuise-
rie, l'art de travailler les métaux, et non les
métiers qui entretiennent le luxe, la vanité, la
mollesse, la corruption. Les ouvrages faits
seront vendus, autant que possible, dans le
voisinage du monastère. En résumé, les lois
de la vie cénobitique, telles qu'elles sont éta-
blies par saint Basile, sont renfermées dans
cette formule bien connue et souvent citée
des systèmes communistes : A chacun selon
ses besoins; de chacun selon ses facultés. Cha-
cun des membres de la communauté doit con-
sommer et produire, sous la direction d'une
autorité, seul juge des besoins et des facultés;
nul ne doit choisir son métier ni sa nourri-
ture. Il faut noter seulement que le commu-
nisme ascétique de saint Basile n'entend sa-
tisfaire que les besoins extrêmes, qu'il réduit
cette satisfaction au minimum, qu il ne con-
naît que des devoirs et point de droits, et
qu'il se fonde sur le renoncement absolu de
chaque moine à tout désir, à toute volonté
personnelle, et, pour ainsi dire, à tout mou-
vement propre.
Basile (LITURGIE DE SAINT). On donne ce
nom à une liturgie qui était en usage dans les
églises du Pont, et dont se servent encore les
jacobites , les grecs melchites , les cophtes
d'Egypte et d'Abyssinie. L'abbé Renaudot
fait remarquer que saint Basile ne l'a pas
composée en entier, mais qu'il n'a fait que
retoucher celle qu'il trouvait en usage dans
son Eglise, y ajouter quelques prières, en cor-
riger quelques autres, sans en altérer le fond.
BAS
« La conformité de cette liturgie avec les au-
tres liturgies anciennes, dit l'abbé Bergier, dé-
montre que toutes ont été faites sur un modèle
primitif, suivi depuis les temps apostoliques. »
BASILE (ORDRE DE SAINT). C'est le plus
ancien des ordres religieux. Saint Basile, nous
l'avons déjà dit, n'est pas, à proprement par-
ler , le fondateur du monachisme , puisque
longtemps avant lui il y avait des anacho-
rètes en Egypte, en Syrie, etc. ; mais il peut
être considéré comme le précepteur de la vie
cénobitique, qu'il s'efforça de substituer à la
vie solitaire. L'ordre de saint Basile a con-
stamment fleuri en Orient et s'y est maintenu
depuis le ive siècle. Presque tous les religieux
connus sous le nom de caloyers suivent ce
qu'on appelle la règle de saint Basile. Quant
à l'Occident, cette règle n'a commencé à y
être professée expressément que dans le
xie siècle. Rufin avait, il est vrai, traduit les
Ascétiques (Jïègles et constitutions de saint
Basile), presque à l'instant de leur publication ;
mais il n'en résulta pas un établissement so-
lide et une copie fidèle des moines de l'Orient.
Des usages et des règles différentes prirent
naissance ; au xie siècle, la règle de saint Be-
noît commença à devenir universelle. Ce ne
fut que vers l'an 1057 que des moines de saint
Basile vinrent s'établir dans l'Occident. Gré-
goire XIII les réforma en 1579 et mit les reli-
gieux d'Italie,d'Espagne et de Sicile sous une
même congrégation. Dans ce même temps, le
cardinal Bessarion, Grec de nation et religieux
de cet ordre, réduisit en abrégé les règles de
saint Basile et les distribua en vingt-trois ar-
ticles.
La règle de saint Basile se distinguait de
celle des premiers moines occidentaux par
une plus grande austérité. L'abbé Bergier fait
remarquer à ce sujet que le climat de l'Orient
comporte plus 'de sobriété, exige moins de
nourriture que le nôtre. « On y mange, dit-il,
très-peu de viande; les légumes, les herbes
potagères, les fruits y sont plus succulents et
plus nourrissants que chez nous; le peuple y
vit en plein air, presque sans aucune couver-
ture, sans aucun besoin des précautions qu'on
observe dans les pays septentrionaux. La ma-
nière de vivre des moines de laThébaïde était,
à proprement parler, la vie des pauvres eu
Egypte. Du reste, la longue durée de cette
règle prouve qu'elle n'est pas d'une rigueur
aussi outrée, pour les pays où elle s'est ré-
pandue, qu'on serait tenté de le croire.
BASILE de Cilicie , prêtre de l'Eglise
d'Antioche, au temps où Flavien en occupait
le siège et qu'Anastase gouvernait l'empire. Il
avait écrit une Histoire ecclésiastique divisée
en trois livres, suivant Photius, depuis Mar-
cien jusqu'au commencement du règne de
Justin, de Thrace. L'auteur y faisait usage
des lettres que les évêques s étaient écrites,
ce qui embarrassait la narration : son style
était trivial et incorrect. Cet ouvrage est cité
par Nicéphore, au commencement de son His-
toire ecclésiastique. Basile était aussi auteur
d'un traité contre Nestorius et d'un dialogue
contre Jean de Scythopolis. Photius nous a
conservé une analyse de ces ouvrages, qui
sont perdus aujourd'hui.
BASILE, archevêque de Séleucie, en Isaurie,
mort vers 458, dans un âge très-avancé.
Nommé archevêque vers 440, il combattit
l'hérésie d'Eutychès au concile de Constanti-
nople, en 448 ; mais à celui d'Ephèse, qui eut
lieu peu de temps après, il se prononça dans
un sens diamétralement opposé, souscrivit au
rétablissement d'Eutychès et anathématisa
les deux natures en Jesus-Christ. Déposé au
concile de Chalcédoine, en 451, il reconnut
son erreur et fut rétabli sur son siège. Dans
la conférence de 533, on lui donne le titre de
bienheureux; Photius le qualifie de même,
mais l'Eglise ne le compte pas au nombre des
saints. On a publié, sous le nom de Basile de
Séleucie, quarante discours ou homélies sur
des sujets de l'Ancien Testament; on cite,
entre autres, l'homélie sur le Sacrifice d'Abra-
ham. Sur ces quarante discours, quinze seule-
ment lui sont attribués par Photius, qui les
apprécie ainsi : « Le style de ses discours est
aïiimé, plein de feu, d'une cadence plus égale
que celle d'aucun autre écrivain grec ; seule-
ment, l'excessive accumulation d'ornements
en rend la lecture fatigante. Ce n'est point là
le langage de la nature. »
Outre ces discours, qui sont ordinairement
réunis à ceux de saint Grégoire le Thauma-
turge, publiés en 1C26,1 vol., on lui attribue
un Eloge de saint Etienne, une Lettre à l'em-
pereur Zenon et une Vie de sainte Thècle, en
vers.
BASILE Ier, surnommé le Macédonien, em-
pereur d'Orient, né en 813 près d'Andrinople,
en Macédoine, mort en 886. Fils d'un homme
du peuple, il fut d'abord fait prisonnier par
les Bulgares; puis, rendu à la liberté, il gagna
Constantînople dans un état de profonde mi-
sère. Il fut recueilli par le gardien d'une
église, qui le plaça, comme écuyer, chez un
des officiers de l'empereur Michel III. Son ha-
bileté à dresser les chevaux lui acquit les
bonnes grâces de ce dernier, et en peu de
temps, il fut élevé au poste de chambellan
(861). Craignant l'influence du patrice Bar-
das, qui n'avait pas vu sans déplaisir sa for-
tune rapide, il résolut de perdre cet ennemi
dangereux, le dénonça à l'empereur comme
faisant partie d'une conspiration imaginaire,
et bientôt même il le tua de sa propre main
BAS
dans le cours d'une expédition. De retour à
Constantînople, Michel l'associa^ à l'empire
(8G6), Peu de temps après, Basile ayant voulu
ramener l'empereur à des sentiments plus
humains au sujet d'une horrible exécution
qu'il avait ordonnée, Michel fut profondément
irrité de trouver un censeur dans celui qui
lui devait tout, et résolut de le faire mourir.
Instruit secrètement de ce projet, Basile en
prévint l'exécution en poignardant l'empe-
reur, au sortir d'un repas où celui-ci s'était
enivré (867). Arrivé au pouvoir suprême, Ba-
sile montra de grandes qualités, que son passé
était loin de faire prévoir. Il s'erforça de réta-
blir la paix dans l'Etat et dans l'Eglise, de
faire refleurir la justice, de réformer les abus,
d'introduire l'économie dans les finances, épui-
sées par les profusions de son prédécesseur.
Il battit les Sarrasins en Orient, en Italie,
s'empara de Césarée et consolida la paix de
l'empire en faisant des traités avec les bar-
bares. Désireux de mettre un terme aux dis-
cussions religieuses, il rétablit dans le patriar-
cat saint Ignace, que Photius avait fait
chasser pour prendre sa place, puis, à la mort
du premier, en 878, il replaça Photius sur le
siège patriarcal. Ce dernier finit par le capti-
ver entièrement par ses adulations, et surtout
en lui faisant une g'énéalogie dans laquelle il
lui attribuait une origine illustre. Il essaya
alors de porter le trouble dans la famille im-
périale et de perdre dans l'esprit de l'empe-
reur son fils, Léon le Philosophe, qu'il accusa
de méditer un parricide. Basile fut même sur le
point de faire mourir ce jeaiw prince. On dit
qu'il en fut empêché par la voix d un perroquet,
qu'on avait habitué à répéter : Pauvre Léon ! Le
père et le fils se réconcilièrent, et l'innocence
de ce dernier fut ensuite reconnue. Après un
règne de vingt ans, il mourut d'une dyssen-
terie ou, selon d'autres, d'une blessure que
lui fit un cerf à la chasse. On a de Basile,
outre quelques Lettres, des Avis à son fils
Léon le Philosophe, publiés dans YImperium
orientale du P. Banduri. Cet ouvrage, où
l'on trouve la morale la plus pure, a été tra-
duit en français par D. Porcheron (1690) et
par l'abbé Gavleaux, en 1782. A l'exemple de
Justinien, Basile avait fait, en 877, un recueil
des lois, en quarante livres, auxquels son suc-
cesseur en ajouta vingt autres. C'est cette
compilation qui est connue sous le nom de
Basiliques.
BASILE, surnommé le Patricien, vivait dans
la première moitié du xo siècle, sous l'empe-
reur Constantin Porphyrogénète, dont il était
chambellan. Il avait composé un traité Sur
la Tactique navale, dont on ne possède qu'un
fragment. Ce fragment, qui a été publié en
grec par Fabricius (Bibl. grœca, t. VIII,p. 136,
vet. éd.), a été mentionné avec éloge, pour
la première fois, par Gabriel Naudé, dans sa
Bibtiograph. militar., p. 63.
BASILE, dit le Jeune, vécut très-probable-
ment dans le xc siècle. Il a composé, sur les
discours de saint Grégoire de Nazianze, des
commentaires considérables qui sont en par-
tie inédits. Boissonade, dans Jes Notices et
Extraits des manuscrits (t. XI, p. 55), a pu-
blié les scolies sur les deux Stéliteutioues de
saint Grégoire, avec l'épltre dédicatoire que
Basile a mise en tête du recueil entier ; épître
qui avait déjà paru, mais d'une manière moins
correcte, dans le catalogue de Bandini. Ces
commentaires, qui ont été fort vantés par
Fabricius et par d'autres savants, sont con-
servés à la Bibliothèque impériale de Paris,
dans plusieurs manuscrits du x« siècle, par
conséquent à peu près contemporains de
l'auteur.
BASILE, surnommé l'Oiseau, mort en 9G1,
était né dans une condition des plus hum-
bles ; néanmoins, selon quelques-uns, il devait
le jour à l'empereur Romain-Lécapène. qui
l'avait eu d'une esclave bulgare. Quoi qu il en
soit, Basile, grâce à la souplesse de son esprit
et à ses intrigues, parvint à exercer une
grande influence sur l'empereur Constan-
tin VII Porphyrogénète, qui partageait le
trône avec Romain-Lécapène. Ayant reçu le
commandement de la garde étrangère, il con-
tribua puissamment à 1 exil et à la chute de ce
dernier, dont il fit aussi bannir les fils, et
Constantin devint alors seul maître de l'em-
pire. Après la mort de l'empereur (959),
Basile, mécontent de son fils et succes-
seur, Romain II le Jeune, ourdit une conspi-
ration pour le renverser et se faire proclamer
à sa place (96l). Le complot ayant été décou-
vert, Basile fut arrêté; mais il fut presque
aussitôt frappé d'aliénation mentale et tran-
sporté dans Pîle de Proconèse, où il mourut
peu de temps après.
BASILE II, empereur d'Orient, né en 958,
mort en 1025, était fils de Romain II ou le
Jeune. Il monta sur le trône en 976, après la
mort de Jean Zimiscès, qui l'avait reconnu
pour son 'successeur avec son frère Constan-
tin Porphyrogénète. Celui-ci, esclave de ses
plaisirs et dépourvu de tout talent, abandonna
à Basile les soins du gouvernement, afin de
pouvoir se livrer plus librement à la débau-
che, et ne conserva que les marques exté-
rieures du pouvoir. Pendant les premières
années de ce double règne, l'eunuque Basile
et Bardas Sclérus se disputèrent l'autorité, et
ce dernier finit même par entrer en révolte
ouverte ; mais il fut vaincu en Perse par le
- général Bardas Phocas. L'empereur Basile
passa presque tout son règne à faire aux Bul-
307
gares une guerre d'extermination. La pre-
mière expédition qu'il entreprit se termina
par un échec et une révolte. Ce même Bar-
das Phocas, qui avait battu Bardas Sclérus,
profita de la défaite de Basile pour se faire
proclamer empereur en Asie ; mais il fut
vaincu à son tour près d'Abydos, en 986, ce
qui rendit la paix intérieure à l'empire. Basile
résolut alors de venger la défaite que lui
avaient fait essuyer les Bulgares; il les vain-
quit à plusieurs reprises, en tua 5,000 dans
une bataille (1013) et leur fit 15,000 prison-
niers. Les historiens rapportent de lui, a cette
occasion, un trait de cruauté aussi bizarre
qu'effroyable, qui a fait donner à ce prince le
surnom de Bulgaroctone. Ayant divisé ces
15,000 prisonniers par groupes de 100, il or-
donna qu'on crevât les deux yeux à 99 et un
œil seulement au centième, puis il renvoya
tous ces malheureux dans leur pays, chaque
centaine étant ainsi conduite par un borgne.
En revoyant ses soldats dans cet état affreux,
le roi des Bulgares, Samuel, en mourut, dit-on,
de douleur. Les Bulgares, épouvantés d'un
tel acte de barbarie, et craignant un pareil
sort en cas de guerre nouvelle, reconnurent, en
1017, Basile pour leur souverain. Le patriarche
Sergius le somma alors de remplir deux vœux
f>ar lesquels il s'était engagé solennellement :
e premier, de se faire moine; le second, de di-
minuer les impôts. Basile composa avec le
prélat, et un peu aussi avec sa conscience; il
lui parut suffisant de porter un habit de moine
sous ses ornements impériaux, de promettre
la continence et l'abstention de viande; quant
aux impôts, de nouveaux ennemis exigeaient,
au contraire, de nouveaux sacrifices. 11 se dis-
posait à faire la guerre aux Sarrasins, qui ra-
vageaient la Palestine et différentes parties
de l'empire, lorsqu'il mourut après un règne de
cinquante ans. Pendant ce long intervalle de
temps, les lettres et les sciences tombèrent
dans la plus profonde décadence, les impôts
furent augmentés pour suffire aux besoins de
la guerre, les éléments divers de la prospérité
générale furent complètement négligés; aussi
cette époque reçut-elle à juste titre le nom de
siècle de fer.
BASILE, hérésiarque bulgare, mort en llis.
Il était médecin, lorsqu'il lui passa par l'esprit
de devenir un réformateur religieux. A l'exem-
ple de Jésus-Christ, il s'entoura de douze dis-
ciples qui adoptèrent ses idées, lui aidèrent à
les répandre, et il ne tarda pas à être le chef
d'une secte dont les membres prirent le nom
de Boyomiles (du slavon bog, Dieu, etmilotti,
ayez pitié de moi), parce qu'ils balbutiaient
sans cesse quelque prière en implorant la mi-
séricorde de Dieu. Basile; dont la doctrine se
rapproche, par certains cotés, de celle des pau-
liniens, annonçait que Dieu avait une forme
humaine, et attaquait la Trinité en disant
qu'avant Jésus-Christ, Dieu avait eu un fils,
Sataniel, qui s'était révolté contre lui, que le
Christ avait enfermé dans l'enfer, et qui n'était
autre que Satan. D'après lui, le monde avait
été créé par les mauvais anges, l'archange
Michel s'était incarné, et tous ses disciples
concevaient et enfantaient le Verbe divin. A
l'exception des psaumes et des prophéties, il
rejetait tout l'Ancien Testament; il niait la ré-
surrection, ainsi que tous les mystères catho-
liques ; ne voyait dans la vie et les souffrances
du Christ qu une pure apparence; repoussait
Teucharistie, le baptême, toutes les prières, à
l'exception de l'oraison dominicale, le cuite
des images, l'usage des églises'. Il traitait les
Pères, les évoques et les catholiques de pha-
risiens; les moines, de renards cachés dans
leurs tanières; enfin, il se prononçait contre
le mariage et admettait la communauté des
femmes. Extrêmement corrompu sous de
f rands dehors d'austérité, Basile répandit sa
octrine avec circonspection. Elle commençait
à s'étendre dans le peuple bulgare, et elle s'é-
tait déjà glissée au sein de quelques familles
considérables, lorsque l'empereur de Constan-
tinople, Alexis Comnène, en fut instruit. Sous
le prétexte qu'il était désireux d'entendre Ba-
sile et de,s'instruire d« ses idées réformatri-
ces, Alexis le fit venir à Constantinople. Avec
la dissimulation qui lui était habituelle, il
l'accueillit avec distinction, et Basile, ayant
perdu toute défiance, se mit à exposer de-
vant lui ses divagations théologiques. Pen-
dant ce temps, un secrétaire caché derrière
un rideau reproduisait son discours, qui de-
vint son acte d'accusation. Un synode fut
convoqué pour le juger. Basile comparut de-
vant cette assemblée et fut condamné à périr
dans les flammes. L'empereur essaya vaine-
ment, à plusieurs reprises, de l'amener à se
rétracter; tout fut inutile, menaces ou pro-
messes. Il monta sur le bûcher, bien con-
vaincu, disait-il, que les anges viendraient le
délivrer. Le peuple de Constantinople de-
manda, dit-on, qu'on fit partager son supplice
à ses sectateurs. L'empereur se contenta de
les faire jeter en prison. Il chargea le moine
Enthyme Zygabène de réfuter les erreurs de
Basile dans son ouvrage intitulé Orthodoxes
fidei panoplia, etc. Le concile de Constanti-
nople de 1143 condamna encore deux évêques
comme bogomiles, et la secte s'éteignit vers
cette époque en se confondant avec celle des
Bulgares.
BASILE, dit d'Achrida, archevêque de Thes-
salonique vers le milieu du xne siècle. Il a
composé l'oraison funèbre d'une princesse
d'Allemagne qui avait épousé un prince de la
cour d'Orient. Cette pièce, qui est inédite, se
trouve dans la bibliothèque de l'Escurial. On
connaît aussi une lettre de Basile en réponse
au pape Adrien, oui lui avait écrit pour l'en-
gager à favoriser la réunion des deux Eglises
et lui recommander, en même temps, les deux
nonces qu'il envoyait à Manuel Comnène.
Cette lettre a été imprimée plusieurs fois. On
la trouve, notamment, dans le code du droit
gréco-romain, qui contient également une ré-
ponse du même Basile à une question qui lui
avait été proposée par le grand sacellaire de
Durazzo, touchant les mariages dans les de-
grés de consanguinité. La Bibliothèque impé-
riale de Paris possède un manuscrit de ce
dernier opuscule. (V. l'article que Fabricius a
consacré à cet écrivain : Bibl. gr. t. IX,
p. 11.)
BASILE, surnommé Mégaîomites ou mieux
Mégalomytes, poëte grec du moyen âge, sans
qu'il soit possible de préciser l'époque où il
vivait. Il a composé quarante-trois énigmes
en vers de douze syllabes, énigmes qui ont
été publiées par Boissonade, dans le troisième
volume de ses Anecdota grœca, d'après deux
manuscrits de la Bibliothèque impériale de
Paris.
BASILE (Jean-Baptiste), poëte napolitain,-
mort en 1637, était comte de Tortone et gen-
tilhomme du duc de Mantoue. On a de lui,
sous le titre de Opère poetiche (Mantoue,
1613), des madrigaux, des odes, des églogues,
de petits poèmes, etc. Il a publié, en outre, en
dialecte napolitain, sous l'anagramme de Gian
Alesio Abbattutis, le Muse napolitane (Naples,
1635), comprenant neuf églogues; Lo Cunto
de li Cunti, ovvero lo trattenemiento de li Pec-
cerille (Naples, 1637), ouvrage plein d'histo-
riettes et de proverbes, qui a été traduit en
italien vulgaire. Basile a donné quelques édi-
tions d'auteurs, notamment de Pietro Bembo
(1615), et l'on trouve de lui divers mor-
ceaux en prose, à la suite du poëme la Vajas-
séide par César Cortese.— Sa sœur, Adrienne
BASILE, se fit une grande réputation 'de son
temps, non-seulement par sa beauté, mais
comme poète et surtout comme excellente
musicienne. Elle épousa un nommé Muzio Ba-
roni, et fut la mère de la célèbre Leonora Ba-
roni. On a d'elle un livre de poésies, intitulé
Composizioni in versi, dont Nicolas Toppi fait
mention dans sa Bibliotheca Napolitana. Elle
a publié, en 1637, un poëme laissé par son
frère sous le titre de Teagène.
BASILE, prince de Moldavie au xvne siè-
cle. Originaire d'Albanie, il épousa la fille de -
Kiemielnisky, hetman des Cosaques, et acheta
à prix d'or de la Porte ottomane le droit de
gouverner, c'est-à-dire d'exploiter à son
profit la Moldavie. Les habitants de cette pro-
vince, indignés de ses exactions et de sa ty-
rannie, se révoltèrent bientôt contre lui et
l'expulsèrent, après avoir mis à leur tête
Etienne XII, dit Burduze ou le Gros. Basile
se rendit alors près de son beau-père pour en
obtenir des secours. Kiemielnisky, adonné à
l'ivrognerie, se contenta, après avoir écouté
son gendre, de lui offrir une coupe remplie de
koumi ou lait de cavale fermenté, dont il fai-
sait sa boisson favorite. « J'avais cru jus-
qu'ici, lui répondit Basile avec indignation,
que les Cosaques étaient hommes et engen-
drés par des hommes; mais je vois qu'il n'y a
que trop de fondement à ce qu'on dit parmi
nous, que les Cosaques sont des ours chan-
gés en hommes, ou que, d'hommes qu'ils
étaient, ils sont devenus ours. » Depuis cette
époque, on n'entendit plus parler de Basile.
BASILE de Soissons, théologien français,
né dans cette ville au xvne siècle. Il entra
dans l'ordre des capucins, habita plusieurs
années l'Angleterre, en qualité de mission-
naire , et composa plusieurs ouvrages de
controverse religieuse, notamment : Défense
invincible de la présence réelle de Jésus-Christ,
prouvée par près de 300 arguments, etc. (Paris,
1676); la Véritable décision de toutes les con-
troverses, etc. (1685); la Science de bien mou-
rir (1686).
BASILE VALENTIN, un des plus fameux
alchimistes du moyen âge. « Ce nom, qui est
un des plus célèbres dans l'histoire des origi-
nes de la chimie, dit Jean Reynaud, semblable
à ces noms mythiques de 1 antiquité, ne se
rapporte à aucun individu que l'on puisse dé-
terminer d'une façon précise. Il se trouve en
tête d'un assez grand nombre d'ouvrages d'al-
chimie , mais plusieurs raisons portent à
croire que tous ces ouvrages ne sont pas de
la même main. L'usage de se cacher sous le
voile d'une devise ou d'un pseudonyme était ,
assez commun parmi les hermétiques du
moyen âge. La célébrité de Basile Valentin
une fois commencée, un grand nombre d'a-
deptes ont pu s'accorder a ranger leurs trai-
tés sous sa bannière. Basile Valentin serait
donc, en chimie, ce que sont, en poésie, Ossian
et Homère. Plusieurs villes et plusieurs siè-
cles se sont disputé l'honneur de sa nais-
sance. On le fait vivre soit au xiie, soit au
xvie siècle, soit entre les deux.» Presque
tous les biographes prétendent que Basile
"Valentin était un moine bénédictin, qui vécut
dans l'un des couvents d'Erfurth, en Prusse, et
que sa naissance remonte aux dernières années
du xive siècle. Un des ouvrages publiés sous
son nom, le Char triomphal de l'antimoine,
nous apprend qu'il naquit en Alsace, sur les
bords du Rhin, et que sa jeunesse fut em- f
ployée à divers longs voyages en Angleterre, 1
en Hollande et en Espagne, où il fit unpèleri- |
nage à Saint-Jacques de Compostelle. Quel-
ques critiques ont pensé qu'il n'avait point
existé d'alchimiste du nom de Basile Valentin ;
que ce nom, formé du mot grec Stw.Xsu;
(roi) et-du latin valens (puissant), désignait al-
légoriquement la puissance de l'alchimie, ou
la propriété merveilleuse du régule. Tout ce
qui concerne Basile Valentin s'enveloppe de
mystère, et la découverte de ses œuvres elles-
mêmes a été attribuée par les adeptes à une
espèce de miracle, qui semble, au fond, dit
M. Pouchet, n'être qu'une réminiscence des
traditions de l'art sacré. Ils racontent que, la
foudre ayant brisé l'une des colonnes de l'é-
glise d'Erfurth, on trouva au milieu de ses
débris une boîte remplie d'une poudre jaune,
semblable à de l'or, et contenant des manu-
scrits, qui n'étaient autres que les ouvrages du
célèbre alchimiste bénédictin.
Quoi qu'il en soit de Basile Valentin et des
fables dont il a été l'objet, l'auteur des écrits
publiés sous ce nom, passe, à juste titre,
comme le créateur de la médecine métallique.
On sait qu'il employa, le premier, l'antimoine
comme médicament. Presque toujours, après
avoir décrit la préparation des substances, il
en indique l'usage médical. On comprend, du
reste, que les doctrines alchimiques devaient
naturellement conduire les adeptes à enrichir
la thérapeutique de nouveaux remèdes, no-
tamment de préparations métalliques. I/al-
chimie donnant le moyen de perfectionner les
métaux vils, il était naturel de demander à la
même influence le perfectionnement physique
de l'homme, c'est-à-dire la santé et la longé-
vité : de là l'usage des élixirs, des panacées
dont l'action sur le corps humain devait être
analogue à celle qu'exerçait la substance
merveilleuse au moyen de laquelle l'alchimie
prétendait changer le métal vil en or. N'y
avait-il pas tout a espérer de l'emploi en thé-
rapeutique des préparations de l'or, du métal
parfait par excellence? Les préparations d'an-
timoine n'étaient-elles pas excellentes pour
chasser ies impuretés du corps de l'homme, de
même que l'antimoine cru sépare de l'or toutes
ses impuretés ? Il faut remarquer que, dans la
pensée des alchimistes, l'homme est Yabrégé
et le but de la nature; que le grand monde
(macrocosme) a été fait pour l'homme, pour le
petit monde (microcosme), de sorte que l'homme
commande, règne et domine sur toutes les
créatures terrestres et en tire les utilités qu'il
désire ; qu'il y a une harmonie préétablie entre
nos besoins et les propriétés des substances que
produit la nature ; que notre devoir, notre
mission, est de suivre les traces et d'étudier
les efforts de cette nature qui travaille pour
nous, de saisir les secrets de ce travail, et
d'être ses coopérateurs, afin de parfaire et de
rendre utilisable ce qu'elle ne peut perfection-
ner d'elle-même sans une longue préparation.
Cette conception finaliste de la nature expli-
que parfaitement le grand nombre des travaux
auxquels se livrèrent les alchimistes, les phar-
maciens, les médecins, les naturalistes, etc.,
avec l'intention d'augmenter le nombre des
médicaments, soit en recherchant ceux-ci dans
les produits naturels, soit en soumettant ces
mêmes produits à des opérations chimiques
propres à en modifier la nature et les pro-
priétés.
Parmi les ouvrages de Basile Valentin, le
Char triomphal de l'antimoine (Currus trium-
phalis antimonii) est un de ceux qui ont eu
le plus de retentissement. Il est consacré à
l'histoire de l'antimoine, et l'auteur y parle de
son sujet avec un enthousiasme sans bornes.
Pour lui, ce métal, à peine indiqué avant lui,
est l'une des merveilles du monde. Il proclame
que l'antimoine a été créé pour purifier et
purger les hommes ; qu'il est, pour notre es-
pèce, la source de la richesse et de la santé.
Le livre se termine par une violente diatribe
contre tous les médecins et apothicaires du
temps qui ne reconnaissent pas les extraordi-
res vertus du médicament nouveau. « Ah !
vous autres, pauvres et misérables gens, mé-
decins sans expérience et prétendus doc-
teurs, qui écrivez de longues ordonnances sur
de grands morceaux de papier; vous, mes-
sieurs les apothicaires, qui faites bouillir des
marmites aussi vastes que celles qu'on met au
feu chez les grands seigneurs pour préparer
à manger à plusieurs centaines de personnes;
vous tous qui avez été si longtemps aveugles,
laissez-vous donc frotter les yeux et rafraî-
chir la vue, afin que vous guérissiez de votre
aveuglement, et que vous puissiez enfin
apercevoir les objets dans un miroir fidèle. »
Dans le même traité, Basile Valentin décrit
plusieurs préparations chimiques d'une grande
importance, par exemple, celle de l'esprit de
sel ou de notre acide chlorhydrique, qu'il ob-
tenait, comme on le fait aujourd'hui, au
moyen du sel marin et de l'huile de vitriol
(acide sulfurique). Il donne le moyen d'obte-
nir de l'eau-de-vie en distillant le vin et la
bière, et rectifiant le produit de la distillation
sur du tartre calciné (carbonate de potasse).
. Il enseigne à retirer le cuivre de sa pyrite
(sulfure), en la transformant d'abord en vitriol
de cuivre (sulfate de cuivre) par l'action de
l'air humide, et plongeant ensuite une lame de
fer dans la dissolution aqueuse de ce produit.
«Cetteopération, que Basile Valentin indiqua
le premier, dit M. Figuier, fut souvent mise
à profit plus tard par les alchimistes, qui, ne
I pouvant comprendre le fait de la précipitation
du cuivre métallique, s'imaginaient y voir
une transmutation du fer en cuivre, ou du
moins un commencement de transmutation
que l'art pouvait perfectionner. » Le Char
triomphal de l'antimoine offre certaines obser-
vations physiologiques exactes sur la respira-
tion des animaux. Nous y lisons que l'air at-
mosphérique est nécessaire à tous, même aux
ftoissons, et que si ceux-ci périssent lorsque
es étangs ont leur superficie entièrement
couverte de glace, c'est qu'ils manquent de
l'air indispensable pour l'entretien de la vie.
Un autre traité de Basile Valentin, intitulé
Haliographie ou Traité sur les sels, contient
un grand nombre de faits chimiques intéres-
sants, relatifs aux composés salins. La prépa-
ration et^es propriétés explosives de l'air ful-
minant y sont décrites; l'auteur signale les
dangers de cette substance: «Gardez-vous,
dit-il, de la faire dessécher au feu, ou seule-
ment à la chaleur du soleil, car elle disparaî-
trait aussitôt avec une violente détonation.
Cette science naissante est alliée aux spé-
culations les plus bizarres du mysticisme.
Pour Basile Valentin, les péchés de l'homme
sont comme le résidu de la sublimation de ses
parties célestes ; nous sommes salés sur la
terre, à cause de nos péchés, jusqu'à ce que,
putréfiés par le temps, nous soyons ranimés
Sar la chaleur divine; c'est cette chaleur
ivine qui nous clarifie, nous élève par une
sublimation céleste, et nous sépare de nos
fèces, de nos impuretés. L'or, le métal par-
fait, est semblable à Jésus-Christ; Jésus-
Christ n'a pas eu besoin de mourir, mais
il est mort volontairement, et il est res-
suscité pour faire vivre éternellement avec
lui ses frères et sœurs sans péché. Ainsi, l'or
est sans tache, fixe, glorieux, et pouvant su-
bir toutes les épreuves; mais il meurt à cause
de ses frères et sœurs imparfaits et malades ;
bientôt, ressuscitant glorieux, il les délivre et
les teint pour la vie éternelle; il les rend par-
faits en 1 état d'or pur.
Parmi les autres ouvrages attribués à Basile
Valentin, nous citerons :De microcosmo deaue
magno mundi mysterio, et medicina hominis
(Du Microcosme, du grand mystère du monde
et de la médecine de l'homme): Duodecim Cla-
ves phitosophicœ (les Douze clefs philosophi-
ques) : Tractatus chimîco -philosophicus de
metallis et mineralibus (Traité chimico-philo-
sophique des métaux et des minéraux). Les
œuvres de Basile Valentin ont été réunies
sous ce titre Scripta chimica (1700),
BASILE, ÉE adj. (ba-zi-Ié— du lat. basis,
base). Bot. Elevé sur une base proéminente,
comme les poils de l'ortie dioïque.

BASILÉE
s. f. (ba-zi-lé — du gr. basileia,
reine). Bot. Genre d'iridées, syn. du genre
eucomis : les BASILÉES sont des plantes d'a-
grément. (Massey.) Quelques auteurs donnent
ce nom à une espèce de fritillaire.
BASILÉE, fille aînée d'Uranus et de Titée,
et sœur des Titans, succéda à son père, et
épousa son frère Hypérion. Elle en eut un
fils et une fille, Hélios et Séléné (le Soleil et
la Lune). Ses autres frères, par jalousie con-
tre elle, noyèrent Hélios dans l'Éridan. Basi-
lée, dans le délire de sa douleur, parcourut
alors tout l'univers à la recherche de son fils.
On essaya de l'arrêter; mais aussitôt il tomba
une grande pluie, accompagnée des retentisse-
ments de la foudre, pendant lesquels Basilée
disparut. Le peuple lui éleva des autels et lui
offrit des sacrifices, au son des tambours et
des cymbales, rappelant les éclats du tonnerre
au moment de sa disparition. Basilée a été
aussi appelée quelquefois Magna Mater (la
Grande Mère), parce qu'elle avait élevé tous
ses frères et toutes ses sœurs. Ce mythe pa-
raît être une variante de celui de Cybèle; on
y reconnaît aussi quelques traits des comètes
déifiées. C'est à Diodore que nous devons la
tradition qui concerne Basilée.

BASILÉOLÂTRE
s. m. (ba-zi-lé-o-lâ-tre —
du gr. basileus, roi- latria, culte). Hist. ec-
clés. Celui qui accorde aux rois et aux puis-
sances de-la terre le culte et l'adoration
qu'on ne doit gu'à Dieu seul : Les Momains
devinrent BASILEOLÂTRES.

BASILÉOLÂTRIE
s. f. (ba-zi-lê~c~lâ-trî —
rad. basiléolâtré). Hist. ecclés. Culte religieux
rendu à un prince.

BASILEUS
(mot grec qui signifie roi). Sur-
nom sous lequel Neptune était adoré à Trézène,
et que l'Anthologie donne aussi à Apollon.
BASILl ou BASILY (D. André), composi-
teur italien, mort en 1775. Il appartenait à
l'école romaine et devint maître de chapelle
de l'église Notre-Dame dans la ville de Lo-
rette. On a de lui une grande quantité de
morceaux de musique sacrée. M. Fétis pos-
sède de ce compositeur huit messes à quatre
voix et deux à huit voix. On trouve à Rome,
dans la bibliothèque de l'abbé Santini, entre
autres œuvres, cinq offertoires, un Miserere à
huit voix et un autre à douze. Basili a fait graver
sur cuivre un ouvrage composé exprès pour ses
élèves, et intitulé : Musica universale armonico
pratica, consistant en vingt-quatre exercices
moyens et mineurs pour le clavecin. — Son
fils François BASILI ou BASiLY,né à Loretteen
1766, mort à Rome en 1850, est un des com-
positeurs les plus féconds de. l'Italie. Il ter-
mina ses études musicales à Rome, sous la
direction du savant Jannaconi, >,t, presque
aussitôt après, il fut nommé maître de cha-
pelle à Foligno, où il commença à écrire pouL*
le théâtre. Appelé, vers 1800, à occuper la
308
même place à Macerata, il se maria avec une
riche dame de cette ville, dont il eut un fils et
cinq filles, et il délaissa presque complète-
ment la musique. S'étant séparé de sa femme
par suite de dissensions domestiques, il revint
a son ancienne carrière et entra comme maî-
tre de chapelle à Santa-Casa de Lorette. En
1827, Basih fut nommé censeur du conserva-
toire impérial de Milan; puis, en 1837, le cha-
pitre de Saint-Pierre du Vatican l'appela à
Rome pour succéder à Fioravanti, en qualité
de maître de chapelle de cette église, fonction
qu'il exerça assidûment jusqu'à sa mort.
M. Fétis, qui le vit à Rome dans un âge
avancé, raconte qu'il fut frappé de l'isolement
dans lequel vivait cet artiste remarquable,
découragé de ne pouvoir restaurer la bonne
musique d'église, faute de moyens d'exécution
suffisants. L'ignorance des musiciens de la
chapelle était telle, disait Basili, qu'il ne pou-
vait leur faire entreprendre l'étude de ses
propres ouvrages, et qu'il était obligé de leur
faire chanter les choses qu'ils avaient dans la
mémoire. Basili a laissé une quantité prodi-
gieuse de compositions en musique profane ou
religieuse. Il nous est impossible d'en donner ici
la nomenclature, qui oifrirait, du reste, p*eu
d'intérêt. Nous nous bornerons à citer, parmi
ses opéras qui ont eu le plus de succès : La
Relia Incognito. (1788); la Locandiera Antigona ;
Conviene Adattarsi, etc. ; et parmi ses mor-
ceaux de musique religieuse, sa belle messe
de Requiem exécutée à Rome en 1816, pour les
obsèques de Jannaconi.

BASILIA,
ville de la Gaule, dans la Grande
Séquanaise, chez les Helvétiens. Elle fut
construite avec les débris â'Augusta Itaura-
corum, la ville romaine qu'Attila détruisit.
Aujourd'hui Bâle en Suisse. Il Nom d'une autre
ville de la Gaule Belgique, chez les Rémi, en-
tre les villes modernes de Prosnes et Saint-
Hilaire.

BASILIC
s. m. (ba-zi-lik — du gr. basilis-
kos, dimin. de basilcus, roi, à cause du pré-
tendu pouvoir qu'on lui attribuait, ou parce
u'on a cru longtemps qu'il avait sur la têto
es eminences en forme de couronne). Rep-
tile fabuleux dont le regard était mortel, et
qu'on disait sorti d'un œuf do coq couve par
un crapaud : Un regard, des yeux de BASILIC-.
Les artistes du moyen âge représentaient le
BASILIC sous la forme d'un coq ayant une queue
de dragon. Suioant plusieurs Pères de l'Eglise,
ije BASILIC était l'image de la femme débauchée,
parce que sa vue seule suffisait pour corrompre.
Dans les psaumes, le BASILIC est placé, comme
animal malfaisant, à côté de l'aspic, du lion et
du dragon. C'est une ancienne croyance popu-
laire, encore existante chez les paysans, que
les vieux coqs pondent quelquefois un œuf qui
éclat dans le fumier et produit une espèce par-
ticulière de BASILIC. (Quitard.) On croyait que
le BASILIC se tuait lui-même quand Use regar-
dait dans une glace. (Quitard.) Pline assure
que le serpent nommé BASILIC a la voix si ter-
rible, gu'il fait peur à toutes les autres espèces.
(Dumeril.) Aux époques de crédulité, les char-
latans vendaient aux curieux ignorants de pe-
titps raies façonnées en forme de BASILICS. (D'Orbigny.)
Hasilics brûlants,
Qui dans vos yeux étincelants
Portez un venin redoutable. -
GODEAU.
-=- Fig. Regard, œil de basilic, Regard mé-
chant, haineux, terrible : Voyez-la, quel RE-
GARD DE BASILIC/ (Alex. DumJ
— Ernét. Genre de reptiles sauriens, voisin
des iguanes, et caractérisé par une crête qui
s'étend depuis la nuque jusqu'à la queue,
comme une nageoire dorsale. Il n'a nen de
commun avec le reptile fabuleux que les an-
ciens désignaient sous le même nom. Le ba-
silic habite la Guyane : Le BASILIC se nourrit
de limaçons et dinsectes. (Duméril.) On a
étendu quelquefois la dénomination de basilic
à des genres voisins, tels que les istiures.
— Artill. Gros canon, grosse coulevrine
qui n'est plus en usage aujourd'hui.
— Encycl. Le basilic, dont le nom, quand
on voulait évoquer l'idée des monstres les
lus malfaisants, se joignait souvent aux noms
e l'aspic, du dragon et du lion : Super aspi-
dem et basiliscum ambulabis, et conculcabis
leonem et draconem, était une sorte de dragon
en miniature, dont la morsure, toujours mor-
telle, était moins à craindre encore que le re-
gard. Ce qu'il y avait de singulier dans les
idées qu'on se faisait du pouvoir fatal attaché
-aux regards de ce reptile, c'est que ce pou-
voir se trouvait neutralisé si l'œil de l'homme
ou d'un animal quelconque prévenait celui
du basilic : tout animal sur lequel se fixait le
regard du monstre tombait à l'instant foudroyé,
à moins que celui-ci n'eût été déjà aperçu par
l'animal, auquel cas le regard devenait com-
plètement inoffensif.MaisCh pouvait en outre
tourner contre le basilic lui-même les funestes
effets de son regard, en lui présentant un mi-
roir : dès qu'il voyait sa propre figure, réfléchie
par la surface polie du métal ou du verre, il
était tué sur le coup. Quelques-uns croyaient
aussi que les femmes étaient hors de ses attein-
tes, et qu'elles pouvaient le saisir vivant sans
aucun danger. Heureusement, les basilics n'é-
taient point des animaux communs : une opi-
nion assez généralement répandue les faisait
naître d'un œuf pondu par un coq et couvé par
uncrapaud; or,lesœuls de coq ont toujoursété
rares et les crapauds couveurs ne le sont pas
moins. Quoi qu'il en soit, on voyait des basilics
dans les cabinets de certains prétendus sa-
vants ; on en voyait aussi chez les apothicai-
res, qui prétendaient s'en servir pour compo-
ser leurs remèdes les plus merveilleux. On
sait aujourd'hui que tous ces basilics n'étaient
rien autre chose que de petites raies, façon-
nées en forme de dragons par d'habiles char-
latans, qui les vendaient ensuite fort cher.
Mais Borel est celui de tous les auteurs qui
a le plus extravagué sur la puissance mysté-
rieuse du basilic. Ajoutons toutefois que cette
extravagance ne se manifeste que par compa-
raison : dans ses Centuries, il parle d'un indi-
vidu dont les regards étaient doués d'une si
redoutable malignité, qu'ils faisaient périr les
petits enfants, desséchaient les mamelles des
nourrices, les plantes et les fruits, corrodaient
et perçaient toute espèce de verre, et, ajoute
malicieusement M. Quitard, auquel nous em-
pruntons ce détail, quel embarras ^n'aurait pas
éprouvé cet homme basilic s'il eût été obligé
de porter des lunettes!
— Erpét. Linné donna le nom de basilic
(lacerta basiliscus) h un genre de la famille
des iguaniens, sous-famille des pleurodontes
Comme les ophryesses, ils manquent de pores
aux cuisses, ont des dents au palais, et leur
corps est couvert de petites écailles ; mais ils
s'en distinguent par une crête continue, que
soutiennent les apophyses épineuses des ver-
tèbres. Ils ont en outre, sous le cou, un
rudiment de fanon ; les membres de der-
rière sont très-allongés, les doigts grêles, la
queue longue et comprimée. On connaît deux
espèces de basilics : le basilic à capuchon
(mitratus), originaire d'Amérique et vivant
sur les arbres a la Guyane, à la Martinique,
au Mexique ; le dessus du corps est d'un brun
fauve, le dessous est blanchâtre; et le ba-
silic h bandes (vidtatus), originaire du Mexi-
que, et portant sur le dos six ou sept bandes
noires.
BASILIC s. m. (ba-zi-lik — du gr basili-
kos, royal). Bot. Genre delà famille des labiées
et do la tribu des ocymoïdées, comprenant
une quarantaine d'espèces exotiques, dont
plusieurs sont cultivées dans nos jardins po-
tagers : Comme le thym, le BASILIC commun
sert de condiment à nos mets. (Thiébaut de
Berncaud.) Le BASILIC est, comme le thym,
presque uniquement consacré à servir de con-
diment et d'aromate. (Richard.) il Basilic sau-
vage. V. CLINOPODK, SERPOLET et THYM.
— Encycl. Le genre basilic présente les ca
ractères suivants : calice à deux lèvres, dont
la supérieure est large et entière, et l'infé-
rieure a quatre dents aiguës ; corolle renver-
sée, à deux lèvres, comme le calice : la-
supérieure quatrilobée, l'inférieure plus lon-
gue et crénelée; quatre étamines, recourbées
vers la partie intérieure de la fleur : deux
d'entre elles sont munies d'un petit appendice
à leur base. Ce genre comprend une quaran-
taine d'espèces, presque toutes originaires de
l'Inde. Ce sont de jolies plantes, tantôt herba-
cées, tantôt ligneuses, et non moins remar-
quables par la beauté de leur feuillage que
par la suavité de leur parfum. Les principales
espèces cultivées dans nos jardins sont : Le
basilic commun (ocymum basiliscum) ; c'est une
plante annuelle, très-aromatique ; à tige droite,
carrée, rameuse etrougeàtre, haute d'environ
0 m. 30 ; à feuilles ovales, d'un vert foncé,
pétiolées, cordiformes, légèrement ciliées et
dentées sur leurs bords; à fleurs blanches ou
purpurines, suivant les variétés. Cette espèce
n'est pas seulement une plante d'agrément,
c'est aussi un végétal utile : on l'emploie dans
les apprêts culinaires aux mêmes usages que le
thym. Dans ce cas, il faut arracher le basilic
j avant la floraison et le réduire en poudre lors-
qu'il est desséché. Les feuilles avec les fleurs
j servent à faire une liqueur, analogue au thé,
que l'on dit être salutaire et assez agréable. On
peut semer le basilic commun depuis le mois de
février jusque vers la mi-juillet, sur couche ou
en pleine terre, suivant la saison et le climat.
Comme le basilic pousse beaucoup de petites
racines, il épuise très-vite l'humidité de la
terre, et il lui faut de fréquents arrosements.
Les replantations doivent avoir lieu, autant
que possible, par un temps humide ou couvert,
et seulement lorsque la tête de la plante com-
mence à se former. Le basilic supporte par-
faitement la taille: on peut conserver très-
longtemps le même pied, en se servant de ce
moyen pour l'empêcher de fleurir. Le petit ba-
silic (ocymum ^ninimum) ; cette espèce est une
des plus jolies; on la cultive dans des pots,
que l'on place ensuite dans les appartements
pour les parfumer; ses feuilles ovales, vertes
ou violettes, suivant les variétés, forment une
petite boule de verdure haute à peine de 0 m. 20;
I ses fleurs sont petites et blanches. Le ba-
silic à grandes fleurs (octjmum filamcntosum
I ou grandiflorum) ; il est originaire de l'Afrique ;
c'est un petit arbuste toujours vert, à fleurs
rares et blanches, à étamines très-longues et
à feuilles ovales. Par une exception remar-
quable, cette espèce n'a pas, comme les au-
tres basilics, une odeur agréable ; on la cul-
tive en serre chaude. Le basilic à odeur
suave {ocymum suat)e); cette plante, d'une
odeur extrêmement agréable, à tige ligneuse,
. haute d'environ 0 m. 45, est originaire de l'A-
byssinie; ses feuilles sont grandes, ovales et
dentées; ses fleurs terminales en épi verti-
cillô, grandes et d'un blanc rosé, sont munies
- de longues étamines violacées. Cette espèce,
I l'une des plus belles du genre, est malheureu-.
sèment difficile à conserver l'hiver dans nos
serres chaudes, où elle exige une assez grande
sécheresse ; on la multiplie de graines ou de
boutures. Le basilic de Ceylan (ocymum gra-
tissimum); c'est une petite plante ligneuse,
exhalant une odeur très-forte, à feuilles blan-
châtres en dessous et vertes par-dessus, à
fleurs blanches et penchées. On désigne sous
le nom de basilic sauvage plusieurs autres
Jtlantes de la famille des labiées, telles que,
es clinopodes, les thyms, etc.

BASILI
CA ou VASILICO, village de la Grèce
moderne, diocèse et à 20 kil. N.-O. de Co-
rinthe, près de l'embouchure de l'Asôpos dans
le golfe de Corinthe. Ce village, ch.-l. du
dême de Sicyone, est bâti sur 1 emplacement
de l'antique cité de ce nom; on y voit encore
une des tours carrées de la citadelle helléni-
que, le théâtre, et le stade, dont les assises
sont de construction cyclopéenne. V. SICYONE.

BASILICAIRE
s. m. (ba-zi-li-kè-re — rad.
basilique). Hist. ecclcs. Officier qui assistait
un prélat officiant.

BASILICATE
province de l'Italie méridio-
nale, sur le golfe de Tarente, entre le pays
d'Otrante, la Terre de Bari, la Capitanate, la
Principauté-Ultérieure et la Calabre; elle a
125 kil. de long sur 85 kil. de large et 517,314
hab. ; ch.-l. Potenza, villes principales Mellî et
Lagonegro; elle est divisée en quatre districts
et arrosée parle Bradano, le Basiento et l'A-
gri, rivières qui descendent des dernières ra-
mifications des Apennins. Climat tempéré;
sol montagneux, boisé, et, quoique mal et peu
cultivé, fertile en maïs, chanvre, légumes et
vins ; soie, coton ; nombreux bétail. La Basi-
licate comprend la moyenne partie de l'an-
cienne Lucanie.

BASILICO
(Cyriaque), poëte italien, né à
Naples au xvue siècle. Il a publié, sous le ti-
tre de / Successi di Eumolpione, une traduc-
tion en vers du Satyricon de Pétrone, et,
sous cetui de // Moretto, la traduction en vers
libres du Aforetum, attribué à Virgile par les
uns et à Cornélius Severus par d'autres. Ces
deux traductions ont paru en un volume
(Naples, 1678).
BASILICO (Jérôme), jurisconsulte et litté-
rateur italien, né à Messine, mort en 1670. Il
habita successivement la Sicile et l'Espagne,
où il se signala non-seulement comme juris-
consulte, mais encore par son goût pour les
belles-lettres et par son érudition. Appelé à
occuper le poste de juge au tribunal suprême
de son île natale, il devint en même temps
- membre des académies de Messine et de Pa-
ïenne. Outre quatre Discours académiques, pu-
bliés de 1654 à 1662, et des Panégyriques du
roi Charles II, du duc de Sermoneta, etc., on
a de lui un ouvrage de droit intitulé : Deci-
siones criminales magnœ reyiœ curiœ regni
Siciliœ (Florence, 1691, in-folio).

BASILICON
s. m. (ba-zi-li-kon — du gr.
basilikos, royal; souverain). Pharm. Nom
commun à plusieurs drogues qui passaient
pour avoir une efficacité souveraine, il Nom
particulier d'un onguent qui passe pour fa-
voriser la formation du pus : J'appliquai un
petit emplastre de BASILICON, depeurquela
plaie ne s'agglutinast. (A. Paré. ) Il On dit
aussi BASILICUM.
— Encycl. L'onguent basilicon passait au-
trefois pour posséder une grande vertu; on le
croyait éminemment propre à favoriser la for-
mation du pus. L'es anciens apothicaires le
vendaient aussi sous le nom de tetrapharma-
con, de deux mots grecs qui signifient quatre
médicaments ou drogues. Il était en effet com-
posé de quatre substances : résine de pin,
poix noire, cire jaune et huile d'olive. Les
pharmaciens modernes l'ont remplacé par d'au-
tres compositions plu3 réellement efficaces.
Basilicon Doron , traité de politique et
de morale, par Jacques Ier, roi d Angleterre.
Le premier des Stuarts qui monta sur le trône
d'Angleterre a laissé des ouvrages plus esti-
més que sa mémoire, et parmi lesquels le Basi-
licon Doron (don ou présent royal) tient le
premier rang. C'est à tort qu'on a dit, à propos
de cet ouvrage, qu'il y a des auteurs dont le
nom fait vivre les livres ; l'œuvre de Jacques 1er
méritait de vivre, car elle présente nombre
de faits intéressants au point de vue histo-
rique, et elle fait voir ce prince sous un jour
nouveau. Le Basilicon Doron est dédié à
Henri, fils aîné de Jacques. Le roi, dans son
épitre au jeune prince, lui parle en ces termes,
empruntés à une vieille traduction française
très-fidèle et très-naïve : - Et afin que cette
instruction soulage votre mémoire, je l'ai di-
visée en trois parties. La première vous dira
votre devoir envers Dieu comme chrétien; la
seconde, votre devoir envers votre peuple
comme roi; et la dernière vous enseignera
comment vous avez à vous porter es choses
communes et ordinaires de notre vie, les-
quelles de soi ne sont ni bonnes ni mauvaises,
sinon en tant que l'on en use bien ou mal, et
qui serviront toutefois à augmenter votre ré-
putation et autorité, si vous en usez bien. »
Le roi s'adresse ensuite au lecteur, auquel il
explique les motifs qui l'ont porté à rendre
public cet ouvrage, primitivement destiné à
son fils et à ses confidents. La première partie
du livre ro3'al, Devoirs d'un roi chrétien envers
Dieu, renferme des maximes à coup sûr ex-
cellentes, mais communes ; on n'y trouve guère
de remarquable que les passages relatifs a
l'athéisme et à la superstition, o deux lèpres»
qu'il condamne également. La seconde partie.
Devoirs d'un roi en sa charge, s:'ouvre par un bel
exorde : c'est la morale du Télémaque ensei-
gnée avec autorité par une bouche royale.
Jacques semble être un prophète, quand il
écrit ses paragraphes sur la mort d'un bon roi
et sur celle d'un tyran, a Et ores qu'il y en ait
(des rois) que la déloyauté des sujets fait
mourir avant le temps (ce qui arrive rarement)
si est-ce que leur réputation vit après eux ; et
la déloyauté de ces traîtres est toujours suivie
de sa punition en leurs corps, biens et renom-
mée; car l'infamie en reste même à leur pos-
térité. Mais, quant au tyran, sa méchante vie
arme et anime enfin ses sujets à devenir ses
bourreaux. Et, bien que la révolte ne soit ja-
mais loisible de leur part, si est-on si las et
rebuté de ses déportements, que sa chute n'est
guère regrettée par la plupart de son peuple,
moins par ses voisins. Et, outre la mémoire
honteuse qu'il laisse au monde après soi, et
les peines éternelles qui l'attendent en l'autre,
il arrive souvent que les auteurs de cet assas-
sinat demeurent impunis, et le fait ratifié par
les lois, approuvé par la postérité. » Ce que
dit un peu plus loin Jacques 1er de la faction
puritaine explique la théorie du droit divin,
qu'il fit si malheureusement soutenir dans la
suite. N'ayant vu que les troubles et les déso-
lations occasionnés par le principe mal appli-
qué de la souveraineté du peuple, il se réfugia
dans le droit divin, ne se trouvant pas assez
en sûreté dans le principe de l'hérédité monar-
chique. Il parle de Mane Stuart, sa tmère, et
montre combien il avait été sensible à sa mort
tragique; il fait aussi une peinture fidèle des
malheurs de l'Ecosse. Ensuite, il discute sur
la noblesse, il en examine les défauts et les
qualités. Le système du roi sur les grandes
charges de l'Etat est d'un esprit judicieux. A
l'égard des classes industrielles, il devance
les idées de son siècle : il veut « que l'on
donne et que l'on publie toute liberté de com-
merce aux étrangers. » Voilà, certes, un pré-
décesseur de Cobden,que peu de gens con-
naissent pour tel. Après avoir recommandé à
son fils la pureté dans le mariage, conseil que
Charles 1er n'eût que gagné à suivre, Jacques
parle avec horreur de certaines dépravations,
ce qui ferait penser que, sur ce point encore, il
a été calomnié. La faiblesse envers des favoris
ne suppose pas nécessairement la corruption :
quand on est livré à des vices honteux, on se
tait plutôt que de faire, avec l'accent de la vé-
rité, l'éloge des vertus contraires : le voile des
paroles couvrirait mal la rougeur du front. La
truisième partie du Basilicon Doron : Des dé-
portements d'un roi es choses communes et
indifférentes, amuse par sa naïvele. Jacques
instruit son fils à être attentif à sa grâce et
façon à table : Henri ne doit être ni friand ni
gourmand; il doit éviter l'ivrognerie, viie qui
croît avec l'âge et ne meurt qu'avec la vie :
suivent des recommandations de toutes sortes
sur les moindres habitudes de la vie.
Quant aux jeux et aux exercices, Jacques
veut que son fils y mette du choix; il recom-
mande la course, le saut, l'escrime, la paume,
et surtout l'équitation. Il pernut également la
chasse, mais la chasse à courre, qu'il trouve
plus noble et plus propre à un prince. Le pas-
sage suivant est certainement le plus remar-
quable de cette troisième partie, et contient
des préceptes sur le bien dire et sur le bien
écrire, qui sont encore vrais de nos jours.
- Quant au langage, mon fils, soyez franc en
votre parler, naïf, net, court et sentencieux,
évitant ces deux extrémités, ou de termes
grossiers et rustiques, ou de mots trop re-
cherchés qui ressentent l'écritoire... Si votre
esprit vous porte à composer ou en vers ou
en prose, c'est chose que je ne veux blâmer.
N'entreprenez point de trop longs ouvrages ;
que cela ne vous divertisse de votre charge.
Pour écrire dignement, il faut élire un sujet
digne de vous, plein de vertu et non de va-
nité, vous rendant toujours clair et intelligible
le plus que vous pourrez. Et si ce sont vers,
souvenez-vous que ce n'est la partie princi-
pale de la poésie de bien rimer et couler dou-
cement avec mots bien propres et bien choisis;
mais plutôt, lorsqu'elle sera tournée en prose ,
d'y faire voir une riche invention des fleurs
poétiques et des comparaisons belles et judi-
cieuses, afin que la prose même retienne le
lustre et la grâce du poème. Je vous aviso
aussi d'écrire en votre langue propre; car il
ne nous reste quasi rien à dire en grec et en
latin, et prou de petits écoliers vous surpas-
seront en ces deux langues. Joint qu'il est
plus séant à un roi d'orner et enrichir sa langue
propre, en laquelle il peut et doit devancer
tous ses sujets, comme pareillement en toutes
autres choses honnêtes et recommandables. »
Ces derniers conseils sont curieux : ce roi au-
teur, qui s'exprimait avec tant d'emphase de-
vant ses parlements, montre ici du goût et de
la mesure. Son ouvrage finit par une grande
vue : Jacques croit que tôt ou tard la réunion
de l'Ecosse et de l'Angleterre nroduira un
puissant empire. Henri, à qui le Basilicon
Doron est adressé, mourut à 1 âge de dix-huit
ans. S'il eût vécu, Charles 1er n'eût pas ré-
gné, les révolutions de 1649 et 16S8 n'auraient
S eut-être pas eu lieu, et le monde changeait
e face.

BASILICULB
s. m. (ba-zi-li-cu-le — dimin.
de basilique). Nom donné anciennement aux
reliquaires qui avaient la forme d'une petite
église.

BASILICUS
SINUS, nom ancien d'un petit
golfe situé sur la côte occidentale de l'Asie
Mineure, et qui séparait la Carie de l'ionie. Il
porte aujourd'hui le nom de baie de Gazicla.
BAS1L1DE, chef d'une des écoles philoso-
phico-religieuses d'Alexandrie, ne en Egypte
selon les uns, en Perse ou en Syrie selon
d'autres, mort vers 130 de notre ère. Instruit
par Ménandre dans la doctrine des gnostiques,
il l'enseigna d'abord à Alexandrie; mais il ne
tarda pas à y introduire en plusieurs points
des modifications importantes et à se former
un système particulier. Trouvant que le chris-
tianisme avait subi de profondes altérations,
il résolut de le ramener à son véritable sens,
et de le compléter au moyen des anciennes
doctrines de la Perse et de l'Egypte. La
philosophie de Platon était extrêmement en
vogue à Alexandrie; la religion chrétienne y
avait été prêchée avec succès, et les sectes
séparées du christianisme y avaient pénétré.
Les philosophes s'occupaient surtout alors de
la question de l'origine du mal; Basilide en
chercha l'explication dans les livres des phi-
losophes, dans les écrits de Simon, dans l'é-
cole de Ménandre, chez les chrétiens même.
Rien ne le satisfit pleinement; il se forma
donc lui-même un système, composé des prin-
cipes de Pythagore, de ceux de Simon, des
dogmes chrétiens et de la croyance des Juifs.
Suivant Basilide, le monde n'avait point été
créé immédiatement par l'Etre suprême; mais
par des intelligences émanées de l'Etre su-
prême. C'était aussi l'opinion de Simon, Mé-
nandre et Saturnin, qui trouvaient dans cette
doctrine un moyen facile d'expliquer l'origine
du monde et celle du mal. Mais il ne suffisait
pas alors d'expliquer comment le mal phy-
sique s'était introduit dans le monde; il fallait
rendre raison des misères et des désordres des
hommes, expliquer l'histoire des malheurs des
Juifs, faire comprendre comment l'Etre su-
prême avait envoyé son Fils sur la terre pour
sauver les hommes. Voici quels étaient les
principes de Basilide sur tous ces points :
Dieu, le Père incréé, a engendré la Raison ;
la Raison a engendré le Verbe ; le Verbe a pro-
duit la Prudence; la Prudence a produit la
Sagesse et la Puissance ; la Sagesse et la
Puissance ont produit les Vertus, les Domina-
tions, les anges.
Les anges sont de différents ordres; le pre-
mier de ces ordres a formé le premier ciel, et
ainsi de suite jusqu'à trois cent soixante-cinq.
Les anges qui occupent le dernier des cieux
ont été préposés à la formation du monde.-
Mais ici Basilide nous montre deux principes
en présence : le principe du bien et le prin-
cipe du mal, et même l'action de ce dernier
est plus efficace dans la création que celle du
bon principe; l'origine du péché est toute
naturelle après cela.
Les anges du dernier ciel se sont partagé
l'empire du monde, et le premier d'entre eux a
eu les Juifs en partage. Mais comme il voulut
soumettre toutes les nations aux Juifs pour
dominer le monde entier, les autres anges se
sont ligués contre lui, et tous les peuples sont
devenus ennemis des Juifs. Comme on le voit,
ces idées étaient conformes à la croyance des
Hébreux, qui étaient persuadés que chaque
nation était protégée par un ange.
Depuis que l'ambition des anges avait armé
les nations, les hommes étaient malheureux.
L'Etre suprême eut pitié de leur sort et réso-
lut d'envoyer son premier fils, l'Intelligence,
Jésus, pour délivrer ceux qui croiraient en lui.
Selon Basilide, le Sauveur avait fait des
miracles; cependant il ne croyait pas que
Jésus-Christ se fût incarné. Pour expliquer
l'état d'humiliation et de souffrance auquel le
Christ avait été réduit pendant sa vie, il pré-
tendit que Jésus n'avait que l'apparence d'un
homme, qu'il avait pris la figure de Siméon le
Cyrénéen, et qu'ainsi les Juifs avaient cru-
cifié Siméon à. la place du Christ. Basilide
croyait encore qu'on ne devait pas souffrir la
mort pour Jésus-Christ, parce que, Jésus-
Christ n'étant pas mort, mais bien Siméon le
Cyrénéen, les martyrs ne mouraient pas pour
Jésus-Christ, mais pour ce dernier. Il ad-
mettait que l'union de l'âme avec le corps
était un état d'expiation, et que l'âme se puri-
fiait de ses fautes en passant successivement
de corps en corps jusqu'à ce qu'elle eût satis-
fait à la justice divine : voilà bien la métemp-
sycose.
Pour se rendre compte des combats de la
raison et des passions, Basilide, comme les
pythagoriciens, croyait que nous avons deux
aines": une âme proprement dite et une ani-
male. Quant à sa morale, elle peut se résumer
ainsi : Aimer tout comme Dieu, ne rien haïr
ni ne rien désirer; telle est la règle du sage.
Fort attaché aux rêveries de la cabale, Ba-
silide attribuait une grande vertu au mot
abraxas, dont les lettres, selon la numération
grecque, exprimaient le nombre 365. Pytha-
gore, dont Basilide suivait les principes, re-
connaissait l'existence d'un Etre suprême qui
avait formé le monde. Ce philosophe, voulant
connMtre le but de Dieu dans la formation du
monde, étudia et observa attentivement la
nature, pour en découvrir les lois et pour saisir
le fil qui lie entre eux les événements. Ses pre-
miers regards se portèrent vers le ciel, où les
desseins de l'auteur de la nature semblent se
manifester plus clairement. Il y découvrit un
ordre admirable et une harmonie constante ;
51 jugea que cet ordre et cette harmonie étaient
BAS
les rapports qu'on apercevait entre les dis-
tances des corps célestes et leurs mouvements
réciproques. La distance et les mouvements
sont des grandeurs; ces grandeurs ont des
parties, et les plus grandes ne sont que les
plus petites multipliées un certain nombre
de fois.
Ainsi, les distances et les mouvements des
corps célestes s'exprimant par des nombres,
et 1 intelligence suprême, avant la production
du monde, ne les connaissant que par des
nombres purement intelligibles, c'est donc,
selon Pythagore, sur le rapport que l'intelli-
gence suprême apercevait entre les nombres
intelligibles qu'elle avait formé et exécuté le
plan du monde.
Le rapport des nombres entre eux n'est
point arbitraire. Le rapport d'égalité entre
2 fois 2 et 4 est un rapport nécessaire, indé-
pendant, immuable. Puisque l'ordre des pro-
ductions de l'intelligence dépend du rapport
qui est entre les nombres, il y a des nombres
qui ont un rapport essentiel avec l'ordre et
l'harmonie, et l'intelligence suprême suit dans
son action les rapports de ces nombres, et ne
peut s'en écarter.
La connaissance de ce rapport, ou ce rap-
port lui-même, est donc la loi qui dirige l'in-
telligence suprême dans ses productions, et
comme ces rapports s'expriment eux-mêmes
par des nombres, on suppose dans les nom-
bres une puissance capable de déterminer l'in-
telligence suprême à produire certains effets
plutôt que d'autres.
D'après ces idées, on se demanda quels
nombres plaisaient le plus à l'Etre suprême.
On vit qu'il y avait un soleil, on jugea que
l'unité était agréable à la divinité; on vit sept
planètes, on conclut que le nombre 7 était
agréable à l'intelligence suprême.
Telle était la philosophie pythagoricienne,
répandue dans l'Orient pendant le icr siècle
et le IIème siècle du christianisme, et qui dura
longtemps après.
Basilide, grand partisan de Pythagore, cher-
cha, comme les autres, les nombres qui plai-
saient le plus à l'Etre suprême; il remarqua
que l'année renfermait trois cent soixante-
cinq jours, et en déduisit que le nombre 365
était le nombre le plus agréable à l'intelli-
gence créatrice.
Pythagore avait enseigné que l'intelligence
créatrice du monde résidait dans le soleil ;
Basilide conclut que rien n'était plus propre à
attirer les influences bienfaisantes de cette
intelligence que l'expression du nombre 365,
et comme les nombres s'exprimaient par les
lettres de l'alphabet, il y choisit les lettres
dont la suite pourrait donner 365, et cette
suite de lettres forma, comme nous l'avons déjà
dit, le mot abraxas. On fit graver ce nom sur
des pierres qu'on nomma des-abraxas, et on y
joignit, le plus souvent, l'image du soleil, pour
expliquer la vertu qu'on attribuait à ce talis-
man. On cite un abraxas qui représente un
homme monté sur un taureau, avec cette in-
scription : « Remettez la matrice de cette
femme en son lieu, vous qui réglez le cours
du soleil. »
Basilide avait composé vingt-quatre livres
sur les Evangiles, ainsi qu'un Evangile où il
exposait ses doctrines, et qui portait son nom ;
enfin, des prophéties qu'il attribuait à un per-
sonnage fictif, nommé Barcoph. 11 ne reste de
ses écrits que quelques fragments des vingt-
quatre livres, publiés dans le Spicilegium de
Crabe. Il enseignait sa doctrine par une initia-
tion progressive, et en établissant des classes
d'initiés plus nombreuses que celles des autres
écoles gnostiques. Le plus remarquable de ses
disciples fut son fils Isidore, qui sépara de
plus en plus sa doctrine des idées chrétiennes.
BAS1L1DES, peuplade de la Sarmatie,euro-
péenne, formant la principale tribu des Iaziges
et habitant la contrée qui avoisine les cata-
ractes du Borysthène (Dnieper).

BASILIDIA
nom ancien d'une des îles Vul-
caniennes, près de la côte de Sicile; c'est
aujourd'hui l'île BASILUZZO.

BASILIDIEN
ENNE adj. (ba-zi-li-di-ain,
è-ne — rad. Basilide). Qui appartient à la
secte gnostique de Basilide, qui est l'ouvrage
de cette secte : Ouvrage BASIUDIEN.
— Antiq. Pierres basilidiennes, Pierres sur
lesquelles les gnostiques basilidiens gravaient
les symboles de leurs doctrines : Les PIERRES

BASILIDIENNES
considérées en elles-mêmes, sont
fort imparfaitement connues. (Maury.) On a
souvent mal à propos confondu des. MONUMENTS

BASILIDIENS
avec des pierres gui appartiennent
à d'autres doctrines. (Maury.) n On les appelle
aussi ABRAXAS.
— s. m. Gnostique de la secte de Basilide.
BAS1LIDION s. m. (ba-zi-li-di-on). Pharm.
Onguent contre la gale.

BASILIEN
IENNE adj. (ba-zi-li-ain.i-è-ne
— de saint Basile). Hist écoles. Relatif à l'ordre
de saint Basile :La plupart des religieux grecs
SOnt BASILIENS.
— Substantiv. Religieux ou religieuse de
l'ordre de Saint-Basile.
BASILIEN, gouverneur romain de la pro-
vince d'Egypte, au me siècle. Il se trouvait
dans son gouvernement, lorsque l'empereur
Caracalla tut tué par Macrin, préfet du pré-
toire, en 217. Appelé par ce dernier, devenu
empereur, à le remplacer dans la charge de
BAS
préfet, il allait partir, quand des messagers
apportèrent la nouvelle de la révolution qui
venait de porter Héliogabale à l'empire (218).
Il les fit mettre à mort, comme porteurs d'une
fausse nouvelle; mais le fait s'étant trouvé
vrai, Basilien dut se réfugier en Italie. Trahi
par un ami, il fut conduit devant le nouvel
empereur, et condamné par ce dernier à la
peine capitale (21S).
BASIL1NDE s. f. (ba-zi-lain-de). Antiq. gr.
Sorte de jeu qui, chez les Grecs, consistait à
tirer au sort un roi du festin, et dont notre
roi de la fève paraît être un souvenir.
BÀS1LÏNE, deuxième femme de Jules Cons-
tance, mère de l'empereur Julien, morte en
331. D'abord convertie au christianisme, elle
protégea l'Eglise d'Ephèse; mais ayant em-
brassé l'hérésie d'Anus, elle . persécuta les
chrétiens orthodoxes et fit exiler saint Eu-
trope, évêque d'Andrinople.

BASILINNE
s. f. (ba-zi-li-ne — du gr. basi-
Hnna, reine). Ornith. Genre d'oiseaux-mou-
ches, appelés aussi ÉMERAUDES. Syn. de po-
lyhne.

BASIUPPO
ou BASILIPPUM, ville de l'an-
cienne Espagne, dans la Bétique, près d'Ilis-
palis (actuellement Séville).

BASILIO
DA GAMA (José), poète brésilien,
né en 1740, mort vers 1795. Son œuvre la plus
remarquable est un poème épique, l'Uruguay,
sur les guerres des Portugais contre les indi-
gènes du Paraguay soulevés par les jésuites
(1756). .

BASILIQUE
s. f. (ba-zi-li-ke — du gr. basi-
likos, royal). Antiq. gr. Palais du roi.
— Antiq. rom. Edifice où l'on rendait la
justice et qui servait aux mêmes usages que
les bourses do nos jours : Dans les BASILIQUES
des Romains se réunissaient des marchands et
des juges; elles furent converties en églises par
les chrétiens. (Vitet.) La forme des BASILIQUES
était celle d'un carré oblong, avec un portigue
à chaque extrémité. (Millin.)
— Aujourd'hui, très-grande église, église
principale : Ils allèrent voir les ouvriers occu-
pés à bâtir l'immense BASILIQUE consacrée à
saint Pierre. (Balz.) Hélène avait fait enfer-
mer le sépulcre de Jésus-Christ dans une BASI-
LIQUE circulaire de marbre. (Chàteaub.) La
BASILIQUE de Saint-Paul existe encore aujour-
d'hui, telle que la firent construire Constantin
et Théodose. (Millin.) D'une BASILIQUE bysan-
Une descend une procession de prêtres, ayant en
tête le pape porté sur sa chaise pontificale,
(Th. Gaut.)
Aux vitraux diaprés des sombres basiliques, Les flammes du couchant s'éteignent tour a tour.
TH. GAUTIER.
— Adjectiv. : L'église BASILIQUE de Notre-
Dame de l'Assomption de Tolède. (Th. Gaut.)
— Eacycl. I- — BASILIQUES GRECQUES ET RO-
MAINES. Le mot basilique est d'origine grec-
que; il est dérivé de basileus (paai'Xeuç), qui
veut dire roi, et Vitruve nous apprend qu'on
s'en servit pour désigner de grandes salles qui
faisaient partie du palais des rois, et où ceux-ci
rendaient la justice. L'usage des basiliques fut
commun aux Grecs et aux Romains, et le nom
donné à ces édifices fut conservé lors même
qu'il n'y eut plus de rois qui rendissent la jus-
tice. Vitruve n'indique pas les différences de
construction qui pouvaient exister entre les
basiliques grecques et les basiliques romaines;
quelques auteurs ont cru, pouvoir inférer de
son récit qu'il n'y en avait aucune, mais cette
hypothèse est fort discutable. 11 est certain
qu à Athènes, les lieux couverts où siégeaient
certains tribunaux n'avaient rien de commun
avec les édifices dont parle l'écrivain latin : le
tribunal des archontes, par exemple, tenait ses
audiences dans un portique qui avait reçu le nom
de portique royal (paoïXixij à Pœstum les ruines d'un monument dans le-
quel des archéologues très-compétents, M. Qua-
tremère de Quincy entre autres, ont cru voir
un exemple des basiliques grecques. Ce mo- -
nument, deux fois plus long que large, comme
les grandes basiliques romaines, a neuf co-
lonnes sur chacune de ses faces, et dix-huit
dans chaque aile, en y comprenant les colonnes
des angles. Tout indique que l'édifice n'avait
point d'entrée principale, mais qu'il était ou-
vert de toutes parts. A la rencontre de la co-
lonne qui occupe le milieu du frontispice, s'a-
ligne une rangée de colonnes qui partage
l'enceinte en deux parties égales, et qui sou-
tenait vraisemblablement un toit en terrasse.
Le sol est plus élevé autour de cette colon-
nade centrale, et a dû être pavé avec quelque
recherche, comme le prouvent les mosaïques
qu'on y a découvertes. Cette espèce d'estrade
était probablement réservée aux principaux
citoyens, ou peut-être aux magistrats. Rien
dans cet édifice n'a révélé l'existence de murs
intérieurs ou de cella, ce qui le distingue par-
ticulièrement des temples. Ceux qui se refu-
sent à y voir une basilique s'appuient sur ce
que sa disposition n'est pas d'accord avec les
règles assignées par Vitruve aux construc-
tions de ce genre-, mais ces règles n'avaient
rien d'absolu, puisque Vitruve s'en est écarté
lui-même dans la basilique qu'il construisit
à Fano.Les voici telles qu'il nous les a trans-
mises ; - Les basiliques adjacentes au forum
doivent être établies dans l'exposition la plus
chaude, afin que les négociants qui les fré-
quentent pendant l'hiver y soient à l'abri des
intempéries de la saison. L'édifice ne doit pas
BAS 309
avoir en largeur moins de la troisième partie
de sa longueur, ni plus de la moitié, à moins
que le lieu ne permette point d'y observer ces
dimensions. Si l'emplacement a plus de lon-
gueur, on pratique aux extrémités des chalci-
diques (V. ce mot). Les colonnes ont en hauteur
la largeur des portiques latéraux (bas côtés), et
ceux-ci ont en largeur le tiers de l'espace du
milieu (grande nef). Les colonnes du second
ordre doivent être plus petites que celles d'en
bas, par la raison naturelle qui veut que les
objets diminuent de volume en raison de leur
élévation. Le second ordre sera posé sur un
piédestal continu formant un appui (pluteus) ou
balustrade assez élevée pour que les personnes
placées dans les galeries supérieures ne soient
pas vues par les marchands qui sont en bas.
Quant aux architraves, aux frises et aux cor-
niches, elles auront les proportions qu'on leur
donne dans les autres édifices. » On va voir,
par la description suivante que Vitruve nous
a laissée de la basilique de Fano, combien
l'ordonnance de cet édifice s'éloignait des
règles que nous venons de rapporter : « La
voûte du milieu a 40 mètres de long sur 20 de
large. Les portiques latéraux ont 7 mètres de
large. Les colonnes avec leurs chapiteaux
mesurent 17 mètres de haut sur 2 de diamètre.
Elles ont derrière elles des pilastres de 7 mè-
tres de haut, larges de î mètre et épais do
0 m. 49, pour soutenir les poutres qui portent
les planchers des portiques. Sur ces pilastres
il y en a d'autres, hauts de 6 mètres, larges
de 0 m. 66 et épais de 0 m. 33, destinés à sou-
tenir les poutres qui portent le toit des se-
conds portiques. Ce toit est un peu plus bas
que la grande voûte. Les vides qui restent
entre les poutres posées sur les pilastres et
celles qui sont sur les colonnes, laissent passer
le jour dans les entre-colonnements. Sur cha-
que côté, dans la largeur de la grande voûte,
il y a quatre colonnes, y compris celles des
angles. Huit, en comptant aussi les angulaires,
occupent la longueur du côté contigu au fo-
rum ; mais l'autre côté n'en a que six, les
deux du milieu ont été supprimées pour ne
point masquer la vue du sanctuaire d'Auguste,
dont le pronaos, regarde le centre du forum et
le temple de-Jupiter. Dans le sanctuaire d'Au-
guste se trouve le tribunal disposé en hémi-
cycle; le demi-cercle toutefois n'est pas com-
plet, n'ayant que 5 mètres de profondeur sur
14 de front. Le tribunal a été placé dans cet
endroit, pour que les négociants qui ont affaire
dans la basilique n'incommodent point les plai-
deurs qui sont devant les juges Le toit,
formé d'une charpente qui repose sur les co-
lonnes, a quelque chose d'agréable à cause de
sa double disposition, savoir : celle du dehors,
qui est en pente, et celle du dedans, qui est en
berceau (testudo). On épargne beaucoup de
peine et de dépense en suivant cette manière
de construire les basiliques. On supprime les
ornements qui sont au-dessus des architraves,
les appuis du second ordre de colonnes, et
même ce rang de colonnes pour les galeries
supérieures. L'unité d'ordre et la grandeur
qui résulte de cette ordonnance ne font que
donner à l'édifice un plus grand air de ma-
jesté et de magnificence. »
Les deux basiliques qui ont été découvertes
à Pompéi et à Herculanuin s'écartent, plus
encore que celle de Fano, des règles tracées
par Vitruve. Comme elles présentent à peu
près les mêmes dispositions, nous nous borne-
rons à décrire celle de Pompéi. Sa surface ne
forme pas un rectangle parfait : elle a 66 m. 60
au nord et 07 m. 08 au midi. La largeur est de
27 m. 35. L'édifice était isolé de trois côtés par
des rues plus ou moins larges. La façade, tour-
née à l'orient, se raccordait avec l'alignement
du forum, à l'aide d'un vestibule (p7*onaos) de
profondeur inégale h ses deux extrémités, qui
ont, l'une 5 m. 15,etl'autre4m. 55. On pénétrait
dans ce vestibule par cinq portes qui, pour se
fermer, passaient dans des rainures entaillées
dans les pilastres de sépuration, et qui res-
semblaient assez bien aux herses du moyen
âge. Deux piédestaux, adossés aux pilastres
du milieu, et les restes d'une statue en bronze
doré trouvés dans ce lieu, annoncent que cette
entrée était richement décorée. La basilique
avait en outre deux petites portes latérales,
Sercées au milieu des grands côtés. Quatre
egrés régnent dans toute la largeur du ves-
tibule; le plus élevé est partagé par quatre
colonnes, dont deux sont engagées dans des
piliers rectangulaires. Cinq baies, correspon-
dant aux cinq portes de la façade, s'ouvrent
entre ces colonnes et donnent accès à l'inté-
rieur de la basilique, qui est divisé en trois
nefs par deux rangées de colonnes. Dans l'état
actuel de l'édifice, il est assez difficile de se
faire une idée exacte de la hauteur qu'ont eue
les murailles. M. Breton (Pompeia et Hercula-
num,p. 117) croit que la nef centrale n'a jamais
été couverte et qu'on doit y voir une espèce
à'area ou d'impluvium, comme en avaient les
atriums romains. Il est a- remarquer que le
sol de cette nef, autrefois dallé en marbre, est
plus bas que celui des nefs adjacentes, et on
y a trouvé des fragments de chéneaux et
d'antéfixes qui, selon M. Breton, ne peuvent
avoir appartenu qu'à, l'entablement du porti-
que, du côté de Yarea. Les colonnes sont au
nombre de vingt-huit, et mesurent 11 m. de
haut, tandis que li'S portiques latéraux n'ont
que 5 m. 85 de large; ce qui est tout à fait en
désaccord avec les prescriptions de Vitruve;
mais il est probable qu'ici, comme dans la ba-
silique de Fano, il n'y avait pas de second
ordre. Des colonnes d ordre corinthien, hautes
310
de 6 m. 90 seulement, sont engagées dans les
murailles des portiques latéraux -, il est pro-
bable, comme Va cru M. Breton, qu'au-dessus
de ces colonnes engagées et de leur corniche,
dut régner une sorte d attique avec des pilas-
tres atteignant la hauteur de l'architrave des
grandes colonnes et soutenant avec celles-ci
la charpente du toit : disposition qui paraît
avoir été employée par Vitruve dans la con-
struction de la basilique de Fano. Les grandes
colonnes, formées d'un noyau de briques re-
couvert de stuc, sont d'ordre ionique -, leurs
chapiteaux, en tuf volcanique, offrent beau-
coup d'analogie avec ceux du temple de Vesta,
dont on fait remonter la construction au pre-
mier siècle avant notre ère. Le nu des mu-
railles est décoré de refends peints à l'imita-
tion de marbres de différentes couleurs ; le
soubassement est formé de deux larges bandes,
l'une rouge, l'autre noire, bordées de filets
jaunes, rouges, verts et blancs. Des débris de
statues, d'hermès, de vases, annoncent que la
sculpture jouait aussi un grand rôle dans
l'ornementation. Au fond de l'édifice est une
tribune qui, au lieu de s'arrondir en hémi-
cycle, forme une espèce de grand stylobate
rectangulaire, élevé de 2 mètres au-dessus du
sol du portique, orné de demi-colonnes et pré-
sentant à sa façade six petites colonnes d or-
dre corinthien. On pense que cette estrade -
servait de tribunal au duumvir chargé de
rendre la justice : la chaise curule de ce ma-
gistrat se plaçait dans l'entre-colonnement du
milieu, qui est plus large que les autres. Ce
qui semble justifier l'hypothèse qu'il s'agit
bien ici du lieu consacré à l'exercice de la
justice , c'est qu'au-dessous de l'estrade est
pratiqué un véritable cachot, qui prend jour
extérieurement par deux soupiraux garnis de
barreaux de fer, et dans lequel on descend de
l'intérieur par deux escaliers placés de chaque
côté de la tribune.
Ainsi que nous l'avons dit , la basilique
d'Herculanum présente des dispositions à peu
près identiques à celles que nous venons de dé-
crire. C'est dans son vestibule qu'ont été trou-
vées les belles statues équestres des Balbus (v.
ce nom), qui sont aujourd'hui au musée de Na-
ples. Son area est entourée de quarante-deux
colonnes. Les portiques latéraux se terminent
par deux vastes niches ou absides, que déco-
raient des peintures représentant Hercule et
Télèphe et Thésée vainqueur du Minotaure ;
en avant de ces niches étaient des piédestaux
Sortant les statues d'Auguste et de Claudius
irusus. Le stylobate rectangulaire qui servait
de tribunal était orné d'une statue de Vespa-
sien, entre deux figures assises qui ont été
brisées.
Ce serait une erreur de croire qu'il n'y eut
jamais que trois nefs dans les basiliques ro-
maines. Sans doute il en était ainsi, en gé-
néral ; mais on connaît des exemples de basi-
liques ayant quatre rangs de colonnes, et par
conséquent trois nefs. Telle était la basilique
de Trajan. La basilique Emilienne, dont les
dispositions nous sont en partie connues par
le plan antique de Rome, conservé au Capi-
tole, avait aussi quatre rangées de,colonnes;
mais comme on ne voit sur ce plan aucune-
indication de murs extérieurs, il serait pos-
sible que les portiques eussent été ouverts
de toutes parts, de même que dans le monu-
ment de Pœstum; et, dans ce cas, il n'y au-
rait eu réellement que trois grandes allées
dans cette basilique. Ces allées, bordées de
colonnes, aboutissaient à un vaste hémicycle
où siégeaient sans doute les juges; le mot
LIBERTATIS est écrit sur le plan, au-devant
de cette enceinte, qu'une triple rangée de co-
lonnes sépare de la nef ou area centrale.
Publius Victor dit qu'il y avait, de son temps,
dix-neuf basiliques a Rome. Ce nombre ne
doit pas étonner, car on sait qu'à chaque forum
fut adjoint une basilique, ou les magistrats
donnaient leurs audiences pendant la mau-
vaise saison. Pline le Jeune nous apprend de
quelle manière les juges et les assistants
étaient placés dans ces vastes édifices. Les
juges, dont le nombre s'élevait parfois à cent
quatre-vingts, se partageaient en quatre com-
pagnies ou tribunaux ; autour d'eux se pla-
çaient les jurisconsultes et les avocats, dont
le nombre était considérable. Les portiques
et les galeries supérieures étaient remplis
d'hommes et de femmes, qui, trop éloignés
our entendre les jugements, se contentaient
e jouir du coup d œil.
Les basiliques n'étaient pas seulement af-
fectées à l'exercice de la justice : chez les Ro-
mains, elles tenaient lieu des édifices aux-
quels les modernes donnent le nom de bourses ;
les commerçants s'y réunissaient pour con-
clure des marchés et causer d'affaires. C'est
ce qui explique pourquoi elles étaient presque
toujours bâties à côté d'un forum.
Les basiliques romaines dont il est le plus
souvent fait mention dans les auteurs sont :
l» la basilique Porcia, construite l'an 566 de
Rome (187 av. J.-C), par les consuls L. Por-
cius et P. Claudius ; elle touchait à la Curie, et
souffrit beaucoup de l'incendie qui consuma ce
dernier monument lorsqu'on brûla le corps de
Clodius sur le forum ; cette basilique dut être
1 une des premières que bâtirent les Romains,
car, si nous en croyons Tite-Live, ils n'adop-
tèrent l'usage de ce genre d'édifices qu'après
la première guerre de Macédoine, c'est-à-dire
environ 200 ans av. J.-C; 2° la basilique
Fulvia, élevée par le censeur Fulvius , en
Van 573 de Rome (180 ans av. J.-C); 3<> la
basilique Sempronia, bâtie par le tribun
T. Sempronius (no ans av. J.-C), sur l'em-
placement de la maison de Scipion l'Africain,
à l'occident du forum, dans un quartier habité
par les ouvriers et les négociants en laine ;
on y jugeait principalement les causos 'rela-
tives à ce genre de commerce; 40 la basilique
JEmilia, construite sur le forum par lo consul
^Emilius Paulus (33 ans av. J.-C); elle était
magnifique et avait coûté 1,500 talents, en-
voyés des Gaules par César; 50 la basilique
Juïia, commencée sous Jules César et achevée
sous Auguste ; elle s'élevait sur le forum en
face de la basilique JEmilia; c'était là que les
centumvirs avaient leur tribunal; 6° la basi-
lique de Caïus et de Lucius, bâtie en l'honneur
de ces deux princes par Auguste, leur père
adoptif ; quelques archéologues ont prétendu
reconnaître cet édifice dans les ruines d'un
bâtiment rond et voûté, qui sont placées entre
l'église de Sainte - Bibiane et les murs de
Rome, mais cette opinion a été combattue
par d'autres savants ; 7« la basilique Ulpia ou
de Trajan, élevée par ce prince sur le forum
auquel il avait donné son nom; Marciana,
sœur de Trajan, et Matidia, fille de Marciana,
élevèrent aussi des basiliques, dans la neu-
vième région de Rome; 8° \& basilique Alexan-
drina, bâtie par Alexandre Sévère près du
Champ de Mars ; elle avait 333 mètres de long,
33 mètres de large, et était portée entièrement
sur des colonnes ; 9° la basilique Antonina, con-
struite par Antonin le Pieux dans la neuvième
région; 10° la basilique Constantiniana, con-
struite par Constantin dans la quatrième ré-
gion; no la basilique Opimia, située un peu
plus haut que le Comitîum ; les centumvirs y
jugeaient les causes de peu d'importance ;
12° la basilique Sicinia, bâtie dans le quartier
des Esquilies; on croit qu'elle était destinée
aux juges des causes relatives aux affaires
.de boucherie, car elle était voisine d'un mar-
ché (macellum) où se traitaient les affaires de
ce genre. Les riches particuliers élevaie'nt
parfois des basiliques ; Vitruve dit, en parlant
des palais destinés aux personnages impor-
tants : « Il doit s'y trouver des bibliothèques
et des basiliques, qui aient la magnificence
qu'on voitjaux édifices publics, parce que, dans
ces maisons, il se fait des assemblées pour les
affaires de 1 Etat et pour les jugements et ar-
bitrages par lesquels se terminent les diffé-
rends des particuliers. » Les Gordiens, dans
leur magnifique villa bâtie sur la voie Praenes-
tine, avaient trois basiliques de 33 mètres de
long. Le sénateur Lateranus, contemporain de
Néron, fit construire une basilique qui, trans-
formée plus tard en église par Constantin,
devint la primitive basilique de Saint-Jean de
Latran.
IL — BASILIQUES CHRÉTIENNES. Dans les in-
tervalles de paix, quelquefois assez longs, dont
ils jouirent pendant les trois premiers siècles,
les chrétiens se réunissaient, pour la célébra-
tion des mystères, tantôt dans des oratoires
domestiques, qui n'étaient autres que les cé-
nacles des habitations privées, tantôt dans des
temples élevés par eux en l'honneur du vrai
Dieu et désignés sous le nom d'église (eccle-
sia) ou de dominicain ; en grec, xupiaxov (maison
du Seigneur). Ces temples, très-peu nombreux
et très-modestes dans le principe, commencè-
rent à se multiplier sous le règne d'Alexandre
Sévère (222 à 235) : Lampride nous apprend
3ue, dans une contestation survenue entre
es chrétiens et des cabaretiers au sujet d'un
emplacement où les premiers voulaient bâtir
une église, ce prince prononça cette sentence :
« Il vaut mieux que la divinité soit adorée en
ce lieu d'une manière quelconque, que de voir
des marchands de vin en prendre possession.»
Moins de trente ans après ce jugement, Gai-
lien rendit aux évoques plusieurs églises qui
avaient été envahies par les païens ; dans la
seule ville de Rome, elles étaient au nombre
de quarante. Puis vint Dioctétien, qui ordonna
de les démolir. Nous n'avons aucune donnée
sur la forme et les distributions intérieures de
ces églises primitives. Plusieurs savants, Bot-
tari, Séroux d'Agincourt, Raoul-Rochette, le
P. Marchi, l'abbé Martigny, présument que
ces édifices durent être modelés sur les
chapelles établies dans les catacombes aux
époques de persécution, et dont les disposi-
tions avaient été basées sur les convenances
essentielles du culte chrétien. Les plus grandes
de ces chapelles, pouvant recevoir soixante à
quatre-vingts fidèles, sont de forme allongée;
elles comprennent quelquefois deux salles
placées à la suite l'une de l'autre, et où, sui-
vant le P. Marchi, les sexes étaient séparés
comme ils le furent plus tard dans les basili-
ques. La décoration est, en général, fort sim-
ple : des figures symboliques peintes sur stuc,
des pilastres, des colonnes et d'autres orne-
ments sculptés dans la roche môme. Le long
des parois latérales sont disposés des tom-
beaux sur quatre à cinq rangs, suivant l'élé-
vation de la crypte. Un sarcophage, contenait
les restes d'un saint martyr, sert ordinairement
d'autel ; il occupe le fond de l'abside, à moins
que cette place ne soit occupée par la chaire
du pontife (cathedra). Des chapelles, disposées
à peu près comme celles que nous venons de
décrire, mais plus régulières dans leursformes,
furent construites à l'entrée des catacombes,
dès que le danger des persécutions fut passé.
M. le chevalier de Rossi et le P. Marchi ont
cru reconnaître, il y a quelques années, quel-
ques édifices de ce genre, que l'on peut re-
garder, suivant l'expression de M. l'abbé Mar-
tiony> a comme l'anneau qui relie immédiate-
ment l'architecture en plein air à l'architecture
souterraine. » Ces édifices, de forme quadri-
latérale, sont munis, sur trois de leurs faces ,
d'absides destinées à recevoir les sarcophages
qui servaient d'autels.
Malgré toutes les raisons qu'on a fait valoir
(nous venons d'en exposer quelques-unes)
pour prouver que l'architecture chrétienne
prit naissance dans les catacombes, et con-
serva pendant longtemps les formes qu'elle y
avait reçues, il nous parait impossible d'ad-
mettre que les grandes basiliques, élevées en
plein air du temps de Constantin et de ses
successeurs, aient été construites sur le mo-
dèle des cryptes et des petites chapelles dont
nous avons parlé. La vérité est, comme beau-
coup de savants l'ont remarqué, qu'elles repro-
duisent d'une façon frappante la plupart des
dispositions qu'avaient, chez les Romains, les
édifices où l'on rendait la justice. On s'explique
facilement, d'ailleurs, que les premiers chré-
tiens aient choisi, pour modèles de leurs églises,
les basiliques plutôt que les temples : ils avaient
naturellement horreur de tout ce qui rappelait
le culte des faux dieux, tandis que l'idée de tri-
bunal convenait à merveille à ces églises, où les
évêques, dispensateurs des sacrements, exer-
çaient une sorte de juridiction spirituelle. Il est
à remarquer aussi que les temples païens,
destinés, pour la plupart, à contenir seulement
les prêtres qui les desservaient, n'offraient pas
une capacité suffisante pour renfermer l'assem-
blée nombreuse des fidèles, appelés à assistera
la célébration des mystères chrétiens. «Aucun
autre édifice que la basilique, dit Mongez, ne
pouvait s'approprier aux rites de la nouvelle
religion; aucun autre ne présentait à la fois
une plus grande analogie dans l'idée, une plus
vaste étendue pour le local, une décoration
plus magnifique dans l'intérieur. On en imita
donc la forme, et soit que l'on ne crût pas
devoir changer le nom qu'une nouvelle accep-
tion avait encore rendu plus conforme au vrai
sens de son ètymologie, soit que la ressem-
blance absolue dans la forme eût rendu im-
possible le changement d'un nom qu'un long
usage avait consacré, on donna cette déno-
mination aux églises qu'on bâtit dans la suite.»
L'abbé Martigny pense que les églises ne re-
çurent le nom de basiliques qu'à partir de
l'époque où Constantin, converti au christia-
nisme, concéda aux évêques plusieurs basili-
ques profanes pour y exercer le culte, et bâtit
des églises sur le même plan. « Il est sûr du
moins que, depuis lors, tous les écrivains ec-
clésiastiques adoptèrent cette dénomination,
notamment saint Ambroise, saint Jérôme, saint
Augustin. Cependant, ce ne fut que graduelle-
ment que les chrétiens s'accoutumèrent à s'en
servir ; et nous voyons encore, en 333, le pè-
lerin qui a écrit VItinéraire de Bordeaux à Jé-
rusalem se croire obligé d'expliquer par le
mot dominicum le nom de basilique qu'il donne
à l'église du Saint-Sépulcre : ce qui suppose
que le premier, était encore à cette époque le
plus usité. »
Les archéologues ont beaucoup disserté,
sans se mettre complètement d'accord, sur la
forme et sur les dispositions des basiliques
chrétiennes. Ces édifices ont dû nécessairement
varier dans quelques-unes de leurs parties,
suivant l'importance de la ville où ils ont été
élevés, les ressources et la munificence des
fondateurs, le style d'architecture particulier
aux divers pays de la cKrétienté. Il n'est pas
douteux, par exemple, que les basiliques con-
struites en Orient différaient, dans plusieurs
de leurs divisions, des basiliques de Rome.
Dans la description que nous allons donner
de ce genre d'édifices, nous tâcherons de ré-
unir autant que possible les caractères com-
muns aux églises grecques et aux églises la-
tines.
Diso'ns d'abord un mot de 1'orienta.tion : Les
premiers constructeurs chrétiens suivirent
généralement l'usage qui avait prévalu dans
les derniers temps du paganisme, et qui con-
sistait à tourner le sanctuaire vers l'occident.
C'est ainsi'que furent construites l'église que
Constantin fit élever k Antioche en l'honneur
de la Vierge, la basilique de Tyr, bâtie vers
l'an 313, et la plupart des basiliques primitives
de Rome : Saint-Clément, Saints-Jean-et-Paul,
les Quatre-Saints-couronnés, Sainte-Marte-
Majeure, Sainte-Praxède, Sainte-Cécile, la
partie la plus ancienne de Saint-Laurent hors
les murs, etc. Plus tard, les Constitutions apo-
stoliques décidèrent que le sanctuaire serait
dirigé vers l'orient. Cette règle fut adoptée aussi
bien chez les Grecs que chez les Latins, mais
il ne paraît pas qu'elle ait été obligatoire, car
il existe encore beaucoup d'églises du moyen
âge où elle n'a pas été observée. V. ORIEN-
TATION.
Eusèbe nous apprend (Vita Const.,lib. IV, c.
LVIII, etpassim) que quelques-unes des grandes
basiliques de 1 Orient étaient entourées d'une
cour sacrée ou area (v. ce mot), décorée de
galeries sur ses quatre faces. Les Occiden-
taux se bornèrent à établir parfois devant
leurs églises un atrium (v. ce mot), destiné à
empêcher le bruit de la rue de pénétrer dans
le sanctuaire. D'anciens atria se voient à
Rome devant les basiliques de Saint-Laurent
hors les murs, de Sainte-Agnès, de Sainte-
Praxède, de Sainte-Cécile ; ce sont des cours
enceintes de murailles peu élevées. L'atrium
qui précède l'église de Saint-Clément est dé-
coré avec luxe. On y entre par un porche
[prolhyrum), dont la voûte d'arête est soute-
nue par quatre colonnes de granit, dont les
deux premières sont d'ordre ionique et les
deux autres d'ordre corinthien. Entre les deux
chapiteaux antérieurs subsiste encore une
barre de fer qui porte des anneaux auxquels
un voile était autrefois suspendu. L'atrium,
de forme rectangulaire , est entouré d'élé-
gants portiques, dont deux sont perpendicu-
laires a la façade et les deux autres paral-
lèles; le portique, dans lequel le porche donne
immédiatement accès, est formé d'arcades à
plein cintre que soutiennent des piliers car-
rés ; les deux portiques latéraux ont des co-
lonnes monolithes en marbre et en granit, qui
portent des architraves et des corniches en
marbre. Quant au quatrième portique, contigu
à la façade, il est décoré d'arcades et de co-
lonnes, et sert de vestibule ou de pronaos à
l'église.
L'atrium ne faisait pas essentiellement
partie de la basilique. Celle-ci comprenait
trois divisions principales : le vestibule, la
nef et l'abside ou sanctuaire.
Le vestibule, appelé encorepronaos ou nar-
thex, était un portique qui s'appuyait à l'ex-
térieur sur deux, cinq, six ou sept colonnes
isolées, et de l'autre côté sur le mur de la
façade. Il reproduisait ainsi, en tous points, la
disposition que nous avons signalée dans les
basiliques civiles des Romains. Dans quelques
églises ,. notamment dans celle de Sainte-
Agnès, il était établi dans l'intérieur même
de l'édifice et reliait les deux nefs latérales,
derrière le mur de façade : il prenait alors le
nom à'esonarthex ou nartnex intérieur. Cette
première partie des basiliques offre du reste
des variétés assez notables, comme on le voit
au mot NARTHËX. C'était dans ce portique,
dont la voûte était ordinairement décorée de
peintures sacrées, que se tenaient les péni-
tents que les Latins appelaient strati ou pro-
sternés ; et les Grecs acroômenoi ou écoutants,
parce que, de là, ils pouvaient entendre la psal-
modie ou l'instruction.
Du vestibule, on entrait dans la nef par trois
portes : la porte du milieu (appelée en grec
oraia pylé, en latin porta speciosa, ou encore
porta basilica), était réservée aux clercs; les
deux portes latérales étaient pour le peuple,
la gauche pour les femmes, la droite pour les
hommes. L'intérieur des basiliques était le
plus souvent divisé en trois nefs par deux
rangées de colonnes; telle est la division de
Saint-Laurent hors les murs, de Sainte-Agnès,
de Saint-Clément, de Saint-Sébastien, etc. La
nef du milieu, beaucoup plus large que les deux
autres, s'appelait aula; elle restait libre ou
était occupée par les personnages de distinc-
tion; les nefs latérales, séparées de la grande
nef par des rideau::, étaient affectées l'une aux
hommes, l'autre aux femmes. Dans quelques
églises d'Occident, à Sainte-Sabine de Rome
par exemple, la nef des hommes était plus lon-
gue que celle des femmes. Primitivement, le
rez-de-chaussée de la basilique était interdit aux
femmes ; elles se plaçaient dans une tribune
ou gynœconitis, située au-dessus de chaque nef
latérale, et qui correspondait exactement aux
galeries supérieures des basiliques civiles des
Romains. Les églises de Saint-Laurent hors
les murs et de Sainte-Agnès étaient pourvues
de tribunes de ce genre ; les femmes y arri-
vaient de plain-pied par la colline à laquelle
chacun de ces édifices est adossé. Les Grecs
ont conservé jusqu'à nous l'usage de ménager
aux femmes une tribune, au premier étage,
dans les églises assez vastes pour le per-
mettre, et les escaliers sont disposés de ma- -
nière à éviter toute communication avec l'in-
térieur. La suppression du gynajeonitis con-
duisit nécessairement à donner une plus grande
étendue aux nefs. On porta même à cinq le
nombre de ces nefs dans plusieurs basiliques,
notamment dans celle de Saint-Paul hors les
murs de Rome. Dans les églises ainsi conçues, .
un mur parallèle à la façade arrêtait les col-
latéraux pour former une nef transversale
dans laquelle on doit voir l'origine des trans-
septs, qui, dès lors, furent fréquemment adop-
tés et donnèrent au plan de l'édifice la con-
figuration d'une croix grecque (T), plus ou
moins caractérisée en raison de la saillie
que prirent leurs extrémités sur les murs
latéraux. Des arcades percées dans le mur
parallèle à la façade faisaient communiquer
fa nef transversale avec les collatéraux; une
ouverture immense, que l'on appelait arc
triomphal, était pratiquée au fond de la grande
nef et démasquait le sanctuaire. Cette ouver-
ture était souvent ornée de colonnes, comme
on en voit à Saint-Paul hors les murs. Dans
la plupart des basiliques primitives, entre
autres à Saint-Clément, l'extrémité de la
grande nef offrait un espace élevé de quel-
ques degrés, où se tenaient les sous-diacres
et les lecteurs, et du haut duquel l'évêque
distribuait la communion au peuple. On don-
nait à ce lieu le nom de solea ; c'étaitle chœur
des clercs mineurs et des chantres. A côté de
la solea se trouvait l'ambon ou pulpitu/n, es-
pèce de tribune qui servait pour la lecture
des livres saints et pour les instructions que
les prêtres et les diacres adressaient aux
fidèles.
Une balustrade à jour ou cancel, de bois ou
de marbre, séparait la solea du'sanctuaire, et
s'étendait même quelquefois dans toute la
largeur de l'église, d'un mur à l'autre. Le
sanctuaire, que les Grecs nommaient bêma ou
ierateion, et les Latins suggestum ouecclesiœ
absiSj était la partie extrême de la basiliques
, 311
Il formait un hémicycle au fond de la grande
nef et était voûté en cul-de-four, d'où les
noms de concha et d'abside (en grec apsis), qui
lui furent donnés. Il répondait exactement à
l'emplacement qui, dans les basiliques civiles,
était affecté au tribunal, et que l'on nommait
basilicœ caput. L'autel chrétien, recouvert
d'un baldaquin ou ciborium (v. ce mot), occu-
pait le centre de l'hémicycle; il était entouré
par les sièges réservés aux prêtres et aux
diacres, et dominé par la chaire épiscopale
(cathedra), qui s'élevait au fond même de 1 ab-
side. Dan3 quelques basiliques, des absides
secondaires furent établies de chaque côté de
l'abside principale, à l'extrémité des nefs la-
térales ou bas côtés; elles étaient closes par
des portes ou des rideaux, et servaient au dé-
pôt des vases, des ornements sacrés, des
offrandes des fidèles, des livres .destinés aux
cérémonies. On les nomma, chez les Grecs,
diaconion, scenophylacion, gazophylaceion, et
chez les Latins, secretarium; ce fut l'origine
des trésors et des sacristies. Les églises de
Sainte-Sabine, de Saint-Clément, de Saint-
Pierre-aux-Liens, de Sain te-Cécile, à Rome,
de Torcello, dans les lagunes de Venise, offrent
des exemples de ces absides secondaires.
Maintenant que nous avons indiqué quelles
étaient les principales dispositions des basili-
ques, disons un mot de leur construction. En
général, les premiers constructeurs chrétiens
acceptèrent l'architecture romaine, dans l'état
de décadence où ils la trouvèrent; leurs édi-
fices sont bâtis avec les mêmes matériaux et
les mêmes appareils que ceux qui furent em-
ployés dans le même temps pour les monu-
ments du paganisme. La façade de la basilique
de Sainte-Agnès, qui a conservé ses disposi-
tions primitives, présente le système de ma-
çonnerie composé de moellons et d» briques,
ui a été suivi dans la construction du cirque
e Maxence. Cette façade a deux corps. Un
fronton indique l'inclinaison du toit supérieur,
qui est aéré par une fenêtre circulaire ou
oculus, ouvert au milieu du tympan. Au-des-
sous, trois grandes fenêtres cintrées en bri-
ues éclairent la nef. Le corps principal
e la f;içade fait saillie pour renfermer les
deux étages (le gynœcomtis et l'ésonarthtx)
placés en dedans de la nef; des fenêtres cin-
trées , aussi en briques, éclairent ces deux
étages ; une porte rectangulaire, encadrée
d'un chambranle de marbre, donne accès dans
le temple. La suppression de la tribune des
femmes amena un second système de dispo-
sition des façades ; le fronton supérieur fut
conservé ou remplacé par une pente fuyante
du toit faisant croupe, comme on le voit à
Saint-Laurent hors les murs ; le premier étage
de fenêtres du corps principal disparut, et le
narthex forma un vaste porche extérieur,
fiorté par de nombreuses colonnes. Telle est
a disposition que l'on remarque, sauf quel-
ques modifications peu importantes, dans les
basiliques de Saint^Clément, de Sainte-Cécile,
des Saints-Jean-et-Paul. Un troisième système
de façade fut adopté pour les basiliques de
grandes dimensions et divisées à. l'intérieur en
cinq nefs , comme le furent les basiliques
de Saint-Pierre au Vatican, de.Saint-Jean
de-Latran , de Saint - Paul hors les murs.
L'immense élévation de la nef principale con-
duisit à pratiquer au-dessous du fronton deux
rangs superposés de grandes fenêtres pour
éclairer 1 intérieur. La double largeur donnée
aux collatéraux fit couvrir ceux qui avoisi-
naient le plus la nef principale, à. une assez
grande hauteur pour que l'inclinaison de leurs
toits parût même au-dessus du porche qui dé-
corait la partie basse de la façade. Dans les
trois systèmes que nous venons d'indiquer, on
remplaça quelquefois les fenêtres par une ou
plusieurs ouvertures circulaires, afin de laisser
un champ plus étendu à la mosaïque et à la
peinture décorative, ainsi qu'on le voit à l'é-
glise Saint-Georges, à Rome, et à la basilique
Libérienne. Ce fut dans le même but qu on
éleva, dans quelques églises, la partie supé-
rieure de la façade, de façon à masquer entiè-
rement la double inclinaison du toit de la
grande nef par un front quadrangulaire : l'é-
glise de l'Ara-Cœli, à Rome, en est un exemple.
Les façades latérales des basiliques offraient
peu d'intérêt; elles étaient décorées,en géné-
ral, avec une extrême simplicité, et percées de1
nombreuses fenêtres destinées à éclairer la
nef et les collatéraux. Si le plan était disposé
en forme de croix, comme à Saint-Paul hors
les murs, les façades des transsepts étaient
surmontées de pignons et percées de fenêtres,
?ue remplaçait quelquefois un oculus. La
açade postérieure n'avait pas moins de sim-
plicité; elle présentait une ou plusieurs ab-
sides ou demi-tours rondes, surmontées de
toits coniques. Originairement sans ouvertures,
ces absides furent, dans la suite, percées de
plusieurs fenêtres, toujours en nombre impair.
La couverture des basiliques primitives ne
différait pas de celle des édifices du paga-
nisme; elle se composait de tuiles plates en
terre cuite. Par la suite, on employa au même
usage des tuiles peintes ou vernissées , et
quelquefois même des plaques de métal dorées.
Nous n'examinerons pas ici' les différents
systèmes qui ont présidé à la décoration des
porches , des frontons, des fenêtres et des
autres parties intérieures ou extérieures de la
basilique. On trouvera des renseignements à
ce sujet dans les articles spéciaux que nous
consacrons à ces diverses parties et aux basi- -
liques les plus célèbres qui se sont conservées
jusqu'à nous.
Il y avait autrefois une basilique en tête de
chacune des quatorze grandes voies qui par-
taient de Rome. Il n'en reste plus que six :
Sainte-Agnès, Saint-Laurent hors des murs
et Saint-Paul hors des murs, qui ont gardé à
peu près leurs formes primitives ; Saints-Mar-
cellin-et-Pierre , Saint - Sébastien et Saint-
Pierre au Vatican, dont l'architecture et les
dispositions ont été à peu près complètement
renouvelées. D'autres basiliques furent con-
struites dans l'intérieur de Rome. Les basi-
liques dites constantiniennes, parce qu'elles
passent pour avoir été fondées par Constantin
le Grand, sont au nombre de sept : Saint-
Jean-de-Latran, Saint-Pierre au Vatican,
Saint-Paul hors des murs, Sainte-Croix de
Jérusalem, Saint-Laurent, Sainte-Agnès ,
Saints-Marcellin - et -Pierre. Les cinq pre-
mières sont du nombre de celles qu'on nomme
basiliques majeures; ce sont des églises qui
jouissent de divers privilèges et auxquelles,
notamment, sont attachées des indulgences
spéciales, surtout en temps de jubilé. Sainte-
Marie - Majeure et Saint - Sébastien appar-
tiennent à la même catégorie. Les basiliques
mineures sont : Sainte-Marie-in-Transtevere,
Sainte-Marie-in-Cosmedin, Saint-Laurent-in-
Damaso , Saint - Pierre-aux-Liens , Sainte -
Marie-in-Monte-Santo et les Saints-Apôtres.
Constantin construisit plusieurs basiliques en
Orient, entre autres celle du Saint-Sépulcre
à Jérusalem , celle de la Nativité à Beth-
léem, celle de l'Ascension sur le mont des
Olives, celle de Sainte-Sophie, de Sainte-
Irène, de Sainte-Dynamis et des Apôtres, à
Constantinople.
Au moyen âge , le nom de basilique ne
s'appliquait pas seulement aux églises; il
servit encore à désigner les chapelles con-
sacrées aux martyrs, les oratoires privés, et,
plus particulièrement en France, les édicules
qu'on élevait sur le tombeau des grands. Le
titre LVIII, § 3, 4 et 5 de la Loi salique con-
damne à une amende de 15 sous celui qui
dépouille une tombe ordinaire, et à 30 sous
celui qui dépouille une basilique sépulcrale.
Le titre LXXI de la même loi frappe égale-
ment d'une amende celui qui, soit de dessein
prémédité, soit par suite de négligence, soit
par hasard, met le feu à une basilique; quel-
?ues auteurs en ont conclu que ces édicules
unéraires devaient être construits en bois.
III. — BASILIQUES CIVILES DE LA RENAIS-
SANCE. Le célèbre architecte Palladio a donné
le nom de basilique à des édifices civils, con-
struits dans plusieurs villes d'Italie, à l'époque
de la Renaissance, et ayant une destination
semblable à celle des basiliques antiques. « Nos
basiliques modernes, dit Palladio, diffèrent de
celles des anciens en ce que celles-ci étaient
à rez-de-chaussée, tandis que les nôtres sont
élevées sur des voûtes, dont le dessous est
occupé par des boutiques, des prisons et au-
tres salles destinées aux besoins publics. Une
autre différence, c'est que les anciennes n'a-
vaient de portiques que dans leur intérieur ;
les modernes, au contraire, ou n'en ont point,
ou les ont à l'extérieur et sur la place. » Les
plus belles basiliques de la Renaissance sont
celle de Padoue, celle de Brescia, remarquable
par sa grandeur et ses ornements, et celle de
Vicence, magnifique édifice construit en grande
partie sur le plan de Palladio même.
BASILIQUE s. m. (ba-zi-li-ke — du gr. ba-
silikos, royal). Astron. Etoile de première
grandeur qui appartient à la constellation
du Lion. H Quelques-uns écrivent BASILIC. On
l'appelle plus souvent RÉGULUS.

BASILIQUES
s. f. pi. (ba-zi-li-ke — rad.
Basile, empereur). Recueil de lois formé sous
les empereurs Basile et Léon, et publié par
l'ordre de ce dernier, en 905.
— Encycl. L'empereur d'Occident Justi-
nien avait donné un grand exemple, en fai-
sant publier les recueils de lois intitulés Code,
Pandectes ou Digeste, Institutes. L'empereur
d'Orient Basile le Macédonien voulut suivre
cette voie, et il ordonna la publication, en
texte grec, du Corpus juris de Justinien, aug-
menté des constitutions édictées par ses suc-
cesseurs; mais ce travail, commencé en 876,
ne put être achevé que sous Léon le Philo-*
sophe, fils de Basile. Toutes ces lois, ainsi
traduites *en grec et mises dans un nouvel
ordre, furent nommées Basiliques, c'est-à-
dire lois recueillies par les soins de Basile.
Elles furent de nouveau revisées vers 945 par
ordre de Constantin Porphyrogénète, et di-
visées en soixante livres, comprenant chacun
plusieurs titres. Une édition toute récente des
Basiliques, ou au moins de ce qui nous en a
été conservé, a été publiée en 1833 par le
savant Heimbach, professeur de l'université
d'Iéna, qui y a joint de doctes annotations.
BASILIQUE adj. (ba-zi-li-ke — du gr. ba-
silikos, royal). Anat. Nom donné par les an-
ciens anatomistes à des veines auxquelles ils
faisaient jouer un rôle très-important dans
l'économie. H Veine basilique, Veine du bras,
formée par la réunion des veines cubitale et
médiane basilique. Il Veine médiane basilique,
Veine de l'avant-bras, qui naît de la veine-
médiane.
— Encycl. Veine basilique. Deux veines su-
perficielles s'observent sur le bras, l'une
externe, la veine céphalique ; l'autre interne,
la veine basilique. Plus volumineuse que la
céphalique, la veine basilique est d'abord un
peu obUque en haut, en dedans et en arrière ;
à une petite distance au-dessus de l'épitro-
chlée, elle devient verticale, monte parallè-
lement à la cloison intermusculaire interne,
contre laquelle elle est fixée par la lame pro-
fonde du fascia superficialis, et traverse l'a-
ponévrose brachiale dans son tiers supérieur,
pour se terminer tantôt dans l'une des veines
brachiales, tantôt dans la veine axillaire.
— Veine médiane basilique. La veine mé-
diane basilique est la branche interne de bi-
furcation de la veine médiane, tronc commun
des veines antérieures du poignet et de l'a-
vant-bras (la branche externe est la médiane
céphalique); c'est la plus volumineuse et la
plus apparente des veines du pli du coude;
c'est celle que, pour cette raison, l'on pique
le plus ordinairement dans la saignée. Ses
rapports rendent cependant cette opération
assez périlleuse ; elle longe le bord interne du
tendon du biceps; tantôt elle se trouve placée
parallèlement a l'artère humérale, et directe-
ment au-dessus ; tantôt (et c'est la disposition
la plus fréquente), elle la croise à angle très-
aigu; dans tous les cas, elle n'en est séparée
que par l'aponévrose brachiale, légèrement
renforcée au pli du coude par l'expansion du
tendon du biceps. Elle est, d'ailleurs, avoisi-
née par un filet du nerf cutané interne, en
sorte qu'on a presque tous les accidents de la
saignée à redouter à la fois. Quand on pra-
tique la saignée sur la veine médiane basi-
lique, il faut, autant que possible, la piquer
en dedans ou en dehors du trajet de l'artère
humérale, et plutôt en bas qu'en haut, l'ar-
tère étant plus profonde à mesure qu'elle des-
cend ; il faut, en outre, mettre l'avant-bras
dans une pronation forcée, pour faire passer
le tendon du biceps par-dessus l'artère, et l'é-
loigner ainsi de la veine. La prudence con-
seillerait de saigner plutôt les autres veines
du pli du bras, et notamment la médiane cé-
phalique, si cela était possible. «Mais, dit
très-bien M. Malgaigne, ce n'est pas tout d'é-
viter l'artère et les nerfs ; il faut, avant tout,
avoir une veine assez grosse pour donner la
quantité convenable de sang, assez superfi-
cielle pour être bien aperçue. Or, ces deux
conditions ne sont guère remplies, surtout chez
les femmes, que par \a.médiane basilique. »
BAS1L1SÈNE, nom ancien d'une petite con-
trée de l'Asie Mineure, comprise entre la
grande et la petite Arménie.

BASILISQUE
beau-frère de^ Léon 1er, em-
Fereur d'Orient, usurpa le trône sur Zenon
Isaurien en 475, et se rendit si odieux par sa
tyrannie, que Zenon put remonter sur le trône
sans tirer l'épée (476). Basilisque fut pris et
enfermé, avec sa famille, dans une forteresse
de Cappadoce, où ils moururent tous de faim.
Sous son règne, la bibliothèque publique de
Constantinople fut réduite en cendres par un
incendie; elle renfermait, dit-on, plus de
120,000 manuscrits, parmi lesquels se trou-
vaient les quarante-huit livres de Ylliade et
de l'Odyssée, écrits en lettres d'or sur l'intes-
tin d'un serpent dont la longueur dépassait
33 mètres.
BAS1LICM FLEMEN, cours d'eau artificiel,
qui arrosait l'ancienne Babylonie et établis-
sait une communication entre le Tigre et l'Eu-
phrate.

BASILOSAURE
s. m. (ba-zi-lo-so-re — du
gr. basileus? roi; sauros, lézard). Paléont.
Nom denué a un animal fossile, pris d'abord
pour un saurien (lézard), et que l'on a re-
connu plus tard être un cétacé herbivore.
V. ZEUGLODON.

BASILUS
MINUTIES (L.), un des conjurés
?ui crurent sauver la république romaine en
rappant César. Il était de la famille Minutia,
et il prit part à la guerre des Gaules. Lorsque
la guerre civile éclata, il fut mis à la tête
d'une, partie de la flotte de César, et eut en-
suite sous ses ordres deux légions. César le
cite, dans ses Commentaires, comme ayant
commandé les troupes en quartier d'hiver aux
environs de Reims. Revenu à Rome, il se
lia avec Cassius et Brutus, et prit part au
meurtre du dictateur. On a une lettre de Ci-
céron, où l'orateur félicite Minutius du rôle
qu'il a joué dans ce tragique événement.

BASILUZZO
une des îles Lipari, située au
S. de l'île Stromboli, près de la Sicile.

BASIN
s. m. (ba-zain — du gr. bombux,
soie, qui a servi à former le bas lat. bam-
baciim, et le bas gr. bambakion, soie, coton).
Comm. Etoffe croisée, dont la trame est de
coton et la chaîne de fil ou de coton : BASINS
brochés, cannelés, cordelés. Ma culotte de drap
est en pièces; mes culottes de BASIN, il faut
bien les faire blanchir, (Mirab.) Il était vêtu
d'une grande robe de chambre en BASIN blanc.
(F. Soulié.) Les BASINS rayés de Troyes sont
fabriqués de fil ou de chanvre avec coton dou-
blé et retors pour la chaîne, et tout coton pour
la trame. (Bouillet.)
— Techn. Sorte de cadre à estampes.
BASIN (saint), issu de la famille des ducs
d'Austrasie, au vue siècle. Il fut d'abord abbé
du monastère de Saint-Maximin, à Trève's,
puis il succéda à saint Hédulfe en qualité d'ar-
chevêque de cette ville. Après avoir adminis-
tré son diocèse pendant vingt-quatre ans, il
se démit de ses fonctions pour finir ses jours
dans son abbaye. Sa fête se célèbre le 4 mars.
BASIN ou BAZIN (Thomas), chroniqueur et
prélat français, né à Caudebec en 1402, mort I
en 1491. Après avoir étudié le droit a Lou-
vain et à Paris, voyagé en Italie, en Angle-
terre, en Hollande, remonté le Rhin et tra-
versé les Alpes, il se retrouva à Florence
lors du célèbre concile œcuménique de 1439,
qui devait faire cesser la scission de l'Eglise
latine et de l'Eglise grecque. Peu de temps
après, il rît partie d'une mission que le pape
Eugène IV envoyait en Hongrie, et dont le
chef était le cardinal archevêque d'Otrante ;
puis, à son retour et en récompense de son
zèle, il reçut un canonicat à la cathédrale de
Rouen, ainsi que d'autres bénéfices. Les An-
glais, qui occupaient encore la Normandie,
venaient de créer l'université de Caen. On
offrit à Basin d'y remplir la chaire de droit
canon, qu'il accepta. Il fut ensuite chanoine
de Baveux, conservateur de l'Université, et
officiai de l'évêque; enfin, il fut appelé, en
1447, à occuper un des sièges épiscopaux les
plus importants de la Normandie, celui de
Lisieux, qui, outre ses revenus considérables,
donnait au titulaire le droit de siéger dans le
conseil institué pour gouverner cette pro-
vince au nom du faible Henri VI. Lorsque,
deux ans après, la guerre recommença entre
l'Angleterre et la France, l'armée de Char-
les VII vint assiéger Lisieux. L'évêque Ba-
sin, dans cette grave occurrence, déploya la
plus grande habileté. Au nom de sa mission
de paix, il proposa une capitulation qu'il fit
accepter des deux parties, et l'exemple de
cette soumission au roi de France détermina
en peu de temps celle des autres évêques de
la Normandie et des principales villes. La
conduite de Basin lui valut le titre de mem-
bre du conseil privé de Charles VII, qui le
gratifia en même temps d'une pension de
1,000 livres. Lorsque le roi songea à faire re-
viser l'odieux procès de Jeanne Darc et de-
manda au pape Calixte III d'instituer une
commission dans ce but, Basin fut un des
évêques chargés de l'enquête, et il rédigea,
en 1453, trois ans avant le jugement de réha-
bilitation , un Mémoire justificatif en faveur
de la Pucelle. A cette époque, l'évêque de
Lisieux était un des hommes les plus influents
du royaume. Le dauphin, plus tard Louis XI,
essaya de le mettra dans ses intérêts, afin
qu'il engageât Charles VII à lui donner le
gouvernement de la Normandie. Basin, en
repoussant ses offres, le blessa profondément.
Devenu roi de France, Louis XI trouva l'é-
vêque de Lisieux au nombre des membres les
plus actifs de la Ligue du bien public, qui s'é-
tait formée contre lui. Lorsqu'il fut parvenu
a en triompher, le roi, dont les ressentiments
étaient implacables, s'empressa de faire sentir
à Basin le poids de sa haine. Celui-ci, pour
échapper aux persécutions, s'enfuit à Lou-
vain, puis à Bruxelles, près du duc de Bour-
gogne ; mais le roi, feignant de vouloir se ré-
concilier avec lui, le manda à Orléans, où il le
reçut avec une insultante froideur, puis l'exila
en Roussillon avec le titre de chancelier de
cette province, et de là en Aragon avec celui
d'ambassadeur. Enfin, Louis XI se détermina
à le faire arrêter; mais Basin, averti à temps,
put se réfugier en Savoie, d'où il passa en
Allemagne. Il habita successivement Genève,
Bâle, Trêves, Louvain, Bréda et Utrecht.
En 1474, les revenus de son évêché avaient
été séquestrés par ordre du roi, et il avait été
obligé de donner sa démission du siège de Li-
sieux ; mais la cour de Rome le nomma ar-
chevêque de Césarée en Palestine, avec une
modique pension. L'évêque d'Utrecht, David,
un bâtard de Bourgogne, accueillit Basin en
ami et en fit son coadjuteur. C'est dans cette
ville qu'il termina sa vie. On a de lui divers
ouvrages écrits en latin ; le plus remarquable
est une Histoire de Charles VII et de Louis XI,
intitulée : De rébus gestis Caroli VII et Lu-
dovici XI, etc., qui renferme des détails fort
intéressants, mais qui est restée a l'état de ma-
nuscrit et que l'auteur a signée du nom d'Amel-
1 gard, prêtre liégeois. Son mémoire sur Jeanne
Darc a été publié par M. Quicherat, dans l'ou-
vrage intitulé : Procès de la Pucelle.

BASINE
ou BAZINE, femme de Childéric 1er
et mère de Clovis, vivait vers le milieu du
ve siècle. Elle était femme de Basin, roi de
Thuringe, lorsque Childéric, chassé par ses
sujets, vint à la cour de ce dernier chercher
un refuge. Le châtiment que lui avait mérité sa
luxure n'avait point corrigé ce prince. Il ne
craignit pas de séduire l'épouse de celui qui
lui donnait une généreuse hospitalité, et Ba-
sine conçut une véritable passion pour son
séducteur.
Pendant les huit années que Childéric passa
en exil, Basine chercha à distraire de la perte
de son trône celui qu'elle aimait. Mais Childé-
ric pensait sans cesse à. ce trône perdu. Il
avait laissé en France un confident, nommé
Videmare. Grâce aux menées de cet homme
dévoué, les leudes se lassèrent d'être gou-
vernés par ^Egidtus et rappelèrent leur an-
cien roi. Childéric quitta sa maîtresse, malgré
les larmes de celle-ci, malgré ses prières, et
vint reprendre possession de sa couronne.
Quelques jours après, cependant, lorsque,
dans l'enivrement que donne un pouvoir re-
conquis, il s'était de nouveau plongé dans ses
plaisirs d'autrefois, quelle ne fut pas sa sur-
prise de voir apparaître devant lui son an-
cienne amante, la reine de Thuringe, Basine [
Lui ayant demandé, rapporte Grégoire de
Tours (lib. II, cap. xn), la raison qui l'ame-
nait d'un pays si éloigné, elle lui répondit :
I - Quia utilitatem tuam noverim et quam sii
312
strenuus, ideoque veni ut cohabitem tecum ; nam
noveris, si transmarinis regionibus aliquem
cognovissem utiliorem quam tu, issem ut coha-
bitem cum eo. »
Disons, entre parenthèses, que ce passage
de l'évêque historien semble confirmer la dé-
finition que De Donald donne de la littérature,
quand il dît qu'elle est l'expression des mœurs
d'une époque. Aujourd'hui, on n'écrit plus
d'une façon aussi barbare, aussi franche. Nous
traduirons donc ainsi la réponse de Basine :
a J'ai su apprécier votre mérite et votre vi-
gueur; c'est pour cela que je suis venue; car
vous n'ignorez pas que, si j'avais connu au
delà des mers un homme mieux fait pour
plaire à une femme, c'est avec lui que je se-
rais allée habiter. » Chez les Germains, l'a-
mour n'avait pas encore été divinisé comme
chez les Grecs et les Romains ; le christia-
nisme ne l'avait pas encore purifié, et, si la
femme jouissait chez eux de nombreux avan-
tages, de nombreuses prérogatives, ce n'était
point parce qu'elle était réellement aimée,
mais seulement parce qu'elle était utile.-Ainsi
s'explique la conduite de l'épouse de Basin,
recherchant l'homme qui unissait la force au
courage, les deux qualités qui tenaient lieu
de toutes les vertus chez nos pères. Childéric
épousa sa maîtresse adultère.
Le soir même de ses noces, conte en sa
bonne foi Frédegaire (Chron., lib. XIi), non
moins crédule, disons le mot, non moins igno-
rant que le bon évèque de Tours, dont il fut
le continuateur, Basine dit au roi : « Que cette
nuit ne soit pas consacrée à l'amour... Lève-
toi, va à la fenêtre, et tu viendras dire à ta
servante ce que tu auras vu dans la cour du
logis. » Childéric se leva, alla à la fenêtre et
vit passer des bêtes semblables à des lions, à
des licornes et à des léopards. Il revint vers
Basine et lui raconta ce qu'il avait vu. Elle
lui dît : « Va derechef, et ce que tu verras,
tu le raconteras à ta servante. » Childéric
sortit de nouveau et vit passer des bêtes qui
ressemblaient à des ours et à des loups. Il le
raconta à Basine, qui le fit sortir une troi-
sième fois. Alors il vit des chiens et d'autres
animaux d'un ordre inférieur, qui se déchi-
raient les uns les autres. Il revint alors, et
elle lui dit : « Ce que tu as vu de tes yeux ar-
rivera : il nous naîtra un fils qui sera un lion,
à cause de son courage. Les fils de notre fils
ressembleront aux léopards et aux licornes;
mais ils auront des enfants semblables aux
ours et aux loups par leur voracité, et quand
ceux que tu as vus pour la dernière fois vien-
dront, les peuples se feront la guerre sans au-
cune crainte des rois. -
Au temps de Charlemagne, le peuple répé-
tait encore cette merveilleuse légende, et c est
ainsi, assure-t-on, que Frédegaire l'a recueil-
lie. Mais Grégoire de Tours, avons-nous dit,
était crédule, lui aussi; il était ami du mer-
veilleux ; il a raconté tout au long l'histoire
de Basine, et il ne dit rien cependant de cette
singulière nuit de noces. Pourquoi? Tout sim-
plement parce que ce récit fut inventé dans
un temps postérieur à Basine, alors que les
faits qu il annonce étaient déjà accomplis, et
nous allons dire comment.
Sous Clovis et ses fils, les Francs eurent
encore l'esprit de conquête; mais, sous leurs
petits-fils, la discorde régna avec Brunehaut
et Frédégonde. L'autorité royale, qui n'avait
jamais été bien établie, alla s'afFaiblissant de
jour en jour*, et bientôt les descendants de
cette reine (que l'histoire a flétris du nom de
fainéants) virent passer toute la puissance en-
tre les mains des leudes et des maires du pa-
lais, ne. conservant pour eux qu'un vain titre.
Mais la nation, un jour, se fatigua de ces
fantômes de rois et renversa le trône des Mé-
rovingiens. C'est alors sans doute, et au mo-
ment où le dernier rejeton de cette race finis-
sait sa vie dans un cloître, qu'un partisan du
pouvoir nouveau inventa le récit que nous
avons traduit de Frédegaire. Ce récit dut être
accepté par les Francs, à l'esprit crédule
et naïf, à l'imagination impressionnable et
prompte à accueillir le merveilleux, comme
une sorte de prophétie annonçant la fin fatale
de la race de Mérovée.
BASINE, fille de Chilpéric 1er et d'Audo-
vère, vivait au vie siècle de notre ère. Enve-
loppée dans la haine implacable que Frédé-
gonde portait à tous les enfants que Chilpéric
avait eus de se3 autres femmes, elle ne fut
cependant pas mise à mort par sa cruelle ma-
râtre; mais celle-ci conçut contre elle un des-
sein plus horrible encore. Elle donna l'ordre à
des soldats de la violer; puis elle la fit jeter
dans le monastère de Sainte-Croix, que sainte
Radegonde avait fondé à Poitiers.
Basine s'habitua difficilement aux exercices'
du cloître. Elle sentait qu'un sang royal cou-
lait dans ses veines, et elle voulait comman-
der au lieu d'obéir. Or, il y avait aussi dans
ce couvent une fille de roi, appelée Chro-
dielde, qui. non moins ambitieuse que Basine,
aspirait, elle aussi, au titre d'abbesse. Ces deux
nncesses s'unirent pour faire naître le trou-
le dans le monastère, et, lorsqu'en 589 Leu-
bouerre succéda à Agnès, qui n'avait été que
peu de temps abbesse après sainte Rade-
gonde, elles sortirent avec quarante de leurs
compagnes, et allèrent à pied, jusqu'à Tours,
trouver l'évêque saint Grégoire. Elles ve-
naient accuser leur nouvelle abbesse de plu-
sieurs crimes, et exposer aux rois, leurs pa-
rents, toutes leurs souffrances. Saint Grégoire,
i n'ayant pu les décider à rentrer dans leur
couvent, les garda à Tours le reste de l'hiver.
L'été suivant, Chrodielde alla trouver le roi
Gontran, à qui elle persuada ce qu'elle vou-
lut, et qui lui promit qu'une assemblée d'é-
vêques jugerait le différend. Alors elle vint
rejoindre à Tours les autres religieuses, dont
le nombre avait diminué pendant son absence,
plusiers d'entre elles ayant renoncé à leurs
vœux et s'étant mariées. Après avoir vaine-
ment attendu les évéques dans la ville de
Tours, Basine et Chrodielde revinrent à Poi-
tiers avec le reste de leurs compagnes. Mais,
mécontentes de leur insuccès, froissées dans
leur orgueil de filles de roi, oubliant tout de-
voir, toute retenue, toute pudeur, elles se
firent accompagner d'une bande de malfai-
teurs, qui s'emparèrent de l'église de Saint-
Hilaire et la pillèrent. Les évéques de Bor-
deaux, d'Angoulème, de Périgueux vinrent
les, exhorter à cesser ce scandale, et, sur leur
refus, les déclarèrent excommuniées. Non
contentes de faire éclater devant les princes
de l'Eglise leur morgue hautaine, leur fierté
native; non satisfaites encore de les avoir
abaissés par leur refus, elles lâchèrent sur
eux les bandits qu'elles avaient emmenés.
Ceux-ci tombèrent sur les saints membres de
l'Eglise, les contusionnèrent, les blessèrent,
les mirent en fuite; puis, se retournant vers
le couvent, ils le mirent à sac.
Basine et Chrodielde étaient enfin maîtresses;
elles commandaient, non plus à des femmes, à
des nonnes, à des saintes, comme elles l'avaient
ambitionné, mais, véritables héroïnes de ro-
man, à une troupe d'hommes armés. L'abbesse
Leubouerre était leur prisonnière.
Cependant, le comte de Poitiers avait reçu
de Cnildebert l'ordre de mettre fin à toutes
ces violences. Ne pouvant tenir contre des
forces supérieures, les révoltées furent obli-
gées de capituler. Les bandits furentdispersés,
l'abbesse Leubouerre fut rétablie dans ses
droits, et Basine, Chrodielde, ainsi que leurs
compagnes, rentrèrent dans l'obéissance. Lors
du concile de Metz, en 590, le roi Chjldebert
obtint la levée de l'excommunication dont
elles avaient été frappées.
BASINE, ÉE adj. (ba-zi-né — rad. ôasin).
Comm. Travaillé comme le basin : Etoffe
BASINÉE.

BASINERVE
adj. (ba-zi-nèr-ve —'du lat.
basis, base; nervus, nerf). Bot. Dont les ner-
vures principales partent de la base : Feuilles
BASINERVES. il On dit aussi BASINERVÉ.

BASINGE
(Jean), également connu sous le
nom de BASINGSTOKE, qui est celui de sa ville
natale, philologue et savant anglais, mort
en 1252. Il fit successivement ses études à
Oxford et à Paris, puis il se rendit en Grèce
pour en apprendre la langue, presque incon-
nue en Europe à cette époque, et il eut pour
professeur une femme, la fille de l'archevêque
d'Athènes. De retour en Angleterre, il devint
archidiacre à Londres et à Leicester, se dis-
tingua autant par ses vertus que par son
savoir comme linguiste, mathématicien et
théologien, et contribua puissamment à faci-
liter l'étude du grec dans sa patrie, par la
traduction latine d'une grammaire grecque,
qu'il publia sous le titre de Donatus Grœcorum.
C'est également lui qui y fit connaître les
figures et les chiffres employés dans la numé-
ration des Hellènes. On a en outre de lui la
traduction latine d'une concordance des Evan-
giles, des sermons, etc.

BASINGSTOKE
ville d'Angleterre, dans le
Hampshire, 25 kil. N.-O. de Winchester, sur
le chemin de fer de Londres à Southampton ;
4,500 hab. Commerce de grains, bois et char-
bons. Patrie du navigateur James Lancaster.
BASINGSTOKE, philologue anglais. V. BA-
SINGK (Jean).
BASIN10 ou BASAN1I, poète italien, né à
Parme vers 1425, mort en 1457. Doué de rares
dispositions naturelles, il étudia sous les plus
savants maîtres, notamment Victorin de Feltre
et Théodore de Gaza, qui lui apprit le grec,
et il fut en peu de temps versé dans la con-
naissance des langues, des sciences et des
lettres. A vingt ans, il composa un poëme
imité de l'antique, Méléagre, qu'il dédia au
duc de Ferrare, Lionel d'Èste. Trois ans plus
tard, en 1448, celui-cif l'appela à professer
l'éloquence latine à Ferrare; mais, ayant em-
ployé Basinio dans une négociation contre le
duc de Milan, François Sforza, et cette négo-
ciation n'ayant pu aboutir, Lionel crut qu'il
avait mal défendu ses intérêts ou qu'il l'avait
trahi, et lui enleva sa chaire. Le poëte se
retira à la cour de Rimini, où il fut parfaite-
ment accueilli par Sigismond Malateste, qui
aimait à s'entourer d'artistes, de poètes et de
savants. Chargé par lui d'une mission près de
Nicolas V, Basinio fut reçu par le pape de la
façon la plus flatteuse, et, à son retour, il de-
vint le poëte favori de Sigismond, qui le
combla de bienfaits, surtout après la publi-
cation de son poëme des Hespérides, dans
lequel il célèbre la valeur du podestat de
Rimini dans la guerre contre Alphonse d'Ara-
gon, et après celle des Isottœi inscripti, épîtres
en vers, composées en l'honneur d'Isotta, maî-
tresse de Sigismond. La grande faveur dont
il jouissait excita la jalousie d'un certain Por-
cellio, historien érudit, mais piètre poëte, qu'il
avait lui-même présenté à la cour de Rimini.
La haine de Porcellio ne tarda pas à éclater
en paroles. II accusa son rival de n'être qu'un
pédant infatué de son savoir; celui-ci lui
répondit qu'il n'était l'ennemi de la langue
grecque que parce qu'il ne l'entendait pas, le
menaça de signaler dans ses œuvres les fautes
de style les plus grossières, et publia à ce sujet
son Epitre à Sigismond, dans laquelle il dé-
clare que la littérature grecque est l'école où
se sont formés tous les grands écrivains et les
poëtes. Il venait de commencer un poëme sur
l'expédition des Argonautes, lorsqu'il mourut
à 1 âge de trente-deux ans. Par son testament,
il légua son poëme des Hespérides à Sigis-
mond, qui lui fit faire de magnifiques funé-
railles. On montre encore aujourd'hui son
tombeau dans l'église Saint-François de Ri-
mini. Basinio avait composé dix-huit ouvrages,
tous en latin, dont nous avons cité les plus
connus. L. Drudi a publié un choix de ses
œuvres, sous le titre de Dasanii Poemata prœs-
tantiora, etc. (Rimini, 1794-95, 2 vol. în-4o).

BASIO-GÉRATO-GLOSSE
adj. et S. m. (ba-
zi-o sé-ra-to glo-se—du gr. basis, baseos,
base; keras, keratos, corne, etglàssa, langue).
Anat. Se dit d'un muscle inséré, d'une part,
à la base do la langue, et, de l'autre, à la
corne de l'hyoïde.

BASIOCESTRE
s. m. (ba-zi-o-sè-stre — du
gr. basis, base; kestros, poinçon). Chir. Sorte
de céphalotribc ou appareil pour broyer la
tête du fœtus dans le sein de la mère.

BASIO-GLOSSE
adj. et s. m. (ba-zi-o glo-se
— du gr. basis, baseos, base; glàssa} langue).
Anat. Se dit d'un muscle commun a l'hyoïde
et à la base do la langue.
BASlO:PHARYNG2EN adj. et s. m. (ba-zi-o
fa-rain-ji-ain — du gr. basis, baseos, base;
pharunx, pharwigos, pharynx). Anat. Se dit
d'un muscle commun a la base de l'hyoïde et
au pharynx.

BASIPRIONOTE
s. m. (ba-zi-pri-o-no-te —
dti gr. basis, base; prionotidês, dentelé).
Entom. Genre d'insectes coléoptères tétra-
mcrcs; de la famille des chrysomélines, formé
aux dépens des cassides, et comprenant trois
espèces q_ui habitent les Indes. Syn. de
prioptêre.

BASIPTE
s. f. (ba-zi-pte). Entom. Genre
d'insectes coléoptères tétramères, de la famille
dos chrysomélines, formé aux dépens des
cassides, et comprenant une seule espèce, qui
vit au Cap de Bonne-Espérance.

BASIQUE
adj. (ba-zi-ke —rad. base). Chim.
Qui jouit de fa propriété des bases, c'est-
à-dire qui peut produire un sel en faisant la
double décomposition avec les acides, il Sel
basique, Sel provenant de la substitution d'un
radical acide à une partie seulement de
l'hydrogène typique d'une base polyatomique.
— Miner. Clivage basique, Clivage qui a
lieu dans une direction parallèle à la base du
cristal.
BASIRE(Isaac), théologien anglais, né dans
l'île de Jersey en 1607, mort en 1676. Après
avoir été maître d'école, il devint, vers 1640,
chapelain de Charles Ier, et s'expatria en 1646,
lors des troubles de la révolution anglaise. Il
parcourut la Morée, la Palestine, la Mésopo-
tamie, dans le but d'y faire connaître la doc-
trine de l'Eglise anglicane; puis il gagna la
Transylvanie, où le prince George Ragotzi II
lui confia une chaire de philosophie a l'uni-
versité do Weissembourg. Lorsqu'il apprit la
restauration des Stuarts, il revint en Angle-
terre et devint chapelain de Charles II. On a
de lui plusieurs ouvrages, dont les principaux
sont : Deo et Ecclesiœ sacrum (1646) ; Diatriba
de antiqua Ecclesiœ britannicœ libertate (Bru-
ges, 1656), et JJistory ofthe English aiid Scotish
presbytery (Londres, 1659).

BASIRE
(Jacques), dessinateur et graveur
anglais, né a Londres vers 1740, mort vers 1780.
Il a gravé à l'eau-forte et au burin un assez
grand nombre de portraits de célébrités an-
glaises, d'après W. Hogarth, J. Reynolds,
B. "Wilson, A. Ramsay, Fuller, J. Paton,
J. Richardson, Clifford, A. Devis, Howit,
H. Gravelot, G.-B. Cipriani, etc. On lui doit
encore : Pylade et Oreste, d'après Benjamin
AVest; le Camp du drap d'or, d'après Edouard
Edwards; sept fac-similé de dessins du Guer-
chin, dont cinq sont des paysages; des plan-
ches pour un Traité d'architecture civile
(Londres, grand in-fol., 1768); pour les Anti-
quités d'Athènes, de J. Stuart; pour les Jiui-
nes du palais de Dioctétien à Spalatro, de
R. Adam, etc.
BASIRE (Claude), conventionnel, né à Dijon
en 1764, mort sur l'échafaud le 3 avril 1794.
Elève des oratoriens, comme beaucoup d'au-
tres acteurs du grand drame révolutionnaire,
il fut d'abord avocat, puis commis aux archives
des états de Bourgogne. Dès le début de la
Révolution, il se prononça énergiquement
pour la cause nationale, et fut élu en 1790
membre du district de sa ville natale. Les
services qu'il rendit dans ce poste, son pa-
triotisme et ses talents le désignèrent au suf-
frage de ses concitoyens lors des élections
pour l'Assemblée législative. Il prit place
parmi les membres les plus ardents du côté
gauche, proposa la suppression des costumes
religieux et le libre exercice de tous les cultes,
s'éleva contre l'exportation du numéraire hors
du royaume, appuya la mesure du séquestre
des biens des émigrés, et dénonça le comité
autrichien, composé, suivant lui, de la reine,
du comte Mercy-d'Argenteau, ambassadeur de
la cour de Vienne, de Montmorin et de plu-
sieurs autres grands personnages qui concer-
taient leurs efforts pour opérer la contre-ré-
volution. Le fait était vrai, nous le savons
aujourd'hui à n'en pouvoir douter ; et l'on peut
ajouter que Mirabeau était vendu à cette fac-
tion et lui prétait l'appui de son talent. C'est
à cette occasion que le juge de paix Etienne
de la Rivière, poussé par la cour, commença
des poursuites contre les patriotes qui avaient
révélé l'existence du fameux comité. Il eut
même l'audace de lancer des mandats d'ame-
ner contre trois représentants, Basire, Merlin
(de Thionville) et Chabot. L'assemblée, après
des débats fort orageux, vengea cet outrage
à la représentation nationale en décrétant
La Rivière d'accusation, et l'envoya à Orléans
pour être traduit devant la haute cour natio-
nale. Basire était lié de principes et d'amitié
avec les deux députés désignés ci-dessus, et
formait avec eux ce CjUe les royalistes nom-
maient le trio cordelicr. Les journaux de ce
parti s'égayaient périodiquement sur leur
compte et répandaient des vers dans le goût
de ceux-ci ;
Connaissez-vous rien de plus sot
Que Merlin, Basire et Chabot?
— Non, je ne connais rien de pire
Que Merlin, Chabot et Basire;
Et personne n'est plus coquin
Que Chabot, Basire et Merlin.
Il est inutile de faire remarquer que ce n'est
point sur de telles platitudes qu il faudrait
juger les grandes et fortes personnalités de
ce temps.
Ce fut encore Basire qui proposa et qui fit
décréter, le 29 mai 1792, la mesure décisive et
hardie du licenciement de la garde du roi,
agglomération redoutable de 6,000 bretteurs
et de fanatiques sur lesquels comptait la cour
pour enlever le roi et opérer la contre-révo-
lution. Au 10 août et aux journées de sep-
tembre, Basire fit de courageux efforts pour
arracher quelques victimes à la colère du
peuple. Réélu à la Convention, il vota avec
les montagnards, se prononça pour la mort
du roi et contre les girondins, demanda la mise
en accusation de Custine, entra au comité de
sûreté générale, s'opposa à ce qu'on mît hors
la loi les prévenus qui parvenaient à s'échap-
per, enfin fit adopter le tutoiement entre les
citoyens et décréter la mesure salutaire de
l'interdiction d'inhumer dans les églises. Il
appartenait au groupe des dantonistes. Après
avoir appuyé la plupart des mesures révolu-
tionnaires, il parut tout à coup pencher vers
la modération, et parla contre le système de
la Terreur. Accusé pour ce fait aux jacobins,
il se rétracta, ou du moins expliqua ses pa-
roles, mais fut arrêté quelques jours après.
On l'accusait de complicité avec Delaunay
(d'Angers), Julien (de Toulouse), Chabot,
Fabre d'Églantine et autres, dans l'affaire
ténébreuse de la falsification d'un décret re-
latif à la compagnie des Indes. Le fait de
falsification est avéré, et il est certain que Cha-
bot et Delaunay reçurent de l'argent du baron
de Batz, de d'Epagnac et d'autres agioteurs
pour provoquer certains décrets de finances.
Mais la culpabilité de Basire et de Fabre est
plus que douteuse. Longtemps détenus au
Luxembourg, les accusés furent traduits au
tribunal révolutionnaire en même temps que
Danton et Desmoulins, qui se plaignirent hau-
tement d'être accolés a des fripons. Mais il
est vraisemblable, il est certain que cette ter-
rible épithète ne s'adressait pas à Fabre et
surtout à Basire, avec qui ils avaient vécu en
grande intimité au Luxembourg. En allant au
supplice, Chabot, malgré ses horribles souf-
frances (il avait avale du sublimé corrosif),
ne cessait de s'occuper du sort de son ami :
« Ahl pauvre Basire, s'écriait-il, tu n'as rien
fait! » Ce témoignage suprême, en présence
de la mort, nous parait décisif. Ces cris testa-
mentaires sont des flambeaux pour l'histoire:
qu'un voleur, un meurtrier mente jusque sous
le couteau de la guillotine, cela se comprend;
il continue son rôle de révolte envers la so-
ciété; mais qu'un martyr de nos dissensions
politiques mente au pied de l'échafaud, alors
qu'il n'a plus à espérer ni grâce ni pardon,
cela est impossible : Basire était innocent. Il
n'avait que trente ans. En 1794, le corps légis-
latif accorda une pension a sa veuve.

BASIRE-DESFONTAINES
marin français,
mort en 1794. Simplo engagé dans la marine
en 1776, il fut promu, deux ans après, au grade
de lieutenant de frégate auxiliaire. Il suivit
alors le bailli de Suffren dans les mers de
l'Inde, se signala par sa conduite et par son
courage dans les brillantes campagnes do ce
. célèbre marin, et, de retour en France, fut
nommé lieutenant de vaisseau. Choisi en 1792
par l'amiral Villaret-Joyeuse, pour être son
capitaine de pavillon, il se conduisit avec la
plus grande bravoure dans le sanglant combat
naval du 12 prairial an IL Le lendemain, il
tomba, frappé a, mort par un boulet de canon.

BASISOLUTÉ
ÉE adj. (ba-zi-so-lu-té —
du lat. basis, base; solutus, détaché). Bot. So
dit d'un organe dont la base se prolonge en
un petit appendice libre : Feuille BASISOLUTÛE,

BASISPHÉNAL
ALE adj. (ba-zi-sfé-nal —
rad. base). Anat. Se dit de la base d'une des
quatre vertèbres dont le développement con-
stitue le crâne.

BASITOXE
s. m. (ba-zi-to-kso — du gr.
313
basiSy base; toxon, arc). Entom. Genre d'in-
sectes coléoptères tétrainères, de la famille
des longicornes, comprenant deux espèces,
qui vivent au Brésil.

BAS-JOINTE,
ÉE adj. Art vétér. Dont le
paturon très-court est presque horizontal :
Cheval, âne, mulet BAS-JOINTE. Jument BAS-
JOINT ÉE.

BAS-JUSTICIER
s. m. Féod. Seigneur qui
n'avait que le droit de basse justice.
— Adjectiv, : Seigneur BAS-JUSTICIER.
— Encycl. Le seigneur bas-justicier avait le
droitdebasse justice, et lejuge par lui commis
pouvait connaître des causes n excédant pas
3 livres 15 sols, et condamner les coupables à
J'amende de 7 sols 6 deniers. Lorsque le délit
requérait une plus grosse amende, le bas-jus-
ticier devait avertir le haut-justicier, et, sur
l'amende prononcée, le bas-justicier prélevait
jusqu'à 6 sols parisîs. En matière criminelle, le
bas-justicier pouvait prendre en sa terre tous
délinquants, informer in flagrante, et, à cet
effet, avoir sergents et prisons ; mais, dans les
vingt-quatre heures après sa capture, il devait
faire conduire le criminel, avec les informa-
tions, au seigneur haut-justicier, sans pouvoir
décréter. Le bas-justicier pouvait demander
renvoi au seigneur haut-justicier des causes
qui étaient de sa compétence. Quoique le bas-
justicier n'eût pas le droit d'avoir ceinture
funèbre, cependant on lui permettait de peindre
contre la muraille, au dedans de l'église, près
du tombeau de son père, ses armes avec une
bande noire de dix à douze pans, comme
marque de deuil, pour y demeurer un an et un
jour, et de telle hauteur qu'elle n'empêchât
pas la ceinture funèbre du naut-justicier.

BASKERVILLE
(Jean), célèbre imprimeur
anglais, né à Wolverley en 1706, mort en 1775.
D'abord maître d'école, puis vernisseur, il se
fit imprimeur vers 1756 , et il opéra une véri-
table révolution dans l'art typographique, par
la beauté des caractères qu'il employa et dont
il était lui-même, le dessinateur, le graveur et
le fondeur. C'est également à lui qu'on doit
l'invention du papier vélin. Les biographies
anglaises représentent Baskerville comme un
type d'honnêteté, de dévouement et d'obli-
geance ; c'était un homme d'une belle figure,
mais le scepticisme est ce qui le distinguait
particulièrement. Il se faisait honneur de n'ap-
partenir à aucune religion, et il se conduisait sui-
vant les règles d'une sorte de morale indépen-
dante ; son aversion se portait surtout contre
le culte catholique. Dans les dernières années
de sa vie, il avait fait élever près de sa maison
une modeste pyramide destinée, suivant son
testament, à recevoir ses restes mortels. Ses
dispositions testamentaires sont curieuses;
nous allons en extraire un article caracté-
ristique : « Je déclare que ma volonté est que
je fais le partage de tous mes biens et meubles
comme ci-dessus, sous la condition expresse
que ma femme, de concert avec les exécu-
teurs de mon testament, fera enterrer mon
corps dans le bâtiment de forme conique, con-
struit sur mon terrain, qui a servi jusqu'ici de
moulin, que j'ai dernièrement élevé à une plus
grande hauteur et où j'ai fait pratiquer un
caveau, destiné à recevoir mon corps. Ceci
paraîtra sans doute une folie à beaucoup de
monde, peut-être même en est-ce une ; mais
c'est une folie que j'ai concertée, il y a plu-
sieurs années, attendu que j'ai un très-grand
mépris pour toute espèce de superstition,
pour la farce de terre sainte, etc. Je re-
garde aussi ce qu'on appelle révélation (à
l'exception des rognures de morale qui sy
trouvent mêlées) comme l'abus le plus impu-
dent du sens commun que l'on ait jamais ima-
giné pour se jouer du genre humain. Je m'at-
tends bien que cette déclaration sera l'objet
de la critique sévère des ignorants et des
bigots, qui ne savent pas mettre de différence
entre la religion et la superstition, et à qui
Ton a appris que la morale (qui comprend,
selon moi, tous les devoirs de l'homme envers
Dieu et ses semblables) ne suffit pas pour le
rendre digne de ses bontés ; à moins qu'on ne
fasse profession de croire, comme ils le disent,
à certains mystères et dogmes absurdes, dont
ils n'ont pas plus d'idée qu'un cheval. Je dé-
clare que cette morale a fait ma religion et la
règle de toutes mes actions, auxquelles j'en
appelle pour prouver combien ma croyance a
été d'accord avec ma conduite. -
La biographie Michaud appelle cela du ga-
limatias; c'est une profession de foi aussi
nette et aussi claire, sinon aussi élégante, que
celle du vicaire savoyard, et, puisque la bio-
graphie voulait protester, elle aurait pu trouver
autre chose à reprendre qu'un défaut de clarté.
Les éditions de Baskerville sont fort recher-
chées, plutôt, il est vrai, pour la beauté des
types que pour la correction. Nous citerons
notamment celles de Virgile, d'Horace, de
Juvénal, de Perse, et la Bible anglaise im-
primée aux frais de l'université de Cambridge.
En 1779, Beaumarchais acheta les types de
Baskerville" qu'il fit servir à l'impression de
l'édition des œuvres de Voltaire, dite édition
de Kehl.

BASKET
s. ni. (ba-skèt — mot angl. qui
signif. panier). Métr. Mesure de capacité,
employée dans l'Inde anglaise pour le riz :
A Rangoun, le BASKET OU tenn est compté
comme pesant 26 kilo.

BASKIRS
peuplade d'origine mongole, qui
habite les gouvernements russes d'Ûrenbourg
,et de Perm, entre les rivières Kama, Volga
et Oural. Les Baskirs, appelés Ischtiaks par
plusieurs nations de l'Asie, se donnent eux-
mêmes le nom de Baschkourts, mot qui signifie
éleveurs d'abeilles ; ils forment 30,000 familles
environ, et sont au nombre de 400,000. Cette'
population, répartie en douze cantons, est no-
made pendant l'été et reste fixée dans les
villages pendant l'hiver. Les Baskirs s'occu-
pent peu d'agriculture; ils vivent du produit
ne la chasse et surtout de l'élève des abeilles
et des chevaux ; leur territoire, riche en forêts
et en pâturages, renferme, sur les revers de
l'Oural, des lavages d'or et de platine d'une
grande importance.
Les traits de leur visage et leur conforma-
tion physique décèlent leur origine; ils sont
de taille moyenne, robustes, belliqueux et
enclins au brigandage. Leur vêtement consiste
en un long pardessus à la manière orientale,
et en une grande peau de mouton ; leur coif-
fure, en un bonnet pointu de feutre. lis pré-
parent, avec du lait de chameau et de jument
fermenté, une boisson enivrante qu'ils ap-
pellent koumiss, et dont ils sont extrêmement
friands. Leurs armes sont les flèches, la lance
et l'arc, auxquels ils ont joint les armes à
feu. La plupart d'entre eux professent l'isla-
misme; leur chef religieux réside à Oufa;
mais la loi du prophète, grossièrement altérée
par un mélange de croyances superstitieuses,
est très-imparfaitement observée. Les An-
nales allemandes des peuples de la terre nous
donnent sur les mœurs, les croyances et les
légendes des Baskirs de très-curieux détails,
que nous croyons devoir mettre en partie sous
les yeux de nos lecteurs. Les Baskirs pré-
tendent posséder des livres noirs dont le texte,
disent-ils, a été composé dans l'enfer. Selon
eux, les interprètes de ces livres connaissent
le passé, le présent et l'avenir, et entretien-
nent les liaisons les plus intimes avec les dé-
mons, auxquels Hs peuvent faire faire des
choses extraordinaires, telles que d'obscurcir
le soleil et la lune, de détacher les étoiles du
ciel, où l'on pense qu'elles sont fixées, et de
les faire descendre sur la terre ; de soulever
et d'apaiser des tempêtes et des ouragans;
d'acquérir à volonté des richesses immenses,
en un mot, de satisfaire toutes leurs passions,
tous leurs caprices,- même les plus extrava-
gants. La possession de ces livres noirs est
naturellement fort recherchée, et se transmet
de père en fils par héritage. Les Baskirs
croient, en outre, aux magiciens et aux sor-
ciers, dont la puissance, quoique moindre à
leurs yeux, est encore fort redoutable. Ces
sorciers ont le monopole du traitement des
maladies, dans lequel ils emploient toutes les
simagrées auxquelles nous ont initiés les récits
de tous les voyageurs qui ont visité une peu-
plade barbare quelconque. Ces magiciens pra-
tiquent également la divination au moyen des
os de mouton. Rien n'égale, paraît-il, la véné-
ration des Baskirs pour le cheitan-kouriasi
(celui qui voit le démon, Satan). Le rôle de
ces cheïtan-kouriasis n'est pas toujours une
oeuvre de mal et de destruction ; on a souvent,
au contraire, recours à leurs bons offices dans
des cas de grandes calamités publiques, telles
que des épidémies, des sécheresses, etc. Les
Baskirs croient que les astres sont fixés au
ciel par des chaînes de fer, et que la terre
repose sur trois énormes poissons, dont l'un
est déjà mort, symptôme de la fin prochaine
du monde. Cette dernière légende se retrouve
aussi chez les Persans. Les Baskirs, en adop-
tant la religion musulmane, en ont également
pris les doctrines fatalistes, vers lesquelles, du
reste, ils étaient déjà poussés par leurs ten-
dances antérieures. Le diable joue un très-
grand rôle chez les Baskirsj aussi, beaucoup
de localités de leur pays tirent leur nom de
celui du diable.
Le territoire occupé par les Baskirs pré-
sente beaucoup d'intérêt, au point de vue
archéologique. On y. remarque principale-
ment trois ruines importantes. La première
se trouve sur les bords de la Kama, a la place
qu'occupait autrefois une petite ville des Bul-
gares ; on y remarque un temple consacré à
une divinité inconnue, qui, s'il faut en croire
les traditions locales, aurait disparu sous la
forme d'une épaisse fumée, après avoir prédit
la ruine de Kazan. La seconde ruine, qui existe
aussi sur les bords de la Kama, est tout ce qui
reste d'une ville qui renfermait un temple
magnifique, dans lequel on offrait des sacrifices
humains. La troisième ruine se trouve sur les
bords de la Belaia. C'était autrefois, disent les
Baskirs, une ville populeuse, qui fut aban-
donnée par ses habitants à cause de la foule
innombrable de serpents venimeux envoyés,
à ce que prétend la tradition, par les mauvais
esprits.
On doit cependant reconnaître que les gros-
sières superstitions des Baskirs, dont nous
venons d'esquisser rapidement le tableau, com-
mencent à perdre peu à peu du terrain, grâce à
la civilisation qui pénètre chez eux, et à la-
quelle, il faut le reconnaître, ils ne se mon-
trent nullement rebelles. Dans presque tous
les villages, il y a des écoles ou les enfants
apprennent à lire, à écrire, etc. Les jeunes
gens vont faire leurs études à Kazan, ou dans
la petite ville de Kargal. On y a fondé de
très-bonnes écoles, où l'on enseigne la lec-
ture, l'écriture, la grammaire tartare, l'arabe,
le turc, le persan, la physique et la philoso-
phie d Aristote. A Orenoourg, l'institut Na-
plinjeff est assidûment fréquenté par la jeu-
nesse baskirienne, tartare et kîrghïze, et
même plusieurs Russes y apprennent le russe,
l'arabe, le tartare et ie persan, ainsi que les
éléments de l'art militaire. Cet institut est
appelé à répandre parmi les Cosaques l'in-
struction et tous les bienfaits qui en résultent.
Les Baskirs vivaient autrefois indépen-
dants sous leurs princes, dans la Sibérie mé-
ridionale ; mais, persécutés par les khans de
ce pays, ils se replièrent sur les rives de
l'Oural et du Volga, et se soumirent au khan
de Kazan. Ce dernier Etat ayant été détruit
vers 1480 par Ivan II, ils reconnurent la domi-
nation des Russes, contre lesquels ils se soule-
vèrent fréquemment dans la suite. Vers 1730,
les Kalmouks, qui parcouraient les vastes
steppes situés à 10. de l'Oural, ayant émigré
dans l'empire chinois, les Baskirs dirigèrent
leurs incursions vers le Volga, et inquiétèrent
fréquemment les colons 'allemands qui, a la
voix de Catherine II, étaient venus cultiver les
terrains fertiles situés sur les bords de ce
fleuve. Une expédition sérieuse fut dirigée
contre ces hordes pillardes, qui, après avoir
éprouvé une grande diminution de bien-être
et de population, se soumirent à la puissance
moscovite.
De nos jours, les Baskirs élisent eux-mêmes
leurs chefs ou atamans; ils ne payent ni taxe
ni impôts, mais ils sont astreints au service
militaire du cordon établi pour la sécurité de
la frontière asiatique ; de plus, sur les qua-
torze régiments cosaques de l'empire, cinq sont
exclusivement composés de Baskirs. D'humeur
vagabonde et batailleuse, le Baskir monte
admirablement à cheval, manie fort habile-
ment ses armes, et est très-apte à former,"dans
l'armée russe, ces détachements de cavalerie
légère qui sont d'une si grande utilité lorsqu'il
s'agit de poursuivre un ennemi en déroute,

BASKUAL
PASKUAL ou PASQUAL (Abul-
Hussem), lexicographe arabe, né à Cordoue,
mort en 1182. On conserve de lui à la biblio-
thèque de l'Escurial, sous le n« 1672, le ma-
nuscrit de la Bibliothèque arabico-espagnole,
divisée en dix parties. On lui attribue en outre
une Histoire des cadis de Cordoue et une
Histoire d'Espagne.

BASMADJI
(Ibrahim), c'est-à-dire l'Impri-
meur, introducteur de l'art typographique dans
l'empire ottoman, né en Hongrie, mort en 1746.
Fort intelligent, fort instruit et très-versé dans
la connaissance du français, de l'italien et du
turc, il quitta sa patrie, embrassa le maho-
métisme et se fixa a Constantinople. Il y connut
Saïd-Effendi, qui venait d'admirer à Paris les
merveilles de la civilisation (1720), et qui avait
été surtout frappé des bienfaits de l'impri-
merie. Saïd et Ibrahim résolurent d'introduire
cette innovation dans les Etats du sultan. Le
Hongrois Basmadji fit un livre manuscrit, où il
exposa tous les avantages que la puissance
turque pouvait tirer de l'adoption de cet art,
et le présenta au grand visir, Ibrahim-Pacha.
Le mufti, consulté, donna un avis favorable,
et le privilège fut signé de la main même du
sultan Achmet III; seulement, il fut défendu
d'imprimer jamais le Coran, les lois orales du
propriété, avec leurs commentaires, les livres
canoniques et ceux de jurisprudence. Une
imprimerie fut fondée à Constantinople ; mais,
malgré tout son zèle, Basmadji ne put voir
sortir de ses presses que seize ouvrages.
L'empereur Achmet III le combla de faveurs.
Il lui fit don d'un timar ou fief militaire, et
d'une pension de 99 aspres par jour.
- BASMAISON POUGNET (Jean DE), juris-
consulte français, né à Riom au xvie siècle.
Il s'était acquis beaucoup de réputation au
barreau de sa ville natale, lorsqu'il fut député
par sa province aux états généraux de Blois,
en 1576. Il y fit preuve d'un esprit de modé-
ration et de tolérance extrêmes, fut un des
membres désignés pour engager le prince de
Condé à se rendre aux états; puis, à deux
reprises, il fut chargé par la province d'Au-
vergne de missions près de Henri III. La mo-
dération de son caractère et de ses opinions
lui attira la haine des ligueurs, et il fut sur le
point de quitter le barreau pour devenir lieu-
tenant de la sénéchaussée de sa province ;
mais Etienne Pasquier, qu'il avait connu jadis
à Paris et dont il était devenu l'ami, s'empressa
de lui écrire : « Il y a trente ans et plus que
vous tenez l'un des premiers lieux entre ceux
de notre ordre'dans notre pays, étant chéri et
aimé des grands, respecté du commun peuple,
vivant en une honnête liberté, sans altération
de votre conscience; et maintenant qu'êtes
arrivé sur l'âge, désirez ambitieusement, pour-
suivez d'être lieutenant de province! Étant
avocat du commun, votre fortune dépend de
vous et de votre fonds; étant appelé à cet
état, vous dépendrez désormais des grands
qui le vous auront octroyé. » Basmaison suivit
le sage conseil de son ami ; il resta et mourut
avocat. On a de lui quelques ouvrages fort
estimés, notamment : Sommaire discours de
fiefs et arrière-fiefs (Paris, 1579), et Para-
phrase sur la coutume d'Auvergne (1590), plu-
sieurs fois réimprimée.

BASMANOFF
(Pierre), général russe, mort
en 1G06. Chargé par le czar Baris Godunoff
de repousser, en 1605, le moine GiskaOtrépief,
qui s était fait proclamer empereur à Moscou
sous le nom de Démétrius, et qui s'avançait
sur Novogorod, il remplit cette mission avec
le plus grand succès, fut comblé d'honneurs
par le czar et nommé commandant en chef
de l'armée par Fédor II, qui succéda à Godu-
noff (1605), Bien qu'arrivé au faîte des hon-
neurs et de, là fortune, Basmanoff se rangea
presque aussitôt parmi les mécontents, so
laissa gagner par ce faux Démétrius qu'il
avait vaincu, et fomenta une révolte, qui
éclata le 7 mai 1605. Il proclama czar Démé-
trius, l'appela à Moscou, et, lorsque celui-ci
fut entré dans la capitale, le jeune Fédor II
fut mis à mort, ainsi que sa femme et sa mère.
Le faux Démétrius et son complice ne jouirent
pas longtemps de leur triomphe. Les cruautés
de l'imposteur, son mépris pour les coutumes
nationales le rendirent bientôt odieux ; le
peuple, excité par Vasili Chouiski, se souleva
et assiégea le Kremlin. Basmanoff se mit à
la tête des gardes pour défendre l'entrée du
palais, fit appel à ceux qui, l'année précé-
dente, avaient renversé avec lui Fédor, et
tomba frappé d'un coup mortel par Michel
Tatistcheff, qui s'écria, en le perçant de son
épée : « Va-t'en au diable-, scélérat, avec ton
czar! »

BAS-MÉTIER
s. m. Techn. Petit métier
qui se pose sur les genoux.

BASMOTHÉENS
sectaires chrétiens qui
observaient le sabbat comme les juifs.

BAS-MOULE
OU BASMOULE S. m. (rad. bas
et moule, à cause de la bassesse d'extraction
de la mère). Au moyen âge, Fils d'un Latin
et d'une Grecque, u Soldat d'un corps de
cavalerie légère.

BASNAGE
nom d'une famille protestante,
originaire de Normandie, de laquelle sont
sortis plusieurs savants ministres de l'Eglise
réformée et des jurisconsultes. Parmi les plus
distingués, nous citerons les suivants : BAS-
NAGE (Benjamin), né à Carentan en 1580,
mort en 1652, exerça pendant cinquante et un
ans les fonctions de ministre, et composa un
Traité de l'Eglise (1612), très-vanté par ses co-
religionnaires. — BASNAGE(Antoine), fils aîné
du précédent, né en 1610, mort en 1691, fut
ministre à.Bayeux, où il se fit remarquer par
ses talents et ses vertus. Arrêté au Havre-de-
Grâce, il fut jeté en prison jusqu'en 1685. A
cette époque, il quitta la France et alla ter-
miner sa vie en Hollande. — BASNAGE DB
FLOTTEM AN VILLE (Samuel), fils du précédent,
né à Bayeux en 1638, mort en 1721, se livra à
la prédication dans sa ville natale, accom-
pagna son père en Hollande, et, comme lui, se
fixa à Zutphen, où il termina sa vie. Il a pu-
blié deux ouvrages : De Rébus sacris eccle-
siasticis exercitationes (1692), et Annales poli-
iico-ecclesiastici, etc. (1706, 3 vol.). — BAS-
NAGK DU FRAQUENAY ou FRANQUESNAY (Henri),
né près de Carentan en 1615, mort en 1695,
était fils puîné du chef de la famille, Benjamim
Basnage. Doué de l'imagination la plus heu-
reuse7 et tout à la fois l'un des hommes les
plus instruits de son temps, il embrassa la
carrière du barreau en 1636, devint avocat
près du parlement de Rouen, où il s'acquit
une grande réputation par son savoir et son
éloquence, et, bien que protestant, il se vit,
chose rare a cette époque, entouré de l'estime
et du respect de tous. Ce savant jurisconsulte
a laissé deux ouvrages remarquables et sou-
vent réimprimés : Coutumes du pays et duché
de Normandie, avec commentaires (1678, 2 vol.
in-fol.); Traité des hypothèques (1687, in-40);
ses œuvres complètes ont été publiées par son
fils à Rouen (1709). — BASNAGE DE BEAUVAL
(Jacques), né à Rouen en 1653, mort en 1723,
était fils aîné du précédent. Envoyé par son
père à l'académie réformée de Saumur, pour y
faire ses études, il eut pour maître le savant
philologue Tannegui Lefebvre, et, grâce à ses
remarquables aptitudes, il fut bientôt versé
dans la connaissance de plusieurs langues an-
ciennes et modernes. De là il se rendit suc-
cessivement, pour apprendre la théologie, à
Genève et à Sedan, où il reçut les leçons de
Jussieu, se fit recevoir ministre dans sa ville
natale en 1676, et épousa, en 1684, la petite-
fille de Pierre Dumoulin, ministre qui, au com-
mencement du siècle, avait joué un rôle im-
portant dans les affaires de religion. Lorsqu'en
1685 le culte protestant fut interdit à Rouen ,
par suite de la révocation de l'édit de Nantes,
Basnage se retira en Hollande, exerça d'abord
son ministère a Rotterdam, puis fut appelé à
La Haye en 1719, parce que le grand pen-
sionnaire Heinsius,qui avait pu apprécier son
caractère et ses talents, désirait l'avoir auprès
de lui. Ce dernier l'employa dans différentes
missions, dont il s'acquitta avec une habileté
qui a fait dire à Voltaire qu'il était plus propre
à être ministre d'Etat que d'une paroisse.
Lorsque le duc d'Orléans envoya, en 1716,
Dubois à La Haye pour y négocier une al-
liance, il lui ordonna de se concerter avec
Basnage, qui n'a vait pas cessé d'être profondé-
ment attaché a son pays, et celui-ci prit une
part active au traité d alliance conclu en 1717.
Pour le récompenser de ses services, le ré-
gent lui restitua tous les biens qu'il avait en
France et qui avaient été confisqués. Basnage
n'en continua pas moins à rester en Hollande,
où il mourut. Il n'était pas seulement un
homme d'une science profonde, mais un
grand homme de bien, dont la candeur et la
droiture étaient sans égales, et qui rehaussait
encore ces qualités par l'exquise urbanité de
ses manières. On a de lui de nombreux ou-
vrages, pour la plupart extrêmement remar-
quables. Les principaux sont : Traité de la
conscience, etc. (Amsterdam, 1696); Histoire
de l'Eglise depuis Jésus-Christ (1699) j His-
40
314'
toire des Juifs depuis Jésus-Christ (1706), une
de ses œuvres les plus importantes; Anti-
quités judaïques (1713); Annales des Pro-
vinces-Unies (1717); Dissertation historique
sur les duels et les ordres de chevalerie (1720) ;
Etat de l'Eglise gallicane sous le règne de
Louis XIV et sous la minorité de Louis XV
(1719), etc. — BASNAGE DE BEAU VAL (Henri),
frère du précédent, né à Rouen en 165G, mort
en 1710, suivit, comme son père, la profession
d'avocat au parlement de sa ville natale. Lors
de la révocation de l'édit de Nantes, en 1685,
il abandonna le barreau, et, deux ans après,
il alla chercher près de son père un refuge
en Hollande, ou il termina ses jours. Comme
lui, il était d'une tolérance et d'une modéra-
tion extrêmes, comme on le voit du reste dans
ses ouvrages, dont les principaux sont: Tolé-
rance des religions (1684) ; Histoire des ou-
vrages des savants (1687-1709, 12 vol.), inté-
ressant recueil de critique littéraire, faisant
suite aux Nouvelles de la république des lettres,
de Bayle. On a également de lui une édition
augmentée du Dictionnaire universel, recueilli
et compilé par feu Antoine Furetière (1701,
3 vol.).

BAS-NORMAND,
BASSE-NORMANDE adj.
Géogr. Qui est de la basse Normandie; qui
appartient à ce pays ou à ses habitants : Les
pays BAS-NORMANDS. I^e patois BAS-NORMAND.
Cette discussion fut imprudemment élevée par
un seigneur BAS-NORMAND. (Balz.)
— Substantiv. Personne qui est de la basse
Normandie : Un Parisien n'est qu'une dupe,
en comparaison d'un BAS-NORMAND,, et mon
maitre l'attrapera. (Campistron.) C'est un
vrai BAS-NORMAND qui a le cœur sur la main.
(F. Soulio.)
Morbleu! j'entre en furie,
En songeant qu'un morceau si tendre et si friand
Doit tomber sous la main d'un maudit Bas-Normand.
REGNARD.
— Les écrivains en général, et particu-
lièrement les poètes, donnent à ce mot un
sens un peu défavorable, et l'emploient comme
synonyme de menteur, de hâbleur, d'homme
en qui il ne faut avoir qu'une demi-confiance.

BASOCHE
ou BAZOCHE s. f. (ba-zo-che —
Etym. contestée; suivant Ménage et d'autres
étymologistes, vient de basilica, basilique,
lieu où se tenaient les tribunaux; dans le
vieux français, basilique se serait prononcé
successivement basilea, basalca, baseugue,
hasoque, basoche. Suivant d'autres, Boiste,
par exemple, du gr. bazein, railler, parler
d'une façon goguenarde). Avant la Révolu-
tion, Communauté des clercs du parlement
cîo Paris, il Juridiction des clercs du parle-
ment, qui jugeaient leurs pairs.
— Parext. Mœurs, habitudes des* clercs de
la basoche : Cela sent sa BASOCHE.
— Par plaisant. Corps des procureurs,
avoués et notaires : Quel spectacle! La nou-
velle et l'ancienne BASOCHE qui trinquent en-
semble/ (Scribe.)
— Encycl. Les procureurs, voyant l'aug-
mentation toujours croissante du nombre et
de l'importance des affaires portées devant le
parlement, et ne pouvant plus faire par eux-
mêmes toutes les écritures que nécessitait leur
ministère, avaient obtenu du parlement le droit
de se faire aider par des clercs, c'est-à-dire
par des jeunes gens instruits, car tous ceux
qui savaient lire et. écrire étaient alors com-
pris parmi les hommes de clergie. En 1303,
Philippe le Bel, de l'avis et conseil de son par-
lement^ autorisa les clercs de procureur à se
discipliner et à former la corporation de la
basoche, à laquelle il concéda les privilèges,
qu'ils gardèrent pendant près de cinq cents
ans, d'une juridiction particulière. La basoche
s'administrait elle-même, veillait aux intérêts
de chacun de ses membres; en outre, elle
exerçait un droit de justice souveraine, exclu-
sive et sans appel, sur tous les clercs du pa-
lais; ce droit s étendit bientôt à tous ceux des
juridictions ressortissantes au parlement de
Paris. Ainsi, pas plus que les autres industries
ou professions, les professions judiciaires ne
pouvaient échapper, au moyen â^e, a la forme
générale de corporation*; mais, disons-le tout
de suite, pendant que toutes les corporations
se résumaient en confréries, la basoche, elle,
donnait un exemple jusque-là sans précédent
peut-être en ne prenant pas, comme ses de-
vancières, le caractère essentiellement reli-
gieux qui leur était propre. La basoche reçut
dès son origine le titre de royaume, et son chef,
comme ceux de beaucoup d'autres associations,
fut autorisé à prendre celui de roi. Il y avait
déjà le roi des merciers, le roi des arbalé-
triers, le roi des ribauds, le roi des ménétriers,
même le roi des barbiers, qui était le barbier
du roi ; il y eut le roi de la basoche ou des ba-
sochiens, dont les privilèges ne manquaient
pas d'importance, ainsi qu'on en pourra juger
par la suite de ce travail. Les dignitaires, qui
composaient une véritable cour à ce souve-
rain plus d'une fois redoutable et redouté, se
qualiîièrent nécessairement princes de la ba-
soche. Us devaient foi et hommage à leur roi ;
ils étaient tenu3 d'obéir à ses mandements; et
l'appel de leurs jugements était porté de-
vant lui ou devant son chancelier. Le roi de
la basoche connaissait en dernier ressort de
tous les différends entre clercs. La basoche
tenaitdes séances périodiques, et jugeait, tant
en tua tîère civile qu'en matière criminelle, non-
souiouiont les contestations qui s'élevaient
BAS
entre ses membres, mais aussi les procès in-
tentés à ces derniers. Elle avait, dans ses
attributions, celle de décider sur la capacité des
candidats aux offices de procureur, et déli-
vrait ou refusait les certificats A'admittatur ;
de nos jours les chambres d'avoués continuent
cette tradition. Dans l'origine, le temps de
cléricature était constaté par des lettres qu'on
appelait lettres debéjaune ou bec jaune. Ajou-
tons que le roi de la basoche réglait la disci-
pline de la turbulente milice placée sous sou
autorité.
Chaque année, vers la fin de juin ou dans
les premiers jours de juillet, la basoche était
tenue, en vertu d'une ordonnance de Philippe
le Bel, de faire une montre générale, composée
de tous les clercs du Palais et du Chatelet
(v. ci-après BASOCHE DU CHATELET), et de
tous les suppôts et sujets du roi de la basoche
{Recueil des Règlements du royaume de la Ra-
soche, anonyme). Les clercs se distribuaient
en compagnies de cent hommes, qui se choi-
sissaient chacune un capitaine, un lieutenant
et un enseigne ou porte-étendard. Tout capi-
taine, une fois élu, adoptait la couleur et le
costume que devaient porter les clercs placés
sous ses ordres. Ce costume était reproduit
par la peinture sur un morceau de vélin, qui
demeurait fixé à l'étendard de la compagnie.
Celle-ci prenait un nom en rapport avec l'ac-
coutrement mis à l'ordre du jour. Les digni-
taires de la basoche figuraient au grand com-
plet à cette montre ou revue, qui offrait un
spectacle fort remarquable et qui, à l'époque
de Henri III, réunissait jusqu'à dix mille
hommes. Une peine de dix écus d'amende était
prononcée par le chancelier de la basoche contre
tout clerc qui, sans motif d'excuse légitime, se
dispensait d'y assister. Nous avons parlé des
dignitaires : ils se composaient, outre le roi,
d'un chancelier, d'un vice-chancelier, d'un
maître des requêtes, d'un grand audiencier,
d'un procureur général, d'un grand référen-
daire, d'un aumônier, de secrétaires, d'huis-
siers, de greffiers, etc., etc. Philippe le Bel
avait accordé au roi de la basoche 1 autorisa-
tion de porter la toge royale, de faire frapper
une monnaie qui aurait cours parmi les clercs
et leurs fournisseurs; il lui avait, en outre,
accordé l'usage d'un sceau sur lequel étaient
g'ravées les armes basochiennes : un écu royal
d'azur à trois écriioires d'or, et au-dessus
timbre, casque et morion, avec deux anges pour
supports. Une vieille ronde de la basoche, qui
n'avait pas moins de quarante couplets et qui
remonte, dit-on, à la bataille de Pavie, fait
allusion à ces armes de la manière suivante :
L'encrier, la plume et l'épéa
Etaient les armes de Pompée;
La basoche est son héritière,
Elle en est fière!
Soldat clerc, le basochien
Est bon vivant et bon chrétien.
Vive la basoche!
A son approche
Tout va bien !
Mercier, dans son Tableau de Paris, s'écriait
plus tard : « Oh! quel fleuve dévorant, sem-
blable aux noires eaux du Styx, sort de ces
armes parlantes (les trois écritoires), pour tout
brûler et consumer sur son passage I Quoi,
Montesquieu, Rousseau, Voltaire etBuffon ont
aussi trempé leur plume dans une écritoire 1
Et l'huissier exploitant et l'écrivain lumineux
se servent chaque jour du même instrument ! »
N'en déplaise à Mercier, cet encrier, cette
plume et cette épée, dont parle la chanson,
sont, bien plus que trois simples écritoires,*
l'expression parlante de cette jeunesse turbu-
lente et aventureuse, toujours prête, ainsi que
le fait remarquer M. Gustave Desnoiresterres,
à en venir aux mains, et à laquelle la jeunesse
de nos écoles ne saurait être comparée. Le
sceau basochien était confié à la garde du
chancelier, lequel portait la toge et le bonnet,
ni plus ni moins que son confrère le chance-
lier de France. Au nombre des privilèges de
la basoche, dont les pièces de constitution
furent brûlées dans l'incendie du palais arrivé*
le 7 mars 1618, n'oublions pas de rappeler
celui qui octroyait au trésorier et au receveur
du domaine de la basoche le droit de faire
sceller gratis, à la chancellerie de France, une
lettre de tel prix qu'ils voudraient.
Les statuts publiés en 1586 règlent les au-
diences, le nombre des dignitaires et les attribu-
tions de chaque officier. La cour de justice de la
basoche se composait du chancelier (rempla-
çant le roi supprimé par Henri III, ainsi qu'on
le verra plus loin) ou du vice-chancelier pré-
sident , assisté de ses maîtres des requêtes.
Aux termes d'un arrêt rendu en 1656 par le
parlement de Paris, tous les officiers de la
basoche étaient élus dans une assemblée géné-
rale des clercs du palais. Le chancelier, dé-
sormais chef souverain de la corporation, ne
pouvait être ni marié ni bénéficier ; il portait
la robe et le bonnet carré; les autres officiers,
l'habit noir, le rabat et le manteau. Les au-
diences se tenaient publiquement deux fois par
semaine. Le nombre de juges, pour la validité
de l'arrêt, ne pouvait être au-dessous de sept,
non compris le président. Tous les avocats
reçus au royaume basochien devaient assister
aux plaidoiries tant ordinaires qu'extraordi-
naires en habit décent, sous peine de confis-
cation de chapeaux. Les requêtes présentées
à la cour étaient intitulées : A Nos Seigneurs
du royaume de la Rasoche; le papier timbré
était employé pour ces requêtes, ainsi que
BAS
pour toutes les procédures. Les arrêts étaient
formulés ainsi : La basoche régnante en triom-
phe et filtre d'honneur,à tous présents et à venir,
salut. — Nostre bien amé... A ces causes... De
grâce spéciale et autorité royale basochienne...
Si mandons à nos amés et féaux. — Car tel est
nostre plaisir. — Donné en nostre dit royaume,
l'an de joie... et.de nostre règne le perpétuel.
Les décisions, nous l'avons déjà rappelé pré-
cédemment, étaient souveraines : on ne pou-
vait en appeler que devant la même juridic-
tion. La cause était alors jugée par ce qu'on
appelait le grand conseil, composé des chance-
liers et des procureurs de la cour basochiale.
Les audiences de la basoche n'étaient pas
seulement remplies par la discussion des causes
dont la cour pouvait connaître, mais elles
étaient encore, et surtout, des sortes de confé-
rences pleines d'enseignement, où se débat-
taient des procès fictifs dont les plaidoiries
avaient pour but de familiariser les clercs
avec l'interprétation des lois et la mise en
pratique des termes du barreau, des règles de
la procédure et des coutumes du palais ; chaque
année, à l'époque de la Saint-Martin, la ba-
soche ouvrait ses audiences en grand apparat,
des harangues étaient prononcées comme au
parlement, et il était donné lecture des noms
des avocats inscrits au tableau. Pour être
reçu basochien, il fallait être célibataire et
n'être pourvu d'aucun titre soit d'avocat,
soit de procureur. Il y avait des artisans spé-
cialement attachés à la basoche : un barbier,
un'chirurgien, un charpentier, un rôtisseur, etc.
On a pu pressentir déjà, lorsque nous avons
parlé de la montre ou revue générale, que la
corporation basochienne avait*(et c'était là
' d'ailleurs un des caractères communs aux
corporations) une sorte d'organisation mili-
taire. La basoche composait, en effet, une mi-
lice considérable, qui paya de loyaux services
les faveurs de la royauté. Henri II, notam-
ment, ne dédaigna pas d'en tirer parti. Ainsi,
en 1548, la Guyenne s'étant soulevée par suite
des exactions commises dans la perception des
droits nouveaux qui avaient été imposés à ses
habitants, le roi de la basoche offrit au roi de
France six mille de ses sujets pour l'aider à
pacifier la Guyenne. L'offre fut bien accueillie.
Le monarque, au retour des basochiens, leur
demanda quelle récompense ils désiraient.
«L'honneur de servir votre Majesté partout
où elle voudra nous employer, » lui répondit-on.
Ce fut là, pour la basoche, la source de plus
d'un privilège. Le droit de couper dans les
forêts du roi plusieurs chênes, dont le plus
beau était amené à Paris en grand appareil et
planté dans la cour du Palais, droit accordé
par lettres patentes de 1548, n'a pas d'autre
origine. Tous les historiens de la basoche pré-
tendent, en outre, que la belliqueuse corpo-
ration , en récompense de sa bravoure en
Guyenne, reçut la jouissance exclusive du
Pré aux Clercs, vaste terrain connu jusque-là
sous le nom de la Saulsaye,etoù, depuis lors,
elle passa chaque année sa. montre générale ou
revue. Le Pré aux Clercs aurait dès lors
échappé à l'Université; mais remarquons en
passant qu'aucun des historiens de l'Université
ne mentionne ce don royal. Cette contradic-
tion a échappé aux chroniqueurs du vieux
Paris, ainsi qu aux monographes de la basoche
et de l'Université. M. Victor Fournel en fait la
remarque. La possession constante de l'Uni-
versité lui paraît évidente, en dépit de l'as-
sertion isolée des historiens de la basoche, qu'on
pourrait expliquer, selon lui, par un don mo-
mentané et sans suite, ou par la concession
de quelques droits particuliers relatifs à l'usage
de ce vaste terrain.
Une chose digne de remarque, c'est que la
corporation des clercs, quoiqu'elle fût nom-
breuse et régulièrement organisée, prit rare-
ment part d'une manière active aux événe-
ments politiques. Elle n'y était pas indiffé-
rente pourtant, et nous la voyons mêlée, dès
le règne de Charles VII, aux agitations que la
guerre avec l'Angleterre jetait dans Paris;
mais elle ne s'en occupait guère que pour at-
taquer les abus par l'arme toute gauloise
du ridicule. Plus tard, nous la retrouverons à
la prise de la Bastille, offrant son sang à la
liberté et formant un corps armé. Il y avait
dans sa constitution même une sorte d'ironie
burlesque, qui la portait à chercher le côté
plaisant ou risible des choses les plus respec-
tées dans les sociétés humaines. Il n'est donc
pas étonnant qu'elle ait songé de bonne heure
a donner des représentations théâtrales, qui
furent accueillies avec une faveur d'autant
plus grande qu'elles étaient plus satiriques et
plus licencieuses. Tous les nommes exerçant
les charges les plus hautes passèrent sous les
fourches caudines de son esprit critique et
mordant. Elle fit surtout une guerre acharnée
et impitoyable aux prétentions, aux ridicules
et aux abus de la justice ; elle s'érigeait en
tribunal, par devant lequel elle citait à com-
paraître tout ce qui portait la toge ou la robe,
et, s'arrogeant peu à peu le droit de tout dire,
les clercs de la basoche allèrent si loin, que
plus d'une fois il fallut refréner leur audace;
et c'est ici justement que la basoche va se pré-
senter à nous sous son aspect joyeusement
pittoresque. Les basochiens, passés maîtres en
cette science, aujourd'hui perdue ou à peu
près, que nos ancêtres appelaient la gaie
science, nous apparaissent comme les fonda-
teurs probables de la comédie française. Ils
furent « comme les premiers comédiens en ce
royaume, » dit l'abbé d'Aubignac, qui leur re-
BAS
proche d'avoir maltraité la religion. On paut
admettre que ce sont les premiers auteurs-
acteurs qui se soient montrés à Paris. La ba-
soche n'avait certes pas été constituée en vue
de donner des représentations théâtrales ; dans
l'origine, elle n'avait même rien d'une société
dramatique ; il n'en est pas moins vrai que les
jeux scéniques furent une des principales rai-
sons de sa grande popularité, un de ses titres les
plus durables à la célébrité. Comment fut-elle
amenée à prendre un caractère que les études
judiciaires semblaient pourtant exclure? Elle
avait des jours de fêtes, pour lesquels il fallait
des divertissements; elle n'en trouve pas de
meilleurs que les jeux scéniques. Mais elle
cherche un genre plus mondain que les mys-
tères, dont les confrères de la Passion pos-
sèdent le privilège, et dont le peuple commence
à se lasser, et elle invente la moralité, espèce
de satire un peu abstraite de l'humanité, pièce
d'un genre mixte, participant des soties par
les allusions satiriques et des mystères par
quelque mélange de sujets religieux. A quelle
époque les clercs de la basoche mêlèrent-ils à
leurs fêtes et cérémonies des représentations
théâtrales? M. Victor Fournel pense que ce
fut, au plus tard, vers le commencement du
xve siècle; car, dit-il, quelques années après,
on voit la basoche en pleine possession de cet
usage, et adjoignant même a son répertoire
ordinaire de moralités, par suite d'une autori-
sation réciproque échangée entre les deux
sociétés rivales, les soties et les farces des
Enfants Sans-Souci. Ce qu'il y a de certain,
c'est que nous voyons, dès 1444, la faculté de
théologie interdire les basochiens à cause de
l'immoralité de leurs moralités. Deux ans au-
paravant, le parlement les avait déjà censurés.
« Dans ses jeux de théâtre, écrit l'auteur des
Spectacles populaires, la basoche conserva
d'abord sa physionomie spéciale de corpora-
tion judiciaire, et se renferma dons la satire
des gens du palais : clercs, huissiers, procu-
reurs, avocats, juges même, étaient l'objet de
railleries mordantes ; elle frondait les ridicules
et les abus de dame Justice; elle était une
sorte de tribunal comique par devant lequel
comparaissait lui-même, à certains jours, le
grave tribunal chargé de la sanctiondes lois;
et ces petits clercs, saute-ruisseaux, gratte-
papier , bénéficiant chacun des. privilèges
collectifs de l'association, et devenus des per-
sonnages avec qui il fallait compter, acqué-
raient, aux grandes dates de leurs divertisse-
ments scéniques, les droits exorbitants de ces
esclaves romains qui, durant les saturnales,
pouvaient se venger impunément en libres
propos de la tyrannie de leurs maîtres. Puis,
le cercle s'étendit par degrés, et bientôt les
farces et moralités des basochiens embras-
sèrent dans leur vaste cadre toute la comé-
die humaine, ou du moins tout ce qu'en pou-
vait pénétrer la verve bouffonne et railleuse,
mais naïvement grossière, de ces Thespis du
théâtre français. » Les clercs ne jouèrent,
dans l'origine, que trois fois par année : la
première, tantôt le jeudi qui précédait et
tantôt celui qui suivait la fête des Rois; la
deuxième, le jour de la cérémonie du mai, dont
nous parlerons tout à l'heure; la troisième,
quelque temps après la montre générale. Peu
à peu, leurs représentations devinrent plus
fréquentes, et il n'y eut pas de fêtes ou de ré-
jouissances publiques auxquelles la basoche ne
fût conviée; elle donnait, par exemple, son
spectacle aux'entrées des souverains, aux
cérémonies des mariages royaux, aux cours
plénières, etc. Jusqu'à Louis XII, les clercs
n'eurent pas d'endroit fixe pour leurs exhibi-
tions théâtrales, qui avaient lieu parfois au
Palais, plus souvent dans des maisons parti-
culières, et de temps à autre à la Saulsaye ou
Pré aux Clercs, dont la jouissance leur avait
été concédée par Henri II, ainsi que nous
l'avons vu précédemment. Louis XII, qui se
plaisait à protéger les libertés du théâtre,
persécuté par ses prédécesseurs, Louis XII,
que les basochiens n'avaient cependant pas
épargné dans leurs satires, accorda à ces der-
niers le privilège exclusif et perpétuel de
jouer sur la grande table de marbre du Palais,
qui servait aux festins somptuaires donnés
par les rois de France lorsqu'ils tenaient cour
ouverte, et qui occupait presque toute la lon-
gueur de la grande salle du Palais, mesurant
40 m. de long sur 12 m. 70 de large; salle
magnifique, consumée, ainsi qu'une partie des
bâtiments du Palais, par l'incendie de 1618,
et dont la salle actuelle des Pas perdus, qwi
n'en est qu'un diminutif, ne peut donner qu'une
très-faible idée. Les clercs avaient déjà joué
sur cette table de marbre, composée de neuf
morceaux, et, dit Sauvai, d'une épaisseur
extraordinaire; ils y avaient joué, mais par
occasion, et non d'une façon constante ; ils en
devinrent dès lors les propriétaires particu-
liers. Les représentations étaient suivies d'un
grand festin présidé par le roi de la basoche ; les
irais en étaient couverts par des souscriptions,
des taxes imposées aux béjaunes, et, chose plus
extraordinaire, par des dons spéciaux du parle-
ment, qui se montra d'abord assez Jii^Tweillant,
peut-être malgré lui, envers les joyeux comé-
diens de la basoche. Une question se présente
tout naturellement à cette place. Quand les
clercs donnaient leurs jeux à la Saulsaye, c'é-
tait, cela n'est pas douteux, en plein air et en
plein soleil, à la face du populaire; mais, une
fois installés dans la grande salle du Palais,
excluaient-ils la foule profane, pour se bornsr
à l'auditoire des gens de robe ? Un arrêt du par-
lement de 1476, un autre de 1477, appuieraient
315
au besoin cette hypothèse, que tout le monde
était admis à venir entendre les clercs débiter
leurs épigrammes. Le premier défend aux baso-
chiens de jouer publiquement au Palais ou Châ-
telet ni ailleurs, en lieux publics, farces, soties,
moralités ni autres jeux à convocation de
peuple; le second leur enjoint de n'être si
nardis « de jouer farces, moralités publique-
é ment, au Palais ne ailleurs. » En outre, comme
le fait remarquer M. Fournel, les nombreuses
mesures que l'on fut obligé de prendre contre
les excès satiriques de la basoche, les persé-
cutions qu'on organisa contre elle, la censure
qui l'atteignit, les arrêts et les défenses multi-
pliés du parlement, indiquent assez qu'elle ne
renfermait pas dans une enceinte étroite la
verve caustique de ses atellanes. On peut
même avancer qu'elle la répandait en dehors
de ses représentations proprement dites, et
promenait par les carrefours la licencieuse
bouffonnerie de ses hardis sarcasmes. Les so-
ciétés dramatiques du moyen âge et de la
Renaissance, comme aujourd'hui encore dans
nos provinces les troupes ambulantes de bate-
leurs, faisaient dans les rues une exhibition
des acteurs qui devaient jouer dans la pièce,
revêtus de leurs costumes : c'était la montre.
On y joignait une annonce verbale, toute pleine
de promesses alléchantes, qui s'appelait le cri.
Le cri était l'affiche du temps, une sorte de
programme en vers, qui se déclamait sur toutes
les places de la ville. Les montres et cris
offraient, comme on doit le penser, à messieurs
de la basoche une occasion, dont ils ne se
firent pas faute de profiter, de décocher à leurs
victimes les traits les plus acérés et de les
livrer à la risée des places publiques par le
moyen des masques, des costumes, et par une
mimique dont la hardiesse se montrait surtout
friande d'à-propos et d'actualités. La manière
dont Pierre Faifeu joua un boulanger de la
ville d'Angers (Légende de Faifeu, ch. ix)
nous renseigne, par induction, sur les audaces
de ces clercs sans pitié ni merci, que le peuple
goguenard accueillait avec joie et que le
parlement essayait, mais vainement, d'arrêter.
Il est prouvé, d'ailleurs, que les basochiens
portaient jusque dans les montres leurs per-
sonnalités et leurs épigrammes. Un arrêt du
parlement, daté du 20 mai 1536, leur « fait
deffense de ne jouer, à la montre de la ba-
soche prochaine, aucuns jeux, ne faire monstra-
tion de spectacle, ne escritaux, taxons ou
notans quelque personne que ce soit, » sous
Eeine de prison et de bannissement perpétuel,
es montres de la basoche, avec leur mise en
scène pittoresque, étaient donc de véritables
représentations, des pantomimes ambulatoires.
Ecoutons l'auteur des Spectacles populaires :
« Sous prétexte d'annoncer le spectacle, le cri
venait souvent encore accroître les hardiesses
de la montre, et donner le dernier trait à la
satire. Ces processions par les rues, dans tout
l'appareil des attributs basochiens, consti-
tuèrent probablement, d'abord, à peu près
toute la représentation ; et l'on peut dire, sans
trop s'avancer, que les premiers essais dra-
matiques de la société se firent en plein air et
dans la rue. Par la suite, même après qu'elle
fut entrée en possession de la table de marbre,
elle n'en garda pas moins, avec une prédilec-
tion toute spéciale, l'habitude de ces brillants
cortèges qui la mettaient plus directement en
contact avec le peuple, et qu'elle organisait,
non pas seulement comme une sorte de pro-
logue avant chacune de ses représentations,
mais encore à certaines dates périodiques et
dans certaines occasions solennelles, où ils
formaient le spectacle entier à eux seuls. »
Nous avons cité plus haut l'ordonnance en
vertu de laquelle tous les clercs du Palais et
du Châtelet faisaient chaque année une montre
générale, nous avons dit comment les clercs se
distribuaient en compagnies, qui élisaient cha-
cune son capitaine. Peut-être n'est-il pas inutile
d'ajouter à ces détails l'esquisse rapide de la cé-
rémonie qui fut pendant longtemps une des
grandes curiosités populaires. Guidées par les
tambours, les trompettes, les fifres et les haut-
bois, les compagnies basochiennes se répan-
daient en bon ordre à travers les rues. A leur
tête marchaient le roi de la basoche portant la
toque, le chancelier coiffé de .la toque et du
bonnet, et les autres dignitaires de la corpo-
ration. Les compagnies, toutes vêtues de
jaune et de bleu, qui étaient les couleurs
officielles de la basoche, portaient en outre les
couleurs diverses adoptées par les capitaines
et qui servaient à les distinguer entre elles ;
.elles étaient précédées de leurs chefs respec-
tifs et de l'étendard sur lequel se détachaient,
en teintes éclatantes, l'emblème de la bande
et les trois écritoires en champ d'azur. Les
béjaunes, c'est-à-dire les nouveaux clercs
admis tout récemment parles trésoriers, gros-
sissaient les rangs de cette milice singulière,
qui, n'oublions pas de le dire, était à cheval.
Le cortège, composé généralement de six à
huit mille clercs et quelquefois même de dix
mille, se rendait dans la cour du Palais, où il
défilait, au son des instruments, devant son
roi, qui le passait en revue et ne manquait
pas, cela est probable, de faire entendre un
morceau d'éloquence de sa façon, quelque
chose d'analogue sans doute à ce que nous
appellerions aujourd'hui un discours de la cou-
ronne. Le cortège allait ensuite donner les
aubades et réveils accoutumés aux présidents
de la grand'chambre, au procureur général et
aux autres dignitaires. Des danses et la-comé-
die terminaient cette fête, qui était pour les
clercs une occasion solennelle de se compter
et de constater leurs forces. Cette montre gé-
nérale subsista jusqu'au règne de Henri III,
qui, effrayé de voir une population turbulente
de dix mille clercs sous les ordres d'un seul
homme dans sa capitale, supprima le titre de
roi (je la basoche, déféra au chancelier de la
basoche tous les droits attribués à ce chef
déchu, et réduisit les montres aux seuls offi-
ciers. Le cortège ne se composait plus alors
que d'une trentaine de clercs, savoir : le chan-
celier,- quelques maîtres des requêtes ordi-
naires, un grand audiencier, un référendaire,
un aumônier, quatre trésoriers, un greffier,
quatre notaires et secrétaires de la cour baso-
chiale, un premier huissier et huit huissiers
ordinaires. Il appartenait a un roi faible, fort
jaloux de son autorité comme tous les rois
faibles, de s'offusquer de ce titre de roi de la
basoche, qui semblait lui créer un rival. Il était
bien peureux, dirà-t-on; mais, a écrit Mer-
cier, souvent les hommes se sont laissé con-
duire par des mots, et plus loin qu'ils n'au-
raient d'abo.rd imaginé. Le roi électif de la
basoche portait une toque semblable à celle du
monarque français et des insignes royaux ; il
avait ses armes, sa monnaie, ses sujets, et des
gardes qui le suivaient partout. Dix mille clercs
se trouvèrent un jour aux funérailles de l'un
d'entre eux. C'était presque un Etat dans l'Etat.
Un trait de plume porta le premier coup à
cette étonnante prospérité de la basoche. Le
titre de roi de la basoche fut porté en dernier
lieu par Henri de Maingot. On donna au mo-
narque renversé une compensation, en le créant
bailli du Palais : c'était, on a eu raison de le
dire, échanger le royaume de France contre
l'île d'Elbe. François Ier, lui, s'était montré
plus favorable à ces carrousels de la basoche,
qui attiraient une si grande affluence de cu-
rieux. A deux reprises différentes, en 1528 et
en 1540, il voulut les voir, et se montra émer-
veillé, H François 1er, dit M. Dufey (de l'Yonne),
écrivit au parlement qu'il se rendrait "à Paris,
au jour désigné, pour voir la cérémonie. Le roi
de la basoche, informé de la résolution de
François Ier, envoya son avocat général au
parlement, pour prier la cour de vouloir bien
vaquer les deux jours suivants. Arrêt con-
forme, le 25 juin 1540. » Les clercs, en uni-
forme, musique en tête et bien montés, défi-
lèrent devant le monarque, qui fut charmé de
cette belle cavalcade.
Le parlement, il faut bien le reconnaître, ne
demeura pas étranger à la décapitation du
royaume de la basoche. Toujours jaloux de sa
prépondérance, ce fut lui, bien plus encore que
le roi, qui étendit la joyeuse et redoutable cor-
poration sur un lit de Procuste qui ne fut pas
toujours celui de la justice. Mais nous nous
ferons mieux comprendre en parcourant rapi-
dement l'histoire des sévérités encourues par
les clercs de la basoche, à propos de leurs re-
présentations scéniques : on y verra germer
notre censure théâtrale, qui devait, hélas!
donner des fruits si amers. Ce fut Charles VII
qui, le premier, usa de rigueur contre les
clercs de la basoche. Ceux-ci, cédant à toutes
les colères provoquées dans le peuple par l'in-
vasion étrangère, avaient poursuivi de leurs
attaques les chefs de l'Etat. A peine le faible
Charles VII eut-il reconquis son royaume par
l'épée de Jeanne Darc, qu'il défendit aux baso-
chiens toute espèce d'allusions satiriques. Mal-
gré cette défense, les basochiens reprirent
leurs allures agressives et gouailleuses. Le
parlement se fâche. Les acteurs sont jetés en
prison et mis au pain et à. l'eau. Ceci se pas-
sait en 1442. Il est interdit, en outre, aux
clercs de jamais jouer une satire — ô dérision
amère ! — avant qu'elle ait été approuvée
par un censeur. Voilà donc le système pré-
ventif institué; mais les basochiens s'en mo-
quèrent évidemment, car, deux ans après, en
1444, nous voyons la faculté de théologie pro-
noncer leur interdiction. On trouve en outre,
sous le règne suivant, des arrêts qui, tout en
montrant combien Louis XI aimait peu les
franches coudées de la farce, témoignent que
le système préventif n'était pas né viable. De
cette époque date la farce de Maistre Pierre
Pathelin, monument remarquable-attribué au
basochien Pierre Blanchet.
En 1476, les choses en étaient venues à ce
point, qu'un arrêt défend, - pour certaines
causes à cela mouvant, à tous clercs et servi-
teurs, tant du Palais que du Châtelet de Paris",
de jouer publiquement audit Palais ou Châte-
let, ni ailleurs en lieux publics, farces, so-
ties, moralités, ni autres jeux à convocation
de peuple, sous peine de bannissement du
royaume et de confiscation de leurs biens. »
Bien mieux, l'arrêt leur interdit de demander
la permission de jouer, sous peine d'expulsion
du Palais ou du Châtelet. Cela n'empêche pas
Jehan Léveillé, alors roi de la basoche, Martin
Houssy, Théodart de Coatnampron et autres
clercs acteurs, de présenter, l'année suivante,
une requête à la cour. Mais la cour répond, le
19 juillet 1477, par une menace de répression
plus sévère; la peine des verges est ajoutée
au bannissement. Charles VIII ne se montra
pas plus tolérant que son prédécesseur. Les
représentations, autorisées de nouveau, sont
l'objet d'une surveillance rigoureuse, et, pour
quelques plaisanteries à l'adresse du gouver-
nement, cinq clercs sont condamnés à la pri-
son; l'interdiction de jouer est prononcée de
nouveau. Cependant, des jours meilleurs al-
laient se lever pour la basoche. Louis XII lui
rendit tous ses privilèges. « Il permit les théâ-
tres libres, dit Claude de Seyssel, et voulut
que sur iceux on jouât librement les abus qui
se commettaient tant à sa cour comme en son
royaulme. » Sollicité de punir les basochiens,
qui l'avaient représenté sous la figure de
l'Avarice : « Je veux, répondit-il, que les jeu-
nes gens déclarent les abus qu'on fait à ma
cour, puisque les confesseurs et autres qui
font les sages n'en veulent rien dire, pourvu
qu'on ne parle de ma femme ; car je veux que
l'honneur des dames soit gardé. » Les baso-
chiens profitèrent largement de cette liberté :
ils allèrent jusqu'à imprimer sur leurs mas-
ques les traits des personnes qu'ils attaquaient.
Le parlement voulut intervenir ;* mais il dut
attendre pour cela la mort du roi, lequel con-
sacrait, par sa présence et ses applaudisse-
ments, des tableaux qui flattaient ses passions
et sa politique, en jetantle ridicule sur un pape
ambitieux et hypocrite, en atteignant une
cour débauchée, livrée à toutes les intrigues,
en faisant incessamment une sorte d'appel à
l'opinion, une façon de lit de justice populaire
où les prétentions papales étaient plaidées et
condamnées. Le Jeu du prince des sots, joué
solennellement aux Halles le mardi gras de
1511, et dans lequel le pape, sous le nom de
prince des sots, pousse à la trahison les sei-
gneurs qui entourent le roi, enjoignant aux
prélats d'abandonner l'Eglise et l'autel, de
s'armer, de courir sus aux princes et de mon-
ter à l'assaut; cette violente satire de Jules II
et de l'Eglise, qui fit la célébrité de Pierre
Gringore ou Gringoire, dont la personna-
lité historique a été tournée en caricature
par Victor Hugo dans Notre-Dame de Paris,
peut passer pour le morceau typique de ce
théâtre curieux et caractéristique, ou les En-
fants Sans-Souci et les clercs de la basoche, se
faisant un continuel échange de répertoire,
étaient à la fois auteurs et acteurs. <- Ainsi,
dit M. Deschanel, le théâtre, quoique littérai-
rement très-informe, devenait déjà politique-
ment un instrument, une puissance. » Mais
Louis XII meurt, et les clercs de la basoche -
perdent leurs libertés et franchises. Le 2 jan-
vier 1516,1e parlement défend aux basochiens
de parler des princes et princesses de la cour.
Nous avons cité plus haut l'arrêt du 20 mai
1536, qui défendait de jouer à la montre de la
basoche aucuns jeux taxant ou notant quelque
personne que ce soit, sous peine de prison et
de bannissement perpétuel. Devant cette dé-
fense en termes si formels, la basoche se sou-
mit ou fit mine de se soumettre, et de son
côté le parlement, satisfait de son obéissance,
se décida à laisser peu à peu les clercs re-
prendre leurs habitudes scéniques; mais,
poussé par le clergé, il rétablit la censure en
1538, ordonnant aux comédiens de remettre à
la cour, quinze jours avant la représentation,
le manuscrit des pièces, qui ne seraient plus
annoncées par le cri sans autorisation. La
permission, lorsqu'elle était octroyée après
cette formule préalable, portait défense, sous
peine de prison ou de correction corporelle,
de faire jouer autre chose que ce qui est, hor-
mis les choses rayées. En 1540, redoublement
de rigueur. On menace les délinquants de la
hart, c'est-à-dire de la corde ou de la po-
tence. Entre l'Eglise et le théâtre sévit cette
uerre, de plus en plus terrible, qui durera
eux siècles encore. « Quelles furies autour
de Molière ! a raison de s'écrier M. Deschanel,
qui ajoute : Mais, en général, on remarque
ceci : les parlements condamnent les comé-
diens, les rois les protègent. Derrière les par*
lements est le clergé-, derrière les rois est le
peuple. » Dans la lutte qui s'établit entre le
pouvoir royal et le parlement, au sujet des
spectacles tant aimés de nos pères, le parle-
ment eut plus d'une fois le dessus, et nous le
voyons, en 1548, interdire la mise en scène de
tous les mystères, en même temps qu'il sur-
veille de très-près les représentations des
clercs de la basoche. Les années se passent,
et ce n'est plus que sous la Ligue, à la faveur
du désordre qui règne dans Paris, que les ba-
sochiens retrouvent un instant leur audace.
Ils représentent alors sur la table de marbre :
le Guisien ou la perfidie tyrannique commise
par Henri de Valois es personnes des illustres,
révérendisstmes et très-généreux princes Loys
deLorraine, cardinal et archevêque de Rheims,
et Henri de Lorraine, duc de GAiise. La baso-
che était, à cette époque, devenue presque
une puissance dans l'Etat; Henri III s'en in-
quiéta. Nous avons vu tout à l'heure com-
ment il tenta d'amoindrir son importance, en
supprimant le titre de roi de la basoche et
la montre générale. Sous son successeur,
Henri IV, la comédie redevient libre; mais
c'en est fait, le premier coup est porté à la
corporation des clercs, qui désormais ira s'af-
faiblissant. Ses représentations dramatiques,
dont la dernière trace se rapporte à l'année
1582, ont dû cesser au profit de celles de
l'hôtel de Bourgogne; le privilège de battre
monnaie lui a été retiré ; le parlement a in-
terdit ses cavalcades et ses processions à
travers la ville; les montres ne sont plus que
d'insignifiantes réunions, qui n'excitent plus la
curiosité publique.
Cependant subsistait toujours un genre de
représentation qui, sans appartenir au théâ-
tre, continuait les traditions de la basoche et
plaisait fort au peuple, nous voulons parler
de la Cause grasse, appelée primitivement
Cause solennelle, et qui se plaidait publiquement
le jour de carême-prenant. Ce plaidoyer épicé
valut à la basoche une bonne part de sa po-
pularité ; véritable discussion de carnaval,
toute farcie de mots graveleux et de plaisan-
teries grossières, cette cause grasse, dont le
chapitre xi du livre III de Pantagruel peut
donner une idôej se plaidait de neuf heures â
midi, en grand apparat, par-devant la cour
basochiale : elle roulait d'habitude sur un
fait ridicule, presque toujours grivois et quel-
quefois obscène, dont un magistrat trompé
par sa femme taisait habituellement le sujet
principal. On choisissait pour avocats les clercs
les plus spirituels et les plus audacieux, et
c'était à qui déploierait le plus de verve ra-
belaisienne dans cette joute où les mots les
plus libres, les expressions les plus décol-
letées étaient choisies de préférence. L'au-
teur anonyme d'une plaquette intitulée : l'Ou-
verture des jours gras ou l'entretien du Car-
naval (1634), a tracé un curieux tableau
de ce qu'était, de son temps, le plaidoyer de
la cause grasse, dont la licence était telle,
qu'on dut l'abolir dans les premières années
du règne de Louis XIII. Mais elle reparut
et se maintint sous Louis XIV, et ne fut plus
définitivement supprimée qu'au xvine siècle,
époque où la basoche était bi^n déchue de
son ancienne splendeur. Toutefois, les clercs
restèrent en possession du droit, à eux oc-
troyé par Henri II, de couper dans les forêts
du domaine royal tels arbres qu'ils voudraient
pour la plantation du mai dans la cour du
palais. Ils faisaient ordinairement couper trois
chênes : l'un, le plus beau, pour être placé
dans cette cour, et les deux autres, pour être
vendus à leur profit. Le même prince leur
avait alloué, pour couvrir les frais de la céré-
monie, une somme déterminée, à prendre sur
les amendes adjugées au roi, tant au parle-
ment qu'à la cour des aides. La plantation du
mai, avec ses accessoires, se faisait au mois
de mai de chaque année, en grande pompe,
ettous les basoeniens furent, jusqu'à une cer-
taine époque, tenus d'y assister. Elle était pré-
cédée de démonstrations diverses, qui en pro-
longeaient la durée pendant près d'un mois.
Après s'être entendus avec les officiers de la
maîtrise des eaux et forêts sur le jour, qui était
invariablement un dimanche, de leur rendez-
vous dans la forêt de Bondy (la forêt de Bondy
futremplacée par le bois de Vincennes, àpartir
de 1778. par suite de sa cession au duc d'Or-
léans), le chancelier de la basoche, en habit
d'apparat, et les deux commissaires nommés
pour la fête, accompagnés d'un timbalier,
de quatre trompettes, de trois hautbois et
d'un basson, allaient au Palais donner les au-
bades et réveils au premier président, aux
présidents à mortier, aux procureurs et avo-
cats généraux, à la basoche elle-même, aux
officiers des eaux et forêts, à la porte du par-
quet des gens du roi, etc. Ces aubades jouaient
un rôle important dans les usages de la baso-
che; elles se donnaient souvent la nuit, à la
lueur des flambeaux et des torches, par les
rues, en grand appareil, à la suite des mon-
tres, à l'époquedu renouvellement de l'année,
et dans d autres occasions encore. Le diman-
che fixé, dès le matin, tous les dignitaires de
la basoche, à cheval, vêtus superbement et
armés de façon splendide, ayant avec eux
leur imposant orchestre, allaient prendre le
chancelier (nous supposons que le roi n'existe
plus) et le conduisaient au palais. Après un
premier discours prononcé par un clerc dé-
signé d'avance, le cortège défile en bon ordre
et se dirige vers le bois de Bondy, où l'atten-
dent les officiers des eaux et forêts, également à
cheval et suivis de gardes. On déjeune en
commun. Après quoi, les officiers des eaux et
forêts prennent les devants ; la basoche se met
également en marche, mais, avant d'arriver
au lieu convenu, elle fait halte, et le premier
huissier va avertir ceux qui la précèdent de
son approche. Au point de réunion, le procu-
reur général de la basoche adresse aux offi-
ciers une harangue. Puis, au son des trompet-
tes et des timbales, le garde-marteau marque
les arbres que le charpentier de la basoche
viendra couper quelques jours après, pour les
faire porter a Paris dans la cour du Palais.
Enfin, lejour delaplantationvenu, on abattait
le mai del'année précédente, etsurson empla-
cement on élevait le nouvel arbre, décoré
des armes de la corporation entourées de
lierre, pendant'que l'orchestre donnait ses
plus belles fanfares et que les clercs et les
curieux poussaient de grands cris de joie. Le
mai s'élevait dans la grande cour du Palais,
?ui s'appelle encore cour de mai, et, selon les
rères Parfaict,au bas du grand escalier vis-à-
vis de la rue de la Vieille-Draperie. Il était,
comme tous les arbres de mai, sans racines.
Cette fête du mai, qui était universellement
célébrée au moyen âge par toutes les confré-
ries et corporations, et par les écoles de
l'Université, avait pour suite naturelle une re-
ftrésentation dramatique ; elle comptait parmi
es plus célèbres de la corporation de la ba-
soche, et dura jusqu'à la fin du xvmc siècle.
Seulement, en 1667, il fut défendu aux baso-
chiens d'y figurer au nombre de plus de vingt-
cinq. Depuis lors, la basoche cessa de déployer
en public la pompe de ses solennités, d'étaler
son effectif et de parader au grand jour.
Malgré tout, la plantation du mai persista,
car, dit l'auteur des Spectacles populaires, elle
répondait à une tradition généralement ré-
pandue, et qui s'est perpétuée jusqu'à nous
par la plantation des arbres de la liberté
sous les deux Républiques. (V. dans ce dict.
ARBRE DE IA LIBERTÉ). Il est certain d'ailleurs
que la plantation du mai était une cérémonie
particulièrement judiciaire, et tout à fait à sa
place parmi les usages de la basoche, puis-
qu'elle rappelait les vieilles coutumes de nos
316 BA.S
pères, ces ormes ou ces chênes à l'ombre
desquels se passaient les aotes solennels, se
- rendait la justice et se payaient les rentes.
M ême après sa décadence, la corporation des
clercs garda jusqu'à la Révolution, quoique
dans des proportions mesquines,l'habitude du
mai, et celle d'aller en cérémonie donner des
aubades chez les principaux membres du par-
lement et de la cour des aides, à cheval, dra-
Eeaux déployés, au son des instruments,
orsque soufflèrent sur la France les brises
enivrantes de la liberté, les clercs essayèrent
de se relever, en se dévouant ardemment à
la Révolution, qui les avait trouvés dans un
assez piteux état. Sous Louis XVI, on les voit
fiaraître dans les agitations de la rue. Ils pré-
udent à la vengeance populaire en exécutant
en effigie, sur la place Dauphine, le chancelier
Maupeou et le ministre Calonne. La basoche
assistait à la prise de la Bastille. Elle forma
quelque temps un bataillon qui conserva son
nom et dont l'uniforme était rouge, avec bou-
tons et épaulettes en argent. Ce bataillon, sta-
tionnant le 5 octobre 1789 aux Champs-Ely-
sées, fut contraint de suivre le nombreux
attroupement de femmes qui se dirigeaient sur
Versailles, ayant à leur tête l'huissier Maillard.
Mais déjà l'autorité municipale avait compris
le danger d'armer les citoyens par corpora-
tions, et le bataillon de la basoche futsupprimé
le 18 juin 1790, et réuni à la garde nationale.
Ces ruines d'une institution jadis si florissante
disparurent, comme bien d'autres qui n'avaient
plus depuis longtemps leur raison d'être, em-
Sortées par le flot des idées nouvelles. Le
écret du 13 février 1791, supprimant les ju-
randes, maîtrises, corporations, lui porta le
coup de grâce.
Parmiles noms de cette association fameuse
qui sont parvenus jusqu'à nous, nous citerons
les plus connus : Jehan Léveillé, dont il est
fait mention dans l'arrêt du 19 juillet 1477, et
qui fut roi de la basoche; Jacques le baso-
chien, qui fut arrêté en 1516; Jean Bouchet,
le potite des Epitres familières, et son ami et
compagnon Pierre Blanchet, l'auteur présumé
de Maistre Pierre Pathelin; Antoine de La
Salle, à qui on a également attribué la même
farce, l'auteur des Quinze joyes du mariage;
Clément Marot, François Villon, André de La
Vigne, l'auteur de la farce duMunyer. Roger
de Collerye, par son Cry pour la basoche con-
tre les clercs du Chastellet, semble avoir fait
également partie de cette corporation, qui
compta parmi ses derniers membres Collin
d'Harleville, Andrieux et Picard, trois poëtes
dramatique*, trois rivaux en talent et en suc-
cès, trois amis.
Basocbo du Châtelet (COMMUNAUTÉ DES
CLERCS DU CHÂTELET OU). A côté de la basoche
proprement dite, formée par les clercs du par-
lement, vécut une association exclusivement
composée des clercs du Châtelet; organisée
en confrérie, si l'on en croit quelques auteurs,
dès l'année 1278, c'est-à-dire vingt-cinq ans
avant la basoche du parlement. Mais il est à
peu près certain nue ces auteurs se trompent
et qu'ils enregistrent tout simplement une
prétention de ceux dont ils rédigentl'histoire,
et non une indiscutable vérité. Nous aimons
mieux, quant à nous, nous ranger de l'avis
de ceux qui veulent que la basoche du Châtelet
soit considérée comme une déviation de la
basoche du parlement, à laquelle elle resta
d'ailleurs toujours subordonnée, non toutefois
sans résistance et sans combat. Combat est le
mot, car d'anciens écrits satiriques témoignent
que de part et d'autre on en vint parfois aux
coups, la suzeraineté du roi de la basoche
offusquant les clercs du Châtelet. Roger de
Collerye nous a laissé en vers le souvenir
d'un état d'hostilité qui se traduisit, en plu-
sieurs occasions, par quelques têtes cassées.
Ses œuvres contiennent un Cry de la bazoche
contre les clercs du Chastellet, et un Autre cry
par les clercs du Chastellet contre les bazo-
chiens, dans lequel il est dit de ces derniers :
Bazochiena ne prise une groseille,
Certain je suis que leur bourse est mallade...
Ils sont au net et ont eu la cassade.
Vous en ferez au moins une ballade.
Car le prevost le veult, ainsi qu'on dit.
Prince, je dis, en gectant une œillade,
Sur ces retroux qui de vous ont mesdit,
Qu'on leur fera ung brouet et sallade,
Car le prevost le veult, ainsi qu'on dit.
Le prévôt dont il est question ici n'est autre
que le chef de la corporation des clercs du
Châtelet, qui portait ce titre et non celui de
roi. Le ton passablement outrecuidant des
Vers que nous venons de citer convenait peu
à messieurs du Châtelet, qui furent toujours
éclipsés par leurs rivaux, dont ils imitaient,
mais de loin, la plupart des solennités et les
représentations scéniques. La plantation du
mai leur fut interdite en 1571, tandis qu'on la
tolérait encore, dans de moindres proportions
qu'auparavant il est vrai, pour les clercs du
parlement. Mais, en revanche, un peu plus
tard, grâce sans doute à l'humble carrière
qu'elle fournit, on laisse à la basoche du
Châtelet le libre exercice de toutes ses fran-
chises, ou tout au moins la faculté de célébrer
sa fôte principale, la grande montre, pendant
que la basoche du palais, plus puissante qu'elle
et aussi plus redoutable, est dépossédée par
Henri III et perd les uns après les autres tous
les plus beaux fleurons de sa couronne. Nous
venons de parler de la grande montre des
clercs du Châtelet. Oui, les clercs du Châtelet"
avaient, eux aussi, leur carrousel, ce qui ne
les dispensait pas, si nous nous en rappor-
tons au Recueil (anonyme) des règlements du
royaume de la basoche, de 1 obligation d'assister
à la montre générale des basochiens dont il a
été question dans la première partie de ce
travail. La grande montre du Châtelet se célé-
brait aussi chaque année, d'abord le jour du
mardi gras, puis, à partir de l'année 1558, le
lundi de la Trinité, a En plein xvme siècle et
jusqu'au seuil de la Révolution, écrit l'auteur
des Spectacles populaires, on les voit (les clercs
du Cnâtelef) se livrer, avec une gravité et
une persistance admirables, à cette exhibition
innocente. * Mercier, dans son Tableau de
Paris, l'avocat Barbier dans son Journal,
Dulaure dans son Histoire de Paris, et plu-
sieurs autres écrivains ou chroniqueurs nous
ont retracé les détails curieux de cette caval-
cade, qui offrait aux regards surpris des Pa-
risiens d'un âge nouveau les fils dégénérés de
la basoche du Châtelet, chevauchant gauche-
ment à travers la ville, en robes longues, d'un
air assez piteux. Au bon vieux temps, le cor-
tège était plus imposant, et les badauds se
pressaient en grand nombre sur son passage.
La marche s'ouvrait par une musique guer-
rière ou peu s'en faut, composée de trompettes,
de hautbois et de timbales; les attributs de la
justice militaire, portés en grande pompe par
des clercs de la corporation, venaient ensuite :
le casque, les gantelets, la cuirasse, la main
de justice, le bâton de commandement. Puis
apparaissaient les trompettes et timbales par-
ticulières, et, précédés de leurs attributs hono-
rifiques, s'avançaient gravement quatre-vingts
huissiers à cheval et cent quatre-vingts ser-
gents à verge, tous vêtus dTiabits noirs ou de
couleurs variées, mais non en robe. Le centre
de cette cavalcade, bien faîte pour épouvanter
les débiteurs à court d'argent et les coupeurs
de bourse, était composé de cent-vingt huis-
siers priseurs et de vingt huissiers audienciers
en robes du palais, de douze commissaires du
Châtelet laissant flotter au vent leurs robes
de soie noire, d'un des avocats du roi, des
lieutenants particuliers et du lieutenant civil,
tous en robes rouges. Quelques huissiers fer-
maient la marche, flanqués des greffiers du
Châtelet. Cette armée de la procédure se
portait, dans le meilleur ordre possible, chez
le premier président, le chancelier, le procu-
reur général et le prévôt de Paris. « C'était,
dit M. Fournel, un des grands divertissements
du badaud que cette bizarre cavalcade, et
presque une renaissance du carnaval. »
Basoche de la chambre de* comptes (SOU-
VERAIN EMPIRE DE GALILÉE OU). Les clercs de
procureurs de la chambre des comptes for-
maient une autre communauté, dont le titre
était assez ambitieux : Haut et souverain em-
pire de Galilée, On a souvent confondu cette
institution avec celle de la basoche propre-
ment dite, et plus souvent encore avec celle
du Châtelet; elle remontait, elle aussi, au
xive siècle. Son chef exerçait une juridiction
disciplinaire sur tous les clercs de son Etat,
et il avait titre d'empereur. La formule de ses
actes portait : « A tous présents et à venir
salut. Nous avons par ces présentes, signées de
notre main, dit, déclaré et ordonné ; déclarons
et ordonnons, voulons et nous plaît... » Quant
à ce nom de Galilée, il venait de moins loin
qu'on ne serait tenté de le supposer, il venait
tout simplement de la rue où les clercs s'as-
semblaient pour tenir séance, de la rue de
Galilée, située au quartier de l'enclos du Palais.
L'association avait pour protecteur le doyen
des conseillers-maîtres de la chambre des
comptes, et le procureur général de la même
chambre avait mission de veiller à l'obser-
vation de ses statuts et règlements, dont il
était fait lecture publique tous les ans, la
veille de la Saint-Charlemagne. L'empire de
Galilée avait pris pour patron ce puissant
empereur, et le 28 janvier il en célébrait la
fête dans la partie inférieure de la Sainte-
Chapelle. Les représentations dramatiques
étaient aussi de son ressort; néanmoins, et
malgré son titre d'empire, cette basoche fit
peu parler d'elle et ne put jamais rivaliser
avec celle qui était érigée en royaume. Elle
avait pourtant, elle aussi, ses solennités; la
veille et le jour des Rois ramenaient une éé-
rémonie qui consistait en une marche à travers
Paris, au son des trompettes, dans le genre des
montres dont nous avons parlé plus haut. Tous
les sujets et suppôts du haut et souverain em-
pire de Galilée allaient, en costume d'apparat,
donner des aubades et distribuer des gâteaux
chez les membres de la chambre des comptes,
mais aux dépens, n'omettons pas de le dire,
de cette même chambre, ce qui donne à réflé-
chir sur le désintéressement des excellents
clercs. La chambre autorisait la fête et en
votait les frais, qui, sans" doute, étaient consi-
dérables, car on la voit souvent poser la con-
dition que les choses auront lieu modestement,
condition dont il ne fut jamais tenu compte :
la solennité aurait été incomplète aux yeux
des clercs si elle n'avait pas été rehaussée,
Sïins compter les emblèmes en peinture, de
« danses morisques,mommeries, triomphes et
aultres joyeusetés accoutumées- » Règlement
du 22 décembre 1522 et ordonnances de la
chambre des comptes du 11 décembre 1538.
Henri III, en supprimant le roi de la basoche,
ne pouvait laisser subsister l'empereur de
Galilée, à qui succéda son chancelier. Mais ce
fut la seule atteinte grave que reçut la corpo-
ration, qui traversa sans encombre les diffé-
rents règnes, et arriva jusqu'à la Révolution
avec la jouissance d'à peu près tous ses pri-
vilèges. Elle fut anéantie, en compagnie des
autres associations de clercs, par le décret qui
abolit la basoche en France.
Basoche dans le* provinces. Sur le modèle
de la basoche, instituée en 1303 par Philippe
le Bel, s'étaient formées dans les autres par-
lements des corporations analogues ayant,
comme celle de Paris, un roi, une milice, des
statuts et règlements, des dignitaires, un uni-
forme militaire, des armoiries. Philippe le Bel
avait, d'ailleurs, accordé à la basoche de P^î-is
le pouvoir d'établir des juridictions basochiales
inférieures dans les sièges royaux du parle-
ment de PariSj à la condition que les prévôts
de ces juridictions rendraient foi et hommage
au roi de la basoche et que l'appel de leurs
jugements serait porté devant lui. Il se forma
donc des sociétés de basoche à Lyon, à Poitiers,
à Angers, à Chaumont, à Loches, à Verneuil,
à Moulins, à Orléans, a Chartres, à Toulouse
et dans les,principales villes de France, avec
des prérogatives différentes; les rois leur ac-
cordèrent des privilèges importants, et elles
n'eurent généralement à se défendre que
contre les tracasseries des parlements, qui
essayèrent à plusieurs reprises, mais sans
pouvoir pendant longtemps y parvenir, d'em-
pêcher l'accroissement de ces sociétés, dont les
membres étaient trop enclins à la satire. A
Lyon, la basoche était célèbre; elle fut tour à
tour autorisée, supprimée, rétablie; un arrêt
de 1653 la supprima définitivement:elle rele-
vait de celle de Paris. En 1596, lorsque le
siège de la maréchaussée fut établi à Mar-
seille, il se forma immédiatement dans cette
ville une basoche organisée sur le modèle de
celle de Paris. Bien que le titre de roi de la
basoche eût été supprimé précédemment, la
basoche marseillaise ne tint pas compte de
l'ordonnance de Henri III, et voulut avoir
son roi, choisi ordinairement parmi les clercs
de notaire, lequel prenait dans ses actes la
ualité de roi de la basoche par la grâce du
onheur. A Orléans, le chef de la basoche
Prenait le titre d'empereur; ses sujets portaient
épée; ils percevaient une somme de douze
livres six sous sur les premières noces, et six
livres huit sous sur les secondes noces de tous
les gentilshommes, officiers d'épée et de robe,
bourgeois vivant noblement, employés dans
les affaires du.roi, praticiens et huissiers. Mais
la çlus importante de toutes ces associations
satiriques qui s'étudièrent à reproduire la so-
ciété mère et modèle, dont elles prenaient le
titre et les coutumes, était sans contredit celle
de Toulouse, recrutée parmi les étudiants en
droit, qui affluaient dans cette ville ; elle avait
son roi, son grand conseil, et se faisait remar-
quer par sa turbulence. Non contente des
uerelles particulières, elle intervenait encore
ans les débats publics et se montrait toujours
prête à appuyer la résistance du parlement
dans ses luttes avec l'autorité royale. La ba-
soche d'Angers comptait dans son sein. au
xve siècle, le poète Bourdigné, qui a écrit la
peu édifiante Légende de maistre Pierre Faifeu ;
celle de Poitiers a eu l'honneur de posséder
Jean Bouchet, poëte et procureur, et son ami
Pierre Blanchet, l'auteur supposé de la farce
de Pathelin. Pierre Blanchet, qui jouait par
grand art dans les farces qu'il faisoit jouer
sur eschaffaulx par ses confrères, se fit prêtre
à l'âge de quarante ans; mais il se réputait
indigne de sa nouvelle profession, et conti-
nuait son métier de poète. A sa mort, il rédigea
en plaisante rithme son testament bouffon,
dans lequel il fondait plus de trois cents
messes, en chargeant ses exécuteurs testa-
mentaires de les payer de leur bourse, et où il
distribuait entre ses amis plusieurs legs plus
à. plaisir qu'à singulier profit. Ce testament
satirique et joyeux se retrouve en partie dans
la farce intitulée le Testament de Pathelin.
Pathelin, ou plutôt maître Pierre Blanchet,
parle ainsi de ses anciens amis de la basoche
de Poitiers et du théâtre des Enfants sans
souci :
Après tout vrays gaudisseurs,
Bas percez, gollans sans soucy,
Je leur laisse les routisseurs,
Les bonnes tavernes aussi.
Disons, en terminant, que le nom de basoche
était devenu une sorte de désignation géné-
rique, étendue par l'usage à un grand nombre
d'associations d'un genre analogue, même
lorsqu'elles n'étaient pas formées, dit M. Four-
nel, par la réunion ries clercs du parlement,
et qu'elles étaient baptisées de titres particu-
liers. Aujourd'hui, ce n'est plus que dans le
langage familier et par amour de l'archaïsme
qu'on donne le nom de basoche aux divers
groupes de la cléricature, et particulièrement
aux clercs d'avoué, descendants directs des
clercs du parlement.
Les clercs de la basoche de Picardie se sont
acquis un genre de célébrité dont le siècle de
Rabelais fit le plus grand cas. C'est à eux
que l'on dut la grande vogue des rébus, dont
les Picards revendiquentl'invention, et que le
facétieux Tabourot, dans ses Rigarrures, a
appelés : Rébus de Picardie « ainsi que l'on
dit baïonnette de Bayonne, ganivet de Mou-
lins, peignes de Limoux, oiseaux de Tholose,
moustarde de Dijon. - Tous les ans, au car-
naval, les clercs de Picardie s'amusaient à
réciter au peuple d'Amiens des facéties et
satires bouffonnes, où il faisaient grand usage
d'allusions équivoques figurées par des rébus,
et qu'ils appelaient en latin : « De rébus guœ
geruntur, » c'est-à-dire nouvelles du jour. De
là, si l'on en croit Gilles Ménage, le grand
étymologiste, le nom de rébus. « Ces revues,
plus ou moins piquantes, des aventures et
intrigues de l'année dans la ville et les fau -
bourgs avaient, écrit M. Feuillet de Conches
dans ses Causeries d'un curieux, le mérite
d'une pointe de scandale et de grosse gaieté
qui donnait à chacun la joie d'entendre rire de
son voisin. » On voit que les clercs d'Amiens
plaidaient aussi la cause grasse, comme leurs
collègues de Paris.

BASOGHIAL,
ALE adj. (ba-so-chi-al —
rad. basoche). Qui concernelabasocho ou les
basochiens : Juridiction BASOCHIALE. Règle-
ments BASOCHIAUX.

BASOCHIEN
s. m. (ba-zo-chi-ain — rad.
basoche). Clerc ou officier de la basocho :
Ronrgeois, écoliers et BASOCHIENS s'étaient mis
à l'œuvre. (V. Hugo.) Grâce à ma garde-robe,
il s'improvisa un costume qui ne sentait pas
trop le BASOCHIEN de Paris. (G. Sand.)
— Adjectiv. Propre aux clercs de la baso-
che : L'esprit frondeur et BASOCHIEN de Paris.
(L. Méry.)

BAS-OFFICIER
s. m. Militaire qui a un
grade inférieur à celui d'officier, il On dit au-
jourd'hui SOUS-OFFICIER.

BASOLÉE
s. f. (ba-zo-16). Entom. Genre
d'insectes coléoptères pentamères, de la fa-
mille des carabiques. Syn. à'axinophore et
de catapière.

BASQUAIS
AISE adj. (ba-skè è-ze).Géogr.
Qui est du pays des Basques : Elle s'e plai-
gnait à son hôtesse, vieille dame très-pohex de
l'insolence d'une servante BASQUAISE. (Bourdm.)

BASQUE
s. f. (bas-ke — de Rasques, nom
de peuple). Partie d'un habit qui est décou-
pée et descend au-dessous de la taille : Les

BASQUES
d'un pourpoint. Les BASQUES d'un ha-
bit. Je n'étais pas venu à Kircaguch pour
qu'un esclave fût assez téméraire pour me tou-
cher la BASQUE de mon habit. (Cnateaub.) Je
suis un homme de bon sens. Ce qui fait qu'on
en doute, c'est qu'il me manque une veste; on
ne croit pas au bon sens qui a des BASQUES.
(E. do G h'.) Il tracassait son domestique une
heure durant pour un grain dépoussière oublié
sur la BASQUE de son habit. (H. Taine.) Elle
se prend et s'accroche aux BASQUES d'un sergent
de ville. (Cormen.)
Mais qu'un tendron te tire par la basque.
Tu lui souris BERANGER.
— Loc. fam. Ne pas quitter les basques de
quelqu'un, Etre toujours pendu à ses basques,
L'accompagner partout, no savoir pas s'en
éloigner.
— Constr. Bavette de plomb qui est taillée
en forme de basque d'habit.
BASQUE s. pr. m. (ba-ske — du lat. Basco,
nom de peuple). Habitant d'une contrée es-
pagnole connue sous le nom de pays des Bas-
ques : L'activité et l'agilité des BASQUES sont
depuis longtemps célèbres. (A. Hugo.) Il se
trouva que les BASQUES ne voulaient plus payer
la redevance sur le cidre qu'on brassait à
Rayonne. (H. Taine.)
— Loc. fam. Courir, trotter comme un Bas-
que, Courir très-vite; marcher beaucoup:
Une bonne vieille femme du village ne pouvait
pas marcher depuis trois ans; le docteur lui
a mis de son onguent sur ses blessures, aujour-
d'hui elle COURT COMME UN BASQUE. (E. Sue.)
Vous m'avez fait trotter comme un Basque, où je
[meure.
MOLIÈRE:.
— Tambour de basque^ Petit tambour muni
d'une seule peau et garni de grelots, qu'on
bat avec le'pouce et la paume de la main :
Les Zingari allaient par troupes, avec des TAM-
BOURS DE BASQUE, (volt.)
— Linguist. Langue du pays des Basques :
Le BASQUE est une des plus anciennes langues.
— Chorégr. Pas de basque, Danse très-
vive : Quand je vous attrape le PAS DE BASQUE
ou le pas de bourrée, c'est alors qu'il faut me
voir. (Etienne.)-
— Adjectiv. Se dit du pays des Basques,
et de ce qui a rapport à ses habitants : La
première chose qui frappe l'observateur, en
entrant dans le pays BASQUE, c'est la fierté des
habitants. (A. Hugo.) L'idiome des Hères n'a
laissé qu'un seul représentant, c'est la langue
BASQUE. (Maury.)
BASQUES, peuple de l'Europe méridionale,
établi depuis un temps immémorial sur les
deux versants des Pyrénées occidentales. Les
Basques, qui forment de nos jours une popu-
lation d'environ 800,000 âmes, sont répartis
dans les provinces espagnoles de Biscaye, de
Guipuzcoa, d'Alava et dans une partie de la
Navarre (600,000 âmes) ; dans les petites con-
trées françaises, le Labour, la basse Navarre
et le pays de Soûle, qui forment les arrondis-
sements de Bayonne et de Mauléon (200,000
âmes). Un article spécial devant être consa-
cré à chacune de ces contrées, nous n'avons
pas dessein de nous occuper ici de la des-
cription du sol; l'homme qui habite ces ré-
gions montagneuses et accidentées doit seul
appeler notre attention.
Ce peuple, appelé par les Romains Canta-
bri, mot qui signifie, dans le langage basque,
chanteurs excellents (khanta ber) ; par les Es-
pagnols, Vascongados, Vascos, dénomination
* 317
que Larramendi fait venir du basque vasco
(nomme); et par les Français, Basques (déri-
vation de Vascos), ne s'est jamais désigné
lui-même que par le nom d'Escualdunac,
composé de trois mots basques : escu (main);
aide (adroite), et dttnac (qui ont), c'est-à-dire
hommes adroits ou qui ont la main adroite.
Jeté comme un monument antique entre la
France et l'Espagne, les Pyrénées et l'Océan,
ce peuple, étranger au bouleversement des
empires et au mouvement progressiste de la
civilisation, est toujours resté libre, sinon in-
dépendant. Au nord comme au sud des Pyré-
nées, les mœurs, le langage, les coutumeSj
tout élève une barrière entre lui et ce qui
l'entoure. Il est aussi éloigné du maintien
grave du Castillan ou du flegme dédaigneux
de l'Andalou, que de la politesse pointilleuse
du Béarnais ou de la souplesse proverbiale du
Gascon. Tandis que les deux premiers font
sonner bien haut leur qualité d'Espagnols et
que les seconds se glorifient d'être Français,
le Basque, quelque versant pyrénéen qu'il
habite, est Basque avant tout, et préfère ce
titre h tout autre. La tête haute, l'air dégagé,
la taille droite et souple, la pose académique,
la démarche aisée, ferme et légère, le regard
vif et assuré, tels sont les caractères exté-
rieurs du Basque ; habile à tous les exercices
du corps, il est d'une agilité qui est passée en
proverbe : Courir, sauter comme un Basque,
sont des dictons français dont on reconnaît la
justesse quand on a vu le peuple auquel ils
s'appliquent. Une propreté recherchée règne
dans son costume, qui favorise encore cette
légèreté : un béret m eu, une veste rouge ou
brune, un gilet blanc, un mouchoir de soie
négligemment noué autour du cou, des culot-
tes d'étoffe blanche ou de velours noir, le tout
proprement ajusté et rehaussé par la blan-
cheur éclatante d'une belle chemise, forment,
avec une large ceinture de laine rouge, le
costume national des Basques. L'habillement
des femmes n'est remarquable que par la
coiffure : un mouchoir d'un bleu foncé ou d'un
blanc éclatant, attaché sur le haut de la tête,
flotte derrière les épaules et donne un air pi-
quant d'abandon aux femmes charmantes qui
le portent. Démarche facile et légère, taille
svelte et bien prise, vivacité du regard, éclat
du coloris, sont les qualités distinctives des
agaçantes Basquaises. Du reste, si le Basque
se garde de mêler son sang au sang étranger,
les deux sexes jouissent d'une grande liberté
de commerce, qui ne tourne pas toujours au
profit dé la pudeur publique. Fiers, impé-
tueux, les Escualdunacs, Ijien différents des
paysans des autres pays, marchent la tête
haute, les épaules effacées, et s'inclinent rare-
ment les premiers devant l'étranger qu'ils
rencontrent; leur salut a toujours le caractère
de l'égalité. Us sont pasteurs et guerriers,
enthousiastes de la liberté, qu'ils ont toujours
défendue dans leurs célèbres Fueros, espèces
de congrès ou d'assemblées qui se tenaient
jadis, en plein air, dans une enceinte d'arbres
séculaires. La valeur qui les distingue était
connue des anciens. Horace a dit d'eux :
Cantaber indoctus juga ferre nostra. Braves
jusqu'à la témérité, ils sont excellents soldats
pour la guerre des montagnes, mais indisci-N
plinés, désertant en masse pendant les trêves
et reparaissant au moment du combat. Querel-
leurs et vindicatifs, il n'est pas de fêtes chez eux
où il ne se livre des combats meurtriers; ba-
leiniers intrépides, les premiers ils ont ouvert
aux nations du globe le chemin des grandes
pêches de la morue et de la baleine. Il n'est
pas impossible que, dans ces navigations loin-
taines, ils aient vu avant tout autre les terres
d'outre-mer : le hasard, les courants et les
vents alises ont pu conduire quelques-uns
d'entre eux dans ce nouveau monde, dont la
découverte officielle était réservée à Colomb.
Les Basques sont éminemment hospitaliers ;
tout hôte pour eux est un ami, qu'ils accueil-
lent avec des transports de joie. Cette nation
aime avec ardeur les jeux et les fêtes, surtout
les fêtes où l'on danse, les jeux où l'activité
du corps se déploie, et par-dessus tout le jeu
de paume. La danse particulière du pays est
le mouchicOj remarquable par la rapidité fié-
vreuse de ses mouvements; le flageolet à
cinq trous, le tambourin et le tambour basque
accompagnent les danseurs.
Un auteur a dit, en parlant du pays basque :
Un enfant y sçait danser avant que de sçavoir
appeler son papa et sa nourrice. Malgré tout,
les filles qui se livrent habituellement à cet
amusement frivole sont peu considérées ;
quelques lignes d'une chanson basque le
prouveront :
Peu de femmes bonnes sont bonnes danseuses :
Bonne danseuse, mauvaise fileuse;
Mauvaise fileuse, bonne buveuse.
Des femmes semblables
Sont bonnes à traiter a coups de bâton.
Tels sont, à peu près, les grands traits qui
caractérisent ce peuple, qui, placé au centre
de la civilisation, en plein xixe siècle, tient
encore le milieu entre l'état de simple nature
et l'état civilisé. Mais d'où vient cette race
d'hommes si étrangère aux mœurs de la
France et de l'Espagne, qui l'étreignent au
nord et au midi ? A quelle famille la langue
basque, si riche, si abondante, mais en même
temps si originale, peut-ene se rattacher?
Cette double question exerce depuis longtemps
la critique et l'imagination des savants, qui
ont beaucoup disserté et beaucoup écrit sur
l'histoire d'une nation dépourvue de monu-
ments historiques, et chez laquelle il n'existe
que des traditions confuses. Malgré l'incerti-
tude dans laquelle nous laissent tous ces écrits,
nous allons faire connaître en peu de mots
les principales opinions sur le sujet qui nous
occupe. Certains auteurs font remonter l'ori-
gine des Basques jusqu'au déluge. Au déluge,
disent les chroniques, - échappèrent quelques
hommes, rares comme les olives qui restent sur
l'arbre après la récolte, comme les grappes qui
pendent aux pampres après la vendange, et de
ce nombre fut Aïtor, ancêtre des Basques. On
ne pouvait guère remonter plus haut. »
Le comte Garât, qui était basque lui-
même, a cru reconnaître, dans les Escualdu-
nacs des deux versants des Pyrénées, des
Phéniciens venus dans ces montagnes, il y a
cinq mille ans, pour en exploiter les mines.
Cette hypothèse toute gratuite n'est pas
étayée sur des preuves plus solides que celles
qui soutiennent l'opinion de Lucien Bona-
Farte. Ce prince, qui préfère les douceurs de
étude aux agitations de la vie publique,
frappé d'un certain nombre d'analogies gram-
maticales entre quelques dialectes finnois et
le basque, en a hardiment conclu, comme
M. de Charancey, que le basque est un ra-
meau du tronc finnois, et que, conséquemment,
il se rattache à la famille touranienne du nord-
est de l'Asie. Cette conclusion se présentait
d'autant plus aisément à l'esprit que déjà une
assertion analogue, portant des prémisses diffé-
rentes, avait été formulée par le docteur
Retzius, médecin anthropologiste suédois. Ce
savant, se fondant sur 1 examen d'un certain
nombre de crânes trouvés dans des tombes
antiques du nord de l'Europe, crut pouvoir
conclure qu'antérieurement aux races actuel-
les de la famille indo-celtique, une race toute
différente, que le docteur identifiait avec la
famille finnoise, avait occupé le continent eu-
ropéen; et il supposait que, progressivement
reloulés par les Celtes, les Hères, ancêtres
des Basques, étaient restés finalement acculés
dans la contrée qu'ils occupent de nos jours,
où ils représenteraient la race primordiale de
l'Europe. Le trait profondément distinctif des
races indo-européennes et des races finnoises,
prototype de la population primitive de l'Eu-
rope, est la forme du crâne. Chez les Indo-
Européens; le crâne serait de forme essen-
tiellement allongée ; chez le peuple primitif, de
même que chez les Finnois, le crâne, au con-
traire, serait presque aussi large que long.
Malheureusement, le docteur Broca, secré-
taire de la Société anthropologique de Paris,
est venu démontrer récemment le peu de
fondement de la théorie du docteur suédois,
en ce qui touche au caractère brachycéphale
(tête courte) de la race ibérienne. Ainsi, la
consanguinité finnoise de la langue basque et
la parenté crâniologique des Finnois et des
Escualdunacs reposent sur des bases égale-
ment peu solides.
L'histoire des Basques n'est pas moins ob-
scure que leur origine. A l'époque où César
pénétra dans les Gaules, les plaines du Gers
étaient déjà occupées par une tribu puissante,
de souche basque, les Ausci, qui avaient pour
capitale Elimberri ou Auscia (Auch). LeCan-
tabre passa plus difficilement que ses voisins
sous la domination romaine, et résista à l'im-
mense force d'assimilation du peuple vain-
queur. Quand les Alains, les Suèves et les
Vandales vinrent fondre sur l'Hispanie et s'y
cantonner, la Tarraconaise, qui comprenait
la Vasconîe ou pays des Basques, demeura
romaine ; mais Réehiaire, qui monta sur le -
trône des Suèves, en 448, rangea la Vasconîe
et s'avança jusqu'à Lérida; un traité de paix
avec Rome l'arrêta momentanément; mais
peu après, en 456, il consomma l'envahisse-
ment de la Tarraconaise. Bientôt, la querelle
des rois francs et des Goths se poursuivant
au delà des Pyrénées, la Vasconie fut rava-
gée et passa sous la domination des Francs.
Vers 588, les Basques refoulés, dit-on, par
Récarède, roi des Goths, se précipitèrent dans
la Novempopulanie, pillant tout sur leur pas-
sage, aprè3 quoi une partie des émigrants
s'établit dans la basse Navarre, la Soûle, le
Labour et le Guipuzcoa : telle fut l'origine du
duché de Vasconie. Les Basques y devinrent
puissants, et, sous le règne de Clotaire III et
de Thierry UI, ils se précipitèrent au loin sur
les provinces françaises, assiégèrent Bourges,
et, entraînés par la passion du pillage, osè-
rent franchir la-Loire. Au milieu des longs
bouleversements qui suivirent les grandes in-
vasions- les Basques se maintinrent toujours
libres, sinon complètement indépendants. Pen-
dant longtemps, ils se trouvèrent placés entre
les deux monarchies rivales de Navarre et de
Castille, dans une situation assez mal définie
et qui, par cela même, leur fut favorable.
Mais à partir du xne siècle, la Biscaye, le
Guipuzcoa et l'Alava se soumirent à la Cas-
tilLe, sans rien perdre toutefois de leurs liber-
tés. Dans les deux siècles suivants, ces pro-
vinces se débarrassèrent de leurs seigneurs
particuliers et furent incorporées à la monar-
chie castillane. Jusqu'alors elles s'étaient gou-
vernées par leurs juntes, qui se réunissaient
tous les deux ans, dans la Biscaye, sous le fa-
meux chêne de Guernica, et tous les ans dans
le Guipuzcoa et dans l'Alava. Ce fut à cette
époque que, sans perdre ces juntes fameuses,
véritables assemblées républicaines, ils reçu-
rent les chartes écrites que la monarchie cas-
tillane leur octroya pour servir de palladium
à leurs antiques libertés. Ils ne payaient au-
cun impôt, à moins d'un vote libre de la
junte ; n'étaient soumis ni au recrutement, ni
à la douane, et jouissaient, dans toute l'Espa-
gne, des mêmes exemptions que la noblesse.
Quand, sous Charles III, les ports de la Pé-
ninsule furent ouverts au commerce des colo-
nies, privilège dont Cadix avait joui jus-
qu'alors, les Basques voulurent profiter de cet
avantage, et ils renoncèrent à leurs immunités
en matière de douane. La constitution espa-
gnole de 1812 enleva aux Basques tous leurs
privilèges ; ils se soulevèrent à deux reprises,
et, de 1821 à 1823, imprimèrent à l'insurrec-
tion un caractère si énergique qu'il détermina
l'intervention française. A la mort de Ferdi-
nand VII (1833), ils se déclarèrent pour don
Carlos contre Isabelle, et, après six ans d'une
guerre acharnée, finirent par reconnaître la
jeune reine, moyennant quelques concessions
qui leur furent promises, mais qui ne furent
pas assez déterminées. En 1841, voyant qu'on
se préparait à leur enlever leurs privilèges,
ils se révoltèrent de nouveau pour rétablir
Christine sur le trône d'Espagne. Espartero
comprima cette insurrection, et, depuis lors, le
gouvernement espagnol s'est efforcé d'impo-
ser aux Basques les mêmes lois qu'aux habi-
tants des autres provinces; mais u est encore
loin d'y avoir réussi, et, malgré les tendances
d'unification qui se font sentir partout en
Europe, le Basque résistera, pendant long-
temps encore, aux idées modernes.
— Langue basque. A en croire les Basques,
leur langue serait la plus ancienne et aurait
été inspirée par Dieu même. Ils ont poussé
l'exagération jusqu'à dire qu'elle était aussi
naturelle à l'espèce humaine que le roucoule-
ment au pigeon, l'aboiement au chien.
Mais venons-en aux données de la science
philologique. La langue basque, ou escuara,
a été rattachée à diverses orjgines. Plusieurs
auteurs ont voulu y voir un idiome offrant
de grandes analogies avec le punique ou car-
thaginois, et appartenant, par conséquent, à la
souche sémitique. Mais des travaux plus ré-
cents le font rentrer avec plus de vraisemblance
dans le groupe des langues agglutinantes, telles
que le turc, le magyare, le finnois, etc., avec
lesquels il offre surtout de grandes affinités
grammaticales. Larramendi assigne à la lan-
gue escuara une haute antiquité. Il est géné-
ralement admis aujourd'hui qu'elle était la
langue nationale des antiques populations de
l'Ibérie.
La langue basque, comme nous venons de
le dire, présente tous les phénomènes carac-
téristiques des idiomes agglutinants. Voici un
rapide aperçu grammatical qui servira à don-
ner une idée de cette langue. Le basque
ignore, comme le turc, la distinction des gen-
res masculin et féminin, ainsi que le nombre
duel. Les substantifs se déclinent, non au
moyen de changements flexionnels, comme on
le fait dans les langues sémitiques et indo-
européennes, mais au moyen de particules
suffixes, qui s'agglomèrent, s'agglutinent au
radical. Ces suffixes servent de base à un mé-
canisme très-compliqué, qui rend l'étude de la
déclinaison basque assez difficile. Les gram-
mairiens basques, don Astarloa, entre autres,
partagent les relations exprimées par les cas
en deux catégories : io les relations primaires
(reJaciones primarias), qui sont au nombre de
quatre, et répondent à nos termes de nomi-
natif, génitif, datif et accusatif; 2° les rela-
tions secondaires {relaciones secundarias), qui
sont en nombre beaucoup plus considérable,
et servent à rendre, au moyen de postposi-
tions, les idées d'instrument, de fin, de cause
efficiente, de lien, etc. Tout substantif basque
peut donner naissance à deux adjectifs du
nombre singulier et à deux adjectifs du nombre
pluriel; c'est ce qu'on appelle des noms du
deuxième degré. Ainsi, par exemple, Bayona,
Bayonne; génitif Bayonaco, de Bayonne; ad-
jectif Bayonacoa, celui de Bayonne. L'abbé
d'Iharce a composé, par ce procédé, des mots
du troisième, quatrième, cinquième, sixième
degré ; en voici un :
Aitarenarenarengamcacoarenarenarenarequin,
ce qu'il faut traduire en français par : Avec
celui de celui de celui de celui de celui du
père.
On forme également des adjectifs en ajou-
tant aux noms abstraits la terminaison taznna
ou queria : hordi, hordiqueria. Les pronoms
personnels, outre la forme ordinaire, en
ont une seconde, qui consiste dans l'addition
finale de la lettre c, et qui s'emploie avec les
verbes passifs. La conjugaison basque offre
une complication qui est encore plus considé-
rable que celle de la déclinaison, et repose
sur les mêmes principes. A en croire don
Astarloa, chaque verbe serait susceptible de
deux cent six conjugaisons différentes, com-
prenant chacune onze modes distincts. Mais
ce nombre ne résiste pas à un examen atten-
tif et doit être considérablement diminué.
Dans les anciennes grammaires, la conjugai-
son turque était tout aussi effrayante, et ce-
pendant on en est arrivé aujourd'hui à la ré-
duire à deux paradigmes, et même à un seul.
On peut partager les verbes basques en
quatre classes principales : la première, qui
comprend les verbes passifs ou neutres sans
complément, avec l'auxiliaire naiz ( être ) ;
la deuxième, qui comprend les verbes neutres
avec complément indirect, singulier ou plu-
riel; la troisième, qui comprend les verbes
actifs sans complément ou avec complément
direct; et la quatrième, qui comprend les
verbes actifs à double complément, direct et
indirect, singulier et pluriel. Les prépositions
des autres langues sont remplacées ici par
des postpositions ; les adverbes, les conjonc-
tions et les interjections ne présentent rien
d'extraordinaire.
Nous avons déjà dit que le Basque ignorait,
les genres et le nombre duel. La plupart des
noms basques paraissent terminés en a ou en
ac; mais ces terminaisons sont de véritables
articles postposés. Quand deux noms sont en
construction, le terme antécédent doit se
placer après le terme conséquent : Joseph
Mariaren senharra (Joseph, époux de Marie).
La construction est, comme dans la plupart
des langues agglutinantes, généralement in-
versive.
La langue -escuara n'a pas actueUemep i
d'alphabet; il n'est cependant nullement im-
possible qu'elle en ait possédé un. Strabt. a
rapporte que les Turdétans ou Turdules, pe i-
pies de la Bétique, possédaient des traditions
écrites, ainsi que des recueils de poèmes et ûs
lois ou préceptes en vers. De nos jours, on a
appliqué le caractère latin à la transcription
du basque, transcription qui est exactement
basée sur la prononciation. On remarque dans
ces transcriptions de nombreuses diphthongues
et quelques groupes de consonnes inconnus,
tels que Ih, nh, tsa, xtt, kh, etc. La pronon-
ciation varie avec les localités : ainsi, dans
l'arrondissement de Mauléon, on prononce la.
voyelle u comme en français, tandis que, par-
tout ailleurs, on lui donne le sonow. Plusieurs
consonnes s'aspirent plus fortement dans la
Cantabrie française, etc. Les Basques rem-
placent le son v par b; ils ne commencent
jamais un mot par un r, et ils disent, au lieu
de Borna, Erroma.
La langue escuara comprend différents
dialectes. Larramendi en reconnaît trois prin-
cipaux : celui du Guipuzcoa, celui de la Bis-
caye et celui du Labour. Le labourtain est
sonore et facile à parler; les aspirations do-
minent un peu. Le biscayen, moins aspiré, a
plus de tendance à syncoper et à contracter
les mots; quant au dialecte de Guipuzcoa, on
le considère généralement comme le plus doux
et le plus correct. Il n'a pas les aspirations
multipliées du labourtain ni les syncopes du
biscayen. Les trois dialectes principaux com-
ftrennent d'autres dialectes secondaires ou
ocaux, qui s'élèvent à un nombre assez con-
sidérable.
Il est à présent incontestable que la langue
basque est réellement une langue, et non une
sorte d'idiome bâtard, formé par la fusion du
latin, du grec, de l'espagnol, etc. Cependant
on retrouve dans le basque une foule de mots
qui dérivent évidemment de langues tout à
fait différentes. Cette intrusion de termes
étrangers s'explique parfaitement par la po-
sition géographique des populations basques
et par les contacts multipliés qu'elles ont eus de
tout temps avec les peuples les plus divers.
Voici quelques rapprochements qui pourront
intéresser : Artho (pain), en grec artos ;
makhil (bâton), en hébreu makhel; Usai (om-
bre), en hébreu tsel; gorputz (corps); dem-
pora (temps) ; presuna (personne) ; khurutee
(croix) ; en latin corpus, tempora, persona,
crux)-. narr (sot); narr, fou, en allemand;
asto (âne); astar, mulet, en persan; arhan
(prune), arani, en sanscrit, etc. Quant aux
mots réellement et originairement basques, on
retrouve leurs analogues dans les (idiomes -
agglutinants, particulièrement dans les lan-
gues finnoise, turque, magyare, mongole, etc.
Les Celtomanes de la fin du xvme siècle,
dit M. de Rienzi, voulaient qu'Adam fût bas
Breton, et réalisaient la satire plaisante de
Rabelais sur l'étymologie de la ville de Chi-
non, mutilation de Caïnon, la plus ancienne
ville du monde, puisqu'il la fait bâtir par
Caïn. Leur fanatisme pour l'antiquité celtique
n'approchait pas de 1 admiration que profes-
sent certains philologues pour la langue
basque ou escuara, ainsi que l'appellent les
nationaux.
Rabelais, dont l'immense érudition puisait
partout ses éléments- de raillerie, a mis quel-
ques phrases basques dans la bouche de Pa-
nurge, ainsi que Plaute avait mis des mots
phéniciens dans son Pœnulus.
— Littérature basque. Comme la langue
basque n'a guère été fixée par l'écriture que
de nos jours, elle ne possède pas, à propre-
ment parler, de littérature véritable. Larra-
mendi constate qu'il n'existe aucun ouvrage
basque, manuscrit ou imprimé, remontant à
plus de deux siècles; les quelques fragments
anciens que la tradition a conservés sont
d'une authenticité fort douteuse. Nous cite-
rons, entre autres, le fameux chant de Lello,
qui aurait été composé au moment de la lutte
héroïque que soutinrent les Cantabres contre
les Romains. Comme le remarque fort juste-
ment M. de Charencey, les Cantabres étaient
Celtes, et non Ibères ou Basques. Le chant
d'Altabizkar ou Altabiçar doit être accepté
avec des réserves encore plus grandes. On
a imprimé, de nos jours, en basque, un as-
sez grand nombre d'ouvrages religieux, tels
que des catéchismes, des traductions de l'Imi-
tation de Jèsus-Christ et de divers autres
traités ascétiques, des Noëls, des cantiques
spirituels, des manuels de dévotion, des orai-
sons, des sermons, parmi lesquels nous cite-
318
rons ceux du prédicateur Pierre Argainarats,
Un des livres écrits en basque le plus pur
et le plus élégant est celui de Pierre Axular,
curé de Sare, intitulé: Gueroco Guero (en-
core apràs\. Il existe aussi quelques traités
grammaticaux et philologiques, entre autres,
la Grammaire française à l'usage des Basques,
de Hurriet; un Dictionnaire basque, espagnol,
français et latin, ouvrage manuscrit de Jean
Etcheberri, etc. Parmi les livres traitant de
divers sujets, nous citerons encore : le Com-
bat spirituel, en dialecte labourtain ; un ou-
vrage sur les danses, les jeux et les fêtes
cantabriques, écrit en dialecte du Guipuzcoa,
ar don Iztueta; une traduction de l'histoire
e l'Ancien et du Nouveau Testament, le Ser-
mon sur la montagne, en grec et en basque,
par de Lécluse; le livre du laboureur (Labo-
rantzaco liburua), etc. Enfin, tout récemment,
on a publié un monument destiné à faire épo-
que dans l'histoire de la littérature basque et
a la fixer d'une manière définitive. Nous vou-
lons parler de la traduction de la Bible, exé-
cutée en entier par le capitaine des douanes
en retraite, Jean Duvoisin. Cette entreprise
considérable a été commencée et menée à
bonne lin, soùs les auspices et aux frais du
prince Louis-Lucien-Napoléon Bonaparte, qui,
depuis longtemps, s'occupe avec succès de
questions philologiques et linguistiques. D'un
autre côté, l'impression de la Bible en langue
basque espagnole, ou Guipuzcoa, est aussi en
voie d'achèvement, sous les mêmes auspices
et avec la même collaboration.
A côté de la littérature écrite, qui est si
pauvre, les Basques possèdent une autre lit-
térature populaire, consistant en romances, en
chansons, en ballades, qui ont été transmises
fiar tradition, et que conserve religieusement
a mémoire des chanteurs. Malheureusement,
ce côté original de la littérature basque ne
nous est que fort imparfaitement connu, parce
qu'on n'a pas encore rassemblé ces morceaux
épars. Cependant il en existe un recueil com-
posé par M. de Latena, mais qui est encore
inédit. La langue basque a indirectement pro-
duit un poète des plus originaux, c'est Antonio
de Trueba, qui a, comme le dit M. Thaïes
Bernard dans son Histoire de la Poésie, com-
biné l'influence des chants basques avec les
courts refrains du peuple espagnol, en con-
struisant sur ces derniers des compositions
plus longues, qui ne semblent pas nées dans
le Midi.
Le Basque naît poète, et l'on trouve dans
cette pittoresque contrée un grand nombre de
bardes populaires. Nous citerons, parmi ces
derniers, Oyenhart, qui a composé des pasto-
rales et des proverbes, dont voici un échan-
tillon :
Bcr exea beires da rfacunac esiaîine,
Espesa attrtic berserencra harriric.
« Celui qui a sa maison couverte en verre ne
doit point jeter de pierre sur le toit d'autrui, n
Une maxime orientale ne dirait pas mieux.
BASQUES (PROVINCES), grande division mi-
litaire d'Espagne, formant une capitainerie
générale, qui comprend les provinces d'Alava,
de Guipuzcoa et de Biscaye: elle est bornée
au N. par la France et le golfe de Gascogne,
à TE. par la Navarre, au S. et à l'O. par la
capitainerie générale de Burgos. V. BASQUES.
BASQUES {PAYS DES), pays de France, qui
renfermait les trois petites contrées du La-
bour, de la basse Navarre et de Soûle, et qui
forme aujourd'hui, dans le département des
'Basses-Pyrénées, les deux arrondissements
de Bayonne et de Mauléon.
Le Labour formait autrefois, avec quelques
vallées voisines, l'évêché de Bayonne. Il eut
des seigneurs particuliers, sous le titre de vi-
comtes, au xie et au xnu siècle. Réuni plus
tard à la Gascogne, il entra dans le domaine
de la maison de Béarn et fut réuni à la cou-
ronne de Franco par l'avènement de Henri IV.
La basse Navarre, dont la capitale était
Saint-Jean-Pied-de-Port, ne formait, dans l'ori-
gine, qu'un canton du royaume de Navarre.
Restée seule au pouvoir des rois de Navarre
de la maison d'AÏoret, elle n'en conserva pas
moins le titre de royaume, et le3 rois de
France, successeurs de Henri IV, ne dédai-
gnèrent pas de s'intituler aussi rois de Na-
varre.
La Soûle, dont Mauléon était la capitale,
avait titre de vicomte ; elle eut des seigneurs
particuliers jusque vers la fin du xmc siècle,
et fut réunie définitivement à la couronne en
1607. En 1790, elle forme le district de Mau-
léon, qui devint plus tard sous-préfecture,
par l'addition d'une partie de la basse Na-
varre.
BASQUE (Michel LE), boucanier fameux,
né, comme l'indique son nom, dans les pro-
vinces basques au xviie siècle. Entraîné par
son humeur aventureuse, il se rendit en Amé-
rique et ne tarda pas à se signaler par des
actes d'une incroyable audace. L'île de la
Tortue était alors en la possession d'une bande
de flibustiers, dont le chef, David Nau, dit
YOlonnais, parce qu'il était né aux Sables-
d'Olonne, était devenu le fléau des Espagnols.
Le Basque se joignit à l'Olonnais, et, à la tête
d'environ quatre cents flibustiers, les deux
chefs s'emparèrent de Maracaïbo et mirent le
feu aux quatre coins de Gibraltar, dans le
golfe de Venezuela. Ils rapportèrent de cette
expédition un butin considérable. La fin de
| Michel le Basque est enveloppée de la même -
obscurité que le début de sa vie.

BASQUETTE
s. f. (ba-skè-te — dimin. de
basque). Vêtement d'homme, à courtes bas-
ques.
— Comm. Grand panier rond, à oreilles et
à claire-voie, dans lequel on met du hareng.

BASQUINE
s. f. (ba-ski-ne — rad. Basque,
nom de peuple). Jupe très-ornée, empruntée
aux Espagnoles : La duchesse porte une BAS-
QUINE rose, avec des volante de frange noire,
entremêlée de houppes de soie, (Th. Gaut.) La
mariée est charmante, avec son petit loup de
velours noir et sa BASQUINE à grandes franges.
(Th. Gaut.)
C'était plaisir dé voir danser la jeune fille;
Sa basquine agitait ses paillettes d'azur.
V. HUGO

BASQUINER
v. a. ou tr. (ba-ski-né — rad.
Basque, nom de peuple). Autref. Ensorceler;
se disait, assure-t-on, à cause du grand nom-
bre de Basques adonnés à la sorcellerie.

BAS-RELIEF
s. m. (ba-re-lièff—rad. bas
et relief, relief peu saillant). Sculpt. Ouvrage
de sculpture exécuté sur un fond auquel les
figures sont adhérentes : L'on voit, en BAS-
RELIEF, les aventures de ta déesse. (Fén.) Au
centre de la place, se dressait la grande cathé-
drale gothique, avec sa large tour du bourdon
et ses cinq portails brodés de BAS-RELIEFS.
(V. Hugo.) Une des -premières conditions de la
composition des BAS-RELIEFS est d'y laisser le
moins de vide, le moins de trous que l'on peut,
et d'empêcher, comme on dit, que les figures ne
ballottent. (Vitet.)
— Particulièrem. Par opposition à haut-
relief; sculpture dans laquelle les figures ne
conservent pas leur saillie naturelle, et sem-
blent aplaties sur le fond.
— Antonyme. -Ronde-bosse.
— Encycl. On donne assez généralement le
nom de bas-relief atout ouvrage de sculpture
qui forme saillie sur un fond et qui s'en déta-
che plus ou moins, soit qu'il y ait été appliqué
et fixé, soit qu'il ait été taillé dans la matière
môme dont ce fond est formé. Il y a lieu, tou-
tefois, de distinguer trois genres aereliefs : le
haut relief ou plein relief, dont les figures se
détachent presque entièrement du fond et se
rapprochent de la ronde-bosse (le Départ, le
Triomphe, la Paix et la Guerre, de l'arc de
l'Etoile); le demi-relief on la demi-bosse, dont
les figures ressortent de la moitié de leur
épaisseur; le bas-re'ief proprement dit, dont
les figures sont représentées comme aplaties
sur le fond et ne forment qu'une légère
saillie.
«L'origine du bas-relief, dit Quatremère de
Quincy, se confond avec celle de l'hiérogly-
phe, c'est-à-dire qu'il doit sa naissance à l'é-
criture figurée. Sous ce point de vue, l'usage
du bas-relief fut commun à tous les peuples, et
se retrouve chez les plus sauvages. Cette ma-
nière d'écrire sur la pierre fut la première de
toutes : le besoin l'inventa ; la religion se l'ap-
propria. Le progrès seul des arts d'imitation
pouvait perfectionner ces premiers signes et
leur donner la vie. Cet honneur était réservé
aux Grecs. En Grèce, les arts furent en quel-
que sorte les ministres de la religion. En
Egypte et dans l'Asie, ils en furent les escla-
ves. Un respect religieux pour ces caractères
primitifs que le culte avait sanctifiés, la crainte
peut-être de changer les idées en changeant
tes formes auxquelles elles étaient attachées,
tout contribua, chez les Egyptiens, à retenir
les arts dans une espèce d'enfance. » Les hié-
roglyphes qui figurent sur les monuments de
l'Egypte sont tracés de trois manières diffé-
rentes. La première manière n'a aucun rap-
port avec le travail de la sculpture en bas-
relief : les objets sont taillés en creux et
n'offrent aucune surface saillante; tels sont
les hiéroglyphes de l'obélisque de Louqsor.
La seconde manière nous fait voir les pre-
miers pas de l'art du bas-relief : les figures
sont relevées en bosse, mais leur saillie est
inférieure à la surface du bloc dans lequel
elles sont taillées. Ces bas-reliefs, sculptés
avec beaucoup de précision dans le renfonce-
ment de la pierre, ont reçu des Grecs le nom
de coilanaglyphes (v. ce mot); ils sont très-
fréquents dans les monuments égyptiens. La
troisième méthode est celle qui est particuliè-
rement propre au bas-relief ; elle dégage les
figures et les fait saillir légèrement sur les
surfaces environnantes. Winckelmann semble
croire qu'elle n'a été employée par les Egyp-
tiens que dans l'exécution des bas-reliefs en
métal, mais il n'est pas douteux qu'elle n'ait été
appliquée aussi sur la pierre. Les relations
des voyageurs ont fait connaître un assez
grand nomdre de sculptures exécutées d'après
ce dernier système sur des autels, des obélis-
ques, des pylônes, et l'on en voit des spéci-
mens dans les principaux musées lapidaires
de l'Europe. La plupart de ces sculptures ne
nous offrent que des figures sans action, et ne
nous paraissent que des hiéroglyphes animés ;
il en existe, toutefois, qui représentent de vé-
ritables compositions : de ce genre étaient
celles que décrit Diodore de Sicile, et qui or-
naient le tombeau du roi Osymandias; elles
figuraient les batailles et les victoires de ce
prince. En général, les bâs-reliefs égyptiens
sont distribués sur les édifices par rangées
| horizontales, comme les lignes de l'écriture,
I ou encore par files perpendiculaires. Il ne faut
y chercher ni une grande variété de mouve- (
ments, ni une grande justesse d'attitudes;
mais les détails sont travaillés avec soin, et
l'exécution se fait remarquer par l'habileté de
la taille et le poli de la pierre. En examinant
les bas-reliefs simplement ébauchés qui ont
été trouvés a Ombos, la commission française
d'Egypte a reconnu que les artistes de ce pays
mettaient au carreau les sujets et les figures
qu'ils voulaient représenter, puis les dessi-
naient au pinceau avec un trait rouge. Les
bas-reliefs exécutés d'après ces indications
n'ayant qu'une faible saillie, on employait
souvent des teintes monochromes pour mar-
quer davantage la nature des objets repré-
sentés et pour les faire apercevoir à distance.
C'est a peu près sous les mêmes formes et
dans le même goût qu'on retrouve l'art du
bas-relief en Assyrie, en Perse et jusque dans
l'Inde. Les innombrables sculptures dont sont
couvertes les pagodes indiennes sont de véri-
tables hiéroglyphes. Les bas-reliefs qu'on a
découverts dans les ruines de Persépolis et de
Ninive accusent un art plus avancé. C'est
bien toujours la même symétrie dans l'ordon-
nance, la même monotonie dans la distribu-
tion des parties; mais les compositions sont
plus variées, plus mouvementées,'plus pitto-
resques. Au point de vue de l'exécution, les
bas-reliefs persépolitains sont peut-être moins
finement travaillés que ceux de l'Egypte, mais
leur saillie a plus de hardiesse. Les oas-reliefs
qui revêtent les parois intérieures des édifices
ninivites sont de grandes tables d'albâtre où
les figures et les objets sont sculptés avec
une grande délicatesse de ciseau et soigneu-
sement polis : ils offrent des scènes très-va-
riées et souvent très-comuliquées, dont les su-
jets sont empruntés aux iastes de la religion
et de la puissance royale. V. ASSYRIEN (Art).
Le système d'architecture adopté par les
Grecs ne comportant pas une aussi grande
prodigalité de sculpture que les monuments
de l'Egypte et de l'Assyrie, sortes de livres
immenses, toujours ouverts, qui plaçaient sous
les yeux du peuple les images des dieux et les
hauts faits des ancêtres, les bas-reliefs ne
jouaient qu'un rôle purement décoratif dans
les édifices de .la Grèce, la place qui leur était
particulièrement réservée était le champ de
la frise : cette partie de l'entablement avait
reçu le nom de Çuotpopoç, parce que, dans l'ori-
gine, on y représentait des têtes de victimes
et des animaux consacrés aux dieux. Les ar-
tistes antérieurs aux siècles de Cimon et de
Périclès paraissent avoir employé la sculp-
ture en bas-relief principalement à la décora-
tion des boucliers , des vases , de certains
meubles, des autels, et des trônes destinés à
recevoir les statues des dieux. Homère vante
un bas-relief de la composition de Dédale,
représentant un chœur de danse, et dit que
Vulcain l'avait imité sur le bouclier d'Achille.
A l'époque de la-première olympiade, vers
l'an 776, un artiste dont le nom ne nous a pas
été conservé enrichit le fameux coffret de
cèdre de Oypsélus (v. ce nom) de bas-reliefs
en or et en ivoire, représentant l'histoire des
dieux et des héros de la Grèce. Deux siècles
plus tard, Bathyclès de Magnésie orna de com-
fiositions analogues le trône colossal d'Apol-
on, que les Lacédémoniens l'avaient chargé
d'élever dans le temple d'Amyclès. L'art de
ciseler les métaux en relief fut pratiqué avec
une extrême habileté par plusieurs contempo-
rains de Cimon, entre autres*par Calamis,
dont les vases d'argent, enrichis d'élégantes
sculptures, étaient encore chez les Romains,
du temps de Néron, un objet de luxe pour les
particuliers et un sujet d'émulation pour les
artistes. Calamis fut un des précurseurs im-
médiats de Phidias, un des derniers représen-
tants de la vieille école attique. Parmi les
ouvrages exécutés par cette école, il n'en est
Pas qui fassent mieux connaître la noblesse et
énergie de son style, que les bas-reliefs dont
sont ornés les métopes et les frises extérieures
du temple de Thésée, existant encore aujour-
d'hui au milieu d'Athènes. On y voit repré-
sentés les exploits de Thésée, ïe combat des
Centaures et des Lapithes, et celui des Athé-
niens contre les Amazones. « Précieux ou-
vrage d'un ciseau rude encore. mais plein
d'énergie et de chaleur, cette mâle sculpture,
dit Emeric David, nous offre, avec des défauts
inévitables a l'époque où elle a été exécutée,
de singulières beautés. Des mouvements dé-
cidés et énergiques, mais qui ne sont pas tou-
jours exempts de quelque exagération, de
larges divisions dans les masses principales du
nu, et cependant de la confusion dans les dé-
tails, des têtes quelquefois lourdes, mais
vivantes et expressives ; de fréquentes incor-
rections dans les contours, et de la vie dans
l'ensemble ; un faire généralement sec, et un
aspect imposant : tels en sont les traits origi-
naux. Le sentiment des effets pittoresques s'y
fait peut-être admirer plus encore que le mé-
rite de l'exécution. Il ne faut pas oublier, si
l'on veut apprécier dignement ces bas-reliefs,
qu'ils ont été faits pour être placés à une
grande hauteur et au milieu d'une éclatante
lumière. L'artiste a ménagé des parties tran-
chantes vers les extrémités des .figures, afin
de les détacher du fond en se créant des om-
bres; il a relevé aussi des parties osseuses
pour imiter les effets du coloris. Tout n'est
pas vice dans ces vastes méplats quelquefois
vides de détails. Vue du point d'optique qu'elle
exige, cette sublime aculpture imprime déjà
l'idée de la grandeur homérique qui bientôt
distinguera Phidias. Ce fut là un des plus ad-
mirables produits de la vieille école athé-
nienne. » Les bas-reliefs dont l'école d'Egine
enrichit dans le même temps le Panhellemum
offrent la même facture maie et expressive.
Phidias assouplit le style rude de ses de-
vanciers, et porta l'art du bas-relief à un haut
degré de perfection. Les sculptures de la frise
et des métopes du Parthénon, exécutées, si-
non par lui, du moins sous sa direction et par
ses meilleurs élèves, sont justement célèbres.
On y admire la noblesse de la composition,
la variété infinie des attitudes, l'élégance et
la vérité des contours, la fierté et 1 ampleur
du modelé. Plusieurs artistes du temps de
Phidias furent d'habiles sculpteurs de bas-re--
tiefs; sans parler d'Alcamène et d'Agoracrite,
qui passent pour avoir travaillé aux sculptu-
res du Parthénon, on peut citer ÎVlys, ciseleur
du plus grand mérite, qui représenta, sur le
bouclier de la Minerve Lemnienne, le combat
des Centaures et des Lapithes 7 d'après un
dessin de Parrhasius; Myron, qui égula Cala-
mis. dans l'art de ciseler des vases en métal,
Praxias, disciple de Calamis, qui sculpta dans
le fronton du nouveau temple de Delphes les
figures (le Latone, de Diane, d'Apollon, des
Muses, de Bacchus, des Thyades, etc. Dans les
siècles suivants, l'art qui nous occupe enfanta
plus d'un chef-d'œuvre. Les auteurs anciens
ont célébré comme des merveilles les bas-reliefs
dont Scopas, Léocharès, Bryaxis et Timothée
ornèrent le fameux tombeau de Mausole.
L'art gréco-romain produisit aussi, en ce
genre, d'admirables ouvrages : témoin les bas-
reliefs des arcs de Titus et de Constantin, et
ceux de la colonne Trajane, qui sont parvenus
jusqu'à nous. Le temps a respecté aussi un
assez grand nombre de bas-reliefs de petites
dimensions, exécutés soit en Grèce, soit en
Italie, et destinés à décorer des autels, des
tombeaux, des vases, des fontaines, etc. Tels
sont, pour ne citer que les plus remarquables,
ceux qui représentent les Travaux d'Hercule,
Ariane abandonnée, Bacchus soutenu par Ampe-
los et Acratos, au musée Pio-Clénientin; Per-
sée délivrant Andromède, le Sommeil d'Endy-
mion, les Amours de Diane et d'Endymion, le
Comfiat des Grecs et des Amazones, au musée
du Capitole ; Eurydice, Orphée et Mercure (ou,
suivant quelques auteurs, Antiope et ses fils),
Antinous tenant un cheval par la bride, Marc-
Aurèle et Faustine, ^Bérénice saci-ifiant sa
chevelure, à la villa Albani; les Travaux
d'Hercule, l'Education de Télèphe, Cassandre
et Ajax, les Heures, à la villa Borghèse; Pa-
ris et Hélène, Bacchus assis et un Faune, une
Bacchanale, le Sacrifice à Priape, au musée
degli Studj ; etc. Aucun musée n'est aussi
riche que le British Muséum en sculptures
monumentales : c'est là que l'on peut admirer
aujourd'hui cette longue suite de bas-reliefs
arrachés au Parthénon par lord Elgin ; des
fragments considérables de la frise du temple
de Phigalie, en Arcadie; d'autres fragments
provenant de l'acropole de Xanthe, en Lycie,
et du tombeau de Mausole. La glyptothèque de
Munich s'est enrichie, il y a quelques années,
de sculptures extrêmement précieuses, déta-
chées de la frise du PanheUemum d'Egine.
Le Louvre n'a qu'un petit nombre de sculp-
tures monumentales : une des métopes et
l'une des tables de la frise du Parthénon ; les
fragments de trois métopes du temple de Ju-
piter Olympien, et une série de bas-reliefs, en
granit gris, qui formaient l'architrave d'un
temple d'Assos, en Mysie, et qui représentent
des chasses et des combats d'animaux. Parmi
les bas-reliefs de petites proportions, fort
nombreux dans notre musée national, on re-
marque surtout ceux qui offrent les sujets
suivants : Antiope et ses fils, les Muses, Mi-
thra tuant le taureau, les Forges de Vulcain,
Jupiter, Thétis et Junon, Latone, Apollon et
Diane, la Naissance de Vénus, les Douze
dieux (sculptures de deux autels), les Funé-
railles d'Hector, Agamemnon, Talthybiùs et
Epeus, la Vengeance de Médée, Phèdre et
Hippolyte, les Génies des jeux, etc.
L'étude attentive de ces précieux débris
nous apprend avec quelle supériorité les an-
ciens ont traité l'art du bas-relief. On a pré-F
tendu qu'ils ne savaient que couper des figu-
res de ronde-bosse par le milieu ou par le
tiers de leur épaisseur, et les claquer sur un
fond, sans exprimer la dégradation exigée par
la perspective. Le savant Quatremère de
Quincy a fait bonne justice de cette accusa-
tion. Il a montré que, quel que soit le peu de
saillie des bas'rehefs antiques, les figures y
ont la rondeur voulue, les parties fuyantes
s'unissent au fond sans qu'on aperçoive, pour
ainsi dire, la ligne où elles vont expirer ; les
contours y sont aussi variés, les formes aussi
précises que dans les sculptures de ronde-
bosse. Les anciens n'admettaient, il est vrai,
qu'un très-petit nombre de plans dans leurs
bas-reliefs, deux ou trois au plus. En général,
surtout quand il s'agissait de décorations mo-
numentales destinées à être placées à une
assez grande élévation, ils donnaient peu de
saillie aux figures, et les disposaient sur un
seul plan , par la raison bien simple qu'un
bas-relief devant être vu d'un seul point, au-
cune partie n'en doit être cachée par une
autre. Il est clair que, si l'on eût donné beau-
coup de saillie au relief des frises du Parthé-
non, les parties les plus rapprochées de l'œil
du spectateur lui en eussent dérobé les par-
ties les plus éloignées. Une remarque qu'il
importe de faire, c'est que, dans l'antiquité, lo
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bas-relief ne figurait jamais que comme orne-
ment accessoire d'une forme principale dont
il devait respecter l'intégrité. L'architecture
ne l'admit qu'autant qu'il n'altérerait point le
plan sur lequel il pouvait s'introduire; il de-
vait se conformer, par conséquent, à l'épais-
seur ou à la saillie qui lui était commandée
suivant la place qu'il occupait. On conçoit
d'après cela que, dans la plupart des bas-re-
liefs antiques, la perspective n'ait pas toujours
été rigoureusement observée. « On ne saurait
regarder ce défaut, dit Quatremère de Quincy,
comme l'imperfection d'une routine ignorante,
mais bien comme le système volontaire et ré-
fléchi d'une combinaison éclairée; non comme
l'erreur involontaire de l'artiste, mais comme
un procédé constant et invariable de l'art
Est-il aisé de se persuader que le savant
Apollodore, le premier' architecte de son
temps, eût laissé subsister, dans le chef-
d'œuvre de son génie et du siècle de Trajan,
des fautes aussi grossières, s'il les eût crues de
vrais défauts, ou qu'il ne se fût pas aperçu de
ceux qui devaient être visibles pour tous? La
vérité est que ces erreurs de perspective, tant
reprochées à la colonne Trajane, loin de por-
ter le caractère de l'ignorance, indiquent, au
contraire, la connaissance la mieux sentie de
l'art même de la perspective. Cette exactitude
de plans et de détails linéaires, qu'on peut
employer dans les ouvrages qui sont a la
portée de la vue, eût été la plus grande de
toutes les faussetés dans ce vaste monument,
puisque l'éloignement en eût fait disparaître
entièrement i effet. Celui qui le conçut fut
donc obligé, pour être vrai, de sacrifier, si
l'on peut dire, à l'erreur : mais de quel nom
doit-on appeler cette savante erreur de dé-
tail, qui produit la vérité de tout l'ensemble?
Comment appeler ce mensonge véridique au-
quel on doit de pouvoir suivre distinctement,
jusque dans les cieux, où la main de l'art osa
les rendre encore lisibles, les exploits du plus
grand empereur de Rome?... Si les figures de
cette colonne augmentent de saillie et de
grandeur, à mesure qu'elles s'éloignent de la
vue et s'élèvent en l'air, pourqUe l'oeil puisse
discerner celles d'en haut aussi facilement que
celles du bas: si la dégradation dans les plans
des figures n y est qu'imparfaitement expri-
mée, pour ne point trop effacer à la vue celles
du fond, et pour ne point altérer le galbe de
la colonne; si les accessoires et les fonds
d'architecture n'y sont point soumis aux lois
de la perspective, qui eussent rendu invisible
ce qu il était nécessaire de faire voir : qu'en
doit-on conclure? ou que l'artiste qui exécuta
ce monument connaissait plus que les lois de
la perspective, puisqu'il connut l'esprit de ces
lois même, et ne les viola que pour les mieux
observer; ou que, si leur transgression fut
involontaire , cette erreur de l'inexpérience
serait un des plus heureux et des plus éton-
nants effets du hasard. » V.TRAJMUE (Colonne.)
L'art de sculpter en bas-relief ne se perdit
point au moyen âge. Chez les Byzantins, en
Italie, dans le midi de la France, partout où
subsistaient des monuments grecs ou romains,
cet art conserva assez longtemps les tradi-
tions des anciens maîtres, et produisit une
foule d'ouvrages où, à défaut d'imagination et
de goût, on reconnaissait une certaine entente
de l'effet pittoresque. A dire vrai, les nom-
breux sarcophages chrétiens que l'on voit à
Rome ne donnent pas une très-haute idée de
la manière dont la sculpture en bas-relief fut
pratiquée vers les premiers temps du moyen
âge. Exécutés, pour la plupart, par des ou-
vriers mercenaires qui ne faisaient qu'y répé-
ter, ou modifier de la façon la plus banale,
les mêmes sujets et les mêmes compositions,
ils doivent être considérés plutôt comme les
produits d'une industrie que comme des objets
d'art. Toutefois, un examen attentif permet
de reconnaître parfois, sous l'enveloppe d'un
travail grossier, des réminiscences heureuses
du style antique. D'après les renseignements
ui nous sont parvenus sur la construction
es églises chrétiennes des premiers siècles,
nous voyons qu'elles étaient rarement ornées
de sculptures; tout leur luxe paraît avoir
consisté dans les tentures, dans les mosaï-
ques, dans les fresques, dans les marbres pré-
cieux dont on les décorait. Mais, si l'art du
bas-relief était peu employé pour l'ornemen-
tation des édifices, il servait du moins à re-
présenter les mystères de la religion nou-
velle sur les autels, les cuves baptismales,
les croix, les calices, les châsses des saints
martyrs. A aucune époque il n'y eut un plus
grand nombre d'artistes occupés à ciseler les
métaux. Pour ne parler que de la France,
nous voyons qu'au vi« siècle, Gontran et
quelques princes de sa famille firent exécuter
des bas-reliefs en argent et en vermeil, for-
mant un tableau de 7 coudées et demie de
haut sur 10 de large, et représentant la Nati-
vité et la Passion de Jésus-Christ ; cet ouvrage
fut conservé jusqu'à la fin du xe siècle dans
l'église Saint-Bénigne, à Dijon. Au vue siè-
cle, saint Eloi, l'orfèvre du roi Dagobert, se
rendit célèbre par son habileté à travailler
les métaux. Sous Louis le Débonnaire; Angé-
sise, abbé de Luxéuil, commanda pour son
église un calice d'or enrichi de bas-reliefs
(anaglypho opère factum). Vers 989, Amai-
bert, abbé de Saint-Florent de Saumur, fit
exécuter une châsse d'argent ornée de bas-
reliefs, pour renfermer le corps du saint pa-'
tron de son abbaye. Quarante ans plus tard,
Richard, abbé de Saint-Viton, près de Ver-
don, dota son église d'un ciborium, d'un pu-
pitre en bronze et d'un devant d'autel en ar-
gent , décorés de bas-reliefs dorés (opère
factœ cœlatorio, arte fusili et anaglypho pro-
ductœ imagines, opère mirifico, etc.). En 1087,
l'orfèvre normand Othon exécuta, dans l'é-
glise de l'abbaye de Saint-Etienne de Caen.
le mausolée de Guillaume le Conquérant, qu'il
enrichit de bas-reliefs d'or et d'argent, rele-
vés de pierres précieuses. Les Annales béné-
dictines et les autres chroniques du moyen
âge nous fourniraient une foule d'autres
exemples de travaux de ce genre.
L'ornementation sculpturale commença à
se montrer au xie siècle sur les chapiteaux
des églises romanes, et surtout aux baies du
grand portail et à la façade. Les porches des
églises de Saint-Bénigne de Dijon, de Nan-
tua, de Vermanton, d'Avalon, du Mans,.qui
datent de cette époque, sont très-dignes d'at-
tention non-seulement par le grand nombre
de figures en bas-relief et en demi-bosse qu'on
y voit réunies, mais encore à cause du style,
qui est bien meilleur qu'on n'oserait le croire.
Au xtie siècle,les artistes, placés sous l'inspi-
ration romano-byzantine, donnèrent libre car-
rière à leur imagination ; les fleurs, les rin-
ceaux et autres ornements furent mieux
fouillés, plus élégamment dessinés qu'aux
époques précédentes de l'ère romane. Les
bas-reliefs représentant la figure humaine
perdirent peu à peu la physionnomie barbare
qu'ils avaient eue jusqu alors. Les portails des
églises de Laon, de Châteaudun, de Bayeux,
de Saint-Denis, de Semur en Auxois, de Saint-
Lazare d'Autun, de Saint-Trophime d'Arles,
sont couverts de compositions religieuses ou
allégoriques, traitées avec une simplicité qui
n'est pas dépourvue de grandeur. L'archi-
tecture ogivale conserva et améliora ce sys-
tème de décoration : les maîtres de pierre
multiplièrent les bas-reliefs, non-seulement
sur les porches et dans les divers comparti-
ments des façades, mais encore dans l'inté-
rieur des églises. La sculpture monumentale
joue un grand rôle dans les magnifiques cathé-
drales élevées auxme,auxrve et au xve siècle;
il nous suffira de citer en France les cathé-
drales d'Amiens, de Paris, de Beauvais, de
Reims, de Chartres, d'Orléans, de Strasbourg,
d'Auch, de Rouen, où la pierre est fouillée,
ciselée avec une délicatesse extraordinaire.
L'art de sculpter en relief les métaux, l'ivoire,
le bois, l'albâtre, produisit à la même époque
une foule d'ouvrages finement travaillés: re-
tables, tabernacles, calices, châsses, croix,
encensoirs, lutrins, bancs d'oeuvre, crédences,
armoires, coffres, bahuts, armures, etc. Parmi
les divers spécimens de ce genre que possède
le musée de Cluny, nous citerons : un retable
du xine siècle, provenant de l'église de Saint-
Germer (Oise), magnifique bas-relief, mal-
heureusement mutilé, dans lequel les figures
peintes et dorées sont appliquées sur un fond
gaufré et rehaussé d'or; un retable en bois
sculpté (n° 208) du xve siècle, provenant de
l'abbaye d'Everborn, près Liège; divers bas-
reliefs en albâtre du xive siècle (n08 129 â
142) ; une grande châsse en ivoire (n<> 404),
de la même époque, décorée de 51 bas-reliefs
avec rehauts d'or et de couleur, représentant
des sujets tirés de l'Ancien et du Nouveau
Testament ; les volets d'un retable de l'abbaye
de Saint-Ricquier (no 228), composés de 12 bas-
reliefs où sont mis en action les versets du
Credo, etc.
En Italie, l'art du bas-relief fut asservi, pen-
dant la plus grande partie du moyen âge, aux
conceptions monotones, aux formes étriquées
de la sculpture byzantine. Les portes de
bronze sculptées qui furent apportées de la
Grèce, au xie siècle, pour décorer les portails
de Saint-Marc à Venise, de Saint-Pierre à
Rome, et du Dôme de Naples, servirent de
modèles pour les portes des cathédrales d'A-
malfi et de Bénévent, pour celles de la ca-
thédrale de Pise, coulées par Bonanoen 1180,
et pour celles du baptistère de Saint-Jean de
Latran exécutées, en 1203, par Pierre et Hu-
bert de Plaisance. On retrouve le même style
dans les meilleurs bas-reliefs italiens du
xne siècle, notamment dans ceux du Dôme
de Modène, exécutés par Guillaume, du
Dôme de Parme, par Antelami, de Saint-
Zénon, de Vérone, et du Dôme de Ferrare,
par Nicolas Ficarolo. Au xme siècle, Nicolas
de Pise, s'inspirant des chefs-d'œuvre de l'anti-
quité, chercha à ramener l'art vers l'étude de
ia nature et l'expression du vrai : les bas-
. reliefs dont il a décoré le tombeau de saint
Dominique, a Bologne, et les chaires des cathé-
drales de Pise et de Sienne, dénotent un
progrès réel, un premier retour aux saines
traditions. André et Jean, qui florissaient au
xive siècle, suivirent la voie ouverte par
Nicolas ; le premier se rendit célèbre en sculp-
tant les portes de bronze du baptistère de
Florence. Le siècle suivant vit surgir une
foule de maîtres eminents, qui se distinguèrent
dans l'art du bas-relief : Andréa Orcagna,
qui sculpta l'autel de l'église d'Or San-
Michele; Lorenzo Ghiberti, qui fit les bas-
reliefs de cette admirable porte du baptistère
de Florence, que Michel-Ange proclama digne
d'être la porte du Paradis ; Massuccio, qui
exécuta les tombeaux du roi Robert et de la
reine Sanche, à Naples; Lanfranc, qui fit le
tombeau des Pepoli, à Bologne, et Bononi da
Campione, celui de Can délia Scala, à Vérone ;
Pollaiuolo, Cenninî, Cione, Verrochio, Maso
Finiguerra, Michelozzo et Bartolommeo, qui
furent surtout d'excellents orfèvres et oui
portèrent l'art de la ciselure à une perfection
inconnue jusqu'alors. L'heure de la renais-
sance artistique a enfin sonné ; les procédés
surannés, les vieilles routines ont fait place à
l'étude de l'antique et à l'observation de la
nature ; peintres, sculpteurs, architectes, ri-
valisent de goût, d'imagination, de sentiment,
- d'habileté pratique. Pour ne parler que de la
sculpture en bas-relief, on ne sait ce qu'il
faut le plus admirer, dans les chefs-d'œuvre
des maîtres de la Renaissance, de la simpli-
cité et de la noblesse de la conception, de la
beauté de la forme, de la délicatesse et de la
pureté de l'exécution. Il semble que ces maî-
tres se soient efforcés de produire dans leurs
bas-reliefs l'illusion de la peinture. Les com-
positions dont Ghiberti a orné les montants de
l'admirable porte du baptistère de Florence
sont de véritables tableaux en relief, où la
perspective linéaire est scrupuleusement ob-'
servée; on y voit des montagnes, des arbres,
des nuages, une foule d'objets qui n'avaient
jamais pris place dans les bas-reliefs antiques.
Baccio Bandinelli, le Sansovino, Filarete,
Donatello, et les autres artistes duxvie siècle,
qui exécutèrent des ouvrages du même genre,
adoptèrent un style plus large, plus éner-
gique, sans renoncer toutefois a natter l'œil
ftar la disposition pittoresque des figures et
a dégradation savante des objets. Ce système
fut singulièrement exagéré, au xvn« siècle,
par l'Algarde, le Bernin, et leurs émules. Ces
artistes exécutèrent en bas-relief de vastes
tableaux d'histoire, où les figures se groupent,
s'éloignent, se rapprochent, le plus souvent
sans autre raison que celle d'une fausse har-
monie, qui décide de leurs attitudes et de leur
rapport avec la scène. Ils essayèrent, en un
mot, de s'approprier, par l'art des groupes et
une dégradation calculée dans la saillie des
objets, ces moyens puissants que la peinture
doit à la magie de ses couleurs et à 1 entente
du clair-obscur. Cette recherche de l'illusion
et de l'effet pittoresque a généralement pré-
valu dans les bas-reliefs modernes, mais trop
souvent, il faut le dire, au détriment de la
correction du dessin et de la vérité des dé-
tails. Parmi les artistes qui ont obtenu en
Italie, au xixe siècle, les plus légitimes succès
dans le genre d'ouvrages qui nous occupe,
nous devons nommer Canova et Thorwaldsen:
les bas-reliefs dont le premier a décoré divers
mausolées, et la longue frise du Triomphe
d'Alexandre, exécutée par le second dans la
villa Sommariva, sur les bords du lac de Côme,
se distinguent par la noblesse des idées et
la pureté de l'exécution.
La France posséda d'habiles sculpteurs de
bas-reliefs, à l'époque de la Renaissance;
dans ce nombre, il faut citer Jean Juste,
André Colomban, Michel Colomb, Philippe de
Chartres, Jean Texier, Pierre Bontemps, Ger-
main Pilon, Nicolas Bachelier, et, au-dessus
de tous, l'auteur des sculptures de la fontaine
des Innocents et des frontons du vieux
Louvre, cet immortel Jean Goujon, qui, suU
vant l'expression d'Emeric David, semble
avoir dérobé à l'art antique l'élégance de ses
formes, le moelleux de ses draperies, la no-
blesse de ses compositions. Les églises, les
châteaux, les hôtels, les tombeaux, les fon-
taines, élevés pendant cette brillante période,
sont décorés de sculptures en relief aussi re-
marquables par la délicatesse de l'exécution
que par la profusion et la variété des détails.
A la même époque, l'ébénisterie, l'orfèvrerie,
l'armurerie, la tabletterie, la céramique même,
enrichirent leurs productions de bas-reliefs
précieusement fouillés. Les articles spéciaux
que le Grand Dictionnaire consacre à l'histoire
de ces différentes branches de l'art nous dis-
pensent de nous étendre ici davantage sur
ce sujet (V. aussi les mots CISELURE, IVOIRE.)
Au xvir2 siècle, Michel Anguier exécuta, sur
les dessins de Girardon, les bas-reliefs de la
porte Saint-Denis ; Dujardin, G. Marty, Le
Hongre, P. Legros, firent ceux de la porte
Saint-Martin. Les figures en demi-relief qui
entrent dans la décoration de la fontaine de
la rue de Grenelle, à Paris, sont au nombre
des meilleures productions de Bouchardon,
l'un des artistes en vogue sous Louis XV.
Parmi les innombrables bas-reliefs exécutés
par l'école française au xixe siècle, il nous
suffira de citer : ceux de la colonne Vendôme,
modelés en grande partie sur les dessins du
peintre Bergeret ; ceux de l'arc du Carrou-
sel, sculptés par Taunay, Espereieux, Ramey,
Clodion, Deseine, Lesueur, Cartellier; ceux
de l'arc de l'Etoile, par Rude, Cortot, Etex,
Pradier,Chaponmère, Feuchères, Marochetti,
Gechter, Espereieux, Velcher, Bosio neveu,
De Bay père, Jacquot, Bra, Valois, Brun,
Laitié, Caîllouette ; ceux du piédestal de la
colonne de Juillet et de deux des frontons du
nouveau Louvre, par Barye ; ceux de l'arc de
triomphe de Marseille et du fronton du Pan-
théon, par David d'Angers; le fronton de la
Madeleine et celui de Saint-Vincent-de-Paul,
à Paris, par M. Lemaire; les portes de bronze
de l'église de la Madeleine, par M. Tri-
quetï ; le soubassement du chœur de l'église
Sainte-Clotilde, par M. Guillaume ; les bas-
reliefs de la bourse de Marseille, par MM. Tous-
saint et Gilbert ; ceux du nouveau Louvre,
du nouveau pavillon de Flore et de l'aile
méridionale des Tuileries, par MM. Truphème,
Veray, Vilain, Roubaud , Aug. Poitevin,
Marcellin, P. Loison, H. Lavigne, J. Félon,
Duret, Dumont, Clère, Cavelier, Delabrierre,
Çarpeaux, Thomas, Soitoux, Delaplanche,
.Camille Demesmay, Perrault, Gumery, Fran-
ceschi, Mmes Noémi Constant, Bertaux, etc.
i Aujourd'hui que l'emploi du bas-relief est
poussé jusqu'à l'abus dans la décoration des
monuments publics, nous ne pouvons mieux
faire que de° reproduire les réflexions sui-
vantes, inspirées à M. Quatremère de Quincy
par le goût le plus pur : - Considéré du côté
de l'utilité, le bas-relief est d'une grande res-
source aux édifices. Il en fait connaître l'u-
sage, le caractère et la nature, il tient lieu
d'inscriptions ou les remplace de manière à
les rendre inutiles ou insipides. Cependant,
autant l'on aime à lui voir jouer ce rôle dans
les monuments, k l'y voir motivé et employé
par le besoin, autant il est nécessaire que la
main de l'art et du goût préside à sadispensa-
tion et à l'accord respectif qui doit régner
entre lui et l'édifice, pour prévenir la confu-
sion qui pourrait résulter d'un emploi exces-
sif et immodéré. Le bas-relief, envisagé dans
l'architecture du côté de l'effet qu'il y produit,
n'est autre chose qu'une richesse, un orne-
ment qu'on doit ménager à propos, qui a be-
soin de repos pour valoir^ et qui doit se su-
bordonner aux lois du goût et de l'harmonie
générale. On observera donc de ne point pro-
diguer autour des bas-reliefs une foule d'or-
nements qui détournent lœil et l'attention
qu'ils doivent se concilier. S'ils ne sont point
isolés par un cadre, on laissera autour un
champ lisse, pour servir de repos à l'œil et
faire briller le relief ; on en ménagera de pa-
reils entre eux et les membres de l'architec-
ture : le voisinage des parties principales, des
profils et des détails, nuit à l'effet du bas-relief
et introduit la discorde dans l'ensemble. Le
rapport de la grandeur des bas-reliefs et des
figures qui les composent avec l'architecture
et les ordres mérite encore l'attention de
l'architecte. Du défaut de rapport exact et
bien entendu peut résulter une disproportion
choquante dans le tout. La petitesse ou la
grandeur exagérée des figures, rendra l'ordre
colossal ou mesquin, atténuera ou grossira
la masse générale et nuira aux proportions
de. l'édifice, quand même elles seraient intrin-
sèquement belles. On en doit dire autant du
plus ou moins de saillie que les bas-reliefs
doivent avoir. L'architecte doit en prescrire la
mesure, suivant la force ou la délicatesse de
son ordonnance, selon le plus ou moins d'é-
nergie de ses profils, selon le caractère géné-
ral et le style adopté, selon le point de vue de
l'édifice, selon la situation même des bas-
reliefs, le jour qu'ils doivent recevoir, l'effet
qu'ils doivent produire; enfin, selon le goût
dominant des ornements et la valeur des par-
ties ou des détails environnants. »

BAS-RIS
s. m. Mar. Dernier ris : Quoiqu'il
fit un temps à porter des huniers au HAS-RIS,
l'équipage était si faible que le commandant
avait ordonné de fuir devant le temps. (E. Sue.)
EASS s. m. (bass). Ichthyol. Nom anglais
d'un poisson des côtes d'Angleterre.

BASS
ou BASS-BOCK,îlot de l'archipel Bri-
tannique, sur la côte S.-E. d'Ecosse, dans le
* golfe de Forth, comté d'Haddington, à 3 kil. N.
de North-Berwick. Cet îlot n'est qu'un rocher
qui s'élève h 120 m. au-dessus du niveau de
lOcéan. Ce rocher, de 1,500 m. environ de
circonférence, conique d'un côté et à pic dé
tous les autres, n'est accessible qu'au S.-O.,
encore n'y peut-on débarquer qu'à l'aide d'é-
chelles et de cordes. Au* sommet se trouve
une source d'eau vive. Une galerie naturelle,
qu'on peut parcourir en entier à la marée
basse, le traverse dans toute son épaisseur de
l'E. à l'O. Il n'est habité maintenant que par
des oiseaux de mer, surtout par des oies d'E-
cosse, qui s'y multiplient tellement, qu'au
printemps on ne peut faire un pas sans fouler
un nid aux pieds. Mais il fut jadis la forte-
resse d'une famille nommée Lauder, qui, en
1671, vendit 100,000 fr. à Charles II le châ-
teau dont on remarque les ruines au S. Trans-
formé en fort royal, ce château devint une
prison d'Etat, où furent enfermés les, princi-
paux covenantaires. A la révolution de 1688,
la garnison se déclara en faveur de Jacques II ;
il fallut bloquer l'île pour la contraindre à
capituler, et ce fut la dernière place forte qui
résista a Guillaume III. Ce rocher appartient
aujourd'hui à la famille Hamilton-Dalrymple;
on y fait, pendant l'été, de nombreuses parties
de plaisir.
BASS (DÉTROIT DE), détroit de l'Océanie,
dans la Mélanésie, entre la terre de Diémen
au S. et l'Australie au N. ; embarrassé d'îles
stériles qui rendent la navigation dangereuse.
Découvert, en 1798, par le voyageur Bass.
BASS (George), explorateur anglais, mort
dans les premières années de ce siècle. Il
partit, en qualité de chirurgien, sur un vais-
seau qui se rendait en Australie, et devint
l'ami du célèbre navigateur anglais Flinders.
Ayant obtenu du gouverneur de Port-Jack-
son une chaloupe baleinière, avec six hom-
mes, il découvrit, en 1798, au S.-E. du conti-
nent, le détroit, hérissé d'îlots et de récifs de
corail, qui le sépare de l'île de Van-Diémen et
qui, depuis lors, a porté le nom de détroit de
Bass. Bien que, dans cette périlleuse expédi-
tion, il eût failli perdre la vie avec ses hom-
mes, il n'en accompagna pas moins Flinders
dans le voyage d'exploration qu'il fit, de 1801
h 1803, le long des côtes du continent. On
trouve dans le Tableau de la colonie anglaise
de la Nouvelle-Galles du Sud, par le colonel
Collin, le récit des découvertes de Bass et de
. ses travaux nautiques.
320
BASS ou BASSIUS (Henri), médecin alle-
mand, né. à Brème en 1690, mort en 1754. Il
étudia successivement la médecyie et la chi-
rurgie à Halle, Strasbourg et Bàle, passa sa
thèse de docteur à Halle, en 1718, et, peu de
temps après, il fut appelé à professer dans
cette ville l'anatomie et la chirurgie. Bass se
montra un des plus zélés partisans des idées
du célèbre médecin Hoffmann, dont il avait
reçu les leçons. On lui doit plusieurs ouvrages
écrits en latin et en allemand, parmi lesquels
nous citerons : sa thèse, intitulée Disputatio
de fistula ani féliciter curanda (1718), traduite
en français par Macquart (1759); le Tractatus
de morbis Veneris (1764), et surtout ses Obser-
vationes anatomico-chirurgico-medicœ (1731),
qui sont un recueil d'observations intéressan-
tes, parfois fort curieuses, et accompagnées
de figures destinées à ajouter encore à la
clarté du texte.

BASSA
s. f. (ba-sa). Métrol. Nom d'une
mesure de capacité usitée dans le Véronais
et qui, à Vérone, vaut 4 litres 522.
BASSA (don Pedro-Holasco), chef militaire
espagnol, né à Reuss, mort en 1835. Lorsqu'en
1808 Napoléon plaça sur le trône d'Espagne
son frère Joseph, Bassa abandonna ses étu-
des de droit, fut un des premiers à appeler
aux armes ses compatriotes, devint presque
aussitôt capitaine de guérillas dans la Catalo-
gne, et, deux ans après, il fut nommé par la
junte lieutenant-colonel, à la suite d'un com-
bat avec les Français, près du couvent de
Montserrat. Dans cette terrible guerre, Bassa
se distingua par son enthousiasme, son au-
dace et sa présence d'esprit. Il prit part aux,
batailles de Vittoria (1813) et de Toulouse
(1814). Quand Ferdinand VII fut rétabli sur le
trône, Bassa continua à rester militaire. Son
grade fut confirmé. Nommé colonel lors de
la réorganisation de l'armée, et brigadier vers
1830, il se montra toujours fort attaché au roi et
médiocrement libéral; mais cependant il fit
preuve de modération lorsqu'il fut chargé, en
1833, du gouvernement militaire de Cadix.
Lors de la sanglante insurrection qui éclata
à Barcelone, en 1835, Bassa, qui se trouvait
dans cette ville, fut précipité du haut du bal-
con de la Proclamation, et la populace fu-
rieuse, après avoir traîné son cadavre sur une
claie, le livra aux flammes.
"BASSJ'E (TEMPLE DE), ruines remarquables
d'un bel édifice religieux de la Grèce ancienne,
dans la Messénie, à 45 kil. N. de Messène, à
40 kil. N.-E. de la moderne Cyparisse ou Ar-
cadia, à 10 kil. N. de l'antique Phigalée (auj.
Paulitsa), sur le mont Cotylium, qui s'élève
non loin du mont Ithôme. Ce temple, connu
actuellement dans te pays sous le nom de
silous stolous (les colonnes), fut élevé par les
Phigaliens en l'honneur d'Apollon Epicurus
(secourable), qui les avait préservés d'une
épidémie pendant la guerre du Péloponèse.
Ictinus, architecte du Parthénon, fut chargé
de sa construction. - La Grèce, dit M. Isam-
bert, n'a pas de temple qui se présente sous
un aspect plus poétique et plus pittoresque
que celui de Bassœ. « La beauté de l'édifice
est encore relevée par sa position isolée sur
une montagne sauvage, au milieu de sombres
rochers et de chênes séculaires.
Ce temple, bâti en calcaire jaune, s'élève
dans une dépression que forme la montagne,
d'où son nom de Bassœ (bassai, ravin). Il dif-
fère, par son orientation, de tous les temples
connus; car la porte principale fait face au
nord, au lieu d'être dirigée vers l'orient. C'é-
tait un hexastyle périptère, d'ordre dorique,
avec 15 colonnes de chaque côté. A l'inté-
rieur, on remarquait de chaque côté 5 co-
lonnes engagées, d'ordre ionique et canne-
lées. Une colonne corinthienne était placée
devant la statue d'Apollon. C'était le plus an-
cien et peut-être le premier exemple de cet
ordre. Ce temple est un des mieux conservés
que l'on trouve en Grèce; 36 colonnes, sur-
montées de leur architrave, sont encore de-
bout. Le terrain, tout autour, est jonché de
débris qu'il serait facile de remettre en place,
comme on l'a fait pour le temple de la Vic-
toire, à Athènes. La frise, découverte en
1818, et qui est maintenant à Londres, se com-
posait de 25 bas-reliefs en marbre, représen-
- tant la Guerre des Centaures et des Lapithes
et celle des Grecs et des Amazones.
BASSiEUS (Nicolas), typographe allemand,
né à Francfbrt-sur-le-Mein au xvie siècle. Il
a édité un grand nombre d'ouvrages de méde-
cine et de botanique, particulièrement ceux
du botaniste Tabernœmontanus, dont il fit
achever le Krauterbuch, par les soins du mé-
decin N. Braùn. La publication qui a surtout
fait sa réputation est la seconde édition de
Y Icônes plant arum, qu'il fit suivre, en 1590,
de 4 volumes de planches publiés sous son
nom. Ces quatre volumes, qui contiennent
2,255 figures, eurent un grana succès, car ils
formaient la plus belle collection de ce genre
qui existât à cette époque.

BASSAGE
s. m. (ba-sa-je). Techn. Opéra-
tion qui produit le gonflement du cuir.
( BASSA1N ou BASSIN, ville maritime de
l'empire des Birmans, dans l'Indo-Chine, cap.
d'une prov. du même nom, sur la rive gauche
du bras droit de l'Iraouadi, à 375 kil. S.-O.
d'Ava- 3,000 hab. L'un des trois principaux
ports de l'empire.

BASSÀL
(Jean), homme politique français,
né à Bézievs en 1752, mort en 1802. Prêtre
BAS
lazariste à Versailles, au moment où éclata
la Révolution, il en embrassa les idées avec
enthousiasme et fut nommé curé constitution-
nel de la paroisse Notre-Dame dans la même
ville, vice-président du district en 1791, et,
peu de temps après, élu député à la Législa- .
tive par le département de Seine-et-Oise. Il
appuya, dans cette assemblée, la demande
d une amnistie pour les meurtres commis à
Avignon et le décret d'accusation contre le
duc de Brissac, commandant la garde consti-
tutionnelle de Louis XVI. Nommé membre de
la Convention, il vota la mort du roi, sans
appel ni sursis, dénonça plusieurs aristocrates
et des prêtres qui complotaient contre la Ré-
publique, donna aux ecclésiastiques l'exemple
de la renonciation au célibat, fut nommé se-
crétaire de l'Assemblée, enfin fut envoyé, en
1793, dans le Jura pour y étouffer l'insurrec-
tion fédéraliste. C'est là qu'il fit la rencontre
de Championnet, avec lequel il se lia d'une
vive amitié. Accusé, à son retour, d'avoir
manqué d'énergie, il se défendit en rappelant
que Marat, poursuivi par le général Lafayette,
avait trouvé un asile chez lui, et, peu de jours
après, les jacobins l'élurent président de leur
société. Il fut chargé de se rendre en Suisse,
sous le prétexte de préparer les approvision-
nements de l'armée d'Italie, mais, en réalité,
pour y surveilller la conduite de l'ambassa-
deur Barthélémy, dont la tiédeur républicaine
était justement suspectée. Se trouvant à
Bâle, en 1795, il y acheta du prince de Ca-
rène^ la correspondance de Louis XVIII, et
dévoila la conspiration royaliste de Villeur-
noy, Brotier et consorts, qui furent arrêtés.
Plus tard, Bassal passa en Italie à la suite de
Bonaparte, et fut chargé par ce général de
compulser les archives de Venise, suivit à
Rome le général Berthier, prit part à l'orga-
nisation de la république romaine et occupa
l'emploi de secrétaire général des cinq con-
suls. Lorsque Championnet marcha sur Na-
ples, Bassal l'accompagna et l'aida dans le
travail d'organisation de la nouvelle conquête.
Accusé de dilapidation par Faitpoui, commis-
saire du gouvernement, il fut arrêté et tra-
duit devant une commission militaire à Milan.
La chute des directeurs Merlin, Treilhard et
Laréveillère-Lepeaux (1799) le sauva, d'une
condamnation imminente et le rendit à la li-
berté, ainsi que Championnet. Celui-ci ayant
été nommé commandant de l'armée des Alpes,
Bassal se rendit près de son ami, et, après la
mort du général, il passa ses derniers jours
dans la retraite, près de Paris.

BASSAM
(GRAND-), ville d'Afrique, dans la
Nigritie maritime, sur la côte d'Ivoire, à
40 kil. O. d'Assinie, cap. d'un petit Etat dé-
pendant de l'empire des Achantis. Factorerie
française, fondée en 1843. Le pays voisin est
riche en or, renommé par sa pureté; on le
trouve dans les terrains d'alluvion provenant
de la décomposition des roches où était son
gisement primitif. Après l'or, l'huile de palme
et l'ivoire sont les produits les plus importants
de la contrée. Grand-Bassam, dépendance de .
la colonie du Sénégal, fait partie de l'arron-
dissement de Gorée.

BASSAN
(Jacopo DA PONTE, plus connu en
Italie sous le nom de II Bassano et en France
sous celui de Jacques), célèbre peintre italien,
né à Bassano en 1510, mort dans la même
ville en 1592. Son père, Francesco da Ponte,
né à Vicence vers 1475 et mort à Bassano
veus 1530, fut son premier maître. Il alla en-
suite à Venise et entra à l'école de Bonifazio
Bembi, praticien distingué, mais si jaloux de
son art que Jacopo ne put jamais le voir co-
lorier ses tableaux qu'en le regardant à tra-
vers la serrure qui fermait son atelier. Le
jeune artiste eut tout d'abord des velléités de
haut style et s'essaya à copier des dessins du
Parmesan, des peintures de son maître Boni-
fazio et du Titien. Verci croit qu'il reçut aussi
des leçons de ce dernier. « Ce qui est certain,
dit "Lanzi, c'est que ses premiers ouvrages
semblaient promettre un autre Titien à la
peinture, tant ils rappelaient la manière de ce
grand maître. » Obligé de retourner dans sa
ville natale, après la mort de son père Fran-
cesco, Jacopo y fut accueilli, quoique fort
jeune encore, comme un homme qui déjà don-
nait du lustre a la cité, et les magistrats
l'exemptèrent de l'impôt royal et de l'impôt
personnel. Quelque temps après, il fut élu
consul ; mais il déclina cet honneur, voulant
vivre tout entier pour son art. Le territoire de
Bassano était fertile et riant; il nourrissait de
nombreux troupeaux, dont la vente donnait
lieu dans la ville à des foires importantes. Ja-
copo, qui avait des idées assez bornées et peu
d'élévation dans l'esprit, entreprit de peindre
ce qu'il voyait. Il étudia avec le plus grand
soin les travaux rustiques, les animaux, le
paysage, les objets inanimés, et les reprodui-
sit avec une vérité, avec une énergie extraor-
dinaires. Il créa ainsi la peinture de genre en
Italie, et devança les Flamands et les Hollan-
dais. Son habileté à peindre les animaux excita
la plus vive admiration ; on disait qu'il ne
manquait à ses bœufs que de mugir, à ses
chevaux que de hennir, à ses moutons que de
bêler. Il se plaisait à retracer les scènes cham-
pêtres dans toute leur simplicité, les intérieurs
de chaumière, et jusqu'aux plus humbles usten-
siles de ménage. Mais, comme les représenta-
tions de ce genre n'avaient alors qu'une vogue
assez restreinte, et que les tableaux de reli-
gion étaient toujours ceux qui se vendaient le
mieux, il dut s'appliquer a chercher, dans
BAS
l'Ancien et dans le Nouveau Testament, des
sujets où il pût introduire des animaux, des
ustensiles, des fonds de paysage. C'est ainsi
qu'il peignit souvent le Paradis terrestre,
l'Arche de Noé, le Voyage de Jacob, et autres
scènes de la vie patriarcale; l'Adoration des
bergers, les Vendeurs chassés du temple, etc.
Peu de peintres, d'ailleurs, ont possédé aussi
bien que le Bassan la partie matérielle de
l'art. Il avait commencé par fondre harmo-
nieusement ses couleurs, se contentant d'accu-
ser les plus grands clairs par quelques coups
de pinceau hardis. Plus tard, il adopta une
méthode plus libre, pleine de savoir et de
fougue : dans les tableaux de cette seconde
manière, la peinture, formée de simples tou-
ches, se distingue par l'agrément et la viva-
cité de ses teintes et, en même temps, par une
négligence calculée, qui, de près, ne produit
qu un empâtement confus, tandis qu à dis-
tance il en résulte une étonnante magie de
coloris. Il n'était pas moins habile dans l'art
d'éclairer ses tableaux. « Il affectionnait les
clartés douteuses, dit Lanzi, et il possédait au
plus haut degré le talent de les faire servir à
l'harmonie. C'est ainsi qu'au moyen de jours
savamment ménagés, de demi-teintes répé-
tées et d'une absence complète de teintes
noires, il accordait merveilleusement les cou-
leurs les plus opposées. Ses figures ont, en
général, peu de lumière; mais elle est forte-
ment prononcée dans les endroits où elles font
angle, comme à l'extrémité des épaules, au
coude, aux genoux. Pour obtenir cet effet, il
employait un agencement de draperies très-
naturel en apparence, mais dont l'artifice est
parfaitement combiné. Il en variait les plis,
selon la différence des étoffes, avec une saga-
cité qui n'est le partage que d'un très-petit
nombre d'artistes. Enfin, ses couleurs brillent
comme des pierreries , surtout les couleurs
vertes; elles ont un éclat d'émeraude qui
semble n'appartenir qu'à ce peintre. » Quant
à ses figures, elles ne sont jamais fort expres-
sives; mais elles sont disposées d'une façon
pittoresque, a Le Bassan, dit encore Lanzi,
recherchait certains contrastes d'attitudes
très-marqués ; de sorte que, si une figure est
vue de face, 1 autre doit tourner les épaules,
ïl passe généralement pour avoir manqué
d'habileté relativement au dessin des extré-
mités, et c'est pour cela, dit-on, qu'il évitait
autant que possible d'introduire des pieds et
des mains dans ses peintures ; mais il sut, lors-
qu'il le voulait, être un bon dessinateur ; seu-
lement, soit que l'application lui parût trop
pénible, soit que toute autre raison le dirigeât,
il ne le voulut que très-rarement, se conten-
tant d'être parvenu au premier degré du ta-
lent de colorier, d'éclairer et d'ombrer ses ta-
bleaux. » Volpato rapporte que, le Tintoret
ayant un jour invité le Bassan à dîner, les
deux peintres s'entretinrent longtemps des
ouvrages et du génie des grands maîtres, de
Raphaël, de Michel-Ange, de Corrége, du Ti-
tien, et qu'à la fin le Tintoret ajouta, dans son
langage familier: «Vois-tu, Jacopo, si tu
avais mon dessin et que j'eusse ton coloris, du
diable si Titien, Rapnaël et les autres pour-
raient se faire voir à côté de nous. » Annibal
Carrache, dans ses remarques sur Vasari, ra-
conte qu'étant entré un jour dans la chambre
du Bassan, il lui arriva d'avancer la main
pour prendre un livre que l'artiste vénitien
avait peint sur une table. Ce grand talent de
praticien valut au Bassan un hommage plus
flatteur encore : l'illustre Paul Véronèse le
chargea de donner des leçons à son fils Car-
letto. Jacopo avait ouvert chez lui une école
dont les meilleurs élèves furent ses propres
enfants, François et Léandre. qui le suivirent
de près, Jean-Baptiste et Jérôme, qui n'eurent
d'autre talent que de copier ses ouvrages de
façon à tromper les plus fins connaisseurs.
« Voilà pourquoi, dit Lanzi, le nombre des pein-
tures attribuées au Bassan est tel que, pour
de grandes galeries, il y a plus de honte à
n'en point avoir que de gloire à en posséder. »
Le Louvre n'a pas moins de dix tableaux de
ce maître : l'Entrée des animaux dans l'arche,
le Frappement du rocher, l'Adoration des ber-
gers, les Noces de Cana, Jésus sur le chemin
du Calvaire, les Apprêts de la sépulture du
Christ, les Pèlerins d'Emmaus, les Travaux de
la campagne pendant la moisson, les Travaux
de la campagne pendant la vendange, le por-
trait de Jean de Bologne. Les ouvrages que
l'on conserve à Bassano sont : une Vierge en-
tourée de saints et une Fuite en Egypte, dans
l'église de Saint-François, où l'artiste est en-
terré; des fresques en camaïeu représentant
lesAWs.au palais public; la Nahuité, dans
l'église de Saint-Joseph; Saint Martin à che-
val, dans l'église de Sainte-Catherine, etc.
A Venise, on remarque : au palais ducal, le
Retour de Jacob ; au palais royal, le Frappe-
ment du rocher; à l'Académie des beaux-arts,
le Buisson ardent, l'Entrée dans l'arche, le
Bon jardinier, Saint Eleuthère, etc.; dans
l'église de Sainte-Marie Majeure, le Sacrifice
de Noé, un des chefs-d'œuvre du maître, etc.
On cite encore : à Vicence, Saint Roch visi-
tant les pestiférés, dans l'église du saint; à
Brescia, Saint Antoine abbé et une frise, en
neuf compartiments , retraçant la Passion,
dans le Collège des nobles; à Padoue, l'Ense-
velissement du Christ, superbe tableau, plu-
sieurs fois gravé, dans l'église du Séminaire.
De tous les musées d'Europe, le plus riche en
œuvres capitales du Bassan est le musée royal
de Madrid : on y remarque l'Arche de Noé, le
Paradis terrestret l'Adoration des bergers, les
BAS
Vendeurs chassés du temple, etc. On trouve
encore de beaux ouvrages de ce maître : aux
Offices et au palais Pitti, à Florence ; aux
Studj, à Naples ; .au palais Borghèse et au pa-
lais Colonna, à Rome; au palais royal et dans
la galerie Spinola, à Gènes ; dans les musées
de Londres, de Dresde, de Turin, de Milan, de
Munich, de Berlin, de Saint-Pétersbourg, etc.
BASSAN (Francesco DA PONTE, plus connu
en France sous le nom de François), peintre
italien, fils aîné du précédent, né à Bassano
en 1548, mort à Venise en 1591. Il s'établit
dans cette dernière ville et fut chargé de tra-
vaux importants dans le palais des doges, en
compagnie du Tintoret et de Paul Véronèse.
Il peignit, dans la salle du grand conseil, le
Pape donnant une épée au doge qui va s'embar-
Î uer, la Victoire des Vénitiens sur le duc de
ïrrare, la Cavalerie vénitienne mettant en
déroute l'armée du duc Visconti, la Victoire
de Victor Barbaro sur Visconti, la Victoire de
G. Cornaro sur les Allemands, et, dans la
salle du scrutin, la Prise de Padoue pendant la
nuit. Mariette prétend que Jacques Bassan
avait fourni les compositions de ces peintures
et fit ainsi la fortune et la réputation de son
fils. Ce qui est certain, c'est qu'il aida beau-
coup Francesco de ses conseils, <- II lui apprit,
dit Lanzi, à employer toutes les ressources de
son art, soit lorsqu'il s'agissait de renforcer
les teintes , soit lorsqu'il était question de
donner plus d'exactitude à la perspective, n
Comme tous les imitateurs, Francesco exa-
géra la manière de son modèle ; on lui repro-
che notamment d'avoir accusé trop vigoureu-
sement les ombres. Ses tableaux d'autel sont,
en général, fort remarquables, quoique moins
brillants de coloris que ceux de son père ; on
cite, entre autres, le Paradis, dans l'église du
Gésu, à Rome, et Saint Apollonius, dans l'é-
glise de Sainte-Afra,à Brescia. François Bas-
san aurait pu devenir un grand peintre, mais
il était malheureusement sujet à des accès de
la plus sombre mélancolie, qui souvent lui fai-
saient perdre la raison. Il s'était mis dans
l'esprit qu'il était poursuivi et qu'on voulait
l'arrêter. Un jour qu'on frappait rudement à
sa porte, il s'imagina voir entrer les archers
et se jeta par la fenêtre ; il se blessa griève-
ment à la tête et mourut peu de jours après.
Il n'avait que quarante-trois ans. Le Louvre
n'a qu'une toile de cet artiste ; elle représente
un Marche aux poissons sur le bord de la mer.
Dans les autres galeries, on remarque : au
palais royal, à Venise, le Christ portant sa
croix, la Présentation au temple, Saint Jean à
Pathmos; dans la collection de l'Académie des
beaux-arts de la même ville, le Christ garrotté
et des Bergers; au musée de Turin, la Dépo-
sition de croix; aux Offices, à Florence, le
portrait de l'auteur, le Christ en croix et le
Christ au tombeau ; au palais Pitti, deux
Scènes rustiques et un portrait d'homme ; au
musée royal de Madrid, la Cène, le Voyage
de Jacob,la. Vierge intercédant pour les hommes,
les Noces de Cana; au musée de Berlin, le
Bon Samaritain, l'Adoration des bergers, l'As-
somption, le Bon Jardinier; etc.
BASSAN (Leandro DA PONTE, plus connu
sous le nom de Léandre), peintre italien, troi-
sième fils de Jacques Bassan et frère du pré-
cédent, né à Bassano en 1558, mort à Venise
en 1623. Il vint dans cette dernière ville, en
1591, pour achever les peintures commencées
dans le palais ducal par son frère Francesco.
Il peignit, dans la salle du grand conseil, le
Pape assis, présentant un cierge au doge age-
nouillé, et une série de portraits des doges ;
dans la salle du conseil des Dix, le Retour du
doge Sébastien Ziani, vainqueur de Barbe-
rousse. Cette dernière peinture est regardée
par quelques connaisseurs comme étant le
chef-d'œuvre de l'artiste. On cite encore,
comme un morceau de premier ordre, la Ré-
surrection de Lazare, tableau qui a figuré au
Louvre sous le premier Empire et que possède,
depuis 1815, 1 Académie des beaux-arts de
Venise. Le musée de Naples offre une répéti-
tion, avec variantes, de cette belle composi-
tion. Léandre a peint, dans l'église de Saint-
François, à Bassano, le Mariage mystique de
sainte Catherine, dont les figures sont de
grandes proportions, et, dans l'église de la
Sainte-Couronne, à Vicence, un Saint Anto-
nin distribuant des aumônes. Mais c'est prin-
cipalement à Venise qu'il a travaillé. Il y exé-
cuta des compositions religieuses dans diverses
églises, entre autres, une Sainte-Trinité dans
l'église de San-Zanipolo. Il peignit aussi beau-
coup de tableaux de genre, des intérieurs, des
animaux, des scènes rustiques, pour lesquels
il se fit l'imitateur fidèle de son père. « Sous
le rapport de l'exécution, dit Lanzi, il se rap-
proche plus du premier que du second style
de Jacopo. Il a aussi un coloris plus cha-
toyant, et il semble avoir incliné vers le ma-
niérisme qui commençait à être en vogue de
son temps. Il se montra véritablement origi-
nal et acquit une grande réputation comme
portraitiste. L'empereur Rodolphe II lui fit
plusieurs commandes, et essaya en vain de
l'attacher à sa cour. » Nommé chevalier de
Saint-Marc par le doge Grimani, dont il avait
fait le portrait, Léandre Bassan se rendit ri-
dicule par le'faste qu'il crut devoir afficher
pour soutenir sa dignité. Il sortait toujours
paré de son collier et de ses décorations de
chevalier, et accompagné d'un grand nombre
d'élèves : l'un portait son épée à poignée d'or ;
l'autre, les tablettes sur lesquelles était note
ce qu'il devait faire dans la journée. Sa de-
321
meure était ïcmpineuse, sa table magnifique-
ment servie. Il s'était imaginé qu'on voulait
l'empoisonner; il avait pris l'habitude de faire
goûter les mets par un de ses élèves. Il était
naturellement mélancolique, comme son frère
François, et il avait hérité de son père un
goût prononcé pour la musique : il aimait le
chant et jouait bien du luth. Le Louvre .n'a
pas de tableau de Léandre Bassan. A l'Aca-
démie des beaux-arts de Venise, outre la Ré-
surrection de Lazare, dont nous avons parlé,
on remarque l'Incrédulité de saint Thomas, la
Prière au jardin des Oliviers, l'Adoration des
bergers, une Pastorale, deux portraits; à
Florence, l'Annonce aux bergers et le portrait
de l'auteur, au musée des Offices ; la Cène et
une Pastorale, au palais Pitti ; le Christ mon-
tré au peuple, au palais Guadagni ; a Gênes,
un Marché, dans la galerie Balbi ; la Sortie de
l'arche, dans la galerie Spinola; au musée
royal de Madrid, Y Enlèvement d'Europe, Or-
phée, la Fuite en Egypte, le Couronnement
d'épines, la Forge de Vutcain, une Vue de Ve-
nise, etc.; au musée de Berlin, un portrait
d'homme ; au musée de Dresde, Jésus guéris-
sant un aveugle, Jésus portant sa croix, l'En-
trée des animaux dans l'arche, divers por-
traits ; etc.
BASSAN ( Giambattista et Girolamo DA
PONTE, plus connus sous les noms de Jean-
Baptiste et de Jérôme), peintres italiens, fils
de Jacques Bassan et frères des précédents,
nés à Bassano, le premier, en 1553, le second,
en 1560, firent tous deux de nombreuses co-
pies des ouvrages de leur père. Jean-Baptiste
vécut assez obscurément et mourut en 1613 ;
Lanzi dit avoir vu de lui, à Gallio, un tableau
original signé de son nom. Jérôme eut plus de
réputation ; il exécuta plusieurs peintures dans
les églises de Venise et de Bassano. L'église
de Saint-Jean, dans cette dernière ville, pos-
sède un tableau assez remarquable dans le-
quel il a représenté Sainte Barbe, entre deux
vierges, levant les yeux vers le ciel, où lui ap-
paraît la madone. Jérôme Bassan adopta la
manière de son frère Léandre. « On ne peut
lui contester, dit Lanzi, une certaine grâce
des physionomies et de coloris même, dans
les ouvrages où il se contenta de la plus
grande simplicité de composition. « Il mourut
en 1622.

BASSAND
(Jean-Baptiste) , médecin fran-
çais, né à Baume-les-Dames en 1680, mort en
1742. Il étudia successivement la médecine à
Besançon, à Paris, à Naples, se fit recevoir
docteur à l'université de Salerne, et se rendit
à Leyde pour y suivre l'enseignement du cé-
lèbre Boerhaave, 'avec lequel il se lia d'une
vive amitié. Devenu chirurgien dans un corps
d'armée français qui fut envoyé en Italie, il
passa bientôt après au service de l'Autriche,
et occupa successivement les fonctions de
chirurgien en chef de l'armée du prince de
Savoie et de celle du prince Eugène, chargé
en 1714 de combattre les Turcs. De retour de
cette expédition, Bassand s'acquit beaucoup
de réputation comme praticien, fut nommé
médecin du duc de Lorraine Léopold, puis
premier médecin de l'empereur en 1720, con-
seiller aulique et baron. Il ne cessa d'être
en correspondance avec son ancien maître
Boerhaave, à qui il envoyait des minéraux et
des plantes recueillis dans ses voyages. On
possède les Lettres de Boerhaave à Bassand,
publiées à Vienne en 1778.

BASSANGE
aîné, homme politique, né à
Liège. V. BASSENGE.

BASSANI
ou BASSANO (Alexandre), juris-
consulte italien, mort à Ravenne en 1495,
pendant qu'il remplissait les fonctions de pré-
teur de la ville. Il a laissé un ouvrage manu-
scrit : De Officia prœtoris.
BASSANI ou BASSANO (Cesare), peintre et
graveur italien, né à Milan vers 1581, exer-
çait son art dans cette ville de 1608 à 1G30. Il
a gravé sur cuivre et sur bois des sujets reli-
gieux, des portraits, des armoiries, des allé-
gories, des frontispices de livres, d'après G.-B.
Crespi, O. de Ferrari, G.-B. Lampugnano,
Giacomo Lodi, Jacques Bassan, le Guide, Carlo
Biffi, Christ. Storer, etc.
BASSANI ou BASSANO (Jean), musicien au
service de la république de Venise, et maître
de musique au séminaire de Saint-Marc, vivait
dans la seconde moitié du xvio siècle et au
commencement du xvnc. On a publié de lui
des Concerts ecclésiastiques à plusieurs voix,
et des Canzonette à quatre voix.
BASSANI (Jean-Baptiste), compositeur ita-
lien, né a Padoue vers 1G57, mort à Ferrare
en 1716. Elève du P. Castrovillari, il fut suc-
cessivement maître de chapelle à Bologne et
à Ferrare, devint membre de l'Académie des
philharmoniques dans la première de ces
villes, de celle délia morte dans la seconde,
et se fit un grand renom .comme violoniste.
Il eut l'honneur de compter parmi ses élèves
l'illustre Corelli. Ses compositions religieuses
et dramatiques, qui le placent au nombre des
musiciens les plus distingués de son 'temps,
comprennent trente et un morceaux de mu-
sique sacrée et instrumentale, et six opéras,
parmi lesquels nous citerons: Falaride(1684);
Amàrosa preda di Paride (lG84h Alarico re
de' Goti (1685); Ginevra (1090). Parmi ces
autres œuvres, les plus remarquables sont :
Sonate da caméra, etc. ; Dodici sonate a due
violini e basso; Affetti canori, cantate ed
ariette; Armonici entusiasmi di Davide, ovvero
sabni concertati a quattro voci, con violini e
suoi ripieni, con altri salmi a due e tre voci e
violini ; Concerti sacri, motetti a una, due, tre
e quattro voci con violini e senza ; Motetti a
voce sola con violini; Armonie festive. o siano
motetti sacri a voce sola, con violini ; La musa
armonica, cantate amorose musicali a voce sola;
La sirena amorosa, cantate a voce sola con vio-
lini; Tre messe concertate a quattro e cinque
voci, con violini e ripieni, etc. La Bibliothèque
impériale de Paris possède, en manuscrit,
quatre messes de ce compositeur, ainsi que
plusieurs motets. La Bibliothèque royale de
Berlin possède aussi, entre autres productions
manuscrites, un magnifique De profundis à
huit voix.
BASSANI (Jérôme), contrapontiste , chan-
teur distingué et compositeur dramatique, vi-
vait à la fin du xvne siècle. Il a composé des
messes, des vêpres, des moteÊs et plusieurs
opéras. On cite, entre autres, Il Bertoldo, re-
présenté à Venise en 1718, et l'Amor per
forza, en 1721. Bassani était, en outre, un maître
de chant très-renommé.
BASSANI (Jacques-Antoine), jésuite italien,
né à Vicence en 1686, mort à Padoue en 1747.
Après des études faites chez les jésuites, il se
livra à la prédication et devint un des orateurs
les plus célèbres de son époque. On a de lui
Trente sermons, imprimés à Bologne en 1752 ,
et un grand nombre de poésies latines et ita-
liennes, éparses dans plusieurs recueils. Sa
réputation de prédicateur a été surfaite, et
ses sermons, écrits d'un style obscur et telle-
ment entortillé qu'on a souvent de la peine à
saisir le fil des idées, ne répondent nullement
à la grande renommée dont il a joui pendant
toute sa vie. C'est, du reste, l'opinion de l'En-
cyclopédie catholique, qui doit se connaître en
ces matières.

BASSANO
village de l'empire d'Autriche,
dans la Vénétie, à 25 kil. N.-E. de Vicence et
à 38 kil. N.-O. de Padoue, sur la rive gauche
de la Brenta; 10,500 hab. Fabrication de cha-
peaux de paille renommés, soieries, draps,
tissus de laine et papeterie. On y voit encore
le vieux château fort que fit construire le
tyran Ezzelin de Romano, deux jardins bota-
niques, un cabinet minéralogique et une ga-
lerie de tableaux assez estimés. Mais ce qui
recommande surtout cette ville à notre atten-
tion, c'est le brillant fait d'armes dont elle fut
le théâtre pendant les guerres de la Républi-
que. Le 6 septembre 1796, le général \Vurm-
ser, battu à Roveredo, s'était jeté dans les
gorges affreuses de la Brenta pour gagner
Bassano, et de là, par Vicence et Padoue, le
bas Adige, afin de couper les communications .
des Français. D'un coup d'œil d'aigle, Bona-
parte devine les projets de l'ennemi, se jette
a sa poursuite dans les gorges du val Sugana,
au fond duquel coule la Brenta, enlève par
un coup de main hardi le château de Primo-
lano, qui commandait la route, et atteint à
Bassano deux divisions autrichiennes. Auge-
reau attaque la première par la rive gauche de
la Brenta, Masséna la seconde par la rive
droite; l'avant-garde autrichienne est cul-
butée à la baïonnette et rejetée sur le corps
de bataille, dans lequel elle jette le désordre.
Ce corps de bataille n'a pas le temps de se
former, le feu d'Augereau le disperse. Les
deux généraux français pénètrent jusqu'au
pont par les deux extrémités, et, s'emparant
des pièces qui en battaient les approches,
complètent la séparation des deux divisions
autrichiennes, qui s'enfuient, se dispersent et
abandonnent aux vainqueurs 4,000 prison-
niers, 35 canons attelés, 5 drapeaux, 2 équi-
pages de pont et. 200 fourgons de bagages. —
En 1809, Napoléon érigea la ville et le terri-
toire de Bassano en duché, en faveur du mi-
nistre Maret.
BASSANO ou BASSIANO (Alessandro), anti-
quaire et architecte italien, né à Padoue, fîo-
rissait au commencement du xvic siècle. Il
construisit dans sa ville natale la Loge et la
Salle du Conseil, sur la place de' Signori. Cet
- édifice, que l'on a attribué par erreur à San-
sovino, fut terminé en 1526, suivant Milizia :
c'est un beau spécimen de l'architecture de la
Renaissance. -
BASSANO (duc DE). V. MARET (Hugues).
BASSANO (marquis DE), V. SANTA-CRUZ.

BASSANTIN
ou BASSENTIN (Jacques), as-
tronome ou plutôt astrologue écossais, né en
1568. Après avoir voyagé dans différents pays
de l'Europe, il enseigna les mathématiques à
l'université de Paris, et s'attacha à 1 étude
de l'astrologie judiciaire. De retour en Ecosse*
(1562), il eut, sur la frontière de ce pays, une
entrevue avec Robert Melvil, un des plus
enthousiastes défenseurs de Marie Stuart. Le
bruit se répandit alors qu'il avait dévoilé l'a-
venir à ce gentilhomme, et lui avait montré
tous les malheurs qui devaient atteindre la
reine. Bassantin a laissé : Astronomia, opus
absolutissimum (Genève, 1559, in-fol.) ; Dis-
cours astronomiques (Lyon, 1557, in-fol.);
Calcul des horoscopes; De Mathesi in gé-
nère, etc.
BASSANVILLE(Anaïs LEBRUN, comtesse DE),
femme de lettres française, née en 1805. Elle
a fondé le Journal des jeunes filles, dirigé le
Moniteur des Dames et des Demoiselles, le Di-
manche des familles t et publié de gracieux
écrits, notamment: les Aventures d'une épingle
(1845); la Corbeille de fleurs (1848); les Mé-
moires d'une jeune fille (1849); le Monde tel
qu'il est (1853) ; les Primeurs de la vie (1854) ;
Délassements de l'enfance (1856); les Epis
d'une glaneuse (1858); les Deux familles (1S59);
les Salons d'autrefois (1S61-63) ; De l'éducation
des femmes (i86l) ; les Contes du bonhomme
Jadis (1861); l'Entrée dans le monde (1862);
les Secrets d'une jeune fille ( 1863) ; les Ouvrières
illustres (1S63); etc.

BASSABA
s. f. (bass-sa-ra — du gr. bas-
sara, peau de renard). Vêtement de peaux de
renards, que portaient Bacchus et ses compa-
gnons, dans les montagnes de la Thraco. H
On dit aussi BASSARIS.

BASSARABA
(Constantin BRANCOVANOUCAN-
TACUZÈNE), prince de Valachie, mort en 1714.
Ayant épousé Hélène, fille de Constantin Can-
tacuzène, il crut pouvoir se parer du nom de
cette illustre famille; mais il se vit obligé de
le quitter et prit celui de Bassaraba, qu'a-
vaient porté plusieurs souverains de la Vala-
chie. Lorsque, en 1710, la guerre fut sur le
point d'éclater entre les Turcs et les Russes,
au sujet de la suzeraineté des provinces da-
nubiennes, la Porte essaya de remplacer Bas-
saraba, sur qui elle ne comptait que fort peu,
par Démétrius Cantemir. Le premier se tourna
alors du côté de la Russie, et fut accusé par
Mazeppa, l'hetman des Cosaques, qui avait
pris le parti de Charles XII, de correspondre
secrètement avec le czar Pierre le Grand.
Cependant le prince de Valachie accusait de
son côté son rival, Cantemir, de se livrer aux
mêmes manœuvres vis-a-vis du czar, et il
obtint même son bannissement dans l'île de
Chio. La Porte résolut de s'emparer de Bran-
covan, qui devenait redoutable, et jeta pour
cela les yeux, sur Maurocordato, hospodar de
Moldavie, qui fut chargé de l'amener à Con-
stantinople, mort ou vif Maurocordato n'ayant
pas su remplir cette mission, on la donna à
Cantemir, que Brancovan avait fait exiler, et,
en novembre 1710, on le nomma dans ce but
prince.de Moldavie, à la place de Maurocor-
dato. Le prince de Valachie machina alors
une double trahison : pendant qu'il promettait
aux Russes vivres et renforts, il leur proposa
la paix, pour donner h la Turquie le temps
d'armer et de se mettre sur la défensive.
Après la campagne du Pruth, à. la suite de
laquelle Pierre le Grand fut forcé de signer
une paix désavantageuse et de revenir dans
ses Etats, malgré le service que Bassaraba
venait de rendre à la Porte, il fut accusé d'a-
voir favorisé les Russes , et étranglé avec
toute sa famille.

BASSARES
, peuple de Lydie qui semble,
d'après les rares témoignages que nous ont
conservés les historiens, avoir vécu dans un
état voisin de la barbarie. Il paraît qu'il
était anthropophage. Voici ce que dit sur
les Bassares Porphyre, cité par le docteur
Boudin : « Quant aux Bassares, qui non-
seulement avaient jadis imité les sacrifices
des Tauriens, mais encore mangeaient la chair
des hommes sacrifiés... qui ignore que, en-
trant en fureur contre eux-mêmes et se mor-
dant mutuellement, ils ne cessèrent de se
nourrir de sang que quand ceux qui, les pre-
miers, avaient introduit ces sortes de sacrifices,
eurent détruit leur race? »

BASSARÉUS
surnom de Bacchus, tiré d'un
long vêtement appelé bassara ou bassaris, fait
de peaux de renards, que Bacchus avait cou-
tume de porter dans ses voyages.

BASSARIDE
s. f. (bass-sa-ri-de — rad. bas-
sara). Antiq. Longue robe flottante, dont se
couvraient les bacchantes : // aime les bac-
chantes, vierges folles de l'antiquité profane,
vêtues de la traînante BASSARIDE aux plis
nombreux, larges et profonds, qui laissent
à leurs formes de si séduisants mystères. (J.-J.
Arnoux.)
— Par ext. Nom donné aux bacchantes
elles-mêmes, quand elles portaient cette es-
pèce de vêtement.
BASSARIDE s. f. (bass-sa-ri-de— du gr. bas-
saris, renard). Mamm. Genre de carnassiers
digitigrades, voisin des genettes et des be-
lettes, et comprenant une seule espèce, qui
habite le Mexique et la Californie : C'est des
mustéliens que la BASSARIDE se rapproche par
ses formes générales. (Geoffr.-St-Hil.)

BASSARIQUES
s. f. pi. (ba-sa-ri-ke). Hist.
anc. V. DIONYSIAQUES.

BASSAS
cap de la côte orientale de l'Afri-
que, appelé aussi BAXAS. -»

BASSAT
s. m. (ba-sa). Techn. Sarrau
spécialement employé par l'ardoisier, et qui
est matelassé dans le dos.

BASSE
s. f. (ba--se — rad. bas, adj.). Mus.
Partie-d'un morceau d'harmonie, qui ne con-
tient que des sons graves : Chanter la BASSE.
Lulli fut le premier en France qui fit des
BASSES. (Volt.) Donnez-lui une BASSE sans
chant, un chant sans BASSE, il va, du premier
coup d'œil, vous remplir les lacunes. (Vitet.)
La BASSE est la première partie de la musique
c'est à elle que toutes les autres parties sont
subordonnées. (Millin.) H Personne qui a une
voix propre à exécuter les parties de basse :
C'est une forte BASSE, une bonne BASSE. Il
m'a cité l'exemple d'un chantre à Notre -
Dame (je crois que c'était une BASSE), à qui
un rhume avait fait perdre entièrement la
voix. (Rac.) i
Et Gorillon la basse, et Granilin le fausset.
BOILEAU.
— Par anal. Voix d'animal'grave comme
une voix de basse ; Mon oreille fut assourdie
d'un mélange confus de hurlements, de jappe-
ments, d'aboiements, de grognements, de gron-
dements, pris dans toute l'échelle de la mélopée
canine, depuis la BASSE ronflante du matin de
basse-cour, jusqu'à l'aigre fausset du roquet,
(Ch. Nod.) il Son grave comme celui d'un$
voix de basse : Il lui chanta des hymnes ac-
compagnées par la terrible BASSE du canon.
(BafzJ
— Voix de basse, Voix propre à chanter la
basse : David Hizzio avait une voix DE BASSE
agréable. (Volt.) Je trouve qu'à moins d'avoir
cinq pieds et demi de haut, une voix DE BASSK
et de la barbe au menton, Von ne doit point se
mêler d'être homme. (J.-J. Rouss.)
— Basse-contre, Partie plus basse que la
- basse - taille : Chanter la BASSE - CONTRE, H
Personne qui a une voix de basse-contre :
J'ai diné avec la première BASSE-CONTRE de
l'Opéra, il Qualification donnée autrefois à la
voix de basse, et inusitée aujourd'hui. C'était
la seule voix grave admise à l'Opéra, pour
les rôles récitants. La basse-contre, qui enan-
tait contre la basse-taille ou baryton, était
réservée pour les chœurs : La BASSE-CONTRE
d'autrefois est aujourd'hui la voix de basse
proprement dite. La BASSE-CONTRE est à l'har-
monie vocale ce que fa CONTRE-BASSE est à
l'Harmonie instrumentale. (Millin.)
— Basse harmonique, Partie la plus basse
de toutes dans un morceau de musique écrit
à plusieurs parties, d'où vient son nom do
basse. C'est la plus importante de ces parties,
car sur elle repose toute l'harmonie. On dis-
tingue plusieurs espèces de basses: Basse fon-
damentale, basse formée des sons fondamen-
taux do l'harmonie. Au-dessous de chaque
accord, elle fait entendre la note grave qui
détermine la nature de l'accord, lorsque l'ac-
cord est divisé par tierces, toute autre dispo-
sition harmonique donnant des accords déri-
vés des fondamentaux. Il Basse contrainte,
Basse dont le sujet ou le chant, restreint a
un petit nombre de mesures, se reproduit
sans cesse, pendant que les parties supé-
rieures poursuivent leur chant ou leur har-
monie, avec des ornements et des variantes.
Il Basse chiffrée, Chiffres placés au-dessous
de la note basse fondamentale, pour indiquer
les accords qu'elle doit porter. Le chiffre in-
diquant l'accord est ordinairement celui qui
répond au nom de cet accord. Ainsi l'accord
de seconde se chiffre 2, celui de sixte 6, ce-
lui de septième 7. Les accords chargés d'un
double nom sont indiqués par un chiffre
double : accords de sixte et quarte 6/4, de
sixte et quinte 6/5, etc. Si plusieurs notes de
la basse passent sous un même accord, on no
chiffre que la première note, et on couvre les
autres d'un trait. Il Basse chantante, Basse
qui contient une mélodie, un chant, et qui est
la partie la plus grave de la musique vocale.
Il Basse accompagnante, Basse qui ne chante
as, qui est de pur accompagnement : La
asse chantante a une mélodie que la BASSE
ACCOMPAGNANTE n'a pas. (Millin.) || Basse
figurée, Basse qui divise les temps do la me-
sure, sans une note longue.
— Basse continue, Tenue de basse qui dure
pendant tout le cours de la pièce musicale.
On donnait autrefois ce nom à la simple basso
d'orchestre, pour la distinguer des parties
de violoncelle et autres instruments graves,
qui esquissaient un chant ou exécutaient des
traits sur la tenue de basse : Le principal ,
usage de la BASSE CONTINUE, outre celui de
régler l'harmonie, est de soutenir ta voix et de
conserver le ton. (Millin.) il S'est dit pour art
de l'accompagnement : Enseigner la BASSE
CONTINUE, II Par ext. Son grave, persistant et
monotone : Ils étudient la BASSE CONTINUE
les ronflements) du valet en vigie à l'arrière.
Balz.) Il faut aux cirques la BASSE CONTINUE
du canon et la crépitation perpétuelle de la
fusillade. (Th. Gaut.) il Fig. Chose sans cesse
répétée : Je vous promets bien sérieusement de
vous entretenir presque toujours du roi ; ce sera
une BASSE CONTINUE. (L'abbé de Choisy.)
— Loc. fa m. La basse et le dessus, un as-
semblage complet : Je ne pouvais trouver
deux hommes plus propres à mon dessein ; c'est
LA BASSE ET LE DESSUS. (M'»e de Sév.)
— Violoncelle ainsi appelé parce qu'il sert *
à exécuter les parties do basse, il Contre-
basse, autre instrument qui exécute les par-
ties de basse, n Artiste qui joue de l'un de
ces instruments : La première BASSE de l'O-
péra-Comique, il Chacune des cordes d'un in-
strument qui donnent les sons graves : Ce
piano a d'excellentes BASSES.
— Basse clarinette ou clarinette basse, plus
grave que la clarinette alto, qui est elle-
même a une quinte au-dessous des clarinettes
en ut ou en si bémol. La clarinette basse est
à l'octave inférieur de celle en si bémol. Il
en existe même, une en ut, à l'octave basse de
la clarinette en ut; mais elle est peu usitée.
Les notes graves de cet instrument sont les
meilleures. Meyerbeer l'a employé avec un
magnifique succès dans le trio du cinquième
acte des Huguenots, dans l'air, pour-contralto,
O toi qui m'abandonnes,
au cinquième acte du Prophète, et enfin, dans
diverses parties de l'Africaine. C'est, croyons-
nous, le seul compositeur qui ait fait figurer
la clarinette basse dans son instrumentation.
u. 41
322
H Basse-contre ou contre-basse, «eu d'orgue
dont les tuyaux, de seize ou trente-deux pieds,
sont ouverts ou fermés suivant la qualité de
l'orgue. » Basse-cor, Nom donné d'abord à la
basse-trompette, avant certaines modifica-
tions qui furent apportées à cet instrument
en 1811. Il Basse de viole, Ancien instrument
monté de six ou de sept cordes, remplacé au-
jourd'hui par le violoncelle :Il vous faudra trois
voix, gui seront accompagnées d'une BASSK DE
viole, d'un théorie et d'un clavecin. (Mol.) Il
Basse de violon, Ancien nom du violoncelle
ou de la contre-basse. II Basse de hautbois,
Ancien nom du basson.
— Antonymes. Dessus, soprano, haute -
contre.
— Encycl. On appelle basse un chanteur
dont l'organe occupe l'échelle inférieure delà
voix humaine. La basse s'étend du fa grave au
ré hors de la portée (clef de fa), toute en voix,
de poitrine.
On divise, ou plutôt on divisait générale-
ment les basses en basses profondes et en bas-
ses chantantes. Aujourd'hui, les exigences du
répertoire moderne français demandent, dans
le même chanteur, la réunion de ces deux qua-
lités vocales. Dans notre ancien opéra, avant
la révolution opérée par Rossini, on n'exi-
geait de la basse que des notes graves, des
poumons d'acier, et le talent de l'artiste se
bornait à. lancer à pleine voix le récitatif ou
une sobre mélopée déclamée. On lui confmit
peu d'airs rhythmésj la gravité et la majesté
des personnages qu'il représentait ordinaire-
ment interdisaient toute espèce de mélodie
carrément dessinée et surtout lancée d'un
mouvement vif. Le p'omposo, le grandiose,
l'héroïque, exprimés à grand souffle, for-
maient seuls l'empire de la basse. (Nous par-
lons toujours au point de vue de la scène
française, car, en Italie, l'art du chant et les
vocalises rentraient dans le domaine de ce
chanteur aussi bien que dans celui du ténor et
du soprano). Dérivis, la dernière des basses
récitantes de l'ancien régime, prit la fuite
quand, en 1827, Rossini lui présenta les gam-
mes rapides de Moïse. Levasseur saisit la place
et le rôle de Dérivis, débuta dans ce terrible
Moïse, et, quelque temps après, le répertoire
véritable de la basse complète était inauguré
par la création de Bertram de Bobert le Diable.
\Valter de Guillaume Tell, Pietro de la
Muette de Portici, Marcel des Huguenots, le
Gouverneur du comte Ory, Fontanarose du
Philtre, Brogni de la Juive, Raymond de
Charles VI, Balthazar de la Favorite, Zacha-
rie du Prophète, Procida des Vêpres sicilien-
nes, Moïse de l'opéra de ce nom, Nicanor dans
Ilerculanum, Turpin de Roland à Boncevaux,
complétèrent le répertoire de la basse à notre
grande scène lyrique.
L'exhaussement progressif du diapason
amena, dans la voix de basse proprement dite,
des perturbations fâcheuses. Les barytons
ayant usurpé la place des ténors graves, les
basses ont été montées au baryton par les
compositeurs du jour. Du ré au-dessus de la
portée, leur limite naturelle, on les a poussés
au mi naturel aigu, au fa et même au fa
dièse. Avec ce système, le chanteur ne donne
Ï>lus que la superfétation aiguë de sa voix, et
aisse, sinon perdre, du moins détériorer la
quinte grave, si nécessaire pour la pédale
harmonique. Quelques musiciens, Meyerbeer
entre autres, ont exigé de nos chanteurs cer-
taines notes basses qui tombent au ronflement
incolore, telles que les contre mi bémols gra-
ves de Bobert le Diable, des Huguenots et
même du Prophète. Ces bourdonnements na-
sals nous semblent aussi ridicules que les ut
dièse aigus des ténors.
Il existe, dit-on, en Russie, des basses inso-
lites qui descendent jusqu'au contre la grave.
Nous ne savons quel etfet musical peut produire
cet inappréciable rauquement; mais nous ne
tenons nullement à voir s'impatroniser à
l'Opéra ces sonorités caverneuses. Les curio-
sités vocales ne font point les chanteurs.
Levasseur, Serda et Alizard ont glorieuse-
ment parafé leur nom sur les grands rôles
de notre première scène lyrique. Aujourd'hui,
Obin, un artiste sans pair, et Bel val, une
admirable voix, se partagent, à ce théâtre, le
répertoire de la basse.
Parmi les royautés incontestées de l'école
italienne, où régnait sans partage la basse
chantante, on note Zucchelh, Botticelli, Car-
thagenova et Lablache. Rossini a confié à ce
dernier les impérissables rôles de Moïse,
Maometto II, Brabantio, ,1e Podesta de la
Gazza, Bartholo et tant d'autres colosses,
tragiques ou bourrés de gaieté et d'éclats de
rire, dont les noms nous échappent. Bellini a
sculpté, à grands traits, l'Oroveso de Norma
et le père dElvira dans/Puntant. ADonizetti
appartiennent, entre autres conceptions, le
terrible Henri VIII d'Anna Bolena et le Don
Pasquale? cette immense pivoine mélodique
immortalisée par Lablache. Verdi vint ensuite
apporter ses solides contre-forts au monument,
avec ses rôles de Sylva dans Ernani, d'Attila
d'J Masnadieri' et de don Militone dans la
Forza del destino, pour ne citer que les prin-
cipaux rôles de basse rayonnant dans son
œuvre. Lès créations bouffes des anciens maî-
tres (le don Magnifico du Matrimonio segreto)
et les rôles souriants ou grotesques de Ros-
sini complètent le répertoire de la basse
italienne.
A l'Opéra-Comique français, le seul rôle de
basse réellement chantant se bornait au Max
du Chalet, écrit pour Inchindi. Après un long
intervalle, pendant lequel la basse fut ravalée,
sur cette scène, à l'état de comparse, Her-
mann Léon vint créer magistralement les
Mousquetaires de la reine, le Caïd et les Por-
cherons. Puis apparut Battaille, qui marqua de
son artistique cachet : la Fée aux roses, le
Songe d'une nuit d'été, le Carillonneur de
Bruges, la Dame de pique et Y Etoile du nord.
Depuis que ce chanteur distingué a quitté
l'Opéra-Comique, les barytons, à ce théâtre,
cumulent les emplois de basse, et vice versa.
— Basse ou violoncelle, instrument à cordes
et à archet, qui a remplacé l'ancienne basse
de viole armée de six et sept cordes. Le
violoncelle a été inventé par le P. Tar-
dieu de Tarascon, au commencement du
xvme siècle. La basse portait alors cinq cor-
des; aujourd'hui, on l'a réduite à quatre.cor-
des, dont les deux dernières sont recouvertes
d'un fil de métal. Les cordes de la basse sont
accordées en ut (clef de fa au-dessous de la
portée), sol, ré, la, de quinte en quinte, en
montant du grave à l'aigu. La basse comporte
une étendue d'environ trois octaves, à partir
du premier ut du piano.
En raison du timbre et du diapason de cet
instrument, le chant de la basse est empreint
d'un caractère tendrement mélancolique et
religieux. Sa voix grave et touchante est plus
propre à exprimer la prière et les pensées
émues que les mondaines et brillantes pas-
sions. C est, pour nous, l'instrument viril par
excellence, le ténor chantant de poitrine, par
opposition aux violons, qu'on pourrait nom-
mer les ténors légers des instruments à cor-
des. La basse devrait se borner au chant
large ; les variations ne sont point de son res-
sort. Ce roi des instruments est inapte au
sourire. Réduit au modeste rôle d'accompa-
gnateur, le violoncelle est indispensable à
l'harmonie. L'oreille attend toujours de lut le
son générateur, soutien de la mélodie. Sous
le rapport de la virtuosité, il se prête à toutes
les difficultés d'exécution, traits, doubles cor-
des, sons harmoniques et arpèges.
Indépendamment de son rôle de soliste, la
basse ligure avec avantage dans la sonate,
l'air varié, le trio, le quatuor et le quintette-.
Les grands maîtres 1 ont mis sur la même
ligne que le violon, dans* leurs chefs-d'œuvre
de musique instrumentale, dite musique de
chambre.
Parmi les plus célèbres virtuoses sur la
basse, on cite : Duport l'aîné, Delamarre,
Romberg, Franchomme, Chevillard, George
HainI, Seligmann, M'ie Christiani, Batta,
Piatti, et enfin le grand Servais.
Dix violoncelles ou basses figurent à l'or-
chestre de l'Opéra; douze, à l'orchestre du
Conservatoire.
— Basse-contre ou plutôt contre - ba^se,
(nommée par les Italiens controbasso ou vio-
loné), le plus grand instrument de la famille
du violon, dont les sons résonnent à l'octave
f rave de ceux du violoncelle. C'est la base
e l'orchestre entier; aucun autre instrument
ne saurait le suppléer. Soit que la contre-basse
conserve son allure imposante et sévère, soit
qu'elle se joigne aux agitations dramatiques
du reste de l'orchestre, la richesse et lapléni-
tude de la sonorité, la franchise et le mordant
de son attaque, l'ordre qu'elle porte dans les
masses harmoniques, témoignent de sa pri-
mauté dans l'instrumentation.
Il existe deux sortes de contre-basses : l'une
à trois, l'autre à quatre cordes. L'étendue est
de deux octaves et une quarte, du mi grave
de la basse au la aigu du ténor. Nous devons
faire remarquer que le son de la contre-basse
est plus grave, d'une octave, que la note
écrite.
La contre-basse à trois cordes comporte, au
grave, deux notes de moins que l'autre. La
contre-basse à quatre cordes est préférable,
d'abord parce que, comme nous venons de le
dire, elle possède, de plus que celle à trois
cordes, deux et même trois notes graves
d'une incontestable utilité ; ensuite, parce que,
cette contre-basse étant accordée en quartes,
on peut exécuter une gamme entière sans
démancher (ôter la main gauche de sa position
naturelle pour la porter à une position plus
haute ou plus aiguë).
Cet instrument étant, en général, destiné à
faire entendre et accentuer fortement la
basse fondamentale de l'harmonie, on peut
l'isoler sans, danger des violoncelles et même
du quatuor des instruments à cordes, pour
l'associer aux instruments à vent, qu'elle
soutient avec une grande intensité. A l'église,
on l'emploie pour soutenir les voix du chœur,
et parfois les mélopées de l'orgue.
Cet instrument colosse est, par sa nature,
impropre aux traits rapides. Tout au plus,
peut-on exiger de lui le trémolo, dans les
grands effets disamatiques. Cependant, il s'est
produit des virtuoses merveilleux sur la con-
tre-basse. Kaempfer jouait des concertos de
violon sur son Goliath (c'est ainsi qu'il appe-
lait sa contre-basse). On a entendu Dragonetti
exécuter des duos de violon avec Viotti,etse
charger alternativement des deux parties. De
nos jours, Bottesini, l'artiste sans rival, fait
chanter et pleurer sa contre-basse, avec une
voix plus pure, plus moelleuse, plus péné-
trante, plus intime, plus cordiale en un mot,
que la voix du violon.
L'orchestre de l'Opéra compte huit con-
tre-basses ; l'orchestre du Conservatoire en
compte neuf.
— Basse-cor, cor de basset (corno di bas-
setto, ou basset-horn), instrument de musi-
que à vent, à bec et à anche, unissant la dou-
ceur à la teinte sombre et sérieuse du son,
qui a été inventé en 1770, à Passaw (Bavière),
puis perfectionné par Lotz de Presbourg, et
enfin, en dernier lieu, par Antoine et Jean
Stadler. Le cor de basset est de la nature de
la clarinette ; il en diffère par sa grandeur,
qui surpasse celle de ce dernier instrument.
Sa forme est aussi plus recourbée, et il des-
cend une tierce plus bas; mais il se rapproche
de cet instrument, non - seulement par la
structure et le son, mais encore par l'intona-
tion, le doigter et l'embouchure. Tout clari-
nettiste peut jouer le cor de basset. Son éten-
due comprend quatre octaves, à partir du
second ut grave du piano. La musique écrite
pour cet instrument se transpose à la quarte
et à la quinte.
Les compositeurs français n'ont pas encore
introduit dans leur orchestration cet instru-
ment, usité seulement en Allemagne. Mozart
l'a employé dans son Bequiem, où il le fait
figurer comme principal instrument à vent.
BASSE s. f. (ba-sc — rad. bas, adj.) Mar.
Eau plus profonde que le haut-fond et moins
que le bas-fond ; La BASSE est un fond sablé
ui s'élève près de la surface des eaux. (A.
al.) La BASSE tient le milieu entre le haut-
fond et le bas-fond. (Legoarant.)
BASSE s. f. (ba-se — rad. bas, adj.) Manég.
Pente douce sur laquelle on exerce le cheval
à plier les jambes dans la course au galop.
BASSE s. f. (ba-se — rad. bas, adj.) Agric.
Baquet en bois dans lequel on porte les rai-
sins écrasés à la cuve, et que deux hommes
enlèvent de la vigne sur leurs épaules, à
l'aide d'un morceau de bois appelé paux.
— Métrol. Mesure de capacité usitée dans
les salines.de la Lorraine, et contenant de
100 à 150 kilo, de sel.
BASSE s. f. (ba-se). Ichthyol. Nom vul-
gaire d'un poisson américain, du genre cen-
tropome, appelé aussi PERCHE OCELLÉE.
BASSE, ÉE (ba-sé), part. pass. du v. Bas-
ser : Chaîne BASSES.

BASSE-CONDE
s. f. (ba-se-kon-de). Techn.
Panneau supérieur d'un soufflet, dans les
hauts fourneaux.

BASSE-CONTRE
S, f. Mus. V. BASSE.

BASSE-COR
s. f. Mus. V. BASSE.

BASSE-COUR
s. f. Econ. rur. Partie d'une
ferme où l'on dépose le fumier et où l'on élève
la volaille et les autres animaux qu'on nour-
rit àdemeure:i>esBASSEs-couRS.-Lapow/e est
un des hâtes les plus intéressants de ta BASSE-
COUR. (Buff.) Il Cour do dégagement où se trou-
vent les écuries et dépendances : La cuisine
de cet hôtel a son entrée extérieure sur la
BASSE-COUR. Il Animaux de basse-cour, Ani-
maux élevés ordinairement dans les basses-
cours : il Fille de basse-cour, Fille de ferme
chargée du soin des animaux de basse-cour :
Il vit alors la FILLE DE BASSE-COUR en alter-
cation avec un beau jeune homme. (Balz.)
— Par ext. Ensemble des animaux qui vi-
vent dans une basse-cour; se dit surtout en
parlant de la volaille : Il a une nombreuse,
une superbe BASSE-COUR. La vue d'un tiercelet
planant au haut des airs met en émoi toute la
BASSE-COUR.
— Fam. Nouvelles de basse-cour, Nouvelles
dignes des gens employés à une basse-cour;
nouvelles absurdes et sans fondement.
— Féod. Cour intérieure d'un château for-
tifié.
— Encycl. Dans la plupart des fermes , on
laisse les volailles vaguer en liberté dans la
cour qui règne devant la maison même du fer-
mier , au milieu des bestiaux , afin qu'elles
puissent recueillir dans les fumiers les graines
qui s'y trouvent, et qui, plus tard, germeraient
aans les champs au grand détriment de l'agri-
culture. Dans ce cas, ce qu'on appelle basse-
cour comprend souvent une fosse à fumier,
un abreuvoir, un puits, et toutes les construc-
tions qui sont des dépendances de la ferme
se trouvent placées alentour. Mais, lorsqu'on
élève un grand nombre de volailles, ce sys-
tème devient inapplicable, à cause de l'en-
combrement et des accidents qui pourraient
se produire. On enferme alors les volailles
avec les lapins, dans un local spécial que l'on
appelle plus particulièrement basse-cour. Ainsi,
ce mot a deux significations bien distinctes,
qu'il ne faut pas confondre : dans son accep-
tion la plus large, il s'entend à la fois de la
cour intérieure d'une ferme et des bâtiments
qui l'avotsinent; aujourd'hui, l'usage tend à
restreindre une signification si générale, et
l'on arrive à cette définition plus spéciale :
cour de ferme et partie de l'habitation où l'on
élève et nourrit la volaille, les lapins, et géné-
ralement toutes les espèces connues sous le nom
d'animaux de basse-cour.
Une basse-cour bien entendue doit compren-
dre, en constructions appropriées et parfaite-
ment aménagées, tout ce qui est utile au bon
élevage et à l'entretien raisonné des lapins et
des volailles. Une canardière, pour les ca-
nards et les oies; un poulailler, pour les coqs,
poules et pintades; un colombier, pour les
pigeons; un clapier ou des loges pour les la-
pins; d'autres loges pour les couveuses; une
chaponnière ou épinette, pour les volailles à
engraisser; des perchoirs pour les paons et
les dindons: tels sont les principaux éléments
d'une basse-cour bien organisée. Outre cela, il
faut un espace libre où les animaux puissent
se promener et s'ébattre en plein air. Cet es-
pace ou, si l'on veut, cette cour doit être sé-
parée du reste de la ferme par un mur, un
treillage ou une forte haie, afin que les lapins,
les volailles et les autres animaux qui y pren-
nent leurs ébats ne soient pas troublés à
chaque instant par le mouvement du dehors.
Son étendue devra être en rapport avec le
nombre des habitants, et le sol un peu en
pente, afin que l'eau ne puisse y séjourner.
L'exposition au midi est préférable. Il y aura,
autant que possible, un peu de gazon, des
arbres, des arbustes, tels que des mûriers, des
sureaux, des acacias, des groseilliers, etc. On
y établira une ou deux mares pour les oiseaux
aquatiques ; des monceaux de cendres et de
sable pour les poules, afin qu'elles puissent se
débarrasser, en s'y roulant, de la vermine qui
les ronge; enfin, des baquets bien couverts et
remplis d'eau fraîche une ou deux fois par
jour, dans lesquels les volailles pourront venir
s'abreuver. La plus grande propreté devra
régner partout. Cette dernière condition est
l'un des gages les plus assurés de succès pour
celui qui se livre à l'élevage des animaux de
basse-cour. Le plus grand nombre des maladies
qui les déciment, n'ont pas d'autre cause que
la malpropreté du local qui leur sert d'habi-
tation.
"Les produits de la basse-cour ont toujours
tenu un ran£, sinon élevé, du moins relative-
ment considérable, dans les revenus de la
ferme ou plutôt de la maison. Maintes fois on
a tenté de diminuer .le nombre des volailles ou
d'en supprimer l'élevage, et toujours on a été
forcé d'y revenir. L'expérience démontre , en
effet, que les produits quotidiens de la basse-
cour forment au bout de l'an une somme im-
portante, que nul autre produit ne remplace.
« Si la basse-cour, dit M"" Millet, a quelques
inconvénients passagers, elle se recommande
ftar des avantages de tous *les instants. C'est
a corne d'abondance de la ménagère; le vide
ne s'y fait jamais quand on sait l'administrer :
C'est comme un chapelet qui tourne sans cesse
dans les doigts et dont on ne trouve pas la fin.
Il ne suffit pas, dit un proverbe, que le coq
gratte, il faut que la poule ramasse. Le coq,
c'est assurément le fermier, le chef de l'ex-
ploitation, dont les travaux assurent l'avenir :
il sème et il récolte; mais, en attendant la
moisson, que tant d'événements peuvent com-
promettre en partie, sa compagne, économe et
rangée, prévoyante et laborieuse aussi, ra-
masse un peu chaquejour ;et? des petits profits
multipliés qu'elle trouve à faire ainsi dans son
département, elle pèse d'un grand poids, à la
fin, dans la balance où se déposent un à un les
écus destinés à l'acquittement de l'impôt ou du
"fermage. »
Il y a quelques années, les Anglais avaient
proscrit de leurs fermes toutes Tes volailles,
comme bêtes voraces, pillardes, ingouverna-
bles et dépensant plus qu'elles ne rapportent.
Ils sont bientôt revenus de leur erreur, et,
passant tout à coup d'une extrémité à l'autre,
ils se sont livrés, avec cette ardeur persévé-
rante qui les caractérise, à la création de races
énormes dont la nourriture est ruineuse. La
plupart de ces animaux s'engraissent facile-
ment et donnent beaucoup de viande; mais
cette viande-est dure et peu savoureuse. Une
fois lancés dans cette voie, les Anglais ne se
sont pas arrêtés là; ils ont prétendu spéciali-
ser les races de volailles, comme ils avaient
spécialisé les aptitudes chez nos grands ani-
maux. Où s'arrêtera leur persévérance? nul
ne le sait. Peut-être auront-ils un jour des
poules d'engrais et des pondeuses, comme ils
ont Je mouton dishley et la vache duriiam.
Quoi qu'il en soit, ils ont fait fausse route; ils
ont dépassé le but sans l'atteindre. La basse'
cour ne doit pas être une succursale de l'é-
table.
En France, l'engouement britannique a eu
peu de succès. Nous sommes encore bien loin
de la perfection ; mais, en définitive, nous avons
fait beaucoup mieux que nos émules d'outre-
Manche. De 1847 à 1856, nous avons exposé
annuellement, en moyenne, plus de 7 mil-
lions de kilo, d'œufs. Pendant ce temps, l'An-
gleterre est restée notre principal et presque
notre unique débouché. A l'intérieur, la con-
sommation marche de-pair avec l'exportation.
En 1853, la seule ville de Paris a consommé
174 millions d'œufs et H millions de kilo, de
volailles.
Ces chiffres prouvent tout à la fois et notre
supériorité sur les Anglais, et l'importance
que nous devons attacher aux produits de la
basse-cour. Nous avons des variétés excellen-
tes; en général même, toutes nos races sont
bonnes. Que nous manque-t-il donc afin d'at-
teindre à la perfection? Quelques petits soins
faciles à prendre, qui ne demandent qu'un
peu d'attention et une dépense des plus mini-
mes. C'est par là que nous péchons et que no-
tre mode d'éducation est défectueux : l'état de
sauvagerie et l'abandon presque absolu dans
lequel vivent généralement nos animaux de
basse-cour nuisent tout à la fois au développe-
ment et au rendement. Aussi trouvons-nous
dans notre pays les extrêmes les plus marqués :
à côté des chapons de la Bresse, des poulardes
du Maine, des magnifiques volailles de Bar-

bezieux et de quelques autres localités encore,
où l'on sait en tirer bon parti, combien ne
rencontre-t-on pas, sur nos marchés, de ces
poulets étiques, de ces poules vieillies dans la
misère, dont la maigre carcasse contient moins
de viande que d'os? Un état de choses si peu
en rapport avec les tendances progressistes
de notre époque cessera quand nous voudrons,
et alors nous serons sans rivaux, non-seule-
ment dans la production des œufs, mais en-
core dans l'engraissement des animaux de
basse-cour.
Dans les fermes où l'élevage en grand des
volailles est pratiqué, rétablissement d'une
cour séparée et de bâtiments spéciaux ne suffit
pas pour en tirer tout le parti possible; il faut
encore leur donner un surveillant spécial. C'est
une femme qu'on choisit d'ordinaire pour cet
emploi, parce qu'elle est plus douce, plus pa-
tiente, plus adroite et plus vigilante. Afin de
bien accomplir sa tâche, la fille de basse-cour
doit, avant tout, se faire aimer de sa turbu-
- lente famille ; elle aura soin que l'heure des
repas ne soit jamais changée, que la nourriture
soit bien apprêtée, et le logement d'une pro-
preté convenable. Elle passera fréquemment
en revue les animaux confiés à ses soins, pour
voir s'il n'en manque aucun ; elle épiera leurs
mouvements et leurs allures, pour s assurer de
leur santé, eî pour profiter des dispositions à
pondre ou à couver que manifesteront les fe-
melles. Enfin , elle devra connaître les meil-
leures méthodes de chaponner, d'engraisser
les volailles, et les moyens de guérir les mala-
dies les plus ordinaires.
- BASSE-COUR 1ER, 1ÈRE s. Econ. agric,
Personne chargée du soin des animaux de la
basse-cour, H Peu usité.

BASSE-COURT
s. f. Fortif. Sorte de cor-
ridor ou de caponnière, qui allait d'une po-
terne à une tour à barbacane.

BASSÉE
(LA), ville de France (Nord), ch.-l.
de cant., arrond. et à 24 kil. S.-O. de Lille,
sur un canal qui communique de la Deule à
Saint-Omer, Dunkerque et Calais ; pop. aggl.
2,613 hab. — pop. tôt. 2,958 hab. Filatures de
coton, brasseries, fabrique de sucre, savon-
nerie, corroierie, tannerie, fours à chaux,
moulins, teintureries, distillerie. Commerce
de houille, graines, toiles.
Cette petite ville appartenait autrefois aux
châtelains de Lille, qui l'embellirent et la for-
tifièrent. En 1054, Baudoin de Lille, craignant
une attaque de la part de Henri III, fit faire, '
depuis la mer jusqu'à l'Escaut, un vaste et
large retranchement, qui existe encore en
partie. Jean, châtelain de Lille, agrandit ce
retranchement et en forma, en 1271, le canal
de la Bassée a la Deule. Prise par les Fla-
mands en 1303 et 1304, la Bassée résista, en
i486, aux attaques de Maximilien,roides Ro-
mains ; ce prince finit cependant par s'en em-
parer quelque temps après, et fit détruire les
fortifications, qui furent relevées en 1594. Les
Français la prirent en 1641, et la fortifièrent
encore; les Espagnols s'en rendirent maîtres
l'année suivante, et la démantelèrent en 1667.
Le traité d'Aix-la-Chapelle rendit cette place
à la France.
BASSÉE (le P. Bonaventure DE LA), théolo-
gien français, né à La Bassée, en Artois, à la
fin du xvie siècle, mort en 1650, s'appelait de
son vrai nom Louis le Pippre. D'abord pro-
fesseur de théologie au collège de Douai, il
entra à Hernin dans la congrégation des cha-
noines réguliers, puis il se fit capucin. Ce
théologien, dont Pascal fait mention dans sa
XVc provinciale, est l'auteur de deux ouvrages :
Paroçhianus obediens (le paroissien obéissant,
1633), traduit en français par F. de la Tombe,
1634) ;etTheophilusparochialis (1634), traduit
en français par B. Puys. Cet ouvrage donna
lieu à une très-vive polémique entre B. Puys
et le jésuite AIbi, qui employa sans scrupule
la calomnie pour décrier son adversaire.

BASSE-ENCEINTE
s. f. Fortif. V, FAUSSE-
BRAIE.

BASSE-ÉTOFFE
s. f. Techn. Alliage de
plomb et d'étain.

BASSE-FOSSE
S. f. Cachot souterrain, étroit
et humide, dans lequel on descendait autre-
fois certains prisonniers : Vante a mis en-
semble, dans la BASSE-FOSSE de l'enfer, et fait
dévorer à la fois par la gueule sanieuse de
Satan le grand traître et le grand meurtrier,
Judas et Brutus. (V. Hugo), il On dit aussi CUL
DE BASSE-FOSSE.

BASSE-GOUTTE
s. f. Jurispr. anc. Droit
de déverser son égout sur la propriété du
voisin.
BASSE1N, ville et port de l'Indoustan an-
glais, présidence et à 25 kil. N. de Bombay,
sur la mer d'Oman, au-dessus de l'île Salsette.
. Prise en 1802 par les Anglais, elle donna son
/ nom au traité qui anéantit la confédération
des Mahrattes.

BASSE-INDRE
(LA); bourg de France. V.
INDRE (La Basse-).

BASSE-JUSTICE
s. f. Féod. Justice sei-
f neurialo qui ne s'exerçait pas au delà du
egré le moins élevé de juridiction.

BASSELIN
(Olivier), chansonnier normand
du xve siècle, né à Vire, où il possédait un
Snoulin à foulon,, de l'exploitation duquel il
vivait. Cette usine, dont on voit encore les
restes, a conservé le nom de Moulin Basselin;
BAS
elle se trouve sous le coteau des Cordeliers,
tout près du pont de Vaux.
On ne sait que peu de chose de la vie d'Oli-
vier Basselin, appelé familièrement le Don-
homme, comme La Fontaine. Adonné aux
plaisirs de la table, au vin et au cidre, il
employait ses loisirs à rimer des chansons
naïves qui, à cause du pays, reçurent le nom
de vau-de-Vire, d'où l'on fait dériver celui
de vaudeville. Les avis sont partagés sur
cette question, dont nous n'avons pas à nous
occuper ici. _
Basselin n'était point illettré, comme quel-
ques biographes 1 ont prétendu ; il savait le
latin, avait voyagé et avait été soldat. Deux
vers de Jean Le Houx nous apprennent que
Basselin eut beaucoup à souffrir de la guerre
de 1450, qui eut lieu entre les Anglais et
Charles VIL Sa fabrique fut ruinée lors du
siège de Vire, et, plus tard, sa famille le
voyant- trop adonné au cidre et à la bonne
chère, le fit interdire. Il s'ensuivit un procès,
rappelé par ces deux vers du XXVIIe vau-
de~ Vire .*
Bon sildre oste le soussy
D'ung procez qui me tempeste.
Le pauvre foulon se lamentait d'une façon
aussi ingénue que touchante (38e vau-de-
Vire) :
Hélas! que fait ung povre yvrongne?
Il se couche et n'occit personne.
Ou bien* il dict propos joyeulx.
Il ne songe point en uzure,
Et ne faict à. personne injure,
Beuveur d'eau peut-il faire mieulx?
Ce fut Basselin qui introduisit dans le Bo-
cage l'usage de chanter des chansons après
le repas. Les siennes étaient en quelque sorte
improvisées. Il avait une remarquable facilité
naturelle. Du reste, il semble n'avoir attaché
que peu de prix à ces légères productions? et il
n'en fit jamais de recueil. Elles se transmirent
de bouche eu bouche jusqu'au temps ou Jean
Le Houx les recueillit et les livra a l'impres-
sion. Vauquelin de la Fresnaye s'occupe du
bon Virois dans son Art poétique. «On prétend,
- dit-il, que Basselin perfectionna les procédés
pour fouler les draps. Devenu vieux, il ne
songeait qu'à boire et qu'à chanter... »
Il ne s'est jamais inspiré que de la bouteille.
La gloire militaire et l'amour le touchaient
peu; il l'a déclaré lui-même franchement :
A l'amour ne suys adonné,
Et j'ame encore moins les armes.
Les vers du bonhomme Olivier furent im-
primés pour la première fois en 1576. Cette
édition disparut par les soins du clergé, et
celui qui l'avait publiée (on ne le nomme point)
ne fut pas à l'abri de la persécution. Ceci a
lieu de nous' étonner. La deuxième édition
paraît avoir été supprimée avec le même
soin, puisqu'on n'en connaît que deux exem- -
plaires.
Vers 1610, parut le Livre des chants nou-
veaux et vaux-de- Vire, par Olivier Basselin
(in-8o de 100 p.). C'est l'édition donnée par
Jean Le Houx,
D'autres éditions ont paru également à Vire
en 1SH, 1821 et 1833. Cette dernière, aug-
mentée des chansons de Jean Le Houx, con-
tient des travaux biographiques et bibliogra-
phiques de MM. Julien Travers et Auguste
Asselin. C'est incontestablement la plus com-
plète et la meilleure de toutes ; elle est impri-
mée dans le format in-32.
Terminons par quelques extraits de l'œuvre
du poëte de Vire :
LA FAUTE D'ADAM.
Adam (c'est chose trop notoire)
Ne nous eust mis en tel danger,
Si, au lieu du fatal manger,
Il se fust plus tost pris à boire.
C'est la cause pour quoy j'évite
D'estre sur le manger gourmand.
Il est vray que je suis friand
De vin, quand c'est vin qui mérite.
Et partant, lorsque je m'approche
Du lieu où repaistre je veux,
Je vais, regardant curieux,
Plus tost au buffet qu'à la broche.
L'œil regarde où le cœur aspire,
J'ay cuy par trop œillade.
Verre plein, s'il n'est tost vuidé,
Ce n'est pas un verre de Vire.
Une autre pièce, plus souvent citée, est
celle qui a pour titre : A mon nez. En voici
les deux premières strophes ;
Beau nez, dont les rubis ont cousté mainte pipe
De vin blanc et clairet,
Et duquel la couleur richement participe
Du rouge et violet.
Gros nez] qui te regarde à travers un grand verre
Te juge encor plus beau :
Tu ne ressembles point au nez de quelque hère
Qui ne boit que de l'eau.
Vire était assiégée, et cette circonstance
inspira au chansonnier les trois couplets sui-
vants :
Tout à l'entour de nos remparts,
Nos ennemis sont en furie :
Sauvez nos tonneaux, je vous prie!
Prenez plus tost de uous, soudards.
BAS
Tout ce dont vous aurez envie :
Sauvez nos tonneaux, je vous prie.
Nous pourrons après en beuvant
Chasser notre mélancolie :
Sauvez nos tonneaux, je vous prie!
L'ennemi qui est ci-devant,
Ne nous veut faire courtoisie.
Vuidons nos tonneaux, je vous prie.
Au moins, s'il prend notre cité.
Qu'il n'y trouve plus que la lie :
Vuidons nos tonneaux, je vous prie !
Deussions-nous marcher de caste",
Ce bon sildre n'espargnons mie :
Vuidons nos tonneaux, je vous prie!
Comme on le voit, il y avait chez Basselin
de l'humour, de la verve, de la gaieté, et, par-
dessus tout, )e sentiment poétique. C est donc
avec raison que son nom est resté comme un
des modèles les plus originaux et les plus po-
pulaires de la vieille muse gauloise.
Dans cet article, nous avons cité un travail
de M. Julien Travers, secrétaire de l'Acadé-
mie des sciences, arts et belles-lettres de
Caen. En cela, nous avons imité M. Henri
Martin, qui s'était appuyé sur ce travail pour
apprécier le rôle d Olivier Basselin. Mais il
araît que le Grand Dictionnaire et le grand
istorien avaient tort de mettre tant de con-
fiance en M. Travers; c'est lui-même qui
vient de faire cette généreuse révélation à la
réunion des délégués des sociétés savantes,
qui s'est tenue à la Sorbonne le 4 avril 1866.
Nous disons généreuse, car elle a été faite la
veille même du jour où devait être décidée
l'admission de l'illustre historien à l'Académie
française. Pour ce qui concerne M. Henri
Martin, la plume aiguisée de M. Taxile Delord
a vertement répondu à M. le secrétaire de
l'Académie de Caen; quant à nous, le démenti
que M. Travers se donne à lui-même ne mo-
difie en rien notre article; il montre seule-
ment que cet annotateur ne doit plus être pris
au sérieux; il n'y a que son nom qui puisse,
désormais, jouir de ce privilège.

BASSE-LISSE
s. f. Techn. Manière de tra-
vailler les tapisseries de laine, en disposant
la chaîne horizontalement sur le métier : Ta-
pisserie de BASSE-LISSE. Travail de BASSE-
USSE. Ouvrier en BASSE-LISSE, II Se dit aussi
de la tapisserie même ainsi fabriquée.
— Encycl. La basse-lisse est ainsi appelée
parce qu'elle s'exécute horizontalement, par
opposition à la haute-lisse qui se fait vertica-
lement. De plus, l'ouvrier travaille à l'envers,
tandis que le haut-lissier opère à l'endroit.
Assis, 1 estomac et les coudes appuyés sur
l'ensouple où s'enroule le tissu, il fait hausser
et baisser les fils de la chaîne au moyen de
marches. Il est dirigé, dans son ouvrage, par '
le calque du tableau à copier, qui est placé
sous ces fils, et ce n'est qu'en regardant très-
perpendiculairement à travers ceux-ci qu'il
aperçoit les traits qu'il doit suivre. Le tableau
lui-même est bien suspendu derrière lui ; mais,
ne pouvant juger son travail qu'à l'envers, ou
du moins ne pouvant le faire que rarement à
l'endroit, il lui est impossible d'exprimer, avec
la même fidélité que le haut-lissier, l'accord
et l'ensemble de l'original. En revanche ,
comme les passées ou jetées de fils embras-
sent plus d'espace, il en résulte que, dans le
même temps, il travaille à peu près un tiers
plus vite que le haut-lissier. C'est pour ces rai-
sons que l'on n'emploie la basse-lisse que pour
produire des tapis ordinaires, destinés a la
consommation usuelle, et que la haute-lisse
est réservée à la fabrication des pièces de
grand prix.

BASSE-LISSIER
s. m. Techn. Ouvrier qui
travaille en basse-lisse, il PI, des BASSE-
LISSIERS.

BASSE-MARCHE
s. f. Techn. Partie d'un
métier de basse-lisse.

BASSEMENT
adv. (ba-se-man — rad. bas,
adj.). Avec bassesse, d'une manière vile:
Agir, parler BASSEMENT. Petites jalousies, pe~
tites intrigues, tout est petit, tout est BASSE-
MENT méchant. (Volt.) Il Dans une basse con-
dition :
La victoire m'honore et m'ôte seulement
Un caprice obstiné d'aimer trop bassement.
ROTROO.
— A signifié : à voix basse :
Certes, je ne puis faire, en ce ravissement,
Que rappeler mon âme et dire bassement...
MALHERBE.
— Antonymes. Noblement, fièrement.
BASSEMENT s. m. (ba-se-man). Techn. Im-
mersion successive des peaux dans des liqui-
des acides et de plus en plus chargés de
tannin.

BASSE-MER
s. f. Etat de la mer quand les
eaux sont basses, c'est-à-dire lorsque la marée
s'est retirée.

BASSEN
(Jean-Barthélemy VAN), peintre
flamand (d'autres disent hollandais), florissait
à Anvers de 1610 à 1630. Il peignit surtout des
intérieurs d'église et de palais de la Renais-
sance. Ses œuvres hrillent par le soin des dé-
tails et l'exactitude de la perspective linéaire;
mais, suivant M. "Waagen, elles manquent
leur effet par la crudité des tons, la dureté
des formes et le défaut de perspective aérienne.
Ses tableaux sont assez rares; le Louvre n'en
a pas; le musée de Rotterdam en possède un,
et le musée de Berlin deux. Un de ces der-
niers, représentant un'Intérieur d'église, est
BAS ' 323
signé et daié de 1624, et Frans Francken le
jeune y est désigné comme ayant fait les
figures.

BASSENGE
un des joailliers de Marie-An-
toinette, associé de Bœhmer. V. COLLIER (Af-
faire du).
BASSENGE (Jean-Nicolas). Nous,croyons
devoir ici quelques lignes de souvenir à ce poëte
patriote peu connu, dont les efforts aidèrent
a renverser le pouvoir temporel des anciens
princes-évêques de Liège et iacilitèrent la réu-
nion de leur Etat à la France. Dans sa jeu-
nesse, Bassenge fut l'un des beaux esprits de
la cour de l'évêque Velbruck, un de ces prin-
ces de l'Eglise dont le type, perdu de nos
jours, était fort commun au xviuc siècle, et
qui, épris de philosophie, affichaient la tolé-
rance, recherchaient les artistes et les libres
penseurs. Tout d'abord, on applaudit, à cette
petite cour, les écrits où Bassenge réclamait
l'avénement du droit populaire ; mais, aux
premiers grondements de 1789, tout ce libéra-
lisme d'emprunt disparut; le prince de Méan,
successeur de Velbruck, inquiéta le jeune
écrivain, qui dut se réfugier à Paris. Après la
prise de la Bastille, la petite révolution lié-
geoise, longtemps comprimée, ayant éclaté,
Bassenge, rappelé avec Henkart, autre chef
populaire, prit la direction du mouvement, -
jusqu'au jour où l'intervention des Prussiens
vint rétablir le pouvoir sacerdotal. Mais Du-
mourier rouvrit bientôt aux patriotes le che-
min de leur pays, qui reçut en libérateur le
fénéral français. D abord nommé commissaire
e la France près du nouveau département de
l'Ourthe, élu plus tard au conseil des Cinq-
Cents, Bassenge favorisa le 18 brumaire et
siégea au Corps législatif, jusqu'au jour où sa
protestation contre l'établissement de l'em-
pire le fit rentrer dans la vie privée. Bassenge
tut l'un des rédacteurs de la Décade philoso-
phique. Ses œuvres ont été réunies, avec celles
de ses amis Henkart et Reynier, sous ce titre :
Loisirs de trois amis (Liège, 2 vol. in-8<>, 1822).

BASSE-ORGUE
s. f. Mus. Instrument re-
courbé comme le basson, et donnant plus de
trois octaves : La BASSE-ORGUE donne la faci-
lité de faire les tons et les demi-tons. (Encycl.)

BASSE-PÂTE
s. f. Art culin. Pâte aplatie
au rouleau, n On dit plus souvent ABAISSE.

BASSEPORTE
(Madeleine-Françoise), pein-
tre de fleurs et d'oiseaux, née à Paris en 1700,
morte en. 1780. Elève de Robert, elle fut ju-
gée digne, par son talent, de succéder en
1732 à Aubnet dans la place de dessinateur
du Jardin des Plantes. Elle fut liée avec l'abbé
Pluche, auteur du Spectacle de ta nature, ou-
vrage qu'elle orna de quelques dessins. On a
de cette artiste la continuation de la belle
collection des plantes peintes sur vélin, qui.
fut commencée par Gaston d'Orléans, frère de
Louis XIII, et qui se trouve au Muséum d'his-
toire naturelle.

BASSER
v. a. ou tr. (ba-sé). Techn. En
parlant de la chaîne d'une étoffe, l'imbiber
d'une colle savonneuse qui rend les fils glis-
sants.

BASSE-RICHE
S. f. Miner. Pierre noire,
incrustée de coquillages, qui se trouve dans
le Mont-Dore, et qui sert aans les arts pour
faire des coupes, des socles, etc.

BASSERMANN
(Frédéric-Daniel), homme
politique allemand, né à Manheim en 1811.
D'abord simple employé de commerce dans le
grand-duché de Bade et en France, il alla
compléter a Heidelberg l'instruction qu'il s'é-
tait en quelque sorte donnée lui-même ; puis
il se fixa dans sa ville natale, où il se livra à.
l'industrie. Nommé, vers 1840, député à la
Chambre élective de Bade, il se rangea parmi
les membres les plus avancés de l'opposition;
mais, par un revirement subit, lors de la ré-
volution de 1848, il se fit le défenseur dévoué
du gouvernement qu'il avait attaqué jusque-
là. Elu membre de l'Assemblée nationale alle-
mande, il combattit l'extrême gauche et de-
vint secrétaire du ministère d'Empire, créé
en août 1848. Mais une maladie nerveuse mit
tout à coup fin à sa vie politique, et il dut se
retirer même de la chambre badoise. Basser-
mann a publié : Allemagne et Russie (Man-
heim, 1839), ouvrage dans lequel il signale les
progrès constants de l'influence russe en
Allemagne.

BASSES
(ARCHIPEL DES ÎLES). V. POMOTOU.

BASSES-ŒUVRES
s. f. pi. Ensemble de
toutes les choses qui se rapportent aux fonc-
tions du bourreau : Gens, valets des BASSES-
ŒUVRES. Dans la nuit qui suivit l'exécution de
la Esméralda, les gens des BASSES-ŒUVRES
avaient détaché son corps du gibet. (V. Hugo.)
— Par ext. Valet des basses-œuvres, Per-
sonne d'une profession ou d'une conduite
ignoble .par analogie avec la profession de
valet de oourreau : Flétrissure, ignominie à ces
misérables VALETS PES BASSES-ŒUVRES, qui
n'ont d'autre fonction que de tourmenter vivants
ceux que la postérité adorera morts! (Balz.)

BASSESSE
S. f. (ba-sô-se — rad. bas, adj.).
Défaut d'élévation : Il y a un certain degré de
hauteur et un certain degré de BASSESSE que le
mercure n'outre-passe presque jamais. (Pasc.)
(t V. en ce sens propre.
— Défaut do noblesse, d'élévation dans lo
rang, la position ou la naissance : Il entre a
Borne avec un cortège où il semble triompher
de la BASSESSE et de la pauvreté de son père.
(La Bruy.) Le Seigneur..^., daigne jeter les
3é4
yeux sur la BASSKSSE de sa servante, la choi-
sir, la combler de dons et de grâces. (Mass.)
Le plaisir de se montrer dans tout l'éclat de sa
haute fortune, aux yeux de ceux qui avaient vu
sa BASSESSE, eut la plus grande part à ses ré-
solutions. (Mérimée.)
Votre grand Marius naquit dans la bassesse.
CORNEILLE.
J'ai, comme toi, vécu dans la bassesse.
Et c'est le sort des trois quarts des humains.
VOLTAIRE.
— Fig. Petitesse d'esprit, défaut d'éléva-
tion morale, de grandeur, de dignité : Une
âme pleine de BASSKSSE. La BASSESSE des ca-
lomniateurs. Le goût des minuties annonce la
petitesse du génie ou la BASSESSE de l'âme. (De
Retz.) L'homme est rempli de BASSESSE et de
vanité. (Pasc.) L'orgueil, dans toute condition,
est un signe de BASSESSE. (Goldoni.) Les cour-
tisans ont avec une reine un genre de BASSESSE
gui tient de la galanterie. (Mtf>e de Staël.)
L'avarice est la première preuve de la BASSESSE
de l'âme. (Mme de Puizieux.) C'est la BASSESSE
qui produit d'abord la tyrannie, et, par une
juste réaction, la tyrannie prolonge ensuite la
BASSESSE. (Chateaub.) Les aumônes prodiguées
sans discernement sont des primes offertes à la
fainéantise et à la BASSESSE. (Droz.) L'arro-
gance des manières n'est souvent que le masque
de la BASSESSE. (Ose Bacchi.) L'esclavage pro-
duit la BASSESSE, qui exclut la vraie politesse.
(De Custine.) La BASSESSE est pour l'âme une
sorte de suicide. (E. Saisset.) L'injure ne fait
réellement de tort qu'à celui dont il découvre
l'absence d'éducation, le mangue d'esprit ou la
BASSESSE de cœur. (E. de Gir.)
En vain l'esprit est plein d'une noble vigueur :
Le vers se sent toujours des bassesses du cœur.
BOILEAU.
Telle est de l'homme vil l'ordinaire bassesse :
11 se plaint par envie et se tait par faiblesse.
FRÉVILLE.
On peut a la jeunesse
Pardonner une erreur, jamais une bassesse.
DELAVILLE.
Cette alticre sagesse
N'attend qu'un crime heureux pour montrer sa
[bassesse.
GRESSET.
Un cœur noble ne peut soupçonner en autrui
La bassesse et la malice
Qu'il ne sent point en lui.
RACINE.
Mais fussiez-vous issu d'Hercule en droite ligne,
Si vous ne faites voir qu'une bassesse indigne,
Ce long amas d'aïeux que vous diffamez tous
Sont autant de témoins qui parlent contre vous.
BOILEAU.
Il Action basse, vile, sans dignité : Faire des
BASSESSES. Les grâces ne valent souvent pas les

BASSESSES
qu'on est obligé de faire pour les
obtenir. (Max. orient.) Un favori qui a de l'é-
lévation se trouve souvent confus et déconcerté
par les BASSESSES et les flatteries de ceux qui
s'attachent à lui. (La Bruy.) Il n'y avait point
de BASSESSES que les rois ne fissent pour obte-
nir le titre d'alliés des liomains. (Montesq.)
On fuit la gloire d'une belle action comme on
devrait fuir l'infamie d'une BASSESSE. (Mass.)
Les hommes corrompus sont toujours prêts à
toute sorte de BASSESSES. (Fén.) Ceux qui par-
viennent par des BASSESSES ont à rendre tous
les mépris qu'Us ont reçus. (Volney.) Quicon-
que commet une BASSESSE doit se mépriser.
(Volt.)
Le maître qui prit soin d'instruire ma jeunesse
Ne m'a jamais appris à iaire une bassesse.
CORNEILLE.
La plupart, indigents au milieu des richesses,
Achètent l'abondance à force de bassesses.
GILBERT.
Il ne fermerait pas sa porte a la richesse.
Mais n'en voudrait jamais au prix d'une bassesse.
PONSARD.
il Faiblesse, défaut de vigueur : Ce n'est pas
là ce que l'Apôtre appelle, la douceur du zèle ;
c'est plutôt une BASSESSE de couraqe que rien
ne réveille et n'élève. (Mass.) Il Individus qui
ont de la bassesse : La BASSESSE traite la gran-
deur de fierté et d'arrogance. (*'*) L'épitre dé-
dicatoire n'a été souvent présentée que par la
BASSESSE à la vanité dédaigneuse. (Volt.)
— Pop. Faire des bassesses, Hyperbole co-
mique dont on se sert pour exprimer qu'on
est décidé à tout entreprendre pour satisfaire
un goût: Si j'aime le melon/ JE FERAIS DES
BASSESSES pour en manger.
— Dans le style religieux, Abaissement
volontaire, humilité. Se prend alors en bonne
part : Tant que Jésus-Christ a vu devant soi
quelque nouvelle BASSESSE, U n'a cessé de des-
cendre. (Boss.) L'Eglise, corps mystique de
Dieu, devait être une image de sa BASSESSE, et
porter sur elle la marque de son anéantisse-
ment volontaire. (Boss.) Il n'appartient qu'à
Dieu de nous parler de ses grandeurs, il n ap-
partient qu'à Dieu de nous parler de ses BAS-
SESSES. (Boss.) Il est ridicule de se scandaliser
de la BASSESSE de Jésus-Christ. (Pasc.) Il faut
des mouvements de BASSESSE, non d'une BAS-
SESSE de nature, mais de pénitence, non pour
y demeurer, mais pour aller à la grandeur.
(Pasc.) n Indignité; état très-inférieur, au
point de vue des mérites ou de la puissance :
L'humilité est le sentiment de notre BASSESSE
devant Dieu. (Vauvcn.)
— Littér. et b.-arts. Trivialité, défaut de
noblesse : La BASSESSE d'une expression. La
BASSESSE du stylet des pensées. La difficulté
n'est pas d'éviier^ la BASSESSE dans le genre
héroïque) mais dans le familier, qui touche au
BAS
populaire, et qui doit être naturel sans être
jamais trivial. (Marmontel.)
Quoi que vous écriviez, évitez la bassesse;
Le style le moins noble a pourtant sa noblesse.
BOILEAU.
Intérêt, vérité, naturel sans bassesse,
Voila, pour le public, les titres de noblesse.
C. DELAVIONE.
— Antonymes. Fierté, grandeur d'âme,
noblesse.

BASSE-SYRIE
nom donné par quelques au-
teurs à la partie de la Syrie comprise entre le
' Liban et 1 Anti-Liban, et appelée aussi Syrie-
, Creuse ou Céle'syrie. Pour plus de détails,
v. ce dernier mot.

BASSET
s. m. (ba-sc — dim. de bas, adj.).
Race de chiens a poil ras, à jambes très-
courtes, quelquefois torses : Les BASSETS ont
1 un corps allongé, porté sur de petites jambes.
j (Mérimée.) Le BASSET de bonne souche est plein
d'excellentes qualités; je le respecte; il chasse
généralement tout ce que les grands chiens ne
chassent pas. (Toussencl.)
— Fam. Petit homme à jambes très-cour-
tes : Vous n'êtes pas un géant, mais vous n'êtes
pas un BASSET.
Le comte de BienWIIe est un basset fort mince.
DESTOUCIIES.
Il Le fém. bassette peut être employé en ce
sens.
— Adjectiv. : M. de Brissac avait infiniment
d'esprit, avec une figure de plat apothicaire,
grasset, BASSET et fort enluminé. (St-Sim.)
— Mus. Cor de basset, Clarinette recourbée,
qui donne des sons plus graves que la cla-
rinette ordinaire.
— Bot. Nom donné à certains champignons,
notamment à des agarics à pédicule court.
— Encycl. On distingue plusieurs sortes de
chiens bassets : 1° Le basset à jambes droites ou
basset proprement dit. Ce chien a les oreilles
et la tête comme le chien courant, mais le
museau et le corps tout entier paraissent beau-
coup plus allongés. Le pelage est ras, ordi-
nairement brun ou noir ; dans ce dernier cas,
il est marqué de taches de feu autour des yeux
et sur les quatre pattes. Il y a une sous-va-
riété à pelage plus long, un peu hérissé. 2« Le
basset à jambes torses. Il diffère du précédent
par sa taille plus petite et ses jambes de de-
vant contrefaites et tordues. 3° Le basset de
Burgos. Il a également les jambes torses ;
mais il se distingue du précédent par ses
oreilles plus grandes, plus pendantes; son
museau plus fin, plus allongé ; ses formes
moins lourdes, et son pelage ordinairement
. d'un fauve gris de souris et très-ras. Ce chien
est excellent pour la chasse du levraut. 4° Le
basset de Saint-Domingue. Comme le basset de
Burgos , c'est une variété du basset à jambes
torses. Sa tête est très-grosse, son museau
effilé; ses oreilles sont petites, larges, à demi
pendantes. Il a les yeux bleus, la queue lon-
f ue et relevée, le pelage ras, lisse , noir en
essus, blanc en dessous, variant assez rare-
ment du noir au fauve ou au tacheté. Ce bas-
set est élevé avec beaucoup de soin dans les
Abtilles, où il fait une guerre acharnée aux
innombrables légions de rats qui dévastent les
plantations de cannes h sucre.
Les bassets ont a peu près le même carac-
tère et les mêmes mœurs que le chien cou-
rant ; ils sont très- ardents à la chasse, où on les
emploie, soit à courir le renard, le lapin et le
lièvre, soit à attaquer le blaireau et le renard
dans le fond de leurs terriers. Ils chassent en
donnant de la voix; mais, comme ils ne sont
pas açiles, le gibier fuit avec moins de vitesse,
ce qui donne plus de facilité pour le tirer.
Les bassets de bonne race n'ont pas besoin
de beaucoup d'instruction; cependant on peut
développer leurs heureuses dispositions par
les procédés suivants. Lorsqu'on les destine à
la chasse à courre ou à l'arrêt, on les dresse
à peu près de la même façon que les chiens
courants et les chiens d'arrêt proprement dits.
Si l'on veut s'en servir pour forcer le renard
dans son terrier, il faut les instruire dès l'âge
de huit ou neuf mois. On leur apprend d'abord
à, marcher couplés, et on les dresse à l'obéis-
sance. Ensuite,-pour leur donner le sentiment
du renard, on les accoutume à en manger la
chair, ce qui exige quelques précautions, at-
tendu qu'elle ne leur plaît que médiocrement.
On la leur donne donc d'abord cuite et assai-
sonnée , puis on diminue peu à peu la cuisson
et l'assaisonnement, jusqu'à ce qu'ils ne refu-
sent pas de la mapger encore chaude et sai-
gnante. Cinq ou six semaines suffisent ordi-
nairement pour obtenir ce résultat.
Lorsque les jeunes bassets sont bien accou-
tumés a l'odeur du renard, on les met aux
prises avec des renardeaux, que l'on s'est pro-
curés. Si ce premier essai réussit, on en tente
un autre plus décisif. Cette fois, il s'agit d'ac-
coutumer le basset à pénétrer dans le terrier
du renard. Pour cela, on choisit un terrier où
il y a des renardeaux, dont on a soin de tuer
la mère à l'affût. Ony conduit les jeunes chiens,
accompagnés d'un vieux basset bien dressé, que
l'on fait entrer le premier. Les bassets, que 1 on
tient en laisse, le regardent attentivement et
témoignent bientôt l'envie de le suivre. Alors
on retire le vieux chien et on laisse l'un des
jeunes bassets s'engager dans le terrier. S'il y
pénétre hardiment et ramène au dehors un
renardeau, il faut le- lui laisser étrangler et
abandonner à la meute toutes les parties inter-
BAS
nés de l'animal. A ce point, l'éducation dee
bassets est à peu près terminée, il ne reste plus
qu'à les conduire, avec d'autres chiens, à une
chasse plus sérieuse. Quelquefois cependant,
les choses se passent bien différemment. Le
jeune basset que l'on dresse s'effraye tout à
coup et refuse d'entrer dans le terrier. Dans
ce cas, la contrainte suffirait pour lui inspirer
un dégoût insurmontable ; il est bon d'atten-
dre une autre occasion. On peut encore, lors-
qu'on entend le vieux chien redoubler de voix,
opérer une percée au terrier et amener le bas-
set à pénétrer par cette ouverture, oudu moins
a. lui faire donner de la voix. S'il obéit, l'édu-
cation est à peu près terminée, et l'on peut
espérer qu'il se montrera plus hardi'lors d une
prochaine tentative.
Lorsque le jeune basset est suffisamment
dressé a la chasse au renard, on commence à,
lui faire chasser le blaireau, avec le vieux
chien qui lui sert de guide. Quant aux lièvres
et aux lapins , les bassets les chassent pour
ainsi dire d'instinct; il suffit de leur donner à
manger de la chair de ces animaux, et de les
conduire de temps en temps dans les endroits
qu'ils fréquentent. Après un essai ou deux, ils
chasseront avec toute l'intelligence désirable.
BASSET (Pierre), historien anglais, né au
xvc siècle. Chambellan du roi Henri V, il ac-
compagna en France ce souverain, dont il a
laissé une histoire intitulée : Les actions du roi
lîcnri V. Cet ouvrage est en manuscrit dans
la bibliothèque du Collège héraldique.
BASSET (César-Auguste), littérateur fran-
çais , né à Soissons en 1760, mort à Paris
en 1828. Entré dans l'ordre des bénédictins, il
professait la littérature à Sorèze en 1791 ,
lorsqu'il jugea prudent d'émigrer. De retour
en France en 1801, il entra dans l'université à
l'époque de son organisation, et devint censeur
du collège Charlemagne, puis sous-directeur
de l'Ecole normale. Propagateur ardent de la
méthode d'enseignement mutuel, il a laissé un
certain nombre d'ouvrages estimés , traitant
tous de l'organisation de l'instruction publique,
particulièrement des.écoles primaires et gra-
tuites d'adultes, qu'il fut un des premiers à
réclamer pour les ouvriers. Ses principaux
ouvrages sont:Fssai sur l'éducation et sur l'or-
ganisation de quelques parties de l'instruction
publique {Paris , 1811); Coup d'œil général sur
l'éducation et l'instruction publique en France,
avant, pendant et depuis la Dévolution (181G);
explication morale des proverbes populaires
(182C) ; Etablissement et direction des écoles
primaires et gratuites d'adultes (18$8).
BASSET DE LA MARELLE (Louis), juriscon-
sulte français, né à Lyon en 1730, mort à Pa-
ris en 1794. Successivement conseiller du par-
lement de Paris, puis président au grand con-
seil, ce magistrat fut l'un des adversaires les
plus acharnés de la Révolution. Il s'opposa de
toutes ses forces aux changements qu'elle in-
troduisit; aussi, dénoncé, aux jacobins, se
vit-il arrêté et conduit au Luxembourg, où
l'on parut l'oublier. Mais, ayant pris part à
une conspiration de prisonniers, il fut traduit
devant le tribunal révolutionnaire, condamné
à mort et exécuté, vingt jours avant la chute
de Robespierre. Il a publié un ouvrage inti-
tulé : La différence du patriotisme national
chez les Français et chez les Anglais (Lyon , '
1762, in-8o).

BASSE-TAILLE
s. f. Mus. Partie immé-
diatement au-dessus de la basse la plus grave,
et plus souvent appelée aujourd'hui première
basse : Vous chanteriez la basse aussi bien que
la BASSE-TAILLE. Cet homme chantait les airs
de BASSE-TAILLE , et avait d'énormes préten-
tions en musique. (Balz.) il Voix propre à exé-
cuter une partie de basse-taille : Une forte
BASSE-TAILLE. L'effet de ces chœurs aux mil-
liers de voix est vraiment surprenant pour nous
autres Français, accoutumés à l'uniforme BASSE-
TAILLE des chantres ou à l'aigre fausset des
dévotes. (Gér. de Nerv.) il Chanteur qui a une
voix de basse-taille : Faites-vous chanter par
quelque BASSE-TAILLE le Sunt rosaa mundi
brèves de Carissimi. (Volt.) Les magiciens, les
tyrans, les amants haïs sont pour l'ordinaire
des BASSES-TAILLES. (Millin.)
— Par anal. Son quelconque imitant une
voix de basse-taille : A l'instant même, l'éco-
lier se mit à ronfler avec une BASSE-TAILLE
magnifique. (V. Hugo.)
— Antonyme. Haute-contre.
— Encycl. V. BARYTON.
BASSE-TAILLE s. f. Sculpt. Bas-relief.
Il Vieux mot.

BASSETÉ
s. f. (ba-se-té — rad. bas, adj.).
Bassesse, il V. ce mot.

BASSETEMENT
adv. (ba-se-tc-man — rad.
bas). A voix basse : Puis li a dit BASSETE-
MENT... il V. ce mot.

BASSE-TERRE
ville des Antilles françaises,
ch.-l. de la colonie de la Guadeloupe, sur la
côte S.-O. de l'île, à 8 kil. S.-O. de la Sou-
frière, à l'embouchure de la Rivière-aux-
Herbes, par 15» 59' de latitude N. et 60° 4' de
longitude O. ; 9,245 hab. Siège du gouverne-
ment de la colonie; évèché, cour d'appel,
tribunaux de lre instance et de commerce. Sa
rade, protégée par le fort Richepanse et par
plusieurs batteries, offre un ancrage assez bon
mais exposé aux vents régnants. Cette ville,
fondée en 1635, est très-agréablement située j
elle possède de belles promenades, de nom-
BAS
breuses fontaines publiques, un arsenal, un
palais de justice, un bel et vaste hôpital; un
des plus beaux édifices est l'hôtel du Gouver-
nement. Il Ville des Antilles anglaises, ch.-l. do
l'île de Saint-Christophe, sur la côte S.-O.;
8,000 hab. Commerce très-actif de sucre, coton
et gingembre. ,

BASSE-TROMPETTE
s. f. Mus. Instrument
de basse à vent, très-réduit en longueur, ot
n'ayant guère que o m. 26 c.

BASSETTE
s. f. (ba-sè-te — do Vital, bas-
setta, même sens). Jeu de cartes, analoguo
au pharaon ou au lansquenet : La BASSETTE
fut introduite en France en 1674 ou 1675, par
Justiniani, ambassadeur de la république de Ve-
nise. (***) II passe sa vie à tailler la BASSETTE.
(Boss.) La BASSETTE m'a fait peur ; c'est un jeu
traître et empêtrant. (Mme de Sév.) M. le
marquis de Béthune est plongé dans les fureurs
de la BASSETTE. (Cnaulieu.) La BASSETTE régna
plus de trente ans sans contestation. (P. Boi-
tcau.) Hocca, fiorentini, BASSETTE, pharaon,-
tous issus du lansquenet, tous frères, tous per-
nicieux, tous en vogue : la même peste sous
diuers noms. (P. Boiteau.) Plumez quelques
jeunes clercs, en leur apprenant la BASSETTE
et le lansquenet, dans leurs plus fines pratiques.
(Alex. Dum.)
D'un tournoi de bassette ordonner les apprôts.
BOILEAU.
— Encycl. La bassette se jouait entre un
banquier et des pontes, qui étaient ordinaire-
ment au nombre de quatre. On s'y servait do
deux jeux entiers, un pour les pontes et l'autre
pour le banquier. Du premier jeu, chaque
ponte prenait treize cartes d'une couleur, ce
qu'on appelait un livre, puis en abattait une
ou plusieurs, à son choix, sur lesquelles il
couchait, c'est-à-dire mettait son enjeu. Le
banquier, après avoir battu son jeu, en tirait
les cartes deux à deux jusqu'à épuisement, en
ayant soin de les poser à découvert sur le
tapis. La première de chaque couple était pour
lui, et la seconde pour les pontes. Si cette pre-
mière carte était semblable à l'une de celles
sur lesquelles on avait couché, le banquier
gagnait tout ce qui avait été couché sur cette
carte. Si, au contraire, la seconde carte était
cette carte semblable, le banquier perdait.
Quand le banquier faisait un doublet, c'est-
à-dire quand il tirait deux cartes semblables,
comme deux rois, deux as, etc., le banquier
gagnait les mises exposées sur les cartes ainsi
arrivées en doublet. Comme on le voit, la
bassette ressemblait beaucoup au pharaon et
au lansquenet, et, comme ces derniers, pou-
vait devenir, entre des mains habiles, UPO
source d'adroites friponneries.

BASSETTI
(Marc-Antoine), peintre italien,
né à Vérone en 15S8, mort en 1630. Elève du
Bruciasorci, il se rendit à Venise, où il se
perfectionna dans son art en étudiant les
chefs-d'œuvre du Titien et du Tintoret, et il
devint, depuis cette époque, un des représen-
tants de cette brillante école vénitienne à
laquelle il emprunta son chaud coloris, tout
en conservant un dessin pur et grandiose.
Après avoir passé Quelques années a Rome, il
revint dans sa ville natale, où il mourut à
quarante-deux ans, emporté par la peste. Tant
que dura cette terrible épidémie, et jusqu'au
moment où il en fut atteint, Bassetti ne cessa
de donner à ses concitoyens l'exemple du dé-
vouement «t du vrai courage, restant exposé
aux coups du fléau pour soigner les pestiférés.
Parmi ses œuvres, on regarde comme digne
du Titien le tableau qui représente Cinq
Evêques, et qui se trouve à l'église Saint-
Etienne de Vérone. On cite également ses
fresques de la Naissance et de la Circoncision
de Jésus-Christ dans l'église Santa-Maria dell'
Anima, à Rome.

BASSE-TUBE
s. f. (do l'adj. bas et du lat.
tuba, trompette). Mus. Instrument de cuivre
qui dérive du bombardon, et pourvu d'un mé-
canisme de cinq cylindres, perfectionné par
Wibrecht, chef des musiques militaires du
roi de Prusse, et par le facteur Sax. il PI. des
basses-tubes, il On dit aussi BASSE-TUBA, BASSE-
TURBE et BASSE-TURBA.
— Encycl. Le timbre de la basse-tube est
plus grandiose et plus majestueux" que celui
de l'ophicléide, et se rapproche un peu du
timbre des trombones. L étendue de cet in-
strument, au grave, est seulement égalée par
l'orgue ; c'est la plus, grande qui existe à l'or-
chestre. Elle comprend quatre octaves, depuis
le la deux octaves au-dessous des lignes, clef
de fa (quinte inférieure réelle du mi grave de
la contre-basse à quatra cordes), jusqu'au la
du ténor, une octave au-dessus des lignes de
la même clef. Impropre aux traits d'agilité, la
basse-tube, dont la sonorité participe a la fois
du trombone et de l'orgue, produit un im-
mense effet dans les grandes harmonies mili-
taires.

BASSEUR
s. f. (ba-seur — rad. bas, adj.).
Mot employé par Marot comme syn. de bas-
sesse, manque de prix, de valeur.

BASSE-VERGUE
s. f. Mar. Verguo des
bas-mâts, il PI. des basses-vergues.
BASSEV1LLE, diplomate français. V. BASS-
VILLE.

BASSE-VOILE
s. f. Mar. Nom donné aux
voiles des bas-mâts : Il est des voiles plus
basses que celles appelées BASSES-VOILES, et qui
ne sont pas qualifiées de basses. (Lecomte.)

BASSI
(Hugue3 Visconti DES), seigneur
325
sarde, qui vivait au xive siècle et qui était
originaire de Pise. Bien que bâtard, Bassi de-
vint héritier des seigneuries d'Arborea et
d'Oristagni, en Sardaigne; mais la république
de Pise ne consentit à lui donner l'investiture
de ces suzerainetés, qui comprenaient un bon
tiers de l'île, qu'après avoir reçu une somme
de 10,000 florins. Des Bassi paya, mais voua
à la république une haine mortelle, et résolut,
pour en tirer une vengeance éclatante, de
livrer la Sardaigne au roi d'Aragon. Il fit par-
tager ses projets aux Malaspina et aux Doria,
et appela les Aragonais. En même temps, pour
frapper plus sûrement ses ennemis, il dénonça
aux Pisans les projets d'envahissement de
Jacques II d'Aragon, et leur demanda des
secours pour le repousser. Ayant reçu des
troupes de Pise, il les dissémina, et, le il avril
1323, il les fit massacrer ainsi que tous les
marchands et les voyageurs pisans qui se
trouvaient en Sardaigne, puis il ouvrit tous
les ports aux flottes du roi d'Aragon. Pourtant
il fallut encore trois ansàcelui-ôi pour achever
sa conquête, qui lui fut définitivement cédée
par un traité en 1327.
BASSI ( Martino ), architecte italien du
xvie siècle. Il fut un des architectes de la ca-
thédrale de Milan, en même temps que Pelle-
grini. Celui-ci ayant voulu qu'on abandonnât
le style ogival, jusqu'alors adopté dans la
construction de ce monument, pour élever un
portail de style grec, Bassi protesta et fit
appel au jugement de Palladio, de Bertano et
du célèbre Vasarî, qu'il n'eut pas de peine à
convaincre : les juges donnèrent tort a Pelle-
i^rini. Bassi a laissé : Dispareri in materia
d'architettura e perspettiva (Brescia, 1572,
in-4°),
BASSI (Giovanni-Mario), sculpteur italien,
né h Bologne, où il florissait vers 1710. Il
étudia son art dans l'atelier de Gabriele Bru-
nelli, et composa un grand nombre d'ceuvres,
qu'on voit pour la plupart dans sa ville natale.
On cite parmi les meilleures : la Foi et laCharité,
à la confrérie des Anges; la Sainte Famille, en
terre cuite, à l'église Saint-Biaise; un Saint
Antoine abbé; enfin plusieurs bustes ou mé-
daillons de cardinaux et de papes, que l'on
voit au dortoir du couvent de Saint-François.
BASSI (Ferdinand), naturaliste italien, né à
Bologne, mort en 1774. Il fut médecin, pro-
fesseur de botanique, et membre de l'institut
de sa ville natale. En mourant, il laissa à cet
institut sa bibliothèque, ainsi que les collec-
tions d'histoire naturelle qu'il avait recueillies
dans ses voyages scientifiques. Il est l'auteur
d'une dissertation sur l'histoire naturelle du
mont Porretane-, intitulée Délie terme Por-
rctane (1767), et de plusieurs mémoires,
notamment lier ad Alpes (Apenninas)^ etc.,
insérés dans la collection de 1 institut de Bo-
logne. Il consacra à la mémoire des deux
frères Ambrosini, sous le nom à'Ambrosinia,
un genre de plantes mal observé par Boccone-
et dont il avait pu suivre la floraison. Linné
rendit à Bassi le même honneur, en donnant
a un genre d'arbres, de la côte de Malabar, le
nom de bassia.
BASSI (Laure-Marie-Catherine), savante
italienne, née à Bologne en 1711, morte en
1778. Fille d'un docteur en droit, elle montra
de bonne heure le goût le plus vif pour l'é-
tude, et elle acquit en peu d'années une ins-
truction telle, qu'à l'âge de vingt ans, en
présence des cardinaux Lambertini et Gri-
maldi, elle soutint en langue latine, avec le
plus grand éclat, une thèse de philosophie,
qui lui fit conférer le titre de docteur et lui
valut d'être agrégée au collège de philoso-
phie. Le succès extraordinaire qu'elle avait
obtenu dans cette séance mémorable, où elle
avait argumenté avec sept professeurs célè-
bres, rendit aussitôt son nom fameux en Ita-
lie. Tous les poëtes contemporains la célébrè-
rent à l'envi, et elle fut appelée, en 1733, à
occuper une chaire de philosophie dans sa
ville natale. Elle étudia alors l'algèbre, la
géométrie et surtout la physique, pour la-
quelle elle montra la plus grande aptitude, et
qu'elle enseigna à partir de 1745-, enfin elle
se fit remarquer par sa connaissance appro-
fondie des langues latine, grecque, française
et italienne, et fut membre de plusieurs aca-
démies, particulièrement de celle Degli Ar-
cadi. Cette femme remarquable avait épousé
en 173S un docteur en médecine, Veratti,
dont elle eut plusieurs enfants. Quoique fort
savante, elle sut rester modeste et exempte
de tout pédantisme, charitable et bonne. Les
- nombreux savants qui étaient en relation
avec elle n'admiraient pas moins son carac-
tère que sa vaste érudition. L'un d'eux, qui la
visita, a tracé son portrait, dont nous extrai-
rons ces lignes. - Elle a le visage tant soit
peu picoté, doux, sérieux et modeste; des
yeux noirs et vifs, mais fermes et composés
sans affectation ou vanité apparente; la mé-
moire heureuse, le jugement solide et l'ima-
gination prompte. Elle me parla couramment
en latin pendant une heure, avec grâce et net-
teté. » Catherine Bassi n'a publié aucun, ou-
vrage. Deux recueils de vers en son honneur
ont paru a Bologne en 1733.
BASSI (Louis), célèbre chanteur italien, né
à Pesaro en 1766, mort à "Vicence en 1S25.
Il eut pour professeurs de chant Pietro Mo-
randi, élève de Martini, et Pierre Laschi.
A treize ans, il chantait avec succès les rôles
de femme dans les opéras bouffes. Bassi n'a-
. vait pas encore dix-neuf ans quand il débuta
a Prague, où il fut fort applaudi, particulière-
ment dans II lie Teodoro et II Barbiere de
Paesiello, et dans la Cosa rara de Martini.
C'est pour Bassi que Mozart écrivit les rôles
de Don Juan et du comte Almaviva des Nozze
di Figaro. On raconte que, pendant les répé-
titions de Don Juan, Bassi pria plusieurs fois
Mozart de lui changer le rondeau fin cke d'al
vùiOj dont il doutait. Attendez la représenta-
tion^ aurait répliqué Mozart, si le rondeau n'est
pas applaudi, je vous en écrirai un autre; non-
seulement le rondeau plut, il fut même bissé.
Par ses créations de don Giovanni et d'Alma-
viva, Bassi charma l'Allemagne pendant de
longues années. Des changements politiques
amenés par l'invasion française ayant fait
fermer le théâtre de Prague, Bassi, inconnu
en Italie et sans espoir de fortune dans sa
patrie, trouva un refuge chez le prince Lob-
kowitz, qui l'accueillit chez lui. Contraint par
la ruine de Lobkowitz de quitter cette maison,
il alla en 1815 donner des représentations à
Dresde, où, en compensation d'une réussite
douteuse, on lui offrit les fonctions de régis-
seur du théâtre italien, fonctions qu'il garda
jusqu'à sa mort.
BASSI (Nicolas), chanteur bouffe italien,
né à Naples en 1767, mort en 1825. Cet ex-
cellent chanteur fut presque constamment en-
gagé au théâtre de Milan, dont il resta l'idole
pendant plus de vingt-cinq ans. En 1808, il
vint a Paris, où sa belle voix de basse-taille
fut fort applaudie, et où il créa avec succès
le Marco Antonio de Pavesi. On lui doit la
composition de quelques ariettes italiennes,
qu'il interprétait lui-même. — Un autre artiste
du même nom,-BA.SSI (Vincent), se fit remar-
quer également comme basse chantante sur
les scènes italiennes de 1827 à 1842.
BASSI (Caroline), cantatrice napolitaine,
née en 1780. Elle débuta a Naples en 1798,
puis se fit entendre dans les principales villes
d'Italie, qui lui tirent de magnifiques ovations.
Au carnaval de 1820, elle créa, avec Mm« Cam-
poresi, l'opéra Bianca et Fernando de Rossini ;
mais alors sa voix avait perdu son éclat et,
peu de temps après, elle quitta le théâtre.
Une autre cantatrice du nom de Caroline BASSI
chantait à Milan, sa ville natale, en 1813 et
1814. On l'appelait la Milanaise, pour la dis-
tinguer de la cantatrice napolitaine.
BASSI (Joseph, en religion le père UGO),
prêtre et patriote italien, né à Cento (Roma-
gne) en 1801, mort en 1849. D'une nature ar-
dente, exaltée par une éducation toute reli-
gieuse, il entra de bonne heure dans l'ordre
des barnabites, et, à partir de 1833, il s'a-
donna entièrement à la prédication. La cha-
leur de sa parole et son enthousiasme pour
la liberté ne tardèrent pas à le rendre célèbre.
Pendant plusieurs années, il prêcha successi-
vement dans les principales villes de l'Italie,
acclamé par les populations et redouté des
gouvernements. Expulsé des Etats-Romains
et de Naples, il se réfugia en Sicile, et ne re-
vint a Bologne qu'en 1846, pour saluer un des
premiers l'avènement de Pie IX, comme une
ère de libération. Dès lors, le père Ugo fut le
Pierre l'Ermite de la croisade italienne. De
nouveau expulsé de Bologne, il fut bien ac-
cueilli par Charles-Albert et par Pie IX. Il
prêchait àAncône le carême de 1848, lorsque
le fameux père Gavazzi, passant dans cette
ville avec ses volontaires, l'entraîna avec
lui, et, le 23 avril, ils firent ensemble une
entrée triomphale à Bologne. Le lendemain,
jour de Pâques,-ils prêchèrent ensemble la
croisade contre l'Autriche, au milieu d'un en-
thousiasme incroyable. Entré dans la Vénétie
avec les légions romaines, Bassi prit part à
la défense de Trévise, et y reçut trois bles-
sures, dont une très-grave. Transporté à Ve-
nise, il attendit à peine sa guérison pour se
distinguer de nouveau; il commanda une co-
lonne dans la sortie de Mestre exécutée par
le général Pepe, et y fit un grand nombre de
prisonniers. Plus tard, il alla rejoindre la lé-
gion de Garibaldi à Rieti (3 mars 1849). Il fut
dès lors l'inséparable ami de l'Achille italien,
qui a écrit lui-même, sur la part prise par
Basai à la défense de Rome contre l'armée
française, les détails suivants : « Aumônier en
chef de l'armée romaine, Bassi servit comme
simple soldat. Il assistait aux combats sans
armes, monté sur un cheval fougueux, tou-
jours au plus fort de la mêlée, encourageant
les soldats de la voix. Son premier soin était
le transport des blessés, qu'il opérait lui-même.
C'est pour être resté auprès d'un blessé que,
le 30avril, il fut fait prisonnier parles Fran-
çais. Sa poitrine portait d'honorables ci-
catrices, et ses habits étaient troués par les
balles. Il à été mon aide de camp dans plu-
sieurs affaires, et il demandait toujours les
missions les plus périlleuses Sa parole en-
traînait partout les populations ; il n'hésita
Î>as a m'accompagner dans notre dernier effort,
orsque tout espoir de défendre la ville éter-
nelle se fut évanoui... La mort avait éclairci
nos rangs... Nous montâmes dans la même
barque avec Anna (femme de Garibaldi) à
Cesenatico, où la fortune nous sourit pour la
dernière fois... Nous débarquâmes ensemble
dans laMesola; là, il voulut nous quitter pour
changer son pantalon rouge contre d'autres
vêtements moins compromettants. Je soute-
nais ma compagne épuisée, enceinte, mou-
rante, sans une goutte d'eau pour calmer sa
soif. Bassi partit : il marchait à la mort... »
Arrêté à Comacchioavec le comte Livraghi,
capitaine garibaldien, Bassi fut conduit à Bo-
logne au milieu des outrages des prêtres et
des Autrichiens. Neuf prêtres signèrent, avec
le conseil de guerre autrichien, sa condamna-
tion à mort. Le lendemain, 9 juillet 1849,
Bassi et Livraghi étaient fusillés.

BASSIANA,
ville de l'ancienne Pannonie su-
périeure, au N.-E. de Sabaria; le village
hongrois de Dobrinecz s'élève sur l'emplace-
ment de Uancienne ville romaine.
BASS1AM (Jean), jurisconsulte italien,né à
Crémone vers la fin du XH<* siècle, vécut, au
rapport d'Odefrède,plus de cent ans. On a de
lui plusieurs ouvrages de jurisprudence, no-
tamment une Somme, remarquable par la lu-
cidité avec laquelle il expose les matières de
droit. Savigny donne la liste de ses ouvrages
dans son Histoire du droit romain au moyen
âge.

BASSIANO
(Landi), nommé communément
Bassianus Landus, célèbre médecin de Plai-
sance, mort assassiné en 1562. On a de lui :
De Humana historia (Bâle, 1542, in-4<>); De
incremento libellus (Venise, 1556, m-%Q);Ia-
trologia, etc. (Bâle, 1543, in-4«).

BASSIATE
s. m. (ba-si-a-te — rad. bassie).
Chim. Sel fourni par la combinaison de l'acide
bassique avec une base : L'acide bassique formet
avec les bases, des BASSIATES, qui sont de vrais
savons. (Orfila.)

BASSIGOT
s. m. (ba-si-ko). Caisse de bois
dans laquelle on enlève de la carrière les
blocs d'ardoise : Les blocs d'ardoise et les dé-
bris ou vidanges sont amenés à la surface du
sol dans des caisses rectangulaires dites BASSI-
COTS. (Laboulaye.)

BASSIGOTIER
s. m. (ba-si-co-tié — rad.
bassicot). Techn. Nom donné à l'ouvrier qui
a pour fonction de charger l'ardoise brute
dans les caisses ou bassicofs, au moyen des-
quelles on la monte sur le bord de la carrière.

BASSIE
s. f. (ba-sî — de Bassi, n. pr.
d'homme). Bot. Genre de plantes de la fa-
mille des sapotées, propre aux Indes orien-
tales, et dont une espèce fournit la substance
connue sous le nom de beurre de Galam.
— Moll. Genre de tuniciers, trouvé dans le
détroit de Bass, et qui n'a pas été adopté
comme genre par lés zoologistes.
— Encycl. Les bassies sont des arbres à suc
laiteux, à feuilles éparses et coriaces, à fleurs
jaunes nutantes ou pendantes. On en connaît
une dizaine d'espèces, originaires de l'Asie
équatoriale, dont voici les plus remarqua-
bles : la bassie longifeuille, cultivée au Ben-
gale et dans plusieurs autres contrées de
1 Inde, en raison de ses usages économiques.
On exprime de ses graines une huile grasse,
comestible et servant à l'éclairage; les fleurs,
qui se détachent spontanément, sont bonnes
a manger après avoir été torréfiées ; le fruit
est mangé en bouillie ; le suc laiteux de l'é-
corce passe pour un remède efficace contre
les maladies de la peau ; enfin, le bois est
aussi dur et aussi incorruptible que celui de
teck, quoique plus difficile à travailler; la
bassie tatifeuille, qui ne le cède guère en uti-
lité à la précédente. Elle croît dans les parties
montagneuses du Bengale. Son bois, dur, très-
tenace, est employé pour le charronnage ; ses
fleurs, d'une saveur douce et vineuse, se man-
gent sans préparation et fournissent une es-
pèce de boisson alcoolique; ses graines don-
nent aussi de l'huile; la bassie butyracée, qui
croît au Népaul. Son bois est très-léger; ses
graines contiennent une substance qui, à l'état
frais, est analogue au beurre, et porte le nom
de beurre de Galam, mais qui, avec le temps,
durcit peu à peu et devient semblable au
suif. Cette substance est regardée par les
Indous comme un spécifique contre les rhu-
matismes.

BAS-SIÉGE
s. m. Siège peu élevé.
— s. m. pi. Salle d'audience ainsi appelée
parce qu'on y usait de sièges plus bas que les
sièges ordinaires : Nous nous rendîmes assidus
aux audiences qui étaient} tous les mardis et
samedis matin, aux BAS-SIEGES. (St-Sim.)
BASSIENs. m. (ba-si-ain). Hist. ecclés.Nom
donné aux disciples de Bassus, sectaire qui,
au ne siècle, se fondant sur cette parole du
Christ : Je suis l'alpha et l'oméga, prétendait
que toute espèce de perfection était contenue
dans la vingt-quatrième lettre de l'alphabet,

BASSIER
s. m. (ba-siê — rad. basse, bas-
fond). Navig. Amas de sable qui gêne la na-
vigation sur une rivière, il Ne s'emploie guère
qu'au pluriel.
BASSIER s. m. (ba-sié — rad. basse, in-
strument). Mus. Joueur de basse, il Peu usité ;
on dit plutôt BASSISTE.

BASSIÈRE
s. f. (ba-siè-re — rad. bas, adj.).
Vallée : H regarde en une BASSIÈRE. Il V. mot.

BASSIGNANA
bourg de l'Italie septentrio-
nale, à 12 kil. N.-E. d'Alexandrie, sur la rive
droite du Pô; 4,000 hab. Le duc Otto de
Brunsvàek et Galéas Viscouti y firent un traité
de paix en 1361, connu sous le nom de traité
', de Bassignana. Victoire de Moreau sur Sou-
| waroff, le il mai 1799.

BASSIGNY
(LE), Pagus Bassiniacensis, an-
cien pays.de France, compris partie en Lor-
I raine, partie en Champagne, ce qui explique
sa division en Bassigny champenois et Bassi-
I gny lorrain ou Barrois. Chaumont était le chef-
1 lieu du premier, et Bourmont celui du second
Les autres lieux importants du Bassigny
étaient Vaucouleurs et Gondrecourt. Ce pays,
qui était limité au N. par le Vallage, à 1 E.
par le duché de Bar et la Franche-Comté, au
S. par cette province et la Bourgogne, à l'O.
par la Bourgogne, forme aujourd'hui les ar-
rond. de Chaumont et de Langres (Haute-
Marne) , partie dé celui de Bar-sur-Auba
(Aube) et le canton de Gondrecourt (Meuse).
BASSILAN. V. BASILAN.

BASSIN
s. m. (ba-sairi — la racine primi-
tive de ce mot paraît être le celtique bac,
creux, cavité, jatte; ce qui semble justifier
cette origine, c'est un passage de Grégoire
de Tours, qui se sert du mot bacchinon, comme
appartenant à la langue du pays. Ce mot se
trouve, avec la même racine, dans presque
toutes les langues : bas lat., bacinus; ital.,
bacino; tud., bac, bach, be/cin; ail., becken ;
sued., bœc/cen ; dan., bekken; holl., ba?et
bekkeii; angl., bason). Plat large et profond -.
Présenter des fruits sur un BASSIN. Se lacer
les pieds dans un BASSIN. Dans la tente d'A-
chille, il y avait des BASSINS, des broches, des
vases. (Chateaub.) Avant que Wavcrley fût
entré dans la salle du festin, on lui présenta
un BASSIN pour se laver les pieds. (W. Scott.)
François /cr envoya à Raphaël mille écus dans
un BASSIN d'or, sans lui rien demander. (Balz.)
Deux ou trois confiseurs sont mes proches voisins;
De ce qu'ils ont de bon fais emplir deux bassins.
BOURSAULT.
— Par cxt. Le contenu d'un bassin : Un
BASSIN d'eau. Un BASSIN de fruits.
— Plateau d'une balance : Les BASSINS d'une
balance.
— Plat à larges bords échancrés, pour dé-
layer le savon, lorsqu'on veut raser la barbe :
Don Quichotte se coiffa d'un BASSIN de cuivre,
en guise de casque. Il Vase plat, utilisé pour
faire aller un malade à la selle : Passez le
BASSIN au malade.
— Plat de métal dont on se sert à l'église
pour recueillir les offrandes des fidèles.
*—Loc. fam. Cracher au bassin, Délier sa
bourse, payer : Voyons, voyons, CRACHEZ AU
BASSIN. Quand ils avaient la serviette au cou,
le frater leur demandait s'ils avaient de l'ar-
gent, et qu'ils se préparassent à CRACHER AU
BASSIN. (Th. Gaut.) il On dit plus ordinaire-
ment CRACHER AU BASSINET.
— Archit. Pièce d'eau de forme régulière
et servant d'ornement ou de réservoir .* Le
grand BASSIN des Tuileries. Le BASSIN du mou-
lin. Un BASSIN d'épuration. Le plus souvent,
on ne donne aux BASSINS que deux ou trois
pieds de profondeur, et on les orne d'un ou plu-
sieur s jet s d'eau plus ou moins décorés. (Millin.)
Un petit BASSIN d'eau limpide ré/léchit au fond
la lueur de nos torches. (Lamart.) il Récipient
des eaux d'une fontaine.
— Hortic. Trou plus ou moins large et pro-
fond, que l'on creuse au pied et à une certaine
distance d'un arbre, soit pour déterrer sa
greffe trop enfoncée dans le sol, soit pour
avoir un moyen facile de-le fumer et de l'ar-
roser : Le BASSIN doit avoir une largeur pro-
portionnée à l'étendue des branches; il faut lui
donner au moins un binage par an, afin de le
débarrasser des mauvaises herbes et de le ren-
dre plus perméable à l'humidité.
— Navig. Partie d'un port spécialement
consacrée a l'ancrage des bâtiments : Ce port
est bon, mais le RASSIS en est petit. (Acad.) Il
Partie d'un port qu'on a fermée d'écluses,
Sour y retenir les vaisseaux à flot, au moment
e la marée basse, ou pour tout autre usage,
comme pour radouber ou caréner les navi-
res : BASSIN de radoub. BASSIN de carénage.
BASSIN de construction.
Le granit, dans Cherbourg, effroi de nos voisina,
S'élève en bastions et se creuse en bassins.
VlENNET.
il Partie d'un canal de navigation agrandie do
manière à pouvoir recevoir des bateaux en
station, il Espace compris, sur un cours d'eau,
entre deux constructions, comme deux ponts
ou deux écluses.
— Hydogr. Terrain occupé par une mer ou
un étang : Le BASSIN de la mer Noire. Le BAS-
SIN de la Méditerranée. La salure des eaux
marines parait varier suivant les BASSINS.
(Maury.) Il A été dit, par comparaison d'une
enceinte occupée par les flots de la foule : Les
ondes de cette foule, sans cesse grossies, se
heurtaient aux angles des maisons gui s'avan-
çaient çà et là, comme autant de promontoires,
dans ^'BASSIN irrégulier de la place. (V. Hugo.)
Il Ensemble des terres arrosées par les cours
d'eau qui se jettent dans une mer : Le BASSIN
de la mer Noire. Il Réseau formé par un cours -
d'eau et l'ensemble de tous ses affluents di-
rects ou indirects : Le BASSIN du lihin. On
conçoit que le BASSIN du Pô forme un seul
groupe politique. (Proudh.) On peut envisager
la race sémitique comme indigène, dans le BAS-
SIN supérieur du Tigre. (Renan.)
— Orogr. Espace de terrain compris entre
des montagnes : Le pays que j'habite est un
BASSIN d'environ vingt lieues, entouré de tous
côtés de montagnes. (Volt.) Il fait un temps
assez doux dans notre BASSIN, entre les Alpes
et le Jura. (Volt.)
— Géol. Etendue plus ou moins considéra-
ble de terrain, disposée de manière à figurer
un bassin : Lioerpool, Manchester et une di-
zaine de villes de quarante à cent mille âmes,
germent, comme une végétation, sur le BASSIN.
326
de Lancashire. (H. Taine.) Il Terrain occupé
par des couches géologiques de mémo na-
ture : Un BASSIN houiller. Il centralise beau-
coup de houille dans le nord, tout le Douchy et
le grand BASSIN du vieux Condé. (L. Laya.)
Dans le BASSIN parisien, le terrain de la mo-
lasse présente à sa base des sables quartzeux
d'un grande épaisseur. (L; Figuier.)
— Techn. Espace que les maçons entou-
rent de sable, pour y pétrir leur mortier, il
Trou creusé en terre, pour y couler du cuivre
fondu, il Fond de fourneau à réverbère, pour
contenir du métal en fusion, il Nom donné à
divers ustensiles de raffinerie : BASSIN d'em-
pli. BASSIN de cuite. BASSIN à clairée. il Sorte
de forme ou de moule pour les chapeaux :
Pour rafraîchir les chapeaux gui ont servi, on
les remet sur te BASSIN. (Trév.) n Segment de
sphère en cuivre jaune, servant aux opti-
ciens à tailler ou polir les verres de lunettes.
Il Casserole de boulanger, il Nom des creux
que présentent les glaces quand elles n'ont
pas été doucies avec tout le soin convenable.
— Astron. Nom aux deux grandes étoiles de la constellation
de la Balance.
— Art divinat. Bassin magique, Bassin à
l'usage de certains sorciers.
— Hist. ecclés. Cloche que l'on sonne à
Rome lorsque le pape lance une excommuni-
cation.
— Coût. anc. Vente au bassin, Vente aux
enchères, autrefois usitée à Amsterdam, et
dans laquelle on frappait quelques coups sur
un bassin de cuivre, pour avertir les concur-
rents que i'on allait adjuger, à défaut d'offre
supérieure-immédiate.
— Chir. Bassin oculaire, Petit vase sembla-
ble à un coquetier, sauf qu'il est de forme
ovale, dans lequel on prend des bains d'yeux.
— Anat. Partie du squelette des animaux
vertébrés, qui existe chez la plupart de ceux
qui sont pourvus de membres inférieurs et
qui, situé à l'extrémité de la colonne verté-
brale, sert d'attache aux membres inférieurs :
Le BASSIN sert d'attache fixe aux muscles de
l'épine, du bas-ventre et des cuisses, et sup-
porte, dans l'homme, la masse des viscères et
de l'abdomen, et, dans la femme, la matrice et
le fœtus. (Cuvier.)
— Encycl. Hydrog. Quand, aux premiers
temps de sa formation, notre planète roulait
incandescente dans l'espace, elle prit, sous la
pression des lois de la gravitation universelle,
la forme sphéroïdale qui lui est propre ; un
refroidissement général concréta successive-
ment les différentes couches minérales exté-
rieures, et cette cristallisation homogène offrit
une surface unie sur laquelle purent se con-
denser les eaux jusqu'alors suspendues dans
l'atmosphère. Il n'y eut ainsi, d'abord, qu'une
seule-mer enveloppant le globe tout entier,
et déposant sur l'écorce plutonienne les sédi-
ments terreux qu'elle tenait en suspension;
mais le retrait inégal des couches refroidies, à
l'égard des couches inférieures, força la pelli-
cule externe à se rider, se gercer, se ramas-
ser en plis et se tourmenter de mille maniè-
res, comme le prouve la diversité d'inclinaison
des roches stratifiées. Alors, l'écorce terrestre
n'offrant plus la symétrie d'un sphéroïde ré-
fulier, les eaux ambiantes allèrent combler
a leur masse fluide les dépressions formées,
et laissèrent à découvert certaines portions de
terre à peu près égales au volume liquide que
ces dépressions absorbaient. Les eaux rete-
nues dans ces excavations, au milieu des
terres, ne trouvant pas tou}ours des routes
convergentes vers un grand réservoir com-
mun, formèrent autant 3e réservoirs diverse-
ment étages et de grandeurs diverses, depuis
celle d'un simple étang jusqu'à celle dl'une
mer. Quelquefois les circonvallations natu-
relles qui formaient ces réservoirs vinrent à
se rompre, ouvrant ainsi un détroit à travers
lequel les eaux d'un réservoir supérieur pu-
rent s'écouler dans un réservoir inférieur, et
arriver ainsi, d'étage en étage, jusqu'à l'Océan.
Mais d'autres lacs, d'autres Méditerranées
demeurèrent isolés ; il y eut ainsi, à la surface
du globe, d'une part une grande mer ambiante
ou Océan avec ses baies, ses golfes, ses mers
intérieures; d'autre part, des lacs, des mers
isolées ou Caspiennes. Les eaux pluviales
que, dans le principe, l'atmosphère rendait
immédiatement à la mer primitive, ne retour-
nèrent pas toutes directement aux réservoirs
entre lesquels la masse des mers est distri-
buée ; elles retombèrent en partie sur les ter-
res émergées, et, recueillies dans les rides de
la surface, elles descendirent en filets, en
ruisseaux, en rivières, en fleuves, aux réser-
voirs vers lesquels convergeaient les pentes
respectives. Alors l'Océan, les Méditerranées,
les Caspiennes et les lacs eurent autour d'eux,
comme dépendance de leur domaine respectif,
l'ensemble des pentes sillonnées par les eaux
courantes tributaires de chacun d'eux. L'en-
semble de ces pentes convergeant vers un
même réservoir porte le nom de bassin. D'a-
près cette définition", déduite des généralités
qui précèdent, toute la surface de la terre se
trouve divisée en bassins adosses les uns aux
autres et séparés par une ligne culminante
qu'on appelle ligne du partage des eaux. On
distingue les bassins en maritimes, lacustres
et fluviatiles.
On appelle bassins maritimes les parties d'un
continent ou d'une île dont les eaux météori-
ques ou fluviales ont pour réservoir commun
une Caspienne, une mer intérieure, un golfe,
une baie, ou toute autre portion de l'Océan en
de certaines limites. Comme exemple de bas-
sins maritimes, nous citerons les bassins de la
mer Caspienne et de la mer d'Aral, qui reçoi-
vent les eaux pluviales et fluviales du centre
de l'Asie; les bassins de la mer Noire, de la
Méditerranée, de la Baltique, du golfe de
Bothnie, etc. Cette simple énumération indique
combien est variable l'étendue des bassins
maritimes.
On donne le nom de bassins lacustres aux
portions d'un continent ou d'une île, dont les
eaux ont pour réservoir commun un lac, un
étang et même une mare dans laquelle les
eaux s'amassent à certaines époques de l'an-
née. Le bassin du lac Titicaca sur le plateau
des Andes, entre le Pérou et la Bolivie, est le
plus remarquable des bassins lacustres.
Les bassins fluviatiles sont des portions d'un
continent ou d'une île dont les eaux météori-
ques ou de source ont pour canal d'écoule-
ment le lit d'un fleuve ou d'un autre cours
d'eau permanent ou temporaire. Comme le
bassin d'un fleuve ne comprend pas seulement
la vallée que traverse le fleuve lui-même,
mais encore les vallées de ses affluents et
celles des affluents de ses affluents, et que
chacune de ces vallées peut être considérée
comme un bassin particulier, on distingue les
bassins fluviatiles en plusieurs classes. La pre-
mière renferme les bassins des fleuves et des
cours d'eau maritimes, dont les eaux tombent
directement à la mer par une ou plusieurs'
embouchures ; on range dans la seconde
classe les bassins des rivières et autres af-
fluents d'un fleuve. Le bassin du Rhône, par
exemple, comprend le bassin secondaire de la
Saône, qui, à son tour, comprend le bassin ter-
tiaire du Doubs, affluent de la Saône. Les
bassins fluviatiles de toutes les classes sont
toujours désignés par le nom du fleuve ou de
la rivière elle-même. Ils forment des groupes
dont chacun appartient à un même bassin
maritime. Tel est le groupe immense des bas-
si?is fluviatiles tributaires delà Méditerranée;
telle est aussi, dans des proportions tout à fait
restreintes et à l'extrémité de l'échelle,la rade
de Brest, dont le bassin est circonscrit par
des hauteurs qui ne laissent d'ouverture que
l'entrée qu'on nomme goulet.
L'étude des grands bassins fluviatiles et des
systèmes orographiques qui les circonscrivent
étant la base de la géographie descriptive,
nous donnerons ici, indépendamment des ar-
ticles spéciaux consacres dans le Dictionnaire
à chacun de ces bassins, une notice comparée
des principaux bassins fluviatiles dans les
cinq parties du monde. Il convient, toutefois,
de faire précéder cet exposé de quelques dé-
tails technologiques nécessaires pour l'intelli-
gence des explications hydrographiques des
bassins. Les bassins maritimes, comme les
bassins fluviatiles, sont séparés entre eux par
des chaînes hydrographiques, qu'il est essen-
tiel de ne pas confondre avec les chaînes oro-
logiques. Celles-ci suivent, en effet, à travers
les fleuves et les mers, la direction des mon-
tagnes ou des grandes aspérités du globe,
considérées sous le rapport géologique; tandis
que les chaînes hydrographiques sont les
limites des bassins maritimes ou fluviatiles,
formées par la continuité des montagnes et
des collines dont les pentes versent leurs
eaux dans le même réservoir. De ces chaînes
hydrographiques centrales, ou chaînes-limites,
Îiartent des chaînes-limites secondaires dont
es ramifications séparent les bassins fluvia-
tiles de tous les ordres. En général, les bas-
sins fluviatiles sont circonscrits de toutes
parts par des chaînes-limites, et n'offrent d'ou-
verture qu'à leurs confluents ou à leurs embou-
chures; c'est par une exception très-rare dans
la nature que le bras d'un cours d'eau passe
d'un bassin dans un autre. Ce passage, qui
porte le nom de dérivation naturelle, est très-
frappant dans le cours du Cassiquiare, qui
passe, par un col, delà chaîne-limite du bassin
de l'Orénoque dans celui de la rivière des
Amazones. On trouve, au contraire, fréquem-
ment des dérivations artificielles; telles sont
les rigoles alimentaires des canaux à point de
partage, rigoles qui portent les eaux d'un bas-
sin dans un autre. La ligne culminante d'une
chaîne hydrographique porte le nom de ligne
de partage des eaux; c'est ce que Cicéron ap-
pelle aquarum divortium (Lettres à Atticus).
Au contraire, la ligne la plus basse d'une val-
lée ou d'un vallon porte le nom allemand de
thalweg ; c'est ce que La Fontaine appelait
plus simplement le fil de la rivière (dans la
, fable de la Femme qui se noie). Terminons ces
explications technologiques en disant que les
traces que les eaux d'un fleuve ou d'un autre
cours d eau laissent sur les berges sont appe-
lées lignes de rives, tandis que l'on nomme
laisses de mer les lignes horizontales que
l'Océan trace sur ses rivages. Tout fleuve,
toute rivière a ses lignes de rives, comme
toute mer, tout amas d'eau a ses laisses de
mer. Ces expressions trouvent principalement
leur application dans l'étude des bassins flu-
viatiles de premier ordre.
Parmi ces bassins, celui qui, en Europe,
tient le premier rang, est le bassin du Da-
nube, qui porte à la mer Noire les eaux de
l'Europe centrale, spécialement celles du ver-
sant Hercynio-Carpathique et du versant
septentrional du système alpique oriental.
Viennent ensuite les bassins du Volga, tribu-
taire de la mer Caspienne, du Don, qui se jette
d ms la mer d'Azof, et celui du Dnieper, qui i
aboutit à la mer Noire. Ce dernier offre cette
particularité qu'il est circonscrit par des pla-
teaux très-bas et des collines à peine sensi-
bles. Nous citerons encore, parmi les bas-
sins importants de l'Europe, ceux de la Vistule
et de l'Oder, tributaires de la Baltique ; ceux
de l'Elbe et du Rhin, qui portent leurs eaux
dans la mer du Nord; ceux du Douro, du
Tage, de la Guadiana et du Guadalquivir, af-
fluents de l'Atlantique; enfin, ceux de l'Ebre,
du Pô et de laMaritza, qui portent leurs eaux
dans la Méditerranée. Quant aux bassins flu-
viatiles de la France, comme nous leur réser-
vons un exposé assez étendu dans l'article
géographique de notre beau pays, nous ren-
verrons le lecteur au mot FRANCE.
L'étendue des bassins fluviatiles de l'Asie
surpasse de beaucoup celle des bassins euro-
péens. Dans la partie septentrionale de cette
partie du monde, on remarque d'abord les
trois immenses bassins de l'Obi, de l'Iéniséi et
de la Lena, qui constituent la presque totalité
de la Sibérie; puis, à partir du détroit de
Behring, en suivant les côtes du continent
asiatique, le bassin de l'Anadir, celui du fleuve
Amour, partagé entre la Russie et la Chine.
Les trois bassins du Hoang-ho, du Yang-tse-
Kia-ng et du Si-Kiang forment toute la Chine
proprement dite. La presqu'île de l'Indo-
Chine est tout entière comprise dans les
bassins du May-Kong, du Salouen et de
l'Iraouaddy, fleuves remarquables par l'éten-
due de leur cours. Dans l'Inde, nous mention-
nerons les vastes bassins du Gange et du
Brahmapoutre, du Kavery, du Godavery, de
la Nerbuddah et celui du Sind ou Indus. Le
golfe Persique reçoit les eaux des bassins de
l'Euphrate et du Tigre. Quant aux bassins qui
composent l'Asie Mineure et dont les cours
d'eau sont tributaires de la Méditerranée ou
de la mer Noire, si leur importance est bien
inférieure à ceux que nous venons d'énumé-
rer, combien l'emportent-ils en souvenirs his-
toriques !
Le continent africain nous offre aussi des
bassins fluviatiles d'une vaste étendue, mais
aucun d'eux ne nous est complètement connu.
Nous mentionnerons, à l'O., les bassins de la
Gambie et du Sénégal ; au centre, celui du
Kouaraou Niger: à l'E., celui du Nil,objet de
nombreuses explorations scientifiques mo-
dernes. Mais de tous les bassins fluviatiles que
présente notre globe, les plus vastes se trou-
ventdans l'Amérique. La partie septentrionale
du nouveau continent nous offre d'abord le
bassin du Saint-Laurent, qui comprend la ré-
gion des grands lacs ;le bassindu. Mississipiou
mieux du Missouri, dont la surface est estimée
par Alex, de Humboldt à 3,812,000 ls.il. carrés.
Les bassins du Mackensie, du Colorado, du
Rio del Norte méritent 'aussi d'être cités.
Dans l'Amérique du Sud, le bassin de l'Ama-
zone rivalise par son étendue avec celui du
Missouri; Humboldt l'évalue à 8,767,000 kil.
carrés; celui de la Plata, quoique bien moin-
dre, est encore immense (2,000,000 de kil.
carrés). Le bassin de l'Orénoque est évalué
parle même savant à 420,000 kil. carrés. Les
eaux de tous ces bassins fluviatiles se déchar-
gent dans l'Atlantique. Le Pacifique ne reçoit
que de minces cours d'eau en Amérique, parce
que la chaîne des Andes longe de trop près la
côte occidentale du continent américain. Les
îles de l'Océanie ne présentent aucun bassin
important ;TAustralie, encore imparfaitement
connue, n'offre que deux bassins fluviatiles
assez étendus, celui du Murray et celui du
Swan-River.
— Géol. On entend par bassins géologiques
des portions du globe dont les parties cen-
trales les plus basses sont formées par les ter-
rains les plus récents, et dont les bords sont
formés par les terrains plus anciens. Il arrive
fréquemment que les bassins géologiques se
confondent avec les bassins hydrographiques;
ainsi, lés bassins de la Seine, de la Dordogne,
du Pô sont à la fois des bassins hydrographi-
ques et géologiques. Quelquefois aussi, ces
derniers diffèrent des premiers; alors les eaux
ne descendent pas des terrains les plus an-
ciens vers les plus récents, elles vont; au
contraire, en sens inverse. C'est, en effet, ce
que l'on remarque pour la Loire, de Blois à
Angers, et pour la Meuse, de Verdun à Na-
mur. Constant Prévost explique ainsi cette
différence : « Cela tient à ce que certains
bassins, qu'on peut appeler naturels, ont été
successivement remplis par des sédiments qui
n'ont fait que recouvrir une partie des dépres-
sions anciennes, tandis que d'autres sont le
résultat de dislocations violentes qui ont pro-
duit de larges crevasses et des effondrements
vers lesquels les eaux se sont portées. » -
— Anat. C'est Vésale qui imposa le premier la
dénomination de bassin h. la ceinture osseuse
qui forme la partie inférieure du tronc des
animaux vertébrés. Cet organe complexe est
formé de parties osseuses, ligamenteuses et
musculaires, dont l'ensemble constitue une
sorte d'excavation à parois rigides, destinée à
contenir, sans les enfermer, un certain nombre
d'organes dilatables. Le bassin possède, en
effet, une structure en rapport avec le rôle
physiologique qu'il doit jouer : contenir les
organes géhito-urinaires et le rectum, sou-
tenir le fruit de la conception (oeuf ou em-
bryon) développé dans le sein de la femelle
vertébrée, livrer passage à ce fruit de l'ac-
couplement; enfin, dans l'espèce humaine,
soutenir le tronc dans la station assise et de-
bout, Nous décrirons en premier lieu le bassin
chez l'homme et chez la femme, comme étant
le type auquel peuvent se rapporter les for-
mes moins parfaites de cet organe, dans la
série des autres animaux vertébrés. Nous
distinguerons la partie osseuse, la partie liga-
menteuse et les parties molles.
— Bassin osseux dans l'espèce humaine. A
la base du tronc, la charpente osseuse du sque-
lette, qui s'était réduite à une simple colonne,
la colonne vertébrale, semble se dilater tout
à coup et s'arrondir en une vaste excavation
conoïde ; cette excavation, c'est le bassin.
Quatre pièces osseuses entrent dans la com-
position de cet,organe : en arrière, le sacrum ;
sur les côtés, les deux os iliaques ; à l'extré-
mité inférieure du sacrum, le coccyx. Le sa-
crum, en forme de coin, s'enchâsse entre les
deux os des Iles (os iliaques, ou innominés, os
de la hanche); ceux-ci s'arrondissent d'ar-
rière en avant et se rejoignent sur la ligne
médiane en wvant de l'excavation dont ils
limitent les parois. Dans les os des îles, on
distingue trois parties : la partie élargie en
forme de pavillon, ou Yilium ; la partie la plus
inférieure, celle qui présente la grosse tubé-
rosité de l'os, ou \'ischion ; enfin, la partie la
plus antérieure ; ou le pubis. Le sacrum, qui
présente l'apparence de cinq vertèbres termi-
nales soudées en une seule pièce, se termine
à sa pointe par un petit os de même appa-
rence , le coccyx, rudiment de queue qui
semble ne prendre qu'une part éloignée à la
formation du bassin. Ainsi constitué, le bassin,
pelvis ou excavation pelvienne, représente un
tronc de cône aplati d'avant en arrière, et
dont les bases coupées obliquement conver-
gent rapidement en avant. Des plans muscu-
laires forment le fond de l'excavation et en
tapissent les parois, justifiant ainsi la déno-
mination de bassin donnée à l'organe que
nous décrivons* On considère dans le bassin
la surface - extérieure convexe et la surface
intérieure concave.
La surface extérieure nous offre, en ar-
rière et sur la ligne médiane, les tubéro-
sités de l'os sacrum faisant suite aux apo-
physes épineuses des vertèbres ; plus bas, la
terminaison du canal sacré et la face posté-
rieure convexe du coccyx. A droite et à
gauche de la ligne médiane, on remarque
deux profondes excavations, au fond des-
quelles s'aperçoivent les trous sacrés posté-
rieurs, puis les tubérosités des os iliaques,
proéminentes en arrière. Cette partie posté-
rieure du bassin est convexe etrugueu.se; elle
n'est séparée de la peau que par un peu de
tissu cellulaire graisseux, et ainsi s'explique
comment, chez Tes personnes alitées depuis
longtemps, amaigries ou prédisposées, par
suite de maladies graves, à la mortification
des tissus, la région sacrée est souvent le
siège d'ulcération^ gangreneuses. La partie
latérale de la surface externe du bassin osseux
est constituée par la portion élargie des os
iliaques, et porte le nom de fosse iliaque ex-
terne ; elle est recouverte par les muscles
puissants de la fesse. La partie antérieure du
bassin présente : sur la ligne médiane, la réu-
nion de la partie amincie des os iliaques, ou
symphyse du pubis ; plus bas et sur les côtés,
les trous obturateurs ou sous-pubiens ; plus
en dehors, les cavités cotyloïdes profondé-
ment creusées dans la partie épaisse des os
iliaques, et qui reçoivent la tête du fémur (os
de la cuisse). Cette partie du bassin est recou-
verte sur la ligne médiane par la peau du pé-
nil, et sur les parties latérales par la portion
supérieure des muscles de la cuisse.
La surface intérieure du bassin est divisée
en deux parties très-distinctes par un rétrécis-
sement annulaire appelé détroit supérieur du
bassin, détroit abdominal, marge du bassin, et
qui limite deux excavations : une supérieure,
large et évasée, le grand bassin ; une infé-
rieure, plus rétrécie, le petit bassin. Le grand
bassin forme comme un pavillon à l'ouverture
supérieure du petit bassin. En arrière, il ott're
une échancrure remplie par la colonne ver-
tébrale et par les muscles qui s'y insèrent ;
en avant, il présente une autre échancrure
plus large, que remplissent les muscles jde
l'abdomen ; sur les côtés et un peu en arrière,
on trouve la partie large et concave des os ilia-
ques (fosse iliaque interne), que remplit le
muscle du même nom. Le détroit est limité
par une ligne courbe elliptique, dont le grand
diamètre est dirigé transversalement. Il est
constitué par une crête osseuse, qui, partant
de l'angle sacro-vertébral, point d'intersec-
tion du sacrum et de la dernière vertèbre
lombaire, passe au-devant de l'articulation
sacro-iliaque, limite inférieurement les fosses
iliaques internes, et se prolonge jusqu'au
point de réunion des deux os iliaques.
Le petit bassin, ou excavation pelvienne, est
la partie du bassin dont la connaissance est la
plus indispensable à l'accoucheur. C'est dans
cette portion de l'organe pelvien que la tête
du fœtus accomplit ses évolutions dans l'acte
de la parturition, et les notions anatomiques
sont seules capables d'éclairer le chirurgien
dans l'application des moyens propres à me-
ner à bonne fin un accouchement naturel ou
laborieux. La partie antérieure de cette exca-
vation présente : 1 ° l'articulation des os iliaques
ou symphyse du pubis; 2° plus en dehors, la
partie plate de la portion pubienne de l'os
iliaque; 3° enfin, le trou obturateur creusé en
haut d'un canal oblique, qui donne passage à
des nerfs et à des vaisseaux. La partie posté-
327
rieure du petit bassin est formée par la conca-
vité du sacrum et du coccyx, qui le continue ;
on y remarque les éminences et les sillons
transversaux, les trous sacrés antérieurs, etc.
Les parties latérales sont formées par la sur-
face^osseuse qui répond au fond de la cavité
cotyloïde et par la partie épaisse de l'os
iliaque : ischion et tubérosité ischiatique.
La base du bassin n'est autre chose que la
crête qui limite supérieurement le grand
bassin. Elle présente successivement, d'avant
en arrière, la surface articulaire sacro-ver-
tébrale, la crête iliaque qui donne attache aux
muscles, les épines iliaques antérieures, la
coulisse qui loge la masse des muscles psoas
et iliaque réunis, l'éminence iléo-pectinée, le
bord supérieur de la branche horizontale du
pubis, 1 épine de cet os, enfin la symphyse
qui l'unit à son congénère. Le sommet, ou
plutôt l'ouverture inférieure dû bassin, appelée
aussi détroit inférieur, jouit.d'une importance
très-grande au point de vue de l'accouche-
ment. C'est une circonférence irrégulière, pré-
sentant trois échancrures séparées par trois
proéminences. En avant, l'arcade du pubis,
limitée par la branche descendant du pubis,
forme l'une des échancrures ; les deux autres,
postérieure et latérale, sont formées par l'in-
tervalle qui existe entre les branches mon-
tantes de l'ischion et le bord latéral du sacrum.
Les éminences sont formées latéralement par
les deux tubérosités de l'ischion, et en ar-
rière par le sacrum, que prolonge l'os coccyx.
Ces trois protubérances donnent au - bassin
l'apparence d'un trépied.
— Développement du bassin. Le bassin oc-
cupe chez l'embryon, dans les premiers mo-
ments de la vie fœtale, la partie la plus infé-
rieure du corps, et, par l'allongement des
membres inférieurs, remonte plus tard vers la
partie moyenne. Les os qui forment cette ca-
vité se développent par l'ossification succes-
sive de points osseux très-nombreux; on si-
gnale particulièrement les trois pièces os-
seuses, encore séparées à l'époque de la nais-
sance, et dont l'ensemble formera l'os des îles.
— Ces trois parties sont précisément celles
qui conservent dans l'os entier les dénomina-
tions de ilium, ischion et pubis; elles se réu-
nissent et se soudent après la naissance, en
contribuant toutes trois à former le fond de la
cavité cotyloïde. Le bassin, pendant l'enfance,
ne prend qu'un faible développement ; mais à
l'époque de la puberté, ses dimensions crois-
sent avec rapidité, et c'est ici l'occasion de
signaler les différences sexuelles qui existent
entre le bassin osseux de l'homme et ce même
organe chez la femme.
Chez l'homme, le bassin ne remplit que le
rôle passif de soutien et de protecteur des
organes qu'il contient et qui ne peuvent
prendre qu'un faible accroissement; chez la
femme, au contraire, le bassin est appelé à
contenir le fruit développé de la conception,
et à se prêter aux modifications physiolo-
giques qui accompagnent l'acte de la parturi-
tion : de là, de nombreuses différences. Le
bassin de l'homme est moins ample, mais plus
élevé ; les empreintes musculaires y sont plus
Îirononcées, les os plus épais ; tout y annonce
a force. Chez la femme, le grand bassin est
plus évasé, les crêtes iliaques sont rejetées en
dehors, le détroit supérieur et le détroit infé-
rieur surtout sont plus larges; l'excavation du
petit bassin est moins haute, mais plus éten-
due en largeur. L'arcade des pubis est plus
ouverte, et la symphyse très-courte en hau-
teur ; les trous sous-pubiens sont triangulaires
au lieu d'être ovalaires : les cavités coty-
loïdes sont rejetées en dehors, ce qui donne à
la femme une marche moins assurée, et l'o-
blige, pendant la progression, surtout lors-
u'elle est. rapidej à un mouvement latéral
isgracieux.
— A ttaehes Ligamenteuses et articulations du
bassin. Dans le bassin^ les os sont unis, comme
dans le reste du squelette, par des attaches
très-résistantes formées de tissus fibreux,
çeu épaisses du reste, et n'apportant pas à la
îorme et aux dimensions du bassin des modi-
fications sensibles. Cinq articulations unis-
sent les cmatre os du bassin : une pour les
deux pubis en avant ; deux pour les os iliaques
et le sacrum en arrière ; une quatrième pour
le coccyx et le sacrum ; la cinquième pour le
sacrum et la dernière vertèbre lombaire. Ces
articulations portent le nom de symphyses,
quoique, suivantun bon nombre d'anatomistes,
il ne soit pas possible de les.regarder comme
absolument immobiles. Elles appartiennent,
en partie du moins, à la classe des diarthroses,
et représentent des arthrodies, c'est-à-dire
des articulations mobiles à surfaces articu-
laires planes, couvertes d'un cartilage d'en-
croûtement, et séparées quelquefois par une
synoviale rudimentaire. Nous conserverons
cependant la dénomination impropre de sym-
physe, comme étant plus usitée, et nous dé-
crirons succinctement les articulations des
-pièces du bassin.
Dans les symphyses sacro-iliaques, les sur-
faces articulaires du sacrum et de l'os iliaque,
appelées facettes auriculaires, sont couvertes
d un cartilage d'incrustation ; elles sont obli-
quement disposées de haut en bas et d'avant
en arrière, et maintenues par cinq attaches li-
gamenteuses. Ces ligaments sont : 1° un li-
gament interarticulaire très-fort, formé de
libres entre-croisées, s'étendant d'une surface
articulaire à l'autre ; 2° un ligament sacro-
iliaque supérieur, épais, transversal, étendu
de la base du sacrum à l'os des' îles ; 3<> un
mince ligament sacro-iliaque antérieur, qui
s'étend de la face antérieure du bord externe
du sacrum à la partie correspondante de l'os
iliaque ; 4° un ligament sacro-iliaque vertical
postérieur, s'étendant des tubercules supé-
rieurs de la face postérieure du sacrum à l'é-
pine iliaque postérieure et supérieure ; 5° de
petits ligaments transverses sacro-iliaques
postérieurs, qui, de l'os iliaque, se rendent au
sacrum, où ils se fixent dans-l'in-tervalle des
trous sacrés. La symphyse sacro-vertébrale
est formée par l'union de la cinquième vertèbre
lombaire aVec la base du sacrum ; elle pré-
sente trois facettes : l'une ovalaire, formée
par le corps de la cinquième vertèbre et la
surface correspondante du sacrum ; les deux
autres correspondant aux apophyses articu-
laires des vertèbres. Les moyens d'union de
cette articulation sont : 1° un tibro-cartilage
interarticulaire ; 2° la terminaison des liga-
ments vertébraux communs antérieur et pos-
térieur ; 3° un fort ligament (ligament sacro-
vertébral) qui s'étend de la base de l'apo-
physe transverse de la cinquième vertèbre
lombaire à la base du sacrum. La symphyse
sacro-coccygienne est constituée par la réu-
nion du sommet du sacrum avec la base du
coccyx. Un disque interarticulaire et des li-
gaments antérieurs et postérieurs suffisent à
maintenir cette articulation. La symphyse pu-
bio-pubienne résulte de l'union des deux pu-
bis : les surfaces articulaires ne se touchent
immédiatementqu'en arrière, point où les car-
tilages d'incrustation présentent une petite
facette étroite d'arrière en avant, allongée de
haut en bas, lisse, entourée d'une membrane
synoviale d'autant plus lubrifiée que l'époque
de l'accouchement est plus rapprochée. Ces
surfaces osseuses sont maintenues en place
par cinq ligaments ; 1<> unTigament interarti-
culaire, cunéiforme, à base dirigée en avant,
dit ligament interpubien ; 2° un ligament pu-
bien inférieur, épais, très-fort, qui émousse
l'angle rentrant formé par les deux branches
descendantes du pubis où il se fixe: 3° un li-
gament pubien supérieur, qui va d une épine
du pubis à l'autre ; 4° un ligament postérieur,
très-mince, adjacent au ligament interpubien.
A côté de ces ligaments articulaires, nous
devons signaler d'autres faisceaux fibreux qui
servent de moyens d'union ou qui complètent
la cavité du bassin ; ce sont les ligaments sa-
cro-sciatiques et la membrane sous-pubienne.
Le grand ligament sacro-sciatique s'insèr*
aux bords du coccyx et du sacrum et à la
partie interne de la face postérieure de l'os
iliaque ; de là, ses fibres se dirigent vers la
tubérosité ischiatique, en se condensant et
formant un faisceau épais, arrondi, qui bien-
tôt s'élargit et s'insère à la lèvre interne de
cette tubérosité et à la branche ascendant»
de l'ischion. Les fibres supérieures de l'inser-
tion ischiatique se recourbent en haut, et
forment, avec la portion lisse comprise entr»
l'épine sciatique et la tubérosité de l'ischion,
la petite échancrure sciatique. La grand»
échancrure sciatique reste alors formée, en
arrière et en dedans, par la partie supérieure
du grand ligament sacro-sciatique, et en
bas par le bord supérieur du petit liga-
ment sacro-sciatique. Le bord inférieur et
interne du ligament sacro-sciatique complète
ainsi la circonférence du détroit inférieur du
bassin. Le petit ligament sacro-sciatique naît
supérieurement et en avant du précédent.
Etalé comme lui, il va, en se rétrécissant,
s'insérer à l'épine sciatique. La membrane
sous-pubienne ou obturatrice est une mem-
brane ligamenteuse, qui s'attache au pourtour
du trou sous-pubien (si improprement appelé
quelquefois trou obturateur), et à la face in-
terne de la branche ascendante de l'ischion.
Elle donne attache, par ses deux faces, aux
fibres des muscles obturateurs, et présente à
sa partie supérieure une échancrure qui con-
vertit en trou la gouttière par où s'introdui-
sent les nerfs et les vaisseaux obturateurs.
Chez la femme, les attaches ligamenteuses
du bassin ne sont pas sensiblement différentes ;
les articulations sont cependant plus lâches, et
des synoviales se développent, au moment de
l'accouchement entre les surfaces articulaires
des symphyses sacro-iliaques et pubiennes.
— Parties molles du bassin. Nous avons ici
deux éléments à considérer : l» les couches
musculaires qui tapissent à l'intérieur et à
l'extérieur la cavité du bassiyi, et dont l'épais-
seur et la disposition modifient profondément
les dimensions de l'excavation ; 2« les organes
inclus dans la cavité même, organes splanch-
niques, vaisseaux, nerfs et tissu cellulaire.
I. Sur la surface extérieure, le bassin porte
un grand nombre de muscles que recouvrent
, à peu près complètement les parties osseuses ;
ce sont : sur la face postérieure du sacrum,
j les attaches inférieures du muscle transver-
j saire épineux des lombes, qui remplissent les
I gouttières sacrées ; sur les parois latérales,
I les muscles petit, moyen et grand fessier, les
i parties externes des muscles pyramidal et
1 obturateur interne, les deux jumeaux pelviens,
le carré crural et l'obturateur externe, en un
mot, tous'les muscles qui se portent à la partie
supérieure de l'os de la cuisse, en tapissant les
parois du bassin. La partie inférieure, le bassin
est encore en rapport avec les insertions is-
chiatiques et pubiennes des muscles biceps
fémoral, demi-tendineux, demi-membraneux,
j tenseur du fascia lata, couturier, triceps cru-
: rai (portion moyenne), droit interne, pectine,
i premier, second et troisième adducteur de la
cuisse.
, j A l'intérieur du bassin, la masse des muscles
psoas et iliaque réunis, les vaisseaux et nerfs
iliaques remplissent les fosses du même nom,
i et recouvrent le détroit supérieur aux extrô-
! mités de son diamètre transversal.
j Dans l'excavation, les muscles pyramidaux,
j les vaisseaux fessiers et sciatiques, les nerfs
j du même nom, en passant à travers le grand
trou ou échancrure sacro-sciatique, en rem-
plissent l'ouverture et complètent ce côté du
bassin ; en avant, le muscle obturateur interne
comble la fosse obturatrice et remplit le petit
; trou sacro-ischiatique qui lui donne passage,
; ainsi qu'aux vaisseaux et nerfs honteux. Le
i détroit inférieur, à son tour, est occupé par
j des parties molles qui forment le fond de la
cavité du bassin, et ne laissent que l'ouverture
de l'anus en arrière, du méat urinaire en
avant, et du vagin chez la femme. Ce plan-
cher musculaire est formé de deux plans de
muscles superposés, appelés muscles du péri-
: née, et dont la disposition a été comparée à
. celle des muscles qui forment les parois de
l'abdomen. Les éléments musculaires qui for-
j ment, chez l'homme, ce plancher périnéal et
, ano-coccygien sont : 1° le muscle ischio-ca-
! verneux, allongé, situé le long de la branche
j ascendante de l'ischion et embrassant toute la
1 surface libre de la racine correspondante du
corps caverneux; 2° le bulbo-caverneux, si-
tué à la partie inférieure du canal de l'urètre,
et s'étendant de l'anus à la partie antérieure
de la symphyse du pubis ; 3° le transverse du
périnée, qui s'étend d'une tubérosité ischia-
tique à la ligne médiane, où il s'entre-croise en
partie avec son congénère en avant de l'anus ;
40 le transverse profond, au-dessus du précé-
dent; 5° l'ischio-coccygien, qui va de l'épine
sciatique et de la face antérieure du petit li-
gament sacro-sciatique à la face extérieure du
coccyx; 6°lereleveurde l'anus, représentant
un diaphragme musculaire, qui s'étend de la
symphyse pubienne au coccyx et donne pas-
sage au rectum et au col de la vessie chez
l'homme ; 7° enfin, le sphincter de l'anus,
formant une zone annulaire à l'orifice anal.
Chez la femme, le muscle constricteur du
vagin, situé sur les parties latérales de l'ori-
" fice du vagin, répond au bulbo-caverneux de
l'homme, et le muscle ischio-bulbaire, signalé
par M. Jarjavay, s'étend de la tubérosité de
l'ischion au bulbe du vagin. La portion anté-
rieure du releveur de l'anus est ici moins dé-
veloppée, et le sphincter plus volumineux.
Tous les muscles de la région périnéale et ano-
coccygienne sontdes muscles doubles, n'ayant
au plus qu'une insertion osseuse, ets'entre-
croisant avec leurs congénères du côté opposé,
sur la ligne médiane. Ils sont enclavés entre
les feuillets d'aponévroses très-compliquées,
qui les isolent les uns des autres, et leur four-
nissent de nombreux points d'insertion. Les
vaisseaux du tissu cellulaire assez abondant,
complètentle plancher du bassin.
Les organes contenus dans la cavité du bas-
sin appartiennent, en grande partie, à la por-
tion intrapelvienne du système génito-uri-
naire,etdiffèrent essentiellement chez l'homme
et chez la femme. Nous ne donnerons ici
qu'une énumération succincte de ces organes,
chacun d'eux devant trouver une description
filus complète dans les articles spéciaux qui
eur sont consacrés.
Imaginons, comme on l'a fait souvent, une
coupe antéro-postérieure, passant parlasym-
physe du pubis en avant et par le milieu du
canal sacré en arrière, à travers le bassin et les
organes qu'il contient ; nous aurons une vue
générale des organes inclus dans la cavité pel-
vienne. Chez l'homme, en arrière de la sym-
physe des pubis, se présente la vessie, réser-
voir de l'urine, recevant le liquide que sécrè-
tent les reins par l'intermédiaire du double
conduit de l'uretère, qui abouche en haut et en
arrière. La section antéro-postérieure partage
encore en deux parties le ligament supérieur
de la vessie ou cordon fibreux de l'ouraque,
qui s'étend de la vessie à l'ombilic, ainsi que
le ligament pubio-vésical s'étendant de la
vessie au pubis. A côté de ce ligament sont le
muscle de Wilson et la partie membraneuse
de l'urètre. Le canal excréteur de l'urine, ou
urètre, s'ouvre à la partie médiane, postérieure
et. inférieure de la vessie en traversant une
glande, la prostate. En arrière de la vessie,
au-dessus de la prostate et de chaque côté du
plan médian, on aperçoit encore les vési-
cules séminales qui reçoivent les canaux défé-
rents, et donnent naissance aux canaux éja-
culateurs, qui pénètrent à leur tour la prostate,
et viennent s'ouvrir dans le canal de l'urètre.
Sur un plan plus postérieur, l'intestin longe
la concavité du sacrum, dont il est séparé par
du tissu cellulaire très-lâche; enfin, au-dessus
de tous ces organes se trouve la masse de
l'intestin, (pue les parois musculaires de l'ab-
domen maintiennent dans sa position normale
au-dessus des organes pelviens.
Chez la femme, la vessie est en rapport im-
médiat, en bas avec le canal du vagin, et en
arrière avec le corps de l'utérus, qui la sépare
du rectum. La matrice est ainsi placée entre
les deux éinonctoires principaux de l'écono-
mie, et remplace la prostate et les vésicules
séminales. Sur les fôtôs de l'utérus, dans
l'excavation plus large du bassin féminin,
sont disposés les organes annexes de la géné-
ration : les ligaments larges, les ligaments
ronds, les ovaires et les trompes utérines.
— Physiol. Le rôle physiologique dévolu
i au bassin, presque toujours passif, n'en est pas
moins très-complexe. En premier lieu, il sert de
base de sustentation au tronc dans la station
debout, et l'immobilité presquecomplètede ses
articulations le rend propre à cet usage. On
doit le considérer, suivant Désormeaux, comme
un arc osseux complet, se décomposant en
deux demi-cintres, dont l'un, postérieur, reçoit
le poids du corps, et dont l'autre, antérieur,
sert d'arc-boutant au premier. Le poids du
tronc se transmet en effet au sacrum, qui s'en-
fonce comme un coin entre les os iliaques ; la
pression exercée sur cette sorte de clef de
voûte se répartit alors entre les voussoirs,
c'est-à-dire les os des îles, et tend à appliquer
l'un contre l'autre les deux pubis dans leur
symphyse. Les membres inférieurs s'attachent
aux parties latérales de cet anneau osseux, et
supportent le bassi7i. Dans la station assise, le
bassin repose directement sur le siège, s'ap-
puyant sur les tubérosités des ischions; les
muscles fessiers, puissants et épais, leur for-
ment une sorte de coussin, doublé encore de
la peau et d'un tissu cellulaire graisseux assez
abondant. Dans la station debout, les phéno-
mènes sont plus complexes. Le centre de gra-
vité du corps se trouve placé vers l'intersec-
tion du plan vertical antéro-postérieur du
bassin avec la ligne qui joint le sommet des
têtes des fémurs. Le corps pourra rester dans
la station debout lorsque la verticale abaissée
de ce centre de gravité tombera dans l'inté-
rieur de la base de sustentation limitée par
les deux pieds; mais, pour que cet équilibre
reste stable, il est nécessaire que les muscles
puissants qui s'étendent du bassin à la cuisse
soient en état de contraction permanente, sans
quoi le tronc ne pourrait manquer de fléchir
en avant ou en arrière. Nous allons voir com-
ment les puissances musculaires du bassin
s'opposent à ce mouvement de flexion. Le
bassin représente un levier du premier genre,
dont le point d'appui est dans l'articulation
de la cuisse, et dont la résistance et la puis-
sance sont représentées par les muscles ex-
tenseurs et fléchisseurs. La disposition de la
capsule articulaire de l'articulation coxo-fé-
morale est telle, que le mouvement du corps
en avant sur la cuisse a une tendance natu-
relle à s'exercer, et, de plus, ce mouvement
peut s'opérer en ce sens dans une grande
étendue. Aussi, les muscles extenseurs placés
à l'arrière, et destinés à empêcher le bassin
de tourner en avant sur les têtes des fémurs,
sont très-puissants : ce sont les muscles fes-
siers. Quant aux muscles placés en avant, ils
n'ont presque rien à faire dans la station ver-
ticale, surtout lorsque le corps est porté en
arrière, cambré, comme on dit. Enfin, la cap-
sule articulaire coxo - fémorale est pourvue
d'un faisceau de renforcements qui bride la
tète du fémur, et limite le mouvement en ar-
rière.
Quant au rôle des muscles pelvi-féinoraux
dans l'acte de la progression, il est celui des
muscles extenseurs et fléchisseurs des mem-
bres : ils fléchissent tour à tour, et étendent
la cuisse sur le bassin.
Les muscles delà région périnéale et ano-
coccygienne, qui prennent toutes leurs inser-
tions osseuses sur les diverses parties du bas-
sin, ne peuvent concourir en rien à la station
ni à la progression; mais ils prêtent leurcon-
coursà l'accomplissement des fonctions génito-
urinaires : les muscles ischio-coccygien et bul-
bo-caverneux sont les compresseurs du bulbe
de l'urètre et concourent à l'érection ; le trans-
verse du périnée aide à l'érection de la verge
et à la défécation ; le transverse profond est
un dilatateur de l'urètre et favorise la mic-
tion, aussi bien que le petit muscle de Wilson,
qui en même temps concourt à l'émission du
sperme. Les muscles releveurs de l'anus et
du sphincter président plus spécialement à la
défécation.
Le bassin remplit encore un rôle protecteur
purement passif : il contient dans »a partie
inférieure la vessie, l'intestin rectum et les
vésicules séminales chez l'homme, l'utérus et
les ovaires chez la femme ; à sa partie supé-
rieure, il supporte la masse de l'intestin. Tous
ces organes, qui sont appelés à augmenter de
volume d une manière plus ou moins notable,
par le fait de leur réplétion passagère, avaient
besoin d'être soutenus plutôt que renfermés
dans une excavation ouverte par le haut, et
qui permît leur développement. Le bassin est
éminemment propre à cet usage.
Dans les actes de la gestation et de la par-
turition, nous voyons encore le bassi?t jouer
un rôle des plus importants : pendant la gros-
sesse, il donne à 1 utérus, qu'il soutient, sa
direction normale; au moment de l'accouche-
ment, il livre passage au fœtus à terme. Nous
entrerons ici dans quelques détails, qui feront
apprécier l'importance sérieuse du rôle semi-
actif du bassin dans cet acte fonctionnel.
Le bassin ne doit plus être considéré ici
comme une simple excavation, mais comme
un canal à parois osseuses, ligamenteuses ou
musculaires, que doit parcourir le produit de
la conception. L'ouverture supérieure de ce
canal est le détroit supérieur du bassin; l'ou-
verture inférieure est l'orifice vulvaire; la
direction est une ligne courbe à concavité
tournée en avant lorsque la femme est de-
bout, en haut lorsqu'elle est couchée Le
détroit supérieur du bassin osseux possède
trois diamètres : le premier, ou diamètre an-
téro-postérieur, porte normalement en Ion-
328
gueur 11 ail 1/2 centimètres; le second, dia-
mètre transversal , possède 13 centimètres
d'étendue; enfin le troisième, ou diamètre
oblique, qui va du bord du sacrum d'un côté
au fond de la cavité cotyloïde de l'autre, a de
9 à 10 1/2 centimètres. Mais ces dimensions
sont profondément modifiées par la présence
des parties molles. La masse des muscles
psoas et iliaques réunis remplit la fosse iliaque,
et peut être regardée comme une espèce de
coussin, qui forme un point d'appui convenable
à l'utérus développé. Il est destiné à le pro-
téger, par l'élasticité des parties molles, contre
les chocs et les secousses que la locomotion
produit à chaque instant. La présence de ces
muscles diminue de l l/2 centimètre le dia-
mètre transverse ; le diamètre antéro-posté-
rieur est un peu raccourci par l'épaisseur des
parois de la vessie, de l'utérus et des parties
molles qui tapissent la face postérieure de la
symphyse du pubis et la face antérieure du
sacrum; les diamètres obliques seuls ne sont
que très-peu altérés dans leurs dimensions.
Différentes circonstances viennent cependant
augmenter l'amplitude du canal pelvien pen-
dant l'accouchement : en premier Heu, la po-
sition que prend la femme, car lorsqu'elle est
couchée sur le dos, les membres inférieurs
fléchis sur le bassin, le muscle psoas-iliaque
se relâche et se laisse plus facilement écar-
ter; en second lieu, lécartement des sym-
physes du bassin, qui s'opère pendant l'ac-
couchement. C'est un fait aujourd'hui in-
contesté que, dans la plupart des cas, à
l'époque de l'accouchement, les ligaments qui
servent de moyens d'union aux articulations
du bassin se relâchent; que la synoviale rudi-
mentaire qui les tapisse se développe, et qu'un
écartement des symphyses, toujours léger en
dehors de l'état pathologique, en est la consé-
quence. Dans l'état actuel de la science, il est
impossible d'indiquer la cause de ce relâche-
ment.
Supposons maintenant que l'accouchement
vienne à s'accomplir dans les conditions qui
se présentent le plus habituellement, et ren-
dons compte du rôle que joue le canal pelvien
pendanteetacte physiologique. La plus grande
dimension de la tête du fœtus a terme répend
à la distance qui sépare le menton de l'occi-
put : le diamètre ocoipito-mentonnier de la
tête d'un fœtus à terme porte 13 1/2 centi-
mètres de longueur. Du front à l'occiput,
il n'y a que 11 à il 1/2 centimètres. Il
est facile de voir que lorsque le fœtus se pré-
sente par l'extrémité céphalique, il ne saurait
se disposer pour le passage du détroit infé-
rieur autrement qu'en présentant le dia-
mètre occipito-frontal au plus grand diamètre
du détroit supérieur. C'est ce qui arrive en
effet, et le diamètre fronto-occipital se dis-
,pose parallèlement à l'un des diamètrer obli-
ques du bassin, le diamètre bipariétal de
la tête parallèlement à l'autre. Si, dans ces
conditions, les contractions utérines com-
mencent à agir avec une certaine intensité
sur la masse fœtale, les parois du-bassin, qui
n'ont, au niveau du détroit supérieur, que bien
juste la largeur suffisante, opposent une ré-
sistance à la tête qui s'engage. Le premier
effet de cette résistance est de fléchir la tête
sur le tronc; c'est le temps de flexion. Cepen-
dant la tète, poussée par la contraction se
plonge dans l'excavation et arrive jusque sur
le plancher du bassin. L'une des extrémités
du diamètre fronto-occipital répond alors à Ja
tubérosité de l'ischion, a la face interne du
muscle obturateur et aux nerfs et vaisseaux
obturateurs externes, qui sortent, comme
on le sait, par la partie supérieure du trou
obturateur. L'autre extrémité du diamètre
répond, en arrière, au bord interne du muscle
psoas, à la face interne du pyramidal, au
plexus ou au nerf sciatique, aux nerfs et aux
vaisseaux fessiers et honteux internes. L'une
des faces latérales de la tête répond au rec-
tum. Ces pressions, exercées sur les cordons
nerveux, rendent compte des douleurs ou des
crampes que les femmes en travail d'enfan-
tement éprouvent, soit dans la région lom-
baire, soit dans la partie supérieure des cuis-
ses. Ces mêmes circonstances expliquent ces
fausses envies d'aller à la garde-robe, la pres-
sion sur le rectum donnant à la femme en
couche la sensation d'une plénitude gênante
dans la partie inférieure du gros intestin.
Exercée sur la vessie, cette même pression
produit des envies illusoires d'uriner, le té-
nesme vésical, etc. Enfin, la compression des
vaisseaux veineux amène l'augmentation de
l'œdème des membres inférieurs, le gonfle-
ment des vaisseaux hémorroïdaux et des va-
rices, s'il en existe, l'infiltration des ligaments
An bassin qui se relâchent, etc. Tels sont les
phénomènes qui accompagnent le deuxième
temps du travail de l'accouchement, dans la
présentation du sommet, le temps de descente.
Cependant la tête est arrivée au détroit
inférieur. La disposition de cette ouverture
permet d'y considérer, comme au détroit su-
périeur, trois diamètres : le premier, ou an-
téro-postérieur, porte 11 centimètres; mais
sous la pression exercée par la tête du fœtus,
le cocevx rétrocède, et ce diamètre atteint
12 centimètres; le diamètre transverse, ou
bi-ischiatique na que il centimètres; le dia-
mètre oblique a de même 11 centimètres ; mais,
par l'élasticité des ligaments sacro-sciatiques,
il peut atteindre aussi 12 centimètres. Il est
facile de voir que le diamètre bi-ischiatique
est le seul qui ne puisse s'agrandir que par le
BAS
relâchement des articulations. Arrêtée par lo
plancher du bassin, la tête exécute un mou-
vement de rotation, par lequel le diamètre
occipito-frontal se dispose parallèlement au
diamètre antéro-posténeur. Pourquoi ce mou-
ment? L'accoucheur Flamand attribuait celte
rotation à l'action des muscles obturateurs
internes et pyramidaux; mais aujourd'hui on
est généralement disposé à rejeter cette ex-
plication. « La cause physique de la rotation,
dit M. le professeur Dubois, réside évidem-
ment dans la combinaison d'un assez grand
nombre d'éléments , savoir : d'une part, le
volume, la forme et la mobilité des parties
qui sont expulsées, et d'autre part, la capa-
cité, la forme et la résistance du canal qui est
parcouru; et telle est l'influence de cette
combinaison, que les parties du fœtus se pla-
cent dans les conditions les pius favorables h
leur passage. Une vive résistance leur est
opposée en un point, elles s'y soustraient et
cherchent un lieu où il y ait plus de place et
de liberté. La mobilité des parties qu'elles
traversent, l'extrême lubrification de celles
qui sont parcourues, rendent tout cela très-
simple et très-intelligible. Il n'est pas d'ac-
coucheur qui n'ait remarqué que, dans les
bassins dont le diamètre sacro-pubien (antéro-
postérieur) est raccourci, la tête du fœtus, si
elle était oblique avant le travail, se place
constamment ensuite dans une direction trans-
versale, c'est-à-dire dans celle dans laquelle
elle offre au diamètre vicié le moins de dimen-
sion possible. Eh bien, ce fait n'est autre
chose qu'une conséquence très-simple des
mêmes causes dont le mouvement de rota-
tion, quand il est très-étendu, est une consé-
quence très-compliquée. » Ainsi s'accomplit
le troisième temps de l'accouchement, ou
temps de rotation. Poussé par des contrac-
tions énergiques, le sommet déprime alors les
parois molles du périnée, les distend par de-
grés, et parvient à convertir le plancher mus-
culaire en une portion de canal qui prolonge,
en bas et en arrière, la paroi postérieure du
bassin. L'ouverture définitive du canal est
l'orifice vulvaire, agrandi considérablement
par la laxité que les tissus ont prise dans les
derniers temps de la grossesse. Le corps du
fœtus, pressé de toutes parts par la contrac-
tion utérine , par la résistance de la paroi
postérieure de l'excavation, et par la réaction
active du plancher musculaire du périnée dis-
tendu, ne trouve d'autre issue que l'ouverture
antérieure du vagin, et se dégage en avant.
Lorsque la tête a franchi l'orifice, un nou-
veau temps de rotation s'accomplit : la partie
supérieure du tronc fœtal .se dispose de ma-
nière que l'axe des deux épaules soit encore
parallèle au diamètre antéro-postérieur du
détroit inférieur , c'est-à-dire que la plus
grande dimension du tronc se place dans le
sens du plus grand diamètre pelvien, et se
dégage à" son tour. Ainsi s'accomplissent les
derniers temps du travail dans 1 accouche -
ment naturel. Quel que soit le mode de pré-
sentation du fœtus, le rôle du bassin ne change
pas. Toujours nous verrons les grands dia-
mètres des extrémités qui se présentent fran-
chir les rétrécissements du canal pelvien
dans le sens de leurs plus grands diamètres ;
toujours nous verrons les parties qui chemi-
nent dans l'excavation s'adapter aux parties
parcourues dans le sens qui sera le plus favo-
rable à la progression. Ce serait donc s'ex-
poser à des redites, que d'insister sur les dé-
tails, et de passer en revue les cas qui peu-
vent se présenter; tous se rapportent, d'une
manière parfaite, au cas le plus ordinaire, à
celui dont nous venons de parler, à la présen-
tion du sommet dans la position oblique.
"— Anat. comp. Dans la série des animaux
vertébrés, comme chez l'homme, la confor-
mation, la disposition, l'existence même du
ôassm sont en rapport avec la conformation, la
disposition et l'existence des membres infé-
rieurs. Chez le singe, l'animal qui se rap-
proche le plus de l'homme par sa conforma-
tion, le bassin diffère peu de celui de l'espèce
humaine; toutefois, il est déjà proportionnel-
lement plus étroit, et moins apte à soutenir le
tronc d'aplomb sur les fémurs.
Chez les vertébrés à queue, il y a augmen-
tation du nombre des vertèbres coccygien-
nes ; mais, quant au reste, le bassin possède
la même conformation générale que chee
l'homme: les os des hanches, articulés d'une
manière immobile avec le sacrum, se réunis-
sent entre eux de manière à former un an-
neau complet. La forme et les dimensions de
cette ceinture varient beaucoup, et l'on a re-
marqué que, toutes choses égales d'ailleurs,
la position verticale sur les membres abdo-
minaux est d'autant plus facile que le bassin
est plus large. Dans la série des mammifères,
il va en se rétrécissant, et sa capacité est
d'ailleurs très-variable : chez les taupes et
les musaraignes, par exemple, il est si étroit
que le rectum et la vessie restent en dehors
de l'excavation. Chez les femelles mammi-
fèresi l'excavation pelvienne possède toujours
un développement plus considérable que chez
les mâles. L'écartèment des symphyses au
moment de la parturition s'observe chez un
grand nombre a'espèces; c'est ainsi que, ehez
le cochon d'Inde, la symphyse pubienne s'é-
carte très-considérablement; mais cette même
symphyse est soudée dans le kanguroo, l'orni-
thorhynque, etc.
Dans l'embranchement des ' marsupiaux ,
chez la sarigue, le kanguroo, etc., le bassin
BAS
offre une disposition particulière : près de la
commissure des pubis naissent deux os mo-
biles disposés obliquement et formant un V,
qui s'articulent avec la branche horizontale
des pubis; ces os fournissent un point d'appui
aux muscles de la poche marsupiale et sont
appelés os marsupiaux. Enfin, dans l'embran-
chement des cétacés, le bassin est réduit à
l'état de vestige.
Chez les oiseaux, qui sont des animaux
réellement bipèdes et reposant sur leurs deux
pattes, le bassin fournit aux membres infé-
rieurs un point d'appui solide; les.os des han-
ches, extrêmement développés , ne forment
qu'une seule pièce avec les vertèbres sacrées
et lombaires. En général, cette ceinture os-
seuse est incomplète en avant; les pubis ne
se réunissent pas entre eux , et la portion
ischiatique, au lieu d'être séparée du sacrum
par une large échancrure, se soude à cet os
Far sa partie postérieure, transformant ainsi
échancrure en un trou.
C'est chez les reptiles que le bassin offre les
formes les plus variées et les plus différentes
de ce qu'elles sont chez les mammifères. La
ceinture pelvienne des reptiles branchies est
composée : 1° d'iliums courts, arrondis, sou-
dés au sacrum; 2<> d'un pubis et d'un ischion
confondus en une seule plaque. Les batra-
ciens présentent une disposition différente du
bassin. Ainsi, la salamandre offre de chaque
côté :.l° une pièce ayant la forme d'une côte
et soudée au sacrum; 2° une pièce osseuse
placée plus antérieurement et qui se partage
elle-même en un os ilium et une plaque pro-
duite par la soudure de l'ischion et du pubis.
Un rudiment médian en forme d'Y représente
un sternum pelvien. Chez les ophidiens, de
petits arcs osseux indivis, fixés aux vertèbres
sacrées, représentent le bassin; ou bien le
rudiment de cet organe se trouve isolé de la
colonne vertébrale et contenu dans les chairs,
comme chez le python. Chez les sauriens ,
l'ilium est simple, étroit, attaché aux apo-
physes transverses des vertèbres sacrées.
Deux branches osseuses complètent ce bassin:
l'une, antérieure, représente l'os pubis uni à
son congénère directement, ou quelquefois,
comme chez le crocodile, par l'intermédiaire
d'une sorte de sternum ventral cartilagineux ;
la branche postérieure est un ischion qui pos-
sède lui-même une symphyse. Dans les chélor
niens, le bassin ressemble beaucoup à la cein-
ture formée par les os de l'épaule. Il se com-
pose de trois paires de pièces distinctes : un
os iliaque, qui s'attache aux apophyses trans-
verses de la carapace ; un pubis et un ischion,
qui se dirigent vers le plastron et se réunis-
sent à leurs congénères.
Dans la classe des poissons, il y a, comme
chez les mammifères cétacés, absence du bas-
sin. La ceinture pelvienne est remplacée ici
par de petits arcs osseux placés au voisinage
des vertèbres sacrées, et qui représentent le
rudiment de l'organe pelvien.
— Méd. Le bassin peut être ou devenir le
siège d'un très-grand nombre d'affections di-
verses, et qui réclament les secours de l'art
médical ou chirurgical. Nous en donnerons
ici un tableau un peu succinct, nous réservant
de compléter, dans des articles spéciaux, les
détails que comporte l'histoire de chacune de
ces affections.
Les os, les ligaments et les parties molles
du bûssin peuvent être ensemble ou isolément
le siège de la maladie, et il convient de passer
en revue l'influence des causes morbides sur
ces trois ordres de tissus.
I. — ALTÉRATIONS PATHOLOGIQUES DES PAR-
TIES OSSEUSES DU BASSIN :
io Vices de conformation du bassin. Toutes
les fois que les dimensions des_ diverses par-
ties du bassin osseux s'écartent de celles que
nous avons fait connaître comme étant les di-
mensions normales, ces altérations constituent
des vices de conformation dont l'importance
ne saurait être méconnue. Le fœtus humain,
en effet, suit dans le sein de sa mère les lois
de son développement normal, et sa tète ac-
quiert le volume et les dimensions qui répon-
dent à des chiffres à peu près invariables.
Lorsque, au terme de la grossesse, il devra
franchir le canal pelvien, il devra en même
temps trouver cette excavation apte à le
recevoir et à lui donner passage. La con-
formation du bassin est donc dite vicieuse
lorsque ses dimensions s'écartent des moyen-
nes normales, au point d'exercer sur le méca-
nisme de l'accouchement une influence préju-
diciable pour la mère ou pour l'enfant. Cette
influence fâcheuse peut se manifester de deux
manières : 1« l'accouchement se fait d'une
manière trop rapide, par excès d'amplitude du
bassin; 2° l'accouchement est difficile ou im-
possible par les seuls efforts de la nature, en
raison de l'étroitesse de ces mêmes parties.
C'est à ce dernier cas que se rapporte spécia-
lement ce que nous allons dire. L'étroitesse
du bassin est uniforme ou absolue, lorsque
tous ses diamètres sont proportionnellement
trop courts; elle est inégale ou relative, lors-
que la proportion régulière des. diamètres en-
tre eux est changée. L'étroitesse absolue ne
se rencontre pas de préférence chez les fem-
mes de petite stature, comme on serait tenté
de le penser, à moins qu'elles ne rentrent
dans la condition des naines, qui sont quel-
quefois fécondes, mais plutôt chez les femmes
de taille moyenne, chez celles, bien confor-
mées du reste, chez lesquelles il n'y a pas
BAS
lieu de supposer ce vice de conformation. I.«s
bassin peut offrir cette étroitesse uniforme ii
un tel point, qu'elle rende l'accouchement
difficile et même impossible par les seules
forces de la nature, et qu'elle nécessite l'inter-
vention de l'art. L'étroitesse inégale du bassin
peut se présenter dans une mesure et d'une
manière très-variées, selon la direction et les
changements qu'ont subis les os qui compo-
sent le bassin. Le rôtrécissementpeutporterex-
clusivement sur le détroit supérieur, ou sur la
cavité, ou sur le détroit inférieur, ou bien sur
le bassin tout entier, mais dans une meauro
inégale ; il peut aussi se borner à un seul côté
du bassin, ou bien être plus considérable d'un
côté que de l'autre; enfin, il peut arriver
qu'un côté du bassin soit rétréci, tandis que
l'autre offre une amplitude anormale. Ces va-
riétés nombreuses de déformations peuvent,
suivant M. Dubois, se rapporter à trois types :
1° aplatissement "d'avant en arrière; 2° com-
pression d'un côté à l'autre; 3° enfoncement
des parties antérieures et latérales. Au pre-
mier type se rapportent les bassins dont le
diamètre antéro-postérieur est diminué d'éten-
due, soit par la saillie de l'angle sacro-verté-
bral ou promontoire du sacrum, soit par la
saillie intérieure de la symphyse des pubis.
S'il existé à la fois ces deux genres de rétré-
cissement, le bassin est dit en huit de chiffre.
Au second type se rapportent les bassins
dont le diamètre transverse est rétréci. Le
troisième type renferme ceux qui sont altérés
dans leurs diamètres obliques ; c'est à ce der-
nier cas qu'il faut rapporter le genre de dé-
formation décrit par le professeur Nœgèlé,
sous le nom de bassin oblique ovalaire. Ce
bassin a subi une déformation sur un seul de
ses diamètres obliques, avec ankylose com-
plète du sacrum et de l'os iliaque du côté du
rétrécissement. Le diamètre antéro-postérieur,
par suite de la déformation latérale, devient
ainsi oblique par rapport au diamètre trans-
verse.
Les anciens accoucheurs regardaient le ra-
chitisme comme la cause unique des vices
de conformation du bassin; mais les récen-
tes recherches d'anatomie pathologique ont
mis hors de toute contestation l'existence de
plusieurs autres causes déformatrices. Les
causes ordinaires des altérations de dimen-
sions dans le bassin osseux sont, en général,
toutes celles qui ont pu troubler le développe-
ment normal des os; le rachitisme et l'ostéo-
malacie viennent donc en première ligne. La
déviation de la colonne vertébrale, en dehors
même du rachitisme, les luxations congéni-
tales ou acquises du fémur, les inégalités de
longueur des membres inférieurs et les tumeurs
osseuses des os du bassin, peuvent être invo-
uées très-fréquemment comme causes pro-
uctrices des anomalies du bassin.
On comprendra facilement l'importance des
vices de conformation du bassin, et l'influence
fâcheuse qu'ils peuvent exercer sur la vie de
la mère et sur celle de l'enfant. « Indépendam-
ment des difficultés que les rétrécissements
du bassin apportent à l'accomplissement des
phénomènes mécaniques* de l'accouchement,
dit M. Cazeaux dans son excellent traité, ils
deviennent souvent, pour la mère, la cause
d'accidents graves, et font courir au fœtus les
plus grands dangers. En mettant un obstacle
invincible au passage de la tête, ils exposent
la femme à la rupture de la matrice et de la
vessie, à la contusion violente et à l'inflam-
mation consécutive de ces organes et du pé-
ritoine, et enfin à un état fébrile et adynami-
que assez grave par lui-même pour la faire
périr avant l'accouchement. Cet état est la
plus fréquente cause de mort des femmes qui
ne sont pas secourues ; alors même que l'ac-
couchement est opéré spontanément ou arti-
ficiellement par lès voies naturelles, la lon-
gueur du travail antécédent, la force avec
laquelle la tête du fœtus presse sur toutes les
parties molles du détroit et de l'excavation,
exposent celles-ci à des contusions longtemps
prolongées et suivies, le plus souvent, de la
gangrène; de là les fistules utéro-vésicales,
vésico-vaginales, etc., suivant le point qui a
été le plus spécialement comprimé. L'engage-
ment forcé de la tête dans un bassin trop
étroit détermine souvent l'écartèment des
symphyses, d'où peuvent résulter, comme con-
séquences immédiates, des inflammations, des
suppurations souvent intarissables, et, comme
conséquences éloignées, une grande mobilité
des articulations du bassin, la claudication
quelquefois même l'impossibilité de la marche
et de la station.
a La lenteur du travail est évidemment une
cause de mort pour l'enfant. La tête, dans le
cas qui nous occupe, retenue au-dessus du
détroit supérieur, ne s'oppose pas, en bou-
chant le col, à l'écoulement du liquide amnio-
tique, de sorte que celui-ci s'écoule en tota-
lité. Aussitôt après la rupture des membranes,
le fœtus reste donc soumis, sans intermédiaire
de liquide, à la pression de l'utérus contracté,
pendant tout le temps nécessaire à la termi-
naison du travail. Le cordon se trouve aussi
très-souvent comprimé, soit dans la cavité de
l'utérus, entre la paroi de l'organe et le tronc
du fœtus, soit plus tard dans l'excavation où
il aura glissé. Cette chute du cordon est ici
singulièrement favorisée par l'élévation de la
tête. Cette tête elle-même, ayant à supporter
tout l'effort des résistances offertes par le
bassin, est exposée à des pressions inégales
qui peuvent fracturer les os qui la protègent,
32ô
blesser la matière cérébrale. Enfin, lorsque le
fœtus se présente par l'extrémité pelvienne,
les tractions violentes que l'on pratique quel-
quefois sur le tronc, pour aider au dégage-
ment de la tête, peuvent produire des luxa-
tions des vertèbres cervicales, des tiraille-
ments de la moelle promptement mortels. »
_ De là découle la nécessité absolue, pour
'"accoucheur, de reconnaître les rétrécisse-
ments du bassin, non-seulement à l'époque de
l'accouchement, mais plusieurs semaines avant
la fin présumée de la grossesse, afin de pour-
voir aux préparatifs nécessaires d'un accou-
chement laborieux, et de prévenir, par l'em-
ploi d'un procédé lécisif, avantageux pour la
mèfe et l'enfant, un accouchement reconnu
naturellement impossible.
Le diagnostic des vices de conformation du
bassin repose sur la connaissance des signes
rationnels et des signes sensibles. Les signes
rationnels comprennent l'examen de, toutes
les conditions de conformation de la femme,
la connaissance préalable des accidents qu'elle
a pu éprouver dans son enfance, surtout lors-
que ces accidents ont quelques traits de res-
semblance avec ceux qui caractérisent le
rachitisme. Les signes sensibles sont ceux qui
sont fournis au médecin par la mer.suration
du bassin, à l'aide d'instruments et de procédés
--spéciaux. Le diagnostic des vices de confor-
mation du basst)i par l'ensemble des signes ra-
tionnels et des signes sensibles, les procédés
de mensuration qui forment une branche spé-
ciale de l'art des accouchements, la pelvimé-
trie, enfin le pronostic des altérations de di-
mensions du bassin au point de vue de
l'accouchement, n'intéressent, à proprement
parler, que l'accoucheur, et nous renvoyons
aux articles spéciaux où ces matières rece-
vront le dévtiio|jf ornent qu elles comportent.
V. DYSTOCIE, PKLVIMETRIE.
Outre les genres de déformations dont nous
venons de parler, et que l'on pourrait appeler
intérieures, il existe un assez grand nombre de
difformités congénitales du bassin, qui, alors
même que l'accouchement ne saurait être ré-
puté impossible, n'auraient pas moins pour
conséquence une altération profonde des au-
tres fonctions dévolues au bassin. La fonction
de locomotion dépendant, en grande partie,
des actions musculaires et des connexions
osseuses du bassin, ne saurait s'accomplir
normalement qu'autant que le bassin est lui-
même conformé régulièrement. 11 n'est pas
très-rare d'observer des sujets présentant les
caractères marqués d'une conformation vi-
cieuse du bassùi : ventre saillant, projection
du dos en arrière, dépression profonde de la
colonne vertébrale au niveau de la région
lombaire (ensellement), obliquité des cuisses,
déambulation pénible et disgracieuse s'accom-
pagnant d'oscillations étendues de tout le
tronc, et représentant, en quelque sorte, une
double claudication. Les sujets affectés de
cette triste infirmité, -toujours congénitale,
peuvent arriver à leur développement com-
plet, et posséder un bassin dont les dimen-
sions intérieures se rapprochent des moyen-
nes normales. La cause de cette altération de
la fonction locomotrice réside dans un défaut
de coaptation entre la tête du fémur et la ca-
vité cotyloïde de l'os iliaque destinée à rece-
voir cette tête. L'une et l'autre sont altérées
dans leur forme, et la tête de l'os de la cuisse,
placée dans la fosse iliaque externe, s'y main-
tient, dans une sorte d'équilibre instable, ap-
pliquée par la contraction des muscles qui la
rattachent au bassin. Contre cette difformité,
aussi pénible que disgracieuse, on a proposé
plusieurs moyens curatifs dont l'efficacité n'a
pas encore été justifiée. Les bains froids, em-
ployés comme moyens de corroborer le sys-
tème des muscles dont la tête du fémur est
enveloppée et qu'elle tend continuellement à
refouler en haut, n'ont donné d'autres résul-
tats que de s'opposer aux progrès croissants
de la maladie. Une ceinture munie de gous-
sets propres à recevoir la partie supérieure
des fémurs, et à diminuer leur glissement sur
la table externe de l'os iliaque, a été aussi
employée par Dupuytren ; mais ce moyen,
comme tous ceux qui ont été proposés par
l'orthopédie, ne peut être efficace qu'à la con-
dition d'être longtemps supporté , ce qui,
dans la plupart des cas, n'a pas été possible.
2« Fractures des os du bassin. Elles sont
peu communes, ce qui n'aura pas lieu d'éton-
ner, si l'on considère la force et la solidité de
ces os et les organes protecteurs dont ite sont
enveloppés. Ces fractures résultent le plus
ordinairement de violences directes, mais
quelquefois se produisent par contre-coup, à
la suite d'une chute sur les pieds. Elles sont
presque toujours graves, se compliquant de
contusions violentes, d'escarres, de dénuda-
tion des os, etc. Les fractures de l'os iliaque,
dans la région pubienne, peuvent se compli-
quer de lésions de la vessie, qui amènent
1 hématurie, l'infiltration urineuse, la compres-
sion de l'urètre, la rétention de l'urine, etc.
Celle du coccyx pourra se compliquer de
lésions du rectum. Le rétrécissement de l'ex-
cavation du bassin, rendant plus tard l'accou-
chement difficile, est encore une conséquence
des fractures mal réduites.
Les fractures des os iliaques sont souvent
méconnaissables. S'il y a arrachement du re-
bord ou sourcil cotyloïdien, s il y a enfonce-
ment du fond de la cavité cotyloïde, les symp-
tômes se confondront, à quelques égards, avec
ceux de la fracture du col du fémur. OTÏ
distinguera mieux les lésions de l'os coccyx,
aux douleurs que le malade éprouve pendant
la marche, à la mobilité du fragment, à la
crépitation que l'on peut percevoir en intro-
duisant un doigt dans le rectum et en faisant
jouer la partie fracturée. Le traitement con-
siste dans un repos complet, avec application
d'un bandage de corps. Il y aura souvent lieu
de pratiquer la saignée, pour prévenir les ac-
cidents inflammatoires ; mais rarement il sera
possible de replacer les parties fracturées.
Les chirurgiens ont eu quelquefois l'occasion
d'extirper un séquestre osseux détaché. Les
complications appelleront un traitement ap-
proprié.
3o Carie des os du bassin. La partie spon-
gieuse des os du bassin est exposée à cette
affection, et, à cet égard, le sacrum tient la
première place. Les violences extérieures
sont la cause la plus ordinaire de la carie.
Les fractures du coccyx, à la suite de chutes
sur le siège, ont eu quelquefois pour consé-
quence l'inflammation suppurative de cet os,
et son élimination spontanée ou provoquée.
A la suite d'un accouchement laborieux, les
femmes peuvent être attaquées de l'inflamma-
tion suppurative des symphyses du bassin ;
enfin, les escarres qui se produisent à la ré-
gion sacrée, chez les malades amaigris et
longtemps alités, peuvent se compliquer de
carie du sacrum et de nécrose de la partie
superficielle de l'os. La carie des os se mani-
feste ordinairement par des infiltrations puru-
lentes, qui fusent vers les parties déclives,
produisant des trajets fistulaires étendus et
des collections purulentes qui ne différent en
rien des autres abcès par congestion. La
carie des os du bassin est toujours grave, et
presque toujours mortelle, lorsqu'elle est un
peu étendue. On a cependant réussi à guérir
un certain nombre de sujets par l'emploi des
antiphlogistiques et des détersifs, combiné
avec l'administration des préparations toni-
ques.
II. — AFFECTIONS DES PARTIES LIGAMEN-
TEUSES ET DES ARTICULATIONS DU BASSIN.
lo Relâchements et luxations des symphyses.
Le relâchement ou diastase des symphyses du
bassin est un phénomène physiologique qui,
dans quelques cas, accompagne et précède
l'accouchement naturel, et contribue à rendre
plus facile et plus prompte l'expulsion du
fœtus; mais cette semi-luxation se produit à
un degré variable, et peut atteindre des pro-
portions qui en font une véritable maladie,
soit pendant le cours de la grossesse, soit
après un accouchement naturel ou laborieux.
On a observé cependant des luxations du
bassin à la suite de coups, violences ou exer-
cices immodérés, non - seulement chez la
femme, à des époques éloignées de la gros-
sesse, mais chez l'homme même. Chez les
femmes, cette affection, lorsqu'elle survient
pendant la grossesse, se manifeste par une
douleur plus ou moins vive au niveau des
symphyses, douleur qui se réveille par le
mouvement du tronc ou lorsque la malade
veut soulever le membre inférieur. La station
est plus pénible encore que la marche, et la
femme a la conscience de cette désunion des
surfaces articulaires : il lui semble qu'elle
rentre en elle-même et s'affaisse dans son
bassin. Le chirurgien peut, par l'examen di-
rect, percevoir à travers la peau l'écartement
des symphyses, et, dans quelques cas, sentir
le craquement qui accompagne les mouve-
ments du bassin. La diastase articulaire peut
survenir brusquement pendant l'accouche-
ment même; un craquement perceptible an-
nonce la production de cet accident, dont l'in-
flammation est une suite presque inévitable.
Contre le simple relâchement des symphyses,
il n'y aura d'autres moyens à mettre en usage,
chez les femmes grosses, que le repos com-
plet, les douches, les irrigations froides, les
bains de mer, et les frictions pratiquées avec
des liniments excitants et toniques. Si l'on
craint le développement de l'inflammation
après les luxations diastasiques dues à des
violences extérieures, on aura recours aux
antiphlogistiques et particulièrement aux sai- !
gnées locales. Ce traitement est applicable, I
surtout dans les cas de luxations du coccyx !
qui se produisent après les chutes violentes I
sur le siège. Les diastases articulaires du
bassin ont des suites souvent fort longues : la '
claudication v l'impossibilité de marcher ou de '
se livrer à un travail pénible, la permanence ,
de la diastase en sont quelquefois les résul-
tats, et peuvent se prolonger pendant des
semaines, des mois, et même pendant toute
la vie. '
2o Inflammation des symphyses. Nous avons '
dit quelle était souvent la suite des relâche- j
ments diastasiques des articulations du bassin, I
particulièrement lorsque le relâchement de la
symphyse s'est produit brusquement pendant
l'accouchement. Les émollients et les anti-
phlogistiques sont les moyens à opposer à
cette affection, qui amène souvent une sup-
puration et des trajets fistuleux, ouverts en i
divers endroits du bassin. Malgré le traite-
ment le plus rationnel, la mort est ordinaire-
ment le résultat de l'inflammation suppurative
des symphyses ; cependant, on a observé quel-
ques cas de guérison après suppuration, gué-
rison qui a eu nécessairement pour complé-
ment 1 ankylose de l'articulation malade.
ÏII. — AFFECTIONS DES PARTIES MOLLES DU
BASSIN. i
lo Psoïtis. On désigne sous ce nom l'in- i
flammation et la suppuration du muscle psoas.
Cette affection est quelquefois la conséquence
de violences extérieures, d'efforts exagérés,
d'un travail pénible ou d'une fatigue exces-
sive ; elle survient plus fréquemment encore
à la suite de couches. Elle s annonce par une
douleur vive à la région lombaire, douleur
qui s'irradie dans la partie supérieure de la
cuisse, s'exaspère parle mouvement, et force
enfin le malade à garder le repos complet. Il
est alors couché, la cuisse fléchie sur le bassin,
et, le plus ordinairement, le pied tourné en
dedans. Cependant la fièvre s'allume, il sur-
vient des troubles digestifs graves, des nau-
sées, des vomissements, l'inflammation de la
cuisse,-l'engorgement des ganglions inguinaux
et tous les signes d'une suppuration intérieure'
qui vient se faire jour à la peau dans le pli de
1 aine ou dans la région lombaire. La mort est
la conséquence la plus ordinaire de cet état
pathologique. Le traitement antiphlogistique
le plus énergique doit être dirigé de bonne
heure contre le psoïtis; l'ouverture du foyer
purulent, aussitôt que son existence peut être
constatée, est à peu près la seule chance de
guérison.
2o Phlegmon iliaque. Le tissu cellulaire de
la fosse iliaque est quelquefois le siège d'une
inflammation suppurative, dont le foyer se
forme soit dans la cavité du bassin (inflam-
mation iliaque sous-péritonéale), soit entre le
fascia-iliaca et les fibres du muscle psoas-ilîa-
3ue (abcès sous-aponévrotique). Les causes
e cette inflammation sont 1 excès de fatigue,
la constipation prolongée, le genre de travail
des frotteurs, et enfin l'état puerpéral, prin-
cipalement chez les primipares. L'affection se
développe encore à la suite des perforations
du cœcum ou de l'appendice iléo-cœcal. Elle
se manifeste brusquement par l'apparition
d'une douleur violente dans la fosse iliaque
gauche ou droite, plus souvent à droite, et qui
s'irradie à la cuisse du même côté et aux
parties génitales. Une constipation opiniâtre,
des nausées et des vomissements accompa-
gnent ou précèdent l'inflammation. La fosse
iliaque devient le siège d'une tumeur rèni-
tente, non mobile et mal circonscrite ; la cuisse
se fléchit sur le bassin ; la fièvre, si elle n'a
été primitive, se déclare ; le ventre se bal-
lonne, enfin les caractères d'une suppuration
profonde se dessinent plus visiblement : élan-
cements lancinants, fluctuation de la tumeur,
frissons passagers. Le pus fuse alors en di-
verses directions, détruit les aponévroses,
infiltre et ramollit les fibres musculaires du
psoas, de l'iliaque et du carré des lombes,
dénude les nerfs et se fait jour, tantôt à la
peau de la région iliaque, au pli de l'aine ou
aux lombes, tantôt dans le vagin, dans le
péritoine, dans le rectum, dans la veine cave
même. Le phlegmon iliaque se termine quel-
quefois par résolution avant la formation du
pus, et guérit bien plus rarement après la
suppuration. Dans la plupart des cas, l'étendue
des désordres organiques, l'ouverture du foyer
purulent dans le péritoine ou l'infection puru-
lente amènent la mort du malade. Un traite-
ment antiphlogistique des plus énergiques ne
pourra entraver la marche fatale de l'affec-
tion, que s'il est appliqué dès le-début. Les
vésicatoires volants ont également réussi à
favoriser la terminaison par résolution; les
purgatifs doux sont employés pour vaincre la
constipation et diminuer le météorisme; enfin,
il est d'indication première de donner issue au
pus dès que la fluctuation est apparente.
3° Abcès du bassin. Nous rangeons sous cette
dénomination les collections purulentes pro-
duites par l'inflammation du tissu cellulaire de
l'excavation pelvienne. Elles diffèrent ainsi
par leur siège spécial : lo des inflammations
suppuratives intrapéritonéales de la cavité
du péritoine, 2° du phlegmon iliaque qui se
développe sous l'aponévrose fascia - iliaca,
30 des abcès voisins du rectum qui siègent
au-dessous de l'aponévrose pelvienne. L ori-
gine des abcès du bassin est très-variée : ces
collections purulentes peuvent provenir des
organes voisins et étrangers à l'excavation
même (suppuration du tissu cellulaire des
muscles psoas et iliaque, inflammation des
symphyses, carie-des os, tumeurs blanches de
1 articulation coxo-fémorale, etc.); elles peu-
vent provenir d'opérations sur les organes du
bassin, de plaies, de l'inflammation ou de
l'utérus ou des ovaires, d'une grossesse extra-
utérine, enfin de toute lésion traumatique ou
spontanée des organes contenus dans 1 exca-
vation. Les symptômes par lesquels se mani-
feste cette lésion sont souvent fort obscurs ;
ils ont la plus grande ressemblance avec ceux
du phlegmon Uiaoue,et les circonstances com-
mémoratives de 1 accident qui a pu leur donner
naissance sont quelquefois les seuls carac-
tères distinctifs de 1 affection. Leur «arche
est également variable, suivant la cause qui
les a produits. Le trajet que suit le pus pour
se faire jour au dehors sera également très-
différent suivant le siège de l'abcès, la posi-
tion du malade, et différentes circonstances
dont il n'est pas toujours aisé de rendre
compte. Le traitement est le même que pour
le phlegmon iliaque, et l'indication de donner
issue au pus le plus tôt possible et de déterger
la cavité de l'abcès est aussi formelle que
dans ce premier cas.
4° Plaies du bassin. Elles ne présentent pas
d'indications spéciales, et nous n'en parions
ici que pour compléter le tableau pathologique
des affections du bassin. La conséquence des
plaies par instruments tranchants peut être,
le développement d'une inflammation suppu-
rative du tissu cellulaire. Les plaies d'armes
à feu, toujours plus graves, se compliquent
de fractures comminutives des os, de l'enfon-
cement et du déplacement de fragments os-
seux qui peuvent gêner et léser les organes
voisins. Les abcès profonds qui résultent de
ces sortes de plaies amènent des accidents"
redoutables, ou tout au moins des fistules
donnant issue à une suppuration intarissable.
L'indication est ici d'extraire le projectile, s'il
existe dans la cavité du bassin, par tous les
moyens possibles, de replacer les fragments
osseux déplacés, enfin, de déterger les trajets
fistuleux pour lest amener à une cicatrisation
prompte. V. ARMES A FEU (Plaies par).
50 Tumeurs, du bassin. Les tumeurs qui peu-
vent se développer dans l'intérieur de l'exca-
vation sont nombreuses et variées. Tous les
tissus qui entrent dans la composition de cet
organe complexe peuvent être le siège de "ces
tumeurs, qui, par leur présence, apportent une
gêne plus ou moins considérable aux fonctions
des organes pelviens. Dans le tissu osseux
^peuvent se développer l'exostose , l'ostéosar-
come, l'enchondrôme et des tumeurs osseuses
dues, soit à des cals difformes après la consoli-
dation vicieuse des fractures, soit à une perfo-
ration du fond de la cavité cotyloïde, qui, après
une coxalgie, donne issue à fa tètedu fémur.
Dans les parties molles prennent naissance les
tumeurs sanguines, les squirres, les phlegmons,
les kystes séreux ou hydatiques, les engorge-
ments des ganglions lymphatiques, des excrois-
sances et des végétations syphilitiques, enfin
les polypes, les tumeurs fongueuses et fibreuses
du corps et du col de l'utérus. Signalons en-
core les accumulations de matières fécales
dans le rectum, la procidence de la vessie, les
calculs urinaires, enfin les hernies vaginales
de l'intestin ou de l'épiploon. L'anatonne pa-
thologique de ces tumeurs et les phénomènes
de leur développement intérieur n'ont rien ici
de particulier ; elles sont dans le bassin ce
qu'elles sont dans toute autre région. Nous
avons seulement à nous préoccuper ici : 1° de
la gêne apportée aux fonctions, 2° des moyens
dy remédier.
On comprend parfaitement que le dévelop-
pement des tumeurs du bassin au sein de
l'excavation est de nature à amener une com-
pression plus ou moins considérable sur les
organes environnants; c'est ainsi que la con-
stipation opiniâtre, l'accumulation des ma-
tières fécales dans le rectum, et par suite
l'inflammation et la perforation de l'intestin,
peuvent être la suite des compressions exer-
cées sur le rectum. De même, les compressions
exercées sur la vessie produiront la dysurie
ou la rétention complète des urines; les com-
pressions exercées sur le col ou le corps de
l'utérus, sur le vagin ou sur un point quel-
conque du trajet que doit parcourir le fœtus à
terme, au moment de l'accouchement, auront
pour conséquence d'empêcher l'accomplisse-
ment de la.parturitîon. Les fonctions de loco-
motion se ressentiront également, à un certain
degré, de l'existence d'une tumeur dans le
bassin, et lorsque celle-ci aura acquis un no-
table développement, la marche pourra de-
venir impossible. Eu toutes ces circonstances,
l'indication principale est de détruire, s'il est
possible, la cause des altérations fonction-
nelles, c'est-à-dire la tumeur même. Il est rare,
toutefois, qu'on puisse agir d'une manière effi-
cace sur les tumeurs profondes de l'excava-
tion. Les moyens chirurgicaux sont à peu près
i" les seuls sur lesquels il faille compter, et ils
ne réussissent à atteindre que. les excrois-
sances superficielles. Idiopathiques ou sympto-
matiques, les tumeurs du bassin peuvent, au
point de vue chirurgical, se rattacher à deux
groupes: 1° les tumeurs lardaoées, squir-
reuses ou cancéreuses, qui, par leur volume,
leur dureté et la compression qu'elles exercent
sur les organes voisins, produisent des acci-
dents variés qui ne peuvent cesser qu'à la
mort du malade, puisqu'elles sont inaccessi-
bles aux moyens chirurgicaux ; 2° les tumeurs
enkystées, abcès, kystes séreux, kystes hyda-
tiques et tumeurs sanguines, qui, malgré leur
volume souvent très-considérable et la gêne
qu'elles causent aux fonctions du bassin, sont
plus accessibles aux opérations, et peuvent
être vidées et guéries par incision.
Nous ne nous étendrons pas davantage sur
les maladies du bassin. Chacune de ces affec-
tions trouvera, en des articles spéciaux, le
développement qui lui convient. Nous n'avon^
voulu que présenter ici un tableau abrégé de
la pathologie du bassin, afin de montrer les
rapports qui existent entre les affections mor-
bides de cet organe et l'altération des fonc-
tions qui lui sont dévolues. Nous n'avons pas
parlé non plus des affections propres aux
organes pelviens, qui seront décrites en même
temps que ces organes mêmes. V. UTÉRUS,
RECTUM, VESSIE, etc.

BASSINAGE
s. m. (ba-si-na-je — rad. bas-
siner). Teclin. Cinquième opération du pétris-
sage, consistant à incorporer dans la pâte du
sel marin dissous dans Veau.
— Hortic. Léger arrosage : On donne des

BASSINAGES
souvetit répétés aux semis gui ne
sont pas encore levés ehaux très-jeunes plantes
récemment sorties de terre, qui ne supporte-
raient pas un arrosage ordinaire.

BASSINAT
s. m. (ba-si-na — rad. bassin),
Techn. Soie de rebut : Ces déchets comprcv-
42
330
nent toutes les soies courtes et brisées qui ré-
sultent du travail de la soie grége, connues sous
le nom de frisons et de BASSINATS. (L. Reyb.)

BASSINE
s. f. (ba-si-ne —; rad. bassin).
Techn. Vase employé aux évaporations des
liquides, et qui est conséquemment très-
large et peu profond : Evaporer dans une
BASSINE. Les confitures se font dans des BAS-
SINES de cuivre.
— Typogr. Réservoir de l'eau dont on se
sert pour tremper le papier, et qui consiste
le plus souvent en une caisse rectangulaire
de chêne, peu profonde, doublée intérieure-
ment en plomb.

BASSINÉ
ÉE (ba-si-né) part, passé du
v. Bassiner. Chauffé avec une bassinoire : Je
vous réponds d'un bon souper et d'un bon lit
BASSINE, pour vous remettre de vos fatigues.
(G. Sand/)
— Lavé, détergé : Une plaie soigneusement
BASSINÉE.

BASSINÉE
s. f. (ba-si-né — rad. bassin).
Techn. Eau que contient un bassin de bou-
langer.
— Constr. Chaux employée en une fois
pour la confection du mortier.

BASSINEMENT
s. m. (ba-si-ne-man —
rad. bassiner). Action de bassiner : Le BASSI-
NEMENT d'un lit. Le BASSINEMENT de la pâte.
il Peu usité.

BASSINER
v. a. ou tr. (ba-si-né — rad.
bassin). Chauffer avec une bassinoire : BAS-
SINER un lit. Ne faut-il pas lui BASSINER son
lit? demanda-t-elle. .(Balz.) BASSINEZ mon lit,
car j'ai froid. (E. SÔuvestre.)
— En parlant d'une plaie ou d'un organe
malade, L'humecter : BASSINER ses yeux avec
de l'eau froide. Il m'alla chercher un verre
d'eau, tandis que ma mère me BASSINAIT le
visage. (J.-J. Rouss.) Bon papa, sois tranquille,
je te BASSINERAI bien soigneusement ta jambe
ce soir. (E. Sue.)
— Fig. Calmer, adoucir : C'est à Borne que
les rois tombés viennent BASSINER leurs contu-
sions et panser les blessures de leur orgueil.
(E. About.)
— Pop. Poursuivre avec des bruits de
bassins, casseroles, cornets à bouquin, etc.,
une personne à qui l'on veut faire un affront
public, et particulièrement, dans certains
pays, une veuve un peu mûre qui épouse un
tout jeune homme, il Ennuyer, assourdir, fa-
tiguer de questions oiseuses ou indiscrètes :
Il me BASSINE, cet avoué. (Labiche.)
— Techn. Bassiner la pâte, Lui ajouter un
bassin d'eau, lorsqu'elle est trop ferme : Les
bons boulangers font toujours à dessein cette
manœuvre qui donne de la légèreté au pain,
c'est-à-dire qu'ils font la pâte de premier jet
un peu ferme pour pouvoir la BASSINER. (Louis
Lebaudy.) n Jeter avec la main de l'eau sur
l'osier, afin de le rendre moins cassant, au
moment de l'employer.
— Hortic. Arroser légèrement :. Il convient
de BASSINER avec beaucoup d'attention les
plantes nouvellement transplantées. Il On bas-
sine principalement les cultures sur couches
ou sous châssis, les légumes, les fleurs, les
arbustes nouvellement transplantés, pour
les aider à prendre racine. Pendant le prin-
temps, cet arrosage doit se faire le matin
avant que le soleil ait pris de la force, et en
été, le soir.
Se bassiner, v. pr. S'humecter un organe
malade ou une plaie : SE BASSINER les yeux.

BASSINET
ou BACINET s. m. (ba-si-nè—
dimin. do bassin). Art milit. Calotte de fer
qu'on plaçait sous le casque, au moyen âge,
et que l'on portait quelquefois seule. U Bassi-
net à camail, Sorte de casque du même genre,
auquel on adaptait un chaperon.
— Techn. Bassin où l'on fabrique le sel. n
Sorte de bobèche adhérente à la partie supé-
rieure d'un chandelier : Les chandeliers d'é-
glise sont généralement pourvus de BASSINETS.
Il Petite capsule, ordinairement de cuivre, qui
faisait partie de la platine à serpentin, de la
platine à roue et de la platine à pierre, et
dans laquelle on plaçait la poudre d'amorce :
Le BASSINET communiquait avec l'intérieur du
canon au moyen d'un petit canal appelé canal
de lumière, ou simplement lumière. (*"*) // se
leva, saisit ses armes et versa de la poudre
dans le BASSINET de ses pistolets. (Alex. Dum.)
Il Bassinet de sûreté, Demi-cylindre dispose
de façon à recouvrir à volonté toute l'amorce,
pour empêcher l'explosion, dans le cas où le
chien viendrait à s'abattre accidentellement.
— Archit. hydraul. Endroit voûté pour
mesurer et distribuer l'eau que fournit une
source.
— Anat. Poche de forme à peu vrès ovale,
située dans le fond de la scissure du rein,
dans laquelle s'ouvre l'uretère.
— Bot. Nom vulgaire de plusieurs espèces
de renoncules, et en particulier de la renon-
cule acre, appelée encore BOUTON D'OR. 11 On
écrit aussi BACINET.
— Encycl. Au xiic siècle, le bassinet était
une calotte de fer que l'on mettait ordinaire-
ment sous la coiffe de mailles, quelquefois
cependant dessus. Les chevaliers le portaient,
pendant les marches, à cause de sa légèreté,
et ils ne prenaient le heaume qu'au moment de
combattre. Au commencement du xive siècle,
on employa le mot bassinet pour désigner un
BAS
| casque ovoïde, légèrement pointu, qui se pla-*
Çait toujours sous le camail de mailles, et dont
le bord inférieur était muni de petits cylindres,
nommés vervelles, qui servaient à maintenir
ce dernier en place. Vers 1350, on ajouta à ce
nouveau casque une visière mobile d'une seule
pièce, qui s'abaissait jusqu'au-dessous du nez,
et qui était percée de fentes et de trous pour
la vue et la respiration. Ainsi modifié, le bas-
sinet se maintint pendant une grande partie
du xve siècle, époque à laquelle on le rem-
plaça par la salade et la bavière, pour com-
battre à cheval, et l'on ne s'en servit plus que
pour combattre à pied. Enfin, au siècle sui-
vant, pendant les guerres de religion, le nom
de bassinet fut donné à un casque de fantas-
sin composé d'une sorte de calotte pointue,
munie de rebords.
BASSINET (l'abbé Alexandre-Joseph DE),
littérateur français, né à Avignon en 1733,
mort en 1813. Après avoir prêché avec succès
à la cour et prononcé devant l'Académie fran-
çaise le panégyrique de saint Louis, l'abbé
Bassinet fut nommé grand vicaire à Verdun.
Ayant refusé, sous la Révolution, de prêter le
serment exigé du clergé, il quitta Verdun pour
se réfugier dans une maison de campagne
voisine de cette ville. C'est là que, lors de
l'invasion prussienne en 1792, il reçut le comte
de Provence, qui marchait à la suite des en-
nemis de la France. Obligé de se cacher pour
éviter les suites de cette imprudence, il resta,
dit-on, sept ans enfermé dans une chambre.
Après le 18 brumaire, il revint à Paris, où il
vécut de ses productions littéraires et de sa
collaboration au Magasin encyclopédique ; mais
ayant, sous l'empire, renoué ses intrigues
royalistes, il fut arrêté en 1806 et conduit à la
prison du Temple, d'où il ne sortit que pour
se réfugier à Chaillot, dans la maison de
Sainte-Périne. Il y resta jusqu'à la fin de sa
vie. Bassinet a publié : Histoire moderne de
Bussie, traduite de l'anglais W. Tooke (Paris,
1802, 6 vol. in-8<>) ; Histoire sacrée de l'Ancien
et au Nouveau Testament, représentée par
figures au nombre de six cent quatorze, avec
des explications tirées des saints Pères (Paris,
1804-1808, 8 vol. gros in-8°l. Il a en outre
édité : Sermons de Ciceri (Avignon, 1761,
6 vol. in-12); et les Œuvres complètes de
Luneau de Boisgermain.

BASSINOIRE
s. f. (ba-si-noi-re — rad. bas-
siner). Bassin couvert, ordinairement en
cuivre et muni d'un manche, et dans lequel
on met de la braise pour chauffer un lit : En
ce moment, la grande Nanon apparut, armée
d'une BASSINOIRE. (Balz.)
— Pop. Grosse montre : C'était une véri-
table montre de famille, dite BASSINOIRE en
langage familier. (Champrleury.) il Quelqu'un
ou quelque chose qui obsède, qui ennuie :
Voilà vingt fois quil me demande la même
chose; c'est une véritable BASSINOIRE. Laissez-
moi donc tranquille avec votre BASSINOIRE.

BASSINOT
s. m. (ba-si-no — dimin. de
bassin). Techn. Bassin placé au fond d'un
vase pour laisser reposer un liquide.
— Mus. Basse de hautbois.

BASSIOT
s. m. (ba-si-o). Techn. Baquet du
distillateur d'eau-de-vie.

BASSIQUE
adj. (ba-si-ke — rad. bassie).
Chim. Se dit d'un acide qui existe dans l'huile
do la bassie à larçes feuilles, associé à de
l'acide oléique et à un autre acide gras :
L'acide BASSIQUE est blanc, cristallin, fusible^
volatil à une chaleur modérée, décomposuble
en plusieurs carbures d'hydrogène liquides, si
on le chauffe à la lampe. (Orfila.)

BASSISSIME
adj. (ba-si-si-me— superl. de
bas, formé à la manière latine). Tres-bas :
Faire une révérence BASSISSIME. Mes fonds sont
bas, très-bas, BASSISSIMES. il Ne peut s'em-
ployer que dans le style burlesque.

BASSISTE
s. m. (ba-si-ste — rad. basse).
Mus. Artiste qui joue de la basse ou du vio-
loncelle, il On dit aussi BASSE et BASSIER.
HASS1US (Henri), médecin allemand. V.
BASS.

BASSOL
(Jean) ou BASSOLIS (Joannes),
savant écossais, mort en 1347. Après s'être
adonné, à Oxford, à l'étude des belles-lettres,
de la médecine et de la philosophie, il se rendit
en France, resta quelque temps à Reims, étudia
alors d'une façon toute particulière la philo-
sophie scolastique, et entra dans l'ordre des
minorités. Il avait une telle réputation de
science, que Scot disait quelquefois : «Si Jean
Bassol m écoutait, je me contenterais de cet
auditoire. » On a de lui : Commentaria seu
lecturœ in quatuor libros sententiarum, cura
Orontii Finei Delphinatis édita (Paris, 1517,
in-fol.) et Miscellanea philosophica et medica.

BASSOMBE
s. f. (ba-son-be). Bot. Genre
de plantes de la famille des aroïdées. Syn.
d'acore. V. ce mot.

BASSOMPIERRE
(François, baron DE), ma-
réchal de France, né en 1579 au château
d'Hérouel en Lorraine, mort en 1646. Issu
d'une famille très-ancienne, formant une
branche de la maison de Clèves, il était l'aîné
de cinq enfants, à qui son père, le marquis
d'Hérouel, fit donner une éducation bien su-
périeure à celle ci^e recevaient les jeunes
gens à cette époque. Doué d'une vive intelli-
gence, le jeune Bassompierre étudia avec
succès, non-seulement l'art militaire, mais
encore la philosophie, le droit, la médecine,
BAS
et, après avoir voyagé en Italie, il parut à la
cour de Henri IV en 1602. Il avait vingt-trois
ans. Beau, spirituel, brave et fastueux, il de-
vint aussitôt un des héros de ce monde galant,
qu'il quitta cependant, cette année même, pour
aller faire ses premières armes en Savoie, et
pour se battre, l'année suivante, contre les
Turcs, dans l'armée de l'empereur d'Allema-
gne, Rodolphe IL De retour en France, il
conquit l'amitié de Henri IV, bien que, dit-on,
il lui fît entendre maintes fois des vérités un
peu dures. Sa grande position lui permit d'as-
pirer à la main de la belle Mlle de Montmo-
rency, fille du connétable; mais le roi vert-
galant était alors si furieusement épris de la
future princesse de Condé, qu'il supplia Bas-
sompierre de ne pas donner suite à ses projets.
Si l'on en croit les mémoires de ce dernier -
« Bassompierre, lui dit-il, je veux te parler
en ami ; je suis devenu non-seulement amou-
reux, mais fol et outré de Mlle de Montmo-
rency; si tu l'épouses et qu'elle t'aime, je te
haïrai ; si elle m aimait, tu me haïrais : il vaut
mieux que ce ne soit pas la cause de notre
_ mésintelligence. » Bassompierre se méfiait
sans doute des caprices du meilleur des rois;
il savait que, même dans la bouche d'un aussi
excellent monarque, des paroles semblables à
celles qu'il venaitd'entendre équivalaient à un
ordre; il s'abstint donc. Il est bon de dire que
Tallemant des Réaux prétend, au contraire,
que la rupture vint de Mlle de Montmorency.
Quoi qu'il en soit, Bassompierre devint colonel
général des. suisses,' et, sous la régence de
Marie de Médicis, grand maître de l'artillerie.
Il assista en cette qualité au siège de Château-
Porcien, et fut blessé à celui de Retheljil prit
part à l'investissement de Saint-Jean d'Angely
et de Montpellier, et fut, en 1622, créé maré-
chal de France par Louis XIII. Luynes, le
favori de ce roi si faible, prit ombrage de la
faveur avec laquelle son maître traitait Bas-
sompierre, et s'en expliqua même avec le
nouveau maréchal : « Je vous aime, lui dit-il,
et je vous estime; mais le penchant du roi
i pour vous me cause de l'ombrage ; je suis enfin
comme un mari qui craint d'être trompé, et qui
ne souffre pas avec plaisir un homme aimable
auprès de sa femme. » En conséquence, Luynes
lui offrit une ambassade en Espagne, qui fut
acceptée, et où, du reste, il termina l'affaire
de la Valteline (1623). Envoyé ensuite en
Suisse et en Angleterre, il assista au siège de
La Rochelle en 1628; il s'y montra hostile à
Richelieu, qui fut blessé de la hardiesse de
son langage, et qui, ne pouvant s'en faire une
créature, le regarda comme un ennemi dan-
gereux. L'aristocratie se groupait alors en
effet autour de Bassompierre, que ses succès
en tout genre semblaient désigner à la pre-
mière place. Dévoué à la cause des grands,
celui-ci prit part à toutes les attaques dirigées
contre le puissant ministre, si bien que Riche-
lieu , prétextant sa participation à l'intrigue
qui avait amené le mariage de Gaston d'Or-
léans avec Marguerite de Lorraine, fit arrêter
Bassompierre, qui fut conduit à la Bastille
(1631), d'où il ne sortit que douze ans après,
à la mort du cardinal. Mazarin lui restitua son
emploi de colonel général des suisses, et il
allait être nommé gouverneur de Louis XIV,
lorsqu'il mourut d'apoplexie. Bassompierre fut
un des esprits les plus brillants et un des
hommes les plus heureusement doués de son
temps. Sa naissance, les grâces de sa per-
sonne, son faste, sa passion pour le jeu et ses
falanteries en firent le type, l'idéal du gentil-
omme accompli, tel ou on le rêvait alors.
Affable envers tous, libéral, magnifique, il
excellait dans tous les exercices du corps, et
sa conversation charmait par ses promptes et
vives saillies. Bien qu'il fût fort riche, ses
dettes ne s'élevaient pas à moins de l ,600,000 fr.,
somme énorme à cette époque, lorsqu'on le
mit à la Bastille. On raconte de lui un grand
nombre d'anecdotes significatives. Prévenu
qu'il allait être arrêté, il brûla, dit-on, plus de
six mille lettres des plus compromettantes
pour les grandes dames du temps. En appre-
nant son arrestation, la princesse de Conti,
qu'il avait secrètement épousée, mourut de
saisissement et de douleur. Mlle d'Entragues,
sœur de la marquise de Verneuil, plaida huit
ans contre lui pour obtenir la réalisation d'une
promesse de mariage qu'il lui avait faite.
Un jour que le maréchal se promenait en
carrosse avec la reine, il arriva que la voiture
de Mlle d'Entragues fut obligée de s'arrêter
près d'eux à cause de la foule. La reine, re-
gardant le maréchal : « Voilà, lui dit-elle,
Mme de Bassompierre. — Ce n'est que son
nom de guerre, » répondit-il assez haut pour
être entendu de son ancienne maîtresse.
« Vous êtes le plus sot des hommes ! s'écria
celle-ci avec indignation. -— Que diriez-vous
donc, reprit Bassompierre, si je vous avais
épousée? » Pendant son emprisonnement à la
Bastille, il passait son temps à lire et à écrire
ses mémoires. Malleville, son secrétaire, le
trouvant qui feuilletait l'Ecriture sainte, lui
dit : - Que cherchez-vous donc, monseigneur?
— Je cherche, répondit-il, un passage que je
ne saurais trouver. - Il voulait lui faire en-
tendre qu'il souhaitait bien sortir d'où il était.
Un jour, après sa sortie de la Bastille, où il
avait acquis un certain embonpoint, comme
la reine lui demandait (singulière plaisanterie
pour une reine) quand il accoucherait, Bas-
sompierre répondit : « Madame, quand j'aurai
trouvé une sage femme. « Il avait, du reste,
ainsi que tous les courtisans de cette époque
et des autres, la louange facile et spirituelle :
BAS
t Quel âge avez-vous, monsieur lo maré-
chal? » lui demanda Louis XIII, la première
fois qu'il le revit après sa longue captivité.
« Sire, j'ai cinquante ans. » Le maréchal en
avait plus de soixante, et le roi ne put s'em-
pêcher de le faire remarquer, ce qu'avait
voulu le courtisan. « Sire, reprit-il, je retranche
dix années passées à la Bastille, parce que je
ne les ai pas employées à vous servir. » Il
montra constamment, néanmoins, un caractère
indépendant et un langage hardi. « Vous ver-
rez, s'écriait-il au siège de La Rochelle, que
nous serons assez fous pour prendre cette
ville. » Avait-il lu dans l'esprit profond de
Richelieu, et avait-il compris que le cardinal,
après avoir écrasé les huguenots, se tournerait
vers la noblesse et ferait place nette autour
de la royauté? Aveugles tous deux, ils ne
voyaient d'ailleurs, ni l'un ni l'autre, pour qui
ils travaillaient, ni en faveur de quelle cause
ils débarrassaient l'avenir.
Bassompierre a laissé : Mémoires du maré-
chal de Bassompierre depuis 1598 jusqu'à son
entrée à la Bastille en 1631 (Cologne, 1665,
2 vol. in-12), journal curieux à consulter, car
on y trouve une foule de détails et de faits in-.
téressants sur les hommes et les choses à
cette époque; Ambassades de M. le maréchal
de Bassompierre en Espagne, Suisse et An-
gleterre (1661); Notes sur les Vies des rois
Henri IV et Louis XIII, par Dupleix (l<>05).

BASSON
s. m. (ba-son — rad. bas et .son.)
Mus. Instrument de musique à vent et a
anche. qui; dans la famille du hautbois,
tient le même rang que le violoncelle dans
celle du violon : C'est seulement pour doubler
les parties de violon qu'on voit la flûte, le haut-
bois, le BASSON et la trombe figurer de loin en
loin sur les partitions de Lulli. (Vitet.) Le
caractère du BASSON est tendre, mélancolique,
religieux ; ses notes élevées, pures et sonores^
conviennent au récit. (Bachelet.) j| Artiste qui
joue le basson : Le BASSON de cet orchestre est
un artiste distingué.
Piano, signor basson, amoroso! La dame
Est une oreille fine !
A. DE MUSSET
Jusqu'aux genoux, trois puissants villageois
Tenaient Lucas enfoncé dans la glace,
Qui reniflait en soufflant dans ses doigts,
Faisant très-laide et piteuse grimace.
— Eh! mes amis, pour Dieu, faites-lui grâco.
Dit un passant qui plaignait le pitaud.
— Monsieur, répond le sacristain Thibaud,
De notre bourg c'est demain la grand'fete,
J'y chanterons l'office en faux-bourdon,
Et ce gros gars qui crie a pleine tfite,
Je l'enrhumons pour faire le basson. ,„
— Basson quinte, diminutif du basson, por-
tant la même étendue, se jouant avec les
mêmes Clefs, mais dont le diapason est plus
élevé d'une quinte que celui du basson : Pour
le BASSON QUINTE, la musique se note une quinte
au-dessous des sons réels qu'on veut obtenir;
ainsi, on écrit en sol, pour jouer en ré. Le cor
anglais remplace le BASSON QUINTE avec avan-
tage, pour les deux octaves supérieures de ce
dernier instrument; cependant le timbre du
BASSON QUINTE a plus de force et de pénétra-
tion. Il Basson-contre ou contre-basson, instru-
ment à vent et à embouchure, qui donne
l'octave inférieure du basson : Le BASSON-
CONTRE est un instrument qui yi'est pas usité
en France. On emploie le BASSON-CONTRE en
A llemagne, dans les bandes militaires, pour
renforcer les bassons ordinaires ou faire ré-
sonner la note basse fondamentale pendant que
ces derniers exécutent des arpèges ou des va-
riantes; on a aussi, dans le même pays, fait
figurer le CONTRE-BASSON dans l'orchestration,
et Haydn l'a employé pour ses oratorios. Il
Basson russe, instrument en bois, à dix trous
dont quatre munis de clefs, qui est usité dans
certaines églises pour remplacer l'ancien ser-
pent.
— Jeu de basson, jeu d'anches qui, dans l'or-
gue, complète le hautbois et lui sert de basse.
Le jeu de basson comporte une étendue do
deux octaves.
— Encycl. L'étendue du basson est de trois
octaves, à partir du premiers! bémol grave du
piano. Cet instrument possède donc, au grave,
une note de plus que le violoncelle ou basse.
Le basson joue dans tous les tons; cependant,
ses tonalités favorites sont ut, fa, si bémol, mi
bémol, et leurs relatifs mineurs.
Le caractère de cet instrument est grave et
mélancolique. On lui confie souvent 1 accom-
pagnement des chants religieux, ses pédales
basses ayant une grande analogie avec celles
de l'orgue. Du reste, c'est le^ basson qui sert
de base à l'harmonie des flûtes, clarinettes,
hautbois et cors. Les notes hautes -iu basson
ont quelque chose de plaintif et d'étranglé qui
produit souvent d'étranges effets; tels sont,
par exemple, les soupirs étouffés qu'on entend
dans le decrescendo de la symphonie en ut
mineur de Beethoven. Du médium brumeux,
pour ainsi dire, et mouillé de cet instrument
Meyerbeer a tiré la sonorité décolorée et quasi
cadavéreuse qui oppresse l'auditoire, àlascène
des nonnes, dans Robert le diable. Malgré la
tristesse de son timbre, on peut cependant
confier au basson des traits rapides ; et le même
compositeur a su, de l'emploi de ces traits,
tirer de charmants effets dans l'accompagne-
ment du chœur des baigneuses, au deuxième
acte des Huguenots.
Gluck, Haydn et Mozart ont eu pour cet
instrument une telle prédilection, qu ils sem-
blent l'exclure à regret des quelques mesures
ÈAS 331
de leurs œuvres symphoniques dans lesquelles
il ne figure pas.
Pour noter la musique de basson, on se sert
des clefs de fa et ut, quatrième ligne.
Le nom de basson a été donné à cet instru-
ment, probablement parce qu'il rend des sons
bas. Les Italiens l'avaient appelé fagotto, dit
M. Castil-Blaze, auquel nous laissons toute la
responsabilité de son interprétation, à cause
de la ressemblance qu'ont, avec un fagot, les
trois pièces qui composent le ôasson, démontées
et serrées ensemble.
Le basson semble aujourd'hui délaissé par
les solistes. Parmi les virtuoses qui ont brillé
et brillent encore sur cet instrument, on cite :
Besozzi, Delcambre, Barizel, Sebauer, Cokken
et Jeancourt.
Quatre bassons figurent à chacun des or-
chestres de l'Opéra et du Conservatoire.
BASSON s. m. (ba-son). Ornith. Espèce de
foulque,appelée aussi.MORELLE ou MACROULK.

BASSONISTE
s. m. (ba-so-ni-ste — rad.
basson). Mus. Artiste qui joue du basson, li
On dit aussi BASSON.
BASSONOREs. m. (bâ-so-no-re — contract.
de basson et sonore). Mus. Espèce de basson
plus puissant que le basson ordinaire, et des-
tiné aux musiques militaires.

BASSORA
ou BASRAH, c'est-à-dire terrain
pierreux, ville de la Turquie d'Asie, dans
l'Irak-Arabi, pachalik et à 340 kil. S.-E. de
Bagdad, sur la rive droite du Chat-el-Arab ou
fleuve des Arabes, formé par la réunion des
eaux de l'Euphrate et du Tigre, à nok. N.-O.
de son embouchure, dans le golfe Persique,
par 300 2lf de lat. N. et 45° 18' de long;. E.
00,000 hab. arabes, persans, arméniens, juifs
et indous.
Ville très-étendue, Bassora, dont l'intérieur
est occupé en grande partie par des jardins
et des plantations, est mal bâtie, peu propre
et sans mouvement. Fondée en 636 par le ca-
life Omar, elle est la plus ancienne des gran-
des colonies établies par les successeurs du
prophète. Ses environs sont^ riants et fertiles,
surtout en roses dont on extrait l'essence, et
en dattes renommées. C'est un des plus grands
centres du commerce de l'Orient par les cara-
vanes et par le fleuve, que remontent les na-
vires de 1 Inde et de la Perse. Le fleuve, na-
vigable jusqu'à la ville pour des bâtiments de
500 tonneaux, malgré le peu de profondeur
de la barre, y alimente plusieurs canaux, et
ses fréquents débordements contribuent beau-
coup, par les exhalaisons qu'ils produisent,
à rendre le climat insalubre. Bien que la dé-
cadence profonde du bassin de l'Euphrate et
du Tigre, foyer de tant d'activité, de puis-
sance et de richesses au temps des Babylo-
- niens, ait paralysé le commerce de Bassora,
la valeur de l'importation est encore évaluée
à 3 millions de francs, et celle de l'exporta-
tion à 1,500,000 francs. Les principaux objets
importés sont les soieries, les mousselines, les
draps, les étoffes brochées d'or et d'argent,
divers métaux, les perles de Bahreïm, le co-
rail, les épices, etc. L'exportation se compose
de chevaux, dattes, laines, noix de galle, et
quelques tissus laine et coton.

BASSORIE
s. f. (bass-so-ri). Bot. Syn. du
genre morelle (solanum). On dit aussi BAS-
SORE. n Herbe de la Guyane, dont la place,
dans la classification naturelle, n'est pas en-
core bien fixée.

BASSORINE
s. f. (bass-so-ri-ne). Chim.
Principe immédiat dont la gomme de Bas-
sora est presque exclusivement composée,-et
que l'on rencontre aussi dans diverses espè-
ces d'acacia.
— Encycl. La bassorine est un corps solide,
incolore, inodore, demi-transparent, insoluble
dans l'eau, mais s'y gonflant beaucoup, n'é-
prouvant pas la fermentation alcoolique, et
donnant, par l'acide azotique, de l'acide mu-
cique mêlé d'un peu d'acide oxalique. La bas-
sorine sèche ressemble à la gomme ordinaire,
mais sa transparence est moins grande, et
elle n'est point pulvérisable ; ses éléments
principaux sont le carbone, l'oxygène et l'hy-
drogène; elle bleuit par la teinture d'iode, et
donne une solution limpide dans l'eau, par
l'action des alcalis et du verre soluble. Cette
substance a été étudiée pour la première fois
spar Vauquelin et Bucholz.

BASSORIQUE
adj. (bass-so-ri-ke — rad.
bassorine). Chim. Relatif à la bassorine.

BASSOT
(Jacques), auteur apocryphe d'une
brochure qui parut au commencement du
xvinc siècle, sous ce titre : Histoire véritable
du géant Teutobochus, roi des Teutons, Cim-
bres et Ambrosins, défaits par Marius, consul
romain, lequel fut enterré auprès du château
nommé Chaumont en Dauphinê (Paris. 1613,
în-8°). Cette mystification avait pour but de
montrer, pour de l'argent, les ossements d'un
mastodonte, qu'il s'agissait de faire passer
pour ceux du roi géant Teutobochus. On croit
que l'auteur de cette brochure fut un certain
Pierre Masuyer, chirurgien de Beaurepaire,
qui faisait publiquement exhibition du fossile.
Selon d'autres,, c'était un nommé Jacques
Tissot, ainsi que semblerait l'indiquer la der-
nière phrase du livre. Quoi qu'il en soit, cet
ouvrage fit une grande sensation dans le
monde savant et donna lieu à une discussion
des plus vives entre deux savants distingués,
Riolan et Habicot.

BASSOTIN
s. m. (ba-so-tain).Techn. Cuve
à indigo du teinturier.

BASSOUIN
s. m. (ba-sou-ain). Pêch. Corde
fixée d'une part au halin et de l'autre à la
ralingue du filet.

BASSOUTOS
peuplade de l'Afrique aus-
trale, dans la Cafrerie, établie sur le terri-
toire de la rive droite du fleuve Orange, et
sur le versant occidental de la chaîne des
monts Quathlamba, qui s'étendent au N.-E.
de la colonie anglaise du Cap. Les Bassoutos,
' divisés en plusieurs tribus considérables, pa-
; raissent appartenir à la famille des Bech.ua-
1 nas (v. ce mot). Leurs premiers rapports
avec les Européens remontent à l'année 1833.
A cette époque, quelques-unes de ces tribus
étaient encore cannibales ; l'influence des
missionnaires a contribué à modifier considé-
I rablement leurs mœurs. Aujourd'hui, ces peu-
> pies ont un commencement d'agriculture et
d'industrie. La famille, la propriété, les pou-
voirs publics, y ont une certaine organisation.
L'autorité du chef (morena) chargé de veiller
à la tranquillité de tous est contrôlée par
une assemblée. Les tribus sont unies entre
elles par des liens fédératifs ; elles jouissent
d'un certain droit des gens. La vie du guer-
rier qui se rend est épargnée : l'enfant, la
femme, le voyageur, sont considérés comme
étrangers à la guerre ; le messager est invio-
lable, etc., il en est de même pour l'étranger;
mais, en cas de guerre, celui-ci doit prendre
les armes avec la tribu qui l'accueille en
ami. Les meurtres doivent, comme autrefois
en Germanie, être compensés, et cette com-
pensation est déterminée par le chef de la
tribu. « Les Bassoutos, fait remarquer le
voyageur missionnaire Cazalès, respectent
mieux que les clients du juge Lynch le droit
qu'a la société de faire elle-même justice. »
Chez eux, le mal s'exprime par les mots de
j laideur, dette, impuissance. Comme toutes les
races du sud de 1 Afrique en rapport avec les
Européens, les Bassoutos ne peuvent être
supportés par les blancs. Chaque jour, leurs
tribus sont obligées d'abandonner le pays qui
avait appartenu a leurs ancêtres et de se replier
J sur le désert, où les fruits de la civilisation
apportée par les missionnaires sont bientôt
! anéantis.

BASSUEL
(Pierre), chirurgien, né à Paris
en 1706, mort en 1757. Il fit partie, dès l'épo-
que de sa création, de l'Académie de chirur-
1 gie fondée en 1731, et acquit, comme prati-
I cien, une très-grande réputation à Paris. Il a
j laissé plusieurs mémoires importants sur di-
verses questions médicales, notamment : Re-
cherches sur le changement de figure dans la
systole du cœur (année 1731, Mémoires de
l'Académie des sciences), où il renversa une
erreur physiologique qui avait pour elle l'au-
torité de Vésale et celle de Riolan ; Disserta-
tion hydraulico-anatomique, ou Nouvel aspect
de l'intérieur des artères et de leur structure
par rapport au cours du sang ; Mémoire sur la
hernie crurale. (Mercure de France, 1734) ;
Mémoire historique et pratique sur la fracture
de la rotule; Dissertation sur une sueur sali-
vale â la joue, occasionnée par le long usage
d'emplâtres vésicatoires employés pour des
maux d'yeux invétérés et rebelles (Mémoires
de l'Académie des sciences, 1746).

BASSURE
s. f. (ba-su-re —- rad. basy adj.).
Agric. Terrain bas et humide.

BASSUS
s. m. (ba-suss). Entom. Genre
d'insectes hyménoptères, de la famille des
ichneumons, renfermant un assez grand
nombre d'espèces, presque toutes euro-
péennes.
BASSUS, nom porté par un grand nombre
de personnages qui ont vécu pendant les deux
'premiers siècles de notre ère, et dont plusieurs
se sont occupés de poésie. Tous leurs ou-
vrages sont perdus, à l'exception de quelques
fragments cités par Pline, Dioscoride, Ga-
lien, etc. Les principaux sont les suivants :
BASSUS (Lollius), poëte grec, natif de Smyrne
florissait sous le règne de Tibère, vers l'an
19 de notre ère. L'Anthologie grecque ren-
ferme de lui dix épigrammes, dont les plus
jolies sont celles qu'il a composées sur la
mort de Germanicus et sur la médiocrité.
Voici comment M. Dehèque traduit la pre-
mière : « Gardiens des morts, surveillez bien
toutes les routes qui mènent aux enfers, et
vous, portes du Ténare, qu'on vous ferme
avec des barres et des verrous; c'est moi,
Pluton, qui l'ordonne. Germanicus appartient
aux astres, il n'est pas des nôtres. L Achéron
d'ailleurs n'a pas une barque assez grande"
J)our le porter. » — BASSUS (Cœsius), poëte
atin, vivait vers le milieu du ier siècle de
notre ère. Il était l'ami de Perse, qui lui
adressa sa sixième satire, et ce fut lui qui
publia les satires de ce dernier, après en
avoir retranché les passages les plus hardis.
.Bassus passait pour le second des lyriques
latins. On n'a rien de ses ouvrages ; il n'est
connu que par les vers de Perse, par le
scoliaste de ce dernier et par quelques mots
de Quintilien. — BASSUS (Cesellius), cheva-
lier romain, originaire de Carthage, vivait au
icr siècle de notre ère. Etant devenu un des
familiers de .Néron, il lui promit, sur la foi
d'un songe, de lui faire découvrir d'immenses
trésors enfouis par Didon lorsqu'elle cherchait
un refuge en Afrique. Néron s'empressa d'en-
voyer des vaisseaux vers le lieu indiqué par
Bassus, et celui-ci se livra à des recherches ;
mais, n'ayant rien découvert, il prévint le
sort qui vraisemblablement l'attendait en se
donnant la mort. — BASSUS ( Lucilius ) floris-
sait dans la seconde moitié du ICT siècle de
notre ère. Après avoir été préfet de la flotte
de Misène sous le règne éphémère de Vitel-
lius (69), il fut appelé par Vespasien à gou-
verner la Judée, et il acheva de soumettre ce
pays, qui continuait à se révolter, malgré la
firise de Jérusalem (70). Il comprima la rébel-
ion après s'être emparé des châteaux de Ma-
chéronte et d'Hérodion, et mourut subitement
l'an 71. — BASSUS (Saleius), poëte romain,
contemporain du précédent, possédait, au dire
de Quintilien, un talent « véhément et poé-
tique. » Il ne reste.rien de Bassus, que Vespa-
sien tenait en si haute estime, qu'une seule
fois il lui fit don de 500,000 sesterces. — BAS-
SUS (Cnéius-Aufidius-Oreste), orateur et his-
torien romain, contemporain de Vespasien,
avait composé une histoire des guerres des
Romains contre la Germanie, ainsi qu'une his-
toire générale de Rome, à laquelle Pline l'An-
cien a ajouté trente et un livres. Il ne nous
est malheureusement rien parvenu de cet
écrivain. —BASSUS (Pomponius) fut consul
sous le règne de Septime-Sévère dans les
premières années du HIC siècle de notre ère.
Héliogabale étant devenu amoureux de sa
femme Anna Faustina, vers l'an 220, l'accusa
devant le sénat pour un motif des plus futiles,
et épousa sa veuve après l'avoir fait condam-
ner a mort.
BASSUS, hérétique du ne siècle. Il était dis-
ciple d'Ebion et de Valentin. Comme l'héré-
siarque Marcus, il faisait entrer la science
des calculs et des nombres dans l'explication
de'sa doctrine. La vie humaine, suivant lui
consistait dans le nombre des lettres, dans celui
des éléments et dans les sept planètes. S'ap-
puyant sur cette parole de Jésus-Christ : Ego
sum alpha et oméga, il prétendait que la perfec-
tion en toute chose se trouve dans les vingt-
quatre lettres de l'alphabet. Enfin la majesté et
la puissance de Jésus-Christ, non plus que son
incarnation, n'étaient pas suffisantes pour
faire le salut des hommes. Ces opinions, fort
nuageuses du reste, de Bassus, nous ont été
conservées par Philastrius,-Z)eHœresi, dans la
Maxim. Bibt. Pair. t. V, p. 706.
BASSUS (Jean-Marie, baron DE), magistrat,
peintre et musicien allemand, né à Boschiano
en 1769, mort en 1830. Après avoir étudié la
jurisprudence à Ingolstadt, il devint successi-
vement conseiller aulique à Munich, en 1795,
président du tribunal d'appel du cercle d'Etsch
en 1806, et il fut appelé au même poste en 1810
dans la ville de Neubourg, où il acheva sa vie.
Bassus n'était pas seulement un magistrat ca-
pable et intègre, c'était encore un véritable
artiste. Elève d'Éck, il était devenu un violo-
niste de première force, et il a laissé des ta-
bleaux qui révèlent un véritable talent de
peintre. Bassus fonda à Munich une société
musicale d'où sont sortis plusieurs virtuoses
distingués, et il a laissé, lui-même, des mor-
ceaux de musique très-estimés.

BASSVILLE
ou BASSEV1LLE (Nicolas Jean
HUGOU DE), littérateur et diplomate français,
mort en 1793. Il s'était livré quelque temps à
l'enseignement, lorsque la révolution de 1789,
dont il embrassa les idées, vint le faire sortir
de sa situation obscure et précaire. Devenu
rédacteur du Mercure national avec Carra,
Mme de Keralio, etc., il attira sur lui l'atten-
tion et fut nommé, en 1792, secrétaire de lé-
gation à Naples. Presque aussitôt, il fut
chargé de se rendre à Rome pour y protéger
nos nationaux, fort mal défendus par le con-
sul Digne. En ce moment, la cour romaine
s'opposait à ce que les armes de la République
figurassent sur ia porte du consulat français.
Bassville instruisit de ce fait Mackau, ambas-
sadeur à Naples, qui lui expédia De Flotte,
major du vaisseau le Languedoc, avec l'ordre
de placer immédiatement l'écusson de la Ré-
publique et de faire porter à tous les résidents
français la cocarde tricolore. Le lendemain,
13 janvier, à la vue des emblèmes républi-
cains, la populace excitée, comme tout porte
à le croire, parles agents du cardinal Zélada,
secrétaire d'Etat, accueillit de ses huées Bass-
ville, qui venait de sortir en voiture avec sa
femme, le poursuivit à coups de pierres et le
força à se réfugier chez le banquier Moulte,
dont la maison fut aussitôt assaillie. Frappé
d'un coup de rasoir au bas-ventre par un bar-
bier, Basville expira quelques heures après
dans d'atroces souffrances, pendant que les
furieux se portaient en foule vers l'hôtel de
France, qui fut pillé et brûlé. On s'empressa
de publier sur cet attentat une relation d'a-
près laquelle Bassville aurait rétracté son
serment de fidélité à la constitution, et serait
mort dans les plus grands sentiments de piété.
Mais rien n'est moins prouvé, et de toutes les
exclamations qu'on lui prête au milieu de son
agonie, la suivante seule est authentique :
« Je meurs fidèle à ma patrie. »
Il paraît également certain qu'obsédé par
les éclats de voix d'un prêtre qui lui faisait
entrevoir les terreurs de l'autre monde et
exhortait le mourant du ton dont on exor-
cise, il se serait écrié dans un dernier effort :
- Bon Dieu ! que cet être me pèse ! »
A la nouvelle de ce tragique événement, la
Convention décida qu'elle tirerait une ven-
feance éclatante de cette violation du droit
es gens, et elle accorda à la veuve de Bass-
ville une pension de 1500 livres, réversible,
pour les deux tiers, sur son fils, qu'elle adopta.
Trois ans après, lorsque Bonaparte accorda à
Pie VI un armistice à Bologne, il exigea de
ce pape qu'il désavouât, par un agent diplo-
matique envoyé à Paris, l'assassinat de Bass-
ville, et qu'il fit remettre au gouvernement
français une somme de 300,000 livres pour
être répartie entre ceux qui avaient souffert
de cet attentat. La mort de Bassville a fourni
le sujet de plusieurs compositions en prose et
en vers, particulièrement au Français Dorat-
Cubières et aux Italiens Salvi et Monti (v. l'ar-
ticle suivant). Bassville avait un esprit très-
cultivé et était membre de plusieurs acadé-
mies. Il a publié : Mémoires historiques, cri-
tiques et politiques sur la Révolution de
France (1789, 2 vol. in-8°) ; Mémoires secrets
sur là cour de Berlin (in-8°) ; des Poésies
fugitives,et d'autres ouvrages.
Bassviiiîana, poëme italien de Monti. Le
sujet en fut inspiré à Monti par la mort tra-
gique de son ami, le diplomate français Bass-
ville, assassiné a.Rome, où la République
française l'avait envoyé avec la mission se-
crète de propager la Révolution. Monti, qui
habitait alors Rome, se mit aussitôt à l'œuvre
et fit successivement paraître, avec une acti-
vité merveilleuse, les quatre chants de ce
beau poëme, de janvier, à août 1793. Il donna,
en tète de l'œuvre, une vie de Bassville, à la
fin de laquelle il rappelle que l'infortuné ré-
pétait : Je meurs victime d'un fou, et qu'il
mourut en chrétien; c'était, on en conviendra,
abuser singulièrement de la fiction. Monti,
ardent royaliste à cette époque, suppose que
Bassville se repentau momentd'expirer,etque
Dieu lui pardonne ses égarements révolution-
naires, mais en lui imposant pour châtiment
la vue des crimes de la Révolution et leur
Jmnition. La pauvre âme éplorée gémit sur
es exécutions de la Terreur et sur le supplice
de Louis XVI ; pensée dantesque, qui emprunte
une grande poésie à l'idée du purgatoire chré-
tien. Le poëte suppose que Bassville, au mo-
ment où il va rendre le dernier soupir, est
dérobé par un repentir soudain au supplice
des réprouvés, que ses principes philosophi-
ques avaient mérité. Alors la justice divine lui
impose, en expiation de ses péchés, un pèle-
rinage à travers la France, qu'il doit parcou-
rir jusqu'à ce que tous les crimes de la Révo-
lution aient été punis; son propre martyre
sera le spectacle des malheurs et des revers
issus de ces excès. Ici apparaît l'imitation
trop fidèle de la conception de Dante. Un ange
conduit Bassville de province en province,
pour le rendre témoin de la prétendue déso-
lation qui afflige le beau pays de France ; il
l'amène à Paris, où se prépare le supplice de-
Louis XVI. Le messager céleste est pathé-
tique et émouvant dans la scène des derniers
adieux du roi à sa famille ; il déroule aux
yeux de l'ombre qu'il conduit les victoires
futures de la coalition - les armées alliées en-
tourent les frontières d'un cercle de fer et de
feu; le monde entier conjuré écrase la France
et la couvre de ruines et de deuil. Il maudit
surtout, avec une colère superbe, les encyclo-
pédistes, pères de la Révolution; il est.solen-
nel et mystique lorsqu'il parle de Rome et du
pouvoir surhumain du pontife et de son Eglise.
Le poëme se termine sans faire pressentir le
dénoûment de cette lutte entre la Révolu-
tion et l'esprit du passé.
Le rôle de l'ange est calqué sur celui de
Virgile près de Dante. Le héros du poëme,
parundecesanachronismesquel'on pardonne
à un parti réactionnaire, éprouve exactement
les impressions et les souffrances que Dante
, aurait pu ressentir. Il a dépouillé tout carac-
tère de liberté et d'émancipation, invraisem-
blance d'autant plus choquante, que le poëte
a fait tout d'abord de lui un jacobin et un in-
crédule.
On sait, en effet, que les événements don-
nèrent un éclatant démenti aux prédictions
de la muse. Quelques années après, Monti
écrivait lui-même à un ami : « La tour-
nure qu'ont prise les événements a dérangé
tout mon plan, et ne me laisse plus aucune es-
pérance de mettre fin au purgatoire de mon
héros. » Du reste, lorsque la Révolution eut
, franchi les Alpes, Monti s'excusa presque
I bassement d'avoir écrit la Bassvilliana et
chercha à effacer ce souvenir en publiant des
poésies républicaines, ce qui ne l'empêcha
pas, en l'an IV, de voir sa Bassvilliana brûlée
par le peuple sur la place du Dôme, et d'être
destitué d un emploi a pour avoir publié des
j ouvrages destinés à inspirer la haine de la
démocratie, ou la prédilection pour le gouver-
nement des rois, des théocrates, des aristo-
crates. » Quoi qu'il en soit, voici sur ce poëme
le jugement de M. Mamiani délia Rovere:
« On a trop calomnié la facilité de sa muse
à changer d'opinion et à prodiguer l'encens,
et ceux qui lui ont donné le nom de caméléon
l'ont excusé sans le vouloir. L'âme incom-
plète de-Monti, sensitive et versatile à l'excès,
ne pouvait pas toujours rendre compte de la
mobilité de ses affections, lesquelles se pro-
duisaient immédiatement au dehors. J'ai lu
mille fois la Bassvilliana, et j'ai toujours pensé
que ce cantique était écrit de bonne foi; l'hy-
pocrisie et la dissimulation ne trouveront ja-
mais dans ce monde d'expressions aussi vé-
hémentes et aussi nobles. La Bassvilliana est
Êeut-être la plus belle poésie qu'ait inspirée
i catholicisme romain depuis Grégoire VU
jusqu'à nos jours. » Terminons par ces lignes
de Phistorien Sismondi : - La Bassvilliana est
332
remarquable plus peut-être qu'aucun autre I
poème, par la majesté des ver3, la noblesse I
de l'expression et la richesse du coloris. » Le '
reproche mérité que l'on a fait au poëme de
Monti prouve une fois de plus que la muse (
épique ne doit emprunter ses sujets qu'aux
faits accomplis : c'est sous Auguste que Vir- .
gile se fait le chantre d'Enée; c'est au déclin
du règne de Louis XIV que Voltaire composa
sa Henriade; c'est quand Florence a perdu
tout espoir de recouvrer son autonomie et sa
liberté que le vieux gibelin entonne les
terzine immortelles de la Divine Comédie.
BAST interj. V. BASTB.
BAST (Frédéric-Jacques), savant philologue
et diplomate allemand, né en 1772 dans le |
duché de Hesse-Darmstadt, mort en 1811. 11
s'adonna avec passion à l'étude des lettres
classiques, des langues anciennes et de la phi-
lologie, tout en embrassant la carrière diplo-
matique, et, après avoir été secrétaire de lé-
gation à Vienne, au congrès de Rastadt et à
Paris, il fut nommé conseryateur de la biblio-
thèque de Darmstadt. On a de ce savant, qui
devint correspondant de l'Institut de Francs,
un opuscule extrêmement remarquable, inti-
tulé Lettre critique sur Antoninus liberalis,
Parthènius et Artsténète (Paris, 1805) ; et dei
Notes ainsi que des Dissertations paléogra-
phiques, insérées dans l'édition de Grégoire de
Corinthe (1811), dont les érudits font le plus
grand cas.
BAST (Martin-Jean DE), prêtre et antiquaire,
né à Gand en 1753, mort en 1825. Il prit une
part active à la révolution brabançonne en
1789, et jouit pendant quelque temps d'une
assez grande influence sur les affaires de son
pays. En 1817, ses infirmités le forcèrent à
renoncer au ministère ecclésiastique. De Bast
était membre de l'Institut des Pays-Bas, de
l'Académie de Bruxelles et de la Société des
antiquaires de France. Ses principaux ou-
vrages sont : Recueil d'antiquités romaines et
gauloises, trouvées dans la Flandre proprement
dite (Gand, 1804), suivi de deux suppléments
en 1809 et 1813; Recherches historiques et lit-
téraires sur les langues celtique, gauloise et
tudesque (1815-1816, 2 vol.); 1 Institution
des communes dans la Belgique pendant les
xnc et xnic siècles, etc. (1819); {'Ancienneté
de la ville de Gand (1821), etc.
BAST (Liôvain-Amand-Marie DE), littéra-
teur belge, neveu du précédent, né à Gand
en 1787, mort en 1832. Il entra tout jeune
dans l'atelier d'un graveur et orfèvre distin-
gué, Tiberghien, et s'adonna à la gravure.
Après avoir concouru, en 1808, à la fondation
de la Sociétédes arts etdelittératuredeGand,
il devint conservateur du cabinet des mé-
dailles de cette ville, secrétaire du collège des
Curateurs, membre de l'Institut d'Amsterdam,
et, enfin, il fut appelé, en 1829, au poste d'ar-
chiviste de la Flandre orientale. Les travaux
excessifs auxquels il se livra dans ces der-
nières fonctions paraissent avoir hâté sa fin.
Bast fonda en 1824 le Messager des sciences et
des arts du royaume des Pays-Bas. Il a publié
plusieurs ouvrages qui traitent de matières
artistiques, et dont les principaux sont: Anna-
les du Salon de Gand et de l'école moderne des
Pays-Bas (1823) ; Notice sur le chef-d'œuvre
des frères Van-Eyck, traduit de l'allemand
M. G. F. Waagen (1825); Notice historique
sur Antonello de Messine, traduite de l'ita-
lien (1825).
BAST (Louis-Amédée DE), littérateur fran-
çais, né à Paris en 1795. Officier lors de la
chute de l'empire, il fut mis à la demi-solde
par le gouvernement des Bourbons, et bientôt
après, il embrassa la carrière littéraire, dans
laquelle il débuta en 1819 par une épitre en
vers, intitulée : Ma destinée. Depuis cette
époque, il a publié un grand nombre de ro-
mans, de nouvelles et d articles insérés dans
divers journaux et recueils périodiques. Parmi
ses ouvrages nous citerons : le Mameluk de
la Grenouillère (1829, 4 vol. in-12) ; Malfilâtre
(1834, 2 vol. in-8°); le Testament de Polichi-
nelle (1835) ; le Cabaret de Jiamponeau (1842) ;
la Galère de M. de Vioonne (1848) ; les Gale-
ries du Palais-de-Justice (1851, 2 vol. in-çojj
Merveilles du génie de l'homme7 Récits histo-
riques et instructifs sur l'origine et l'état ac-
tuel des découvertes et inventions les plus cé-
lèbres (1855, in-8°, avec grav.); les Fresques,
contes et anecdotes (1861, in-18) ; Contes à ma
voisine (1861, in-18). Nous citerons encore :
Rose Belette, la Courtisane de Paris, la Pe-
tite nièce de Ninon, Y Enfant de chœur, la
Conspiration des Marmousets, la Dernière
mouche, Mascarille, etc., romans et nouvelles.
Il a surtout réussi dans ce dernier genre de
littérature. Il a publié, dans le journal le Droit,
lusieurs séries de monographies et d'études
istoriques, telles que : la Collation annuelle
des avocats généraux du parlement au couvent
des Au g us tins ; YEcritoire d'argent ; les Trois
Prés aux Clercs ; le Parlement et le barreau de
Paris pendant le système de Law; le Bandit,
la Dîner d'un premier président du parle?nent
de Paris au xvic siècle, le Clerc de rappor-
teur, etc.

BASTA
interj. (ba-sta — de l'Haï, basta,
assez). Au jeu do quinze et d'ambigu, décla-
ration qu'on a assez de cartes.
BASTA s. m. (ba-sta). Comm. Toile de
coton très-fine, qui nous vient des Indes.
BASTA, ville de l'Italie ancienne, dans l'Ia-
BAS
gie (la Pouille), sur la côte orientale et au
du cap Iapygium (aujourd'hui cap de Leuca).
BASTA (Georges, comte DE), homme de
guerre italien, né à Rocca, près de ïarente,
mort à Courtray en 1607. Originaire d'Epire,
il était petit-fils de Georges Castriot, plus
connu sous le nom de Scanderbeg, qui préten-
dait descendre d'une sœur d'Alexandre le
Grand, et qui tenait par alliance aux Comnène,
empereurs de Constantinople. Basta entra
d'abord au service du duc de Parme, devenu
gouverneur des Pays-Bas en 1579. Il se trou-
vait alors h. la tête d'un régiment de cavalerie
albanaise, qui avait quitté l'Epire après la
mort de Castriot, et il se distingua dans plu-
sieurs expéditions difficiles dont il fut chargé,
notamment lorsqu'il parvint, en 1596, à ravi-
tailler la ville de La Fère, assiégée par
Henri IV. Sa réputation lui valut d'être ap-
Felé près de l'empereur d'Allemagne, qui se
attacha. La bravoure et l'habileté dont il fit
preuve en Transylvanie et en Allemagne
furent récompensées par les titres de généra-
lissime, de conseiller de guerre, de gouver-
neur et de comte du Saint-Empire romain.
Basta devint un des plus riches seigneurs de
l'Allemagne. Il possédait de vastes domaines
en Italie, en Autriche, en Hollande, en Bel-
gique. La ville de Courtray, où il termina
sa vie, lui concéda à elle seule des terres éva-
luées h deux millions. Enfin Basta était un
écrivain militaire distingué, et il a laissé deux
ouvrages estimés : Maestro di campo générale
(Venise, 1606), et Governo délia cavalleria leg-
giera (Venise, 1612).

BASTAGAIRE
s. m. (ba-sta-ghè-re — du
f r. bastagê, bagage). Antiq. Officier chargé
e veiller sur les bagages do l'empereur
d'Orient. [I Officier de l'Eglise grecque, qui,
dans les processions, portait l'image du pa- I
tron de la paroisse.

BASTAGE
s. m. (ba-sta-je — rad. baster,
qui s'est dit pour bâter). Féod. Droit que pré-
levait le seigneur sur les bêtes bâtées qui
traversaient sa seigneurie.

BASTAGUE
s. m. (ba-sta-ghe). Mar. Hau-
ban à étaguo employé sur les lougres. n On
dit aussi HASTAQUE.

BASTAN
bourg de la Turquie d'Asie, dans
l'Anatolie, à 40 kil. S.-O. d'Amasieh, et à
48 kil. N. de Boli. Ce bourg est situé sur l'em-
placement de l'ancienne Bithynium, qui prit
plus tard le nom de Claudiopolis, et qui, sous
le règne d'Adrien, fut nommée Antinopolis, en
l'honneur du favori de cet empereur.
BASTAN (VAL DE), vallée d'Espagne, pro-
vince de Navarre; ch.-l., Elizondo.-Cette
vallée, située sur le versant méridional des
Pyrénées, entre de hautes montagnes, est
bornée au N. par le département français des
Basses-Pyrénées," et arrosée par deux petits
affluents de la Bidassoa; elle a 45 kil. de lon-
gueur sur 20 kil. de large, et renferme qua-
torze villages, peuplés par 8,500 hab. Sa prin-
cipale richesse consiste en gros bétail; elle
produit cependant un peu de olé, du maïs, des
châtaignes et des fruits en abondance.

BASTANT
s. m. (ba-stan). Techn. Frayon
de moulin. I! On dit aussi BASTIAN.
BASTANT, ANTE adj. (ba-stan, an-te—
rad. baster.) Suffisant : La majorité absolue des
suffrages est reconnue aujourd'hui BASTANTE à
l'achèvement de la loi. (Chateaub.)
Renaud n'en prit qu'une somme bastante Pour regagner son logis promptement.
LA FONTAINE.
N Assez puissant, assez capable : Etes-vous
BASTANT pour une telle entreprise? (Acad.)
Louville, avec madame de Maintenon con-
traire, n'était pas BASTANT pour être de la
conférence. (St-Sim.) || Ce mot a vieilli.
BASTAQUE. V. BASTAGUE.

BASTARD
ou BASTART (Guillaume DE), vi-
comte de Fussy et de Terlan, né h Bourges,
mort en 1447. Ayant embrassé la carrière des
armes au sortir de l'université, il prit part au
siège de Bourges en 1432, puis fut nommé
lieutenant général du sénéchal de Berri, cham-
bellan et membre du conseil privé du dauphin.
Celui-ci étant devenu régent pendant la dé-
mence de Charles VI, appela de Bastard aux
postes de conseiller et de maître des requêtes,
et lorsqu'il fut monté sur le trône sous le nom
de Charles VII, il continua à lui donner des
marques de son estime et de sa confiance en
le nommant maître général extraordinaire des
comptes, gouverneur du bailliage de Bourges
et lieutenant général pour le roi en Berri. Au
milieu des embarras de tous genres où se
trouvait la royauté, Bastard rendit les plus
grands services en expédiant de sa province
des secours en vivres et en argent aux troupes
chargées de chasser les Anglais. Lorsque
Charles VII fut enfin rentré dans Paris (1437),
il supprima la lieutenance générale du Berri;
mais Bastard conserva jusqu'à sa mort ses
fonctions de maître des requêtes et de maître
général des comptes, et fut un des person-
nages les plus considérables de son temps.
BASTARD (Guillaume DE), dit Vespasien,
frère du précédent, mort en 1469, fut con-
seiller panetier du dauphin, depuis Charles VII,
et gouverneur de la ville forte de Mehun-sur-
Yèvre. Il conserva jusqu'à sa mort le gouver-
nement de cette ville, où Charles VII, qui
avait en haute estime son panetier, se retira
et finit sa vie, devenue misérable par l'appré-
BAS
hension constante où il était d'être empoisonné
par son fils le dauphin.
BASTARD (Pierre DE), descendant de Guil-
laume de Bastard, vicomte de Fussy, vivait
au xvie siècle. Il s'attacha à la fortune du roi
Henri de Navarre, qui devint Henri IV, et
dont il conquit l'affection ; se battit sous ses
ordres à Marmande, à Eause, à Lectoure (1576),
à Fleurance, à la prise de Cahors (1580); se
signala dans toutes les rencontres par son in-
trépidité, et mourut en 1590, un an après
qu'Henri IV eut pris possession du trône de
France.
BASTARD (Denis DE), marquis de Fontenay,
de la famille des précédents, entra dans la
marine, où il se distingua par la plus brillante
valeur. Il était en 1694 lieutenant de vaisseau
h bord du vaisseau le Bon, lorsque celui-ci
rencontra le Berhley-Castle, bâtiment anglais
de 70 canons. Le jeune lieutenant s'élança à
l'abordage avec ses marins, et captura le na-
vire ennemi, dont la prise valait plus de
10 millions, à cause de l'argent et des pierre-
ries qui s'y trouvaient. Il fut successivement
promu au grade de capitaine de frégate, de
capitaine de vaisseau et de chef d'escadre, et
mourut à la Guadeloupe en 1723, à l'âge de
cinquante-six ans.
BASTARD (Dominique-François DE), de la
famille des précédents, né à Nogaro, dans le
Gers, en 1747, mort en 1793, entra dans les
ordres, se signala par ses vertus et par les
grâces de son esprit, et devint chanoine de Lec-
toure, puis grand vicaire de l'évèque de
Lombez. Ayant refusé de prêter le serment
exigé par la constitution civile du clergé, il
s'embarqua pour Rome avec quelques prêtres
et quelques moines ; mais il fut rejeté par une
tempête sur la côte,.traduit devant le tribunal
révolutionnaire deToulon et condamné à mort.
En montant sur l'échafaud, il fit un discours
qui émut tellement la foule, que le commis-
saire Pierre Bayle crut prudent de faire sus-
pendre l'exécution lorsque la tête de l'abbé
Bastard fut tombée, et de renvoyer en prison
les trois autres condamnés, qui, grâce à cette
circonstance, échappèrent a la mort. — Un
autre membre de la même famille, François
BASTARD, baron de Saint-Denis, né en Agé-
nois en 1736, mort en 1804, fut grand maître
des eaux et forêts de la Guyenne, du Béarn
et de la Navarre. Il a laissé en manuscrit un
Traité sur le défrichement et le semis des
Landes. Les idées qu'il y émit furent appli-
quées avec succès par le gouvernement.
BASTARD (Thomas), poëte anglais, né à
Blandfort, mort en 1618. Ayant achevé ses
études à Oxford, il s'y fit recevoir membre du
collège neuf en 1588, et maître es arts en 1590 ;
mais, peu de temps après, il fut exclu de l'uni-
versité pour avoir composé des satires où il
attaquait de puissants personnages. Il entra
alors dans les ordres, obtint de grands succès
comme prédicateur, ainsi que par des qualités
toutes mondaines, et finit par mourir miséra-
blement dans une prison pour dettes. On a de
lui un poëme latin en trois chants, intitulé :
Magna Britannia (Londres, 1605) ; de fines
Epigrammes et des Sermons (1615).
BASTARD (Dominique DE), jurisconsulte
français, né à Toulouse en 1683, mort en 1777.
Membre à vingt-deux ans, puis doyen du par-
lement de cette ville, il rédigea avec talent de
nombreux rapports, notamment celui qui con-
cerne les fameuses propositions de l'Eglise
gallicane, consacrées par l'édit de 1682. Con-
formément a ce rapport, le parlement de Tou-
louse ordonna par arrêt, en 1762, que la doc-
trine contenue dans les propositions serait
suivie et enseignée, et il décréta que nul ne
pût être licencié en théologie et en droit canon,
ni reçu docteur, qu'après 1 avoir soutenue dans
l'une de ses thèses. Bastard, l'un des magis-
trats les plus instruits et les plus renommés
de son temps, refusa, en 1762, la place de pre-
mier président, et fut nommé membre du con-
seil du roi en 1774.
BASTARD (François DE), fils du précédent,
né à Toulouse en 1722, mort en 1780, fut
nommé à vingt ans conseiller au parlement de
Toulouse, maître des requêtes à Paris en 1757
et premier président du parlement de sa ville
natale, sur le, refus de son père, en 1762.
S'étant montré favorable aux jésuites et opposé
à l'arrêt du parlement qui prononça la disso-
lution de l'ordre, il indisposa contre lui les
conseillers, et, bientôt après, il fut accusé
par eux de n'avoir pas su défendre la dignité
du parlement, lorsque celui-ci décréta de prise
de corps Fitz-James, gouverneur du Lan-
guedoc, pour avoir voulu imposer par la force
l'enregistrement d'édits de finances. Abreuvé
de dégoûts qu'il s'était attirés par son exces-
sive modération au milieu d'esprits exaltés, il
finit par se démettre de sa charge en 1769, et
fut nommé conseiller d'Etat. Lorsque Maupeou
eut supprimé les parlements, qu'il voulut rem-
placer par des conseils supérieurs, Bastard fut
chargé par le roi d'aller installer ces conseils
à Besançon et à Rennes. Nommé chancelier
et surintendant de la maison du comte d'Ar-
tois, il établit un ordre parfait dans les finances
du prince, qui jouissait d'un immense apa-
nage; et il contribua à l'edit de suppression
des corvées par un mémoire qui produisit une
vive impression sur Louis XVI.
BASTARD (John Pollexfen), homme poli-
tique anglais, né à Kitley. mort en 1816. La
Révolution française avait trouvé des parti-
BAS
sans en Angleterre, et surtout parmi les mal-
heureux ouvriers de l'arsenal de Plymouth. A
un signal donné, ils se soulevèrent au nombre
de plusieurs milliers, et plantèrent, au milieu
de la cour de l'arsenal, l'arbre de la liberté.
Bien qu'il n'eût pas reçu d'ordres, John Bas-
tard fit prendre les armes à un régiment de la
milice, marcha sur l'arsenal et fit un horrible
massacre des insurgés, arrêtant ainsi du pre-
mier coup toute tentative révolutionnaire à
l'instar de la France. Le roi d'Angleterre fit
témoigner à Bastard sa satisfaction, et les
ministres prirent sur eux toute la responsa-
bilité qu'il avait encourue en violant la loi
britannique. Pendant trente-quatre ans, Bas-
tard fut membre du parlement.
BASTARD, botaniste français, était, sous
l'empire, professeur de botanique et directeur
du jardin des plantes d'Angers. Ayant signé,
en 1815, le pacte fédératif du département de
Maine-et-Loire en faveur de Napoléon, il fut
destitué de ses deux places par la Restaura-
tion. Botaniste distingué, Bastard a fait pa-
raître : Essai sur la Flore de Maine-et-Loire
(Angers, 1807); Notice sur les végétaux les
plus intéressants du jardin des plantes d'An-
gers (1806), et Supplément à la Flore de JT/anie-
et-Loire (l%\2), une des meilleures flores locales
qui aient paru en France.
BASTARD D'ESTANG (Dominique-François-
Marie, comte DE), magistrat et homme politi-
que, né à Nogaro (Gers) en 1783, mort en 1844.
Conseiller à la cour impériale de Paris (1810).
puis premier président de la cour royale de
Lyon (1815), il fut appelé en 1819 à la Chambre
des pairs, instruisit avec intégrité le procès
de Louvel, montra beaucoup d'indépendance
politique, et fut, après 1830, un des membres
chargés de l'instruction du procès des ministres
de Charles X.
BASTARD D'ESTANG (Jean-François-Au-
guste DE), officier de cavalerie, frère du pré-
cédent, né en 1794, fit la campagne de Saxe
en 1813, fut fait prisonnier, entra, sous la
Restauration, dans les mousquetaires, nuis
fut admis à la retraite après 1830. Il a publié
divers ouvrages, dont les principaux sont :
Costumes de la cour de Bourgogne sous le règne
de Philippe le Bon (in-fol.)j Peintures et or-
nements des manuso'its français (in-fol.).
BASTARD D'ESTANG (Henri-Bruno DE), ma-
gistrat, frère des précédents, né à Paris en
1798. Il est conseiller à la cour impériale de
Paris. On a de lui : une Monographie du par-
lement de Toulouse (1854); les Parlements de
France, essai historique sur leurs usages, leur
organisation, etc. (1858, 2 vol.). — Son neveu,
Jean-Denis-Léon DE BASTARD D'ESTANG, né à
Paris en 1822, ancien élève de l'Ecole des
chartes, est aujourd'hui attaché au ministère
des affaires étrangères. 11 a également publié
quelques écrits, notamment : Recherches sur
Vinsurrection communale de Vézelay(\%5\) ; Vie
de Jean de Ferrière,vidame de Chartres (1858).

BASTARDIE
s. f. (ba-star-dî). Bot. Genre
de la famille des malvacées, voisin des sidas
ou abutilons.

BASTARÈCHE
s. f. (ba-sta-rè-che). Sorte
de cabriolet qu'on adapte sur le devant de
certaines voitures.

BASTARNES
peuplade d'origine incertaine,
qui habitait les bords du Dniester et la partie
orientale de la chaîne des Carpathes, mon-
tagnes qui, à cause de cela, reçurent le nom
d'Alpes Rastarniques. A l'époque de la grande
invasion des barbares, les Bastarnes entrèrent
dans la ligue des Goths, avec lesquels ils se
trouvèrent confondus. Les Bastarnes étaient
de haute stature et avaient un aspect farouche.
Tacite, qui les range parmi les Suèves, dit
qu'ils étaient vêtus comme les Germains, dont
ils parlaient la langue, qu'ils étaient paresseux
et malpropres. Ils se servaient d'une espèce de
char, qui fut adopté par les Romains, et qui
devint célèbre sous le nom de basterna ; c'était
une espèce de calèche garnie de coussins, et
dont les portières étaient fermées par des
Fierres transparentes. Les dames romaines
affectionnaient particulièrement; mais il est
à croire qu'elle avait reçu de notaules perfec-
tionnements en passant des sauvages Bas-
tarnes aux élégantes matrones. Les antiquaires
et les étymologistes se sont évertués à trouver
la racine de ce nom ; nous allons donner, sous
toute réserve, les deux étymologies qui pa-
raissent les plus vraisemblables. Quelques
auteurs ont pensé que le nom de Bastarnes
venait du mot slave basta (château, retran-
chement) , à cause des retranchements qui
environnaient leurs villages ; d'autres, et parmi
eux Fréret, trouvent plus naturel de le dériver
du mot germain vaste (désert), dont on aurait
fait vastar, bastar, habitant des déserts ou
des steppes.

BASTARNIQUE
adj. (ba-star-ni-ke). Qui
a rapport aux Bastarnes.
— Alpes Rastarniques, montagnes qui for-
maient la partie orientale des monts Car-
pathes actuels, et qui étaient habitées par les
Bastarnes.

BASTE
ou BAST (ba-ste). Interjection qui a
un sens très-vague-, elle signifie quelquefois
assez, cela suffit, certes; mais, dans son emploi
le plus général, elle marque l'indifférenco, le
peu d'importance ou d'attention qu'on attache
a une chose, le peu d'intérêt qu'il faut y
prendre : Il a dit cela : PASTEI il n'en fera
rien. (Acad.) BASTB 1 laissons-ld ce chapitre.
> 333
(Mol.) BAST l BAST ! quand on sait.s'occuper des
affaires, on ne s'ennuie jamais nulle part.
(Ste-Beuve.).
Dasle! songez à vous, dans ce nouveau projet.
MOLIÈRE.
Baste! ce n'est pas peu que deux mille francs, dua
Depuis deux ans entiers, vous soient ainsi rendus.
Moi IÈRE.
J'ai fait trois mille vers; allons, c'est à. merveille;
Baste! Il faut s'en tenir à sa vocation.
A. DE MUSSET.
. . . Il a, dit-on, essayé de les vendre. Mais, batte! aucun marchand n'aura voulu les [prendre.
PONSARD.
— Mar. Assez! tiens boni arrête 1 amarre!
H On dit aussi : VASTE. X
BASTE s. f. (ba-ste). Econ. rur. Vaisseau
de bois dans lequel on transporte la vendange.
Il Cylindre à conserver le lait, il Panier qu'on
porte attaché au bât d'une bête de somme.
— Comra. Etoffe de soie qu'on tire de la
Chine.
— Techn. Nom donné anciennement aux
enchàssures soudées aux émaux d'applique,
et qui servaient à les » Mâcher sur les vête-
ments ou sur les pièces de vaisselle : II est
ordonné que ces émaux, lorsqu'ils seront appli-
qués sur des étoffes, n'y seront pas cloués par
leurs BASTES ou chatonS) mais cousus à l'ai-
guille, (Leroy.)
BASTE s. m. (ba-ste). Jeux. As de trèfle, à
certains jeux de cartes, comme l'homhre et le
quadrille : Le BASTE est la troisième triomphe
voire, te troisième des matadors.
BASTE (Pierre), contre-amiral français, né
à Bordeaux en 1768, tué au combat de Brienne
en 18H, s'engagea comme simple marin en
1781, et franchit rapidement tous les grades
inférieurs. 11 se couvrit de gloire au siège de
Mantoue, où il commandait la flotte armée sur
les lacs, au siège de Malte en 1798, au com-
bat d'Aboukir, et lors de l'expédition de Saint-
Domingue en 1801. Il fit partie de la grande
armée en 18Q7, seconda brillamment les opé-
rations du siège de Pillau, se distingua de
nouveau en Espagne en 1808, et fut élevé en
1809 au grade de colonel des marins de la
garde. Il revint ensuite en Espagne et s'y
vendit maître de la ville d'Almanza. Napoléon
le nomma comte de l'empire en 1809, et contre-
amiral en 1811.
BAST EL s. m. (ba-stèl). Mar. Ancien nom
d'un espars, ou petit mât-léger, qui s'applique
contre les haubans, qu'il reçoit dans des coches
à la hauteur des bastingages, servant ainsi à
les maintenir à leur distance ordinaire.

BASTEMCA,
bourg de France (Corse), ch.-l.
de cant., arrond. et à 24 kil. N.-E. d'Ajaccio;
3,071 hab. Elève du bétail, châtaignes, fro-
mages ; patrie du fameux San Pietro d'Ornano.

BASTER
v. n. ou intr. (ba-sté — de l'esp.
basto, rempli). Suffire : Je vis du jour à ta
journée et me contente de quoi suffire aux
besoins présents et ordinaires : aux extraordi-
naires, toutes les provisions du monde n'y sau-
raient BASTER. (Montaigne.) Il V. mot qui a
survécu dans l'interjection Baste!
BASTER s. m. (ba-stèr — de bastard, pour
bâtard). Métis provenant d'un blanc et aune
Hottentote : Les BASTERS, et, en général, les
JJottentots de la colonie du Cap affectent du.
mépris pour les autres sauvages. (Encycl.)
BASTER (Job), botaniste hollandais, né à
Zirikzee en 1711, mort en 1775. Reçu docteur
en médecine à Leyde en 1731, il s'adonna
presque entièrement à son goût pour l'histoire
naturelle, et composa, en hollandais et en latin,
divers ouvrages, dont les principaux sont :
Principes de botanique suivant Linné (Harlem,
1768, in-io) ; Opuscula subseciva, etc. (Harlem,
17G2-1765, 2 vol. in-4°) ; Sur la génération
des animalcules dans l'intérieur des plantes
(1768); et de nombreux mémoires publiés dans
les Verharidelingen (mémoires) des académies
de Harlem et de Flessingues.

BASTÈRE
s. f. Bot. Syn. de rohrie.
BASTERNES. t (ba-stèr-ne — lat. basterna,
même sens). Antiq. Gros char attelé do bœufs,
en usage chez les peuples du Nord, et intro-
duit dans les Gaules par les barbares : C'est
aux BASTERNES que Èoileau faisait allusion
dans ces deux vers si connus :
Quatre bœufs Attelés, d'un pas tranquille °,t lent, Promenaient dans Paris le monarque indolent.
Nos carrosses ressemblent entièrement aux

BASTERNES
OU plutôt ce sont des BASTERNES
perfectionnées. (Trév.) || Sorte de. litière dont
faisaient usage les dames romaines. Il Plus
tard, litière portée à dos de mulet : Les
roussins étaient destinés aux litières, aux BAS-
TERNES. (Chapus.)

BASTERRÈCHE
(Jean-Pierre), homme poli-
tique et financier français, né a Bayonne en
1762, mort en 1827. 11 était négociant et ar-
mateur à Bayonne, lorsqu'il fut nommé mem-
bre de la Chambre des députés pendant les
Cent-Jours. Réélu par ses concitoyens en 1820
et 1824, il siégea au centre gauche, et prit plu-
sieurs fois la parole sur des questions de com-
merce, d'industrie ou de finance; il se déclara
contre les essais d'empiétement des ministres
Villcle et Peyronnet, et mourut avec la répu-
tation d'un homme d'une haute honorabilité.
Il a public : Choix de discours prononcés par
le général Lamarque (Paris 1828). — Léon

BASTERRKCHE
mort en 1802, était parent du
précédent. On a de lui un Essai sur les mon-
naies (Paris, 1801).

BASTI
ville de l'ancienne Espagne, chez les
Bastitans , dans la Tarraconnaise. Auj. Baza.
BAST1A, ville forte de l'île de Corse, ch.-l.
d'arrond.,à 124 kil. N.-E. d'Ajaccio, à 1,179 k.
de Paris; port sur la côte K. de l'Ile ; pop.
aggl. 17,977 hab. — pop. tôt. 19,304 hab.
L'arrond. a 20 cantons, 94 communes et 74,776
hab. Cour impériale, tribunaux de lre instance
et, de commerce. Lycée impérial, école d'hy-
drographie, bibliothèque et "cabinet d'histoire
naturelle; place de guerre, ch.-l. de la 17e di-
vision militaire ; consulats étrangers ; fonderie
de fdnte, forges à la catalane, tanneries, fa-
briques de pâtes d'Italie, moulins à huile d'o-
live; construction de navires marchands. Ex-
portation de fonte, fer, cuivre, antimoine,
cuirs tannés, légumes secs, farine de maïs et
de châtaignes, citrons, cédrats, poisson frais,
anguilles de 1 étang de Bîguglia. Le mouve-
ment de la navigation du port de Bastia, en
1861, a été, à l'entrée, de 529 navires, et à la
sortie, de 436 navires jaugeant ensemble
78,758 tonneaux. Le cabotage, pendant la
même année, a donné les chiffres suivants :
522 entrées, 641 sorties, 39,442 tonnes. Bâtie
en amphithéâtre autour de son port, avec ses
beaux quais, son phare, le caractère sévère
de sa citadelle, les ruines de ses forts et ses
anciens couvents, au-dessus et tout autour
des jardins d'orangers et de citronniers mêlés
à des bois d'oliviers, au milieu desquels per-
cent de gracieuses villas, Bastia, vue de la
mer, a l'aspect monumental et souriant à la t
fois des villes italiennes du moyen àgefmaîs,
comme elles aussi, Bastia a trop de rues tor-
tueuses et de pentes rapides. La Traverse,
nouvellement construite, renferme de belles
et grandes maisons; c'est un boulevard d'un
kilomètre de long, d'un très-bel aspect et
qui annonce une ville populeuse. Sur la place
Saint-Nicolas, qui domine la mer, on voit la
statue en marbre blanc de Napoléon Ier) par
le célèbre sculpteur Bartolini. Napoléon est
représenté en empereur romain, le iront ceint
d'une couronne de laurier, vêtu d'une tunique,
et s'appuyant sur une lance. Tout en haut de
la Traverse se trouve le palais de justice,
construction moderne de mauvais goût, où
l'on a prodigué le marbre sans'discernement,
et dont la distribution intérieure laisse tout à
désirer. Parmi les autres édifices, mention-
nons la cathédrale, l'église Saint-Jean-Bap-
tiste, l'église Saint-Roch et un vieux donjon
dont la construction date du xve siècle.
L'origine de Bastia ne remonte qu'au xiv^ siè-
cle. Fondée en 1383 par les Génois, lorsque
Henri Délia Rocca leur eut enlevé Bîguglia,
elle ne fut d'abord qu'un donjon (bastia), sur
la colline qui dominait Porto-Cardo, pour
protéger le débarquement des troupes de la
République. Les maisons ne tardèrent pas à
s'élever à l'ombre de la forteresse, qui portait
cette orgueilleuse devise : ni Ml difficile. En
1482, Tomasino Fregoso^ commissaire géné-
ral de Gènes, les entoura d'un rempart; plus
tard, de nouvelles constructions s ètagèrent
sur la. colline et vinrent rejoindre, autour du
port, les cabanes de Porto-Cardo. Terra-Nova
et Terra- Vecchia formèrent par leur réunion
la ville de Bastia. Ces deux dénominations
existent encore comme divisions municipales.
Après la destruction des villes d'Aleria et de
Mariana, la nouvelle ville prit un si grand dé-
veloppement que, sous la domination des Gé-
nois, elle devint la capitale de la Corse. En 1745,
les Anglais la bombardèrent et s'en emparè-
rent; mais Vannée suivante, ils larendirentaux
Génois. En 1748, elle fut assiégée sans succès
par les Piémontais. De tous les sièges qu'elle
soutint, le plus célèbre est celui de 1794 :
Paoli, après avoir conçu le projet de séparer
la Corse de la France, résolut de s'emparer
des villes qui nous étaient restées fidèles. Il
appela les Anglais à son secours et, après un
siège de deux mois, força l'héroïque cité à
capituler. — Lorsque la Corse formait deux
départements, Bastia était le chef-lieu de celui
du Golo; ces deux départements ayant été
réunis en un seul en 1-811, Ajaccio est resté
chef-lieu de la Corse, et Bastia est devenue
sous-préfecture.
BASTIAN. V. BASTANT.

BASTIAM
(l'abbé), aventurier italien, mort
à Potsdam en 1787. Sa vie fut un roman qu'il
est assez difficile de raconter. Ayant quitté
l'Italie, il mena une existence déréglée, vécut
longtemps dans la misère, et finit par s'en-
f ager à Fraucfort-sur-le-Mein dans la milice
u roi de Prusse. Plus tard, il embrassa l'état
ecclésiastique, fut secrétaire de l'évêque de
Breslau, chanoine, et, étant parvenu à gagner
les bonnes grâces de Frédéric le Grand, il
remplit plusieurs missions à Rome pour le
service de ce souverain.
BASTIAN1NO (Sêbastîen-Filippi dit), éga-
lement connu sous le surnom de II Grattelto,
parce qu'il lui arrivr.it souvent de se servir
de petits carreaux (en italien gratta), pour
peindre des réductions de tableaux, peintre
italien, né à Ferrure en 1523, mort en 1602.
Il étudiait dans l'atelier de son père, lorsqu'à
l'âge de quinze ans il partit tout à coup pour
Rome, ann de pouvoir suivre les leçons de
Michel-Ange. L'illustre peintre ayant con-
senti à le recevoir parmi ses élèves, il fit des
progrès rapides, s'assimila sa manière et de-
vint un peintre distingué, dont les œuvres
sont remarquables par la grandeur du style
et l'énergie de l'expression. Parmi les ta-
bleaux qu'il a composés dans sa ville natale,
où il termina sa vie, on cite : une Résurrec-
tion du Christ, une Assomption, le Crucifix
de l'église de Jésus, et surtout son magnifique
Jugement dernier, peint à fresque dans le
chœur de la cathédrale de Ferrare. Dans
cette composition originale et neuve, même
après l'œuvre de Michel-Ange, Bastianino, à
l'exemple de quelques artistes de son temps
et particulièrement de son maître Buonarotti,
a mis tous ses ennemis dans les rangs des ré-
prouvés et ses amis dans ceux des élus. Au
milieu de ceux qui sont destinés à l'enfer, il
peignit le portrait d'une jeune fille qui l'avait
délaissé pour épouser un autre que lui, et il
la représenta regardant' avec envie la femme
du peintre, que celui-ci ne manqua pas de
placer à la droite du juge suprême.
BAST1AT (Frédéric), célèbre économiste, né
à Bayonne le 19 juin 1801, mort à Rome le
24 décembre 1850. Demeuré orphelin à l'âge
de neuf ans (is 10), il passa sous la tutelle de son
aïeul paternel, possesseur d'un domaine à Mu-^
gron, arrondissement de Saint-Sever. Sa tante,""
Mlle Justin Bastiat, lui servit de mère. Après
avoir été un an au collège de Saint-Sever, il
fut envoyé à Soréze, où il fit de très-bonnes
études. C'est là qu'il se lia d'une amitié intime
avec M. Calmètes aujourd'hui conseiller à la
cour de cassation. M. de Fontenay raconte, k
propos de cette liaison d'enfance, un trait qui
révèle la bonté et la délicatesse de Bastiat.
Respectée des maîtres, l'amitié des deux élèves
avait des privilèges particuliers, et pour que
tout fût commun entre eux, on leur permettait
de faire leurs devoirs en collaboration et sur la
même copie signée des deux noms. C'est ainsi
qu'ils obtinrent, en 1818, un prix de poésie. La
récompense était une médaille d'or; elle ne
pouvait se partager : - Garde-la, dit Bastiat;
puisque tu as ton père et ta mère, la médaille
leur revient de droit. » Sorti du collège à l'âge
de vingt ans environ, Bastiat entra dans la
maison de commerce de son oncle, à Bayonne.
Une partie de ses loisirs était employée à cul-
tiver les arts et la littérature. Il chantait agréa-
blement, et jouait de la basse avec supériorité.
Il s'était pris d'un bel enthousiasme pour l'étude
des langues, et il voulut posséder a fond l'ita-
lien, l'espagnol et l'anglais. Le goût des études
économiques lui vînt de bonne heure. Dès
Tannée 1824, il avait médité les écrils d'A.
Smith, de J.-B. Say et de Destutt de Tracy.
Sa vocation pour la science de^ ait le détourner
du commerce. En 1825, son grand-père étant
mort, il vint se fixer à Mugron, ou du moins
y établir sa principale résidence. Possesseur ue
propriétés foncières assez étendues, il conçut,
en 1827, la pensée de les exploiter lui-même.
Mais ses opérations agricoles ne furent point
couronnées de succès, et il ne tarda pas à les
abandonner. L'intérêt véritable de sa vie cam-
pagnarde, ce fut l'étude, et l'échange continu
d'idées avec un voisin, un ami, M. Félix Cou-
droy, qui fut profondément mêlé à son exis-
tence intime et à sa vie intellectuelle. « Si
Calmètes, dit M. de Fontenay, est le camarade
du cœur et des jeunes impressions, Coudroy
est l'ami de l'intelligence et de la raison virile,
comme plus tard Cobden sera l'ami politique,
le frère d'armes de l'action extérieure et du
rude apostolat. » Logés à quatre pas l'un de
l'autre, Bastiat et M. Coudroy passaient leur
vie ensemble, se voyant trois fois par .iour,
tantôt dans leurs chambres, tantôt à de longues
promenades. Ouvrages de philosophie, d'his-
toire, de politique, de religion, d'économie po-
litique, tout passait au contrôle de ces deux
intelligences associées dans la recherche de
la vérité. Le Traité de législation de Ch.
Comte, surtout, servait de texte habituel à
leurs commentaires. » Je ne connais, disait
Bastiat, aucun livre qui fasse plus penser, qui
jette sur l'homme et la société des aperçus
plus neufs et plus féconds. »
La Révolution de 1830 fui accueillie par
Bastiat avec enthousiasme. < Mon cher Félix,
écrit-il le 4 août 1830 à sou ami, l'ivresse de
la joie m'empêche de tenir une plume. Ce n'est
pas une révolution d'esclaves se livrant à plus
d'excès, s'il est possible, que leurs oppresseurs ;
ce sont des hommes éclairés, riches, prudents,
qui sacrifient leurs intérêts et leur vie pour
acquérir l'ordre et sa compagne inséparable,
la liberté. Qu'on vienne nous dire après cela
que les richesses énervent le courage, que les
lumières mènent à la désorganisation, etc..
Un gouvernement provisoire est établi à Paris,
ce sont MM. Laffitte, Audry-Puyraveau, Ca-
simir Périer, Odier, Lobau, Gérard, Schonen,
Mauguin, La Fayette. Ces gens-là pourraient
se faire dictateurs; tu verras qu'ils n'en feront
rien pour faire enrager ceux qui ne croient ni
au bon sens ni à la vertu. » Au mois de no-
vembre 1830, Bastiat fit paraître son premier
écrit. C'est une brochure politique qui fut
lancée pour soutenir la candidature de M. Fau-
rie, dont le libéralisme n'était point suspect,
mais qui avait eu le malheur de ne point faire
partie de la Chambre avant la révolution de
Juillet et qui n'avait pu, en conséquence, voter
avec les 221. Or, il paraît qu'à, cette époque
bon nombre d'électeurs tenaient par-dessus
tout à voter pour les 221. Bastiat s'éleva contre
ce vote de récompense, et l'on reconnaît déjà
la plume qui devait écrire les Sophismes poli-
tiques. « Voici, écrivait-il, un électeur qui tient
obstinément à renommer à tout jamais les 221.
Vous avez beau lui faire les objections les
mieux fondées, U répond à tout par ces mots :
Mon candidat est des 221. — Mais ses antécé-
dents?— Je les oublie : il est des 221. —Mais
il est membre du gouvernement. Pensez-vous
qu'il sera très-disposé à restreindre un pouvoir
qu'il partage, à diminuer des impôts dont il vit?
— Je ne m'en mets pas en peine : il est des 221".
— Mais songez qu'il va concourir à faire des
lois. Voyez quelles conséquences peut avoir un
choix fait par un motif étranger au but que
vous vous proposez. — Tout cela m'est égal ;
U est des 221. » Vers 1831, Bastiat fut nommé
juge de paix à Mugron, et l'année suivante,
élu membre du conseil général du département
des Landes. De temps en temps, il se laissait
porter à ladéputation. Il profitait, comme il le
racontait en riant, de ces rares moments où on
Ht en province, pour répandre dans ses circu-
laires électorales, et «distribuer, sous le man-
teau de la candidature, u quelques vérités
utiles. Les principes politiques formulés dans
ces circulaires étaient que la forme du gou-
vernement et le personnel du pouvoir importent
peu; que le droit de voter l'impôt, si 1 on sait
en faire un usage judicieux, suffit à la liberté,
parce qu'il donne aux citoyens la faculté de
renfermer le pouvoir dans ses attributions lé-
gitimes; que la tendance naturelle et constante
de l'Etat, comme celle de tous les êtres orga-
nisés, est d'étendre indéfiniment sa sphère
d'action ; que cette tendance produit l'accrois-
sement des profits et des fonctions, l'ambition
des places, les luttes et les brigues dont cette
ambition est -la source, les entraves de l'in-
dustrie, les monopoles; qu'on ne saurait dé-
fendre avec trop de vigilance et de fermeté
contre cette tendance à l'ingérence et à l'ab-
sorption les droits de l'individu, le domaine
de la liberté. Cela pouvait se résumer dans
ces mots : Foi systématique à la libre activité
de l'individu ; défiance systématique vis-à-vis
de l'Etat conçu abstraitement, c'est-à-dire
défiance parfaitement pure de toute hostilité
de parti.
En 1834, Bastiat publia, sur les Pétitions de
Bordeaux, le Havre et Lyon concernant les
douanes, des réflexions où l'on voit le germe
de la théorie de la valeur qu'il devait déve-
lopper plus tard dans les Harmonies économi-
ques. Les pétitionnaires demandaient que toute
protection lut retirée aux matières premières,
c'est-à-dire à l'industrie agricole ; mais qu'une
protection fut continuée a l'industrie manu-
facturière ; ils se fondaient sur cette idée,
« que les matières premières sont vierges de
tout travail humain », et que « les objets fa-
briqués ne peuvent plus servir au travail na-
tional, u Bastiat commence par établir que les
matières premières sont, comme les objets fa-
briqués , le produit du travail ; que, dans,
celles-là comme dans ceux-ci, c'est le travair
qui fait toute la valeur ; que l'agriculteur, lors-
qu'il vend du blé, ne se fait pas payer le tra-
vail de la nature, mais le sien; que la dis-
tinction qu'on veut faire sous ce rapport entre
les matières premières et les matières fabri-
quées est futile. Il s'efforce ensuite de mon-
trer que, si l'abondance et le bon marché doi-
vent être considérés comme un avantage pour
la nation, lorsqu'il s'agit des matières dites
premières, il faut voir un avantage en tout
semblable dans l'abondance et le bon marché
des matières fabriquées; qu'il est absurde et
inique de vouloir que l'abondance des unes
soit due à la liberté et la rareté des autres au
privilège ; que le régime de la libre concur-
rence doit être appliqué à tous les produits et
à toutes les industries.
La réputation de Bastiat commençait à gran-
dir. Après les Réflexions sur les pétitions des
ports, il fit paraître successivement le Fisc et
la Vigne (1841), le Mémoire sur la question
vinicole (1843); le Mémoire sur la répartition
de l'impôt foncier dans le département des
Landes (1S44). Dans les deux premiers de ces
opuscules, il attaquait avec vigueur les entra-
ves apportées à l'industrie viticole par l'impôt
indirect, l'octroi et le régime prohibitif, et
émettait des vues remarquables sur le sys-
tème des impôts. « L'abolition pure et simple
des impôts de consommation, disait-il, impli-
querait un gouvernement circonscrit dans sa
fonction essentielle, qui est de maintenir la
sécurité intérieure et extérieure, et n'exigeant
plus que des ressources proportionnées à cette
sphère d'action. » Mais combien nous sommes
éloignés d'une telle tendance! Le temps n'est
donc pas venu de songer à cette abolition, ré-
clamée au nom du principe de l'égalité des
charges. Mais ce qui est d'une opportunité
incontestable, c'est de faire subir à l'impôt in-
direct, encore dans l'enfance, une révolution
analogue à celle que le cadastre et la pér-
équation ont amenée dans l'assiette de la con-
tribution territoriale. La loi rationnelle d'un
bon système d'impôts de consommation est
celle-ci : généralisation aussi complète que
possible, quant au nombre des objets atteints,
modération poussée à son extrême limite possi-
ble, quant à la quotité de la taxe. Il semble
que c'est sur le principe diamétralement op-
posé, limitation quant au nombre des objets
taxés, exagération quant à la quotité de la
taxe, que l'on ait fondé notre système finan-
cier en cette matière. On a fait choix, entre
mille, de deux ou trois produits, le sel, les
boissons, le tabac, et on les a accablés.
La force des choses allait jeter bientôt Bas-
tiat sur un plus vaste théâtre. S'étant, par
hasard , abonné à un journal anglais, the
Globe and Traveller} il avait appris et l'exis-
334 ÈAS
tence de VAnti-corn-law-league et la lutte que
se livraient, en Angleterre, la liberté com-
merciale et le régime protecteur. 11 suivit avec
admiration la marche et les progrès de ce
mouvement, et conçut le projet ae le faire
connaître en France. C'est sous cette impres-
sion qu'il envoya au Journal des économistes
son premier article. Cet article, intitulé : De
l'influence des tarifs anglais et français sur
l'avenir des deux peuples, arrivait du fond des
Landes, sans être appuyé par la moindre re-
commandation. Aussi, lan^uit-il quelque temps
dans les cartons. Mais enfin, sur les instances
de M. Guillaumin, le rédacteur en chef du
journal, M. Dussard jeta les yeux sur ce tra-
vail d'un aspirant économiste. « Il reconnut,
dit M. de Molinari, la touche ferme et vigou-
reuse d'un maître, ex ungue leonem, et s'em-
pressa aussitôt de mettre en lumière ce dia-
mant, qu'il avait pris d'abord pour un simple
morceau de quartz. » L'article parut dans le
mois d'octobre 1844 et obtint un succès com-
plet. On admira la force des arguments, la
sobriété, l'élégance et la vivacité spirituelle
du style. Les maîtres de la science, les Du-
noyer, les Michel Chevalier adressèrent des
félicitations à ce débutant qui, d'emblée, pre-
nait place parmi eux. Dès lors, la vocation de
Bastiat est décidée ; le voilà en communica-
tion permanente avec le public ; sa vie appar-
tiendra désormais tout entière à la propagande
économique. Tout en faisant paraître la pre-
mière série des Sopkismes économiques (v. ce
mot), il se met en rapport avec Cobden et
s'occupe d'écrire l'histoire de la Ligue an-
glaise. Cette histoire fut publiée, au mois de
mai 1845, sous le titre de Cobden et la Ligue
ou VAgitation anglaise pour la liberté des
échanges. « Je me suis permis, écrivit l'auteur
à Cobden, de m'emparer de votre nom, et
voici mes motifs : je ne pouvais intituler cet
ouvrage : Anti-corn-law-league. Indépendam-
ment de ce qu'il est un peu barbare pour les
oreilles françaises, il n'aurait porté à l'esprit
qu'une idée restreinte. Il aurait présenté la
question comme purement anglaise , tandis
u'elle est humanitaire, et la plus humanitaire
e toutes celles qui s'agitent dans notre siè-
cle. Le titre plus simple, \d.Ligue, eût été trop
vague et eût porté la pensée sur un épisode
de notre histoire nationale. J'ai donc cru de-
voir le préciser, en le faisant précéder du nom
de celui qui est reconnu pour être l'âme de
cette agitation. » Une autre lettre de Bastiat
nous apprend que son but, en traduisant et
faisant connaître en France les principaux
discours des orateurs de la Ligue, était tout
à la fois de présenter, sous une forme vive,
variée, accessible à tous, les arguments qu'in-
voque la liberté commerciale, de montrer le
"arti qu'on peut tirer des institutions consti-
tutionnelles pour obtenir une grande réforme,
et de porter un coup vigoureux à ces deux
fléaux de notre époque : l'esprit de parti et
les haines nationales.
L'ouvrage sur Cobden et la Ligue eut un
grand retentissement et valut à son auteur le
titre de membre correspondant de l'Institut.
Ce n'était pas assez pour Bastiat d'avoir
éveillé l'attention de son pays sur le grand
mouvement libre-échangiste qui venait de
triompher en Angleterre-, il voulut que la
France eût aussi sa ligue et son agitation. Le
libre échange lui apparaissait comme une ques-
tion de principe, de justice absolue, et qui de-
vait, au même titre que les questions de poli-
tique, de morale et de religion, exciter les
passions et grouper les dévouements. Une
première réunion eut lieu à Bordeaux, le
23 février 1846 , dans laquelle l'association
bordelaise pour la liberté des échanges fut
constituée. Bientôt, le mouvement se propa-
gea dans toute la France. A Paris, un pre-
mier noyau, formé par les membres de la So-
ciété des économistes, auxquels s'adjoignirent
des pairs de France, des députés, des indus-
triels , des négociants, jeta les bases d'une
association qui devait embrasser le pays tout
entier. Des groupes importants se iormèrent
aussi à Marseille, à Lyon et au Havre. Bas-
tiat comprit que, dans un pays de centralisa-
tion comme le nôtre, l'impulsion devait partir
du centre, et il n'hésita pas à dire adieu à sa
solitude de Mugron pour venir s'établir à Pa-
ris. « Il nous semble encore le voir, raconte
M. de Molinari, faisant sa première tournée
dans les bureaux des journaux qui s'étaient
montrés sympathiques à la cause de la liberté
du commerce. Il n avait pas eu le temps en-
core de prendre un tailleur et un chapelier
parisien; d'ailleurs, il y songeait bien, en vé-
rité I Avec ses longs cheveux et son petit cha-
peau, son ample redingote et son parapluie
de famille, on l'aurait pris volontiers pour un
bon paysan en train de visiter les merveilles
de la capitale. Mais la physionomie de ce cam-
pagnard était malicieuse et spirituelle, son
grand œil noir était vif et lumineux, et son
front, de grandeur moyenne, mais taillé car-
rément, portait l'empreinte de la pensée. Au
premier coup d'oeil, on s'apercevait que ce
Faysan-la était du pays de Montaigne,"et, en
écoutant, on reconnaissait un disciple de
Franklin. » Bastiat ne perdit pas son temps à
Paris. Son activité était prodigieuse. Il don-
nait à la fois des articles de polémique et de
variétés à trois journaux, sans compter des
travaux plus sérieux pour le Journal des éco-
nomistes. Chaque jour, il prenait à partie les
champions de la protection et il leur livrait
des combats à outrance. En même temps, il
faisait des démarches actives pour hâter
l'organisation de l'association parisienne, et il
entretenait une correspondance suivie avec
les associations naissantes de Bordeaux, de
Lyon et de Marseille. Il correspondait aussi
avec Cobden, qui lui avait voué une amitié
toute fraternelle. Sous l'impulsion de cette
conviction ardente, l'opinion s'ébranle à Pa-
ris ; Bastiat est à tout ; la commission centrale
s'organise ; il en est le secrétaire et il en ré-
dige le programme ; on fonde un journal heb-
domadaire, le Libre-Echange ; il le dirige; il
parle dans les réunions; il se met en rapport
avec les ouvriers et les étudiants; il va faire
des tournées et des discours à Lyon, à Mar-
seille, au Havre, etc.; il ouvre, salle Ta-
ranne, un cours d'économie politique pour la
jeunesse des écoles. «Personne, dit M. de
Fontenay, ne peut dire ce que fût devenu ce
mouvement, s'il n'eût été brusquement arrêté
par la révolution de 1848. »
Bastiat accepta la république avec la plus
entière sincérité, mais sans fermer les yeux
sur les difficultés que préparaient à cette forme
de gouvernement les ambitions confuses et
ardentes de rénovation sociale qu'elle amenait
à sa suite. La révolution de février, écrivait-
t-il à M. Coudroy le 29 février 1S48, a été
certainement plus héroïque que cellede juillet ;
rien d'admirable comme le courage, l'ordre,
le calme, la modération de la population pari-
sienne. Mais quelles en seront les suites?
Depuis dix ans, de fausses doctrines, fort en
vogue, nourrissent les classes laborieuses
d'aosurdes illusions. Elles sont maintenant
convaincues que l'Etat est obligé de donner
du pain, du travail, de l'instruction à tout le ,
monde. Le gouvernement provisoire en a fait
la promesse solennelle; il sera donc contraint
de renforcer tous les impôts pour essayer de
tenir cette promesse, et, malgré cela, il ne la
tiendra pas. Je n'ai pas besoin de te dire
l'avenir que cela nous prépare... La curée des
places est commencée, plusieurs de mes amis
sont tout-puissants: quant a moi, je ne mettrai
les pieds à l'Hôtel de ville que comme cu-
rieux ; je regarderai le mât de cocagne, je n'y
monterai pas. Pauvre peuple ! Que de décep-
tions on lui a préparées I II était si simple et
si juste de le soulager par la diminution des
taxes j on veut le faire par la profusion, et il
ne voit pas que tout le mécanisme consiste à
lui prendre dix pour lui donner huit, sans
compter la liberté réelle qui succombera à l'o-
pération! J'ai essayé de jeter ces idées dans
la rue par un journal éphémère, qui est né de
la circonstance; croirais-tu que les ouvriers
imprimeurs eux-mêmes discutent et désap-
prouvent l'entreprise ! ils la disent contre-ré-
oolutionnaire. Comment lutter contre une école
qui a la force en main et qui promet le bon-
heur parfait a tout le monde ? »
Le journal dont il est ici question était
intitulé la République française. Bastiat publia
dans les premiers numéros de cette feuille
plusieurs articles remarquables sur les ques-
tions du moment; il engageait les gouverne-
ments étrangers, et spécialement l'Angleterre,
à donner à la France l'exemple du désarme^
ment; il flétrissait la curée des places, et,
comme, remède à cette plaie, il indiquait la
réduction des fonctions salariées par l'Etat.
Enfin il s'efforçait de lutter contre le socia-
lisme. A la Démocratie pacifique, qui demandait
une lieue carrée de terrain pour expérimenter
son phalanstère, il opposait, le 2 mars, la pé-
tition d'un économiste, qui réclamait, lui aussi,
sa lieue carrée, en affirmant que son expé-
rience ne coûterait rien au gouvernement.
« Notre plan, disait-il, est fort simple. Nous
percevrons sur chaque famille, et par l'impôt
unique, une très-petite part de son revenu,
afin d'assurer le respect des personnes et des
propriétés, la répression des fraudes, des délits
et des crimes. Cela fait, nous observerons
avec soin comment les hommes s'organisent
d'eux-mêmes. Les cultes, l'enseignement, le
travail, l'échange y seront parfaitement libres.
Nous espérons que, sous ce régime de liberté
et de sécurité, cnaque habitant ayant la fa-
culté, par la liberté des échanges, de créer
sous la forme qui lui conviendra la plus grande
somme de valeur possible, les capitaux se for-
meront avec une grande rapidité. Tout capital
cherchant à s'employer, il y aura donc une
grande concurrence parmi les capitalistes.
Donc les salaires s'élèveront; donc les ou-
vriers, s'ils sont prévoyants et économes, au-
ront une grande facilité pour devenir capita-
listes, et alors il pourra se faire entre eux des
combinaisons, des associations dont l'idée sera
conçue et mûrie par eux-mêmes. »
Bastiat fut envoyé à l'Assemblée consti-
tuante, puis à la Législative, par les électeurs
du département des Landes. Il y siégea à la
gauche dans une attitude un peu isolée, mais
entourée du respect de tous les partis, « votant,
a-t-il dit, avec la droite contre la gauche quand
il s'agissait de résister au débordement des
fausses idées populaires : votant avec lagauche
contre la droite quand les griefs légitimes de
la classe pauvre et souffrante lui paraissaient
méconnus. » Membre du comité des finances,
dont il fut nommé huit fois de suite vice-pré-
sident , il s'attacha à y faire prévaloir ses
principes de gouvernement à bon marché. Une
de ses maximes favorites était que le législa-
teur « ne peut rien donner aux uns par une
loi sans être obligé de prendre aux autres par
une autre loi. » Lors de la discussion du préam-
bule de la Constitution, il demanda la parole
contre le droit au travail, mais trop tara pour
l'obtenir. Il concourut à la réduction de l'impôt .
du sel et de la poste. Il prit l'initiative d'une
proposition déclarant incompatible le porte- [
feuille de ministre avec le mandat de député,
et présenta, à l'appui de cette incompatibi- j
lité, des considérations, sinon très-solides, au <
moins fort ingénieuses. A la Législative, il '
Frit deux fois la parole : la première fois sur
impôt des boissons, la seconde sur les coali-
tions d'ouvriers. Il voulait soulager la nation
de l'impôt oppressif et onéreux qui pèse sur
l'une de ses consommations les plus usuelles;
mais il comprenait parfaitement que cela ne
se pouvait faire sans réduire sérieusement le
budget des dépenses. Aussi proposait-il a
l'Assemblée un vaste plan de réformes finan-
cières, comprenant 1 ensemble des services
Îmblics. Dans la discussion relative aux coa-
itions, Bastiat soutint, contre les légistes de
la majorité, et notamment contre M. de Va-
tismesnil, le droit que possèdent les ouvriers
de refuser leur travail soit isolément, soit de
concert, et il démontra qu'en les empêchant,
d'user de ce droit on intervenait contre eux
dans les débats du salaire.
Bastiat n'avait pas appelé la république, et
nous avons vu qu'il attriouait peu d'importance
à la question de la forme du gouvernement ;
mais, à ses yeux, c'était le devoir de tout bon
citoyen de travailler à maintenir des institu-
tions que les représentants du pays avaient
acceptées d'un accord unanime. Lors de l'é-
lection du président, il avait voté pour le
général Cavaignac, parce que ce nom signifiait
clairement, selon lui, paix au dehors, maintien
de la république au dedans, et qu'il ne savait
« ce qu'on pouvait attendre du prince Louis
Napoléon. » Il n'entendait pas « poursuivre un
nouveau but, tenter de nouvelles aventures, -
suivre la réaction dans la voie où elle était
entraînée par l'abus du triomphe, l'irritation,
la colère et la peur. Il avait confiance dans le
suffrage universel, et il ne voulut point le res-
treindre. Eloigné de la tribune par la faiblesse
croissante de ses poumons, il s'appliqua à
combattre par la plume les utopies socialistes,
et à éclairer les masses sur ce qu'il considérait
comme leurs véritables droits et leurs véri-
tables intérêts. Il commença dans ce but la
publication d'une série de pamphlets, qui sont
des chefs-d'œuvre de logique et de style :
Propriété et loi, Justice et fraternité (1848,
brochure in-16); Protcciionisme et commu-
nisme, lettre à M. Thiers (1849, in-16); Capital
et rente (1849, in-16); Paix et liberté, ou le
budget républicain (1849, in-16); Incompati-
bilités parlementaires (1849, in-16): L'Etat,
Maudit argent! (1849 in-16); Baccalauréat et
socialisme (1850, in-16) ; Spoliation et loi (1850,
in-16); La loi (1850, in-16); Ce que l'on voit et
ce que l'on ne voit pas (1850, in-16). Ecoutez
Bastiat, expliquant lui-même à ses commettants
les motifs qui lui ont mis les armes, je veux
dire la plume à la main. « La propriété est
menacée dans son principe même ; on cherche
à tourner contre elle la législation : je fais la
brochure Propriété et loi. On veut fonder la
fraternité sur la contrainte légale : je fais la
brochure Justice et fraternité. On ameute le
travail contre le capital; on berce le peuple
de la chimère de la gratuité du crédit : je tais
la brochure Capital et rente. L'école purement
révolutionnaire veut faire intervenir l'Etat en
toutes choses, et ramener ainsi l'accroissement
indéfini des impôts : je fais la brochure YEtat,
spécialement dirigée contre le manifeste mon-
tagnard. Il m'est démontré qu'une des causes
de l'instabilité du pouvoir et de l'envahisse-
ment désordonné de la fausse politique, c'est
la guerre des portefeuilles : je tais la brochure
Incompatibilités parlementaires. Il m'apparaît
que presque toutes les erreurs économiques
qui désolent ce pays proviennent d'une fausse
notion sur les fonctions du numéraire : je fais
la brochure Maudit argent. Je vois quon va
procéder à la réforme financière par des pro-
cédés illogiques et incomplets : je fais la bro-
chure Paix et liberté, ou le budget répu-
blicain, T Vers la fin de 1849 , le suceè.s
des Pamphlets fournit à Bastiat l'occasion
d'engager et de soutenir eonire Proudhon
une lutte glorieuse, pour laquelle nous ren-
voyons aux mots ÉCHANGE (banque d') et
INTÉRÊT.
A quelque temps de là, Bastint publiait le
premier volume du plus important de ses
ouvrages, les Harmonies économiques.
C'est dans ce beau livre que l'on trouve les
vues les plus originales du célèbre économiste,
notamment une nouvelle théorie de la valeur,
sur laquelle il prétendait asseoir la légitimité
de la propriété (V. HARMONIES ÉCONOMIQUES.)
et quil opposait aux idées régnantes dans
l'école sur ce point. Les Harmonies économi-
ques devaient avoir un second volume. Mal-
heureusement, il n'eut pas le temps d'achever
son œuvre. Atteint d'une maladie du larynx,
il alla vers le milieu de septembre 1850, pour
obéir à l'avis des médecins, demander au
climat de l'Italie une guérison qu'il ne devait
pas obtenir. Il séjourna d'abord à Pise, puis
alla s'établir à Rome, où il mourut le 24 dé-
cembre 1850, après de longues et cruelles
souffrances.
Nous aurons occasion, aux mots LIBRE
ÉCHANGE, MONOPOLE, PROPRIÉTÉ, VALEUR, etc.,
d'exposer et de discuter les doctrines de Bas-
tiat. Bornons-nous à dire ici que l'idée qui
forme, pour ainsi dire, le centre de sa philo-
sophie économique est celle du finalisme, de
l'optimisme appliqué au libre .mouvement des
intérêts. A cette idée fondamentale de l'har- ,
monie spontanée, providentielle dos intérêts,
se rattachent très-logiquement la distinction
lumineuse qu'il établit entre l'utilité et la va-
leur, les conséquences qu'il tire de cette dis-
tinction relativement à la propriété, sa critique
des théories de Malthus et de Ricardo, la
formule : Les services s'échangent contre les
services, qu'il substitue à celle de J.-B. Say :
Les produits s'échangent contre les produits; le
caractère absolu qu il accorde au principe du
libre échange, sa négation radicale de toute
organisation artificielle de la société, qu'elle
s'appelle protection ou socialisme; enfin sa
conception négative de l'Etat, dont il borne
les attributions au maintien de la justice et de
la sécurité, et son système de gouvernement
à bon marché.
Les œuvres complètes de Bastiat ont été
publiées en 1855 (6 vol. Guillaumin) par
M. Paillottet. Une seconde édition, comprenant
un volume de plus, a paru en 1862.

BASTXDAN,
ANE s. (ba-sti-dan, a-no —
rad. bastide). Habitant d'une petite ferme ou
bastide : De belles BASTIDANES, qui en passant
firent de grands éclats de rire. (Mine do Si-
miane). il N'est usité ou'en Provence.

BASTIDAS
(Rodrigue DE), navigateur es-
pagnol de la fin du xv= siècle. La découverte
de Christophe Colomb avait excité en Espa-
gne la passion des voyages d'exploration.
Bastidas fut un des premiers qui marchèrent
sur les traces du grand navigateur. S'étant
associé avec Jean de la Casa, il partit pour le
nouveau inonde, explora la nier des Antilles,
et, ayant jeté l'ancre dans le golfe de Darien,
il donna son nom au port qui prit plus tard
celui de Carthagène. Arrivé à Saint-Domin-
gue, il fut arrêté par ce même Bovadilla, qui
avait déjà envoyé Colomb captif en Espagne.
Sous le prétexte qu'il avait traité avec les In-
diens sans l'autorisation du gouvernement,
Bovadilla lui fit subir le même sort; mais,
de retour dans sa patrie, Bastidas obtint
pleine justice.

BASTIDE
s. f. (ba-sti-de — du prov. l/astir,
bâtir). Petite. ferme ou petit logement de
maître à la campagne, dans les environs de
Marseille : T'out le, chemin qui conduit d'Aix à
Marseille est plein de BASTIDES. (Trév.) Je
suis revenu à pas lents à ma BASTIDE blanche^
aux volets verts. (Balz.) Chaque BASTIDE s'en-
orgueillit aujourd'hui d'un bassin et d'un jet
d'eau. (Th. Gaut.) Ce vallon d'oliviers ren-
ferme quelques BASTIDES vieilles et noires,
comme les peintres les recherchent. (A. Mcyer.)
Les BASTIDES ont, de tout temps, excité la
verve satirique des voyageurs. (T, Dclord.)
— Fortif. Petit ouvrage provisoire, quo
l'on construisait pour les besoins de l'atta-
?ue. il Assiéger par bastides} Elevor des bas-
ides autour de la place assiégée.
— Encycl. C'est dans le midi de la France,
particulièrement dans la banlieue de Mar-
seille, que le mot bastide « enfant de la Pro-
vence a désigna une maison de campagne
placée dans quelque agréable site, où venaient
s'installer, chaque dimanche, ou plutôt le sa-
medi soir, les familles retenues toute la semaino
à la ville par les nécessités du négoce. Méry, en
vers harmonieux, a chanté la Bastide} ce pit-
toresque Buen retiro qui, depuis une vingtaine
d'années, est distancé par la villa. « Aujour-
d'hui, dit M. Bertin, un écrivain marseillais,
nous avons changé tout cela : la villa, la
maison de plaisance, le pied-à-terre luxueux
ont détrôné la bastide. » Cependant la bastide
était en grande faveur, et un poëte provençal
en a tout récemment célébré les agréments
passés dans ces vers :
Monuments fastueux d'orgueil ou de puissance,
Hôtels, palais, châteaux, votre magnificence
N'éblouit pas mes yeux, n'inspire pas mes chants.
Je ne veux célébrer que la maison des champs,
La riante bastide, enfant de la Provence,
Asile du repos et de l'indépendance.
Là, le gros financier et le mince commis,
Pour goûter des plaisirs également promis,
Viennent, l'un en calèche et l'autre en carriole;
Le beau sexe, abjurant la sotte gloriole
Qui, dans notre cité, le gouverne aisément,
Sur un humble baudet arrive doucement.
Voulez-vous admirer les efforts du génie?
Visitez avec moi ma retraite chérie ;
Sur trente pieds carrés vous trouvez réunis :
Petits appartements de meubles bien garnis.
Boudoir, salle à manger, salon de compagnie,
Cuisine appétissante auprès de l'écurie
Et jardin hollandais, où courent deux ruisseaux
Qui vont, lorsqu'il a plu, renforcer de leurs eaux
Un étang poissonneux, mer en miniature.
Ces vers sont d'un brave nourrisson do la
Provence , plutôt que d'un nourrisson des
Muses. Celui-ci
Cuisine appétissante auprès de l'écurie
n'aurait pas mérité la violette d'or aux jeux
floraux, si le cénacle avait été présidé par
Berchoux ou Brillât-Savarin.
Aujourd'hui, la bastide est détrônée en
Provence par le cabanon, mais on la trouve
encore dans le Bordelais.
BASTIDE (LA), bourg de France (Lot),ch.-l.
de cant., arrond. et à 22 k. S.-O. de Gourdon ;
pop. aggl. 778 hab. — pop. tôt. 1,703 hab.
Patrie de Joachim Murât. Ce bourg est aussi
appelé La Bastide-Fortunière ou La Bastide-
MuraÂ*
335

BÀSTIDE-CENON
(LA), bourg de France
(Gironde), arrond. et à 3 kil. de Bordeaux,
dont elle forme comme un faubourg sur la
Garonne; c'est là que se trouve l'embarca-
dère du chemin de fer de Bordeaux à Paris ;
pop. aggl. 6,060 hab. —pop. tôt. 6,817 hab.
BASTIDE-CLA1RENCE (LA), bourg de
France (Basses-Pyrénées), ch.-l. de cant.,
arrond. et à 15 kil. S.-E. de Bayonne; pop.
aggl. 571 hab. — pop. tôt. 1,578 hab. Bonne-
terie, bérets, bas, clouteries et tanneries. H
On y remarque une jolie église paroissiale
avec un beau portail roman.

BASTIDE-DE-SÉROU
(LA), bourg de France
(Ariége), ch.-l. de canton, arrond. et à 17 kil.
N.-O. de Foix, sur la rive droite de l'Arize;
pop. aggl. 1,068 hab. — pop. tôt. 2,717 hab.
Fabrique de bonneterie de laine; filatures,
tuileries, briqueterie, scierie hydraulique.
-Dans les champs voisins on trouve de petits
cristaux isolés de quartz ou cristal de roche
de diverses couleurs; sur la montagne dite la
Garosse, on voit une belle grotte, riche en
stalactites. Ruines du château du Loup.

BASTIDE-LÉVÊQUE
(LA) , bourg et com-
mune de France (Aveyron), canton de Rieu-
peyroux, arrond.et à 8 kil. É. deVillefranehe,
près d'un petit affluent de !'Aveyron; pop.
aggl. 236 hab. — pop. tôt. 3,355 hab.

BASTIDE-ROUAYROUX
(LA), bourg et com-^
mune de France (Tarn), canton de Sainte
Amans-Soult, arrond. et à 38 kil. S.-E. de
Castres, sur la rive droite du Thoré, au pied
de la montagne Noire ; pop. aggl. 1,623 hab.
— pop. tôt. 2,633 hab. Fabrication de bois de
soufflets, de cylindres pour fouler les draps,
de draps lissés et croisés.
BASTIDE (Marc-Antoine DE LA), diplomate
.et publiciste français, né à Milhau vers 1624,
mort en 1704. Issu d'une famille protestante,
il se fit, par la distinction de son esprit, un
zélé protecteur du surintendant Fouquet, fut
nommé en 1652 secrétaire d'ambassade à
Londres, où il resta sept ans, puis il se livra
à des travaux littéraires et à des controver-
ses religieuses, qui lui valurent une grande
réputation parmi ses coreligionnaires. Lors
de a révocation de l'édit de Nantes, Bastide
fut relégué à Chartres ; mais bientôt après il
put passer en Angleterre (1687). On a de lui
deux Réponses à l'exposition de la doctrine
de l'Eglise par Bossuet (1G72 et 1680, in-12);
un Traité de l'Eucharistie (1683). Il a revu la
version en vers des psaumes, par Théodore
de Bèze, Marot et Conrart, ainsi que l'an-
cienne traduction des psaumes en prose
(Amsterdam, 1692) ; et il a cherché à démontrer
que Pelisson était l'auteur du fameux Avis
aux réformés, qu'on attribuait à Bayle.
-— BASTIDE (Jean-François DE), littérateur
français, né à Marseille en 1724, mort à Milan
en 1798. Arrivé fort jeune à Paris, il s'y lia
avec Crébillon fils, Dorât, Voisenon, embrassa
la carrière littéraire et produisit un grand
nombre d'ouvrages écrits d'une plume facile,
mais qui révèlent à chaque page l'esprit su-
perficiel de l'auteur. Parmi ces ouvrages,
aujourd'hui oubliés, et qui firent la fortune de
Bastide, se trouvent des romans : les Confes-
sions d'un fat (1749); la Trentaine de Cythère
(1752) ; les Têtes folles (1753) ; etdes comédies,
des recueils littéraires et moraux : le Nouveau
Spectateur (1758); XElixir littéraire (1766);
le Penseur (1766). Il a commencé en 1757 le
Choix des anciens Mercures, et il rédigea pen-
dant plusieurs années la Bibliothèque univer-
selle des romans.
BASTIDE (JennyDuF0URQUET,dame), femme
de lettres française, connue surtout sous le
pseudonyme de Camille Bodin, née à Rouen
en 1792. Elle débuta en 1821 par la publica-
tion d'un petit poëme intitulé Napoléontine,et
par celle d'un volume de Souvenirs, qu'elle
signa de son nom de famille, ainsi que ses
premiers romans, parmi lesquels nous cite-
rons : les Confessions de ma tante (1825) ; La
belle-mère (1828); Marins et Frédéric (1830);
la Cour d'assises (1832). Elle publia ensuite,
sous le nom de Thalarès Dufourquet : Un
drame au palais des Tuileries (1832); enfin,
sous celui de Camille Bodin : El Albanico
(1833); Un remords (1834) ; Pascaline et Savi-
nie (1835); Une sur mille (1836); Sténia et
l'abbé Maurice (1837); les Mémoires d'un con-
fesseur (1845); Alice de Lostange (1847);
Francine de Plainville (1850), etc. Ces ro-
mans, où l'on remarque des caractères bien
observés, sont écrits d'une plume facile, trop
facile peut-être, et ont valu à leur auteur un
certain renom.
BASTIDE (Jules), homme politique et pu-
bliciste, né a Paris en 1800. Après avoir fait
de bonnes études au lycée Henri IV, il suivit
les cours de l'école de droit, entreprit un
commerce de bois, se jeta avec passion dans
les luttes du grand parti national contre la
Restauration, combattit en juillet 1830, et
figura pendant tout le règne de Louis-Phi-
lippe parmi les adversaires les plus décidés
de la monarchie. Commandant de l'artillerie
de la garde nationale, où s'étaient groupés
les républicains, arrêté à diverses reprises,
condamné à mort pour sa participation à l'in-
surrection des 5 et 6 juin, il s'échappa de
prison, séjourna deux ans à Londres, fut gra-
cié en 1834, et reçut, après la mort de Carrel,
la direction du journal le National, organe de
la fraction bourgeoise du parti républicain.
Des dissentiments, nés de son adhésion au
catholicisme républicain de M. Bûchez, l'obli-
gèrent a quitter cette direction en 1846. Il
fonda alors la Revue nationale, devint en 1848
secrétaire général du ministère des affaires
étrangères, puis fut investi lui-même de ce
ministère après la formation de la commission
executive. Il était en outre représentant du
peuple. Son insuffisance comme homme d'Etat
ne l'empêcha point de garder son portefeuille
tant que le général Cavaignac resta au pouvoir.
Il participa d'ailleurs à tous les actes de réac-
tion contre la démocratie populaire et socia-
liste, et, même après sa chute du pouvoir, il
vota souvent avec la droite, partageant les
rancunes et l'aveuglement de son parti, qui
prépara ainsi le triomphe de la coalition mo-
narchique. Ecrivain de quelque mérite, M. Bas-
tide a donné les ouvrages suivants : De l'édu-
cation publique en France (1847) ; Histoire de
l'assemblée législative (qui s'arrête au premier
volume, 1847) ; la République française et l'I-
talie de 1848 (1858); Guerres de religion en
France (1859, 2 vol.)
BASTIDE (Louis), poète français, né à Mar-
seille vers 1805. Ardent républicain, il se ren-
dit à Paris après la révolution de Juillet, et
se mêla activement à toutes les manifesta-
tions de son parti. En 1832, il fit paraître un
volume de Mélanges poétiques, et tenta, lors
de la défection de Barthélémy, de remplacer
le poète de Némésis, et pendant deux ans, de
1834 à 1835, il publia hebdomadairement des
satires politiques sous le titre de JHsiphone,
quatre volumes. Plusieurs de ces satires lui
attirèrent des condamnations, et, en 1838, la
publication de sa Pythonisse, recueil faisant
suite au premier, fut presque aussitôt inter-
dite. Depuis lors M. Bastide a peu écrit.
Outre les ouvrages cités, nous mentionnerons :
la Vie politique et religieuse du prince de
Talleyrand U838) et les Larmes d'un pri-
sonnier (1854).

BASTIDE-GRAMMONT
(Bernard-Charles),
un des auteurs de l'assassinat commis à Rho-
dez, le t9 mars 1817, sur la personne de Fual-
dès (V. ce mot). Il était fort grand, si l'on en
croit la célèbre complainte, et, d'après la même
source, peu soigneux de sa tenue :
Josion avait des bas ;
Bastide n'en avait pas.
BASTiDON s. m. (ba-sti-don — dim. de
bastide). Petite bastide, appelée aussi CABA-
NON.

BASTIEN
(Jean-François), libraire et agro-
nome, né à Paris en 1747, mort en 1824.
Ayant été reçu dans la corporation des li-
braires en 1771, il se fit connaître par la pu-
blication d'éditions élégantes et correctes d'A-
pulée , de Montaigne, Charron , Rabelais,
Scarron,Boileau, D'Alembert, Plutarque, Lu-
cien, etc. Fort intelligent, il a revu^et publié
la traduction des Lettres d'Héloïse et d^bai-
lard, et fait paraître plusieurs compilations
faites avec soin, telles que la Nouvelle maison
rustique (1798); l'Année du jardinier (1799)];
le Calendrier du jardinier (1805); le Nouveau
manuel du jardinier (1807). On lui attribue le
Nouveau dictionnaire des anecdotes ( 1820,
3 vol. in-18, etc).

BASTIER
s. m. (ba-stié — rad. bast, qui
s'écrivait pour bât). Artmilit. anc. Cheval de
bât qui portait des bagages à la suite des
troupes.

BASTILLE
s. f. (bas-ti-lle, Il mil. — de
bastir, qui s'est dit pour bâtir). Féod. Ou-
vrage détaché de défense ou d'attaque : Ele-
ver une BASTILLE. Les Anglais étaient divisés
dans une douzaine de BASTILLES OU boulevards
qui, pour la plupart, ne communiquaient pas
entre eux. (Michelet.) \\ Château flanque de
tourelles, pour défendre l'entrée d'une ville.
— Particul. Château fort, autrefois établi à
Paris dans le quartier encore appelé de la
Bastille, et qui servit longtemps de prison
d'Etat : La BASTILLE se rendit, après avoir
enduré, pour la forme, cinq à six coups de ca-
non. (De Retz.) Il y avait alors des censeurs
pour ceux qui étaient tentés d'écrire, et la BAS-
TILLE pour les caractères indociles. (Thiers.)
Pour bien écrire sur la liberté, ie voudrais
être à la BASTILLE. (Volt.)
Monsieur, la Bastille est pour moi, Comme un fauteuil chez les quarante; - L'on m'y conduit et l'on m'y plante. Mais, d'honneur, je ne sais pourquoi.
DELMOTTE.
— Par ext. Prison : Un garde du commerce,
car le gracieux arrivant en était un, a peu
l'habitude de conduire ailleurs qu'à la BAS-
TILLE pour dettes. (M. Alhoy).
O sainte égalité! dissipe nos ténèbres, Renverse les verrous, les bastilles funèbres.
A. CHÉNIER.
Les bastilles d'Etat sont nuit et jour gardées;
Les portes sont de fer, les murs ont cent coudées.
V. HUGO.
— Fig. Moyen d'asservissement : Les en-
cyclopédistes du xvme siècle ont démantelé ta
BASTILLE romaine qui servait de geôle aux
consciences. (C. Dollius.)
— Prov. Il ne branle non plus que la bas-
tille, Il est inébranlable.
BASTILLE (LA). On nommait ainsi, en géné-
ral, une sorte de château fort, servant en même
temps de prison pour les criminels d'Etat, qui
s'élevait dans plusieurs villes de France sous
le régime féodal. Mais comme les tristes sou-
venirs que ce mot rappelle se sont individualisés \
surtout dans la Bastille de Paris, celle-ci s'est [
assimilé toute la signification attachée à ces -
prisons-forteresses. Lorsque Charles V se fut
fixé à l'hôtel Saint-Paul, il ne se trouva pas [
suffisamment protégé par les fortifications |
qu'Etienne Marcel avait fait élever à l'extré- ',
mité de la rue Saint-Antoine, et il ordonna la
construction du vaste château fort qui resta
si longtemps debout comme l'emblème tou- '
jours menaçant du despotisme.
Le 22 avril 1369, Hugues Aubrîot, prévôt
des marchands, posa la première pierre du
nouvel édifice qui se composa primitivement
de deux grosses tours rondes, reliées entre
elles par une porte fortifiée. Dans la suite,
pour augmenter les moyens de défense, on y
ajouta deux autres tours, et on les réunit aux
deux premières par de puissantes murailles.
Sous Charles VI, en 1383, le nombre des tours
fut porté à six ; enfin, en 1553, on compléta
cet ensemble formidable par la construction
de deux dernières tours; ce qui .en éleva le
nombre total à huit, qui furent reliées ensem-
ble par d'immenses travaux de maçonnerie
d'une élévation égale, 24 m. environ, sur une
largeur de près de 3 m. Cet immense édifice
était entouré d'un fossé d'une largeur moyenne
de 26 m., et de 8 m. de profondeur. Ces huit
tours étaient dites du Trésor, de la Chapelle ,
du Puits, de la Liberté (antiphrase sinistre),
de la Bertaudière, de la Bassinière, du Coin
et de la Comté. De simple porte fortifiée qu'elle
était d'abord, la Bastille devint ainsi une des
plus puissantes citadelles du monde. La porte
principale regardait la rue Saint-Antoine, fai-
sant face à la rue des Tournelles ; elle était
surmontée des statues de Charles VI, d'Isabeau
et de saint Antoine. La Bastille renfermait
plusieurs cours, entre autres celle où se trou-
vaient les appartements du gouverneur, et la
grande cour, au fond de laquelle s'élevait un
élégant bâtiment habité par l'état-major et par
les prisonniers de distinction.
L'horloge de la Bastille était célèbre : « On
y a pratiqué, dit Linguet, un beau cadran ;
mais devmera-t-on quel en est l'ornement,
?uelle décoration l'on y a jointe? Des fers par-
aitement sculptés. Il a pour support deux
figures enchaînées par le cou, par les pieds ,
par le milieu du corps; les deux bouts de ces
ingénieuses guirlandes, après avoir couru tout
autour du cartel, reviennent sur le devant
former un nœud énorme ; et pour prouver
qu'elles menacent également les deux âges,
1 artiste, guidé par le génie du lieu ou par des
ordres précis, a eu soin de modeler un homme
dans la force de l'âge, un autre accablé sous
le poids des années. »
Comme château fort, la Bastille a joué un
rôle moins considérable que comme prison
d'Etat, et son historique peut se résumer en
quelques lignes.
En août 1418, les Bourguignons s'emparè-
rent de la Bastille, où s'étaient réfugiés les
Armagnacs; ils voulurent les transférer au
Châtelèt, mais, dans le trajet, leurs prisonniers
furent massacrés par la populace furieuse.
En 1436, quand le connétable de Richemond
reprit Paris pour Charles VII, les Anglais et
leurs partisans s'enfermèrent à la Bastille;
pressés par la famine, ils furent bientôt forcés
de capituler et de payer rançon. En 1589, le
ligueur Bussi Leclerc y mit au pain et à l'eau
le président de Harlay et soixante membres
du parlement. Dubourg, qui avait succédé à
Bussi Leclerc comme gouverneur, ne rendit
la forteresse que trois jours après l'entrée
d'Henri IV à Paris. Le roi y plaça les trésors
qu'une sage administration avait su amasser.
« Vers l'an 1610, dit Sully dans ses mémoires,
il y avait pour lors 15,878,000 livres d'argent
comptant dans les chambres voûtées, coffres
et caques étant en la Bastille, outre 10 mil-
lions qu'on avait tirés pour bailler au trésorier
de l'épargne. »
Pendant la minorité de Louis XIV, en 1649,
les frondeurs s'emparèrent de la Bastille après
un siège de deux jours, soutenu par une gar-
nison de vingt-deux hommes. Le 2 juillet 1652,
Condé, après des prodiges de valeur, allait
être écrasé par Turenne, quand Mademoiselle
fit ouvrir la porte Saint-Antoine aux troupes
du prince. « il entra des derniers, comme un
dieu Mars, monté sur un cheval tout couvert
d'écume. Fier encore de l'action qu'il venait
de faire, portant la tête haute et élevée, il te-
nait son épée tout ensanglantée à la main,
traversant ainsi les rues de Paris au milieu
des acclamations et des louanges q-j'on ne
pouvait se dispenser de donner à sa tni:ante
valeur. » Le canon de la Bastille tonna contre
l'armée royale et sauva l'arrière - garde du
prince. Mademoiselle se perdit pour jamais
dans l'esprit du roi, son cousin, par cette ac-
tion violente, et le cardinal Mazarin, qui savait
l'extrême envie qu'avait Mademoiselle d'épou-
ser une tête couronnée, dit alors : « Ce canon-
là vient de tuer son mari. «
Le 14 juillet 1789, la Bastille, assiégée pour
la dernière fois, succombe après quatre heures
de combat.
Comme prison d'Etat, la Bastille-a joué un
rôle marqué-d'une sombre et dramatique acti-
yité ; aussi a-t-elle laissé un nom exécré dans
l'histoire. Les véritables prisons étaient situées
dans les tours , toutes divisées en cinq étages
voûtés, dont chacun contenait une chambre I
octogone, percée d'une seule étroite fenêtre,
dans une muraille de six pieds d'épaisseur. On
pénétrait dans ces chambres, où n'arrivait I
i qu'avec peine un pâle rayon de lumière, par
| deux portes bardées de fer et séparées l'une
- de l'autre par toute l'épaisseur du mur.
On trouve dans les Comptes de la Prévoie
de Paris le détail d'une grande cage de bois :
\ " contenant 3 m. de long sur 2 m. 66 de lé, et
; de hauteur 2 m. 33 entre deux planchers , la-
quelle a été assise entre une chambre, étant
; en l'une des tours de la Bastille Saint-Antoine,
' à Paris, en laquelle est mis et détenu prison-
nier par le commandement du roi (Louis XI),
notre seigneur Guillaume de Harancourt,
évêque de Verdun. »
Ses cachots infects s'enfonçaient jusqu'à 6 m.
66 sous terre; le séjour, néanmoins, n'en
était pas plus homicide et plus redouté que ce-
lui des calottes, situées au sommet des tours,
où les prisonniers avaient à subir un froid en
hiver et une chaleur en été également insup-
portables. Dans aucune de ces prisons, on ne
pouvait faire de feu. LesN appartements ména-
gés dans les massifs de maçonnerie qui reliaient
les tours entre elles étaient plus vastes, plus
confortables, et même munis de cheminées;
mais les précautions les plus minutieuses étaient
également prises pour empêcher la fuite des
prisonniers.
C'est là qu'on enfermait les personnages de
distinction , ou ceux envers lesquels on ne
voulait point user d'une excessive sévérité.
Le personnel de la Bastille se composait,
au xvme siècle, d'un gouverneur, d'un com-
missaire ou lieutenant du roi, d'un major, d'un
médecin, de .chirurgiens, et d'une garnison
d'environ cent hommes, composée d'invalides
et de soldats suisses, à la solde de l'Etat ; enfin,
il y avait encore les conducteurs des voitures
qui amenaient les prisonniers, les geôliers, les
cuisiniers et autres domestiques. L'emploi de
gouverneur de la Bastille était fort lucratif, et
rapportait environ 60,000 livres par an, sans
compter les profits illicites.
Les prisonniers étaient conduits à la Bastille
par des exempts, sur une simple lettre de
cachet « laissée peut-être aux mains d'une
prostituée avec le nom en blanc. » Ils étaient
secrètement introduits dans la forteresse, et
les soldats de garde avaient l'ordre de se dé-
tourner à leur passage, pour ne point voir leur
figure. On les soumettait ensuite à de fréquents
et minutieux interrogatoires, pour tâcher de
surprendre leur secret ou celui de leurs com-
plices, s'ils en avaient. Le traitement qu'on
leur faisait subir dépendait absolument du
bon plaisir du gouverneur. Ils étaient incar-
cérés sans connaître seulement le motif de
leur arrestation, soumis au secret le plus sé-
vère, sans que personne pût s'assurer de leur
existence, ru qu il leur fût permis de recevoir
des nouvelles de leur famille au de leurs amis.
Ils étaient, en un mot, livrés sans jugement à
la brutalité des geôliers, sans espoir que leur
voix pût arriver à personne, « Le régime in-
térieur de la Bastille nous est assez connu
par les nombreux mémoires auxquels elle a
donné lieu, et parmi lesquels on remarque sur-
tout ceux de Linguet, récemment réimprimés.
« Pendant les sept ans que j'ai passés à la
Bastille, dit M". Pelîssery, cité par Linguet, je
n'y avais point d'air durant la belle saison ; en
hiver, on ne me donnait, pour réchauffer ma
chambre glaciale, que du bois sortant de l'eau.
Mon grabat était insupportable, et les couver-
tures en étaient sales, percées de vers. Je bu-
vais ou plutôt je m'empoisonnais d'une eau
puante et corrompue. Quel pain et quels ali-
ments on m'apportait! des chiens affamés n'en
auraient pas voulu. Aussi mon corps fut-il
bientôt couvert de pustules; mes jambes s'ou-
vrirent, je crachai le sang et j eus le scor-
but. Les cachots ne recevaient l'air et le jour
que par un étroit soupirail, pratiqué dans un
mur de 5 m. d'épaisseur, et traversé d'un tri-
ple rang de barreaux, qui ne laissaient entre
eux que des intervalles de 0 m. 05. Les plus
belles journées ne laissaient transpirer jus-
qu'au détenu qu'une faible lumière. En hiver,
ces caves funestes sont des glacières, parce
qu'elles sont assez élevées pour que le froid y
pénètre ; en été, ce sont des poêles humides ou
l'on étouffe, parce que les murs sont trop épais
pour que la chaleur puisse les sécher. Il y en a
une partie, et la mienne est de ce nombre, qui
donnent directement sur le fossé où se dégage
le grand égout de la rue Saint-Antoine. Il s'en
exhale une infection pestilentielle, qui, engouf-
frée dans ces boulins, qu'on appelle chambres,
ne se dissipe que très-lentement. C'est dans
cette atmosphère qu'un prisonnier respire.
C'est là. que, pour ne pas étoufler entièrement,
il est obligé de passer les nuits et les jours,
collé contre la grille intérieure du soupirail,
par lequel coule jusqu'à lui une ombre de jour
et d'air; mais il ne réussit bien souvent qu'à
augmenter autour de lui la fétidité qui le suf-
foque. » Tel était ce dernier boulevard de la
tyrannie. » L'histoire de la Bastille , prison
d'Etat, dit M. Mongin, comprendrait, à la ri-
gueur, tout le mouvement intellectuel et poli-
tique de la France. Dans ses cachots ont com-
paru tour à tour Hugnes Aubriot lui-même,
fondateur de la Bastille, qui expia par une
détention perpétuelle sa prétendue hérésie, et
ses relations d'amour avec une juive; et Jac-
ques d'Armagnac, duc de Nemours, en 1475;
et tant de hauts et puissants barons au temp3
de Louis XI et de Richelieu. Là ont comparu
| le maréchal de Biron, et Fouquet, le surinten-
dant des finances, et les empoisonneurs de qua-
lité sous Louis XIV. Les dernières résistances
I de la féodalité et de l'aristocratie sont allées
336
mourir là; ensuite, c'est le tour du peuple. A
la place des martyrs du passé viennent s'as-
seoir, sur les dalles de la Bastille, les martyrs de
. la Révolution , les précurseurs de la Républi-
que à venir. Lors delà révocation de l'édit de
- Nantes, la Bastille s'encombra de protestants.
Là ont été ensevelis les jansénistes et les con-
vulsionnaires de Saint-Médard, et la pauvre
épileptique Jeanne Lelièvre, accusée oie con-
vulsions, et le vieillard plus que centenaire,
avec la petite fille de sept ans 1 Là a souffert,
jusqu'à Véchafaud, le brave gouverneur de
l'Inde Lally, coupable d'offense envers les
courtisans » Ajoutons à ce martyrologe
les noms de Lenglet-Dufresnoy, de "Voltaire,
de Linguet, de Latude, cette populaire vic-
time de la Pompadour, du Masque de fer , de
La Bourdonnais,de LaChalotais, de Richelieu,
de Le Maistre de Sacy, et d'une infinité d'au-
tres appartenant à tçutes les classes de la so-
ciété.
La Bastille était donc, pour le peuple de
Paris, l'emblème toujours menaçant de l'arbi-
traire et de l'oppression ; elle rappelait les let-
tres de cachet prodiguées par des ministres
impitoyables ou des favoris insolents, les souf-
frances d'une foule de prisonniers enterrés
vivants dans cette sombre enceinte, coupables
d'avoir parlé légèrement d'une maîtresse ou
d'un valet du roi. Voilà pourquoi ce peuple
inaugura le nouveau droit des nations en pre-
nant la Bastille, le M juillet 1789, et en la ra-
sant jusque dans ses fondements.
Des fragments de ses pierres ornèrent, en
médaillons, le cou des femmes, et la munici-
palité fit célébrer l'année suivante, sur son
emplacement, une fête patriotique, à laquelle
assistèrent les députés des départements.
Sur cet emplacement s'élève aujourd'hui
une colonne en bronzp, surmontée du génie de
la Liberté, et qui fut érigée, sous le règne de
Louis-Philippe, en mémoire de la Révolution
de 1789 et des journées de Juillet 1830.
Le nom de Bastille est toujours pris main-
tenant en mauvaise part, et désigne soit une
prison où le despotisme ensevelit ses victi-
mes , soit une forteresse destinée à contenir
le peuple plutôt qu'à défendre le pays contre
l'ennemi.
BASTILLE (PRISE DE LA), 14 juillet 1789.
Cette grande journée, qui assura le triomphe
de la Révolution et fut comme le jugement
dernier de l'ancien régime et l'inauguration
de l'âge nouveau, cette victoire mémorable
qui brisa pour» jamais le despotisme et la
vieille France, fut entièrement l'œuvre du
peuple. Les hommes politiques, les sages, les
habiles, plongés dans les plus cruelles incer-
titudes, en voyant l'attitude menaçante de la
cour et Paris enveloppé de troupes étrangè-
res, ne prévoyaient que des catastrophes et
n'eussent osé rêver une attaque, bien moins
encore une victoire. Le peuple seul eut la foi ;
il voulut obstinément la lutte, sentant, par une
sorte d'instinct, que la terre allait se dérober
sous ses pieds; et il se trouva que cette im-
prudence, cette témérité était la sagesse même,
bans la victoire de Paris, en eflet, l'Assem-
blée était dissoute, les patriotes anéantis, la
Révolution perdue, ou tout au moins indéfini-
ment ajournée.
La noblesse, la cour, le parti du passé ne
cachait ni ses projets ni ses espérances, et
poursuivait avec une fougue insolente ses
préparatifs de guerre. * S'il faut brûler Paris,
disait Breteuil, on le brûlera! - Le vieux ma-
réchal de Broglie, l'Achille septuagénaire de
la vieille monarchie, commandait les forces
de la contre-révolution. Sous l'inspiration de
la reine, la faction fit fabriquer secrètement
une monnaie de papier (Bailly, Mémoires),
c'est-à-dire, dans l'espèce, une fausse mon-
naie ; la banqueroute allait devenir un instru-
ment de guerre.
D'un autre côté, l'agitation était extrême
parmi les patriotes, qui se sentaient environ-
nés de trahisons et de dangers. Les gardes
françaises, leur attitude le dit assez, marche-
ront avec la nation ; mais Versailles et Paris
sont enveloppés de régiments étrangers; on
dirait une invasion autrichienne et suisse.
Royal-Cravate est à Charenton, Reinach et
Diesbach à Sèvres, Nassau à Versailles, Sa-
lis-Samade à Issy, les hussards de Bercheny
à l'Ecole militaire; ailleurs, Châteauvieux,
Esterhazy, Rœmer, etc.
Echo de l'émotion publique, l'Assemblée
nationale, sur la motion de Mirabeau, de-
mande au roi l'éloignement de ces troupes
{8 juillet). Le monarque répond, quelques
jours après, à cette requête par le renvoi de
Necker, le ministre populaire. Cette nouvelle
tombe sur Paris, le dimanche 12 juillet, comme
une étincelle sur un baril de poudre. Le Pa-
lais-Royal, espèce de quartier général de la
Révolution, prend une physionomie formida-
ble. A ce moment, il était midi, on entrait
dans la canicule , un soleil ardent dardait ses
feux sur les ardoises du monument royal. Tout
à coup, un rayon frappe le miroir placé au
méridien du jardin et met le feu au petit ca-
non, amusement habituel des promeneurs. Ce
fat comme un signal. Dans 1 élan d'une su-
perstition héroïque, le peuple pousse un grand
cri. Un jeune homme, qui n'est encore pour
la foule qu'un inconnu, mais que l'histoire
nommera Camille Desmoulins, se précipite du
café de Foy, escalade une table avec la vi-
gueur et l'agilité de ses vingt ans, et prononce
une harangue enflammée, a Citoyens 1 il n'y a
BAS
pas un moment à perdre. J'arrive de Ver-
sailles : Necker est chassé; ce renvoi est le
tocsin d'une Saint-Barthélémy de patriotes.
Ce soir, tous les bataillons suisses et alle-
mands sortiront du Champ de Mars pour nous
égorger. Il ne nous reste qu'une ressource,
c'est de courir aux armes et de prendre des
cocardes pour nous reconnaître Quelles
couleurs voulez-vous?... le vert, couleur de
l'espérance, ou le bleu de Cincinnatus, couleur
de la liberté d'Amérique et de la démocratie ?
— Le vert! le vert! -> crie la foule. Alors le
bouillant jeune homme, qui ce jour-là parlait
sans bégayer, reprend d'une voix éclatante :
« Amis! le signal est donné! Je vois d'ici les
espions et les satellites de la police, qui me
regardent en face. Je ne tomoerai pas du
moins vivant entre leurs mains. Que tous les
citoyens m'imitent! » Et il agite deux pisto-
lets, met un ruban vert à son chapeau et des-
cend de sa tribune improvisée. Une immense
acclamation répond à ce brûlant appel. En un
instant tous les arbres du jardin sont dépouil-
lés de leurs feuilles, dont les citoyens se font
des cocardes. On saitque,le lendemain, le vert
fut abandonné, comme étant la couleur de
d'Artois, et qu'on arbora les couleurs de Pa-
ris , le rouge et le bleu, auxquelles le blanc
de la royauté s'ajouta ensuite pour compléter
cette cocarde fameuse qui devait faire le tour
du monde, ces trois couleurs qui répondent si
bien à la fameuse triade républicaine : liberté,
égalité, fraternité! Le bleu, symbole de l'es-
pérance, rayon qui doit brûler, sans jamais
s'éteindre, au fond du cœur et y faire éclore
un jour la liberté; le rouge, qui figure le sang
que chacun doit toujours être prêt à répandre
pour affranchir son frère gémissant sous l'op-
pression, fraternité; le blanc, image de can-
deur, de pureté, d'innocence, négation de
toutes les nuances, qui les renferme, les con-
fond et les fait disparaître toutes en elle :
égalité.
Avant de poursuivre, arrêtons-nous un mo-
ment sur l'improvisation enflammée de Ca-
mille*, de ce collégien qui portait encore aux
basques de son habit la poussière des bancs
où 1 on venait de lui expliquer les discours de
Cicéron et les harangues de Démosthène.
Nous voudrions qu'on donnât chaque année
ce discours pour sujet de composition à tous
les jeunes rnétoriciens de nos lycées.
Après l'explosion du Palais-Royal, tout
Paris est bientôt en feu. On fait fermer les
théâtres, comme en un jour de deuil. Le peu-
ple s'arme de tout ce qui lui tombe sous la
main. Les bustes de Necker et du duc d'Or-
léans, les idoles de l'heure présente, sont pro-
menés dans les rues, voilés de crêpes noirs.
Des détachements de gardes françaises se
réunissent à là foule. Une charge de dra-
gons, commandée par le prince de Lambesc,
renverse plusieurs personnes dans le jardin
des Tuileries et porte l'exaspération au com-
ble. Des engagements ont lieu sur divers
points. Le feu est mis aux barrières. A 6 heu-
res du soir, les électeurs se réunissent pour
prévenir le tumulte. Dans la nuit, ils s*e con-
stituent et convoquent les assemblées de dis-
trict. Par deux arrêtés, affichés dès le matin
du 13, ils forment une milice bourgeoise a pour
veiller à la sûreté publique » et arrêter les
désordres. Ils interdisent les attroupements et
enjoignent à tous individus munis de fusils,
pistolets, etc., de les déposer dans les dis-
tricts pour arme la milice. Ces représentants
de la bourgeoisie parisienne, qui s'étaient si
résolument saisis du pouvoir municipal, hési-
taient en ce moment suprême et reculaient
devant la responsabilité d'autoriser le mouve-
ment. Mais le peuple, tout en reconnaissant
leur dictature improvisée, ne suivait heureu-
sement point leurs conseils énervants. Ce
Seuple, né d'hier à la vie politique, montra
'autant plus d'énergie que ses représentants
paraissaient plus indécis. Avec une intelligence
très-nette de la situation, il sentit que le salut
était dans l'action révolutionnaire et n'était
que là. A toutes les exhortations; il n'opposait
qu'un argument, et c'était un cri de combat :
des armes! des armes! Le prévôt des mar-
chands, de Flesselles, qui présidait les élec-
teurs, ne faisait à ces demandes que des ré-
fionses évasives, ou fatiguait les citoyens en
eur indiquant des dépôts qui n'existaient pas.
Malgré l'ordre donné d'évacuer l'Hôtel de
ville, le peuple en remplissait toutes les salles.
On délibérait sous ses yeux et sous sa pression.
La nuit avait été assez calme, quoique per-
sonne n'eût dormi dans la grande cité; et le
solf-ii du lundi 13 n'était pas encore levé, que
le tocsin sonnait dans toutes les églises, pen-
dant que le tambour assemblait les citoyens
dans tous les quartiers. Des compagnies se
forment confusément sous les noms de volon-
taires du Palais-Royal, des Tuileries, de la
Basoche, de l'Arquebuse, etc. Les femmes fa-
briquent des cocardes bleu et rouge ; les for-
gerons martèlent des piques pour armer le
peuple (on en forgea cinquante mille en trente-
six heures) ; dans les églises, les citoyens for-
ment des assemblées tumultueuses pour es-
sayer de donner une organisation régulière au
mouvement; le Garde-meuble est envahi, et
les quelques armes qu'il contenait sont enle-
vées; Saint-Lazare est forcé, et la foule y
trouve une masse énorme de farine, que les
bons pères (en ce temps de disette) y avaient
entassée; on en charge plus de cinquante
charrettes, que des hommes demi-nus et affa-
més conduisent fidèlement à la halle ; on dé-
BAS
livre les prisonniers pour dettes, à la Forcé,
mais le peuple réprime rudement la révolte
des malfaiteurs du Chatelet, afin de bien mon-
trer qu'il protège le malheur, mais qu'il
abhorre le crime. Partout, d'ailleurs, ce peu-
ple mettait un soin vigilant, et quelquefois
cruel, pour empêcher qu'on déshonorât la
cause de la Révolution; et, pour ne citer
qu'un exemple, à Montmartre, les indigents
employés aux ateliers de charité pendirent un
pauvre diable qui avait volé une poule. Les
électeurs, comme nous l'avons dit, avaient
décrété la formation d'un milice bourgeoise,
dans la pensée secrète de contenir le peuple,
tout aussi bien que d'intimider la cour. Ils
nommèrent encore un comité permanent, pour
veiller nuit et jour à l'ordre public. Evidem-
ment, ils ne cherchaient qu'à gagner du temps,
à dégager leur responsabilité, à se faire en
quelque sorte pardonner leur prise de posses-
sion du gouvernement municipal. A chaque
instant, ils croyaient voir arriver Broglie et
les troupes étrangères : de là leurs hésita-
tions , leur conduite longtemps équivoque,
leurs mesures contradictoires et leurs fluctua-
tions. Mais, nous le répétons, heureusement
pour la Révolution, heureusement pour eux-
mêmes, le peuple, trouvant en eux son prin-
cipal obstacle, poursuivit sans eux l'œuvre
libératrice et finit par les entraîner dans son
mouvement.
D'heure en heure, les préparatifs de combat
se poursuivent avec une énergie dévorante.
On amène à la place de Grève tout ce qui est
saisi, voitures arrêtées aux barrières, armes,
sacs de blé, mobiliers et jusqu'à des troupeaux
de bœufs et de moutons. Paris est un camp :
les citoyens des districts, les hommes des fau-
bourgs, la jeunesse, les élèves du Chatelet,
l'école de chirurgie, Boyer en tête, toute la
Basoche, affluent à l'Hôtel de ville et jurent
de mourir pour la nation et de défendre Paris
contre les Croates, les Allemands et les Suis-
ses. Vers 3 heures, aux acclamations univer-
selles, les gardes françaises abandonnent en
masse leurs officiers et viennent se joindre
aux citoyens. De Flesselles, pressé de toutes
parts relativement au dépôt de fusils formé
précédemment par Berthier, continue la dan-
gereuse comédie de ses mystifications. Il an-
nonce^ envoi de la manufacture de Charle-
ville. En effet, des caissons traversent la ville,
portant en grosses lettres cette indication :
Artillerie. On s'en empare, on les ouvre... et
on les trouve remplis de chiffons 1 Des cris de
trahison retentissent dans toute la ville. Mais
bientôt le peuple, dont la vigilance ne dor-
mait pas, découvre cinq milliers de poudre,
qu'on allait faire filer secrètement de Paris
sur des bateaux, et apprend, le soir même,
l'existence d'un dépôt de fusils aux Invalides.
La poudre fut apportée à l'Hôtel de ville, où
un électeur, l'intrépide abbé Lefebvre d'Or-
messon, au milieu des furieux qui se la dispu-
taient, se chargea de la périlleuse mission de
la garder et de la distribuer. Malgré les coups
de feu qui éclataient au-dessus des tonneaux
ouverts, cet homme héroïque demeura vingt
heures sur ce volcan, et préserva probable-
ment l'édifice de la ruine et des milliers de
citoyens de la mort. La nuit se passa dans
ces agitations formidables; toutes les maisons,
illuminées, inondaient de clarté la ville, qui
retentissait du pas des patrouilles bourgeoises
et du bruit des marteaux forgeant les piques
sur l'enclume.
Au milieu de ces événements, Bessnval et
ses Suisses n'avaient pas bougé du Champ de
Mars et de l'Ecole militaire ; Broglie n'avait
pas donné d'ordre. Cette inaction inconceva-
ble tenait sans doute à l'anarchie qui régnait
dans le conseil (où un seul point était bien
arrêté, la dissolution de l'Assemblée natio-
nale), et probablement aussi aux illusions de
la cour, qui ne voyait qu'avec mépris ces mou-
vements populaires et n'admettait pas que la
pacifique population de Paris pût opposer une
résistance sérieuse, d'autant plus que l'on
comptait sur un terrible auxiliaire, la famine ;
car on interceptait, depuis la veille, les con-
vois de vivres et de farine.
L'Assemblée nationale, environnée de hor-
des étrangères, menacée de dissolution et
d'enlèvement, désarmée, sans autre appui que
la loi, n'ayant obtenu du roi qu'une réponse sè-
che et hautaine à ses réclamations, avait con-
servé la plus noble attitude et décrété solennel-
lement : 1<> que Necker emportait les regrets de
la nation; 2" qu'elle ne cesserait d'insister sur
l'éloignement des troupes étrangères ; 3° que
les conseils du roi, de quelque rang qu'ils pus-
sent être, étaient personnellement responsa-
bles des malheurs qui pourraient arriver ;
40 que nul pouvoir n'avait droit de prononcer
l'infâme mot de banqueroute et de manquer à
la foi publique.
En de telles circonstances, rien de plus ma-
jestueux sans doute que ces déclarations éner-
giques; mais il est évident qu'il fallait le sou-
lèvement et la victoire de Paris pour leur
donner un effet, dans le présent et un écho
dans l'avenir. Et cependant, dans la grande
Assemblée, personne peut-être n'eût osé con-
seiller de recourir à de telles extrémités.
L'aube du 14 se leva lumineuse et sereine
sur Paris, pour éclairer le plus grand événe-
ment des temps modernes. Hier, on ne son-
geait encore qu'à se défendre; aujourd'hui,on
sent que l'attaque est la seule voie de salut.
La ville, cernée par des campements barba-
res, est menacée tout à la fois de la famine et
BAS
de l'extermination. Il faut vaincre, et vaincre
en un seul jour. Le mouvement avait été jus-
u'alors confus, désordonné; le voici qui se
essine avec une physionomie terrible, qui se
précise et s'accentue avec une nette é formi-
dable. Une idée s'était levée sur J' ris avec
le jour, une lumière avait frap' tous les
esprits ; un seul cri retentit dam rues de
la grande cité : A la Bastille !
Cependant, la plupart des citoy _ -'avaient
point de fusils. Malgré le camp du Champ de
Mars, on se précipite aux Invalides, gardés par
le vieux Sombreuil et défendus par du canon.
Avant 9 heures, trente mille hommes étaient sur
l'esplanade. En tête était le procureur de la
ville, Ethis de Corny, que le comité des élec-
teurs n'avait osé refuser. Cette foule était l'élite
du peuple, de la jeunesse et de la bourgeoisie,
la rieur de la cité. On y voyait le curé de Saint-
Etienne-du-Mont, marchant intrépidement à
la tête de son district; les élèves de la Baso- ~
che, avec leur vieil habit rouge; Camille Des-
moulins et ses volontaires du Palais-Royal,
qui ne l'avaient pas quitté un seul instant ; les
gardes françaises, les corps de métiers, les
écoles, etc. Sombreuil arrêta quelque temps
la foule à la grille, par des pourparlers cap-
tieux. Heureusement, quelques citoyens plus
clairvoyants empêchèrent le peuple d'être
ainsi mystifié; à leur voix, on se jette dans
les fossés, on désarme les sentinelles, on en-
-yahit l'hôtel. Vingt-huit mille fusils furent
trouvés dans les caves, cachés sous la paille,
et enlevés avec vingt pièces de canon. Et
maintenant, Paris est armé : les Allemands
peuvent venir! Les rues, les quais, les ponts,
tes boulevards, ressemblent à une mer écu-
mante, soulevée par tous les vents ; des pavés
sont montés dans les maisons; les rues sont
barricadées; les femmes, signe caractéristi-
que, acclament les combattants et distribuent
des cocardes; les volontaires nationaux s'or-'
gjanisent ; les gardes françaises enseignent hâ-
tivement aux citoyens le maniement du fusil ;
et partout, et toujours, retentit le même cri,
qui sort de la poitrine d un peuple entier : A la
Bastille! La foule le crie à la foule; les en-
fants le répètent au milieu des transports ; les
échos de la cité le répercutent avec une so-
norité terrible; et dans les éclatantes vibra-
tions du tocsin qui sonnait à tous les clochers,
tous entendaient distinctement l'airain mugir
dans la nue : A la Bastille!
a Et qu'importait la Bastille à ce peuple ?
ont répété les sceptiques, les petit3 esprits.
Les hommes du peuple n'y entrèrent presquo
jamais; c'était une prison en quelque sorte
patricienne. La Bastille des pauvres, c'était
Bicêtre... -
Mais c'est là précisément ce qui fait la gran-
deur de ce mouvement ; l'âme de la France
éclate ici dans sa bonté héroïque, dans .sa_
droiture et sa générosité. Rien d'exclusive-
ment personnel dans ce magnifique élan. Ce
qui fait explosion dans le cœur du peuple,
c'est le sentiment de la justice, la haine du
despotisme ; ce qui parle, c'esc la voix de l'hu-
manité, le cri de la miséricorde et de la pitié.
La Bastille avait son histoire mystérieuse et
lugubre, que tous connaissaient par une tra-
dition de terreur et de.haine. Prison, forte-
resse et tombeau, instrument de tyrannie, elle
était maudite de père en fils par tous ceux
qui, chaque jour, passaient et repassaient dans
1 ombre de ses huit tours. Le monde entier
partageait cette haine ; Bastille et despotisme
étaient, dans toutes les langues, deux mots
synonymes. La terre était couverte de bas-
tilles; mais celle-là, c'était la Bastille par
excellence, tout à la fois un symbole et une
réalité terrible. A la nouvelle de sa ruine,
toutes les nations se crurent délivrées. Sans
parler des drames lugubres des vieux temps,
passés à l'état de légendes, les révélations de'
Linguet, de Mirabeau, la lamentable histoire
de Latude, la multiplication des lettres de
cachet, l'emprisonnement des philosophes et
des libres esprits, tant d'odieuses persécu-
tions de famille, avaient augmenté l'horreur
publique. Chose étrange! sous le règne de
Louis XVI, cette prison avait été moins peu-
plée, mais le régime était devenu plus dur; lo
jardin avait été supprimé, la promenade ôtée
aux prisonniers, la ration de bois tellement
diminuée qu'on y mourait de froid en hiver,
tandis que, par la rapacité du gouverneur,
on y mourait de faim en toute saison. En
1784, on avait arraché au roi, en même
temps que la délivrance de Latude, une or-
donnance qui prescrivait aux intendants de
ne plus enfermer personne à la requête des
familles, sans raison motivée, et sans que le
temps de la détention demandée fut indiqué.
Ceci passa pour une grande réforme, et il y
eut des gens pour trouver que c'était le ren-
versement de tous les principes. On peut ju-
ger de ce qui se passait auparavant. Mais cette
ordonnance même était lettre morte ; les maî-
tresses des ministres, le lieutenant de police,
les commis même et les espions continuaient
à vendre des lettres de cachet, au prix déter-
miné par le cours, car cela était coté comme
toute autre valeur. La liberté, la vie des ci-
toyens, était une marchandise, dont on trafi-
quait à bureau ouvert.
La Bastille était donc condamnée dans l'opi-
nion publique, et condamnée depuis longtemps.
Aux motifs que nous venons d'indiquer, il tant-
encore ajouter que la vieille forteresse écrasait
la rue Saint-Antoine et le faubourg, suivant
l'énergique expression de L.inguet, et qu'elle
, 337
dominait Paris. Sa destruction était donc une
bonne opération stratégique, en même temps
qu'elle était une œuvre de haute moralité. Le
règne de la justice et de la loi ne pouvait
s'inaugurer d'une manière plus éclatante que
par la ruine de cette caverne de l'arbitraire
et de la tyrannie.
Cependant, dès neuf heures, au bruit du toc-
sin et de la générale, tout Paris roulait comme
un torrent vers la Bastille. Le gouverneur, de
Launay, avait, depuis plusieurs jours, fait ses
préparatifs de défense. Outre les quinze ca-
nons braqués sûr les tours, il en avait placé
dans la cour intérieure. Les meurtrières, les
embrasures, avaient été préparées pour la
défense et garnies de fusils de rempart, qu'on
nommait les amusettes du comte de Saxe. Six
voitures de pavés, de boulets et de ferrailles
avaient été montées dans les tours pour
écraser les assaillants. Quatre cents biscaïens,
quatorze colfrets de boulets ensabotés, trois
mille cartouches, complétaient le matériel de
la défense. La garnison n'était que de .cent
quatorze hommes, dont trente-deux suisses de
Salis-Samade et quatre-vingt-deux invalides,
d'ailleurs tous soldats aguerris; mais cette
faible garnison était suffisante pour ladéfense,
et, derrière les meurtrières et les doubles et
triples grilles, elle pouvait en toute sûreté
faire un affreux carnage des assiégeants. La
forteresse était, en réalité, imprenable pour
le peuple, qui n'avait ni le temps, ni les moyens
de faire un siège régulier; et ses batteries
pouvaient aisément démolir le Marais , le
quartier et le faubourg Saint-Antoine. Aussi,
ces terribles éventualités troublaient-elles le
comité de l'Hôtel de ville, qui envoya une dé-
putation au gouverneur, pour lui promettre
qu'on ne l'attaquerait pas s'il retirait ses ca-
nons et ne commençait point les hostilités.
C'était s'avancer beaucoup et disposer assez
légèrement de l'indignation populaire. Un
homme plus hardi, Thuriot de la Rozière,
électeur de Sairit-Lnuis-la-Culture , et plus
tard conventionnel, vint audacieusement, au
nom de son district, sommer le gouverneur
(le rendre la forteresse. IL est introduit, il
étonne, il effraye de Launay, il ébranle la
partie française de la garnison, il demande
enfin que la milice bourgeoise soit admise à
occuper la Bastille conjointement avec la
troupe. Mais déjà cette combinaison n'était
plus à la hauteur des circonstances, et Thu-
riot, en se retirant, fut menacé par le peuple,
qui ne voulait pas qu'on occupât la Bastille,
mais qu'on la détruisît. Peu d instants après,
l'action s'engagea. Quelques citoyens coura-
geux, s'introduisant par le petit toit d'un corps
de garde, parviennent à sauter dans la pre-
mière cour et brisent à coups de hache les
chaînes du pont-levis. La foule se précipite.
On n'était encore que dans la cour extérieure,
celle où le gouverneur avait son hôtel. Une
longue avenue conduisait au fossé et au pont-
levis de la Bastille. Des meurtrières et du
sommet des tours, un feu terrible moissonnait
les assaillants, dont les coups ne pouvaient
atteindre la garnison derrière ses épaisses
murailles. Un funèbre enthousiasme s'était
emparé des citoyens, et, de minute en minute,
la foule augmentait autour de la vieille forte-
resse. On y voyait jusqu'à des prêtres et des
femmes.
Une deuxième députation des électeurs,qui
vient sommer de Launay de recevoir un dé-
tachement de la milice pour garder la place
de concert avec la garnison, ne peut pénétrer
jusqu'à lui. En ce moment, le peuple met le
feu à plusieurs voitures de fumier, pour incen-
dier les bâtiments qui masquent la forteresse,
et pour asphyxier les assiégés. Des fenêtres
et des toits des maisons voisines, on tirait
sans interruption. Mais tout cela n'amenait
aucun résultat. Une troisième députation des
électeurs se présente, en agitant un drapeau
de paix. La garnison arbore un drapeau blanc
sur la plate-forme, et les soldats renversent
leurs fusils. En cet instant, suivant quelques
récits contemporains, un officier suisse aurait
fait passer, par un créneau7 un billet ainsi
conçu : a Nous avons vingt milliers de poudre,
et nous ferons sauter le fort, la garnison et
tout le quartier, si vous n'acceptez point la
capitulation. * Une planche avait été jetée
sur le fossé. Un homme s'élance sur ce pont,
et tombe, frappé d'un coup de feu, dit-on. Un
autre le remplace (les uns nomment Maillard,
les autres Elie), et parvient à saisir le billet.
Les commissaires de l'Hôtel de ville, confiants
dans les démonstrations pacifiques de la gar-
nison, engageaient déjà le peuple à se retirer,
lorsque, tout à coup, une décharge de mous-
queterie partit du fort et fit un grand ravage
parmi les citoyens. Vraisemblablement, c'é-
taient les suisses, qui étaient en bas avec de
Launay, qui avaient tiré, sans tenir compte
des signes de paix et de fraternité que fai-
saient les invalides. Mais la garnison entière
subit la solidarité de cet acte sanglant. L'exal-
tation du peuple tourne à la fureur; un mot
fut dit, que.tous répétèrent : « Nos cadavres
combleront les fossés 1 » Et, sans se décou-
rager jamais , ils se ruaient obstinément à
travers la fusillade contre ces tours meur-
trières, pensant qu'à force de mourir ils arrive-
raient à les renverser. Enfin, les gardes fran-
çaises forcèrent les commandants de ville à
donner cinq des canons qui avaient été ame-
nés des Invalides, et les mirent en batterie
devant le pont-levis de la forteresse.
Cependant, à l'intérieur de la Bastille, le
trouble et la confusion étaient parmi les as-
siégés. La honte de cette guerre sans danger,
l'horreur de verser ie sang français, qui ne
touchait guère les suisses, finirent par faire
tomber les armes des mains des invalides.
Leurs sous-officiers supplièrent le gouver-
neur de cesser un carnage odieux et une ré-
' sistance dont on pouvait prévoir l'inutilité.
D'ailleurs, si l'on avait d'immenses munitions,
on manquait de vivres, et le flot sans cesse
grossissant de la multitude, l'ardeur et l'exal-
tation des assiégeants, montraient assez que
c'était Paris tout entier qui voulait invincible-
ment la chute de la Bastille. Mais les suisses
voulaient continuer la lutte. De Launay se sen-
tait personnellement haï, non-seulement pour
le sang qu'il, venait de répandre, mais encore
pour ses persécutions envers les prisonniers,
; pour ses infâmes spéculations sur la faim (les
terribles Mémoires de Linguet et d'autres ré-
vélations avaient rendu son nom célèbre dans
toute l'Europe); les cris du peuple qu'il en-
tendait lui semblaient autant de menaces pour
lui-même. Eperdu, frémissant, il saisit une
mèche et veut mettre le feu a ses centaines
de barils de poudre et ensevelir ainsi sa dé-
faite et son suicide dans la destruction d'un
tiers de Paris; mais les sous-officiers Ferrand
et Béquard empêchèrent l'exécution" de cet
épouvantable crime, en repoussant l'insensé à
la pointe de leurs baïonnettes. Pendant ce
temps, le peuple continuait le combat, ce
grand combat qui allait faire éclore une France,
une humanité nouvelles. Et parmi ces milliers
de héros qui donnaient ainsi leur sang pour
les générations de l'avenir, qui connaissons-
' nous, quels noms ont survécu? Un petit nom-
bre seulement, dont les uns sont demeurés
obscurs, dont quelques autres rappellent une
destinée éclatante ou tragique. C'est ELIE, le
brillant officier du régiment de la Reine; HUL-
LIN, qui sera général et comte de l'empire ;
MARCEAU, le sublime adolescent perdu dans
la foule; MAILLARD, qui siégera au guichet
de l'Abbaye ; SANTERRE, le maître de la bras-
serie de la Jiose rouge; ROSSIGNOL, le futur
général, dévoué à la proscription et aux ca-
lomnies de l'histoire ; l'intrépide grenadier
ARNÉ; PALLOY; le garde-française DUBOIS;
TEMPLEMENT; le magnanime BONNEMER, qui
sauva Mlle de Monsigny, au milieu de la fu-
sillade et des flammes; l'horloger HUMBERT,
qui éteignit le feu déjà mis au magasin de
salpêtre de l'Arsenal; le marchand de vin
CHOLAT, qui arracha à la mort le régisseur
des poudres Clouet; le chevalier de SAUDRAY,
un modèle d'héroïque humanité; PAREIN, qui
sera l'un des chefs de l'armée révolutionnaire ;
le marin GEORGET , qui pointait le fameux
canon du roi de Siam, enlevé au Garde-meu-
ble; le docteur SOUBERBIELLE, qui a survécu
soixante ans à cette grande journée ; le char-
ron du faubourg, Louis TOURNAY, qui brisa à
coups de hache les chaînes du pont-levis,
aidé de DAVANNE et DASSAIN ; et LA MANDI-
NIÊRE, et LAUZIER, et PIÉTAINE, et les ser-
gents de gardes-françaises WARGNIER et LA-
BARTHE, a la tête de leurs détachements; et
RÉOLE, un des premiers à l'attaque; et FOUR-
MER, et ROUSSEAU, et L'EPINE, et LEGRIS, et
le grenadier DELAURIERE, qui s'empara du
i drapeau de la Bastille; et l'intrépide abbé
FAUCHET, et les députations d'électeurs, et
tant de citoyens dévoués dont l'histoire n'a
pas enregistré les noms et que leur modestie
a dérobés à la reconnaissance et à l'admiration
de la postérité Mais, dans cette énuméra-
tion, dans ce bulletin de héros, gardons-nous
d'oublier le plus grand, le plus jeune, le plus
brillant de tous, l'orateur imberbe du Palais-
Royal : CAMILLE DESMOULINS!!! Martyrs su-
blimes de la liberté, que vos noms restent à
'jamais burinés dans cette colonne! Notre seul
regret est de ne pouvoir les imprimer ici en
lettres d'or.
Suivant quelques versions, ce serait à ce
moment qu'aurait eu lieu l'épisode du billet
passé à travers une meurtrière, et ce serait
de Launay lui-même qui aurait écrit ou dicté
cette offre de capitulation , désespérant de
pouvoir continuer la résistance. Les citoyens
et les gardes-françaises qui se trouvaient les
" plus rapprochés promirent que la garnison
aurait la vie sauve. Alors, les ponts s'abais-
sèrent, et le peuple se précipita comme un tor-
rent sur les pas d'Elie, de Maillard, de Hul-
lin, d'Arné et d'autres que nous avons déjà
nommés. Deux des défenseurs de la forte-
resse périrent seuls au milieu de ce tumulte;
encore l'un d'eux fut-il immolé par une fu-
neste méprise; car,hélas! c'était le généreux
sous-officier Béquard, qui avait empêché de
Launay de faire sauter la moitié de Paris
avec la forteresse. Le peuple, du moins,
pleura sa mort, et sa famille ressentit les effets
de la reconnaissance publique. Et le misérable
de Launay, le geôlier, le bourreau des pri-
sonniers, le meurtrier des citoyens, que va-
t-il devenir?... Reconnu, arrêté par Cholat, il
est conduit à l'Hôtel de ville, a travers un
océan de peuple, par le magnanime Hullin, par
Maillard, et par quelques autres hommes de
grand cœur, qui veulent sauver cet ennemi
abattu. L'entreprise semblait aussi difficile que
les travaux d'Hercule. Voyant qu'on recon-
naissait le prisonnier à sa tête nue, Hullin eut
l'héroïque idée de le coiffer de son propre cha-
peau, et dès lors demeura lui-même exposé
aux coups; mais, malgré sa force physique et
son courage, il est culbuté avec sea compa-
gnons. Quand il put se relever, la tête du gou-
verneur de la Bastille était au bout d'un« pique.
Pendant que ce drame se passait au débou-
ché de l'arcade Saint-Jean, le peuple se ré-
pandait dans la forteresse maudite, et enfon-
çait la porte des cachots. Il ne s'y trouvait
en ce moment que sept prisonniers. Deux
étaient devenus fous. Un de ceux-là avait
une barbe blanche qui lui tombait jusqu'à la
ceinture, et se croyait encore sous le règne de
Louis XV. Quand on lui demanda son nom, il
répondit qu'il s'appelait le Major de l'immen-
sité. On trouva, dans les noires profondeurs
de la forteresse, des armes d'une nature bi-
zarre, des instruments de torture inconnus;
on devait y trouver bientôt, pendant la démo-
lition, des squelettes et d'autres témoignages
contre les fureurs du despotisme. Les ar-
chives furent en partie détruites ou disper-
sées. Cependant, il échappa un certain nom-
bre de pièces accusatrices, et qui ont été
publiées pour l'enseignement des générations.
Rappelons seulement une lettre de Latude à
M «'«de Pompadour, où se trouve cette phrase:
« Le 25 de ce mois de septembre (1760), il y
aura cent mille heures que je souffre. - Le
malheureux ignorait alors qu'il avait encore
deux cent mille heures de souffrance à compter!
Vers six heures du soir, le cortège des vain-
queurs se mit en marche pour l'Hôtel de ville,
avec les trophées, les canons, les prisonniers,
le règlement de la Bastille porté au bout de
la baïonnette du tailleur Quigon, enfin, les
clefs de la forteresse, que l'Assemblée natio-
nale plaça dans ses archives, et qui sont au-
jourd hui aux Archives nationales.
La prise de la Bastille coûta au peuple
quatre-vingts citoyens morts sur la place, et
quinze, des suites de leurs blessures, plus
soixante-treize blessés. La garnison tirait tel-
lement à coup sûr et sans danger, qu'elle
n'eut qu'un homme tué et un blessé pendant
cet horrible combat de cinq heures.
A l'Hôtel de ville, le comité permanent et
les électeurs avaient eu d'autres luttes à sou-
tenir, et leur indécision, leur refus constant
de donner officiellement l'ordre d'assiéger la
Bastille les avaient plus d'une fois fait accuser
de trahison. Mais l'homme que sa conduite avait
surtout rendu suspect comme traître, c'était
Flesselles, le prévôt des marchands, resté là
comme un débris de l'administration de l'ancien
régime. Le bruit courut qu'on avait sajsi sur lui
le billet suivant, adressé à de Launay : «Tenez
bon ! j'amuse les Parisiens avec des promesses
et des cocardes. » La vérité est que jamais ce
billet ne fut retrouvé; mais les paroles citées
n'en étaient pas moins un résumé fidèle de la
conduite tortueuse de ce magistrat. Pâle sur
son siège, la mort sur le visage, accablé d'ac-
cusations, il finit par demander qu'on le con-
duisît au Palais-Royal. Il était à peine au coin
du quai, qu'un jeune homme resté inconnu lui
cassa la tête d'un coup de pistolet. On a insi-
nué que Flesselles avait reçu de la cour des
ordres secrets, qu'il était dépositaire de papiers
importants, et qu'il avait été sacrifié dans la
crainte qu'il ne fît des révélations. Cette as-
sertion n'est pas absolument invraisemblable ;
mais les preuves matérielles manquent. Ce
- qui est certain, c'est que la mort du malheu-
reux prévôt ne fut point l'œuvre du peuple,
qui le laissa traverser les salles de l'Hôtel de
ville et la Grève sans lui faire subir le moindre
mauvais traitement. Quelques autres scènes
déplorables attristèrent le soleil couchant de
ce grand jour. M. de Losme, major de la Bas-
tille, partagea le sort du gouverneur; deux
invalides, qu'on accusait d'avoir pointé les
' canons de la forteresse, furent pendus à la
lanterne de la Grève, devenue si tristement
- fameuse (V. LANTERNE). Le brave marquis de
La Salle, que les électeurs avaient nommé
commandant de la milice nationale, en sauva
un autre, ainsi que le prince et la p'rincesse
de Montbarrey, arrêtés aux barrières. L'as-
semblée des électeurs, que présidait l'infati-
gable Moreau de Saint-Méry, essayait vaine-
ment de délibérer au milieu de la tempête et
d'apaiser les milliers de combattants entassés
dans les salles de la maison commune, et ceux
qui remplissaient la place. Mais le peuple se
laissa toucher surtout par les hommes qui l'a-
vaient guidé pendant le combat. A la voix
d'Elie et des gardes-françaises, on fit grâce
aux défenseurs de la Bastille, après qu'ils eu-
rent juré fidélité à la nation. Les suisses
mêmes, qu: avaient si cruellement fusillé les
citoyens, furent emmenés fraternellement au
Palais-Royal, et le peuple poussa la magna-
' nimité jusqu'à se cotiser pour leur donner du
pain.
La nuit descendit sur la cité, mais sans
amener le repos, car on redoutait une atta-
que. Le tocsin tenait la population en éveil;
toutes les fenêtres étaient illuminées ; la dé-
fense était organisée partout; niais 1 ennemi
ne se présenta point. Quelques partis de hus-
sards, de dragons, de soldats de Nassau et
d'autres corps rôdèrent dans la campagne,
pour observer les issues de cette ville si bien
gardée et qui flamboyait de la lueur fumeuse
des lampions; mais ce fut tout. Bien mieux,
Besenval fila prudemment le long de la Seine
sans attendre le jour, en abandonnant une
partie de ses bagages au Champ de Mars et à
l'Ecole militaire. Paris appartenait tout entier
à la Révolution ; l'ancien régime était défini-
tivement vaincu. L'Assemblée nationale, as-
surée de son existence, allait poursuivre en
paix son œuvre de rénovation; tous les fan-
tômes de réaction s'évanouissaient; l'avenir
appartenait à la civilisation et à la liberté I
i A Versailles, la journée du 14 avait été
' pleine d'anxieuse agitation. L'Assemblée était
partagée entre deux craintes : les violences
de la cour et les excès d'un peuple soulevé,
dont le triomphe même pouvait compromettre
la liberté. Mais elle n'en conserva pas moins
la plus ferme attitude, et elle envoya deux dé-
putations au roi, qui ne répondit que par quel-
ques paroles froidement équivoques. Au châ-
teau, on organisait l'attaque ; Paris devait
I être, le soir même, attaqué de sept côtés à la
fois; on discutait en conseil la liste des dé-
I pûtes qui .seraient enlevés. On ne doutait point
| du triomphe, et les soldats, gorgés de vin, le
1 célébraient déjà dans l'Orangerie par des
.chants et des danses, aux applaudissements
j de la reine, de Miac de Polignac et de toute
la cour.
Cependant, les nouvelles arrivaient, con-
tradictoires, incertaines. Mais voici Noailles,
voici Wimpfen, qui arrivent de Paris et qui
annoncent le grand événement à l'Assemblée :
la Bastille est prisel Au milieu de l'émotion
universelle; la faction n'en poursuivait pas
moins ses projets. Berthier, l'intendant de
Paris, agissait auprès du roi dans ce sens,
; dissimulant le véritable état des choses, et
- assurant que, dans le trouble où était Paris, il
t y avait encore des chances pour la grande
attaque de nuit; mais Louis XVI fut préservé
d'un acte aussi insensé par son indécision ha-
bituelle. 11 ne donna aucun ordre, et, cédant
aux exigences de son tempérament, se coucha
à son heure accoutumée et s'endormit profon-
dément , ne soupçonnant point sans doute
qu'un monde venait de s'écrouler amour de
lui. Un serviteur dévoué, le duc de Liancourt,
qui avait de droit officiel ses entrées, entreprit
de tirer le malheureux roi de son apathie en
lui montrant au vrai la situation, l'unanimité
du peuple, et la nécessité impérieuse de se
rapprocher de la nation et de l'Assemblée.
- Mais c'est donc une révolte, dit Louis XVI
à demi éveillé. — Non, sire, c'est une révolu-
tion. »
On le sait, c'est par ce mot si juste et si
célèbre que l'ère de la vieille France fut close.
Nous ne pouvons entrer ici dans le détail
des événements, cet article n'ayant pour ob-
1 jet que de donner le précis de la chute de la
Bastille. C'est à l'article RÉVOLUTION DE 1780
qu'on trouvera le développement de cette
grande épopée et le résumé des résultats dé-
cisifs de la victoire populaire. Nous ajouterons
seulement quelques détails qui se rapportent
directement a notre sujet.
On a vu plus haut que le peuple avait trouvé
sept prisonniers dans les cachots de la Ba-
stille. Voici leurs noms : Pujade, La Roche,
La Caurége et Béchade, détenus pour falsifi-
cation de lettres de change, dont la culpabilité
était problématique, et qui, dans tous les cas,
1 n'étaient soustraits à la juridiction ordinaire
1 que par un déni de justice qui serait déjà une
présomption d'innocence ;le comte de Solages,
| enfermé depuis 1782, à la réquisition de sa
famille; Tavernier, fils naturel du célèbre
- financier Pàris-Duverney , et qui était pri-
! sonnier depuis 1759; enfin de Wythe, dont on
I ne put tirer aucun renseignement, car il était
devenu fou, ainsi que le précédent. D'honnêtes
i citoyens, avec le grand cœur de ce temps,
1 voulurent adopter ces deux infortunés, mais
ne purent les garder chez eux à cause de leur
état. On fut obligé de les placer à Charenton.
Le 16, l'assemblée des électeurs arrêta, à
l'unanimité, que la Bastille serait démolie jus-
que dans ses fondements. Le peuple avait
commencé cette destruction le soir même de
la victoire. Le patriote Palloy exécuta les
travaux, sous la direction d'un comité d'ar-
chitectes nommé par l'Hôtel de ville et com-
posé de Jaillier de Savault, Poyet et La
Poize de Montizon. Les pierres de la Bastille
furent employées à la construction du pont
de la Révolution, afin qu'elles fussent foulées
aux pieds du peuple. Palloy fit en outre exé-
cuter avec les pierres de la forteresse quatre-
vingt-trois modèles en petit de la Bastille,
dont il fit hommage à chacun des départe-
ments, afin de « perpétuer l'horreur du despo-
tisme. » Ces curieuses miniatures du monu-
ment étaient portées par des envo3rés que
Palloy avait organisés en société, et à qui il
avait donné le nom (Vapôlres de la liberté. Les
pierres de la Bastille devinrent à la mode;
elles figurèrent dans les fêtes publiques, cou-
vertes d'inscriptions, et les femmes en portè-
rent de peti$£ fragments sertis en bijoux dans
leurs parures. Le bois, les fers, les plombs, etc.,
provenant des démolitions, furent également
employés par Palloy à la fabrication d'une
multitude d'objets : médailles pour les dépu-
tés, épées, jouets d'enfants, emblèmes de
toute nature, outils, etc.
Dans leurs cahiers, les électeurs du tiera
état de Paris avaient, le 10 mai précédent,
émis le vœu que la Bastille fût rasée et qu'on
élevât sur son emplacement une colonne, avec
cette inscription : A Louis XVI, restaurateur
de la Liberté publique. Cette proposition fut
reprise et votée d'acclamation par les élec-
teurs, le 17 juillet, lors de la visite de Louis XVI
à l'Hôtel de ville. Apothéose dérisoire 1 car c'é-
tait bien la vieille royauté qui avait été vaincue
le 14, et lui attribuer l'honneur d'une révolu-
tion qui avait été accomplie sans elle et contre
elle eût été simplement ridicule, et même eût
pu sembler une manœuvre pour escamoter la
victoire en couronnant le vaincu. Mais les
électeurs étaient sincères dans leur naïf en-
rt. 43
338
thousiasme; ils suivaient tout naturellement,
dans cette circonstance, les vieilles traditions
du tiers état, qui, dans ses longues et patientes
luttes, s'était constamment abrité derrière la
royauté.
Toutefois, on n'éleva point le monument
projeté. Seulement, dans les premiers mois
de 1792, Palloy proposa à l'Assemblée légis-
lative d'élever une colonne à la liberté sur
l'emplacement de la Bastille, avec les maté-
riaux qui restaient encore de cette forteresse.
L'érection de cette colonne fut décrétée, et
la pose solennelle de la première pierre eut
lieu le 14 juillet, au matin, avant la solennité
du Champ de Mars. Nous avons sous les yeux
les procès-verbaux originaux de cette fête, et
les détails ne laissent pas d'en être fort cu-
rieux. Une députation de l'Assemblée présidait
à la cérémonie, à laquelle assistaient en outre
les autorités de Paris. On plaça dans une
boîte de cèdre la Déclaration des droits, gravée
sur des tablettes d'airain, une copie authen-
thique de la constitution, des médailles frap-
pées avec du fer provenant de la Bastille, des
monnaies, des assignats, la liste des patriotes
morts pendant le siège, etc. Tous les outils,
bois, fer et autres matières, provenaient éga-
lement des matériaux de la forteresse. On
avait mêlé au ciment les cendres des anciens
titres de .noblesse. Sur la pierre était gravée
une inscription qui se terminait par ces mots :
En présence de Louis XV f. Au moment de
poser la pierre, le président de la députation
de l'Assemblée nationale fit observer que, le
roi ne s'étant pas présenté, quoique invite, il
était convenable d'effacer son nom. Et il prit
en effet une ripe des mains de Falloy, et gratta
froidement le nom de l'absent.
Un mois plus tard, la rature devait s'é-
tendre sur la royauté elle-même.
Les orages de la Révolution empêchèrent
l'exécution du projet de Palloy, qui fut enfin
réalisé sous le règne de Louis-Philippe par
l'érection de la colonne de Juillet. Dans 1 in-
tervalle, Napoléon avait résolu d'élever sur
cet emplacement une fontaine, sous la forme
d'un éléphant colossal, dont le modèle en
plâtre existait encore à cette place sous le
gouvernement de Juillet.
Avant de terminer, nous dirons encore un
mot relativement à l'effet que produisit dans
le monde entier le grand événement du
14 juillet. Comme nous I avons déjà fait remar-
quer, à la nouvelle de la chute de la Bastille,
tous les peuples se crurent affranchis. Ce coup
avait été si bien frappé, qu'il retentit dans
tout l'univers. Nous pourrions accumuler ici
les citations, mais nous nous bornerons à deux
faits caractéristiques. Dans cette Angleterre
si exclusive et qui s'intéresse si peu aux autres
nations, il y eut un immense enthousiasme qui
gagna l'aristocratie elle-même et jusqu'aux
momies universitaires : l'université de Cam-
bridge donna pour sujet de composition à ses
élèves la Prise de la Bastille, et le 14 juil-
let 1790, l'anniversaire en fut célébré à Lon-
dres dans un banquet que présidait lord Stan-
hope. En Russie même, dans cet empire de
l'esclavage et du silence, la grande nouvelle
produisit une véritable explosion; on s'em-
brassait sur les places publiques, avec des
pleurs et des cris de joie : La Bastille est
prise! C'est un témoin peu suspect, l'ambassa-
deur français Ségur, qui raconte cette folie, à
laquelle il a peine à croire après en avoir été
témoin (Mémoires, ni, 508). Quoi de plus élo-
quent qu'un tel fait?
Les vainqueurs de la Bastille formèrent une
espèce de corps spécial, qui avait sa place
marquée dans les cérémonies publiques. Une
médaille fut frappée en leur honneur, et cha-
cun d'eux reçut un brevet.
L'emplacement de la Bastille demeura, pen-
dant la Révolution, une sorte de lieu sacré où
s'assemblait le peuple, et l'un des centres
principaux des fêtes publiques. Au 14 juillet
1790, anniversaire de la victoire et jour de la
grande fédération, on y avait planté un bois
artificiel au milieu des ruines ; quatre-vingt-
trois arbres couverts de leurs feuilles y re-
présentaient les quatre-vingt-trois départe-
ments ; la pique populaire et libératrice se
dressait au-dessus du feuillage, surmontée du
bonnet de la Liberté ; des chaînes et des grilles
brisées, des symboles caractéristiques rappe-
laient à la foule le despotisme vaincu, la vic-
toire de la Révolution ; et le soir, parmi les
illuminations, le peuple de Paris? les fédérés,
les envoyés de la France entière , enivrés
d'enthousiasme, célébraient par des farandoles
fraternelles la fin d'un monde de* douleur, de
servitude et de larmes , l'avènement de la
justice et de l'égalité. Contraste éloquent I une
inscription flamboyait, devise triomphale d'une
énergique jovialité , qui est le génie même de
la nation ; dernière ironie jetée par la France
nouvelle à la tyrannie renversée : Ici l'on
danse !
Bastille (MÉMOIRES SUR LA), pamphlet his-
torique du xvme siècle, par Linguet. Ces Mé-
moires, publiés à Londres en 1783, furent
l'objet de réfutations anonymes: Observations
sur l'histoire de la Bastille (Londres, 1783) ;
Apologie de la Bastille (Philadelphie, 1784).
Ils avaient d'abord paru, en trois numéros,
dans les Annales politiques, civiles et litté-
raires du xvme siècle (tome X). Le récit de
Linguet comprend sa détention au château,
royal, depuis le 27 septembre 1780 jusqu'au
10 mai 1782. L'auteur rappelle, en tête de son
journal de captivité, ces mots précieux, tirés
de la Déclaration du 30 août 1780 , sur les
nouvelles prisons : « Ces souffrances incon-
nues et ces peines obscures , du moment,
qu'elles ne contribuent point au maintien de
I ordre par la publicité et par l'exemple, de-
viennent inutiles à notre justice. » La relation
de Linguet commence par cette Aère décla-
ration : « Je suis en Angleterre. Il faut prou-
ver que je n'ai pas pu me dispenser d'y re-
venir. Je ne suis plus à la Bastille : il faut
prouver que je n'ai jamais mérité d'y être. Il
faut faire plus : il faut démontrer que jamais
personne ne l'a mérité; les innocents, parce
qu'ils sont innocents; les coupables, parce
qu'ils ne doivent être convaincus, jugés, pu-
nis, que suivant les lois, et qu'on nen suit
aucune, ou plutôt qu'on les viole toutes à la
Bastille ; parce que, si ce n'est en enfer peut-
être, il n'y a pas de supplices qui approchent
de ceux de la Bastille, et que, s'il est possible
de justifier l'institution de la Bastille en elle- '
même, dans de certains cas, il ne l'est dans
aucun d'en justifier le régime. Il faut faire
voir que ce régime, aussi honteux que cruel,
répugne également à tous les principes de la
justice et de l'humanité , aux mœurs de la
nation, à la douceur qui caractérise la maison
royale de France, et surtout à la bonté, à
l'équité du souverain qui en occupe aujour-
d'hui le trône. »
Dans cette peinture d'un régime odieux ,
Linguet, en retraçant ses souffrances person-
sonnelles, a donné le premier assaut au châ-
teau fort du despotisme, qui, par un singulier
hasard, fut pris le jour anniversaire de sa
naissance. Il a eu assez de puissance pour
émouvoir les cœurs, et, pai conséquent, pour
ébranler notre vieille constitution en mettant
à nu les abus qui la déshonoraient. On sait
que Rousseau lui avait déjà porté des coups
terribles. Du reste, il ne faut peut-être pas
admettre toutes les horreurs qu'il retrace.
II n'a pas encore perdu le souvenir de sa
longue captivité, et ce souvenir le pousse
quelquefois à l'exagération ; par exemple,
quand il insiste sur les craintes qu'il avait
d'être empoisonné par ses geôliers. Mais de
tout cela ressort cette grande vérité, que,
dans toutes les sociétés, la vie et la liberté des
citoyens doivent toujours être placées sous la
sauvegarde des,lois. Laisser en cela quelque
chosb au caprice , c'est ouvrir la porte à
toutes les injustices et à toutes les tyrannies ;
c'est rendre tous les crimes possibles. Cette
considération, qui ressort de toutes les pages
des Mémoires de Linguet, en fait un plaidoyer
saisissant en faveur de l'abolition des lettres
de'cachet et du régime des détentions arbi-
traires; plaidoyer qui acquiert encore plus de
force sous la plume éloquente, énergique et
acérée de l'avocat-journaliste.
Bastille (LA PRISE DE LA),hiérodrame,livret
et musique de Marc-Antoine Désaugiers, exé-
cuté dans l'église Notre-Dame de Paris, par
les acteurs de l'Opéra, suivi d'un Te Deum, le
13 juillet 1790. L'Assemblée nationale était
représentée à Notre-Dame ^par une députa-,
tion, et c'était sur son ordre que l'ouvrage de
Désaugiers, destiné à être exécuté chaque an-
née à Ta même époque, avait été composé. Le
lendemain 14, on célébrait la fête de la fédé-
ration.
BASTILLE, ÉE (ba-sti-llô, II mil), part,
pass. du v. Bastiller : Ville BASTILLÉE.
— Blas. Se dit du chef, de la bande, de la
barre et de la fasce, cjuand ces pièces ont des
créneaux à leur partie inférieure, c'est-à-dire
du côté de la pointe de l'écu : Famille de
Pontbriant : d'argent, à ^une fasce BASTILLÉE
d'azur..

BASTILLER
v. a. ou tr. (ba-sti-llé, Il mil.
— rad. bastille). Munir d'une bastille : BAS-
TILLER une ville. Il V. mot.
— Emprisonner, il On dit plutôt EMBAS-
TILLER.

BASTILLEUR
s. m. (ba-sti-lleur, Il mil.
— rad. bastille). Gouverneur ou geôlier d'une
prison d'Etat, il Peu usité.

BASTILLON
s. m. fba-sti-llon, Il mil. —
dim. de bastille). Petite bastille, il Ancienne
orthographe du mot BASTION.

BASTILLONNER
V. a. ou tr. (ba-sti-llo-nô
— rad. bastillon). Fortif. Munir de bastillons :
BASTILLONNER un ouvrage.

BÀSTIMENTOS
îlots stériles et inhabités'
de la mer des Antilles, près de l'isthme de Pa-
nama.

BASTIN
S. m. (ba-stain). Mar. Cordage en
sparterie, usité dans le Levant.

BASTINE
s. f. (ba-sti-ne — rad. bast, qui
se disait pour bât). Techn. Sorte de selle.

BASTINGAGE
s. m. (ba-stain-ga-je ^rad.
prim. baston, pour bâton). Mar. Sorte de para-
pet en bastingues, qu'on établit autour du pont
d'un navire, pour se protéger contre le feu de
l'ennemi. H Muraille de bois qui, aujourd'hui,
remplace généralement les anciennes bastin-
gues : Debout, près du BASTINGAGL: , sur le
pont, elle observait la mer avec émotion. (X.
Marmier.) Appuyé sur le BASTINGAGE de la
corvette l'Iris, il regardait les côtes de France,
qui fuyaient rapidement. (Balz.) Un soir ,
comme j'étais appuyé sur le BASTINGAGE de la
dunette, j'observai un très-singulier nuage
isolé, vers le nord-ouest. (Baudelaire.)
— Encycl. Les bâtiments de guerre portent
ordinairement, sur le plat-bord et le long des
gaillards, un système de chandeliers et de
filières sui lequel on tend des filets nommés
filets de bastingage. Chaque matin, des ga-
biers sont chargés de recevoir les hamacs des
matelots, bien plies, et ils les arriment dans
ces filets, où ils sont garantis de la pluie par
une voile goudronnée. Le bastingage n'a pas
seulement pour objet d'aérer les hamacs, il
est encore d'une grande utilité à l'heure du
combat; car, comme il entoure le navire, à
hauteur de tête, il garantit les matelots contre
les balles de l'ennemi et contre la petite mi-,
traille. La plupart des navires de commerce
n'ont point de bastingage.

BASTINGUE
s.f (ba-stain-gue — rad. prim.
baston pour bâton). Mar. Bandes d'étoffe do
toile matelassée ou filets qu'on tend autour
du plat-bord du vaisseau, pour servir d'abri
aux matelots qui manœuvrent sur le pont
pendant le combat. *
— Art milit. Sorte de rempart mobile, dont
les troupes se couvraient au moyen âge.
BASTINGUE, ÉE (ba-stain-ghé), part. pass.
du v. Bastinguer - Un navire es( bien ou mal

BASTINGUÉ
selon que ses bastingages sont plus
ou moins susceptibles de garantir les gens de
l'équipage contre la fusillade ou contre les
coups de mer. (De Corbière.)

BASTINGUER
v. a. ou tr. (ba-stain-ghé —
rad. bastingué), Munir de bastingues, ou de
hamacs qui en tiennent lieu : BASTINGUER
une frégate.
Se bastinguer^ v. pr. Faire un - bastingage
pour se mettre a couvert.

BASTION
s. m. (ba-sti-on — corrupt. de
bastillon). Fortif. Ouvrage à revêtement, dis-
posé sur les angles saillants du corps de la
place, et présentant deux faces et deux flancs .-
Voyez ces e'z aisses murailles, flanquées de lourds
BASTIONS. (Vitet.)
— Bastion plein, Bastion rempli de terre et
dans lequel on peut combattre et se retran-
cher. Il Bastion vide, Simple enceinte de rem-
parts, avec un parapet. Il Bastion double, En-
semble de deux bastions établis l'un sur
l'autre. Il Bastion coupé, Bastion isolé de la
place. Il Bastion plat, Bastion établi au-devant
d'une courtine. |] Demi-bastion, ouvrage ana-
logue au bastion, mais ne présentant qu'un
flanc et qu'une face.
— Par ext. Lieu où l'on se retranche comme
derrière un rempart : Ceux à la vue desquels
il venait d'échapper le cherchaient vainement
dans son BASTION aérien (un arbre). (Al. Dum.)
— Fig. Rempart, moyen d'attaque ou de
défense : Les BASTIONS de la tyrannie sont
sans danger pour un peuple libre. (Mme L.
Colet.)
Encycl. — L'utilité des basîioîis, tant pour
un front de fortification permanent, que pour
un retranchement de campagne, tient à ce
qu'ils assurent le flanquement des fossés.
Supposons une simple ligne de défense, dont
le profil soit celui qui est représenté fig. 1. Si
les ennemis parviennent à s'introduire dans le
fossé, ils y seront complètement à l'abri des
feux des défenseurs, et ils pourront faire tran-
quillement toutes les dispositions nécessaires
pour escalader le rempart : le flanquement
obtenu avec les bastions a pour but de faire
disparaître ce grave inconvénient, en donnant
aux défenseurs des retranchements la possi-
bilité de tirer dans le fossé. — Le triangle est
la seule forme de retranchement qui ne soit
pas susceptible d'être bastionnée. — La fig. 2
représente un carré bastionné; les bastions
sont les parties du retranchement projetées à
l'intérieur des pentagones a b c d et ax bx cK
d, etc.
Des quatre parties que présente le bastion,
les deux lignes b c et d c, appelées faces ou
pans, s'avancent dans la campagne et forment
un angle b c d, dont le sommet c est tourné
vers 1 extérieur : c'est l'angle saillant du bas-
tion. Les deux autres lignes a b, e di} nommées
flancs, forment, en se réunissant aux faces,
deux autres angles que l'on nomme angles
d'épaule. L'angle saillant s'appelle aussi angle
flanqué, parce qu'il est délendu par les
flancs des bastions voisins. Quand un angle
d'épaule est arrondi et prolongé de manière à
faire saillie sur le flanc, de manière à le cou-
vrir,- on lui donne le nom d'orillon, et le flanc
est dit couvert. Enfin , on appelle gorge du
bastion la partie ouverte a e, comprise entre
les extrémités intérieures des flancs : c'est par
là que l'on entre dans l'ouvrage.
On voit que les projectiles partent des
flancs de bastion ab et a, bi et que, tirés perpen-
diculairement à leurs crêtes, ils peuvent venir
frapper dans les fossés des faces bx c, et b c.
Les lignes c at et c, a se nomment lignes ûe
défense; elles varient de longueur entre 150 et
200 mètres.
La ligne a ax est la courtine.
La direction des flancs a b et aK bt a varié
avec les époques; on a construit ces flancs
perpendiculaires aux lignes de défense, de fa-
çon à obtenir un flanquement parfait des fos-
sés des faces b c, bx c, ; on a aussi proposé de
les établir perpendiculaires à la courtine;
enfin, plus récemment, on a donné à ces flancs
une position intermédiaire entre les deux pré-
cédentes, en leur faisant faire un angle de 100°
avec la courtine ; cette disposition semble la
meilleure. Elle est aujourd hui assez généra-
lement adoptée. V. FRONT BASTIONNÉ.
L'intérieur ou terre-plein des bastions peut
se construire de deux manières : tantôt on le
remplit entièrement, afin de le mettre de ni-
veau avec le terre-plein du rempart, et l'on a
alors un bastion plein ; tantôt, au contraire,
on le laisse vide, en faisant tourner le rempart
le long des faces et des flancs, et l'on a ainsi
un bastion vide. Au xvne siècle et au suivant,
on appelait quelquefois bastions royaux les
bastions de grjrndes dimensions, surtout ceux
qui faisaient partie de l'enceinte d'une place
et qui ne pouvaient être pris qu'au moyen
d'un siège en règle. Le bastion est né à l'é-
poque ou, après avoir agrandi les tours pour
faciliter la manœuvre des pièces, on imagina
de les renforcer contre les coups de l'ennemi
en les abaissant au niveau du sol et en les ter-
minant en pointe du côté de la campagne. On
ignore la date précise de ce progrès. Quelques
écrivains rapportent bien que l'ingénieur ita-
lien San Miehaeli construisit des bastions à
Vérone en 1523; mais d'autres assurent que
Jean Ziska, chef des hussites de la Bohême,
et le général turc Achmet-pacha, en avaient
déjà élevé, le premier à Tabor, en 1489, le se-
cond à Otrante en 1480. Quoi qu'il en soit,
c'est au xvi« siècle que le bastion est devenu
l'élément de la fortification moderne ; mais aux
ingénieurs du siècle suivant appartient l'hon-
neur d'en avoir scientifiquement déterminé
la forme, les dimensions et les propriétés.
Dans le principe, les ouvrages de ce genre
s'appelaient indifféremment boulevards et bas-
tions. Ce dernier nom, qui est seul resté, lui
avait été donné de l'italien bastone (poteau),
parce qu'on faisait habituellement entrer des
pièces de charpente et des clayonnages dans
sa construction, afin de soutenir les terres.
Les bastions n'ont pas seulement pour objet
de nettoyer les fossés quand les assiégeants
sont parvenus à y descendre ; ils servent en-
core a tirer vers la campagne, à protéger le
chemin couvert, la benne, les dehors de la
place. Ils sont gardés en tout temps par des
sentinelles posées aux barbettes ou aux angles
assaillants. Deux bastions, qui se défendent
l'un l'autre et qui forment l'extrémité d'un
front de fortification, sont appelés bastions
consécutifs. La perte d'un bastion était au-
trefois regardée comme entraînant la prise
de la place ; mais on a vu en 1814, à Berg-op-
Zoom, après la prise d'un bastion, les assié-
geants foudroyés et faits prisonniers par une
garnison qui leur était bien inférieure en
nombre. La force d'une garnison, en temps
de paix, se calcule ordinairement à raison de
deux cents hommes d'infanterie par bastion;
en temps de guerre, il faut six cents hommes
d'infanterie et soixante cavaliers.
BASTION (Yves), prêtre et pédagogue fran-
çais, né à Pontrieux en 1751, mort à Paris
en 1814. Après avoir été principal du collège
de Tréguier, il se rendit a Paris, où il entra
en 1788 dans la communauté des -chanoines
réguliers de Sainte-Geneviève. Après le con-
cordat, il fut nommé aumônier à l'Hôtel-Dieu,
puis au lycée Louis-le-Grand, appelé alors le
Prytanée impérial. Il a écrit de nombreux
ouvrages sur l'instruction élémentaire, no-
tamment : Exposition des principes de la
langue française (1798) ; Eléments de logique
(1805) ; Grammaire de l'adolescence (1810, etc.).
BASTION DE FRANCE, village d'Algérie,
près de La Calle, province de Constantine, h
400 kilm. E. d'Alger. Ce village doit son nom
à un bastion aujourd'hui abandonné, cons-
truit en 1520 par la compagnie française d'A-
frique.

BASTIONNÉ
ÉE (ba-sti-o-né), part. pass.
du v. Bastionner : Ouvrage BASTIONNÉ. Tour
BASTIONNÉE. Betranchement BASTIONNÉ.
— Front bastionné, Ouvrage de fortification
composé de deux demi-bastions, dont les
faces sont unies par une courtine. H 'iour

BASTIONNÉE
Très-petit bastion imaginé par
Vauban contre le tir à ricochet, et aujour-
d'hui abandonné.
— Fig., Fortifié, entouré, étayé : Plus vous
insistez, plus elle est BASTIONNÉE d'ignorance,
garnie de chevaux de frise. (Balz.)

Encycl. — Le front bastiônnê a été adopté
Four unité du système de fortification, depuis
invention de l'artillerie à poudre, parce qu'il
possède la propriété de suffire lui-même à sa
propre défense. C'est pour ce motif qu'on lui
donne aussi le nom de front de fortification.
Tout front bastionne comprend deux faces, a o
et b t, deux flancs o d et i e, et une courtine
d e. On appelle angles d'épaule les deux
angles saillants a o d et b i e, formés par les
faces et les flancs; angles rentrants, flan-
quants ou de flanc, les, deux angles od e,ied,
formés par .les flancs et la courtine, et angle
de tenaille, l'angle formé vers le milieu de la
courtine par le prolongement des faces. Le côté
extérieur du front est la droite a b, qui joint les
i im
^\-<.c
ol d__'*- ,^-p
-~^J*
e ?>
saillants des.demi-bastions ; sa perpendiculaire
est la droite qui jointle milieu ducôté extérieur
à l'angle de tenaille ; ses lignes de défense sont
les deux droites a e et b cl, qui joignent les
saillants aux angles flanquants. La courtine
est ïa partie la plus forte du front bastionne",
tandis que les saillants des bastions en sont les
parties les plus faibles. Aussi, quand on at-
taque un ouvrage bastionne, c'est sur les
faces des bastions qu'on dirige les coups.

BASTIONNER
v. a. ou tr. (ba-sti-o-né —
rad. bastion). Munir de bastions : BASTION-
NHR un fort.
— Fig. Fortifier, entourer, garantir : Le
fils de lioussilton n'avait pas encore quitté
cette prodigieuse défiance qui BASTIONNK à
Paris l'homme de province. {Balz.)
Se bastionner, v. pr. Se fortifier, s'en-
tourer : SE BASTIONNER d'opiniâtreté.

BASTIR
v. a. ou tr. (ba-stir — anc. or-
thogr. du mot bâtir). Techn. Former avec
des capades, en parlant d'uii chapeau,

BASTISSAGE
s. m. (ba-sti-sa-je — rad.
bastir). Techn. Premier degré du feutrage
des poils qu'on destine à la fabrication des
chapeaux ; poil ainsi préparé : La machine...
donne en trois minutes la galette ou le BAS-
TISSAGE. (Laboulaye.)

BASTITANS
BASTETANS ou BASTULES.
Peuples de l'FIispanie, dans la Bétique méridio-
nale, sur les bords de la Méditerranée; on les
appelait Pœni, ce qui fait supposer qu'ils
devaient leur origine à une colonie carthagi-
noise ou phénicienne.

BASTITE
s. f. (ba-sti-te — de Baste, nom
de lieu). Miner. Substance constituée par du
bisilicate de magnésie, renfermant une plus
ou moins grande quantité do chaux.
— Encycl. C'est le minéralogiste Haidinger
qui a fait delà bastite une espèce à part. Jus-
qu'à lui, ce minéral faisait partie de la dial-
lage métalloïde de Haîïy. Depuis, quelques sa-
vants l'ont fait rentrer dans l'espèce diascla-
site, mais elle renferme une plus grande
quantité d'eau que celle-ci et doit, par consé-
quent, en être séparée. Son gisement est
assez intéressant. On la trouve en effet en
petites masses lamellaires gris verdâtre, dis-
séminées dans des serpentines situées près de
Harzburg. Ces petites masses se fondent pour
ainsi dire dans la pâte de la roche qui les en-
globe, et pourraient presque, comme le dit
M. Delafosse, être considérées comme de la
serpentine cristallisée.

BASTNAÉSITE
s. f. (ba-stna-é-zi-te). Miner.
Substance compacte, brune ou noirâtre, qui
a été ainsi appelée parce qu'on la trouve à
Bastnaès, en Suède7 et qui n'est autre chose
qu'un fluorure de cerium et de lanthane. On
lui donne aussi, par altération du mot bast-
naésite, le nom de bastaésite.

BASTOGI
(Pierre), financier et homme po-
litique italien, né ep Toscane vers 1815, est
banquier à Livourne. Après avoir débuté dans
la carrière par des opérations assez malheu-
reuses, il a acquis une fortune considérable
en donnant à l'exploitation des mines de l'île
d'Elbe une extension à laquelle le gouverne-
ment toscan ne sut jamais se résoudre. Bastogi
est devenu en outre, peu à peu, le principal
actionnaire des chemins de fer de Toscane.
Habile dans les opérations de banque, versé
dans les théories économiques et dans la litté-
rature italienne, parleur spirituel, éloquent et
quelquefois même lyrique, il se fit remarquer
au parlement de 1860. M. de Cavour lui con-
fia alors le ministère des finances. L'emprunt
de 1860, qu'il négocia, lui valut le [titre de
comte, et a peine avait-il reçu ce titre, qu'il
présenta un projet de loi frappant d'un impôt
considérable tous les titres de noblesse. îl
quitta son poste de ministre le 1er mars 18G2.
Placé plus tard à la tête de la grande entre-
prise financière des chemins de fer méridio-
naux, il fut accusé, en 1864, d'avoir corrompu
à prix d'or certains députés, pour en obtenir un
vote favorable au sujet de la concession de ces
chemins de fer. Ces accusations ont été re-
connues fausses ; et, néanmoins, atteint par la
défaveur de la chambre et même de l'opinion
publique à Livourne et ailleurs, M. Bastogi a
donné sa démission de député, en protestant
-i que le jour de la justice viendrait pour lui
et pour son œuvre, et que, ce jour-là, on re-
gretterait qu'un homme qui avait pris l'initia-
BAS
tive d'une aussi grande entreprise, eût été
abreuvé de tant d'amertumes et de tant de
douleurs. »

BASTOGNE
s. f. (ba-sto-gne, gn mil.). Blas.
Bande alésée en chef : Famille Pertoy : parti
d'or et de gueules* à une BASTOGNE d'azur
chargée de trois molettes d'argent, et-accom-
pagnée de deux têtes de lion de l'un en Vautre.
Il Très-rare.
-
BASTOGNE
ville de Belgique, province de
Luxembourg, ch.-l. d'arrondissement admi-
nistratif, à 32 kil. N. d'Arlon; 2,111 hab.;
nombreuses tanneries, bas tricotés ; commerce
de grains et bétail. Bastogne est le Balsonacum
mentionné sur la carte de Peutinger ; Chil-
debert,. roi d'Austrasie, y tint ses assises
en 585. Combat entre Charles-Martel et Bul-
déric, comte de Loz, en 703.

BASTON
s. m. (ba-ston). Ancienne ortho-
graphe du mot bâton.
— Art mïîit. anc. Baston à feu, Baston pro-
jectile, Arme à feu portative.
BASTON (Robert), historien et poëte anglais,
né à Nottingham vers le milieu du XJIIC siècle,
mort en 1310. Edouard 1er, lors" de son expé-
dition contre Robert Bruce, roi d'Ecosse, se
fit accompagner de Baston, qui devait chanter
la gloire que son royal compagnon ne pouvait
manquer d'acquérir. Mais Baston fut fait pri-
sonnier par Robert Bruce, et dut célébrer le
triomphe de l'Ecossais. Parmi les ouvrages
assez nombreux, laissés par Baston, nous
nous bornerons à citer : De Sacerdotum luxu-
riis, .dont le titre, hardi pour l'époque, mérite
de ne pas être oublié.
BASTON (Guillaume-André-René), théolo-
gien-français, né à Rouen en 1741, mort
en 1825. Il fut, avant la Révolution, professeur
de théologie à Rouen, fit partie de l'émigration,
et, après le concordat, il rentra en France. Il
fut alors nommé grand vicaire de sa ville na-
tale, puis évêque de Séez en 1813; mais, sous
la Restauration, il se vit contraint d'abandon-
ner son évèehé. Doué d'un esprit fin, distingué,
et des agréments de l'homme du monde, Baston
a publié un grand nombre d'écrits et de bro-
chures sur divers sujets. Nous citerons, parmi
ses principaux ouvrages : Cours de théologie,
en collaboration avec l'abbé Tuvache (1773);
Lettre de M. Philelès sur une controverse avec
les curés du diocèse de Lisieux (1775) ; Narra-
tions d'Omaî,compagnon deCoofc(1790, 4 vol.);
Béclamations pour l'Eglise de France contre
M. de Maistre (1821-24, 2 vol.); Antidote
contre les erreurs et la réputation de /'Essai
sur l'indifférence (1823) ; Concordance des lois
civiles et des lois ecclésiastiques de France sur
le mariage (1824), 'etc.

BASTONNADE
s. f. (ba-sto-na-de — rad.
baston, pour bâton). Volée de coups de bâton :
Donner, recevoir la BASTONNADE. Les satiriques
médisants sont sujets aux BASTONNADES. (Trév.)
Et tu prends donc, pendard, goût à la bastonnade ?
MOLIÈRE.
D'un grand qui le nourrit il souffre les saccades.
Son dos môme endurci se fait aux bastonnades.
REGNARD.
— Particulièrem. Châtiment consistant en
des coups de bâton : Le délinquant sera puni
de la BASTONNADE, H Dans les bagnes, Châti-
ment qui consiste à appliquer des coups d'une
corde goudronnée.
— Agric. Terme introduit tout récemment
dans la langue agricole, pour désigner une
opération qui consiste à briser à coups de
bâton certaines plantes nuisibles à la culture
et réfractaires à tout autre moyen de des-
truction.
* — Encycl. Dans la plus haute antiquité, la
bastonnade n'était appliquée qu'aux esclaves.
Cependant l'histoire nous apprend que cette
peine était quelquefois infligée aux soldats
romains. Selon Pline, on doit distinguer la
simple bastonnade du supplice des bâtons, ou
fustuarium, qui entraînait ordinairement la
mort du patient. La première n'était qu'une
simple correction corporelle, qui n'avait rien
d'infamant ; l'autre était réservée aux fautes
graves, telles que Tabandon du poste que l'on
devait défendre, et les officiers mêmes pou-
vaient y être condamnés. Le coupable était
amené devant sa légion; le tribun le touchait
du bout de son bâton, et, à ce signal, les sol-
dats fondaient sur lui, et chacun le frappait à
son tour. Pour la bastonnade ordinaire, c'était
le centurion qui l'administrait avec un simple
sarment de vigne (vitis). Les officiers francs
frappaient aussi quelquefois leurs soldats avec
une branche de pommier. Au moyen âge, on
a longtemps frappé les soldats sur le derrière
avec une hampe de hallebarde ou une crosse
de mousquet : c'était ce qu'on appelait donner
le morion ou la salade. La schlague et le knout,
en usage encore aujourd'hui dans la discipline
militaire des Prussiens et des Russes, peuvent
être assimilés à la bastonnade. Les coups de
garcette et les coups de fouet appliqués aux
marins et aux soldats anglais présentent le
même caractère. Le comte de Saint-Germain,
ministre de la guerre sous Louis XVI. publia
une ordonnance pour introduire dans l'armée
française la punition disciplinaire des coups
de plat de sabre, qui n'était qu'une bastonnade
déguisée. Il appelait cela une correction pa-
ternelle, et il 1 appliquait à des fautes légères
qui, jusque-là, avaient été punies de la prison.
Mais cette prétendue réforme souleva dans
tous les rangs de l'armée française une indi-*
BAS
fnation générale, et le ministre fut obligé do
onner sa démission. Un grenadier français
prononça, a cette, occasion, une parole su-
blime : « Je n'aime du sabre que le tranchant, »
dit-il, et ce mot fut répété partout avec en-
thousiasme.
La bastonnade est encore fréquemment ap-
pliquée dans tout l'Orient, et spécialement en
Chine, en Turquie, en Perse : il ne faut pas
s'en étonner, dans ces pays de despotisme
barbare. C'est ordinairement sur la plante des
pieds que le patient reçoit les coups de bâton,
et il paraît que ce mode a été choisi précisé-
ment, parce qu'il est le plus douloureux. En
Turquie, ce châtiment cruel est nommé zarb,
et courbag est le nom de l'instrument avec
lequel frappe le bourreau. Le nombre des
coups est ordinairement fixé à trente-neuf; il
s'élève quelquefois jusqu'à soixante-quinze.
En France, le supplice de la bastonnade est
encore usité dans nos bagnes, et c'est le plus
terrible qui puisse être infligé aux forçats. Ce
châtiment consiste à appliquer sur les reins
nus du coupable, avec une corde goudronnée,
de l'épaisseur du pouce, un certain nombre
de coups. Il est impossible de se faire une idée
des souffrances cruelles de ce supplice; en un
instant la chair est déchirée ; des cloches
nombreuses s'élèvent, se gonflent, se crèvent,
et une rigole sanglante est creusée sous les
coups redoublés.
-— Agric. La bastonnade réussit surtout avec
la fougère et le chardon. C'est en vain qu'on
emploie la faux contre ces plantes perni-
cieuses : elle ne suffit pas à en arrêter la pro-
pagation; l'arrachage est plus efficace, mais
trop souvent il ne peut être exécuté de telle
sorte qu'une partie au moins de la racine ne
demeure engagée dans la terre. Le moindre
tronçon suffit pour faire repousser la niante
de plus belle, avec une force de végétation et
une persistance décourageantes. La difficulté,
on peut même dire l'impossibilité d'extirper
par ce moyen, à moins de frais énormes, cer-
taines plantes très-nuisibles à l'agriculture, a
donné a M. le comte de Kergoday l'idée d'es-
sayer de la bastonnade. Le moyen, du reste,
n'était pas nouveau, car tous les cultivateurs
savent depuis longtemps que l'on vient plus
facilement à bout de certains végétaux tenaces
en les bâtonnant qu'en les fauchant, ou même
en essayant de les arracher. Voici comment
M. de Kergorlay conseille d'user de la baston-
nade : « Il ne faut pas attendre, dit-il, que la
plante ait pris son entier développement, ni
que les feuilles, ainsi que la tige, soient séchées
et durcies. Elle est plus facile à couper quand
elle est encore herbacée et quand ses feuilles
ne font que commencer à s'ouvrir. La faux
coupe la tige d'une manière nette et franche,
comme un rasoir ; le bâton la déchire ; s'il pleut
au moment de l'opération ou peu de temps
après, ces lambeaux déchirés pourrissent et ne
repoussent plus. Il faut répéter l'opération aussi
souvent que possible, pour fatiguer la plante
et l'épuiser. Je l'ai fait faire quatre fois la
première année. Le principal avantage de la
bastonnade est d'épargner le temps des bons
ouvriers, tels que le sont les faucheurs, temps
toujours précieux et chèrement payé, et d'y
substituer le travail des vieillards ou des en-
fants de l'école. Ces derniers, employant ainsi
leurs heures de récréation et de congé, y
trouveraient un divertissement de leur âge, en
même temps qu'ils rendraient un service
signalé à l'agriculture. »
Bastonnade (LA), dessin de M. Bida, salon
de 1852. Les dessins de M. Bida jouissent d'une
réputation méritée ; ils traduisent de la façon
la plus nette et la plus saisissante la couleur
des objets et les effets de lumière. Les plus
estimés représentent des scènes de la vie
orientale. La Bastonnade appartient à ce der-
nier genre; c'est une des compositions capi- '
taies de l'artiste, et, à ce titre, elle mérite
d'être décrite. Un vieux Turc, debout sous
l'arcade en fer à cheval de la porte de son
habitation, préside à l'exécution du châtiment.
Le patient, étendu la face contre terre, a les
jambes relevées verticalement à partir du
genou ; les pieds sont soutenus par un bâton
que portent deux esclaves ; la plante des pieds
se présente ainsi d'elle-même aux coups qu'un
troisième esclave administre avec une vigueur,
avec une conscience qui ne laissent rien à
désirer. Plusieurs spectateurs, groupés à
gauche, regardent d'un air impassible cette
scène cruelle. A droite, une femme, celle du
patient sans doute, jette des cris et cache son
enfant dans son sein; derrière elle, un autre
enfant se dérobe avec effroi aux regards fa-
rouches d'un soldat, qui, sans quitter la scène
principale, se retourne pour faire à la pauvre
mère un geste menaçant. « Ce groupe, d'une
composition très-juste et d'une exécution puis-
sante, a dit M. de Calonne, forme épisode à
part, et cependant il se relie étroitement à
l'action. L'homme qui, au centre, porte un
des deux bouts du fatal bâton, est posé carré-
ment, les jambes bien d'aplomb, le torse bien
développé, les muscles du bras bien en jeu et
bien accusés. Ce personnage, à lui seul, est un
chef-d'œuvre ; mais savaleur augmente encore
par le contraste qu'il forme avec le vieillard
immobile et sévère du second plan. Les jambes
et les pieds de l'esclave battu se détachent en
noir sur un mur que le soleil colore de ses
rayons, et prennent toute l'importance qu'ils
doivent avoir dans une composition ou ils
jouent le principal rôle. » M. de Calonne ajoute
que primitivement les pieà> Étaient blancs,
BAS 339
tandis que le mur était noir; mais, ainsi placés
dans la lumière, ils ne se détachaient pas suf-
fisamment du fond, ils n'arrivaient pas en
saillie jusqu'à l'œil. Inquiet de quelques obser-
vations qui lui avaient été faites à ce sujet,
M. Bida soumit son dessin à l'un des princes
de l'art, à Eugène Delacroix, qui lui conseilla
de détacher les pieds en noir sur un fond clair :
l'artiste suivit cet avis, et obtint l'effet saisis-
sant dont nous avons parlé.

BASTOUL
(Louis), général français, né à
Montolieu en 1753, mort en 1800. Il fut de ces
hommes à qui l'amour de la patrie et l'en-
traînement irrésistible de l'époque tinrent lieu
d'instruction. Sachant à peine lire et écrire, il
montra une extrême intelligence de la guerre
et se distingua par une bravoure hors ligne.
Il s'engagea, en 1773, dans le régiment de
Vivarais, où il éfait sergent en 1790, lorsque
ce corps fut dissous. Elu, l'année suivante,
lieutenant du 2c bataillon du l'as-de-Culais et
chef de bat;iillon en 1792, il assista au siège
de Lille, se fit remarquer par sa brillante va-
leur et fut fait général de brigade. Bastoul
passa en cette qualité aux armées du Nord et
de Sambre-et-Meuse, eut sa part de gloire dans
les sièges de Landrecies, du Quesnoy, au pas-
sage du Rhin en 1796, combattit à Wurtzbourg,
à Friedberg, à Salzbach, à Neuwied, et péné-
tra le premier dans Landshut, dont ses soldats,
excités par sa valeur, avaient enfoncé lei
portes. Cette action d'éclat lui valut le grade
de général de division; mais quelques jouis
après, à Hohenlinden, sous îtforeau, il eut une
jambe emportée par un boulet de canon, et
mourut des suites de sa blessure. On essaya
de le décider à subir une amputation indispen-
sable ; il refusa, en disant qu'il voulait vivre
et mourir tout entier.

BASTRINGUE
s. m. (ba-strain-ghe — pro-
bablem. de bastinguer, bastingage, parce qu'on
dispose les bastingues avant le combat, au
moment d'entrer en danse). Pop. Bal de guin-
guette ou de cabaret : Les bals de barrière
ne sont que d'abominables BASTRINGUES. S'il
vient à la fête, irait-il à notre BASTRINGUE de
2'ivoli? (Balz.) Ils sont loin de ressembler, on
le comprend, aux BASTRINGUES qui ont été
établis en France. (A. Karr.)
— Dans les bagnes, Nom donné par les
forçats à un étui de fer-blanc, d'ivoire, d'ar-
gent ou même d'or, qui est assez petit pour
être caché dans l'anus, et cependant assez
grand pour contenir quelques pièces de 20 fr.,
un passe-port, des scies, etc.,etc. : En voyant
la facilité avec laquelle certains bandits cou-
paient les barreaux de leur prison, on s'est
longtemps imaginé qu'ils possédaient une herbe
ayant la propriété découper le fer ; cette herbe
est aujourd'hui parfaitement connue; elle s'ap-
pelle BASTRINC.UK. (Moreau-Christophe.) Les
malfaiteurs appellent jouer du violon l'action
de scier leurs fers ; ils donnent, par métonymie,
le .nom de BASTRINGUE à l'étui qui renferme
leurs scies et leurs autres outils et ustensiles
d'évasion. (Morcau-Christophe.) Quand Fos<-
sard, le voleur des médailles de la Bibliothèqtie,
fut amené à Bicêtre, on saisit sur lui, c'est-
à-dire en lui, plusieurs billets de i,000 fr. en-
roulés dans son BASTRINGUE. {Morcau -Chris-
tophe.) Un argousin, placé devant chaque
forçat déshabillé à nu, et les deux mains ap-
puyées sur ses épaules, lui donne un coup de
genou dans l'abdomen. Au même moment, un
autre argousin, accroupi par derrière, lui
plonge le doigt dans le rectum et y découvre
ainsi le BASTRINGUE. {Moreau- Christophe.)
A la fin de son volume, Variétés de Coquins,
publié en IS65, AI. M or eau-Christophe a fait
graver deux planches très-curieuses, représen-
tant un BASTRINGUE de grandeur naturelle,
avec tous les outils d'évasion qu'il renferme..
— Chim. Appareil dans lequel on préparo
le sulfate de soude.
— Techn. Outil à forer de petits trous.
Bastringue des département» (LH), aïr po-
pulaire. Le 21 janvier 1794, un an après l'exé-
cution de Louis XVI, les spectacles jouèrent
gratis « de par et pour le peuple, en réjouis-
sance de la mort du tyran. » On alla-danser
autour de l'échafaud, on y revint les jours
suivants, et c'est pour ces farandoles que l'air
du Bastringue des départements fut composé.
Cet air si connu, sur lequel on a fait une foule
de parodies plus ou moins décentes, fut ainsi
nommé parce qu'on le dansait au milieu de.i
quatre-vingt-trois poteaux élevés sur la
place de la Révolution , portant chacun le
nom d'un département écrit sur unécusson.
Pour faire connaître cet air, point n'est besoin
de le noter ici ; il nous suffira de citer le re-
frain d'une de ces parodies, que tout le monde
a au moins entendu une fois dans sa vie :
Mesdemoiselles, voulez-vous danser?
Via le bastringue,
Via le bastringue;
Mesdemoiselles, voulez-vous danser?
Via le bastringue qui va commencer.
Castil-Blaze, qui cite le Bastringue des dé-
partements dans son ouvrage sur {'Académie
de musique, ne nous donne pas le nom du
musicien, auteur de cet air fameux, qui a fait
le tour de l'Europe chanté par nos soldats.

BASTUDE
s. f. (ba-stu-de). Pêch. Filet
employé sur les étangs salés des côtes de la
Méditerranée, u On dit aussi BATTUDE.

BASTULES
CARTHAGINOIS. V. BASTITANS.

BASTWICK
(John), théologien et médecin
340
anglais, né à Writtle en 1595, mort vers le |
milieu du siècle suivant. Après avoir étudié
ia médecine à Cambridge, it voyagea, se fit
recevoir docteur a Padoue ; puis il vint, en 1624,
se fixer à Colchester pour y exercer son art.
C'est vers cette époque qu'il publia a Leyde
un livre de controverse religieuse, intitulé :
Elenchus lieligionis papistœ, in quo probatur
neque apostolicam, neque catholicam, imo
neque romanam esse (ïn-8°), suivi du Flagellum
pontificis et episcoporum. Ces ouvrages sou- (
levèrent contre lui le haut clergé anglais.
Arrêté et mis en jugement, il fut condamné
à une amende de 100 liv. sterl. et a la pri-
son jusqu'à rétractation. Loin de se rétracter,
il lança deux nouveaux ouvrages : Apologe-
ticus (1636) et la Nouvelle litanie, qui lui atti-
rèrent une condamnation terrible : 5,000 1. st.
d'amende, l'exposition au pilori, l'amputation
des oreilles et une prison perpétuelle dans une
province éloignée. Une indignation universelle
accueillit cette épouvantable sentence ; une
pétition se couvrit de signatures en faveur de
Bastwick, qui, gracié en 1640 parla Chambre
des communes, put revenir à Londres, où il
fit une entrée triomphale et reçut des dédom- I
magements pécuniaires prélevés sur les biens
de ses juges. ;

BAS-VENTRE
s. m. Partie inférieure du ,
ventre, depuis le nombril : Douleur dans le
BAS-VENTRE.

BASVILLE
terre seigneuriale du pays Char- i
train, à 28 kil. S.-O. de Paris, possédée jadis
par la famille Lamoignon.

BAS-VOLER
s. m. Chass. Vol peu élevé des
perdrix, des cailles et autres oiseaux : Oiseaux
de BAS-VOLER.
BÂT s. m. (bâ — du gr. bastazein, porter;
peut-être aussi du fr. bâton. V. ce mot). Sello
grossière de forme et de travail, qu'on ne met
guère que sur les bêtes de charge : Porter un
BÂT. Etre blessé par le BÂT. Une des causes de
la ruine de la Turquie, c'est la servitude posée
comme un sur le peuple. (V. Hugo.)
L'ennemi vient sur. l'entrefaite;
Fuyons, dit alors le vieillard.
— Pourquoi? répondit le paillard;
Me fera-t-on porter double Ml, double charge?
LA PONTAINB.
— Fig. Servitude, esclavage : Quoi! tu veux
te marier! Nous sommes seuls exempts du

BÂT
et tu veux t'en harnacher! (Balz.)
— Cheval de bât, Cheval fort, mais peu fin,
et propre à porter les fardeaux : J'ai un CHEVAL
DE qui porte mon lit. (Mmc de Sév.) il Par
compar. Personne sur qui l'on se décharge de
ce qu'il y a de plus pénible : Je ne veux pas
être votre CHEVAL DE BÂT.
— Porter le bât, Etre dans la- servitude,
être soumis à des exigences pénibles : Les
grands font des voyages d'agrément, et c'est le
peuple qui PORTE LE BÂT.
Et toi, peuple animal.
Porte encor le bât féodal. BÉRANOBR.
D Porter son bât, Avoir sa part de peines, de
fatigues : Il faut que chacun PORTE SON en
ce monde. (Volt.) Il Savoir, sentir où blesse le
bât, Connaître les inconvénients de la situa-
tion, les causes secrètes de la souffrance, du
chagrin : Lorsque le roi était à l'Escurial, il
défrayait tout le monde; de manière que je ne
SENTAIS POINT là OÙ LE ME BLESSAIT. (Le
Sage.)
D'où vous naît cette plainte? Et quel chagrin
[brutal?...
— Suffit, vous savez bien où le bât me fait mal.
MOLIÈRE.
— Loc. prov. Rembourré comme le bât d'un
mulet, excessivement vêtu et boutonné, n Qui
ne veut bât. Dieu lui donne selle. Les personnes
trop difficiles et qui ne se contentent pas de
ce qu'elles ont s'exposent à avoir pis.
— Zool. Syn. de clitelle.
— Encycl. La confection des bâts varie sui-
vant les pays. Il en est qui ont des arçons en
bois; d'autres en sont dépourvus. Le bât ne
doit être ni trop large ni trop étroit. Trop large,
il tournera sur le dos de l'animal ; trop étroit,
il pressera trop ses côtés, gênera sa respira-
tion et ne tardera pas à le blesser. Chaque
bête de somme doit avoir, autant que possible,
an bât fait exprès pour elle et tenu constam-
ment en bon état.
BAT s. m.(batt — mot angl.). Au jeu du
cricket, sorte de battoir à long manene, qui
sert à recevoir la balle.
BAT s. m. (batt). Pêch. Queue du poisson :
Ce poisson à trois mètres entre œil et BAT.
N'est usité que dans cette locution et quelques
autres analogues, et l'on ne dirait pas couper
le bat d'un poisson, pour couper la queue d'un
poisson, il On écrit aussi BÂTE.
— Mar. Petit bordage en bois de bout que
l'on cloue sous les dauphins : Il convient de
faire le d'un seul morceau de bois de
peuplier. (Vilïaumez.)

BATA
s, m. (ba-ta). Bot. Nom vulgaire du
bananier.

BAT-À-BOURRE
s. m. (ba-ta-bou-re — de
battre et de bourre). Techn. Instrument avec
lequel les bourreliers frappent la bourre, pour
la diviser et la rendre légère. Il se compose
essentiellement de huit à dix petites cordes,
longues d'environ 2 mètres et aitachées par
na Bout à une traverse clouée sur le plancher,
«t par l'autre & une autre traverse mobile
BAT
qui est munie d'un manche. L'ouvrier saisit
le manche de cette dernière traverse et, ten-
dant les cordes, il en frappe la bourre qui est
placée au-dessous, il PI. bat-à-bourre.

BATACLAN
s. m. (ba-ta-klan — Onoma-
topée qui peint le bruit des objets qu'on dé-
place pour déménager. Etym. dout.). Mot
populaire dont on se sert pour exprimer un
attirail considérable dont on veut se dispenser
d'énumérer les objets : On voit des pleutres
entasser des millions, avoir des calèches, des
femmes en falbalas, des cochers à perruque et
tout le BATACLAN. (L. Reybaud.) Vous désirez
voir Basquine, attention ! elle va paraître ; voilà
déjà le tonnerre, les flammes de l'enfer et tout
le BATACLAN qui annonce son entrée. (E. Sue.)
Il m'obsédait de la pureté de ses feux; je voyais
déjà briller les flambeaux de l'hyménéeet tout
te BATACLAN mythologique. (A. Brucken.)
Ba-ia-cinn, chinoiserie musicale en un acte,
paroles de M. Ludovic Halévy, musique de
M. J. Offenbach, représentée pour la pre-
mière fois, à Paris, sur le théâtre des Bouffes-
Parisiens, le 29 décembre 1855.
« On rit, on applaudit, on crie au miracle. ,
Il n'est pas d'homme âgé, ou de femme arrivée
au retour du retour, qui n'entre en danse aux
ioyeusetés folâtres de Ba-ta-clan. Da-ta-clan !
la Marseillaise et le Chant du Départ de
maître Offenbach. Ba-ta-clan! L'année a fini
par le Sire de Framboisy, elle a commencé
par Ba-ta-clan! sôuvenez-vous-en, souvenez-
yous-en, souvenez-vous-en souvent.»— Com-
prenez-vous? — Non. — Cela pourtant est
signé du prince de la critique, et nous voilà
bien avancés, bien renseignés. — Qu'est-ce
que Ba-ta-clan? un chef-d'œuvre, sans doute,
si l'on s'en rapporte à la petite chanson bien
drue, bien éveillée, bien rossignolée de Jules
Janin; quelque chose de fin, de gai, d'étourdis-
sant, j'imagine : un feu d'artifice de bons mots ;
de l'esprit à pleines mains,le rire ailé du meil-
leur cru de France mis en musique... —Eh
bien, non. — Jules Janin avait-il trempé sa
plume gaillarde dans le Champagne première,
le soir propice où il écrivit ces deux ou trois
phrases qui font ronron au public? On serait
tenté de le croire, si l'on ne savait combien il
lui est aisé de se priser de sa propre jeunesse,
qui vainement affiche la soixantaine et se dit
f outteuse, comme pour mieux se faire par-
onner ses écarts, ses malices et ses fre-
daines. Disant toutes ces belles choses que
nous venons de rappeler, M. Jules Janin.ne
pensait guèreà ba-ta-clan, croyez-m'en, mais
bien à quelque joyeux vaudeville de la bonne |
époque où il avait vingt ans, et soyez sûr que ;
dans sa tête trottuitk ravir le pied mignon de '
Jenny Vertpré, le nez mutin de Déjazet, l'œil
bleu de Jenny Colon. Profanation 1 mettre aux
lèvres pincées des Débats le cornet à bouquin
de la farce au gros sel, et chanter victoire 1
O critique, que Te bruit, le fard et les lumières,
les bras, les jambes et les épaules, les gro-
gnements, les beuglements, les trépignements
égarent à ce point de vous amener à dire :
« Tout cela est beau, écoutez et applaudissez -, »
ô critique, ouvrons ensemble cette chinoiserie
par trop chinoise, où les cymbales ont tant
d'esprit que les acteurs n'en ont plus, et dites,
la main sur la conscience, s'il faut rire ou
avoir pitié de ceux qui ont perpétré ladite
chinoiserie, s'il faut rire ou avoir 'pitié de
ceux qui l'exécutent, s'il faut rire ou avoir
pitié de ceux qui vont l'entendre. Je sais bien
que les personnages de la pièce ont les noms
les plus spirituels qu'il soit possible d'ima-
giner : Fé-ni-han, souverain de Ché-i-no-or;
Ké-ki-ka-ko ; Ko-ko-ri-ko ; Fé-an-nich-ton ;
je sais bien que les acteurs ont le diable au
corps; entre nous, on les pourrait croire en-
ragés; je sais bien que la musique chante,
bondit, voltige, casse les vitres, fait tapage
comme si on l'avait saupoudrée de cantha-
rides; mais tout cela ne constitue pas une
œuvre dont on puisse dire : Souvenez-vous-
en, souvenez-vous-en, souvenez-vous-en sou-
vent; et c'est avoir une triste opinion de la
Marseillaise et du Chant du Départ, que de
les rappeler à propos d'une farce sans queue
ni tête, appelée Ba-ta-clan fort justement, si
bataclan veut dire cohue, tapage, assemblage
de choses sans nom. Donc, Ba-ta-clan, dont
le titre est une conquête de plus sur la Chine;
Ba-ta-clan, dont les trois syllabes nous rap-
pelleraient au besoin que nos soldats envahis-
saient alors le Céleste-Empire; Ba-ta-clan
est une drôlerie, le mot est doux , qu'il peut
être agréable d'entendre quand on a bien
dîné, que la tête fermente et que la rate s'é-
panouit. On n'y trouve pas précisément l'es-
prit de Voltaire, de Molière ou de Beaumar-
chais ; mais on y rencontre çà et là, à travers
le dévergondage et la folie du style, un brin de
ce jargon peu attique, de cet argot peu délicat
qui, bredouillé par le premier grotesque venu,
excite chez nos gandins et nos petites dames
une joie indescriptible , argot et jargon en
honneur au Palais-Royal. Exemple : « Vous
qui parlez français!... parlez!... parlez en-
core!... parlez toujoursl... faites murmurer à
mon oreille la douce langue de la patrie 1...—
Mais avec plaisir, avec délices, avec ivresse,
avec volupté, avec transport, avec ragel...
Parler français!... parler français!... Oh! ma
mâchoire , disloque-toi, démantibule-toi, et
livre-toi avec enthousiasme à cet exercice na-
tional !... » Tout cela peut paraître superbe et
désopilant, au possible, quand on a l'estomac
gonflé de truffes, et qu on l'entend débiter,
avec force grimaces, par un acteur échappé
BAT
de Cbarenton. On a prétendu, et le Moniteur
s'écrie en toutes lettres, dans ses colonnes of-
ficielles, que Ba-ta-clan est * le chef-d'œuvre
du genre bouffe ; » qu'il a été accueilli d'un
bout à l'autre - par un immense éclat de
rire;» que, parmi les divers morceaux de n cette
délicieuse partition, » trois surtout ont enlevé
toute la salle : JP suis Français, Il demande
une chaise et Ba-ta-clan. Nous constatons ce
fait, qui pourra, dans l?avenir, donner une
légère idée de l'extravagance contemporaine.
Peut-être eût-il été plus juste de dire que
cette chinoiserie a servi, tant bien que mal, de
canevas à une musique endiablée, excentri-
âue, folle à lier, écrite pour les oreilles blasées
e nos vieillards et de nos jeunes gens. La
muse d'Offenbach est née au quartier Bréda,
parmi le ruolz, la poudre de riz et les chif-
fons; elle porte assez bien la crinoline, et
montre au besoin sa jambe, ses épaules, et
tout ce qu'on souhaite qu'elle montre ; elle
sable le Champagne, elle jure, elle parle
argot; elle dit ; As-tu fini? ou bien : Tu t'en
ferais mourir! ou bien encore : Je m'en fiche,
et s'écrie^ en se troussant jusqu'au genou :
L'amour, vois-tu, mon p'tit, c'est une blague,
cette muse, elle a le lorgnon au vent, la
main dans l'échancrure du gilet, la raie au
milieu de la tête; elle ne parle pas, elle
grince des dents; elle ne chante pas, elle
grimace ; elle ne rit pas, elle se tord. Cette
muse, proche parente de celle de Gavarni,
elle a tout l'entrain factice, tout le mauvais
ton, tous les raffinements, tous les caprices
et toutes les trivialités de la femme entrete-
nue; il s'en exhale un parfum acre, qu'on ne
rencontre que dans certains boudoirs; elle
énerve et pue le musc, mais on en raffole...
pour peu qu'on soit a moitié gris ou qu'on ait
des velléités de gaillardise, car elle n'est pas
bégueule, et vous en donne pour votre argent.
J'ai vu jouer Ba-ta-clan, et j'ai ri, ce dont
je demande humblement pardon au dieu Bon-
Sens.
Le succès de Ba-ta-clan méritait d'être
complet: un café-concert s'ouvrit aux alentours
du Cirque-National et prit pour enseigne ce
titre à jamais fameux. Qu'on dise, après cela,
que Paris n'est pas le cerveau de la France,
et que la France n'est pas le pays le plus spi-
rituel du inonde.

BATADOIR
s. m.~(ba-ta-doir).Techn. Banc
qui sert à laver dans une eau courante, il
Banc sur lequel on lave les flotres, dans une
papeterie.

BATADOUR
s. m. (ba-ta-dour — rad. bat-
tre). Jeux. Au revertier, Dame qui s'ajoute
à des dames déjà accouplées sur une flèche,
et pouvant servir à battre-celles de l'adver-
saire, sans qu'on soit obligé do se découvrir
soi-même.

BÂTAGE
S. m. (bà-ta-je — rad. bât). Fôod.
Droit de bâtage, Droit exigé par certains sei-
gneurs, en outre du droit de barrage et de
péage, sur le bât que portait chaque bête
traversant leur seigneurie, il Syn. de bastage.

BATAIL
S. m. (ba-tall, Il mil. — rad. bat-
tre). Battant d'une cloche. N'est plus em-
ployé qu'en terme de blason, pour désigner
un battant d'un émail différent de celui de
la cloche.

BATAILLANT
(ba-ta-llan, Il mil.). Part,
prés, du v. Batailler : Il était écrit que ces
deux messieurs, BATAILLANT devant le public, ne
pouvaient ni ne devaient s'entendre. (Proudh.)
Il n'est rien de si beau que tomber bataillant.
RÉGNIER.

BATAILLARD
ARDE adi. (ba-ta-Hard, il
mil. — rad. batailler). Néol. Batailleur : Les
rois vaillants et BATAILLARDS. (V. Hugo). Un
peuple BATAILLARD. (Proud.)
BATAILLARD (Paul-Théodore), littérateur
français, né à Paris en 1816. Elève de l'Ecole
des chartes de 1838 à 1841, il a collaboré à
plusieurs journaux et s'est fait remarquer, en
1848, par ses opinions démocratiques. Il eut à
soutenir, en 1855, un procès qui eut un assez
grand retentissement : veuf de la fille de
Mme Mélanie Waldor, il se remaria à une
Anglaise. Son ancienne belle-mère lui réclama
alors, devant les tribunaux, l'enfant qu'il avait
eu de sa première urfion, et il fallut un arrêt
de la cour impériale pour que cet enfant lui
fût rendu. Outre diverses brochures sur les
provinces moldo- valaques, M. Bataillard a
publié quelques ouvrages, notamment : L'œuvre
philosophique et sociale de M. Edgar Quinet
(1846, in-8°) ; Nouvelles recherches sur l'appa-
rition et la disparition des Bohémiens en Eu-
rope (1849, in-8°).

BATAILLE
s. f. (ba-ta-llc, Il mil. — rad.
battre). Combat livré entre deux armées :
Ainsi finit la BATAILLE la plus hasardée et la
plus disputée qui fut jamais. (Boss.) La desti-
née de la France est de perdre des armées et
de gagner des BATAILLES. (Volt.) Il ne revient
rien au genre humain de cent BATAILLES ga-
gnées. (Volt.) Catilina , se voyant environné
d'ennemis, et n'ayant ni retraite en Italie, ni
secours à espérer de Borne, fut réduit à tenter
le sort d'une BATAILLE. (Vertot.) Plutarque
me fait pitié, de nous prôner tous ces donneurs
de BATAILLES, dont le mérite est d'avoir joint
leurs noms aux événements qu'amenait le cours
des choses. (P.-L. Courier.) Au moyen âge,
une BATAILLE participait des formes d un duel ;
elle s'annonçait par le ministère des hérauts
d'armes, qui en déterminaient le jour et l'heure.
(Gen. Bardin.) L'ivresse des Français est gaie ;
BAT
c'est pour eux un avant-goût de la BATAILLE et
de la victoire. (Gén. Foy.)
Seigneur, ne tentez point le destin des batailles.
DE BELLOY.
Mais Rome ignore encor comme on perd des ba~
[tailles.
CORNEILLE.
Je leur fais des tableaux de ces tristes batailles
Où Rome par ses mains déchirait ses entrailles.
CORNEILLE.
Combien de gens qui font des récits de batailles
Dont Us se sont tenus loin'. MOLIÈRE.
— Par anal. Combat, à la suite d'une que-
relle : Les gaynins se sont livré une BATAILLE
sur le Pont-Neuf. Dans une BATAILLE d'ivro-
gnes, un sergent de ville a eu l'œil poché.
Je n'entends pas que l'on me raille;
Demandiez à Roch le moqueur
Ce que je vaux dans la bataille.
J. AUTRAN.
— Par ext. Querelle, discussion animée :
Les deux orateurs se prenaient aux cheveux, si
le président n'avait mis fin à la BATAILLE, bur
dix BATAILLES que l'opposition livre étourdi-
ment, elle en perd neuf. (E. de Gir.)
— Ligne, rang de troupes : La première, la
deuxième BATAILLE. Villehardouin désigne,
sous le nom de première, de deuxième BATAILLE,
une première, une deuxième ligne. (Bardin.) il
Corps de troupes appelé aussi gendarmerie :
La BATAILLE de France était la plus estimée.
(Compiém. do l'Acad.) Il Ces deux sens, sont
hors a'usago.
— Fig. Difficultés à vaincre, combats à
livrer : Courage, cher enfant! Il en faut dans
cette BATAILLE de la vie. (Barrière.) Héroïque
une fois dans la grande BATAILLE, on est lâche
tous les jours dans les infimes combats de la
vie. (E. bouvestre.)
Trêve, trêve, nature, aux sanglantes batailles
Qui si cruellement déchirent mes entrailles!
ROTROU.
— Plan de bataillex Ensemble des disposi-
tions stratégiques prises par un général en
chef pour livrer avec succès uno bâtaillo. il
Combinaisons adoptées pour faire réussir uno
entreprise : Voyons, dit Aramis, il faut ce-
pendant arrêter un PLAN DE BATAILLE. (Alex.
Dum.)
— Front de bataille, Développement de la
partie de l'armée qui fait face à l'ennemi.
Il Ordre de bataille, ou simplement bataille,
Disposition donnée aux troupes sur le ter-
rain, en vue d'une bataille prochaine : Les
soldats sont rangés en ORDRE DE BATAILLE.
L'armée est en BATAILLE. Ils marchaient EN
BATAILLE avec bagages au milieu. (Trév.) Char-
les XII... forma sa BATAILLE. (Volt.) Au lever
du jour, nous étions en BATAILLE sur la rive
gauche. (Chateaub.) il Corys de bataille, Partie
Erincipalo d'une armée disposée en ordre.de
ataille; centre, paroppositionauxailes.il
Sergent ou Maréchal de bataille, Officier
autrefois chargé de ranger les troupes en ba-
taille :
11 semble que ce soit un sergent de bataille.
LA FONTAINE.
— Champ de batoille, Terrain sur lequel
deux armées se livrent un combat : Aban-
donner le CHAMP DE BATAILLE. lieslcr maître
du CHAMP DE BATAILLE. Parcourir le CHAMP
DE BATAILLE. Le plus beau CHAMP DE BATAILLE
avait pour lui moins de prix qu'un modeste
champ de blé. (J. Sandeau.)
Ils ont volé tous deux vers le champ de bataille.
RACINE.
Il Matière d'une discussion : C'est son CHAMP
DE BATAILLE ordinaire. Au xvmc siècle, les
affaires font silence, pour laisser libre le CHAMP
DE BATAILLE aux idées. (Chateaub.)
— Etre maître du champ de bataille, Avoir
le dessus, par la retraite de son adversaire :
Le voilà enfin parti, et nous SOMMES MAÎTRES
DU CHAMP DE BATAILLE. (Scribe.) il Aôandoimer
le champ de bataille, Se retirer do la lutte :
Le jour de l'élection les démocrates ABANDON-
NÈRENT LE CHAMP DE BATAILLE.
— Cheval de bataille, Cheval qu'on monte
les jours de combat : C'est à l'église de Saint-
Martin que Clovis donna son CHEVAL, DE BA-
TAILLE. (Chapus.) d Fig. Sujet favori.; argu-
ment qu'on repète sans cesse : C'est son CHEVAL
DE BATAILLE.
— Bataille rangée, Combat où les deux ar-
mées ennemies se font face et sont rangées
en lignes, par opposition à un combat de
tirailleurs, où les combattants sont éparpil-
lés : // défit en BATAILLE RANGÉE Arphaxad.
(Boss.) Il Bataille gagnée , bataille perdue,
Succès, revers d'une nature quelconque : Il
ne faut jamais s'endormir, après une BATAILLE
GAGNÉE. Une BATAILLE PERDUE ne doit pas
abattre notre courage.
Défions-nous du sort, et prenons garde à nous
Après le gain d'une bataille.
LA FONTAINE. +
— Bataille navale, ou simplement Bataille,
Combat entre deux flottes ou deux escadres -.
La BATAILLE de Trafalgar. Le consul Duilius,
qui donna la première BATAILLE NAVALE, la
gagna. (Boss.)
— En bataille, En ordre déployé, et non
point en colonne ou par flanc : Les régiments
du centre marcheront en BATAILLE ; la cavalerie
exécutera une marche de flanc, il En présence,
dans la discussion : Plus on met EN BATAILLE
de raisons pour et de raisons contre, moins le
jugement est sain. (Balz.) il En position pour
attaquer et se défendre ; L'armée que Jésus-

Christ a mise EN BATAILLE contre les erreurs.
(Boss.) n Pop., En parlant d'un chapeau à
cornes, La corne de devant retournée en ar-
rière : Mettre son chapeau EN BATAILLE.
— Mar. En bataille, En parlant de la ver-
gue de misaine, Dans le sens de l'axe du
navire : Mettre la vergue de misaine EN BA-
TAILLE.
— Féod. Duel judiciaire. « Bataille royale,
Bataille à laquelle le roi prenait part, il Loi
de bataille, Loi sur le duel judiciaire.
— Peint. Représentation d'une bataille ou
d'un combat : Les peintres de BATAILLES. Les
- BATAILLES de Jules Ilomain, de Van der Meu-
len, d'Horace Vernet. Les BATAILLES d'A-
lexandre, de Lebrun, sont considérées comme
de véritables chefs-d'œuvre qui honorent l'é-
cole française. La guerre est un-fléau, et pour
ma part je ne saurais l'aimer, quand elle n'au-
rait d'autres résultats funestes que d'avoir créé
les peintres de BATAILLES. (Henry Fouquier.)
— Mus. Composition"musicale dans laquelle
un se propose de rendre le choc des armées
et les divers bruits qui accompagnent une
action générale : Des arrangeurs imaginèrent
de réduire, pour le piano, pour deux clarinettes
et même pour deux flageolets, les BATAILLES de
Prague, de Jemmapes, de Marengo, d'Auster-
litz, etc.
— Jeu de cartes qui n'est en usage que
parmi les enfants : Jouons à la BATAILLE. Il
Situation de deux joueurs qui, ayant mis des
cartes égales, vont décider le coup en four-
nissant de nouvelles cartes :
Encore, à vous. — Toujours à moi !
— Non pas! — C'est vrai, roi contre roi!
Bataille, sire! — Eh bien, bataille.
Ç. DELAVIGNE.
— Métall. Murs élevés qui entourent le
gueulard d'un haut fourneau.
— Syn. Bataille, action, combat.V. ACTION.
— Epithètes. Cruelle, sanglante, meurtrière,
affreuse, horrible, terrible, effroyable, fu-*
rieuse, homicide, épouvantable, disputée, opi-
niâtre, longue, obstinée, balancée, douteuse,
perdue, gagnée, dangereuse, périlleuse, noc-
turne, grande, célèbre, fameuse, glorieuse,
inutile.
— Encycl. Et d'abord, qu'est-ce qu'une ba-
taille? Il semble, au premier coup d'œil, que
la définition doive se dégager des faits sans
aucune obscurité. Les écrivains spéciaux ne
sont cependant pas d'accord à cet égard. Ils
ne varient pas sur la nature même de l'événe-
ment, ce qui ne serait guère possible ; mais il
v a entre eux des divergences qui portent sur
le plus ou sur le moins. Feuquières, un des
auteurs les plus autorisés en cette matière,
définit la bataille : Un choc exécuté, ou du
moins possible, de deux armées développées.
Il ne reconnaît de bataille que quand une ar-
mée peut se déployer et en choquer une autre
de tout son front. Cette théorie est la néga-
tion complète de l'ordre oblique, une des plus
savantes créations de l'art militaire. Avant
Feuquières, Brantôme, voulant donner l'idée
d'une bataille, avait dit : Là où l'artillerie
joue, là où les deux f.rands chefs souverains
(les généraux en chef) y sont en personne et
en armes, là où l'on combat si bien que l'une
des avant-gardes (première ligne) est défaite
et en route (en déroute), cela se peut dire ba-
taille. On sent ce qu'une telle définition a de
vide et d'incomplet; nous dirons donc, avec
les écrivains militaires les plus compétents et
les plus modernes : « Une bataille est une
grande action de guerre; c'est un combat d'ar-
mée conduit, en tout ou en partie, par son gé-
néral en chef, toutes ou presque toutes les
armes ayant agi, tous ou la plupart des corps
ayant donné ou reçu le choc, et l'un des deux
partis ayant eu un avantage sur l'autre. »
Quelle est l'origine de ces luttes qui ont en*
sanglante toutes Tes époques de l'histoire? II
ne faut pas la chercher ailleurs que dans l'es-
prit de jalousie, de rivalité, d'ambition, qui
tend sans cesse à armer les hommes les uns
contre les autres. Les premières batailles ne
furent sans doute que des combats où la force
des bras décida seule du succès, et auxquels
l'art demeura tout à fait étranger ; puis on
appela à son aide des armes grossières, telles
que des bâtons ou des frondes, et ce n'est que
lorsque le nombre des combattants prescrivit
de les diviser par troupes distinctes, mais
obéissant à une seule impulsion, que put naî-
tre l'idée des opérations stratégiques. La rage
de s'entre-tuer est, on peut le dire, aussi an-
cienne que le monde ; car, sans parler de
Caïn, qui a laissé une trop mauvaise réputa-
tion pour qu'il puisse servir d'autorité, nous
voyons, au temps d'Abraham, le roi Chodor-
fahomor s'emparer de Sodome et en emmener
prisonniers les habitants, parmi lesquels se
trouvait Loth. Heureusement que l'oncle de
ce dernier, Abraham, à la tête de ses servi-
teurs, se mit à la poursuite du roi des Ela-
mites (Persans) et tailla son armée en pièces.
Toutefois, dans ces temps primitifs, il n'y a
aucune bataille qui mérite de fixer notre at-
tention, et il faut arriver jusqu'aux véritables
époques historiques avant de rencontrer
quelques faits pouvant servir de documents.
— Des batailles dans l'antiquité. La plus an-
cienne bataille dont il nous soit parvenu une
relation circonstanciée est celle de Thymbrée
(548 av. J.-C), décrite par Xénophon. L'art
de la guerre était alors dans son enfance, et,
malgré les succès de Cyrus, il est permis de
BAT
douter qu'il ait connu ou même pressenti les '
principes d'une véritable tactique, dont nous ne
trouverons les éléments que chez les Grecs,
et la perfection que dans Annibal, jusqu'à
ce que César porte à son comble l'art militaire
des anciens, en appelant à son secours les
mouvements stratégiques. Hérodote, Thucy-
dide, Xénophon et Polybe nous fournissent
sur la guerre d'excellents préceptes; mais ils
nous instruisent surtout par les exemples
qu'ils mettent sous nos yeux, et c'est avec
eux que nous allons rapidement passer en
revue les principales batailles de 1 antiquité.
Lorsqu'on vit éclater la glorieuse lutte des
Grecs contre les Perses, cent mille fantassins
et dix mille cavaliers se précipitèrent sur l'At-
tique, commandés par Datis. Miltiade, campé a
Marathon avec dix mille Athéniens seulement
et mille Platéens, engagea audacieusement la
lutte avec les Perses. 11 est difficile de se
faire une idée de l'ordre de bataille qui pré-
sida à la disposition de chaque armée; mais il
est probable que les Grecs et les Perses s'a-
bordèrent sur toute l'étendue de leur front
respectif, car, tandis que les deux ailes de
Datis étaient enfoncées et mises en désordre,
son centre faisait plier et reculer celui des
Grecs. Alors les deux ailes victorieuses se ra-
battirent sur ce point et fixèrent le sort de la
journée. Toutefois, à travers le voile dont
Hérodote a enveloppé ses récits, on peut dis-
tinguer cette vérité, c'est que les Grecs du-
rent moins la victoire à la supériorité de leurs
dispositions qu'à leur vigueur corporelle, et
surtout à leur esprit de patriotisme, à leur
amour de la liberté, sentiments tout a fait in-
connus aux peuples efféminés de l'Asie.
Epaminonclas fut peut-être, de tous les ca-
pitaines grecs, celui qui fit faire le plus grand
pas à la science militaire, en créant l'ordre
oblique, dont nos temps modernes nous offrent
de si nombreuses imitations. A Leuctres, il n'a-
vait pas sept mille hommes à opposer à onze
mille ennemis, et ceux-ci étaient des Lacédé-
moniens. Le héros thébain imagina alors de
porter l'élite de ses forces sur un point de la
ligne ennemie ; il renforça sa gauche en dé-
doublant la phalange à sa droite et à. son
centre; puis, refusant subitement sa droite
ainsi affaiblie, il fit avancer sa gauche, à la-
quelle rien ne put résister, déborda et enfonça
complètement l'aile droite des Spartiates. A
Mantinée, il exécuta la même manœuvre, en
la modifiant suivant les exigences de la posi-
tion : il obtint le même succès, mais il le paya
de sa vie. Les batailles d'Alexandre révêlent
une rare intelligence de ïa guerre. A la ba-
taille d'Issus, dont il faut lire surtout le récit
dans Arrien, le conquérant macédonien, met-
tant à profit la tactique d'Epaminondas, dé-
borde l'aile gauche des Perses à la tête de
son aile droite, l'enfonce et se rabat ensuite
sur les Grecs à la solde de Darius, qu'il prend
en flanc et dont il fait un épouvantable cai^
nage. A Arbelles, même mouvement: au lieu
d'aDorder l'ennemi de front, ce qui l'eût in-
failliblement amené à être enveloppé par la
multitude des Perses, il forma en coin l'élite
de sa cavalerie, qu'il réunit à sa redoutable
phalange, et, à la tète de cette troupe irrésis-
tible, il se jeta sur l'aile gauche des ennemis,
qu'il mit en fuite, et revint en toute hâte dé-
gager sa gauche, que Darius avait débordée
et menaçait d'enfoncer. Contre Porus, il em-
ploya encore la même manœuvre : il se garda
bien d'aborder le centre de l'ennemi, que cou-
vraient les éléphants; il se jeta avec l élite de
sa cavalerie sur la gauche du roi indien, ga-
gna ses derrières, et, faisant alors donner sa
phalange, enveloppa Porus et l'écrasa com-
plètement. Pyrrhus, formé à l'école d'Alexan-
dre, employa sa tactiqu*, et c'est à cela qu'il
dut les victoires qu'il remporta sur les Ro-
mains. C'est dans les guerres de cette époque,
et surtout dans celle qu'il soutint contre Pyr-
rhus, que ce peuple, auquel était réservé
l'empire du monde, puisa les premiers perfec-
tionnements de l'art militaire. Nous trouvons
déjà, en effet, comme le fait justement remar-
quer Polybe, des ordres de bataille bien rai-
sonnés, des diversions habilement combinées,
des positions choisies pour les armées qui de-
vaient y combattre; et enfin l'emploi des ré-
serves, qui, depuis, a décidé du sort de tant
de batailles. Mais les Romains étaient encore
trop neufs dans l'application de ces principes,
pour pouvoir les opposer victorieusement au
génie d'Annibal, le plus grand homme de
guerre de l'antiquité. Et cependant cet im-
mortel capitaine ne triompha, à vrai dire, que
par l'emploi de deux manœuvres, et il est
étonnant que l'expérience n'ait pas fait trou-
ver aux Romains le moyen d'en prévenir les
redoutables effets. La première de ces manœu-
vres consistait à profiter de la supériorité de
sa cavalerie numide, pour tourner les ailes
de l'ennemi ; la seconde, à profiter des acci-
dents du terrain pour cacher une partie de
ses forces, qui, pendant l'action, tombait sur
les derrières de l'armée, qu'il abordait de front.
Mais on a beau se mettre en garde contre
une mesure habile, employée par un homme
supérieur qui sait la modifier suivant les cir-
constances, on en est presque toujours la
victime. Ainsi, à la bataille du Tésin, l'armée
de Scipion fut tournée par la cavalerie numide
et enfoncée de toutes parts. A la Trébie et à
Trasimène, ce furent des embuscades qui dé-
cidèrent la perte des Romains. A Cannes,
Annibal enfonce l'aile gauche des ennemis
après l'avoir débordée, lance à sa poursuite
BAT
ses infatigables Numides, et revient tomber, |
avec le reste de sa cavalerie, sur les derrières
de l'infanterie romaine, dont il jonche le
champ de bataille. A Zama, dont l'ordre de
bataille nous a été conservé par Tite-Live,
Polybe et Appien, Annibal vit se tourner
contre lui l'arme redoutable qui lui avait servi
à remporter toutes ses victoires : la cavalerie
numide avait pris le parti de ses ennemis, et
c'est pour la contenir qu'il mit son infanterie
en ordre profond, sur trois lignes assez espa-
cées pour que le désordre de l'une ne pût pas
entraîner 1 autre. La lutte fut terrible ; mais,
malgré la prévoyance d'Annibal, les Numides
parvinrent à cuîbuter ses deux ailes et vin-
rent assaillir sa troisième ligne par derrière,
ce qui décida la défaite du héros carthaginois.
Après avoir vaincu Annibal, Rome n'eut plus
à redouter le sort des armes, et elle ne ren-
contra pour ainsi dire plus d'obstacles à la
conquête du monde.
César, par ses marches rapides, ses mou-
vements savamment combinés, inaugura la vé-
ritable science stratégique dans la Gaule, où
il forma des troupes auxquelles les soldats ro-
mains eux-mêmes allaient être incapables de
résister, comme on le vit bientôt à Pharsale.
Pompée, qui avait cinquante mille hommes
d'infanterie et sept mille de cavalerie, chercha
à déborder César, qui ne pouvait lui opposer
que vingt-deux mille fantassins et mille cava-
liers. Mais c'étaient les restes de ces vaillan-
tes légions qui avaient vaincu la Gaule. César
disposa ses troupes de manière à présenter
un front aussi étendu que celui de son adver-
saire ; il renforça sa droite, où il jugea que
Pompée allait diriger ses efforts, puis, pour
couvrir son flanc, que menaçait d'envelopper
la cavalerie, il y plaça six cohortes composées
de vieux légionnaires, auxquels il recom-
manda de frapper l'ennemi au visage. Ce sont
ces cohortes qui décidèrent la victoire en met-
tant en fuite les jeunes et brillants cavaliers
de Pompée.
Nous nous arrêterons à César, dans cette
revue rapide des grandes batailles de l'anti-
quité. Au point de vue 'de la science et du
progrès de l'art militaire , le vainqueur de
Pompée est le point culminant des temps an-
ciens. Déjà la pensée du chef, comme une in-
telligence surnaturelle, préside- à tous les
mouvements, domine toutes les volontés, di-
rige tous les efforts, et décide presque seule
du succès, tandis que, dans les premières ba-
tailles, on se choquait, on s'abordait sur toute
la ligne; le courage individuel et la force ma-
térielle jouaient le princîpai rôle. Puis on
choisit son terrain, on chercha un secours
dans les obstacles naturels, on prit des dispo-
sitions ; mais on n'en était cependant qu'aux
rudiments de la science, le chef était obligé
de payer de sa personne pour animer ses sol-
dats, et si Alexandre eût été porté, faible et
souffrant, sur un brancard, comme le maré-
chal de Saxe à Fontenoy, il eût été rejeté
dans les flots du Granique. Les auteurs
didactiques du temps, tels qu'Onosander et Vé-
gèce, formulent des principes qui ne dépas-
sent pas le niveau delà science de leur temps.
Quelques-uns, néanmoins, sont remarquables,
tels que ceux qui défendent au général en
chef d'exposer des jours d'où dépend souvent
le salut de l'armée, qui prescrivent d'avoir
non-seulement une réserve qui puisse porter
du secours sur les points menacés, mais en-
core un corps séparé, placé à quelque dis-
tance du champ de bataille, et dont 1 arrivée
subite décide la victoire. Mais beaucoup d'au-
tres nous semblent aujourd'hui par trop naïfs
et même puérils. Il nous paraît bien difficile
de trouver profonds les conseils que donne
Végèce pour livrer avantageusement bataille :
« C'est, dit-il, quand l'ennemi est fatigué par
une longue marche, divisé par le passage
d'une rivière, engagé dans des marais, occupé
à gravir des rochers, dispersé dans la cam-
pagne, ou dormant avec sécurité dans son
camp. » C'était, saris doute, à une leçon de ce
genre qu'avait assisté Annibal, lorsqu'il dit à
3uelques personnes émerveillées du talent
'un rhéteur pédant, qui n'avait pas craint de
parler d'art militaire devant le vainqueur de
Cannes : « Je n'ai jamais entendu radoter si
savamment et si longtemps. »
— Des batailles au moyen âge. Ici, l'art mili-
taire semble avoir reculé ; ce n'est plus que
l'élan des soldats, la force aveugle et irrésis-
tible qui fixe la victoire. Les traditions d'An-
nibal et de César ont péri dans l'immense ca-
taclysme qui a englouti l'ancien monde. On
dirait que tout est à renaître. L'ère sanglante
du moyen âge s'ouvre par la bataille de Châ-
lons, où fut vaincu Attila. Jornandès et Cas-
siodore, qui ont écrit l'histoire de ce temps, ne
nous transmettent que des détails fort incom-
plets sur un événement si mémorable. Il pa-
rait néanmoins que chacune des deux armées
était partagée en trois masses immenses, qui
marchaient de front; on commença par se
lancer des flèches et des javelots, puis infan-
terie et cavalerie s'abordèrent, se mêlèrent,
et l'on combattit corps à corps. A la bataille
de Poitiers, où Charles Martel sauva la
chrétienté, l'action générale, sur laquelle nous
ne possédons également que des renseigne-
ments fort incomplets, s'engagea après quel-
ques escarmouches. Les Français n'étaient
que trente mille, formés en épais bataillons et
couverts de fer ; les Sarrasins combattaient par
petites troupes et en désordre, écoutant plu-
tôt leur courage que la voix de la discipline.
BAT 341
L'ensemble de leur immense armée formait
un vaste parallélogramme, où l'on remarquait
surtout deux lignes profondes, l'une de cava-
liers et l'autre d'archers, oui furent enfoncées
par les soldats de Charles, auxquels il ne
cessait de crier : « Soldats du Christ, frappez
de la pointe, frappez de la pointe ! » Electrisés
par l'exemple de leur chef, qui conquit là son
glorieux surnom, les Français jonchèrent le
champ de bataille de quatre cent mille Sar-
rasins , suivant quelques auteurs. Ce chiffre
nous paraît singulièrement exagéré : Mézeray
n'élève pas à plus de cent mille hommes toute
l'armée d'Abdérame.
Avec le régime féodal, naquit un autre état
de choses, qui amena une nouvelle organisa-
tion des armées et nécessita d'autres maniè-
res de combattre. Lu cavalerie se composa
uniquement de la noblesse et forma la princi-
pale, disons plutôt la seule force des armées.
Quant à l'infanterie, son rôle se trouva com-
plètement effacé. C'est inutilement que l'on
chercherait, à cette époque de barbarie,
quelques traces des ordres de bataille de
1 ancienne Grèce et des beaux temps de Rome ;
tout dépendit de la force matérielle, du cou-
rage aveugle ; l'art militaire parut rétrogra-
der jusqu'au point où il était avant Marathon.
Toutes les batailles livrées par les croisés
ne furent que d'effroyables mêlées, où les
Orientaux n obéissaient qu'à une ardeur bouil-
lante et sans frein, et les chrétiens à une
exaltation de sentiments qui leur faisait voir
partout des miracles opérés en leur faveur.
A Bouvines, les deux armées, divisées
chacune en ailes et en centre, s'abordèrent
sur toute l'étendue de leur front, et l'on vit
les deux chefs, Philippe et Othon, combattre
comme de simples chevaliers. On y admira
également les exploits de ce scrupuleux évê-
que de Beauvais, qui assommait les ennemis
avec sa masse d'armes, pour se conformer
aux canons de l'Eglise, qui défendent aux
prêtres de verser le sang humain. A partir de
cette époque, l'art militaire, qui semblait s'être
quelque peu relevé depuis Louis VI, re-
tomba dans la décadence jusqu'à la bataille de
Crécy. On en retrouve alors quelques vesti-
ges chez les Anglais, car Edouard choisit une
excellente position, s'y fortifia, et fit expier
aux Français, par un désastre éclatant, leur
aveugle impétuosité et leur folle présomption.
A Poitiers et à Azincourt, les mêmes fautes
amenèrent les mêmes résultats. Il était évident
que la noblesse, sans parler de son incorrigible
esprit d'indiscipline, était impuissante à rem-
placer toutes les armes qui doivent concourir
au succès d'une bataille. L'absence, ou plutôt
l'inutilité de l'infanterie, se faisait déplorable-
ment ressentir ; car elle a toujours été la base,
le fondement d'une armée. Il était réservé aux
Suisses de la remettre en honneur. Après les
avoir vus triompher, à Morgarten et à Sempach,
de tous les efforts de la puissante maison
d'Autriche; à Granson et à Morat. des bril-
lants chevaliers qui suivaient Charles le Té-
méraire, tout couverts d'or et d'acier, on
commença à comprendre que l'arme de l'in-
fanterie, jusque-là si dédaignée, était un des
éléments nécessaires de la bataille. L'invention
de la poudre acheva d'amoindrir le rôle de la'
chevalerie et lui porta un coup mortel, en ren-
dant; inutiles les pesantes armures de fer, et en
donnant à l'intelligence la supériorité sur le
courage aveugle, qui n'est souvent que te
produit de la force physique. Alors les piques,
les hallebardes et les pertuisanes disparurent,
pour faire place aux arquebuses, aux mous-
quets et aux fusils.
Comme Onosander et Végèce, l'empereur
Léon, qui appartient au moyen âge, a écrit
sur l'art militaire et a consacré, mais avec
une plus ample connaissance de la matière,
plusieurs chapitres ou Institutions à l'objet
qui nous occupe. Au reste, ses principes et les
conseils qu'il adresse aux généraux ne pré-
sentent rien de véritablement remarquable.
L'étude approfondie d'une seule bataille d'An-
nibal, de César, de Turenne, de Frédéric ou
de Napoléon, en apprendra plus à un .homme
du métier que tous les traités didactiques du
monde.
— Des batailles dans les temps modernes. L'arf
militaire moderne débute à peu près comme
finit celui du moyen âge. La bataille de For-
noue ne fut qu'une indescriptible mêlée, où
l'on combattit corps à corps et sans observer
aucune règle. A Ravennes, Gaston de Foix
prit d'habiles dispositions, qui annonçaient un
grand capitaine; malheureusement, ce jeune
prince périt dans la bataille, à peine âgé de
vingt-trois ans. François Ier n'eut aucune des
qualités du véritable général; ce ne fut qu'un
bouillant et chevaleresque batailleur. Ce ne
furent point ses dispositions qui vainquirent
les Suisses à Marignan, mais son artillerie. A
Pavie, il jeta follement la victoire aux enne-
mis en se précipitant dans la plaine entre les
impériaux et son artillerie qui les foudroyait,
et que son intempestive ardeur réduisit au si-
lence. Jusqu'à la fin du xvie siècle, on ne re-
marque aucun progrès dans l'art de la guerre,
à l'occasion des batailles que se livrèrent mu-
tuellement les Français et les Espagnols; il
faut arriver jusqu'au vainqueur d'Arqués ci
d'Ivry, pour constater une véritable renais-
sance de la science militaire. A Coutras, à
Arques, à Ivry, Henri de Navarre remporta la -
victoire, grâce à de savantes dispositions, sur
un ennemi qui lui était très-supérieur en forces.
Ses ordres de bataille étaient infiniment plu*
342
habiles que ceux de Charles VIII et de Fran-
çois Ier. Il savait mélanger les armes, qui se
prêtaient un mutuel appui, et avait toujours
sous la main une réserve composée de cavale-
rie et d'infanterie, qu'il savait faire intervenir à
propos pour décider la victoire. En Allemagne,
Gustave-Adolphe accomplit également une
révolution dans l'art militaire ; cependant ses
campagnes sont plus remarquables par les
marches, par la discipline des troupes, et sur-
tout par l'esprit dont il sut les animer, que par
les batailles mêmes, bien qu'il ait mieux com-
pris qu'on ne l'avait fait jusqu'alors l'impor-
tance des armes à feu. Les armées européen-
nes , à cette époque, avaient encore une
organisation confuse, qui influait beaucoup sur
le sort des batailles : fusiliers, mousquetaires,
piquiers, étaient rangés dans les mêmes ba-
taillons en files de huit hommes de profondeur,
de sorte que les derniers rangs ne pouvaient
faire usage de leurs armes. Les pièces de cam-
pagne, lourdes et peu nombreuses, ne pou-
vaient suivre les manœuvres des troupes, et
occupaient toute la journée la même position.
Gustave-Adolphe, Condé, Turenne, Montécu-
culli, reconnurent ces difficultés, mais ne réus-
sirent qu'imparfaitement h les surmonter.
Avec Condé, l'art ne fit aucun progrès; tout
se décidait encore par le choc. L infanterie
occupait toujours le centre, formée en épais
bataillons, tandis que la cavalerie, placée
comme dans l'ordre ancien sur les ailes, en-
gageait et souvent gagnait seule la bataille;
Condé était né général ; Turenne le devint
par la réflexion, par l'étude, par l'expérience,
unies à une incomparable intelligence des
choses de la guerre. Entre Ture-nne et Condé
il n'existe pas le moindre rapport, et ce n'est
qu'un banal thème de collège que le parallèle
qu'on s'obstine à établir entre ces deux grands
hommes. Turenne fit faire un pas immense à
l'art militaire par une nouvelle formation des
troupes et un emploi plus raisonné de l'infan-
terie. Ses plans de campagne, ses marches sont
admirables, et dans l'action on remarque tou-
jours des dispositions variées, merveilleuse-
ment appliquées au terrain. Toutes ses vic-
toires furent le résultat de sa profonde saga-
cité, de son san^-froid, de son expérience et
du coup d'oeil infaillible qui lui faisait immé-
diatement discerner le point décisif. Luxem-
bourg et Catinat, dignes élèves de Turenne,
continuèrent à appliquer ses savants précep-
tes; mais l'art, après eux, semble retomber
dans la décadence, et ne brille plus que d'un
dernier éclat avec Berwick et Villars. Le rè-
gne de Louis XV offre plusieurs batailles qui
ne furent pas toutes heureuses pour nous,
mais qui fournissent d'excellentes leçons, qu'il
faut surtout aller puiser dans les mémoires du
temps, principalement dans ceux des généraux
français et étrangers. On peut consulter à cei
égard le chevalier de Folard, Puységur,
Montécuculli, et particulièrement Feuquières,
qui met en saillie, avec une grande sûreté de
jugement, les fautes aussi bien que les exploits
de Condé, de Turenne, de Luxembourg, de
Berwick, de Villars, et qui fait énergiquement
ressortir l'incapacité de Marsin, de La Feuillade
et de Villeroy. Vint enfin Frédéric If, qui fit
faire un pas nouveau à l'art de la guerre.
S'inspirant à la fois des leçons de l'antiquité
et des illuminations de son génie créateur, il
perfectionna toutes les armes. Il introduisit
dans l'infanterie l'habitude des déploiements
prompts et faciles, et, par des exercices répé-'
tés, apprit à ses troupes à marcher sur l'en-
nemi en continuant de l'écraser par un feu
vif et soutenu. Avant lui, la cavalerie, lourde
et peu maniable, ne pouvait charger qu'au
trot; il la rendit légère au point de pouvoir
charger au galop ; enfin, il organisa l'artillerie
à cheval, arme dont il fut l'inventeur, et qu'il
mit à même de suivre la cavalerie dans tous
ses mouvements. Le résultat de ces nouveaux
principes fut le triomphe de la Prusse sur ses
puissants ennemis et son élévation au rang de
puissance de premier ordre. A Striegau, à
Kesselsdorf, à Prague, à Lissa, à Rosbacn, etc.,
il recueillit les fruits de son génie, et c'est de
lui, à proprement parler, qu on fait dater les
savantes créations de l'art moderne.
Avec la Révolution française s'ouvre une
ère nouvelle pour la science militaire. Cepen-
dant les premières batailles de l;i Révolution ne
furent encore que des a/faires d'avant-postes,
où se révèlent plutôt les traditions françaises
de la guerre de Sept ans que les souvenirs des
leçons et des exemples de Frédéric. Valmy et
Jemmapes ne furent, pour ainsi dire, que des
escarmouches, où la supériorité de nos forces
devait nous valoir des triomphes bien autre-
ment complets. Dumouriez fut peut-être le
seul général, dans la rigoureuse acception du
mot, qui se montrât à la hauteur de ces temps
de luttes sanglantes et héroïques. Bien qu'il
n'ait paru être que le commencement d'un
grand homme, suivant l'expression d'un écri-
vain judicieux, il n'en sauva pas moins la
France, dans les défilés de l'Argonne. Les
généraux qui commandèrent après lui les
armées françaises déployèrent de véritables
talents militaires, à quelques exceptions près;
mais il nous faut arriver iusquà l'immor-
telle campagne d'Italie de 1796, pour être
témoins de combinaisons nouvelles, de résul-
tats gigantesques et d'ordres de bataille dont
l'antiquité, le moyen â^eet les temps modernes
n'offraient aucun modèle. Le début de Bona-
parte, dans sa campagne d'Italie, est remar-
quable par un système d'attaques rapides et
successives, dans lesquelles il se #arue bien
BAT
d'adopter un ordre de bataille déterminé.
Plus tard, le théâtre de la guerre s'élargis-
sant sans cesse, ses combinaisons revêtirent
des proportions analogues, effrayantes de
profondeur et de précision. Jamais on n'avait
combiné des marches aussi savantes, et à des
?oints aussi éloignés, destinées à tromper
ennemi, à le tourner dans sa position et à lui
couper tout moyen de retraite, résultats qu'on
n'avait jamais obtenus et qu'on n'obtiendra
jamais à un si haut degré que Napoléon. Ses
batailles, sans exemple dans l'histoire, par
l'immensité des détails et des combinaisons
qu'embrassait chacune d'elles, ne peuvent ni
se ranger parmi les batailles de position,
comme à Ramillies et à Malplaquet, ni parmi
les batailles de postes, comme a Lawfeld et à
Raucoux, ni parmi les batailles manoeuvres
de Lissa et de Kollin, ni parmi les batailles de
marches que lui-même avait gagnées en Italie.
Le seul nom qui leur convienne est celui de
batailles stratégiques. En effet, ces luttes
terribles n'embrassaient pas seulement quel-
ques milles d'étendue, comme à Fontenoy et
à toutes les batailles livrées par le grand
Frédéric -, elles ne se terminaient pas en quel-
ques heures, comme le voulait le maréchal de
Saxe ; elles se prolongeaient quelquefois pen-
dant quinze ou vingt jours, dont chaque pé-
ripétie était notée, arrêtée d'avance dans la
pensée puissante de l'immortel capitaine, et
elles comprenaient de vastes provinces, des
royaumes tout entiers.
Nous ne pouvons passer en revue toutes
les batailles du Consulat et de l'Empire ;
cet examen nous entraînerait trop loin,- D'ail-
leurs, le souvenir en est dans toutes les mé-
moires. Après avoir constaté les progrès
scientifiques de l'art delà guerre dus au génie
de Napoléon, signalons le fait matériel qui a
transformé la composition des armées mo-
dernes ; c'est, avant tout, le rôle prépondé-
rant qu'on a fait jouer à l'artillerie, et l'aug-
mentation considérable de la force des armées.
Sous Louis XIV, les armées pouvaient rare-
ment offrir en bataille plus de 25, 30, au plus
40 mille hommes ; aujourd'hui, elles comptent
100,000 hommes, et quelquefois plus ; nous ne
placions en bataille que 30, 40 ou 50 pièces
de canon; de nos jours, on les compte par
centaines. A la bataille de Leipzig, en 1813,
il y eut 600 pièces de canon engagées dans
l'armée française, et 900 dans celle des alliés.
L'art militaire contemporain n'est et n'a pu
être que l'application des grands principes po-
sés par Napoléon ; nous n'avons à signaler que
quelques progrès matériels, tels que l'intro-
BAT
, ri«£i.w iiicticiicis, LCIS que î intro-
duction des canons rayés, qui semblent desti-
nés à modifier profondément le rôle de l'ar-
tillerie. C'est à l'avenir seul à décider quelle
sera leur influence définitive.
— De la manière dont se livrent les batailles.
Dans l'antiquité, l'action commençait par une
grêle de flèches et de javelots, lancés de part
et d'autre; puis on s'abordait avec des piques,
on s'étreignait corps à corps, et la victoire
' demeurait aux plus résolus, aux plus robustes.
A mesure que l'art fit des progrès, l'intelli-
f ence du général en chef suppléa a la force
rutale ; puis il vint un moment où toute l'ar-
mée s'inspira des illuminations de son géné-
ral et se soumit docilement à l'intelligente
impulsion du génie. An moyen âge, une
bataille était une espèce de duel à mort,
que l'on présentait et que l'on acceptait
par l'entremise de hérauts d'armes, de même
que l'on convenait d'un duel par cartel ou par
défi. De nos jours, il en est tout autrement;
si l'art consiste le plus souvent à choisir son
terrain et le moment favorable pour attaquer,
il consiste quelquefois aussi à esquiver la ba-
taille, pour enlever à un ennemi en détresse,
l'occasion de se relever par une action d'éclat.
La guerre, comme l'a dit Napoléon avec une
I énergique précision, est l'art de se diviser
| pour vivre et de se concentrer pour combattre.
Aussi, tous les efforts du général doivent-ils
tendre à réunir la plus grande masse de troupes
possible sur un point et à un moment donnés.
Les officiers supérieurs préparent alors .les
troupes au combat par des inspections d'armes,
communiquent de grade en grade les projets
de la journée, indiquent les points de station
des ambulances, l'emplacement des caissons à
cartouches, enfin, déterminent et font con-
naître les rendez-vous de retraite et de ral-
liement en cas d'insuccès. Dès que les troupes
sont réunies sur le champ de bataille, le gé-
néral en chef^après s'être assuré du maintien
de ses communications, range ses troupes,
combine ses réserves et l'ordre de bataille,
dispose les différentes armes suivant la nature
du terrain, et fait établir ses batteries en coor-
donnant l'emplacement et la distance, l'espèce
des pièces, le numéro de leur calibre, la succes-
sion de leurs feux, la situation des intervalles,
la liberté des manœuvres et l'ordonnance gé-
nérale de l'armée. Quand ces préparatifs sont
terminés et que les troupes ont pris suffisam-
ment de repos et de nourriture, l'action s'en-
tame par les tirailleurs à pied et le feu des ca-
nons, quelquefois agissant ensemble, quelque-
fois successivement. Si le terrain s'y prête,
des tirailleurs à cheval appuient l'infanterie
légère. Quand les deux avant-gardes se sont
ainsi provoquées, l'armée résolue à livrer ba-
taille multiplie ses feux pour contraindre
l'adversaire à déployer ses masses, à mettre
en évidence ses différentes armes, à en lais-
ser supputer l'espèce, le nombre _, l'impor-
tance, a révéler quelle direction il prétend
leur donner. Une ordonnance de 1672 prescri-
vait à l'armée française d"cssuyer le premier
feu dans la bataille. C'était un reste d'esprit
chevaleresque, poussé jusqu'à un inconce-
vable ridicule ; nous nous faisions passer par
les armes, par pure courtoisie. Les Anglais ne
se le firent pas dire deux fois à Fontenoy
(v. ce mot), et l'on sait ce que cet intempes-
tive civilité coûta aux gardes-françaises.
Les cavaleries opposées ne font encore que
s'observer, tandis que les réserves se repo-
sent et que l'infanterie du corps de bataille,
soit déployée, soit en colonnes, marche à la
charge, l'arme au bras. Une fois l'action sé-
rieusement engagée, la grande affaire du gé-
néral est d'en suivre toutes les péripéties, afin
de porter des secours ou du renfort partout où
le besoin s'en fait sentir, de maintenir la
marche régulière des bataillons, de n'employer
ses feux quede manière à n'en jamais dégarnir
toutes les armes à la fois, en un mot, de pré-
venir ou de réparer tous les accidents qui
peuvent se produire dans ces tumultueux évé-
nements, de prescrire toutes les mesures dont
la nécessité imprévue n'éclate qu'au milieu
même des vicissitudes de la lutte, et que lui
suggèrent ses inspirations ou son expérience.
Au reste, la théorie de l'art ne peut formuler
que des principes très-incertains : les cas
d'exception sans nombre effacent la règle et
laissent tout à faire au génie. C'est en vain
qu'on chercherait la garantie de la victoire
dans un système constant ou dans un ordre
de bataille déterminé. Sans doute, tous les
grands capitaines ont eu une tactique parti-
culière, à laquelle ils ont dû leurs plus écla-
tants triomphes ; mais ils savaient merveil-
leusement la faire plier aux exigences de la
situation, et c'est sur le terrain même que
leur génie entrevoyait subitement la supério-
rité de telle ou telle disposition. Sans s'as-
treindre à suivre servilement les préceptes
des Montécuculli, des Turenne, des Feu-
quières, des Frédéric, nos plus illustres gé-
néraux en ont modifié l'application et créé
eux-mêmes de nouvelles combinaisons. Ce
serait donc compromettre le salut d'une armée
que de s'attacher,dans une bataille, à imiter
les manœuvres de tel ou tel général. Rien
n'est plus variable que les éléments âe succès,
qui ne se reproduisent jamais dans les mêmes
circonstances. Ainsi le système des colonnes
profondes, qui valut tant de victoires à la
France, faillit faire perdre à Napoléon la ba-
taille d'Essling, et ce fut avec des dispositions
analogues à celles qui avaient amené le
triomphe de Marengo qu'il fut vaincu à Wa-
terloo. Il est vrai que, dans cette dernière ba-
taille, tout fut fatalité pour l'armée française,
même dans les plus simples incidents de ce
grand événement. Aussi, un général ne sau-
rait-il avoir trop présentes à l'esprit ces pa-
roles de Napoléon : * Le sort d'une bataille
est le résultat d'un instant, d'une pensée ;
on s'approche avec des combinaisons diverses,
on se oat un certain temps ; le moment décisif
se présente, une étincelle morale prononce, et
la plus petite réserve accomplit, s Sans doute,
les militaires ne peuvent que méditer avec
fruit les beaux faits d'armes des généraux an-
ciens et modernes ; l'étude attentive des mo-
tifs qui les ont déterminés, la recherche des
causes connues ou probables des succès et des
revers, leur donneront de saines idées pra-
tiques sur l'art si difficile de la guerre, et
leur apprendront à se tenir en garde contre
les mille obstacles imprévus qui peuvent faire
aboutir à un désastre le plan de campagne le
plus habilement concerté; mais il faut éviter
soigneusement, dit M. le général Pelet (Mé-
moires sur les guerres de 1809) « de poser dog-
matiquement des principes, ou plutôt de déco-
rer de ce nom les résultats souvent forcés de
faits isolés ; résultats déterminés quelquefois
par la puissance du génie et de la valeur,
mais le plus souvent par les jeux d'un aveugle
hasard, "et qui ne sont pas toujours suffisam-
ment constatés. » Le hasard, en effet, a joué
un rôle capital dans les événements militaires.
« Le plus grand général que je connaisse, a
dit pittoresquement Turenne, c'est le général
Hasard. »
Sur le champ de bataille, les principes
n'ont donc qu'une valeur des plus relatives ;
mille circonstances peuvent les modifier, les
renverser même quelquefois. « La guerre, dit
excellemment le maréchal de Saxe, a des
règles dans les parties de détail; mais elle
n'en a point dans les sublimes. -> Napoléon,
s'inspirant de ses propres exemples, semble
avoir formulé pour lui seul ce précepte, dont
'il pratiquait si admirablement le secret, « que
l'art consiste à faire converger un grand
nombre de feux sur un même point; que, la
mêlée une fois établie, celui qui a l'adresse de
faire arriver subitement, et à l'insu de l'en-
nemi, sur un de ces points, une masse inopi-
née d'artillerie, est sûr de l'emporter; voilà
quel avait été son grand secret, sa grande
tactique. » Ces paroles ne démentent pas le
mot qu'on lui attribue, que « Dieu est toujours
pour les gros bataillons, » mot qui, au premier
abord, paraît contredire cette recommandation
de César : Consilio potius quam gladio supe-
rare. Mais qui oserait prendre Napoléon au
mot, lorsqu il semble ainsi méconnaître la
fiuiss'anee du génie? Le vainqueur d'Auster-
itz avait moins que tout autre le droit de
faire entendre cette boutade, lui qui, sur tant
de champs de bataille et avec de simples com-
pagnies, avait renversé tant de gros batail-
lons.
BAT
La victoire, a dit Bossuet en parlant du
grand Condé, tient à des illuminations. On ne
saurait le contester; mais elle tient quelque-
fois aussi à des causes étranges et même pué-
riles. Nous allons en citer quelques exemples.
Suivant le récit de Tite-Live, l'armée de Fa-
bius Ambustus fut mise en fuite par les Fa-
lisques et les Tarquiniens, qui avaient mis au
premier rang leurs prêtres, tenant à la main,
au lieu d'épées, de grosses couleuvres qui se
tordaient sur elles-mêmes. Annibal lui-même
employa un stratagème analogue : combattant
avec les troupes de Prusias, roi de Bithynie,
contre Eumène, roi de Pergame, il fit enfer-
mer dans des pots de terre toutes sortes de
serpents, et ordonna de lancer ces armes d'un
nouveau genre sur les vaisseaux des enne-
mis. Ceux-ci furent tellement effrayés à la
vue de tous ces reptiles, qui s'enroulaient au-
tour d'eux, qu'ils perdirent toute présence
d'esprit et furent forcés de se rendre. A la
bataille de Pharsale, César, comme nous l'a-
vons déjà dit, ordonnai ses vieux légionnai-
res de frapper au visage les jeunes et brillants
cavaliers de Pompée, qui, jaloux de conserver
les agréments de leur figure, abandonnèrent
honteusement le champ de bataille. Un des
traits les plus curieux que nous fournissent
les annales militaires est le suivant : pendant
une longue guerre que les Scythes avaient
entreprise en Asie, leurs femmes, impatien-
tées de ce veuvage anticipé, épousèrent leurs
esclaves. Lorsque les époux et maîtres do
ces volages moitiés rentrèrent dans leurs
foyers, ils durent livrer plusieurs combats
sanglants, où les avantages restèrent parta-
gés. Ils n'allèrent point consulter l'oracle d'A-
pollon ; ils firent seulement cette réflexion
très-sensée, eu égard1 aux mœurs du temps,
que c'était trop honorer des esclaves que de
les traiter en soldats, et ils marchèrent contre
eux le fouet à la main. La vue de cet instru-
ment redoutable effraya tellement les pseudo-
maris, qu'ils prirent aussitôt la fuite. En 888,
Arnould, fils naturel de Carloman, disputait
l'empire à Gui, duc de Spolète, qui s'était
déjà rendu maître de Rome. Il se présenta à
la tête de son armée devant cette capitale,
dont il se prépara aussitôt à former le siège.
Sur les entrefaites, un lièvre effrayé traversa
son camp en se dirigeant vers la ville. Commo
le timide cousin de Jeannot Lapin n'était pas
encore devenu un foudre de guerre, il se vit
poursuivi par une foule de soldats en tu-
multe. Les assiégés, ignorant la cause de
cette agitation et ne songeant guère à l'attri-
buer à un lièvre, crurent que c était le signal
de l'assaut, et comme leurs préparatifs de dé-
fense n'étaient pas encore terminés, ils aban-
donnèrent précipitamment les remparts. Ar-
nould profita de cette panique pour entrer
dans Rome, où il se fit couronner empereur.
En 1390, le sultan Bajazet, qu'on appelait le
Foudre, venait de remporter, àRazboc, une
victoire signalée sur Etienne, prince de Mol-
davie. Celui-ci, avec les débris de son armée,
gagna la ville de Nemz, où sa mère s'était
renfermée avec une forte garnison. Cette
mère Spartiate refusa de lui ouvrir les portes.
« Quoil lui cria-t-élle du haut des murailles,
oses-tu bien te présenter vaincu devant moi?
As-tu donc oublié que tu as porté le nom de
brave? n'es-tu plus mon fils 1 V uis loin de moi ;
fuis les regards de ta mère, et ne reviens ja-
mais que la victoire à tes côtés. » Etienne,
plein de confusion, mais aussi de colère, ras-
semble autour de lui environ douze mille Mol-
daves échappés au carnage, leur communique
sa soif de vengeance, et retourne impétueu-
sement avec eux dans la plaine de Razboc, où
les Turcs en désordre étaient occupés au pil-
lage. Il les surprend, les taille en pièces et
oblige le terrible Bajazet à prendre la fuite à
son tour. En 1677, Louis XIV, assiégeant Va-
lenciennes, emporta la place presque sans ré-
sistance, parce que Vauban conseilla de pra-
tiquer en plein jour l'attaque de différents
ouvrages, qui n'avait lieu ordinairement que
la nuit. Les assiégés étaient plongés dans une
sécurité complète, qui causa leur perte. Rap-
pelons en passant que l'assaut livré à la tour
Malakoff, à midi, le 8 septembre 1855, n'était
qu'une heureuse application do ce renverse-
ment des principes suivis dans la guerre de
siège.
Nous pourrions multiplier les exemples de
ce genre; mais ils ne font que piquer la cu-
riosité, et ne constituent aucun enseignement. -
Nous allons donc terminer cet article, en rap-
pelant les principes de quelques grands géné-
raux sur le sujet oui nous occupe.
— Axiomes de quelques grands hommes de
guerre sur les batailles. Nous avons déjà cité
Onosander, Végèce et l'empereur Léon; mais
les préceptes mis en avant par ces écrivains
militaires, et dont nous avons donné une idée
à nos lecteurs, ne peuvent plus nous offrir
qu'un intérêt rétrospectif. Chez les modernes,
Montécuculli a formulé des principes qui doi-
vent être médités par tous les nommes de
guerre, car ils sont dictés par une profonde
expérience et surtout par un grand esprit prati-
que, trop pratique même quelquefois, "s'il a
réellement conseillé, comme le lui reproche*
le général Lamarque, d'empoisonner les eaux
et d'aposter des gens pour tuer les généraux
ennemis. Il est plus d'accord avec les lois de
la guerre suivies entré nations civilisées lors-
qu'il dit : Consultez lentement et exécutez
avec promptitude. — Donnez quelque chose
au hasard; car qui veut tout prévoir est in-

capable de rien faire. — Combattez à votre
choix et jamais à la volonté de l'ennemi (pré-
ceptes que Montécuculli savait admirablement
observer). — Dpnnez de la réputation à vos
armes. — Mettez-vous à même de profiter de
toutes les conjonctures. — Il faut toujours
prévenir l'ennemi, et le charger avant qu'il
soit en bataille.— Marcher, si le terrain est
égal; mais rester en position, si l'on se trouve
dans un poste avantageux. —Tirer continuel-
lement, mais les uns après les autres, pour
ne pas être dégarni de feu; viser particuliè-
rement les officiers. — N'engager les réserves
que dans un pressant besoin, et se ménager
toujours un dernier appui. — Si Ton est moins
nombreux, attaquer la nuit ou sur le soir, —
Faire peu de prisonniers, pour s'éviter l'em-
barras de les garder, etc.
Feuquières, qui écrivait quarante ans après
Montécuculli, divise ses préceptes, comme ce
grand capitaine, en moyens de prévoyance,
en préparatifs et en moyens d'action, et il en
a fait 1 application aux batailles auxquelles il
a assisté. Son ouvrage est une source féconde
d'instruction. Frédéric n'a pas fait un traité
dogmatique ; il n'écrivait que pour ses géné-
raux ; aussi ses conseils ont-ils la brièveté, la
concision d'un commandement. Il posait pour
règle capitale de la guerre qu'il ne faut jamais
- se laisser forcer à recevoir la bataille, et qu'il
y a une égale habileté à la donner ou a la
refuser à propos. Les principes dont il recom-
mande surtout l'application se résument ainsi :
Il faut en venir aux batailles pour terminer
les querelles. — Il faut les préméditer, car
celles qui sont l'ouvrage du hasard n'ont pas
de grands résultats. — Les meilleures sont
celles que l'on force l'ennemi à recevoir. —
En refusant une aile, et en renforçant celle qui
doit attaquer, on peut porter beaucoup de
forces sur l'aile de l'ennemi que l'on veut
prendre en flanc. Cette manière d'attaquer
offre trois avantages : 1° d'attaquer le point
décisif; 2° de pouvoir prendre l'offensive avec
des forces inférieures; 3° de ne compromet-
tre que les troupes qu'on met en avant, et
d'avoir toujours le moyen de se retirer. —
Les attaques sur le centre amènent les vic-
toires les plus complètes ; car, si on parvient
à le percer, les ailes sont perdues. — Les at-
taques de villages coûtent tant de monde, que
je me suis fait une loi de les éviter. — Ville-
roy fut battu à Ramillies pour avoir placé une
partie de ses troupes dans un terrain où elles
ne pouvaient agir. — Il ne faut pas tirer en
marchant; car c'est le terrain que l'on gagne, \
et non les ennemis que l'on tue, qui décide la
victoire...
Nous bornerons ici ces citations, et nous
terminerons par la douloureuse réflexion
qu'elles nous inspirent : Comment tant et de
si puissantes intelligences ont-elles mis leur
gloire à raffiner les moyens de s'entre-tuer,
et comment les peuples, qui ont tant souffert
de leur orgueil, de leur insensibilité, de leur
égoïsme et de leur ambition, sont-ils encore
assez niais pour les applaudir ? j
— Jeu. Le jeu de la bataille est le plus sim-
ple des jeux de cartes. Il se joue à deux, et |
avec un jeu de cinquante-deux cartes, les car- ;
tes conservant leur valeur habituelle. L'un des
joueurs mêle les cartes, fait couper et les dis- :
tribue une à une jusqu'à la dernière. Chacun !
ramasse son paquet, sans le déranger ni le
regarder, et le tient de la main gauche, la
partie blanche ou tarotée en dessus. Celui qui
n'a pas donné tire alors la carte de dessus et
la retourne sur la table. L'autre joueur en fait
autant, et celui dont la carte est la plus forte
l'emporte. Il fait donc une levée, c'est-à-dire
il ramasse les deux cartes et les met sous son
paquet, puis il continue la partie en retour-
nant une nouvelle carte. Quand le hasard veut
que les deux loueurs retournent deux cartes
de même valeur, quelle que soit la couleur, il
y a bataille. Us laissent alors ces deux cartes
sur la table et en tirent chacun une seconde,
et c'est celui dont la nouvelle carte est la plus :
forte qui prend le tout. Quelquefois cependant j
les deux nouvelles cartes font elles-mêmes ,
bataille. Il peut même en arriver autant aux J
deux suivantes. Dans tous les cas, la plus -
forte carte l'emporte, quand cette rencontre
cesse d'avoir lieu. La partie se termine lorsque
l'un des joueurs a pris toutes les cartes de
Poutre. Suivant'M. Paul Boiteau,« l'innocente
bataille a dû être le premier jeu de cartes
français. Si, ajoute-t-il, Charles VI jouait aux
cartes, il devait tout au plus jouer à un jeu
de cette nature. Et de la bataille a dû naître
le piquet. »
Bataille de Babylone. D'après ce titre bel-
liqueux , on s'attend sans doute à° quelque
combat sanglant comme celui qui aurait pu
précéder l'entrée d'Alexandre dans laChaldée.
Que le lecteur se rassure, car cette Bataille
de Babylone rentre entièrement dans le sys-
tème très-pacifique de Fourier : la lutte que
nous allons analyser n'exige que de bonnes
dents, de bonnes fourchettes et des couteaux
bien affilés, qui n'ont rien d'homicide. Après
la lutte, au lieu de ces images qui font fré-
mir les optimistes les plus endurcis, au lieu de i
débris humains, les ruines n'offriront à l'œil
que les restes de quelques petits pâtés et le \
spectacle de nombreuses bouteilles vides. Les :
gastronomes seuls pourront s'émouvoir en '
présence de ce carnage pantagruélique. i
Les rivalités et le goût des batailles étant '
enracinés trop profondément dans le cœur I
humain pour qu'il soit possible de les en arra- J
BAT
cher entièrement, Ch. Fourier, dans son Sys-
tème harmonien, a tourné habilement la diffi-
culté. Au lieu de prétendre étouffer les germes
d'émulation entre les différents peuples, il les
accepte, il les "maintient, mais a la condition
d'en modifier complètement la nature et la
direction ; en un mot, il met la caricature à la
place du drame, et métamorphose le sabre du
conquérant en une batte d'Arlequin. Il n'a pas
la prétention de supprimer les batailles ; mais
il veut que l'industrie, à laquelle la guerre
porte un coup mortel, en retire des fruits
utiles. Qu'on propose aux armées, pour prix
de la victoire, non plus une ville ou une pro-
vince, mais une palme pacifique pour la per-
fection dans un genre d'industrie quelconque.
C'est la donnée sur laquelle repose le principe
des expositions universelles, dont la vogue va
sans cesse en croissant, avec cette différence
que, dans les expositions, on récompense
plutôt les succès ayant rapport aux arts ou
a-la partie artistique de l'industrie, tandis que
Fourier va chercher pour sujet de concurrence
une chose tout à fait commune. La grande
médaille d'honneur sera décernée au peuple
qui se sera le plus distingué... dans la confec-
tion des petits pâtés. Ecoutons l'Homère de
cette gastromachie, dont le champ de bataille
est Babylone.
« Soixante empires, qui veulent concourir,
ont apporté leurs matériaux, leurs farines et
objets de garniture, les sortes de vins conve-
nables à leurs espèces de pâtés. Chaque em-
pire a choisi les gastronomes et pâtissiers les
plus aptes à soutenir l'honneur national et à
faire triompher ses petits pâtés. Avant son
arrivée, chaque armée a envoyé les ingénieurs
disposer les cuisines de bataille. Les juges
siègent à Babylone et sont tirés, autant qu'il
se peut, de tous les empires du globe.
» L'armée, forte de 600,000 combattants et
de deux cents systèmes de petits pâtés, prend
position sur l'Euphrate, formant une ligne
d'environ cent vingt lieues, moitié au-dessus,
moitié au-dessous du fleuve. Avant l'ouver-
ture de la campagne, soixante cohortes de
pâtissiers d'élite se détacheront pour le service
de la haute cuisine de bataille du grand San-
hédrin gastrosophique de Babylone. C'est un
haut jury qui fait fonction de concile œcu-
ménique sur la matière. En même temps, on
détache des soixante armées cent vingt ba-
taillons de pâtissiers de ligne , qui se répartis-
sent par escouades, de chaque armée, pour
fabriquer les petits pâtés selon les instruc-
tions de leurs chefs. Chacune des soixante
armées se classe dans le centre ou aux ailes,
suivant la nature de ses prétentions.
L'aile droite en petits pâtés farcis. . . 20
Le centre en vol-au-vent à sauce. . . 25
L'aile gauche en mirlitons garnis. . . 15
60
L'affaire s'engage par des fourrés de l'un des
trois corps, soit de l'aile gauche sur les mirli-
tons qui sont dégustés à Babylone par le grand
Sanhédrin. On ne peut présenter au concours
§lus de deux à trois systèmes par jour. La
égustation deviendrait confuse si elle excé-
dait le nombre trois.
Au bout d'une semaine employée à la dé-
gustation des systèmes de l'aile gauche, le
Sanhédrin rend un jugement provisoire d'après
lequel les trois empires, France, Japon et
Californie, ont remporté un très-grand avan-
tage, et tels systèmes de mirlitons présentés
par eux sont admis provisoirement. -
Laissant de côté les détails de la bataille,
qui sont fort compliqués, nous passerons à
1 issue de la lutte gastrosophique.
« A la fin de la campagne, il y aura eu
vingt-cinq empires vaincus et trente-six triom-
phants. Un même empire peut réussir à faire
adopter deux ou trois espèces de sa compo-
sition, ce qui explique ce chiffre de soixante
et un, lorsque nous n'avons annoncé que
soixante empires prêts à entrer en lice, ou,
pour mieux dire, en fourneaux.
» Au jour du triomphe, les vainqueurs sont
honorés d'une salve d'armée. Par exemple
Apicius est vainqueur principal; on sert ses
petits pâtés au début du dîner. A l'instant les
600,000 athlètes s'arment de bouteilles de vin
mousseux, dont le bouchon ébranlé et contenu
par le pouce est prêt à partir. Les comman-
dants font face à la tour d'ordre de Babylone
et, au moment où son télégraphe donne le
signal du feu, on fait partir à la fois les
300,000 bouchons. Leur fracas, accompagné
des cris de vive Apicius! retentit au loin dans
les antres des monts de l'Euphrate. Au même
instant, Apicius reçoit du chef du Sanhédrin
la médaille d'or portant en exergue : « A Api-
» cius, triomphateur en petits pâtés à la ba-
» taille de Babylone, donnée par les soixante
D empires. » Leur nom est gravé sur le revers
de la médaille. »
Nous avons extrait presque en entier le
passage de la Bataille de Babylone du tome
deuxième du Traité d'association de Fourier,
en ayant soin de le rendre intelligible, afin
que nos lecteurs puissent savoir à quoi s'en
tenir sur ce thème d'intarissables plaisante-
ries dirigées contre son inventeur. On voit
maintenant que, si le texte est original, bizarre,
excentrique, l'idée, au fond, n'est nullement
ridicule, etcependant des esprits sérieux, pre-
nant la chose au pied de la lettre, n'y ont
presque rien compris. Le P. Félix, dans une
récente conférence sur ou plutôt contre l'éco-
BAT
nomie politique, s'est trompé en attribuant l
cette fantaisie à la science des Turgot, des
Smith et des Laboulaye, et plus gravement
encore dans l'explication qu'il a essayé d'en
donner. M. Henri Baudrilîart, plaidant pour
l'économie politique contre l'orateur sacré, ne
voit dans la Bataille de Babylone qu'une bouf-
fonnerie rabelaisienne. Nous avons essayé de
démontrer à nos lecteurs que l'idée de Fou-
rier avait une portée véritable, sans toutefois
y ajouter, vu l'excentricité de la forme, plus
d'importance que Fourier lui-même, qui riait
le premier de sa bataille gastrosophique.
On le sait, ce rêveur pacifique soupirait
après une harmonie universelle. Or, qu'ya-t-il
de plus opposé à l'harmonie que la guerre, le
tumulte, le choc de deux armées et le chaos
des batailles ? Aussi Fourier dresse-t-il toutes
ses batteries contre l'ennemi, et comme le sé-
rieux lui paraît ici un pistolet de paille, il se
décide à s'armer des grelots de la Folie. Cette
tactique de guerre est un peu contre ses ha-
bitudes. Passons - lui donc cette fantaisie,
comme nous pardonnerions à un éléphant de
danser mal sur la corde. Son rire fait la gri-
mace : rire de philosophe, rire de réforma-
teur. Quoi qu'il en soit, on fait souvent, en
littérature, allusion à la bataille de Babylone.
Voilà pourquoi nous devions, dans cet ou-
vrage, quelque développement à cette bataille,
omise jusqu ici par tous les dictionnaires.
Bataille des Vice» contre les Vertus, pièce
satirique extrêmement curieuse et peu con-
nue, composée par le vieux Rutebeuf. Le-
grand d'Aussy nous a donné sur ce morceau
très-intéressant, non-seulement au point de
vue littéraire, mais encore au point de vue
politique et historique, de très-bons renseigne-
ments." Cette pièce, dit-il, l'une de celles qui
parurent par milliers sous saint Louis, est,
ainsi que beaucoup d'entre elles, une satire
assez directe de sa personne et de son admi-
nistration. Elle attaque principalement les
tendances par trop dévotes du roi, et ses
sympathies pour l'ordre des dominicains et
des jacobins. » Un autre vieux poème français,
le Nouveau Renard, contient également une
violente sortie contre ces deux ordres reli-
gieux, et surtout contre le premier. La Ba-
taiile des Vices contre les vertus, quoique
s'annonçant comme devant être très-violente,
est néanmoins plutôt conçue dans .le genre
ironique et badin. Legrand d'Aussy en cite un
assez long passage, qui faitullusion à l'empire
inquisitorial et tyrannique que les membres
des deux ordres exerçaient dans les familles
et surtout dans les midi delà France. Croyaient-
ils avoir à se plaindre de quelqu'un, ils le dé-
nonçaient comme hérétique, et le malheureux [
était perdu. C'est caque le poëte désigne par
ces langues affilées, dont les reproches ont
des suites si dangereuses ; c'est ce qu'il indique |
par l'empressement affecté qu'on montrait à
les accueillir, à leur offrir des présents pour
se les rendre propices.
Bataille des sept orts, ancien poëme fran-
çais par Henri d'Andeli. Legrand d'Aussy en
a donné une analyse détaillée dans les notices
et extraits des manuscrits. « Quoique ce poëme,
dit-il, publié sur le déclin du xin^ siècle, soit
piquant par la nature du sujet qu'il traite et
par le bon goût que l'auteur annonce dans
son épilogue, le style en est si obscur, qu'il en
devient presque énigmatique. D'ailleurs, tous
ses détails tiennent à l'état où se trouvaient
alors les études en France ; et si l'on ne con- i
naît ce qu'étaient à cette époque l'enseigne-
ment et les .sciences, il est très-difficile de le
suivre. C'est une fiction critique et satirique,
comme on en faisait tant-alors, qui s'attaque
exclusivement à l'organisation absurde de
l'université de Paris. » L'auteur insiste princi-
palement sur les dissensions et les discordes
scolastiques qui éclatèrent, entre elle et l'uni-
versité d'Orléans. Le poëte, usant de ces per-
sonnifications abstraites, si en faveur à cette
époque, suppose que Logique et Grammaire
entrent en guerre. Chacune d'elles, de son
côté, l'une à Orléans et l'autre à liaris, forme
une armée de ses adhérents et de ses vas-
saux. Elles se livrent bataille, et le succès du
combat est tel, que l'auteur se voit forcé d'en
gémir. Dans les deux camps figurent tous les
grands noms littéraires de l'antiquité, et cha-
cun lutte pour le triomphe de sa cause. Ce
récit est plutôt curieux que réellement inté-
ressant.
Bataille navale (en espagnol, la Batalla
naval), comédie de Cervantes, dont le texte,
ainsi que celui de la Gran Turquesca et de
Jérusalem, n'est pas parvenu jusqu'à nous.
Ces diverses pièces ont été composées et re-
présentées en 1584. La perte de la Bataille
navale est d'autant plus regrettable que, sui-
vant la judicieuse observation de Ticknor
(History ofispanish literature, New-York,
1849, 3 vol. in-8°), cette pièce était une mise
en scène fort dramatique du célèbre combat
naval de Lépante, dans lequel Cervantes eut
la main gauche fracassée par un coup de feu.
Ainsi que l'auteur nous l'apprend dans le
Prologue de ses comédies publiées en 1615, à
Madrid, chez le libraire Juan de Villaroel, la
Bataille navale fut représentée, pour la pre-
mière fois, dans cette ville. C'est dans cette
comédie que Cervantes se hasarda à réduire
à trois le nombre de cinq journées, qui formait
la division habituelle des œuvres théâtrales.
Cette heureuse innovation a été adoptée de-
Fuis par tous les écrivains dramatiques de
Espagne.
BAT 343
Bataille des livre» (LA), écrit satirique, de
Jonathan Swift. Le chevalier Temple, pro-
tecteur et ami de Swift, avait publié un essai
en faveur des anciens, au moment le plus
animé de la grande querelle qui divisa les
esprits, pendant une partie du xvne et du
xvnie siècle. Wotton répondit dans un opus-
cule, auquel le célèbre Bentley ajouta un ap-
pendice, dans lequel il s'efforçait de discré-
diter Esope et Phalaris, que le chevalier avait
fort vantés. Charles Boyle, depuis comte
d'Orery, auteur d'une nouvelle édition de Pha-
laris, riposta avec autant de verve que d'éru-
dition, et Bentley répondit à son tour par un
lourd et indigeste volume. C'est alors que -
Swift se jeta dans la mêlée, et, de sa plume la
plus mordante, défendit à la fois les anciens
et son ami le chevalier, en publiant cette pi-
quante boutade, sous le titre de : Récit véri-
table d'une bataille entre les livres anciens et
modernes, donnée vendredi passé dans la bi-
bliothèque de Saint-James.
Voici la fiction que suppose Swift pour
entrer en matière :
Boyle, le bibliothécaire royal, champion des
modernes, opéra un jour une révolution dans la
bibliothèque de Saint-James. Les anciens
avaient occupé jusque-là les plus beaux ap-
partements; ils cédèrent en partie la place
d'honneur aux modernes. L'anarchie fut au
comble sur les rayons de la bibliothèque,
quand Aristote se vit le voisin de Descartes,
et Virgile celui de Dryden. Un premier débat
n'aboutit qu'à faire déclarer une guerre en
règle. Les deux armées se rangent en bataille.
Survient un apologue en action, qui se passe
dans l'angle d'une fenêtre: c'est une araignée
et une abeille qui récriminent sur leurs dé-
fauts respectifs et font valoir leurs qualités.
Esope interprète cet apologue ; la dispute des
deux insectes est exactement celle des anciens
et des modernes. L'araignée représente les
modernes avec leurs prétentions e\- leurs pa-
radoxes; l'abeille, image de l'activité indus-
trieuse, façonne, comme les anciens, le miel
et la cire, la douceur des mœurs et les lumiè-
res de l'esprit. Le discours d'Esope soulève
un immense tumulte, et les adversaires en-
trent en campagne. Rien de plus plaisant que
les commandements donnés par Swift aux
généraux et capitaines qu'il range en bataille,
et que les ressorts comiques dont il se sert.
Les noms et les fonctions les plus disparates,
les épifchètes homériques s'adaptant à des
personnages français ou anglais, les dieux de
la mythologie se rencontrant avec les héros
modernes, des allusions malicieuses, des
louanges spirituelles, des antithèses dramati-
ques, des épisodes burlesques, des armes dont
le choix symbolise les défauts ou les qualités
des caractères, des péripéties habilement
échelonnées, tels sont les ingrédients de cette
épopée tragi-comique, dont le dénoûment est
contraire à la vérité.
La Bataille des livres est un modèle d'ima-
gination , de plaisanterie et de bon sens.
« Swift, dit M. H. Rigault, sema dans la dis-
cussion un grand nombre d'idées justes et
spirituelles, sur l'obligation pour la vraie cri-
tique de savoir admirer les beautés ; sur la
nature de la poésie méconnue par Fontenelle ;
sur l'imitation confondue avec la servilité, par
les copistes des anciens; sur l'interprétation
des textes antiques, où l'érudition hasardeuse
de-Bentley avait introduit des nouveautés
téméraires. »
On revoit dans cette œuvre tous les traits
caractéristiques du style de Swift, ce condot-
tiere de la satire, marchant à la guerre poli-
tique, religieuse ou littéraire, avec un sang-
froid, une adresse et une sûreté de coup d'œil,
un mépris superbe de ses adversaires et un
approvisionnementde projectiîes,qui devaient
ramener la victoire. Le Lutrin de Boileau met
aussi en scène un combat où les livres ser-
vent d'armes aux acteurs de la lutte; la
Bataille imaginée par le doyen de Saint-Pa-
trick n'a qu'une analogie très-éloiçnée avec
l'épisode si connu du Lutrin. Swilt ne plai-
sante guère à la manière de Despréaux ; sa
verve emporte toujours le morceau ; mais son
imagination est d'une fécondité inépuisable.
S'il entre en campagne, c'est pour frapper
d'estoc et de taille. L'expression chez lui, nue
et simple, est la servante docile de l'idée.
« Cette charmante bouffonnerie , a dit
M. Mézières, parodie plaisamment les formes
épiques; la satire porta ses fruits, et les
rieurs, qui s'étaient rangés d'abord du côté
des modernes, dont le talent et l'esprit défen-
daient admirablement la cause, ne tardèrent
pas à passer dans le camp opposé, »
Bataille d'Hermann (LA) , poëme drama-
tique de Klopstock. Les poëmes dramati-
ques de Klopstock, qui sont au nombre de six,
conviennent plutôt à la lecture qu'à la scène.
On ne saurait y méconnaître la manière large
de l'auteur de la Messiade, mais l'inspiration
du poëte lyrique ne pouvait se faire aux en-
traves d'une action réglée par la logique. La
Bataille d'Hermann, Hermann et les princes,
la Mort d'Hermann sont des sujets nationaux,
qui se lient ensemble en une espèce de trilogie.
Klopstock appelle ces drames des baraits,
voulant indiquer par cette dénomination qu'il a
cherché à y reproduire la manière des anciens .
bardes. Dans son premier bardit, il peint la dé-
faite de Varus dans la forêt de Feutobburg;
dans le deuxième, il célèbre l'assaut que les
Germains donnèrent au camp des Romains com-
mandés par Caccina ; dans son troisième, enfin,
344
il chante la mort d'Hermann, assassiné par
les princes de la Germanie jaloux de son pou-
voir et de sa gloire. Ces trois compositions
sont écrites en prose, mais elles sont fréquem-
ment entremêlées de chants lyriques auxquels
on ne peut refuser ni l'élévation, ni l'harmo-
nie. Gluck en a mis quelques-uns en musique.
Mme de Staël, qui, dans son livre sur l'Alle-
magne, a porté à la légère tant de jugements
erronés, a prétendu que les souvenirs invo-
qués par Klopstock n'avaient presque aucun
rapport avec la nation actuelle. « On sent,
dit-elle, dans ces poésies, un enthousiasme
vague, un désir qui ne peut atteindre son but,
et la moindre chanson nationale d'un peuple
libre cause une émotion plus vraie. Il ne reste
guère de traces de l'histoire ancienne des
Germains. L'histoire moderne est trop divisée
et trop confuse pour qu'elle puisse produire
des sentiments populaires : c'est dans leur
cœur seul que les Allemands peuvent trouver
la source des chants vraiment patriotiques. » Il
faut ajouter, a l'excuse de Mme de Staël, qu'à
l'époque où elle écrivait ces lignes, elle n'avait
pu encore constater l'effet foudroyant produit
par les drames de Kleist et de Grabbe. V. les
deux articles suivants. I
Batniiio d'Hermann (LA), drame héroïque
de Henri de Kleist. Henri de Kleist, qu'il ne
faut pas confondre avec son homonyme
Chrétien Ewald de Kleist, est une des figures j
les plus caractéristiques du commencement !
de ce siècle. Né le 10 octobre 1776, à Franc-
for t-sur-1'Oder, il lit une campagne contre la
France, et rentra, en 1799, à Berlin, pour
occuper un emploi au ministère du commerce.
Il avait mené de front les études littéraires et
celles du droit ainsi que des sciences admi-
nistratives, aussi ses capacités le désignèrent-
elles à ses chefs-pour une mission diploma-
tique à Paris. Kleist partit tout joyeux de voir
la capita'e de la France et le centre de tant
de gloires, et d'illustrations ; il y passa un an,
et revint en Allemagne par la Suisse; mais à
peine était-il de retour à Dresde, quil reçut
de nouveau l'ordre de se remettre en route
pour Paris. Cette fois son enthousiasme s'était
singulièrement refroidi. Il avait vu et jugé
de près ce qu'il avait admiré de loin, << L'im-
pudente ambition, dit un de ses biographes,
qu'il ne faudrait pas prendre au pied de la
lettre, la morgue hautaine, les exigences
de plus en plus impérieuses de Napoléon,
et plus encore le mépris que son gouver-
nement , après avoir leurré, trompé, dés-
honoré et réduit au rang de complice le gou-
vernement prussien, laissait percer et pour
le caractère moral et pour la valeur maté-
rielle de cette puissance, ne pouvaient que
blesser profondément un enfant de la Prusse. »
Kleist quitta Paris en 1S06, quand une rupture
entre Napoléon et Berlin fut devenue immi-
nente. Jusqu'à la bataille d'Iéna et l'occupa-
tion si prompte de Berlin, qui en fut la suite,
il conserva son poste au ministère; mais alors
il se retira à Kœnigsberg. Son départ fut re-
gardé par les vainqueurs comme une pro-
testation contre leur triomphe. Napoléon, qui
exigeait que tous les fonctionnaires restassent
à leurs places dans les pays conquis, jusqu'à
ce qu'il eût eu de quoi refaire une nouvelle
organisation, fit saisir Kleist, qui fut dirigé
vers la France et retenu prisonnier, d'abord
au fort de Joux, puis à Chalon-sur-Saône.
Il nous fallait donner tous ces détails et rap-
peler ces événements de la vie du poëte alle-
mand, pour que l'on comprît la portée de son
drame la Bataille d'Hermann, pour qu'on en
saisit le vrai sens et qu'on vît clairement les
causes qui l'ont inspiré. C'est dans sa capti-
vité, sans doute, que son patriotisme prit le
caractère d'une exaltation furieuse et éche-
velée. Son esprit s'assombrit, son caractère
s'aigrit, il devient mélancolique et misan-
thrope. La paix de Tilsitt le rendit à sa patrie ;
pendant un an, il resta à Prague, se livrant
à des travaux littéraires et rédigeant, avec
son ami Adam Muller, un journal intitulé
Phébus. La guerre avec la France avait re-
commencé. Il n'hésita pas à marcher contre
celui qu'il s'était étudié à haïr; mais la ba-
taille de Wagram et la paix de Vienne le
tirent rentrer à Berlin. Son exaltation était
allée croissant; il était' mécontent de l'uni-
vers entier, et, malade d'orgueil, il croyait
son talent méconnu. La femme d'un négociant
de Berlin, tout aussi romanesque que lui, avait
quitté son mari et sa famille pour le suivre ;
mais, atteinte d'une maladie incurable, elle
lui fit jurer, dans un momentde soulïrance et
de désespoir, qu'il lui donnerait une dernière
marque d'amour en la délivrant de cette vie
douloureuse qui lui pesait tant. Le 21 novem-
bre 1811, dans un bois auprès de Sans-Souci,
Kleist accomplit son horrible promesse, et se
tua après.
On a voulu trouver chez Kleist des qualités
communes avec J.-J. Rousseau et André Ché-
nier; tout en ayant quelque chose de la sen-
sibilité de l'un et de la tendresse de l'autre,
il n'a pourtant ni la persuasion, ni la convic-
tion, ni la portée philosophique de Rousseau,
et encore moins l'exquise poésie de Chénier.
Plus qu'aucun autre, il possède la verve et la
fougue. Son talent s enflamme et s'indigne, et
sait communiquer ses sentiments au le'cteur
ou au spectateur. Un critique a dit que la
Bataille d'Hermann est comme une Marseil-
laise dans de gigantesques proportions. Ce
drame, en effet, a été inspiré à Kleist par la
situation désespérée dans laquelle se trouvait
BAT
sa patrie; c'est un appel aux armes, déguisé
sous un sujet antique. L'allusion, d'un bout
à l'autre j est si transparente, que jamais,
de son vivant, Kleist ne put faire imprimer
sa pièce. Klopstock n'avait vu dans ce sujet
qu'un prétexte à faire revivre les anciens
chants des bardes qu'il avait, à cette occa-
sion, fort heureusement imités. Le but de
Kleist fut tout autre; peu lui importait de
peindre fidèlement les mœurs et les coutumes
d'un autre temps; il voulait,avant tout, mettre
en scène des sentiments, dans ce miroir du
passé, il voulait faire reparaître l'image de
son temps; sa propre indignation, sa propre
colère circulent dans toute la pièce. Il est
certainement choquant de voir les Germains
du siècle d'Auguste avoir les idées et le ton
des Allemands du xixe siècle ; mais on est
enlevé par la passion poétique, la hardiesse
et quelquefois le grandiose du plan. Quintilius
"Varus occupe, avec ses légions, la Germanie.
L'insolence et les exactions des Romains, la
perte aussi de leur indépendance exaspéraient
de plus en plus les peuples soumis. De tous
les côtés éclataient des insurrections. Ségeste
seul, chef des Cattes, était resté fidèle à Va-
rus et dénonça au général le plan d'une vaste
conspiration qui se tramait contre lui, mais la
présomption et la légèreté de Varus lui firent
négliger cet avis, et Hermann ou Arminus, le
chef des Chérusques, redoubla de soins au-
près de lui pour dissiper ses doutes, en por-
tant son attention sur les troubles qui-ve-
naient d'éclater sur les bords du Wéser et que
Hermann, de concert avec Marbod, le roi des
Suèves, avait excités. Son but d'attirer l'ar-
mée romaine de plus*en plus en avant dans
la Germanie fut pleinement atteint; tous les
jours Varus s'éloignait davantage du Rhin.
Enfin, arrivés dans la forêt de Feutobourgj
les historiens disent près des sources de Ta
Lippe, dans le pays des Bructères, les Ro-
mains furent entourés dans un vallon et ex-
terminés par les Germains. Varus lui-môme,
qui n'avait que vingt-six. ans, avait péri.
Kleist a admirablement saisi ce sujet de
la délivrance de la patrie par Hermann pour
en faire application au temps dans lequel il
vivait. Dans chaque scène, des allusions
tombent comme des coups de massue. Il a
tout naturellement embelli le caractère *de
son héros, que l'histoire ne représente pas
sous des -couleurs aussi favorables ; il s est
appliqué à faire ressortir sa haine impla-
cable pour les oppresseurs de sa patrie,
sa prudence, sa ruse en accord avec sa
loyauté et sa bravoure. Il fait conduire un
des Romains au supplice en lui lançant cette
terrible apostrophe : « Tu sais ce qui est juste,
et tu es venu en Germanie, sans être offensé,
pour nous opprimer! » L'orgueil et la nullité
du chef romain sont aussi fort adroitement
dépeints ; mais ici l'allusion manque en partie
de justesse. On est encore choqué par les ex-
ftressions triviales ou familières dont se servent
es héros ; on est habitué à voir l'antiquité dans
un costume poétique fort élégant, et l'auteur
lui fait parler un langage qu'elle n'a jamais em-
ployé. Kleist, à dessein peut-être, a voulu rom-
pre avec cette habitude; peut-être aussi ne
s'est-il laissé emporter que par son sujet. Une
des scènes originales de la pièce, qu'on ne peut
laisser passer inaperçue, est celle où Varus,
dans la forêt de Feutobourg, quelques heures
avant le combat, rencontre une vieille sor-
cière ou reine. Il lui demande d'où il vient,
où il va et où il est, et trois fois la vieille lui
répond : Tu viens du néant, tu vas dans le
néant; tu es à deux pas du néant.
Encore aujourd'hui, la jeunesse enthousiaste
de l'Allemagne relit le drame de Kleist, que
sa sainte indignation a rendu populaire plus
que le talent qu'il a mis à son service.
Bataille d Hermann (LA), drame patriotique
de Grabbe, où l'on distingue l'enthousiasme,
l'ardeur et la fougue d'imagination qui sont par-
ticuliers h cet écrivain. A côté de défaillances
inexplicables, d'une lourdeur de style cho-
quante, on ne peut qu'admirer l'énergie et la
grandeur des caractères, l'originalité de la con-
ception. Grabbe, sans contredit, aurait été dans
les temps modernes le premier des poètes dra-
matiques de l'Allemagne, si des excès n'avaient
pas ruiné sa santé, et amené une mort préma-
turée à l'âge de trente-cinq ans (1836). Ses œu-
vres se sont également ressenties de ce vice, et
il leur manque le calme, cette sérénité de l'âme
qui est le cachet de la vraie poésie. Tout chez
Grabbe semble inachevé, figure, style, plan,
comme si, de temps en temps, des nuages
avaient obscurci la perspicacité de son intel-
ligence. Il affectionnait le drame historique,
et ses nombreuses productions dans ce genre
ont toutes une certaine valeur. Napoléon et
les Cent jours, Hannibal, les Hohenstc.ufen,
Henri IV, Frédéric Barberousse, tout en étant
inférieurs à la Bataille d'Hermann, que le
souffle patriotique anime de la première à la
dernière scène, peuvent encore aujourd'hui
être lus avec intérêt et plaisir.
. Lohenstein, un des plus vieux auteurs de
tragédies allemandes, a traité le même sujet,
mais avec une monotonie et une froideur telles
qu'un invincible ennui est la seule impression
que son œuvre produit. Il en est de même de la
pièce de Jean-Elie SchlegeL, l'aîné des trois
frères, et dans laquelle le même héros, si cher
aux Allemands, joue un rôle qui n'a pas le
don d'enthousiasmer le public.
Bataille d'iïustîngs, poëme épique anglais
en deux chants, par Chatterton. On sait que,
BAT
sous ce titre, Chatterton écrivit deux poèmes
tout deux inachevés, mais dont le second,
bien supérieur au premier, est un des plus
curieux et des plus oeaux morceaux de la lit-
térature anglaise. Ce poPme, que Chatterton
publia sous le pseudonyme du moine Rowley,
est écrit en anglais du xve siècle, et témoigne
d'une érudition prodigieuse chez un poète de
seize ans, qui devait joindre à des lectures
françaises "ne profonde connaissance des
traditions saxonnes. « Que d'historiens, dit
M. Alfred de Vigny, depuis Mme de Longue-
ville jusqu'au sire de Saint-Valéry : levidame
de Patay, le seigneur de Picquigny, Guil-
laume des Moulins, queStowe appelle Mouli-
nons, et le prétendu Rowley, du Mouline, et
le bon sire de Sanceaulx, et le vaillant séné-
chal de Torcy, et le sire do Tancarville, et
tous nos vieux faiseurs de chroniques et d'his-
toires mal rimées, balladées et versicotées!
C'est le monde d'Ivanhoe. u Bien de plus émou-
vant que le début simple et antique de la Ba-
taille d'Hastings. C'est un vieux moine saxon
qui parle, prêtre pieux et sauvage, révolté
contre le joug normand. « 0 vérité ! s'écrie-t-
il, immortelle fille des eieux, trop peu connue
des poëtes de nos jours, apprends-moi, belle
sainte, à honorer tes perfections, à blâmer un
frère et à donner des louanges à un ennemi.
La lune inconstante, embellie de rayons ar-
gentés et menant à sa suite les étoiles à la
faible lumière, jetait un regard fier sur ce
bas monde, qui semblait douter que ce fût la
nuit. Elle aperçut debout, et couvert d'une
armure sanglante, le roi Harold, le désespoir
et l'orgueil de la belle Angleterre. - Chatter-
ton avait puisé dans ses études historiques un
amour profond de la vieille Angleterre : sa
haine contre les nobles, son' mépris pour la
i*ace normande, dataient de Guillaume le Con-
quérant; car lui, enfant du peuple, il apparte-
nait à la race conquise. Aussi, malgré son
invocation à la Vérité, il n'a pas voulu chan-
ter la victoire des Normands ; cette vérité, il
n'a pu la dire; deuxjbis la plume est tombée
de ses mains. On remarquera que s'il y a
quelque part une épithète odieuse à donner,
c'est presque toujours sur un Normand qu'elle
tombe. Pendant tout le cours du poème, les
deux races se mesurent. La flèche normande
heurte la cotte de maille saxonne. « Que le
jeune Harold est donc beau dans sa force et
sa rudesse. Guillaume le voit et s'élance en
chantant l'air de Roland. » C'est ensuite le
sire de Châtillon qui attaque le earl Aldhelme,
le sire de Torcy tue Hengist. La France
inonde la vieille île saxonne : la face de l'île
est renouvelée, sa langue changée; « et, dit
Alf. de Vigny, ce n'est plus que dans quelques
vieux couvents que restent quelques vieux
moines, pour gémir et prier auprès des statues
de pierre des saints rois saxons, dont chacun
porte une petite église dans sa main. » Ce
poëme, pour nous résumer, rappelle l'énergie
des anciens bardes bretons. Le poète, dans la
Bataille d'Hastings, semble avoir recueilli le
dernier souffle des héros.
Bataille de Dcnain (LA), opéra-comique en
trois actes, paroles de Théaulon, Dartois et
Fulgence, musique de Catrufo, représenté à
Feydeaule 24 août 1816. C'est une pièce de cir-
constance faite à l'occasion de la fête du roi;
aussi est-elle remplie d'allusions des plus trans-
parentes. Comme dans toutes les compositions
de ce genre, le livret est fort insignifiant et
n'offre aucun intérêt. En voici le sujet: Un
vieux'gentilhomme, qui vit retiré dans son châ-
teau , a une nièce recherchée à la fois par trois
prétendants ; l'un d'eux, qui est préféré, a
malheureusement été fait prisonnier, mais il
trouve moyen de s'échapper le matin même
de la bataille de Denain ; il s'v couvre de
gloire, et il finit par obtenir la main de celle
qu'il aime. D'après les journaux du temps, les
auteurs ayant eu l'adresse de prodiguer des
noms qui commandaient le respect, aucun
signe de défaveur n'osa se manifester malgré
l'ennui général. La musique de Catrufo n'est
pas sans mérite. Son style témoigne des bonnes
études qu'il avait faites à Naples, où les tra-
ditions des Scarlatti, des Jomelli, des Durante
étaient encore dans toute leur force. A l'excep-
tion de Félicie ou la Jeune fille romanesque,
opéra-comique qui précéda celui de la Bataille
de Denain> les œuvres dramatiques de Catrufo
sont tombées dans l'oubli ; on ne connaît plus
de cet auteur que ses Solfèges progressifs et
ses Vocalises.
Bataille fie dames OU un Duel en amour.
comédie en trois actes, en prose, de MM. Scribe
et Legouvé, représentée pour la première fois,
à Paris, sur le théâtre de la République, le
17 mars 1851.
Nous pommes en octobre de l'année 1817,
et la police de S. M. Louis XVIII fait une rude
guerre aux bonapartistes. Un jeune officier
de l'empire, Henri de Flavigneul, poursuivi
comme chef d'une conspiration tendant à
ramener sur le trône celui qu'on appelait Y ogre
de Corse, s'est réfugié aux environs de Lyon
chez une amie de sa famille, une royaliste
éprouvée, et, par-dessus le marché, enragée
Vendéenne, la comtesse d'Autreval, née Ker-
madid. Henri de Flavigneul prend le nom de
Charles et se cache sous la livrée d'un valet
de chambre. Toutefois, il conserve des façons
de s'exprimer qui révèlent à chaque instant
son éducation, et Léonie, jeune fille de dix-
huit ans, nièce de la comtesse, a déjà fait plus
d'une remarque à ce sujet. Un jour qu'on l'a
chargé d'accompagner à cheval cette demoi-
BAT
selle, qui s'ennuie à mourir dans le château de
sa tante, le pseudo-Charles lui révèle son vrai
nom, mais H ne le fait qu'après avoir sauvé
la vie à Léonie, dont la ponette s'est emportée
à travers bois avec beaucoup d'à-propos.
Après quoi l'heureux gaillard se voit aimé,
non-seulement de la nièce, mais de la tante.
De ces deux dames, l'une ayant dix-huit ans,
et Vautre trente, qui aura la pomme? Après
avoir indiqué la situation, les auteurs se sont
bien gardés de l'attaquer de front. Là cepen-
dant était la lutte, ainsi que l'a fait remarquer
M. Théophile Gautier, là était le véritable
intérêt de la comédie. " La jeunesse a pour
elle la candeur, la grâce timide, le regard
ingénu, la bonne et honnête rougeur virginale,
l'indéfinissable charme des aurores; bref, la
jeunesse a la jeunesse. L'âge mûr, par cela
qu'il est mûr, a l'expérience, la ruse, le calcul,
l'aplomb, la coquetterie, toutes les qualités
étoffées et savantes. Agnès, avec sa petite
fuimpe proprement plissée, triomphera-t-elle
e l'opulente Célimène qui met à l'air ses dia-
mants et son esprit? -Grave question ! » Ici les
auteurs s'arrêtent pour présenter au public le
préfet parvenu Montiicnard, qui, après avoir
été le. citoyen Montrichard, procureur de la
République, puis M. de Montrichard, ex-fonc-
tionnaire de 1 Empire, est devenu simplement,
En disant au soleil du cœur et de la bouche.
Bonjour quand il ee lève, adieu quand il se couche,
est devenu le baron de Montrichard, préfet de
S. M. Louis XVIII. Le sieur Montrichard est
toujours dévoué, sincèrement dévoué, éter-
nellement dévoué, corps et âme dévoué à
tous les gouvernements... établis, qu'il sert
d'autant mieux qu'il veut faire oublier les
services rendus aux gouvernements leurs pré-
décesseurs. Ce type d'ambitieux subalterne,
glissant comme une couleuvre à travers tous
les régimes, ce type d'égoïste futé appartient
à la famille des personnages de Scribe. Le
Gymnase l'a vu cent fois dans ses vaudevilles
administratifs et diplomatiques. Balzac com-
prenait différemment les rages sourdes de
l'ambitieux : qui ne se rappelle le duel contre
le pouvoir de Z. Marcos au fond de sa man-
sarde, et le dramatique récit du fameux abbé
Carlos Herrera? Le baron de Montrichard
veut signaler son installation comme préfet
par quelque action d'éclat, et l'idée de décou-
vrir un cnef de conspirateurs le met en verve.
Il arrive au château d'Autreval, moins en fonc-
tionnaire administratif qu'en gendarme. Mis
sur la piste du jeune ofhcier, il vient le cap-
turer de ses propres mains, de ses mains pré-
fectorales. Le danger que court le proscrit
fait tomber la rivalité des deux femmes , car
il faut, avant tout, que celui qui est aimé ait la
vie sauve ; c'était aussi l'opinion de la matrone
d'Fjphèse :
Mieux vaut goujat debout qu'empereur enterre*.
Levterrain de la lutte se déplace donc.
Qui l'emportera de Montrichard ou des deux
châtelaines? qui l'emportera de la gendar-
merie ou de l'amour? Le secret de la co-
médie est ici le secret de Polichinelle; sans
être aussi fort que M. Dennery en l'art de
nouer et de dénouer une action, on devine du
premier coup que la comtesse aura gain de
cause sur le gros préfet, bouffi de platitude et
d'ambition, et les péripéties qui retardent son
triomphe sont pour l'intelligence du specta-
teur des subtilités illusoires. Mais n'oublions
jamais, quand nous sommes en présence do
M. Scribe, que M. Scribe est par excellence
l'homme des petits moyens, un architecte do
châteaux de cartes, un enfileur de pois par des
trous d'aiguille. M. Scribe est à la scène ce
que M. Horace Vernet est à la peinture et
M. Thiers à la politique , s'écrie quelque part
M. Théophile Gautier : l'homme de l'à-propos,
clair, rapide, stratégiste consommé dans le
médiocre et l'inférieur, subtil en ressources
dans la microscopie de l'intelligence. Aidé do
M, Legouvé, qui passe comme lui pour un
homme de beaucoup d'esprit, Scribe a usé et
abusé, dans Bataille de dames, de ce mari-
vaudage bourgeois, moins la fantaisie, qui
peut-être a fait le succès de ses pièces. DeS
scènes combinées amenant des effets à res-
sorts dramatiques comme des tabatières h
surprise, voilà ce qui constitue cette entente
du théâtre dont on tait honneur à Scribe.
Mais est-ce là l'entente théâtrale de Molière,
si puissante et si large, et la langue verbeuse,
incolore et commerciale de Bertrand et Jlaton
peut-elle remplacer les concetti raffinés et le
babil étincelant des Jeux de l'amour et du
hasard? « Quand un mot a longtemps traîné,
dit M. Théophile Gautier, M. Scribe le ra-
masse. Il doit avoir quelque part un tiroir
d'épigrammes numérotées et un carton de
saillies mises au net, car ses pièces ressemblent
beaucoup au cahier d'expressions que les
piocheurs font dans les collèges. Il nous a
toujours paru un provincial élégant, qui, de
retour de Paris, tourne la tête des héritières
de sa sous-préfecture avec des gilets achetés
passage du Saumon. Aux gens habillés à la
mode de l'an dernier, nous préférons les gens
habillés à la mode de demain. » Une cfi^e
frappe tout d'abord lorsqu'on a considéré sous
ses trois ou quatre aspects l'immense réper-
toire de Scribe, c'est qu'aucun type de femme
n'a été créé par lui, et qu'aucune figure ne
surnage parmi tous ses héros. La raison en
est bien simple. Il manque la vie dans la poi-
trine de tous ces mannequins dramatiques qui
ne tiennent debout que par un mécanisme
345
habilement dissimulé : une fois le ressort qui
les pousse usé, ils retombent dans le néant.
L'auteur n'a pas su leur communiquer l'étin-
celle. Les deux femmes de Bataille de dames
ressemblent à toutes les femmes de Scribe':
des poupées à ressort qui ouvrent et ferment
les yeux à commandement, dont le sourire est
figé sur les lèvres avec une honnête retenue.
Il rôde, à travers l'action, un certain Gustave
de Grignon , maître des requêtes au conseil
d'Etat, confident ahuri, amoureux dont les
calculs étroits servent à point nommé l'évasion
de l'officier bonapartiste. La comtesse l'engage
à s'habiller en domestique et à se faire arrêter
au lieu et place du vrai proscrit. Ce Pythias
grotesque se prête à ce manège avec des
terreurs assez drôles. Il serait difficile, d'ail-
leurs, de trouver une deuxième édition de ce
niais, de ce sigisbée prêt à faire tout ce que
lui demande la dame de ses pensées, et qui, à
l'école de Scribe, n'a même pas été initié aux
réserves rhétoriciennes que sait par cœur Dia-
foirus fils, Thomas Diafoirus : « Distinguo,
mademoiselle. Dans ce qui ne regarde point la
possession de celle qu'on aime, concedo ; mais
dans ce qui la regarde, nego. » A la bonne
heure voila qui est parlé. Les sigisbées de
M. Scribe, ignorant jusqu'à l'existence de ces
syllogismes, donnent dans le piège comme des
oiseaux béjaunes. Ecoutons, à ce propos,
M. Matharel de Fiennes, cet écrivain délicat
trop tôt ravi à la critique. « Un sigisbée, c'est
l'être greffé. Il n'est plus lui, mais un mélange
de lui. Observez-le bien ; petit à petit ses'gestes
changent, il prend ceux de la personne aimée ;
sa voix se modifie, elle s'est mise à l'unisson
de la voix qui chante dans son cœur. Ses
traits, par une espèce de répercussion phy-
sique, arrivent à se modeler sur ceux de l'objet
adoré; ses yeux,constamment fixés sur d'au-
tres yeux , prennent l'expression même qui
les fascine. L'impression morale étant sans
cesse la même, la physionomie du visage
devient pareille, c'est la l'atfaire du temps. »
La comtesse propose donc à M. de Grignon
d'endosser le costume de valet; « or, ajoute
M. Matharel de Fiennes, le sigisbée a une
moitié de lui-même très-brave, et une autre
moitié peu valeureuse : par le côté valeureux,
il procède de sa mère, qui était une Ven-
déenne; par le côté prudent, il tient de son
père, qui passait pour un administrateur con-
sommé. A la proposition de Mme d'Autreval,
c'est le côté du père qui se présente; mais la
comtesse a tant d'esprit, qu'elle agit sur le côté
maternel. M. de Grignon endosse donc la
livrée. »
De son côté, le préfet Montrichard se laisse
poser sur les yeux les petites mains de ces
dames avec une complaisance exceptionnelle.
Notre homme, imitant ces excellents pères de
famille qui vont prendre auprès des portiers
des renseignements sur la vie de jeune homme
de leur futur gendre, interroge les domesti-
ques du château et leur graisse la patte au
besoin. C'est surtout au proscrit lui-même,
déguisé en valet, qu'il s'attache. Il fait le gros
dos, ronronne et se frotte les mains, croyant
l'avoir gagné par l'appât de vingt-cinq louis
bien luisants et bien sonnants. Un moment il
jouit de son triomphe. Mais le maître des
requêtes, le jeune Grignon, arrêté à la place
de Henri, celui-ci prend la fuite. Il ne tarde
pas à revenir recevoir des mains du préfet
vaincu une ordonnance d'amnistie. Cette or-
donnance, signée tout exprès pour les besoins
du dénoûment, permet à Henri délivré d'épou-
ser Léonie. La jeunesse l'emporte : Mm« d Au-
treval, malgré son dévouement, ses ruses, son
esprit et son amour, apprend à la fin, que pour
gagner, il ne suffit pas de bien jouer, et que
trente ans n'en valent pas dix-huit dans
l'arithmétique de l'amour. « Il faut avoir
les as et les rois pour gagner, dit Montri-
chard. — Le roi surtoutl... dans les batailles
de dames , » répond la comtesse en regardant
avec émotion le bel Henri, qui lui échappe.
— Ainsi se termine cette comédie faite de
petits moyens, bourrée de petites malices,
piquée de petits mots. Son style flasque, co-
tonneux et sans relief, n'a nullement empêché
le succès d'être très-grand et très-vif. Il y a
cela de bon lorsqu!on est aux prises avec un -
canevas de Scribe, que l'on sort enchanté de
comprendre les allusions transparentes, et
que le spectateur quitte la salle très-charmé
sur son propre esprit, dont il fait, du reste,
les honneurs à l'écrivain avec une grâce re-
connaissante. La poétique de Scribe n'a
pas d'ailes, elle rase le sol, et est ainsi on
ne peut plus sûre de se trouver en pays de
connaissance. Le bourgeois qui a payé sa
stalle n'en demande pas davantage ; il ap-
plaudit parce qu'il comprend tout jusqu'à la
moindre syllabe, et que le festin ne dépasse
pas ses capacités absorbantes et digestives.
Mais qu'il soit permis aux lettrés d'être plus
exigeants, et, tout en rendant justice à de
rares qualités dramatiques, d'aimer mieux le
vers roDuste de Molière, la prose incisive de -
Beaumarchais et le brillant espritde Marivaux.
Acteurs qui ont créé Bataille de dames :
Mme Allan; MM. Provost et Maillart.
Batailles (PEINTRES ET SCULPTEURS DE). La
bataille antique, telle qu'elle nous apparaît
dans les récits d'Homère, était une véritable
mêlée de guerriers luttant corps à corps , une
réunion de combats singuliers, une sorte de
duel en masse. La tactique militaire n'entrait
pour rien dans ces luttes primitives; la vi-
gueur et le courage individuels décidaient du
succès. Pour décrire exactement de pareils
combats, le poëte ne pouvait se dispenser de
raconter successivement les exploits de cha-
cun. Les peintres, les sculpteurs devaient, eux
aussi, représenter la guerre de cette manière
épisodique; l'art d'ailleurs y trouvait son
compte : ce système permettait, en effet, de
concentrer l'intérêt sur une seule action et de
résumer une armée entière dans un petit
nombre de figures. Dans les bas-reliefs grecs
de Phigalie, du Parthénon, d'Egine, on ne
voit que des combats corps à corps, qu'aucun
chef ne dirige et qui ne sont soumis à aucun plan
de bataille. Parmi les marbres provenant du
Panhellénion d'Egine, que possède la glypto-
théque de Munich, et qui représentent, pour la
plupart, des événements de l'époque héroïque,
relatifs aux Eacides, on admire surtout celui
dans lequel est figuré le combat qui eut lieu
autour du corps de Patrocle, et où Ajax, fils
de Télamon, tut vainqueur : cette scène, qui
ne comprend guère plus de quatre ou cinq per-
sonnages, est traitée avec une simplicité et
une noblesse vraiment homériques. Les scul-
ptures du temple de Thésée, à Athènes, exé-
cutées vers le milieu du v" siècle avant notre
ère, à peu près dans le même temps que celles
d'Egine, représentent le combat des Athé-
niens et des Amazones et celui des Centaures
et des Lapithes ; on y remarque des mouve-
ments décidés et énergiques et un grand sen-
timent de l'effet pittoresque. Quelques savants
ont cru pouvoir les attribuer à Micon, peintre
et sculpteur qui avait orné l'intérieur du
temple de Thésée de peintures offrant les
mêmes sujets. Les bas-reliefs du Parthénon
représentent aussi les combats des Centaures
et des Lapithes; on croit généralement que
ces admirables sculptures ont été exécutées
par AJcaroène, sous la direction de l'immortel
Phidias. Le temps n'a épargné aucun ouvrage
des peintres grecs ; mais nous savons que
plusieurs monuments d'Athènes (V. ce nom)
étaient décorés de peintures représentant les
principales victoires des Grecs sur les Perses,
et nous avons tout lieu de croire que ces com-
positions étaient conçues et distribuées de la
même manière que les bas-reliefs dont nous
venons de parler. La représentation des sujets
militaires ne paraît pas avoir pris le dévelop-
pementqu'on pourraitsupposersous Alexandre '
le Grand; Apelle, qui fut le peintre favori de
ce monarque, fit plusieurs fois son portrait et
celui de ses généraux; mais il ne peignit au-
cune de ses batailles. Pline nous apprend
qu'Eumène, un des successeurs du grand roi
de Macédoine, employales sculpteurs Isigone,
Pyromaque, Straton, à représenter ses vic-
toires. Le même écrivain rapporte que, l'an
de Rome 490, Valerius Maximus Messala ex-
posa dans la curie Hostilie une peinture de la
bataille dans laquelle il avait défait, en Sicile,
les Carthaginois commandés par Hiéron. Plus
tard, L. Scipion l'Asiatique exposa au Capi-
tole le tableau de sa victoire en Asie ; Scipion
l'Africain, dont le fils avait été fait prisonnier
dans cette bataille, sut mauvais gré à son
frère de cette exhibition. Lucius Hostilius
mécontenta "de même Scipion l'Emilien, en
exposant au Forum une vue de Carthage et
diverses opérations du siège de cette ville, où
il était entré le premier; la complaisance qu'il
mit à décrire lui-même aux spectateurs tous
les détails de ce tableau lui valut d'être nommé
consul aux comices suivants (an de Rome 609).
Il y a tout lieu de croire que ces diverses
peintures, embrassant tout un champ de ba-
taille et un ensemble d'opérations stratégi-
ques, étaient exécutées dans un style déco-
ratif, et qu'elles étaient plus propres à mettre
en relief les difficultés vaincues par le géné-
ral qu'à faire valoir le mérite du peintre.
Pour avoir une idée de la manière dont les
artistes de l'antiquité savaient rendre les
scènes militaires, il faut étudier la magnifique
mosaïque du musée de Naples, découverte
dans les fouilles de Pompéi, et représentant
un combat entre les Grecs et les Perses, que
quelques archéologues croient être la Bataille
d'Arbelles, et d'autres la Bataille d'Issus. Au
milieu de la composition, sur un char attelé
de quatre chevaux, Darius, vêtu comme un
simple soldat, tient de la main gauche un arc
"et regarde Alexandre d'un air effrayé. Celui-ci,
la tête nue, le corps couvert d'une riche ar-
mure, s'avance au galop vers le char et perce
de sa longue lance un cavalier dont la mon-
ture est abattue; son torse et son bras droit
sont seuls restés intacts, et cependant on
comprend très-bien son attitude et son action.
Les soldats de sa suite ont disparu lors de la
dégradation de la mosaïque. Un officier de
Darius tient par la bride un cheval destiné à
faciliter la fuite de son souverain. A droite et
derrière le char, des cavaliers combattent et
protègent la retraite ; ils sont armés de lances,
excepté un commandant tenantune large épée.
Ces divers personnages ont des physionomies
et des attitudes très-expressives. Les costumes
. sont traités avec beaucoup de soin. Les che-
vaux sont admirables. « Je ne connais pas un
tableau de bataille supérieur à celui-là, a dit
M. Lavice. Les deux principaux personnages,
quoique au milieu de la mêlée, se distinguent
au premier coup d'oeil, parce qu'ils sont sur
le devant et qu'Alexandre, d'un côté, s'avance
le premier à la tête de son escorte, tandis que
Darius, debout sur un char, se détache par le
haut du corps sur le ciel. Et puis, presque tous
les regards sont portés avec effroi sur l'intré-
pide et calme Alexandre, de sorte que le héros
du drame est parfaitement désigné. Mettez à
côté de cette composition le grand tableau de
Lebrun et comparez. Autant le roi de Macé-
doine est ici terrible et audacieux, autant
celui du Louvre, avec son visage d'enfant,
son petit coutelas levé et l'aigle planant au-
dessus de sa tète, est froid et dépourvu d'in-
térêt. Autant les premiers plans de l'a mosaï-
que sont faciles à saisir, parce qu'il y a de
lair et de l'espace; autant la mêlée de Lebrun
est confuse. Quant au dessin, aux couleurs, à
la perspective, aux effets d'ombre et de lu-
mière, je ne crois pas que les meilleurs peintres
de la Renaissance aient rien fait de mieux,
surtout si l'on se figure le tableau original,
plus grand et plus parfait que cette copie en
pierres. » Plusieurs savants pensent, en effet,
que cette mosaïque célèbre, où l'on ne compte
pas moins de vingt-six guerriers et quinze
chevaux, est la copie, en proportions réduites,
d'une grande composition exécutée par .un
artiste grec peu après l'événement qu elle re-
trace. Il faut, sans doute, regarder aussi
comme une production de l'art hellénique le
beau bas-relief de marbre du Capitole, repré-
sentant le Combat des Grecs contre les Ama-
zones. Dix personnages et quatre chevaux
composent ce chef-d'œuvre, aussi animé
qu'artistement distribué. Le groupe principal
est des plus émouvants : une Amazone est
prête à frapper de sa hache un cavalier qui
perd l'équilibre et tombe à la renverse. Trois
corps de femmes et celui d'un guerrier gisent
sur le sol.
On ne connaît pas les noms des artistes qui
exécutèrent les bas-reliefs de la colonne Tra-
jane (V. ce mot). Ces sculptures, qui retracent
la conquête de la Dacie par les Romains,
offrent aux antiquaires et aux artistes un objet
d'étude plein d'intérêt. Bien inférieures, sous
le rapport du style et de la beauté du travail,
aux irises et aux métopes des temples d'A-
thènes, elles offrent toutefois, dans leur vaste
développement, des groupes très-animés, des
figures de soldats très-énergiques. Mais elles
sont particulièrement précieuses au point de
vue archéologique, en ce qu'elles fournissent
des détails complets sur l'équipement des sol-
dats romains et des barbares, sur leurs diffé-
rentes manières de combattre, d'assiéger les
villes, de camper, de faire des marches, etc.
Les empereurs de Byzance, comme ceux de
Rome, prirent plaisir à faire retracer leurs
expéditions , tantôt dans leurs propres de-
meures, tantôt sur des colonnes et des arcs
de triomphe. Nous lisons dans Constantin
Porphyrogénète que Basile le Macédonien, ce
zélé destructeur des images religieuses, fit
orner son palais de peintures et de mosaïques
représentant les batailles qu'il avait gagnées.
Les sujets guerriers devaient avoir un charme
tout particulier pour les peuples belliqueux
de l'Occident. Charlemagne fit peindre, dans
son palais d'Aix-la-Chapelle, les exploits des
Francs, entre autres les victoires de Charles
Martel sur les Frisons, la conquête de l'Aqui-
taine par Pépin, et les combats dans lesquels
il avait lui-même dompté les Saxons. Il ne
reste rien de ces peintures, non plus que
de celles qui furent exécutées un siècle plus
tard, à Mersebourg, par ordre de l'empereur
Henri 1er, et qui représentaient les victoires
de ce prince sur les Hongrois ; mais on peut
juger de la valeur de ces ouvrages d'après les
miniatures de la même époque qui sont par-
venues jusqu'à nous. Au moyen âge, comme
dans les temps héroïques de l'antiquité, les
guerriers luttent corps à corps et continuent,
sur le champ de bataille , les tournois, les
joutes du champ clos. La représentation des
scènes militaires n'a plus, dès lors, qu'un
intérêt épisodique. N'ayant aucune notion des
règles de la perspective, les miniaturistes sont
impuissants à peindre un ensemble d'opéra-
tions militaires, et ils tombent dans le grotes-
que lorsqu'ils traitent des sujets exigeant une
grande vivacité d'action. Ils excellent, d'ail-
leurs, à montrer les horreurs du combat, les
énormes balafres faites par des armes de
géants, les têtes détachées du corps d'un seul
coup d'estoc, les entrailles ouvertes, le sang
coulant à flots des* blessures béantes; tout
cela rendu avec une naïveté barbare, avec un
réalisme brutal et qui donne le frisson. Qu'ils
aient à représenter une bataille contempo-
raine ou une bataille de l'antiquité, ils re-
produisent' invariablement les costumes de
leur temps ; ils transforment en chevaliers
Achille , Alexandre , César, et donnent le
même attirail de guerre aux Grecs qui assiè-
gent Troie et aux croisés qui s'emparent de
Jérusalem. Sous ce rapport, leurs ouvrages
fournissent des détails du plus grand intérêt
sur les armes, les armures, les bannières et
les divers engins militaires du moyen âge.
Parmi les manuscrits à miniatures et à des-
sins les plus curieux à consulter, nous cite-
rons : le célèbre manuscrit de la bibliothèque
de Strasbourg, intitulé : Hortus deliciarum
(xne siècle) ; les manuscrits de Joinville et de
Froissart, a la Bibliothèque impériale, à Paris ;
le manuscrit français de l'Histoire d'Alexandre
le Grand, conservé à la bibliothèque de Bour-
gogne, à Bruxelles (dessins à la plume du
xme siècle) ; le recueil de documents dressés
d'après les ordres de Baudouin, archevêque
de Trêves , frère de l'empereur Henri VII
(première moitié du xive siècle), recueil con-
servé aux archives de Coblentz. Suivant
M.Waagen, les batailles et les tournois qu'on
rencontre dans ce dernier manuscrit sont
très-animés, et offrent une grande variété d'at-
titudes et d'expressions. Mais quoique fort
supérieures aux productions des âges précé-
dents, ces compositions sont encore bien éloi-
gnées des neuf gouaches qui illustrent une
traduction -française de la troisième décade
de Tite-Live, grand in-folio du xve siècle,
appartenant à la bibliothèque de l'Arsenal, à
Paris. Le savant Waagen attribue ces pein-
tures à un artiste de l'école de Van Dyck ; il
vante la correction du dessin , la vigueur du
coloris, la délicatesse des détails, l'originalité
et l'expression des physionomies. Un des mor-
ceaux les plus intéressants est la Victoire de
Scipion sur les Lusitaniens ; le premier plan
est occupé par un combat de cavaliers, frap-
pant de vie et de netteté, aussi bien dans l'en-
semble du groupe que dans les détails pris
séparément. Les costumes sont ceux du
xve siècle ; les armures d'acier, polies et bril-
lantes, font un excellent effet. Un autre ma-
nuscrit français de la même époque (n*> 8024,
Bibliothèque impériale) renferme dix minia-
tures exécutées aussi dans le plus pur style
des Van Eyck, et qui retracent avec beaucoup
de bonheur les diverses phases des combats
singuliers du moyen âge, depuis les lois qui
réglaient le duel jusquà la victoire du provo-
cateur. *
Les maîtres italiens de la Renaissance re-
présentaient rarement des batailles. On cite
comme une œuvre très-ingénieusement com-
posée pour l'époque celle que Jacopo d'A-
vanzi, imitateur de Giotto, peignit dans la
chapelle de Saint-Jacques au Santo, à Pa-
doue. Le même artiste retraça aussi ~des
triomphes d'empereurs romains, sujets que
Mantegna traita, quelques années après, avec
une incomparable supériorité de style. Si
nous en jugeons par la grande bataille que
l'on voit au musée Napoléon III, et dont nous
donnons ci-après la description, Paolo Uc-
cello fut certainement, de tous les artistes ita-
liens du xve siècle, celui qui sut le mieux re-
produire l'animation, la fougue des combats.
Sa science de la perspective , son coloris
énergique, son amour de la réalité, l'habileté
avec laquelle il dessinait les chevaux, toutes
qualités fort rares chez ses contemporains, le
rendaient particulièrement propre à ce genre
de peinture.
Au xvie siècle, les représentations de ba-
tailles deviennent plus nombreuses. Les gran-
des guerres du Milanais ne furent peut-être
pas étrangères à la faveur qui commença à
s'attacher en Italie à cette sorte de sujets.
Carboni a gravé, dans YEtruria pittrice, un
Combat de cavalerie, d'après Léonard de
Vinci. Raphaël peignit, au Vatican, la Bataille
d'Ostie, et dessina la Victoire de Constantin
sur Maxcnce. Cette dernière composition,
peinte par Jules Romain après la mort du
maître, donne assez bien l'idée d'une mêlée
où l'on combat corps à corps; au premier
plan, Maxence, renversé de son cheval, est
menacé par un soldat qui lève sur lui un long
poignard ; Constantin, l'épée.à la main, anime
ses guerriers par son exemple ; au fond, la
lutte est engagée sur un pout qui semble près
de crouler sous le poids des combattants. Ce
dernier épisode, d'un effet très-pittoresque et
en même temps très-dramatique, a été depuis
reproduit fréquemment par d'autres artistes.
Jules Romain a fait preuve d'une rare éner-
gie dans l'exécution de la fresque que nous
venons de décrire. Il a composé lui-même
plusieurs tableaux de batailles en style hé-
roïque, et il y a déployé, suivant Lanzi, autant
d'imagination que d'érudition. Ses magnifi-
ques cartons du Louvre attestent l'étude ap-
profondie qu'il avait faite de l'antiquité. Polï-
dore Caldara peignit aussi des scènes de
guerre remarquables par l'ordonnance majes-
tueuse de la composition, la noblesse des atti-
tudes et des physionomies. En général, il y a
quelque chose de grave, de solennel, et, par
suite, d'un peu froid dans les batailles des
peintres de l'école romaine et de l'école flo-
rentine du xvie siècle. Les artistes vénitiens
de la même époque, plus amoureux de la vérité
que du style, cherchent à rendre avant tout
1 animation, le mouvement, le tapage des com-
bats. Le Tintoret s'est montré véritablement
supérieur sous ce rapport; il avait toutes les
qualités appropriées au genre, l'imagination,
la verve, un dessin hardi, un coloris puissant,
une entente merveilleuse de l'effet pittoresque.
Son tableau de la Bataille <*e Lépante, qu'il
avait exécuté pour le palais des doges, et qui,
malheureusement, a été brûlé dans l'incendie
de 1577, était regardé comme un chef-d'œuvre :
les soldats possédés d'une fureur belliqueuse,
les galères prises à l'abordage, la mer agitée,
le ciel orageux, tout concourait à faire de ce
tableau une scène bruyante, dramatique, pleine
d'un sublime désordre. Cette fougue, cet élan,
ce feu du génie se retrouvent dans les diverses
peintures du Tintoret que possède encore au-
jourd'hui l'ancien palais des doges : Prise de
Zara; Défense de Brescia; Victoire navale de
Soranzano sur le prince d'Esté ; Victoire
d'Etienne Contarini sur le lac de Garde; Vic-
toire de J. Marcello sur les Aragonais. Le
Tintoret eut dans son fils, Dominique Robusti,
un habile imitateur, comme le prouvent le
Combat naoal à la hauteur de Pisano et surtout
la Prise de Consiantinople (1204), que Domi-
nique peignit pour le palais des doges, où ces
deux peintures sont encore. On voit, dans le
même édifice, beaucoup d'autres scènes mili-
taires, tirées des fastes de la république véni-
tienne; nous citerons dans le nombre : la Dé-
fense de Scutari et la Prise de Smyrne, par
Paul Véronèse; la Prise de Constantinopie
44
346 -
par les croisés, la Prise de Padoue, la Victoire
de Fr. Bembo sur les Crêmonais, par Palm a
le Vieux; la Bataille gagnée par les Vénitiens
près de Vérone, par le Pésarèse; la Conquête
de Caffa par le doge Soranzano, par Giulio dal
Moro ; les Victoires des Vénitiens sur le duc de
Ferrare, sur Visconti, duc de Milan, sur les
Allemands, et la Prise de Padoue, par Fran-
çois Bassan ; la Victoire des Vénitiens aux Dar-
danelles, par Pietro Liberi ; la Victoire des
Vénitiens sur les Génois près de Saint-Jean
il Acre, par Montemezzano ; la Victoire des
Vénitiens sur le calife d'Egypte, par Santo-
Peranda; la Victoire des Vénitiens sur les Pi-
saris près de Rhodes, le Siège de Zara, par
Andréa Micheli, etc. Les peintures de François
Bassan méritent une mention particulière :
- Le ressort pittoresque y est concentré sur
telle ou telle figure rehaussée d'une lumière
tfive, dit M. Charles Blanc. Un épisode quel-
conque suffit à motiver ces voyants rehauts,
dont l'effet immanquable est de prêter plus
d'importance aux figures qui en ont le moins.
Quelquefois c'est la croupe d'un cheval blanc
qui devient la note la plus aiguë" de la gamme ;
ici c'est un artilleur qui pousse la roue d'un
canon, tandis que des soldats montés sur la
dune a'un vaisseau font feu sur lès Ferrarais,
et que d'autres brûlent des tours de bois; là,
dans la Déroute de Visconti, ce qu'on voit tout
d'abord, c'est un valet qui tient un cheval par
ta bride, et une belle femme qui s'est jetée dans
an ruisseau, à demi nue, pour échapper à la
cavalerie vénitienne. L'épisode, cette fois, est
digne d'intérêt et caractérise à merveille les
norreurs de la guerre. » Cette recherche de
l'effet pittoresque est commune à la plupart
des artistes vénitiens dont nous avons cité
des tableaux; mais ce serait une erreur de
croire qu'elle les empêcha de se préoccuper
de la vérité historique. La république de Venise,
qui commandait ces tableaux,tenait,sans au-
cun doute, à ce que les exploits de ses doges
y fussent reproduits fidèlement.
Tandis que les écoles italiennes du xvie siècle
s'attachaient, les unes à l'imitation de l'art an-
tique, les autres à la réalité* pittoresque, les
maîtres allemands de la même époque conti-
nuaient à mettre en scène des anciens habillés
h la moderne. La Bataille d'Arbelles, d'Alt-
dorfer, qui est au musée de Munich, pourrait
passer pour une des batailles livrées par
Charles le Téméraire ou Maximilien 1erj la
scène est traitée, du reste, avec une grande
animation ; elle offre une multitude de figures
et une grande variété d'épisodes, au milieu d'un
riche paysage. La Victoire des Juifs sur les
Amaléciies,Tpe,\nte par Hans Schauffelein,dans
l'hôtel de ville de Nordlingen, présente les
mômes anachronismes de costume, et aussi la
même vivacité d'action. La représentation des
faits d'armes contemporains a exercé le talent
de plusieurs artistes allemands de la période
qui nous occupe. Albert Durer a dessiné plu-
sieurs batailles de Maximilien, dans la suite de
92 planches dont il a composé l'arc de triomphe
de cet empereur. Hans Sebald Beham a gravé
le Siège de Rhodes (1522) et celui de Wolfen-
bùttel (1542) ; il a croqué aussi avec beaucoup
d'esprit des types de soldats allemands (le
Militaire amoureux, le Porte-enseigne, etc.).
Les Scènes de la vie militaire, de Senauffelein
sont charmantes d'animation et de vérité. Une
estampe de Stephan Hamer représente laï?a-
taille de Sievershausen (1553). On doit à Hon-
dius le jeune une curieuse allégorie de la
guerre : au premier plan, la Mort tire un coup
de pistolet à un cavalier qui fuit devant elle;
dans le fond a lieu un combat acharné. Holbein
le jeune a peint à fresque plusieurs batailles
dans la maison de Jacques von Iïarstenstein,
bailli de Lucerne; ces peintures ont malheu-
reusement été détruites, mais on peut juger
de la verve avec laquelle le célèbre artiste
traitait les scènes de guerre par deux magni-
fiques dessins, Combat de lansquenets et Ba-
taille entre des soldats suisses, dont l'un figure
dans la collection de l'archiduc Albert, à
Vienne, et l'autre, au musée de Bàle (11° 35).
Un Flamand, formé a l'école des maîtres ita-
liens, Jean-Corneille Vermeyen, de Bruxelles,
fut appelé en Espagne par Charles-Quint, en
1534, et, l'année suivante, il accompagna ce
prince au siège de Tunis. A l'aide des dessins
qu'il prit sur les lieux, il exécuta dix grands
cartons coloriés, d'après lesquels l'empereur
fit broder dans les Pays-Bas des tapisseries
qui sont encore aujourd'hui à Schœnbrunn.
Les cartons sont aujourd'hui roulés au Garde-
meuble de Vienne. Un d'eux, décrit par
M. Waagen, représente la 'Victoire remportée
par Charles-Quint sur les Maures dans les en-
virons de Carthage. La composition en est
très-ingénieuse. L'armée des Maures, qui se
défend en opérant sa retraite, occupe la plus
grande partie du tableau. Au Heu de concen-
trer la fougue de l'action sur les premiers
plans, l'artiste n*v a placé que quelques groupes
épars. Tout au fond, on découvre la mer. Les
figures ont beaucoup de vérité et de mouve-
ment; les attitudes sont variées et naturelles ;
hommes et chevaux sont d'un excellent des-
sin, et ont même une certaine élégance de
formes. Les artistes des Pays-Bas, contempo-
rains de Vermeyen, étaient loin d'apporter
dans leurs tableaux de batailles la même con-
science, la* même exactitude historique, la
même élévation de style. Le Combat de Saûl
contre les Philistins, de Breughel le Vieux,
pourrait servir de pendant à la fameuse Ba-
taille des gras contre les maigres, du même
artiste : ces deux tableaux, que possède le
musée de Vienne, sont de véritables chefs-
d'œuvre dans le genre burlesque. Breughel
de Velours, digne fils de Breughel le Vieux, a
représenté avec la même verve comique plu-
sieurs scènes de guerre, entre autres le Com-
bat des Israélites et des Amalécites, qui est au
musée de Dresde. Sébastien Vranck, mort en
1573, est l'un des premiers artistes flamands
qui aient peint d'une façon sérieuse des ba-
tailles, des chocs de cavalerie, des sacs de
villages; on voit de lui au Belvédère, à Vienne,
l'Attaque d'un convoi, exécutée d'une façon
large, mais soignée. Rubens nous conduit au
xvn<; siècle : les quelques batailles historiques
que nous connaissons de ce maître (Combat
des Amazones, du musée de Dresde, et Exploits
de Decius Mus, de la galerie Lichtenstein) sont
peintes avec une grande fougue poétique, et
peuvent être mises en parallèle, au point de
vue de l'effet pittoresque, avec les plus belles
pages de l'école vénitienne.
Les peintres de batailles furent très-nom-
breux dans toutes les écoles, au xvnc siècle.
Nous rencontrons d'abord en Italie, le Fla-
mand Pieter van Laar, plus connu sous le nom
de Bamboche ; le Bolonais Cerquozzi, qui dut
à son talent d'être surnommé le Michel-Ange
des batailles; Antonio Tempesta, dontFentzel
a gravé une Bataille du roi Alphonse contre
les Maures. Ces trois artistes n'ont guère em-
ployé les scènes militaires qu'à titre d'épisodes,
pour orner et animer leurs paysages. Le Na-
politain Aniello Falcone peignit de véritables
batailles, dont il empruntait les sujets tantôt
aux livres saints, tantôt à l'histoire profane,
tantôt à quelque poôme. Le musée royal de
Madrid a de lui deux toiles intéressantes, dont
l'une (n« 62)) rappelle certains détails d'ar-
rangement de la Victoire de Constantin sur
Maxence, peinte par Jules Romain. Suivant
Lanzi, Aniello fut un très-habile peintre de
batailles, sachant varier les costumes, les
armes, les physionomies des combattants,
animé dans l'expression des figures, naturel
dans le mouvement des chevaux, plein d'in-
telligence enfin dans tout ce qui concerne la
discipline militaire. Malgré tout son mérite, il
fut surpassé par Salvator Rosa, son compa-
triote et son ami, qui, dans l'admirable Bataille,
du Louvre (v. la description ci-après), a dé-
ployé une verve, une hardiesse, une turbulence
vraiment prodigieuses, tout en conservant une
certaine noblesse dans le dessin des figures,
et quelques réminiscences de style dans les
costumes. On ne connaît qu'un petit nombre
de scènes militaires peintes par Salvator; il
n'est pas de musée, pas de galerie un peu im-
portante, qui n'en compte plusieurs exécutées
par Jacques Courtois, plus connu sous le nom
de Bourguignon. Cet artiste, né en France,
vint en Italie à la suite des armées qui enva-
hirent le Milanais ; il porta lui-même les armes,
assista à plusieurs combats, et eut ainsi l'oc-
casion d'étudier les types, les costumes et les
manœuvres militaires. Plus tard, il entra dans
l'ordre des jésuites; mais il ne renonça pas
pour cela à la peinture, qui avait été sa pre-
mière profession. On dit que ce fut la vue de
la Bataille de Constantin, de Jules Romain,
qui décida de sa vocation pour la représenta-
tion des sujets militaires, et que ce tableau fut
le modèle d'après lequel il se forma. Le fait
nous paraît douteux. En tout cas, le Bourgui-
gnon perdit bientôt de vue ce grand modèle, et
adopta une manière vivo, légère, spirituelle,
qui lui appartient en propre et qui lui valut les
plus grands succès en Italie. « Il porta son art,
dit Lanzi, à un point où l'on n'est jamais par-
venu ni avant, ni depuis lui. Il donna une telle
expression de vérité à ses_ guerriers, que l'on
croirait voir le courage même combattre pour
l'honneur et pour une légitime défense. En
voyant ses tableaux, on s'imagine presque
entendre le bruit des armes, les hennissements
des chevaux, les cris des mourants. « Ces
éloges nous semblent fort exagérés. Le Bour-
guignon a eu, sans doute, le mérite de peindre
de vraies mêlées, très-animées, très-mouve-
mentées; mais, sous ce rapport, il ne fut su-
périeur ni au Tintoret, ni à Salvator Rosa, ni
a Rubens, dont il n'a, d'ailleurs, ni l'imagina-
tion féconde, ni le dessin savant, ni le coloris
vigoureux. Ses petites batailles, comme celles
qu'on voit au Louvre, sont brossées avec es-
prit et entrain ; mais on y trouve beaucoup de
ponsif, des attitudes conventionnelles, des mo-
tifs qui se répètent fréquemment ; par exemple,
un cavalier tirant, sur son adversaire qui fuit,
un coup de pistolet à bout portant. Ses grandes
toiles sont assez rares; nous ne savons ce que
sont devenues celles dans lesquelles il retraça
les actions militaires du prince Mathias de
Médicis, gouverneur de Sienne; Lanzi en a
fait involontairement la critique, en disant
qu'il y représenta les faits d'armes du prince
et les lieux où ils s'étaient passés, avec une
exactitude égale à celle de l'historien. Nous ne
pensons pas, du reste, que le Bourguignon se
soit astreint aune pareille fidélité, qui eutexigé
un travail et des recherches dont il était peu
capable, habitué qu'il était, nous disent ses
biographes, à attaquer le plus souvent son
sujet sans en avoir fait préalablement l'es-
quisse ou un dessin. Cette facilité merveilleuse
lui permit de satisfaire aux commandes qui
lui arrivaient de toutes parts. Il forma beau-
coup d'élèves et eut de nombreux imitateurs ;
pour ne parler que des Italiens, nous citerons :
Bruni, Graziano et Giannizzero, à Rome; An-
tonio Calza, de Vérone, qui travailla en Tos-
cane, à Milan, et surtout à Bologne, où ses
œuvres ne sont pas rares; Giovanni Canti,de
Mantoue, qui eut lui-même pour élève Fr.
Raineri; Krancesco Monti, de Brescia, sur-
nommé le Ih-esciani no des batailles ; Spolverini,
de Parme, de qui l'on disait que ses soldats
tuaient, tandis que ceux de Monti ne faisaient
que menacer, etc. Pour en finir avec les pein-
tres de batailles de l'école italienne, nous de-
vons nommer le Cortone, le chevalier d'Arpino
et Luca Giordano, qui ont représenté princi-
palementdes sujets tirés de l'histoire ancienne.
Le musée du Capitole a, du premier, une assez
bonne Bataille d'-Arbelfes, dont Lebrun s'est
inspiré, et, du second, plusieurs fresques, où
sont retracés des événements empruntés à
l'histoire des premiers temps de Rome, entre
autres le Combat des Uoraces et des Curiaces
et la Défaite des Véiens. De Luca Giordano,
nous citerons : la Bataille des Israélites contre
les Amalécites, au musée de Dresde, et la Prise
de Saint-Quentin, au musée royal de Madrid.
Ce dernier ouvrage, exécuté à fresque, déco-
rait autrefois l'un des côtés de la frise du
grand escalier de l'Escurial. Luca, qui avait
été appelé en Espagne par Charles II, en 1092,
peignit aussi, dans le palais du Buen-Retiro, les
principaux épisodes de la guerre de Grenade.
L'école espagnole ne compte qu'un très-
petit nombre d'artistes qui se soient exercés à
la peinture des batailles; mais, du moins, elle
a produit en ce genre un chef-d'œuvre juste-
ment célèbre : la Reddition de Bréda, par
Velasquez. Le même sujet a été traité par
José Leonardo. Les deux tableaux sont au
musée royal de Madrid, qui possède en outre
une Marche de troupes sous la conduite du duc
dei~en7i,par Leonardo. «Cettedernière scène,
encadrée dans un excellent paysage, renferme
toutes les qualités de la grande peinture, a dit
M. Viardot : composition pleine d'art et de feu,
dessin bien étudié, couleur vigoureuse et na-
turelle, expressions énergiques. »
C'est avant tout le sentiment de la vérité
historique et la recherche de l'exactitude ma-
térielle qui dominent dans les peintures mili-
taires des artistes hollandais et flamands du
xviie siècle. Ce sentiment, cette recherche,
se traduisent en général par une exécution
claire, spirituelle, pleine de finesse et de lar-
geur à la fois. Et ce ne sont pas seulement
les soldats, les chevaux, les costumes, les en-
. gins de guerre qui sont rendus avec cet amour
de la réalité; le paysage où se meuvent les
figures est peint avec la même sincérité, la
même perfection : l'air, la lumière y circulent à
flots. De tous les peintres hollandais, Philippe
Wouwerman est celui dans les œuvres duquel
ces diverses qualités rassortent le plus bril-
lamment. Nous ne croyons pas que ce maître
ait eu souvent l'occasion de peindre des ba-
tailles historiques; mais il a représenté avec
beaucoup de finesse et d'éclat des combats
de pure fantaisie, principalement des chocs de
cavalerie, genre de sujets dans lequel il ex-
cellait à cause de son habileté à peindre les
chevaux. Ce sont aussi des combats de cava-
Hers que peignirent, d'ordinaire, Pieter Molyn
le vieux, père de Tempesta, Dirk Stoop, qui
habita longtemps l'Espagne et le Portugal,
les frères. Palamèdes, Eglon van der Neer,
Jean-Cornélis Verbeck , Jean van Huchten-
burg. Ce dernier, qui vint en France et qui y
connut Van der Meulen, a fait plusieurs ta-
bleaux historiques. Le prince Eugène, qui es-
timait beaucoup son talent, le chargea de
peindre ses batailles et ses sièges, d'après des
Slans qu'il lui envoyait pour ce motif. Le ohef-
'œuvre d'Huchtenburg, au point de vue de
l'effet général et de l'éclat du coloris, est le
Siège de Namur en 1C95, tableau de 2 m. de
haut sur 2 m. 50 de large, qui appartient au
musée de Vienne. La Hollande, puissance
maritime de premier ordre au xvne siècle, eut
à cette époque, d'habiles peintres de batailles
navales^ Déjà, au siècle précédent, on avait
vuCornélis Vroom, ami de Paul Brîl, s'essayer
en ce genre, et exécuter, entre autres ouvra-
ges, un dessin de la défaite de l'Armada, pour
le comte de Nottingham, grand amiral de
l'Angleterre. C'est aux van de Velde que re-
vient l'honneur d'avoir élevé ces sortes de
représentations à la hauteur des autres ta-
bleaux d'histoire. Willem van de Velde le
vieux, connaissait à fond la construction des
navires, leurs agrès, leur voilure et il en des-
sinait les manœuvres avec une exactitude ex-
traordinaire. Dès qu'il entendait parler d'un
combat qui allait se livrer, dit Houbraken , il
s'embarquait aussitôt, dans l'unique but d'as-
sister à l'action et d'en représenter les mou-
vements avec plus de vérité. Pour utiliser
ses talents et son courage, les Etats de Hol-
lande firent équiper un brick avec ordre à ce-
lui qui le commandait, de se porter sur tous
les peints que van de Velde désignerait. On
vit alors notre dessinateur courir bravement
les périls d'un combat naval, aller et venir,
se trouver au cœur de la flotte ennemie et re-
gagner son poste. C'est ainsi qu'il assista à la
terrible bataille navale que les Anglais et les
Hollandais se livrèrent en vue d'Ostende, en
1666, sous les ordres de Monck et de Ruyter.
Les dessins qu'il fit des divers épisodes de
cette bataille furent trouvés si exacts et je-
tèrent un tel jour sur la manœuvre et la con-
duite des officiers, que Charles II voulut avoir
l'artiste à son service. Van de Velde se ren-
dit à l'invitation de ce prince et fit pour lui,
ainsi que pour Jacques II, une foule de des-
sins officiels qui eurent le plus grand succès.
Wilhem van de Velde le jeune rejoignit son
père à Londres, devint peintre de la cour et
fut employé, pendant plusieurs années, à re-
présenter les victoires navales des Anglais.
11 travailla aussi dans son pa3'S natal et se
plaça au rang des maîtres les plus illustres,
parle sentiment poétique de ses compositions,
la^perfection des détails, la largeur de l'en-
semble, la vérité et le charme de l'effet lumi-
neux, le moelleux,de la touche, la puissance
et la délicatesse du coloris. Comme son père,
il possédait à fond la science des manœuvres
nautiques, et, comme lui, il ne craignit pas de
s'aventurer au milieu de plusieurs combats
sur mer, afin d'en reproduire les péripéties
avec plus d'exactitude. Le musée d'Amster-
dam a de lui deux grandes pages historiques,
deux chefs-d'œuvre qui représentent : l'un,
le Vaisseau amiral anglais le Prince-Royal,
amenant son pavillon dans un combat contre
la flotte hollandaise, en 1666; l'autre, Quatre
vaisseaux anglais capturés dans le même com-
bat. Van de Velde s'est représenté lui-même,
assistant à la bataille dans une petite barque.
Parmi les autres artistes hollandais qui ont
peint des combats sur mer, nous devons citer :
Zeeman, l'un des plus habiles imitateurs de
van de Velde, de qui le musée d'Amsterdam a
un tableau de grande dimension, représentant
une Bataille entre les flottes d'Angleterre et
de Hollande, près de Livourne, en 1653 ;
Abraham Storek, dont on voit, au musée de
Berlin, un Combat naval avec des navires en
feu. Backhuyzen, de qui Storek fut l'élève, a
peint aussi quelques marines histor ques ;
mais nous ne connaissons de lui aucune ba-
taille navale. Les Flamands ont eu, au
xvnc siècle, d'excellents peintres de sujets
militaires. Robert van Hoecke, d'Anvers,
s'est fait connaître par de petits tableaux ,
touchés avec beaucoup de finesse et représen-
tant des camps, des marches de troupes, etc.
Bonaventure Peters et Gaspard van Eyck ont
peint des combats sur mer entre les Turcs et
les Vénitiens. Pierre Snayers, qui travailla
à Bruxelles, pour l'archiduc Albert, mit beau-
coup d'animation dans ses scènes de guerre,
sièges, escarmouches, campements; une Ren-
contre de cavaliers et de fantassins, du musée
de Vienne, montre qu'il possédait l'art diffi-
cile de grouper de nombreux personnages
avec une extrême lucidité et qu'il avait une
entente très-remarquable de la perspective
aérienne. Le musée royal de Madrid a de lui
deux œuvres importantes, l'Attaque nocturne
de Lille et un Choc de cavalerie. La réputa-
tion de Pierre Snayers fut éclipsée par celle
de son élève, van der Meulen, le peintre offi-
ciel des victoires de Louis XIV.
La représentation des sujets militaires trai-
tée d'une manière exclusivement pittoresque,
comme l'entendit l'école italienne et comme
la pratiquèrent les peintres français formés
à cette école, était peu propre à satisfaire au
désir que le public avait de connaître la dis-
position, les incidents et les résultats d'une
bataille ou d'un siège mémorable. Pour ré-
pondre à cette curiosité, quelques artistes des
xvie et xvne siècles imaginèrent d'élever le
point de vue des champs de bataille et des
villes assiégées pour en saisir l'ensemble à
vol d'oiseau. La Bibliothèque impériale pos-
sède une curieuse collection de gravures sur
bois où sont ainsi représentés les combats,
les massacres et les prises Je villes qui eurent
lieu en France, pendant les guerres de reli-
gion, sous Henri II et Henri III. Ces vues,
dites cavalières, étaient particulièrement coû-
tées des hommes de guerre, qui y trouvaient
de précieux renseignements sur les opérations
stratégiques ; aussi, l'usage en était-il fort
répandu au xvne siècle. L'habile graveur ita-
lien Stefano délia Bella étant venu à Paris,
le cardinal de Richelieu le chargea d'exécuter
les vues des principaux sièges qui avaient eu
lieu sous Louis XIII. Le plus grand mérite de
van der Meulen consiste a avoir su unir, dans
ses tableaux, de brillantes qualités pittoresques
à l'exactitude des indications stratégiques.
Fidèle historiographe de Louis XIV, il écrivit
avec son pinceau les prouesses guerrières de
ce monarque, si souvent réduit a se plaindre
de sa grandeur qui l'attachait au rivage ; il
assista lui-même à toutes les campagnes et
dessina, de visu, les marches de troupes, les
campements, les villes prises d'assaut. Ses
compositions savamment distribuées et pein-
tes dans des tons clairs et vermeils , sont
de véritables panoramas où sont représentés
avec une lucidité merveilleuse, les objets les
plus divers: hommes,chevaux, pièces d'artil-
lerie, monuments, paysages. Nous nous bor-
nerons à citer, entre autres pages capitales :
le Campement devant Tournay, l'Investisse-
ment de Douai, le Siège d'Oudenarde, le Com-
bat près du canal de Brues, la Prise de Va-
lenciennes, au Louvre ; la Prise de Charleroi,
de Dôle, de Cambrai, de Salins, de Luxem-
bourg, d'Ypres, de Courtray, le Siège de Lille,
la Bataille de Cassel, etc., à Versailles. Un
des meilleurs élèves de van der Meulen fut
Jean-Baptiste Martin l'aîné, qui reçut le sur-
nom de Martin des batailles. Il avait étudié
l'art des fortifications et travaillé en qualité de
dessinateur sous les ordres de Vauban. Il fut
nommé directeur des Gobelins, en l69l,aorès
la mort de van der Meulen, et reçut en même
temps le titre de peintre des conquêtes du roi.
Cette même année, il suivit Louis XIV au
siège de Mons et, 1 année suivante, il assista
au siège de Namur. Il adopta la manière stra-
tographique de son maître, mais il n'eut ni
son dessin savant, ni sa touche spirituelle, ni
son coloris vigoureux. Ses principaux ouvra-
ges sont : le Siège de Fribourg, au Louvre ;
347
la Bataille de Bocroy, la Prise de Thionville*
à Chantilly; le Siège de Namur, la Prise de
Dole, celle de Limbourg, celle àeCondé, celle
de Dœsbourg, etc., à Versailles. Van der
Meulen eut encore pour élèves et pour imita-
teurs, Pierre-Denis Martin le jeune, Bonnart,
Jean-Baptiste Lecomte, Jean Paul, dont il
existe des tableaux dans les galeries histo-
riques de Versailles.
Tandis que les artistes que nous venons_de
nommer s'attachaient à représenter les scènes
militaires sous forme de panoramas, Joseph
Parrocel, qui s'était lié en Italie avec le Bour-
guignon, ne recherchait, à l'exemple de ce
maître, que le côté pittoresque de la guerre.
Il fit preuve de chaleur et d'énergie, mais il
ne sut pas toujours éviter la confusion. Ses
meilleurs tableaux, le Siège de Maastricht et
le Combat de Lenze, sont à Versailles. Charles
Parrocel, son fils, et Ignace Parrocel, son ne-
veu, se rapprochèrent de la manière de van
der Meulen; le premier, qui eut la réputation
d'être un excellent peintre de chevaux, ac-
compagna Louis XV,.dans ses campagnes de
Flandre, en 1724 et 1725 ; le second voyagea
en Italie et en Autriche et fut chargé de tra-
vaux importants pour l'empereur et pour le
prince Eugène. Quoique moins connu que les
précédents, Jean-Pierre Verdussen doit être
classé au nombre des bons peintres de ba-
tailles du xvnie siècle ; le musée de Versailles
a de lui une toile remarquable, représentant
le Siège de Saint-Guilhain, par le maréchal
de Saxe, en 1746. Mais c'est surtout dans les
tableaux de petites dimensions que cet artiste
a fait preuve de talent ; témoin un Choc de
cavalerie, morceau d'une grande finesse d'exé-
cution, que possède le musée de Marseille.
Diderot a prodigué les éloges aux scènes mi-
litaires exposées de son temps par Casanova,
notamment au Combat de Fribourg (1644), et
à la Bataille de Lens, qui figurèrent au Salon
de 1771 et qui sont aujourd'hui au musée du
Louvre. Sans partager l'admiration du célèbre
critique, pour ces deux toiles, on ne peut nier
qu'elles ne soient peintes avec beaucoup de
verve. Casanova excelle à mettre des cava-
liers en mouvement, et à représenter le choc
terrible des combattants ; mais il n'a ni la fi-
nesse spirituelle du Bourguignon, ni la netteté
de van der Meulen. Loutherbourg, son élève,
a moins de fougue, mais il est meilleur colo-
riste. Il a travaillé à Londres vers la fin de
sa carrière, et a peint, entre autres sujets : la
Défaite de la flotte française, en -1794, la Dé-
faite de ta flotte holandàise, en 1797 et la Ba-
taille sur le Nil, en 1798, qui ont été gravées
par James Fittler. L'Angleterre compte peu
de peintres de batailles ; les seuls qui méritent
d'être cités sont : Benjamin West, qui a peint
la Bataille de la Dogue, la Mort du général
Wolf, à Québec et la Bataille de la Boyne ;
Francis Hayman, auteur d'une Bataille d'Has-
iings (gravée par Charles Grignon le jeune);
Trumbull, auteur de. la Bataille de Bunk-
ersgill (gravée par Kessler); Joseph Wright,
dont l'ouvrage principal est un tableau repré-
sentant la Destruction des batteries flottantes
au siège de Gibraltar ; Mortimer, qui a peint
la Bataille d'Azincourt, pour George III ; R.
Paton qui a représenté la Victoire des An-
glais sur la flotte française, en 17S3, le Com-
bat de la flotte anglaise contre les flottes réu-
nies d'Espagne et de .France, en 1782, la
Défense de Gibraltar, etc. Il y a une quaran-
taine d'années, M. William Allan a peint la
Bataille de Waterloo (achetée par Welling-
ton) et la Bataille de Bannockburn; plus ré-
cemment, M. Armitage; élève de Paul Dela-
roche, s'est fait connaître par des tableaux
estimables, consacrés aux victoires récentes
des Anglais dans l'Inde et en Crimée.
Les éclatants succès des armes françaises,
à compter de 1792, réveillèrent plus vivement
que jamais le goût des peintures militai-
res. Tandis que David et les artistes de son
école reproduisaient, en style académique,
les exploits des Grecs et des Romains, quel-
ues peintres stratographes représentèrent
ans des vues cavalières les grandes batailles
gagnées par les soldats de la République. Un
tableau de ce genre, exécuté par le général
Lejeune et représentant la victoire de Valmy,
fut exposé au Louvre en 1800. Les évolutions
des divers corps d'armée y étaient indiquées
avec une exactitude scrupuleuse, et l'on y
voyait même, dans les airs, le ballon à l'aide
duquel on chercha à reconnaître les forces et
les positions de l'ennemi. Ce petit tableau fut
suivi de compositions analogues peintes par
le général Bâcler d'Albe. Ces divers ouvrages,
trés-intéressants pour les stratégistes, lais-
saient, sans doute, beaucoup à désirer sous
le rapport de l'exécution. Carie Vernet réussit
à concilier le respect des lois de l'art militaire
avec la recherche du beau pittoresque; l'ama-
teur de peinture, l'historien et l'homme de
guerre virent avec une égale satisfaction la
Bataille de Marengo, peinte par cet artiste,
vaste composition dont les nombreux détails,
si bien liés entre eux, concourent avec un
rare bonheur à faire comprendre les efforts
des deux armées ennemies. Gérard et Gros
attachèrent une médiocre importance à la
stratographie ; ils s'inquiétèrent, avant tout,
de donner à leurs compositions ce caractère
d'unité que l'art réclame impérieusement ;
dans ce but, ils n'hésitèrent pas à ne montrer
de la bataille que l'épisode principal, à mettre
en relief les personnages principaux, à sacri-
fier les personnages secondaires. Ce système,
qui a été suivi par beaucoup d'autres artistes
de notre époque, a abouti trop souvent, il faut
le dire, à des compositions arrangées d'une
façon tout à fait conventionnelle et qui offrent
presque toutes des dispositions identiques : au
premier plan, le général en chef à cheval,
occupant avec son état-major les trois quarts
de la toile; sur le devant, quelques prison-
niers et quelques cadavres, excellent prétexte
pour faire du nu ; dans le lointain, une mêlée
confuse ; voilà ordinairement tout le tableau.
Ces prétendues batailles ne sont, à vrai dire,
que des réunions de portraits. Gérard n'a
guère fait autre chose dans sa bataille d'Aus-
terlitz. Gros, plus fougueux, plus passionné,
a peint en véritable poète les péripéties dra-
matiques du combat. Admis sous les auspices
de Joséphine dans l'état-major de Bonaparte,
il a assisté aux batailles qui se sont livrées en
Italie, et il a pu s'inspirer ainsi directement
des sublimes horreurs de la guerre. Les Ba-
tailles de Nazareth, d'Eylau, d'Aboukir sont
d'admirables pages où éclate l'enthousiasme
belliqueux, une sorte d'exaltation héroïque qui
fait tressallir le spectateur. C'est ainsi, sans
doute, que Géricault eût compris la peinture
des sujets militaires, s'il eût été donné à ce
vaillant artiste de dérouler sur la toile quelque
épisode des grandes guerres de la République
et de l'Empire ; mais il vécut en un temps où
il n'était guère permis de vanter ces luttes
gigantesques, et il dut se borner à personnifier
la bravoure française dans quelques mâles
figures de hussards et de cuirassiers. Il appar-
tenait à Horace Vernet de venger la gloire de
nos armées des dédains et des mépris du
gouvernement de la Restauration. Les Ba-
tailles de Jemmapes, de Valmy, d'Arcole, de
Montmirail, proscrites des expositions par le
Souvoir, attirèrent une multitude de curieux
ans l'atelier du jeune peintre. Le succès de
ces tableaux fut immense: l'auteur atteignit
du premier coup à la popularité; on l'applau-
dit, on l'adora, on le préconisa, a dit Gustave
Planche. « Ce qui importait à la curiosité des
spectateurs, ajoute le célèbre critique, ce n'é-
tait pas l'image fidèle et poétique des épisodes
stratégiques. On ne voulait, on ne cherchait
dans ces rapides improvisations du pinceau
que la satire d'un trône rapporté dans les ba-
gages d'une armée étrangère.» Plus tard,
lorsque Horace Vernet, devenu le peintre offi-
ciel du gouvernement de Juillet, couvrit de
ses tableaux les murs des galeries historiques
de Versailles, on se demanda si le fécond ar-
tiste possédait réellement les qualités qui font
le grand peintre de batailles. Gustave Plan-
che, le premier, l'accusa d'éluder toutes les
difficultés de l'art, de se complaire dans les
détails anecdotiqut'S, de substituer l'esprit à
l'âme, l'amusement à l'émotion, l'adresse à la
puissance. D'autres lui reprochent de délayer
ses compositions dans des cadres immenses et
d'en sacrifier l'unité au plaisir de multipliev
les épisodes. Tous furent obligés de convenir
qu'il connaissait à merveille le soldat fran-
çais, qu'il possédait une mémoire extraordi-
naire, une grande habileté d'arrangement, une
verve intarissable et une prodigieuse sou-
plesse d'exécution. « L'ensemble de ses ou-
vrages, a dit M. Delécluae, est comme un
vaste miroir où se réfléchit l'histoire militaire
de la France contemporaine. » S'il n'a pas tou-
jours su respecter les lois absolues du beau
pittoresque, il est parvenu, du moins, à fixer
sur la toile l'image exacte des batailles mo-
dernes. Dans ses tableaux, l'action s'étend,
les armées marchent, les masses se dévelop-
pent sur le terrain, les incidents se multiplient
de façon à varier l'intérêt. 41 faut bien recon-
naître, d'ailleurs, que l'art de faire la guerre
a subi, depuis une soixantaine d'années, des
modifications dont la peinture doit tenir
compte, si elle veut représenter autre chose
que des scènes rétrospectives ou de pure
fantaisie.
« La guerre moderne n'est point pittores-
que dans le sens idéal du mot, a dit M. Paul
de Saint-Victor. Ce n'est plus la déesse éche-
velée et violente qui brandit, comme un
thyrse, sa lance homérique ; c'est une science
abstraite, penchée sur une carte, qui résout la
la victoire comme un problème de géométrie.
Elle est impersonnelle et indéfinie; l'artillerie
a élargi son horizon de toute la portée de ses
bombes et de ses boulets... Aujourd'hui, l'ar-
mée n'a plus ni nom, ni visage ; ses héros sont
des régiments, abstraits comme les chiffres
qui les désignent. L'héroïsme général ab-
sorbe l'exploit individuel. Le chef ne joue
plus dans la bataille le rôle théâtral qu il y
remplissait autrefois; il ne lance point la flè-
che d'Ajax, il ne sonne pas du cor comme
Roland, il n'embrasse pas, comme Walke-
ried, un faisceau de piques. Isolé et immobile
sur un monticule, comme du haut d'un obser-
vatoire, il observe, sa lorgnette à la main,
les évolutions de l'armée, calcule ses masses,
combine ses mouvements, modifie ses lignes.
Sa victoire n'est plus qu'un acte intérieur de
génie et de volonté. Tout cela contrarie l'art
qui doit avant tout préciser, personnifier,-dé-
finir. Les nombres uniformes, les espaces illi-
mités de la stratégie nouvelle, contrarient ses
instincts de mesure et de contrastes dans
l'unité. Aussi les peintres ont-ils longtemps
persisté à n'envisager la bataille qu'au point
de vue antique de la mêlée et du duel en
masses. Des cavaliers qui s'étreignent, des
chevaux qui se mordent, des pistolets qui
croisent leurs éclairs, voilà les combats de
Salvator, de Casanova, de Wouwerman et
du Bourguignon. Pour eux, le canon" est à
peine inventé; il joue, dans leurs batailles^ le
rôle d'un volcan lointain dans un paysage.
Mais ces fantaisies du pinceau seraient au-
jourd'hui des anachronismes par trop fla-
grants. L'Etat, qui commando presque tous les
tableaux de batailles, les veut précis, ressem-
blants, techniques ; il est dans son droit. La
guerre n'a pas besoin de romanciers; il lui
faut des historiographes. De là un genre nou-
veau, souvent ingrat, toujours difficile, ca-
serne dans un plan, soumis à un programme,
astreint à la discipline de l'armée dont il met
les bulletins en scène et qu'il serait injuste
d'apprécier d'après les lois et les principes du
grand art. » A force d'esprit et d'entrain,
Horace Vernet est parvenu à rendre des ta-
bleaux exécutés dans de pareilles conditions
aussi intéressants pour la masse du public que
pour les gens initiés aux détails techniques de
l'art militaire. Il n'est malheureusement pas
toujours permis d'en dire autant des ouvrages
de ses élèves et de ses nombreux imitateurs :
nous retrouvons ses défauts dans la plupart
des compositions qui figurent aux expositions
annuelles ; nous y "cherchons vainement ses
qualités.
La création des galeries historiques de
Versailles a singulièrement accru en France
le nombre des peintres de batailles. Les ar-
tistes les plus distingués de l'école contempo-
raine ont brigué la faveur de peindre des su-
jets militaires pour ce. musée national. 11 nous
suffira de citer : Eugène Delacroix, C. Ro-
queplan, Ary Scheffer, Alaux, Mauzaisse,
Charlet, Fragonard, P. Franque, Alfred et
Tony Johannot, Paul Delaroche, V. Adam,
Ch. Steuben, Bouchot, Papety, Heim, Bel-
langé, Hersent, E. Devéria, Bagetti, Siméon
Fort, Garneray ; MM. Robert Fleury, Signol,
Schnetz, Gallait, Larivière, Beaume, Jolli-
vet, Cogniet, Picot, Charles Langlois, Philip-
poteaux, Schopin, Gigoux, Cibot, H. Len-
mann, H. Delaborde, Al. Couder, Eugène
Lepoittevin, Cl. Boulanger, J. Rigo, Eug.
Appert, J. Ouvrié, Beaucé, Pils, Yvon, Pro-
tais; Barrias, A. Dumaresq,.E. Charpentier,
Emile Lecomte, Doré,-Gudin, Alex. Hesse,
Jumel, Eug. Lami, H. Scheffer, Ad. Roger,
Oscar Grue, Séb. Cornu, Karl Girardet,
Jacquand , Morel - Fatio, Durand Brager,
Barry, etc. Parmi ces artistes, plusieurs ont
fait preuve d'originalité dans la manière dont
ils ont traité la peinture des sujets militaires.
C'est ainsi nu'Èugène Delacroix a déployé,
dans son tableau de la Prise de Constanti-
nople, les puissantes qualités de couleur, de
mouvement, qui ont fait le succès de ses au-
tres ouvrages ; nous préférons cependant à
cette grande toile le tableau de petite dimen-
sion dans lequel le même maître a représenté
la Bataille de Taillcbourg : nous ne connais-
sons pas d'œuvre plus énergique, plus vivante,
plus dramatique. Un artiste qui n'a rien au
musée de Versailles et à qui nous devons ce-
pendant un des plus beaux tableaux de ba-
tailles de notre époque, c'est Decamps. Ce
tableau, qui représente la Défaite des Cim-
bres, a quelque chose de la fougue poétique
des peintures de Salvator Rosa : on y voit
une mêlée acharnée et sanglante, un désordre
furieux et désespéré, le choc terrible de deux
races ; le paysage qui encadre cette lutte gi-
gantesque a une sorte de sauvagerie épique.
Quand on compare cette admirable composition
aux bulletins militaires illustrés par l'école
officielle, on trouve la même différence
qu'entre le récit de la bataille de Waterloo
par Victor Hugo et la narration du même su-
jet par M. Amédée Gabourd ou tout autre
historien de la même force. Nous devons
aussi une mention particulière à Charlet et à
Raffet qui, dans la lithographie de sujets mi-
litaires, ont montré une verve toute gauloise.
Charlet a contribué avec Horace Vernet à
populariser les types des grognards de la Ré-
publique et du premier Empire; il a rendu
avec finesse la bravoure railleuse, la bonho-
mie sublime de ces héros courant sans sou-
liers à la conquête de l'Italie ou tombant au
cri de : Vive l'Empereur/ dans les plaines
glacées de la Moscovie. Raffet a crayonné
avec non moins de bonheur les scènes mili-
taires du règne de Louis-Philippe, notamment
le Siège d'Anvers, la Prise de Constantine,
l'Expédition et le Siège de Borne, le Combat
d'Oued-Alleg, la Bataille d'Âyacucho, etc.
Mêlé aux soldats qui firent les campagnes de
Belgique et d'Anvers, il avait fini par se péné-
trer complètement de leur esprit; il dessinait
la guerre comme la voulaient et comme la
faisaient Bugeaud,Lamoricière,Changarnier.
« D'autres, a dit M. Charles Blanc, ont ob-
servé à merveille la tournure du soldat fran-
çais, sa pantomime, ses allures et les plis que
l'habitude a dessinés dans son vêtement. Raffet
est le premier, je crois, qui ait représenté
l'esprit des camps et le génie do nos batailles.
Ce n'est pas au bivouac ou à la maraude qu'il
a le mieux vu son fantassin; c'ast au beau
milieu de l'action, en plein feu. Dans ses pe-
tites lithographies, dont il a élargi le cadre et
creusé la profondeur, on entend passer* les
colonnes qui se ruent au pas de course. Elles
se dessinent comme des rubans onduleux sur
les mamelons ou dans les plaines. Çà et là,
elles sont trouées par le boulet; mats le cou-
rage rétablit l'ordre mouvant que le canon a
troublé. Les rangs, pour marcher à la mort,
franchissent les mourants et les cadavres.
Chose remarquable, le peintre a conservé l'in-
dividualité du soldat et la personnalité du ré-
giment. Chacun est là pour soi et pour tous.
Chacun à la notion du péril et s'y comporte
avec fermeté, sans s'étourdir et sans ivresse.
De ces tableaux simplement héroïques, se dé-
gage la vraie poésie de la guerre, une poésie
qui donne le frisson à la pensée. » Aujourd'hui,
nos meilleurs peintres de batailles sont :
M. Pils, auteur d'une Bataille de l'Aima, bien
dessinée, bien mouventée et d'un coloris très-
énergique; M. Yvon, qui a peint avec beau-
coup de succès la Prise de Malakoff, la Gorge
de Malakoff, la Bataille de Solférino, la Ba-
taille de Magenta; M. Protais, qui s'est si-
gnalé par de petites compositions d'un senti-
ment fin et poétique, telles que lo Matin avant
t'attaque, le Soir après le combaty exposés en
1863; MM. Philippoteaux, Armand-Dumaresq,
Devilly, Beaucé, J. Rigo, etc.
Bataille de «erre et de mer, tableau du
Tintoret, au musée royal de Madrid. A droite,
un Turc, placé dans une chaloupe, traverse
avec sa lance le corps d'un soldat qui cherche
à aborder l'embarcation. A gauche, dans une
autre barque, un homme armé soutient dans
ses bras une jeune fille, belle de fureur, et
dont les vêtements en désordre laissent les
seins à découvert. On voit près d'elle un per-
sonnage qui paraît être son ravisseur, et un
Turc qui lance un javelot du côté des com-
battants. Au fond, sur le rivage, a lieu une
effroyable mêlée ; plusieurs cavaliers repoussés
par l'ennemi sautent au milieu des flots. Ce
tableau, qui mesure environ 2 m. 25 de haut
sur 3 m. 70 de large, représente sans doute
quelque épisode des guerres de Venise contre
les Ottomans. Suivant M. Viardot, c'est une
page énergique, pleine d'action et de mouve-
ment, mais à laquelle on peut reprocher quelque
confusion.
Bataille (UNE), tableau de Salvator Rosa;
musée du Louvre. Au premier plan d'un pay-
sage accidenté, près d un temple en ruine, a
lieu une effroyable mêlée. Tout d'abord l'œil
est frappé de la confusion, du désordre qui
régnent parmi les combattants. L'horreur re-
double à mesure que l'on examine les détails
de cette lutte acharnée. Trois croupes de che-
vaux, d'une couleur superbe, l'une rose, l'autre
grise, la troisième blanche, font saillie à tra-
vers la mêlée et servent de points de repère
dans cette bruyante composition. Tout à fait
à gauche, un cavalier désarçonné et étendu à
terre, près du cheval à la croupe rose, cherche
à se défendre avec son bouclier et son épée
contre un soldat, coiffé d'un casque, qui le
saisit par les cheveux et le menace de son
épée. Un autre soldat, les bras nus, les jambes
entourées de bandelettes, le corps couvert
d'une cotte de mailles, le casque rabattu sur
les yeux, enfonce son coutelas dans la gorge
d'un homme vêtu de bleu, qui se renverse sur
le cheval rose en criant et en écartant lea
bras; le vainqueur appuie le genou droit sur
sa victime qu'il maintient renversée de la main
gauche : presque sous ses pieds est un misé-
rable, horriblement mutilé, dont le visage a
déjà la pâleur livide du cadavre. Au centre de
la composition, un fantassin vu de dos enfonce
violemment sa pique dans le ventre d'un en-
nemi qui tombe en ouvrant démesurément la
bouche et en tendant ses mains crispées. A
droite de ce groupe, un cavalier casqué, monté
sur le cheval à la croupe grise, perce d'un
coup de lance un autre cavalier^ vêtu de vert,
dont le cheval s'affaisse, la tête en avant.
Plus à droite, deux autres cavaliers s'atta-
quent de front, l'un vêtu d'une tunique bleue
et d'une peau de bête sauvage et monté sur le
cheval à la croupe blanche, l'autre vu de face
et monté sur un cheval alezan dont on ne voit
que la tète. D'autres groupes de combattants
complètent la mêlée. Des pointes de lances,
des épées brisées, des casques, des fers à che-
val, des fragments d'architecture jonchent le
devant du tableau. Au fond, des cavaliers
poursuivent les fuyards à travers une plaine
coupée çà et là de ravins et dominée par des
montagnes pelées, abruptes, formées de rocs
gigantesques. A gauche, des navires embrasés
exhalent une fumée épaisse dont les tour-
billons, chassés par le vent, jettent çà et là
de grandes ombres sur le champ de bataille et
ajoutent ainsi à l'horreur de la scène. Ce ma-
gnifique tableau, commandé à Salvator par
monsignor Corsini, nonce du pape, qui vou-
lait en faire hommage à Louis XIV, fut achevé
.dans l'espace de quarante jours. Il est signé
à droite, sur un fragment d'architecture :
Saluator Rosa.
Bataille (UNE), tableau de Philippe Wou-
werman; musée de La Haye. Cette peinture
est la plus vaste que l'on connaisse de Wou-
werman : elle a 2 m. 50 de large et plus de
1 m. de haut. Au premier plan, des cavaliers
défendent le passage d'un pont. On remarque
dans ce groupe un trompette qui sonne la
charge, et un personnage en pourpoint écar-
late,sur un cheval gris. D'autres combattants
sont placés sur des plans plus reculés. Ce ta-
bleau a de nombreux admirateurs en Hollande,
et il est regardé comme un des trésors du mu-
sée de La Haye. Selon M. Viardot, - il est com-
posé avec un goût exquis et un bonheur sans
égal, couvert de personnages à ne pouvoir les
compter, très-énergique et très-puissant d'ac-
tion, et néanmoins d'une touche aussi fine,
aussi élégante que les plus petites miniatures
de Wouwerman. » « Cette peinture a une
étonnante vigueur, a dit de son côté M. Waa-
gen ; elle doit avoir été exécutée à la même
époque qu'une autre grande bataille, de la
collection de M. Van Loon (à Amsterdam),
348
qui est datée de 1657, alors que le maître
avait atteint son plus haut degré de perfec-
tion. » M. Biirger, moins indulgent, suppose
que le tableau de La Haye a été peint par
"Wouwerman dans cette période transitoire,
entre sa première et sa seconde manière, où
il employait souvent des tons bruns un peu
lourds ; le savant critique ajoute : « Sans doute,
il y a du mouvement, de la variété, beaucoup
d'adresse, mais une incontestable débilité dans
le dessin et Va charpente de ces hommes et de
ces chevaux, d'une proportion inaccoutumée,
qui occupent le premier plan; on retrouve
mieux le maître, avec ses fines qualités, dans
les groupes du fond. » Un autre connaisseur;
M. Du Camp, tout en déclarant que ce tableau
est une des bonnes productions de l'artiste,
estime que toutes les expressions sont à peu
près semblables, et que les groupes se distri-
buent d'une façon trop uniforme.
BATA.U.LE (Gabriel), compositeur français,
qui vivait à Paris au commencement du
xviic siècle. Il composa pour Louis XIII, avec
Guedron; Mauduit et Bochet, plusieurs ballets
dansés dans les appartements du Louvre; pu-
blia des Airs mis en tablature de luth (Paris,
1608,1609,1611 et 1613), et fit paraître d'autres
compositions dans le recueil intitulé : Airs de
cour de différents auteurs (Paris, 1615). Ba-
taille fut nommé luthiste de la chambre de la
reine.
BATAILLE (Martial-Eugène), homme poli-
tique français, né a la Jamaïque en 1814. Entré
a l'Ecole polytechnique en 1834, il ne fut pas
classé à sa sortie, et devint bientôt un des
membres les plus actifs du parti bonapartiste.
Ayant accompagné, en 1840, le prince Louis
Napoléon à Boulogne, il fut pris, traduit devant
la cour des Pairs et condamné à subir à
Doullens, un emprisonnement, qui cessa lors
de l'amnistie de 1844.
La révolution de 1848 le trouva s'occupant
de machines à vapeur. Après avoir échoué
dans plusieurs collèges électoraux, il fut élu
en 1851 représentant du peuple, par le dépar-
tement de ia Haute-Vienne. Nommé, après le
2 décembre, membre de la commission consul-
tative, et maître des requêtes au conseil d'Etat
en 1852, M. Bataille siège dans ce conseil de-
puis 1857.

BATAILLÉ,
ÉE (ba-ta-llé, Il mil.), part,
pass. du v. Batailler.

BATAILLES
adj. f. (ba-ta-llé, // mil.—
rad. bâtait). Blas. En parlant d'une cloche,
munie d'un batail ou battant d'un émail diffé-
rent: C/oc/te d'or AILLÉE d'azur; la famille
Bellegarde "porte d'azur, à une cloche d'argent

BATAILLÊE
de Sable.

BATAILLER
v. n. ou intr. (ba-ta-llé, Il
mil. — rad. bataille). Livrer une bataille,
soutenir un combat : Les gens d'armes BA-
TAILLERONT et Dieu donnera la victoire. (Jeanne
Darc.) On BATAILLAIT deux jours pour tuer
20,000 hommes. (Ourliac.)
Voua avez bataillé contre ces mécréants?
V. IIuoo.
Nos fils, ne se reposant guère,
Batailleront à tout propos. BKRANGER.
J'arrive de la guerre, où j'ai fait des merveilles;
Les Ardennes m'ont vu soutenir tout le feu,
Et batailler un jour seul contre un parti bleu.
RSQNARU.
H Etre en guerre, lutter : Le peuple anglais
BATAILLE depuis le xvie siècle. (L. Faucher.)
Il y a huit siècles pleins que la France BATAILLE
avec la Grande-Bretagne. (Toussenel.)
— Par ext. Se battre : C'est une tête brûlée
qui ne demande qu'à BATAILLKR.
Impatient de ferrailler,
Il cherche avec qui batailler.
DELILLE.
Le vieillard me parait un peu sujet à l'ire;
Pour en venir à. bout, il faudra batailler;
Tant mieux, c'est où je brille, et j'aime à ferrailler.
REONARD.
— Fig. Se disputer, se quereller, contester :
Je résistais, je BATAILLAIS. (Lo Sage.) Je BA-
TAILLE pour faire donner nos terres réservées
à votre garde. (Balz.) Il se couvre du bouclier
de la chicane, et il BATAILLE sur ce terrain.
(Cormen.) Il y avait beaucoup à BATAILLER
à propos du vieux château Munoth, près de
Schaffouse, gui a pour étymologic munitio,
disent les antiquaires, à cause d une citadelle
romaine qui était là. (V. Hugo.) Le maître du
cheval en voulait trente écus;j'Ai BATAILLLÉ,
et je l'ai eu pour vingt. (E. Sue.)
— Mar. Lutter contre le vent ou le courant.

BATAILLEUR
EUSEs. (ba-ta-Ueur, cu-ze,
Il mil. — rad. batailler). Personne qui aime
à batailler, dans tous les sens de ce mot : Au
xvie siècle, le territoire de Mayence fut ravagé
par Jean le BATAILLEUR, landgrave de H esse.
(V. Hugo.) Es-tu revenu de ta présomption
contre Karl le BATAILLEUR. (***) C'est au sténo-
graphe que le BATAILLEUR de tribune remet
toutes les pièces de son armure. (Cormen.)
L'ère des conquérants BATAILLEURS, qui se dis-
putaient un coin du globe, est fermée pour ne
plus s'ouvrir. (E. de Gir.)
De ces vieux batailleurs l'orgueil est intraitable.
C. DELAVIGNE.
N'avez-vous pas de honte! un clerc, et presque un
[prêtre.
Avec des batailleurs en plein jour ae commettre !
BRIZEUX.
— Adjectiv. : Caractère batailleur. Si j'avais
ttê d'humeur BATATLI^USE, mes agresseitrs au-
BAT
raient eu rarement les rieurs de leur côté.
(J.-J. Rousseau.)

BATAILLIÈRE
s. f. (ba-ta-llè-re, Il mil.—
rad. batail). Techn. Cordelette avec laquelle
on manœuvre le traquet d'un moulin.

BATAILLON
s. m. (ba-ta-llon, Il mil. —
rad. bataille). Art milit. Corps de troupes d'in-
fanterie, formant ordinairement une divi-
sion du régiment, et subdivisé lui-mêi.c en
plusieurs compagnies : Un BATAILLON de gre-
nadiers , de voltigeurs. Premier, deuxième,
troisième BATAILLON d'un régiment. C'est en
vain qu'à travers des bois, avec sa cavalerie
toute fraiche, Beck précipite sa marche pour
tomber sur nos soldats épuisés : le prince
(Condô) l'a prévenu; les BATAILLONS enfoncés
demandent quartier. (Boss.) Restait cette re-
doutable infanterie de l'armée d'Espagne, dont
les gros BATAILLONS serrés, semblables à autant
de tours, mais à des tours qui sauraient réparer
leurs brèches, demeuraient inébranlables au
milieu de tout le reste en déroute. (Boss.) Dieu
est toujours pour les plus gros BATAILLONS.
(Turenne.) Si l'on combattait de près comme au-
trefois, une mêlée de neuf heures, de BATAILLON
contre BATAILLON, d'escadron contre escadron
et d'homme contre homme, détruirait des armées
entières. (Volt.) Le nombre des compagnies for-
mant un BATAILLON a varié de une à dix ou
douze; le nombre des BATAILLONS formant un
régiment a varié de un à douze ou vingt ; la
force des BATAILLONS a varié de cent à mille et
à deux mille hommes. (Gén. Bardin.)
En avant! marchons
Contre leurs canons
A travers le fer, le feu des bataillons.
C. DELAVIONE.
— Bataillon de guerre, Bataillon supplé-
mentaire que l'on ajoute à un régiment, en
temps de guerre. 11 Bataillon carré, Bataillon
formé en carré, avec quatre fronts, pour ré-
sister de tous côtés lorsqu'il est enveloppé, il
Chef de bataillon, Officier qui commande un
bataillon, et à qui on donne aussi le nom de
commandant. II Ecole de bataillon, Théorie
dont la connaissance est nécessaire pour la
manœuvre d'un bataillon.
— Par ext. Troupe de soldats : Les mains
élevées à Dieu enfoncent plus de BATAILLONS
que celles qui frappent. (Boss.) Des BATAILLONS
protègent en vain les autorités que le respect
ne défend plus. (Le P. Félix.) heprocher les

BATAILLONS
aux conquérants! Ne croyez-vous
pas entendre des gens qui reproc/tent les méta-
phores aux poètes? (V. Hugo.)
Un autre bataillon s'est avancé vers nous.
RACINE.
Va jusqu'en Orient pousser tes tarifions.
CORNEILLE.
Aux armes, citoyens, formez vos bataillons.
ROUGET DE L'ISLE.
Mon pied, frappant au sein de la vieille Italie,
En fait jaillir des bataillons.
C. DELAVIONE.
Le trombone, le cor, l'éclatante cymbale,
Règlent des bataillons la marche triomphale.

BARTHÉLÉMY
et MÉRY.
Et César, au milieu d'enseignes déployées,
Animant d'un coup d'œil ses bataillons poudreux,
Fait sur deux rangs serrés marcher un camp nom-
Dreux.
.LEOOUVÉ.
Il Troupe nombreuse d'hommes ou d'ani-
maux : Un chef d'école traîne à sa suite tout
un BATAILLON de disciples et de travailleurs.
(Taxile Dclord.)
De pédants mal peignés un bataillon'crotté
Descendait à pas lents de l'Université.
REQNARD.
. . .Traversant les airs, des bataillons de grues
De leur vol, a grands cris, obscurcissent les nues.
DELUXE.
Multiplions la grosse, entassons les dossiers,
Et mettons en campagne un bataillon d'huissiers.
ETIENNE.
— Hist. Bataillon sacré, dans les armées
thébaines, Troupe dont tous les membres,
intimement unis, étaient disposés à mourir
l'un pour l'autre.
— Par compar. :
Le bataillon sacré, seul devant une armée,
S'arrête pour mourir. C. DELAVIONE.
Il Bataillons de la salade, nom que l'on don-
nait, sous Louis XIV, à des troupes qui por-
taient encore le casque appelé salade.
— Epithètes. Armés, gros,carrés, serrés,unis
pressés, épais, nombreux, innombrables, pro-
fonds, hardis, intrépides, formidables, hers,
héroïques, invincibles, irrésistibles, redou-
tables, terribles, effroyables, hésitants, affai-
blis, éclaircis, décimés, entamés, enfoncés,
renversés, rompus, épars, fuyants, dispersés,
tremblants, confus, culbutés, ralliés, poudreux,
haletants.
— Encycl. Dans l'acception spéciale et mo-
derne du mot bataillon, il faut entendre par
là. un certain nombre de compagnies comman-
dées par un officier supérieur, nommé com-
mandant ou chef de bataillon. Plusieurs ba-
taillons réunis sous le commandement d'un
colonel, forment un régiment. Dans la cava-
lerie, le mot bataillon est remplacé par celui
d'escadron. Nous ne ferons pas l'histoire de
tous les changements qu'a subis l'organisation
de nos" bataillons d'infanterie j ils sont trop
nombreux, et presque toujours ils n'ont d'autre
cause que le caprice des hommes placés suc-
cessivement à la tête de notre administration
militaire. Tantôt on a cru que le nombre des
compagnies devait être impair, puis on s'est
BAT
rattaché au nombre pair. Pendant quelque
temps, les bataillons n étaient formés que de
six compagnies ; certains hommes de guerre
pensent qu il devrait y en avoir dix ; mais, de-
puis 1815, ce nombre est ordinairement fixé à
huit. Avant qu'on eût créé les officiers supé-
rieurs chargés du commandement spécial de
chaque bataillon, le premier bataillon avait
pour chef le major, le deuxième était com-
mandé par le lieutenant-colonel, le troisième
par le premier factionnaire, et le quatrième
par le second factionnaire. Cela veut dire
sans doute un capitaine factionnaire; le gé-
néral Bardin, à qui nous empruntons ces dé-
tails, ne s'explique pas.
Bataillon de la Moselle (LE), paroles de
Ch. Gille, "musique de Darcier. C'est une
œuvre franche du collier, animée d'un souffle
vraiment patriotique, une véritable chanson
de troupier qu'on aimerait voir remplacer,
dans nos régiments, les marches chantées
dont la plupart ne sont accessibles qu'à des
oreilles cuirassées. Sur cette œuvre vigou-
reuse dans laquelle bat l'artère populaire,
Darcier a fait passer, avec ses notes enflam-
mées, le grand souffle des clairons de 1792.
- beaux De sa ban - nière immor - tel
dolce. ^m^mm
- le; Vla-I'batail - Ion d'ia Moselle en sa-
-bots. Via l'bataillon d'ia Mosel - le!
'ivace energico. i Vivace energico.
Via l'batail - Ion d'ia Mo - selle en sa -
con forza.
^ - bots- Via l'batail - lond'la Mo-sel - le.
2c Couplet.
Pour arm'S des fusils d'ia veille encor chauds;
La d'ssus le gai soleil ruisselle;
Nossabr'.lapreuv'que nous n'somm's pas manchcls'
N' tienn't jamais qu' par un' iicelle.
Vl'a 1' bataillon, etc..
3c Couplet.
Rois, galonnez vos hussards si farauds
Des talons jusques a l'aisselle !
Ils s'enfuiront devant nos bleus sarraux
Si vieux que la tram' sa décèle.
Via 1' bataillon, etc..
t,v Couplet.
Ilô quoi, conscrit! tu song'rais aux coteaux
De la province maternelle;
Fixe plutôt tes r'gards sur nos drapeaux,
Notre France où donc est-elle?
Via l'bataillon, etc.
lie Couplet.
Mon général, comm' ces canons sont beaux!
Que c'te redoute enn'mie est belle!
Vous devriez nous ach'ter V tout en gros,
C't'affair'-là vous convient-elle?
Via 1' bataillon d' la Moselle en sabots,
Via r bataillon d'ia Moselle!
Bataillon de la Moselle (LE), drame mi-
litaire en cinq actes et treize tableaux, de
MM. Edouard Martin et Albert Monnier, re-
présenté à Paris, sur le théâtre du Cirque,
le 28 juin 1800. M. Théophile Gautier appelle
le Bataillon de la Moselle une splendide
épopée, où les auteurs célèbrent n ce héros
obscur, multiple, dévoué, anonyme, tant il
a de noms, grande âm,e unique composée d'une
réunion d'âmes, qui verse son sang, souffre la
faim, supporte toutes les privations, gagne
les batailles sans autre ambition que celle de
défendre le sol sacré de la patrie, et, satisfait
d'une gloire collective, ne grave qu'un chiffre
dans l'histoire et sur- les arcs de triomphe. »
Ce héros trop négligé, c'est le régiment. «Les
Achilles ne manquent pas d'Homères, pour-
suit M. Th. Gautier, quoique les grands poëtes
soient aussi rares que les grands généraux.
Mais qui parle des troupes et des Grecs tom-
bés dans les cent combats livrés sous les
murs d'Ilion? Une personnification brillante
résume toute une période sacrifiée. » Les au-
teurs ont fait du bataillon de la Moselle le
protagoniste de leur drame, et c'est là une
idée originale, vraie, profondément sympa-
thique. L'intrigue dont semble vivre la pièce
n'est que le thyrse autour duquel s'enlacent
les branches de laurier et qui les soutient,
quoiqu'il ne soit lui-même qu une tige légère.
Le mariage d'Armand Maubert et de Mme de
Rennevée importe peu ; le vrai dénoûment
est l'entrée du bataillon de la Moselle à Mon-
tenotte. Le seul langage qui intéresse, c'est le
bruit du canon, c'est le grand mot de repu-
BAT
blîquo, mettant la fièvre au cœur des peuples
et la terreur dans l'esprit des rois. Entendez-
vous ce long cri, eri de deuil et de déchire-
ment, qui soudain traverse la France? Noua
sommes en 1792 ; Paris s'inquiète, les fau-
bourgs fermentent, l'indignation éclate de
toutes parts, on crie à la trahison. Que se
passe-t-il donc? Des messagers tombent au
seuil de l'Assemblée législative, hagards, effa-
rés, couverts de sang et de poussière, expi-
rants de fatigue, non pas potteurs de palmes
comme le soldat de Marathon, mais de nou-
velles sinistres. Toutes les poitrines sont ha-
letantes, et ces paroles s'en échappent : « L'en-
nemi a franchi la frontière 1 Longwy a capi-
tulé 1 Verdun, épuisé, va se rendre ! - Alors,
sur toutes les places et dans toutes les rues
retentit cet appel suprême :<- La patrie est en
danger ! » Tous les liens qui retiennent les
cœurs se dénouent; on ne songe plus qu'à la
mère commune, à la France 1 La France a
dit: B A moi, mes enfants 1 » et ses enfants ré-
pondent. « La femme envoyait l'époux, dit le
critique du Moniteur, la mère envoyait l'en-
fant; ils n'avaient pas besoin d'être poussés
d'ailleurs. On faisait queue au bureau d'enrô-
lement, comme aux portes des théâtres. Il
semblait que chacun eût regret de n'avoir
qu'une vie à donner. Ce fut une effusion su-
blime, et la sainte mère put voir combien elle
était aimée 1 Jeunes et vieux, tous partirent,
des conditions les plus diverses, foule mêlée
que le bataillon devait bientôt fondre*dans
son héroïque unité, sans vivres, presque sans
munitions, à peine armés, et d un bond les
voilà à la frontière où lutte Kellermann. Ce-
pendant, c'était chose pénible que de quitter
ses foyers -, en allant a l'ennemi, on laissait
derrière soi la famine, l'émeute, les traîtres,
les brouillons, les accapareurs, tous les vam-
pires qui s'engraissent des malheurs publics
et qui sucent le sang de la patrie. » Le ba-
taillon sacré, dans les fastes duquel rayonnent
les noms de Hoche, deKléber et de tant d'au-
tres , comptait encore parmi ses intrépides
soldats le jeune, pur et noble génie qui devait
le guider à la victoire, Marceau ! Le bataillon
reconnut bien vite, dans l'intelligent soldat
républicain, le type le prasparfaitdu dévoue-
ment à la grande et belle cause de la liberté.
« Sois à nous, nous sommes à toi, s'écrièrent
d'un commun accord tous les volontaires;
dis-nous où il nous faudra mourir, et nous
mourrons, » Et, cette union solennelle une
fois scellée dans la souffrance commune et
dans le sang versé généreusement, voilà ce
jeune bataillon et ce jeune commandant en-
gagés dans les périlleux défilés de l'Argonne.
Il faut à tout prix enlever un convoi de mu-
nitions. Valmy doit être canonnê, et c'est bien
le moins que les Prussiens fournissent la
poudre qui décimera leurs rangs et frayera le
chemin de la victoire. On ne peut raconter les
marches et les contre-marches, les escar-
mouches et les surprises, les haltes et les
triomphes de la glorieuse phalange. Au milieu
de toutes ses fortunes diverses, sachez seule-
ment qu'un de ses plus braves officiers, Ar-
mand Maubert, est amoureux ; mais, au fond
cet amour ne lui fait pas oublier que la patri
est en danger, et il se bat comme un lion
chaque fois que l'occasion se présente. Nos
intrépides volontaires, campés sur les bords
du Rhin, surveillent les mouvements des Au-
trichiens, qui peuplent la rive opposée, La
campagne, qui a été pénible, n'a rien changé
à la tenue quelque peu succincte de nos braves,
au contraire. Réduits à se battre en guenilles,
ils n'ont pour recouvrir leurs membres, noirs
de poudre, que des habits élimés, veufs de
boutons, croisant à peine sur les poitrines
nues, des pantalons qui se découpent en dents
de scie et s'équilibrent tant bien que mal à
grand renfort de ficelles, des chapeaux bosse-
lés, aux formes étranges. Quant aux souliers,
il n'en faut pas parler : le bataillon chausse
l'escarpin du père Adam. Ce sont bien là les
hommes extraordinaires, éclos au souffle
puissant d'une jeune république, dont le poète
a pu dire :
Pieds nus, sans pain, sourds aux lâches alarmes,
Tous à la mort, marchaient du même pas.
Un peu plus tard, ils auront des sabots, et n'en
seront pas plus fiers pour cela ni moins braves,
et l'on s'écriera, en les voyant s'avancer auda-
cieux et terribles :
Vlà l'bataillon d'ia Moselle en sabots,
Vlà l'bataillon d'ia Moselle !
L'usage des tentes est aussi peu répandu chez
ces jeunes héros que celui des souliers; des
huttes en terre les remplacent à merveille ;
circonstance qui a fait donner au camp le nom
caractéristique de « camp des castors. * Les
approvisionnements sont entendus de la même
façon. Pourquoi obstruerait-on de farine un
caisson qu'on peut remplir de poudre?» Il
faut voir cet admirable tableau, dont les fi-
gures rappellent les meilleurs types de Charlet
et de Raffet, les deux peintres qui ont le
mieux compris le soldat de la République, écrit
le critique théâtral du Moniteur, que le côté
héroïque de cette grande époque inspire on
ne peut mieux. Quelle verve, quelle insou-
ciance de la misère, quel facile dédain de la
souffrance, quel noble mépris du corps, quel
stoïcisme sans orgueil 1 Souffrir et se taire,
c'est déjà beau, mais souffrir et chanter j c'est
sublime I D'autant plus que, sur l'autre coté du
fleuve, on voit, à l'aide d'un télescope, les
cheminées des cuisines fumer, la flamme des
349
fourneaux briller, le cuivre des casseroles re-
luire comme le soleil, au château de Lauten-
bourg, où les- Autrichiens font bombance. »
Quelques déterminés passent le fleuve, et
cueillent à la baïonnette un bon repas, assai-
sonné de quelques coups de fusil. Une scène
accueillie avec enthousiasme, c'est l'enlève-
ment de la redoute autrichienne. Marceau
achètera aux soldats chaque pièce de canon,
six cents livres; marché conclu, marché tenu ;
le bataillon s'ébranle, il s'élance au refrain de
la chanson si populaire de Charles Gille, en-
tonné par Darcier, avec un entrain enivrant,
Dieux! que c'te r'doute est belle;
et ces héros à cœur d'enfant, tout heureux
des sabots neufs qu'on leur a donnés, s'écrient
en courant gaiement à la mort : '
V:]à l'baiaillon d'ia Moselle en sabots,
Vlà l'bataillon d'ia Moselle !
Cependant l'argent du général est refusé, et
l'on crie les canons dans le camp : à trois sous
le tas ! comme les pommes, aux portes de'Co-
blentz. Nous assistons à un ballet assez origi- -
nal de soldats et de vivandières, avec une en-
trée d'enfants de troupe, dont queiques-uns
sont hauts tout au plus comme le panache du
tambour-maître. Puis le bataillon de la Mo-
selle passe dans le Tyrol, mais Marceau n'est
plus à sa tête ; une balle l'a frappé mortelle-
ment à Altenkirchen, et des funérailles anti-
ques ont honoré-le jeune général enlevé à
vingt-sept ans « sur les ailes des Victoires
dans le ciel des héros. » En Italie, où il re-
trouve un autre chef, Bonaparte, alors dan3
toute la fleur de son audace et de son ambi-
tion, le bataillon de la Moselle est incorporé
à cette armée d'Italie, dont chaque étape fut
un triomphe.
Au milieu de tous ces faits épiques et sur-
humains dont le drame est bourré, à travers
un dialogue plein d'esprit, de gaieté, calqué
sur les épigraphes des lithographies popu-
laires, circule une" historiette amoureuse que
nous avons négligée à dessein; le bruit de la
fusillade et du canon couvre à chaque in-
stant les soupirs du volontaire républicain.
Qu'il nous suffise de dire qu'Armand Hau-
bert épouse Mme de Rennevée, après toutes
* sortes de péripéties bien disposées pour tou-
cher les cœurs sensibles, et dont les auteurs
se sont habilement servis, ainsi que l'a fait
remarquer M. Théophile Gautier, pour trans-
porter l'action du camp des républicains au
camp des émigrés, et peindre ainsi les deux
taces authentiques de 1 époque, u L'eifet de ce
drame a été immense, poursuit l'écrivain que
nous venons de citer. L'esprit qui l'anime est
profondément français. La plaisanterie y siffle
gaiement, comme un air de fifre parmi des
uppels de clairons et des roulements de tam-
bours. Cela enivre, exalte, rend fou, et fait
comprendre ces airs de Tyrtée, qu'on ne pou-
vait entendre sans courir aux armes. Dieu
merci 1 la patrie n'est pas en danger, et l'on
n'a .pas besoin de courir aux bureaux d'enrô-
lements volontaires ; maïs-on courra aux bu-
reaux de location du Cirque. » Une chose que
les feuilletons du lundi ont omis de dire, c'est
que le drame du Cirque s'est inspiré d'une
chanson bien connue, du poète populaire ,
Charles Gille, mort par le suicide en avril
1856. Cette chanson, intitulée le Bataillon de
la Moselle, et intercalée habilement par les
auteurs au milieu d'une scène, n'a pas été un
des moindres succès du drame. M. Darcier,
qui en a fait la musique entraînante et bien
adaptée aux paroles, l'interprète avec une
verve remarquable.
Mais ne quittons pas le bataillon de la Mo-
selle sans raconter le sujet d'une caricature
pleine d'une superbe grognardise, et qui, tout
jeune, nous a tait rire comme nous ne rions
plus depuis longtemps. Le tableau représente
de jeunes conscrits cachés dans un marais
-jusqu'au dessus de la ceinture. Le comman-
dant arrive, monté sur un énorme percheron :
* Soldats, s'écrie-t-il, dans une heure d'ici, il
sera huit heures du soir ; demain matin, au
lever de l'aurore, les ennemis ferotit une sou-
daine apparition ; vous quitterez alors ce poste
honorable, et vous les enfilerez tous comme'
des lapins. Si la République est satisfaite, elle
votera à chacun de vous une paire de sabots. »

BATAKS,
peuple de l'île de Sumatra, sur le~
quel les missionnaires Burton et Ward nous
ont donné d'intéressants renseignements. Les
Bataks paraissent être une race relativement
policée et intelligente; la justice est en effet
assez régulièrement administrée chez eux. Ils
n'ont cependant point de code uniforme ; les
lois écrites et les usages varient de district à
district; la plupart des délits sont punis par
des amendes pécuniaires, dont le produit ap-
partient au chef du district, qui est en même
temps juge. Le vol avec effraction, le vol sur
nn grand chemin et l'adultère sont punis de
mort; les cadavres des suppliciés, ainsi que
ceux des guerriers tués sur le champ de ba-
taille, sont dévorés par le'peuple. La polyga-
mie est permise; toutefois un Batak a rarement
plus d'une femme. Les mariages entre proches
sont sévèrement interdits, quelque éloigné que
soit le degré de parenté. Les Bataks croient à
l'existence d'un Etre suprême, qu'ils appellent
Dcbata-Hasi-Asi, et, vraisemblablement par
suite d'une réminiscence de la doctrine indoue,
ils prétendent qu'après avoir créé le monde,
ce dieu en a confié la direction à ses trois fils,
Bataraguara, Sori Pada et Mangana Bulan,
qui le gouvernent par l'intermédiaire de leurs
lieutenants ou vakil (mot d'origine araoe, dé-
rivé-de la racine wagal, confier). Chaque vil-
lage a son prêtre, dont les fonctions consistent
à expliquer les livres sacrés, à déterminer les
offrandes par le moyen desquelles on peut
apaiser la colère des divinités malfaisantes, et
à faire connaître les jours heureux, soit en
consultant, les tables astrologiques, soit par
l'inspection des entrailles de quelque animal,
chien, cochon ou oiseau. Ordinairement, le
Batak ne s'occupe guère de ses dieux; il ne
s'en inquiète que lorsqu'il veut faire la guerre,
commencer quelque entreprise importante, ou
bien quand il a éprouvé quelque malheur. En
ce cas, il a recours à son datu ou prêtre, pour
savoir quel démon il doit apaiser, ou oien
quelle victime il doit immoler. La langue des
Bataks paraît n'être qu'un dialecte de la lan-
gue malaise. C'est surtout par rapport aux
substantifs que l'analogie est frappante, plus
cependant pour la langue écrite, ou kata-kata-
i-lan,que pour la langue parlée, ou kata-lohop.
Les formes grammaticales de l'une et de l'autre
sont également,simples. Dans la langue des
Bataks, on trouve beaucoup de mots empruntés
au sanscrit, mais point, ou du moins fort peu
de mots arabes, tandis que la langue malaise
renferme, au contraire, une assez notable pro-
portion de mots arabes introduits par l'isla-
misme. Les Bataks connaissent l'écriture, et
leur système graphique est évidemment dérivé
de l'alphabet sanscrit ou devanagari. La di-
rection de l'écriture est de gauche à droite, et
il n'existe pas de séparation entre les mots.
Chaque consonne porte sa voyelle avec elle.
Les Bataks possèdent une littérature assez
riche, qui consiste principalement en ouvrages
religieux, formules de prières, de cérémonies,
de sacrifices, traités sur l'art de la guerre,
recueils de médecine empirique et supersti-
tieuse, etc. Les Bataks ont cultivé, non sans
succès, la poésie; leurs vers sont rimes et or-
dinairement divisés en quatrains, à l'instar des
pantouns malais. Souvent se voient des com-
bats poétiques, où des interlocuteurs s'atta-
quent et se répondent tour a tour, pendant des
heures entières, en récitant alternativement
des vers. Ces luttes exigent une grande pré-
sence d'esprit, et surtout une mémoire sûre et
imperturbable, car les réminiscences jouent
un grand rôle dans les improvisations rapides
faites à haute voix.

BATALHA
bourg du Portugal, prov. d'Es-
tramadure, à 10 kil. S.-O. de Leiria, sur la
Lis ; 2,000 hab. Exploitation de sources salées.
Beau couvent de dominicains fondé par le roi,
Jean Ier^ et destiné à la sépulture des rois de
Portugal. Ce magnifique monastère fut com-
mencé en 1388 par Joao 1er, vainqueur d'Alju-
barrota. On ignore quel fut le principal archi-
tecte de ce chef-d'œuvre de l'art gothique,
bien que l'on nomme quelquefois Mattheus
Fernandès, qui n'en fut que le continuateur.
Il faut descendre une douzaine de marches
pour être de plain-pied avec le portail de
l'église. « Rien ne manque à ce portail, dit
M. de Pêne, ni la pensée, ni l'exécution, ni la
noblesse dans l'élégance, ni l'élévation dans
la grâce. » Les proportions de la façade s'har-
monisent parfaitement, et elle est ornée d'une
centaine de figures en bas-relief d'un grand mé-
rite. L'intérieur de l'église est d'une simplicité
grandiose. De hautes fenêtres ogivales, déco-
rées de beaux vitraux, répandent une lumière
douteuse dans la grande nef, où, devant le
maître-autel, reposent le roi don Duarte et sa
femme, Léonore d'Aragon, dont les statues
ont été mutilées en 1808 par les Français. La
salle du chapitre forme un carré partait, dont
chaque côté a 20 m. de long. Elle se termine
par une coupole en pierres de taille, qui semble
suspendue en l'air. Aucun pilier ne la soutient ;
elle n'est supportée que par des courbes qui
viennent se réunir, au sommet de la voûte, en
une large, rosace d'un admirable, travail. Le
.cloître déploie, dans une médiocre étendue, la
plus charmante élégance; ses fontaines, ses
arcades en ogives, ont une grâce et une lé-
gèreté infinies. Enfin, la chapelle imparfaite,
ainsi nommée parce qu'elle ne fut jamais
achevée, a été bâtie par le roi don Manoel,
dans ce style gothique enjolivé, qui semble
propre au Portugal.

BATAN
île de l'Océanie, dans l'archipel des
Philippines, au N.-E. de Luçon, par 20° 30'de
lat. N. et 120° de long. E. Superficie : 132 kil.
carrés. Riches mines de houille.

BATANÉE
ou BASAN, petite contrée de l'an-
cienne Palestine, à l'E. du Jourdain, entre la
rivière Jabbok au S. et l'Hermon (Anti-Liban)
au N. Elle était comprise dans la demi-tribu
de Manassé, et était arrosée par le Hieromax.
La contrée appelée de nos jours El Botthin,
sans correspondre à aucune division précise,
rappelle la désignation de Batanée, dont elle
occupe le territoire.

BATANGAS
ville de l'Océanie, dans l'archi-
pel des Philippines, ch.-l. de la prov. de son
nom dans l'île de Luçon, sur la côte méridio-
nale; 22,000-hab. On y remarque le palais de
l'alcade, l'église paroissiale, le couvent des
augustins et l'hôtel de ville. Il La province du
même nom, bornée au S. et à l'O. par la mer
de Chine, à l'E. par la prov.,de Tayabas, au
N.-E. par celle de Loguna, mesure 80 kil. du
N. au S. et 110 kil. de l'E, à l'O.; le sol, cou-
vert de montagnes, présente encore les traces
de plusieurs volcans éteints. Elève de bétail.
On y trouve une assez grande quantité de
buffles, sangliers, cerfs, singes et porcs-épics.

BATANOME
s. m. (ba-ta-no-me). Comm.
Sorte de toile du Levant.
BAT ARA s. m. (ba-ta-ra). Ornitb. Genre de
passereaux, voisin des fourmiliers, qui habite
l'Amérique et l'Afrique ; il est syn. de thamno-
phile ; On doit réunir aux vrais BATARAS le
vanga strié, (P. Gervais.) Les BATARAS ne font
que sautiller lorsqu'ils sont par terre, et restent
presque toujours perchés. (De Ste-Croix.)
— Encycl. Le genre batara (thamnophilus
de Vieillot) appartient à l'ordre des passereaux
de Cuvier, famille des pies-grièches, ou famille
des.collurions de Vieillot. Batara est le nom
donné à ces oiseaux par les habitants du Pa-
raguay, où ils vivent. D'Orbigny trouve plus
naturel de les grouper avec les fourmiliers
qu'avec les pies-grièches. Ce sont des oiseaux
buissonniers par excellence, comme l'exprime
le nom thamnophilus; ils vont toujours sau-
tillant sur les branches basses des buissons;
ils ne descendent guère à terre que pour y
saisir les insectes dont ils font leur nourriture,
et ils remontent sur les branches pour les
manger. Les mâles, au temps des amours,
font entendre des gammes bruyantes, aux-
quelles les femelles répondent par des sons
moins prononcés; mais il est fort difficile^de
les apercevoir, parce qu'ils se tiennent tou-
jours cachés dans les fourrés les plus épais.
Ce genre a pour caractères : un bec fort, droit,
arrondi en dessus, courbé à son extrémité;
mandibule inférieure concave en dessous d'a-
bord, puis bombée jusqu'à la pointe; pieds
forts, tarses et doigts allongés et terminés par
des ongles larges et très-arqués ; ailes courtes,
à rémiges étagées ; queue le plus souvent
longue et large. Les mâles ont le dessus de la
tête noir, et leurs couleurs sont en général
variées dé noir et de blanc ou de gris ; les
femelles sont, brunes ou |rousses, variées de
teintes plus claires. D'Orbigny les distingue
en espèces nombreuses, dont les principales
sont: le grand batara ou thamnophilus major ;
le batara rayé; le vanga ou batara gris; le
vanga ou batara roux ; le vanga strié huppé ;
le fourmilier tachet; le fourmilier gorgeret;
le fourmilier moucheté; le batara h coiffe
(thamnophilus pileatus), etc~ Toutes ces espèces
forment trois groupes : ceux des bataras à
grande queue, à courte queue et à bec grêle ;
ce dernier groupe se confond avec les formi-
civora de Swainson.

BÂTARD
ARDF. adj. (bâ-tar; ar-de. — Ce
mot, qui primitivement s'écrivait bastard,
comme le prouve la présence de l'accent cir-
conflexe, est formé du radical bas, joint au
mot, également celtique, tarz (extraction).
Roquefort, dans son glossaire, assure que
l'on disait autrefois fils de bas, frère de bas,
pour bâtard. Nous trouvons, en gallois, bas-
darz; en irlandais, basdard; en écossais,
basart ; en breton, bastart et bastard. L'ita-
lien et l'espagnol ont conservé la forme pri-
mitive dans bastardo). Qui est né de parents
non mariés l'un à l'autre : Un enfant BÂTARD.
Une fille BÂTARDE.
Il faut être bâtard, pour coudre sa misère
Aux misères d'autrui
A. DE MUSSET.
Vos mères aux laquais se sont prostituées;
Vous êtes tous bâtards "
V. HUGO.
— Dégénéré ou altéré : Une race BÂTARDE.
Un olivier BÂTARD. La reinette BÂTARDE. C'est
une espèce de guitare BÂTARDE, OÙ il faut ar-
rondir les bras et faire saillir la hanche, inven-
tion de l'empire, pour faire poser les femmes à
la grecque. (F. Soulié.) Un ordre secret du
roi le pria de le reconnaître, sous peine de
Bastille éternelle, à cause de je ne sais quel
commerce de monnaie BÂTARDE. (F. Soulie.) ii
Sans caractères tranches : La Picardie est une
contrée BÂTARDE, OÙ le langage est sans accen-
tuation et le paysage sans caractère. (Ste-
Beuve.) Les régimes qu'on croise ne produisent
que des gouvernements B\TARDS. (E. de Gir.)
[I Tenant à la fois de deux choses contraires
ou opposées : Les Martyrs, d'après certains
critiques, appartiennent au genre BÂTARD du
poème en prose. L'expérience le fit renoncer à
ce râle mixte et BÂTARD. (Ste-Beuve.) Le mé-
lodrame est un genre BÂTARD. (Chésurolle.)
— Prov. L'hiver n'est pas bâtard; s'il ne
vient tôt, il vient lard, Tôt ou tard, il fait
toujours froid en hiver.
— Tèchn. Sucre bâtard, ou substantiv. bâ-
tard, Sucre dont le sirop a été fourni par des
résidus de raffinage, ii Pâte bâtarde, Pâte de
boulangerie entre dure et molle.
— Art mïlit. Epee bâtarde, Epée pouvant
également servir à une ou à deux mains.
— Mar. Tout a fait semblable de dimen-
sions et de formes : Deux canots BÂTARDS. [|
Pièces bâtardes, Nom donnô à deux canons
montés tribord et bâbord du coursier, u
Hunier, canot bâtard, Hunier, canot de gran-
deur moyenne, qui peuvent remplacer, au
besoin, le grand ou le petit hunier, le grand
ou le petit canot, il Voile bâtarde, Sur les
galères, Grande voile qui ne s'emploie qu'avec
un temps presque calme, u Marée bâtarde,
Fausse marée, petite marée, marée des qua-
dratures, par opposition aux grandes marées
des syzygies.
— Archit. Porte bâtarde, Porte intermé-
diaire entre la porte cochère et la petite
porte : Une petite PORTE BÂTARDE donnait en-
trée à cette sombre maison. (Balz.) Au tinte-
ment réitéré d'une sonnette, une PORTE BÂTARDS
s'ouvrit, (E. Sue.)
...... Ici, je suis de garde,
.Et je ne puis t'ouvrir que la porte bâtarde.
REGNARD.
— Mus. Mode bâtard, Nom donné, dans le
plain-chant, aux modes hyperéolien et hy-
- perphrygien, qu'on avait rejetés des modes
authentiques et plagaux.
— Calligr. Ecriture bâtarde, ou simplement
bâtarde. V. BÂTARDE.
— Pathol. Qui ressemble à une maladie,
sans en avoir tous les caractères essentiels :
Une pleurésie BÂTARDE.
— Hortic. Plante Lâtarde, Plante sauvage
ou non greffée : De la laitue BÂTARDE. Un ro-
sier BÂTARD, il Plante qui porte le nom d'un
genre auquel elle n'appartient pas.
— Econ. agric. Vache bâtarde, Vache dont
le lait diminue à une seconde portée. Il Laine
bâtarde, Laine de seconde tonte.
— Hist. nat. Croisé, produit par des sujets
emi appartiennent à des espèces ou à des va-
riétés différentes : Un chien BÂTARD de dogue
et de mâtin. Un oiseau de chasse BÂTARD.
— Substantiv. Personne née de parents
non mariés ensemble : Un BÂTARD, une BÂ-
TARDE. Les BÂTARDS ont droit à la succession
du père ou de la mère qui les a reconnus.
(Acad.) Louis XIV prévoyait la confusion et
les conflits que cette race équivoque de BÂTARDS
légitimés pouvait apporter dans l'ordre mo-
narchique. (Ste-Beuve.) Il ne pouvait braver
les préjugés du monde, à ce point de faire
élever sa BÂTARDE avec sa fille légitime. (X. de
Montépin.) Les biais des moines servaient
d'apanage aux BÂTARDS des rois, aux plus
honteuses faveurs de leurs maîtresses. (Peyrat.)
En vérité, il n'y a que les BÂTARDS, pour avoir
du bonheur. (Alex. Dum.)
Un bâtard échappé des pirates du Nord
A soumis l'Angleterre
VOLTAIRE.
Charmant bâtard, cœur noble, âme sublime !
Le tendre amour me faisait sa victime,
Mon salut vient d'un enfant de l'amour.
VOLTAIRE.
— Bâtard adultérin* Celui qui est né de
deux personnes, dont l'une au moins est ma-
riée, mais qui ne sont pas mariées l'une à
l'autre. Il Bâtard simple, Celui qui est né de
deux personnes libres des liens du mariage.
— Fig. Œuvre qui n'est pas produite par
la personne à qui on J'attribue : Il y a des
gens qui substituent leurs vers aux miens; je
ne fais pas grand cas de mes vers, mais enfin
j'aime mieux mes enfants tortus et bossus que
. les beaux BÂTARDS que l'on me donne. (Volt.)
j il Fausse imitation d'un autre objet :
C'est comme un temple grec tout recouvert en tuile;
[ Je ne sais quoi d'informe et n'ayant pas de nom,
I Comme un grenier à foin bâtard de Parthénon.
I A. DE MUSSET.
! -— Ane. couî. Bâtard de Caux, Cadet sans
, fortune, parce que, dans la coutume de Nor-
mandie, les cadets du pays de Caux n'en-
traient point en partage avec leurs aînés.
— Antonyme. Légitime.
Bâtard (LE), poème satirique anglais, de
Richard Savage, publié en 1728. L'auteur
était fils naturel de la comtesse de Maccles-
field,et, dans cette composition fameuse, il
devait être mieux inspiré par la triste réalité
que par l'allégorie et la fiction. Sa mère,
non-seulement ne voulut jamais le reconnaî-
tre, elle le poursuivit encore d'une haine im-
placable, et c'est pour se venger qu'il poussa
l'ironie jusqu'à lui dédier, « avec tout le res-
pect qui lui est dû, » son poëme vengeur,
dont la première page portait cette sanglante
: épigraphe empruntée à Ovide : Decet hœcdare
doua nooercam. Le Bâtard attendrit toute
l'Angleterre , excepté l'orgueilleuse lady ; il
est écrit avec une énergie prodigieuse, et l'on
sent à chaque vers que l'indignation a en-
flammé le génie du poêle :'racit indigna-
tio versum. « Dans les moments joyeux, dit-il,
quand mon imagination était pétillante, ma
! muse en délire laissait échapper ces mots :
1 Bénie soit la naissance du Bâtard. Dans les
! sentiers non frayés encore, il se montre
comme une comète errante, il n'est pas le
fruit de molles complaisances, lui, l'enfant de
l'enthousiasme; il doit fonder à lui seul sa
race généreuse, car il n'a rien de quoi il puisse
se vanter : il n'est point le dixième propaga-
teur d'une sotte figure, il n'a ni espérances ni
exemples de la part de ses parents. La flamme
qu'il porte dans son sein n'est pas alimentée
du dehors : aussi il est fier du nom brillant de
bâtard... il est l'enfant de la nature; il est
seul : son cœur et son esprit lui appartiennent.
— O ma mère, vous qui ne l'êtes pas, c'est à
vous que je dois de si grands privilèges. De
tous les devoirs du sang et de la famille, de
tout lien naturel, moral et divin, vous avez
affranchi mon âme impatiente; sans aviron,
vous m'avez lancé sur l'Océan. Ah! que j'y
aurais perdu, si, détesté par nature et aimé
par mariage, j'eusse été une masse vivante
et légale qui vous appartînt forcément : j'au-
rais été votre plat et cher héritier, fardeau
de votre vie et but de vos soins, pauvre dans
la richesse et petit dans la grandeur, esclave
de l'étiquette, un zéro dans l'Etat, négligeant
comme un seigneur mon mérite inconnu, et
sommeillant au fauteuil où le hasard -m'aurait
jeté. Des avantages bien autrement glorieux
deviennent le partage du Bâtard, con^u par
la tendresse et par une passion sincère. Ferme
comme le destin, il s'élance, il surmonte les
malheurs et s'élève jusqu'à la lumière. » Mais
350
ce rire strident de l'ironie ne se soutient pas
jusqu'au bout. Après avoir débuté presque
gaiement, Savage finit sur un ton mélancoli-
que. Faisant un triste retour sur lui-même, il
rappelle sa vie malheureuse, que l'absence
d'une famille a rendue dissipée et vagabonde :
« Cependant, où mon espoir pourra-t-il se réa-
liser? La voix d'une mère n'a jamais prié
our moi et pour mon innocence au berceau.
e n'ai pas eu de père qui retînt la fougue de
ma jeunesse, et qui, en réprimant mes vices, ait
fait éclore mes vertus. Ma mère, ce n'est pas
là votre nom : peut-être cette pensée fera
couler une larme. Tout ce qui me rendit mal-
heureux, c'est à vous que j en fus redevable;
tout ce qui m'a consolé m'est venu des étran-
gers. »
Telle est la réflexion simple et touchante
par laquelle Savage termine son poëme, qui
mérite d'être classé à part dans les composi-
tions du genre satirique. Il faut aller jusqu'à
Byron écrivant son pamphlet poétique : les
Bardes anglais et les critiques écossais, pour
retrouver ia même énergie, la même amer-
tume, la même sincérité. Et encore, la satire
de Byron n'est-elle que la révolte d'un orgueil
littéraire. Le poiime de Savage répond a un
sentiment plus large et plus vrai; sa douleur
intéresse tout le monde, elle ne trouve que
trop d'échos dans les infortunes semblables
dont l'humanité et la civilisation ont à rougir.
L'impression est encore plus profonde et plus
poignante, si le fils naturel est.en outre le fils
abandonné, le fils proscrit. Une telle situation,
aggravée parle régime social de l'Angleterre,
ou le rang et la richesse dominent tout, devait
inspirer des vers brûlants. Le pofîme de Sa-
vage trouva des lecteurs compatissants ; ce
fut la punition de la mère. Elle put lire, avant
sa mort, dans la Vie de Savage par Johnson,
ce passage écrasant : « Dans cette circon-
stance, la mère de Savage montra pour la
première fois de la honte; jamais le pouvoir
de l'esprit d'un auteur ne fut plus remarqua-
ble. Cette créature infâme, qui, sans scrupule,
s'était déclarée adultère, et qui essaya de
faire périr son fils de faim, ensuite de le faire
déporter, enfin de le faire exécuter, n'eut
point le courage de supporter l'effet que pro-
duisit sa conduite. Redoutant la voix publique
et nullement les remords, elle alla cacher son
crime dans l'univers de Londres. » On ra-
conte en effet qu'à Bath, où cette mère sans
entrailles s'était retirée pour éviter la pré-
sence de son fils, elle entendait à chaque pas
murmurer à ses oreilles les vers vengeurs
du Bâtard.
Bâtard do Mauiéon (LE), roman de M. Alex.
Dumas (Paris, 1846, 9 vol. in-8<>). On sait
de quelle façon dénuée d'apprêt M. Alexandre
Dumas traite ou maltraite l'histoire; on sait
avec quelle hâblerie de langage, quelle im-
perturbable assurance, quelle confiance en soi,
quelle naïveté fanfaronne, il va, court, s'élance
a travers les moulins à vent que son propre
souffle fait tourner, et les châteaux de cartes
que sa fantaisie a construits. Le poing sur la
hanche, l'œil allumé, la plume en arrêt, il fond
sur l'histoire, la renverse, la dépouille, en
cueille la fleur, et, souriant, satisfait, gonflé
comme un page en bonne fortune, rayonnant
comme un écolier grisé par la victoire, étonné
plus qu'il ne faudrait d'avoir pu forcer des
portes ouvertes, il éclate, contant et racon-
tant à tous son triomphe et sa joie; il jase
sans tarir, il invente sans mesure, etne s'arrête
qu'après vous avoir dit, bon gré mal gré, tout
ce qui trottait dans sa cervelle, faisant sonner
par-dessus l«s toits tous les grelots de sa fan-
taisiej vous intéressant à ce qui l'a séduit, à
ce qui l'a amusé en chemin, à ce qu'il a pensé
hier, à ce qu'il fera demain. A cnaque page
que vous tournez en sa compagnie, vous êtes
tenté de crier : « C'est trop fortl à d'autres!
Vous nous croyez bien crédules, en vérité 1 »
Vous vous dites : - Passé le chapitre, je m'ar-
rêterai, je jetterai le livrej » et pourtant vous
allez toujours, résistant faiblement au charme
qui vous entraîne, et quand vos yeux tombent
enfin sur le dernier mot du récit, vous flottez
entre le regret d'avoir perdu votre temps à
écouter l'herbe pousser, et celui d'en avoir
terminé déjà avec un compagnon qui s'entend
si bien à faire l'école buissonnière. Qui de vous
n'a bondi à quelque gasconnade venue des
bords de la Garonne et dite avec cet aplomb
sui generis qui arrête la dénégation sur les
lèvres du plus sceptique? Rendu à vous-même
et réfléchissant, vous vous en voulez sérieuse-
ment d'une crédulité qui faisait le triomphe du
narrateur. Eh bien, la même chose arrive
lorsque M. Alex. Dumas tient la plume et
qu'on le lit : si bien qu'après l'avoir suivi, plu-
sieurs heures durant, dans ses fantaisies épi-
ues, on éprouve l'envie de s'appliquer les
pithètes les plus malsonnante3, voyant com-
bien on fut facile à mystifier, combien on
a été gobe-mouches, comment on a pu se
laisser prendre à tant de sornettes, a tant
d'exagérations bouffonnes, à tant de préten-
dues ruses de guerre et complications poli-
tiques qui n'ont en somme ni queue ni tête ;
comment on n'a pas éclaté de rire au nez
burlesque de tous ces Machiavels qui ne sont
que des Gribouilles, de tous ces profonds
nommes d'Etat qui vont contant a tous les
coins de rue leurs secrets et leurs plans.
Voilà ce qu'on se dit, et bien d'autres choses
encore, et pourtant on conserve au fond de
l'âme un impérieux désir de chevaucher en-
core derrière ces preux chevaliers qui tran-
BAT
chent des montagnes d'un coup d'épée, qui
enlèvent des reines, qui font des rois, qui
créent des royaumes, qui tiennent en leurs
mains la paix ou la guerre, et pour qui les
dangers ne sont que prétextes à plaisanteries.
Cependant on est tenté d'admirer tant de vie
dépensée, tant de verve, tant d'audace, tout
en regrettant pour l'auteur et pour soi que le
besoin de parler longuement ait semé à tous
vents tant d'amplifications inutiles, tant de
rodomontades, tant d'invraisemblances. Et
puis, soyons sincère, l'esprit s'impatiente à la
longue, ne sachant plus, de toutes ces belles
histoires où Louis XIV, Anne d'Autriche, Ri-
chelieu et tant d'autres font parade et donnent
la réplique à des personnages imaginaires, ce
qu'il doit croire ou ne pas croire, où s'arrête
le réel et où commence le roman; de telle
sorte qu'il faudrait, pour goûter un plaisir sans
mélange à ces contes, souvent naïfs, d'un
grand enfant dont la langue dorée va comme un
claquet de moulin sans se fatiguer, il faudrait
n'avoir jamais de sa vie ouvert une histoire.
Heureux donc les pauvres d'esprit, le royaume
de M. Alex. Dumas esta eux. Ceux-là ont fait
le succès du romancier, ils lui composent une
clientèle docile, qui croit que cela est arrivé,
et s'imagine que Monte-Cristo est un person-
nage tout aussi authentique que Mazarin ou
Condé; ils forment le gros bataillon, la masse
ahurie, bonasse et crédule de ce public qui,
rappelant la femme sauvage, digère les gros
cailloux de la littérature. Ce public croit au
roman historique comme à l'Evangile, et
M. Alex. Dumas est son prophète ; ce public-là
dit, comme le Duguesclin du Bâtard de Mau-
iéon : « Je réfléchis le moins possible; cela
me fatigue. »
Le Bâtard de Mauiéon, qui n'est pas une
des meilleures productions sorties de la plume
du fécond auteur des Mousquetaires, a donc
cela de bon, pour ce public dont nous venons
de parler, qu il fait peu réfléchir ; on pourrait
même ajouter qu'il ne fait point réfléchir du
tout. Nous ne suivrons pas l'auteur chapitre
par chapitre, volume par volume. Nous dirons
seulement que l'honorable et valeureux sire
Agénor de Mauiéon est un vrai chevalier des
vieux fabliaux et des légendes romanesques,
qui mène de front la guerre et l'amour. Un
coup de lance admirable qu'il échangea à
Narbonne avec don B'rédéric, grand maître de
Saint-Jacques, alors que les Castillans ve-
naient chercher en France Blanche de Bour-
bon, lui valut une de ces amitiés robustes qui
croissent et se multiplient si agréablement dans
les romans de M. Alex. Dumas. En cette oc-
casion, il promit à don Frédéric de n'accorder
a nul autre qu'à lui la fraternité d'armes, et,
de son côté, don Frédéric fit une promesse
analogue. Ce dernier invite plus tard Agénor
à venir le rejoindre en Portugal, à Coimbre,
qu'il vient de conquérir sur les infidèles.
Mauiéon, armé en guerre, la lance au bras, la
targe au cou, panache rouge au casque, roide
et ferme sur les arçons, s'achemine au pas de
son cheval vers le Portugal. Il est flanqué de
son fidèle écuyerMusaron, homme sec, courbé,
bronzé, accroupi comme un singe sur un cheval
aussi maigre que lui-même; ce Musaron est
pour le chevalier un de ces rares compagnons
comme l'auteur des Mousquetaires se complaît
à en barder ses héros. Perspicace comme
un Peau-Rouge, colère comme un chameau,
bavard comme un feuilleton de M. Alex. Du-
mas, il espadonnerait, sur un signe de son
maître, tout l'univers, et, de son arbalète, dé-
vasterait la chrétienté. Avec lui on peut aller
au bout du monde: avec lui on doit accomplir
des prodiges : le Bâtard de Mauiéon, qui bientôt
aura à venger l'assassinat du grand maître de
Saint-Jacques et celui de Blanche de Bourbon,
en accomplit beaucoup, sous la plume du ro-
mancier.
On connaît l'histoire du mariage et de la
mort de Blanche de Bourbon, femme de ce
roi de Castille, connu sous le nom de Pierre
le Cruel. Blanche fut mariée dès l'âge de
quinze ans au roi de Castille. qui, le soir même
des noces, la quitta pour voler auprès de Marie
Padilla, sa maîtresse. La malheureuse Blanche,
tenue longtemps captive loin de la cour, mourut
de mort violente, par ordre du roi, à vingt-
deux ans. M. Alex. Dumas charge la mémoire
de cette infortunée reine d'un amour dont la
découverte amène du même coup la mort de
don Frédéric et de Blanche. Puis il confie à
son héros le soin de demander vengeance au
roi de France, Charles V, beau-frère de la
reine de Castille. Excellente occasion, d'ail-
leurs, pour nous faire un petit cours d'histoire
et livrer bataille à Pierre le Cruel en compa-
f nie de Duguesclin. Le sol de la France avait
esoin d'être purgé des bandes vagabondes, en
grande partie anglaises, qui composaient les
grandes compagnies. On en avait rejeté quel-
ques-unes à grand'peine en Allemagne et en
Italie, lorsqu'un prince espagnol, Henri de
Transtamare, vint demander des secours contre
son frère Pierre le Cruel. Charles fut heureux
de lui donner toutes les grandes compagnies
du royaume à emmener en Espagne, et mit à
la tête de l'expédition le brave Duguesclin.
Mais vous sentez bien que, dans le roman qui
nous occupe, tout l'honneur de l'entreprise va
revenir au Bâtard de Mauiéon. Ce n est plus
Duguesclin qui rassemblera les aventuriers,
mais Mauiéon. Ne chicanons pas l'auteur ;
aussi bien, sauf l'extrême importance gue
prend son héros dans la conquête d'un trône
de Castille, il laisse à la vérité historique
une part assez large. Il nous montre notam-
BAT
ment les aventuriers extorquant 200,000 écus
d'or au saint-père en passant à Avignon,
parvenant en Espagne et donnant à Henri de
Transtamare le trône de son frère ; puis Henri
de Transtamare est vaincu par suite de l'al-
liance de Pierre avec le prince de Galles, et
Duguesclin tombe au pouvoir des Anglais.
Mauiéon vient en France chercher sa rançon,
car le connétable lui a dit de parcourir sa
Bretagne chérie, et, dans chaque village, sur
chaque route, de crier : * Bertrand Duguesclin
est prisonnier des Anglais! Filez, femmes de
Bretagne, il attend de vous sa rançon ! » Enfin,
Pierre le Cruel est vaincu à son tour. Les
deux frères s'étant rencontrés après la ba-
taille, dit l'histoire, se jetèrent l'un sur l'autre
et se roulèrent par terre en cherchant à se
déchirer, jusqu'à ce que Henride Transtamare
enfonçât son poignard dans la gorge de Pierre.
Cette mort forme un chapitre émouvant du
livre de M. Alex. Dumas. Elle mit fin à la
guerre; elle met fin au roman, qui est tra-
versé par un amour sans cesse contrarié, celui
que le Bâtard de Mauiéon a conçu pour la belle
Moresque Aïssa, laquelle est surveillée de si
près par le farouche Mothril, ministre et
conseiller du roi don Pedro, qu'il ne peut ja-
mais l'atteindre. Au moment où les deux
amants vont enfin être l'un à l'autre pour tou-
jours, le barbare Mothril, d'un coup de poi-
gnard, abat la main gauche d'Agénor, et d'un
autre coup fait sauter la tête d'Aïssa. Une foule
d'épisodes et de détails romanesques viennent
se rattacher à ce canevas. On s'y intéresse
assez souvent, quand, ce qui est rare, M. Alex.
Dumas n'abuse pas du style familier et du
dialogue ; quand ses personnages veulent bien
s'abstenir de conversations inutiles, de plaisan-
teries intempestives, pour aller droit au but.
Ce qu'on peut reprocher à M. Alex. Dumas,
c'est de faire parler à tous ses personnages la
même langue ; les rois préparent des batailles,
créent des connétables ou des ministres, se
disputent et s'assassinent; les princes se con-
tent leurs affaires, s'entretiennent de projets
politiques, avec le ton goguenard et le-laisser-
aller de bons bourgeois jouant aux dominos
ou de rapins fumant leur pipe au café. Seule-
ment, comme il y a toujours dans ses récits
de beaux clairs de lune, des soleils éblouis-
sants, des bourses pleines, des festins qui
sentent bon, et ce parfum de jeunesse qui pare
les moindres choses, on passe sur des défauts
que. la pa^e tournée, on oublie, comme on
oubliera le livre lui-même une fois tombé des
mains, car des livres de M. Alex. Dumas en
général, et du Bâtard de Mauiéon en particu-
lier, on peut dire qu'autant en emporte le vent J
BÂTARD s. m. fbâ-tar — rad. bâtard, adj.).
Mar. Bout de corde fourrée qui, passant pa"r
lés bigots et pommes de racage, sert à tenir
la vergue haute à son mât : J'ai supprimé
depuis longtemps les bigots et tes pommes, ne
me servant gue des BÂTARDS garnis de basane.
(Willaumez.) Le BÂTARD traverse ordinaire-
ment un certain nombre de pommes en bois
blanc, et nommées pommes de racage. (A. Jal.)
— Pêch. Petit ver rouge qui sert d'appât.

BÂTARDA1LLE
s. f. (bâ-tar-da-lle ; Il mil.
— rad. bâtard). Fam. Tas de bâtards, race
de bâtards : Dépêtrez-vous de cette BÂTAR-
D AILLE.

BÂTARDE
s. f. (bâ-tar-de — rad. bâtard,
adj.). Calligr. Ecriture à jambages pleins et
à liaisons arrondies, tenant de la ronde et de
la coulée, d'où son nom : BÂTARDE penchée.
BÂTARDE ronde. Eh! oui, d'une écriture que
vous connaisses... là... d'une certaine écriture
qui n'est pas légitime. — Il veut dire de la
BÂTARDE. (Lo Sage.)
— Techn. Lime d'horloger, qui n'est ni fine
ni grosse. Il Forme spéciale pour le sucre
bâtard, il Bâtarde vergeoise, Sucre bâtard,
arrière-produit des raffineries : Les sirops qui
se sont écoulés pendant le raffinage sont traités
de nouveau, et donnent les sucres inférieurs
connus sous les noms de lumps, BÂTARDE VER-
GEOISE, et enfin la mélasse, qui est le résidu
finalgu'on livre aux distillateurs. (J. Girardin.)
— Min. Nom donné, à Rive-de-Gier, à la
couche de houille qui précède la grande masse,
et qu'on appelle crue à Saint-Etienne.
— Artill. Sorte de coulevrine abandonnée
aujourd'hui, et que l'on appelait aussi QUART
DE CANON.
BÂTARDE, ÊE adj. (bâ-tar-dé — rad. bâ-
tard). Néol. Mêlé de façon à constituer un
tout bâtard : Il nous salua gauchement, et
nous souhaita le bonsoir avec un accent français
qui, bien que légèrement BÂTARDE de suisse,
rappelait suffisamment une origine parisienne.
(Baudelaire.)

BATARDEAU
s. m. (bâ-tar-dô — dim. de
bâtard). Fam. Petit bâtard : Nous assistâmes
à cette cérémonie, avec la singularité d'avoir
eu à notre tête bâtards et BÂTARDEAUX, et à
notre queue à tous un bâtard d'Angleterre.
(St-Sim.)
BATARDEAU s. m. (ba-tar-dô). Digue pro-
visoire, établie pour mettre à sec un endroit
où l'on veut bâtir : Les BÂTARDEAUX servent à
fonder les ponts et à y faire des réparations
dans l'eau. (V. Hugo.)
— Batardeau simple, Celui qui est formé
d'une seule enceinte de pieux et de palplan-
ches. Il Batardeau double, Celui o:ui est formé
de deux enceintes dont l'intervalle est rem-
pli de terre glaise battue et tassée.
BAT
— Digue établie pour empêcher l'écoule-
ment des eaux, ou pour en exhausser le
niveau : Les BÂTARDEAUX élevés pour le ser-
vice du moulin font qu'en plusieurs endroits la
rivière a des chutes de quatre à cinq pieds de
hauteur. {Th. Gaut.)
— Fortif. Digue maçonnée pour contenir
l'eau d'un fossé ou d'un avant-fossé : BATAR-
DEAU d'amont. BATARDEAU d'aval.
— Mar. Echafaudage formé de planches,
u'on élève sur le bord d'un bâtiment avant
e le coucher sur le flanc pour le radouber.
— Encycl. Mar. Il arrive souvent qu'on a des
travaux à exécuter dans des endroits couverts
par les eaux, au fond d'une rivière, par
exemple, ou sur les bords, près du fond ; alors,
pour rendre ces travaux plus faciles, on est
obligé de mettre à sec les parties sur lesquelles
ils doivent être exécutés, et pour cela il faut
construire des bâtardeaux. A cet effet, on en-
fonce dans le sol des pieux qui s'emboîtent les
uns dans les autres; ou, si l'eau n'est pas
très-profonde, les pieux sont enfoncés à des
distances plus ou moins grandes et réunis par
un revêtement en planches, ou même par des
branchages en forme de claie, le long desquels
on amasse de la terre; c'est ainsi que l'on
construit un batardeau simple. Lorsque l'eau
est très-profonde et présente une masse à
laquelle il faut opposer une grande résistance,
on est obligé de former avec des pieux une
double paroi que l'on remplit de terce glaise
bien battue, de chaux ou de béton, c'est ce
qu'on appelle un batardeau double. Dès qu'on
est parvenu à élever l'obstacle qui doit arrêter
l'eau, on se sert de pompes ou de tout autre
moyen pour mettre à sec l'espace où l'on se
propose de faire des constructions, et quand
celles-ci sont terminées, on démolit le batar-
deau pour que l'eau reprenne son cours. Il
arrive souvent que les propriétaires riverains
ont à souffrir du trouble ainsi apporté dans le
cours des eaux; cependant ils n'ont pas le
droit de s'opposer à la construction des bâtar-
deaux quand elle est faite dans l'intérêt public
ou même quand elle est nécessitée par des
besoins particuliers réels; mais ils peuvent
exiger une indemnité proportionnée aux dom-t
mages qu'ils ont soufferts. Il y a aussi des *
bâtardeaux à demeure, qui ont pour but
d'exhausser le niveau des eaux ou de les em-
Sêcher de pénétrer dans des lieux situés au-
essous de leur niveau ordinaire : ils sont
construits de la même manière, avec cette
différence qu'ils doivent être assez solides pour
durer pendant de longues années.
— Art milit. Il y a des bâtardeaux d'amont,
pour séparer les fossés de la rivière ; des
bâtardeaux d'aval, pour retenir les eaux, et
des bâtardeaux intermédiaires, pour diviser
le bassin d'inondation en plusieurs parties de
niveaux différents. Tous ces ouvrages sont
munis d'écluses. Le dessus des bâtardeaux,
qui se nomme cape, est disposé en dos d'âne
afin qu'on ne puisse y passer, et, pour rendro
ce passage encore plus difficile, on construit
sur le milieu une tourelle pleine, appelée dame.

BÂTARDEMENT
adv. (bâ-tar-de-man —
rad. bâtard). Par bâtardise : Pour le duc
d'Orléans, le roi eut moins de répugnance, non
comme neveu, mais comme gendre BÂTARDE-
MENT. (St-Sim.) n Peu usité.

BÂTARDIE
s. f. (bâ-tar-dî — rad. bâtard).
Féod. Droit en vertu duquel les seigneurs
hauts-justiciers, quelquefois mémo les sei-
gneurs bas-justiciers et les féodaux, pouvaient
hériter des biens laissés par les bâtards
intestats.

BÂTARDIÈRE
s. f. (bâ-tar-diè-re — rad.
bâtard). Hortic. Plant d'arbres greffés, en
pépinière, n Lieu où l'on met en dépôt les
arbres pris à une pépinière.

BÂTARDISE
s. f. (bà-tar-di-ze — rad. bâ-
tard). Etat de bâtard : Madame était d'une
nation qui abhorrait les BÂTARDISES et les mé-
salliances. (St-Sim.) On mettrait l'adoption
avec la BÂTARDISE, qui est l'injure la plus
grossière /(Napol. 1er.) La BÂTARDISE et l'amour
furent héréditaires dans cette noble famille.
(Balz.) La barre est signe de BÂTARDISE. (Balz.)
— Féod. Droit de bâtardise, Celui en vertu
ducjuel le seigneur héritait de tout bâtard
qui mourait sur ses terres sans avoir fait de
testament, il Syn. de bâtardie.
— Encycl. La plupart des coutumes des
provinces françaises laissaient aux bâtards
avoués et vivant noblement la faculté de se
qualifier nobles. Et quelques-uns profitaient
de cette tolérance pour se dire gentilshommes.
Des plaintes furent adressées au conseil d'Etat,
et un règlement du roi de 1600 porte : « Les
bâtards, encore qu'Us soient issus de pères
nobles, ne se pourront attribuer les titres et
qualités de gentilshommes s'ils n'obtiennent
nos lettres d'anoblissement fondées sur quel-
ques grandes considérations de leur mérite ou
de leur père, vérifiées comme il appartient. »
Un arrêt du conseil d'Etat, rendu le 20 fé-
vrier 1605 en interprétation de cet article,
ordonna que les bâtards qui obtiendraient des
lettres d'anoblissement seraient tenus de jus-
tifier qu'ils étaient issus de parents nobles et
avoués.
Une seconde ordonnance de Louis XIII, de
janvier 1629, décida que les bâtards des gen-
tilshommes ne seraient point tenus pour nobles,
qu'ils ne pourraient prendre le nom de leur
famille que du consentement des intéressés.
351
et qu'au cas où ils seraient anoblis, eux et
leurs descendants seraient obligés de briser
leurs armoiries d'une barre dite de bâtardise,
qui les distinguât d'avec celles des nobles lé-
gitimes. Les lettres de noblesse qui leur étaient
concédées devaient, d'après le règlement sur
les tailles de 1634, être vérifiées en la cour
des aides, les procureurs généraux entendus
et les procureurs syndics indemnisés ; autre-
ment les bâtards, leurs veuves et leurs enfants
étaient imposés.
De ces divers règlements il ressortait que
la bâtardise faisait perdre au bâtard la noblesse
de son père. Il n'y avait d'exception qu'à
l'égard des bâtards reconnus des rois et des
princes ; les premiers naissaient princes, les
seconds gentilshommes.
La légitimation d'un bâtard, par le mariage
subséquent de son père, lui conférait la no-
blesse et tous les droits des enfants nobles
légitimes; mais un bâtard légitimé par lettres
du roi ne pouvait pas même jouir du droit de
patronage accordé à sa famille; ainsi jugea le
parlement de Paris en 1719, bien que certains
jurisconsultes, entre autres d'Argentré, pro-
fessassent une opinion contraire.
Il était d'usage, à la cour des aides de Paris,
de refuser la noblesse aux bâtards des gen-
tilshommes, malgré leur légitimation par let-
tres, à moins que ces lettres ne continssent
en termes formels l'anoblissement, la légiti-
mation pure et simple n'étant pas considérée
comme suffisante pour confirmer la noblesse.
- Toutefois, les coutumiers des diverses pro-
vinces jugeaient la question, chacun de façon
différente : ainsi la coutume de Normandie
était d'accord avec celle de Paris, et celle de
Lorraine continuait aux enfants^naturels des
gentilshommes les privilèges de la noblesse.
L'empereur Napoléon I", par son décret du
1er mars 1808 instituant les majorais, dérogea
à l'ancienne jurisprudence établie par l'édit
de 1600, en autorisant la transmission de ces
majorats et l'héritage des titres à la descen-
dance directe et légitime, naturelle et adoptive,
de mâle en mâle, par ordre de primogéniture.
Cette jurisprudence nouvelle est confirmée
par l'empereur Napoléon III, puisque le décret
qui confère au général Pélissier le titre de
duc de Malakoff appelle à la succession de ce
titre, ainsi qu'à la dotation qui l'accompagne,
l'aîné des enfants naturels, au défaut des légi-
times.

BÂTARDOU
s. m. (bà-tar-dou). Nom donné,
dans quelques pays du centre de la France,
à la ficelle dont on se sert pour amorcer les
fouets.

BATATE
s. f. (ba-ta-tc). Bot. Genre de
plantes de la famille des convolvulacées,
formé aux dépens du genre liseron, et dont
l'espèce type est la batate comestible : La
EATATE se multiplie par les racines. (V. de
Bomare.) Il On dit plus souvent PATATE.
— Encycl. .La batate ( batatas edulis, de
Choisy; convoloulus batatas, de Linné), dési-
gnée aussi sous les noms vulgaires de patate,
artichaut de l'Inde, truffe douce, cambare,
cananga, igname, etc., est originaire des ré-
gions intertropicales. Cultivée depuis long-
temps dans nos jardins maraîchers, elle a
donné naissance à d'assez nombreuses va-
riétés, qui diffèrent par le volume, la forme
et la couleur des racines. Cette plante présente
des propriétés économiques dignes d'atten-
tion ; appétissante et nutritive, elle fournit,
par ses racines, ses feuilles et ses jeunes
pousses, des aliments sains et agréables. Les
premières contiennent une fécule de qualité
supérieure; on peut aussi en obtenir du sucre
cristallisable ; mais on les emploie surtout
comme aliment, après les avoir préparées de
diverses manières. Sous le rapport médical et
hygiénique, la batate convient beaucoup aux
estomacs faibles, aux enfants, aux vieillards,
aux malades et aux convalescents. Enfin,
toutes les parties de cette plante constituent
une excellente nourriture pour les animaux
domestiques. La batate a été introduite en
Europe vers la tin du xvie siècle ; mais cette
culture n'a jamais été bien entendue, parce
que ses procédés étaient assez compliqués,
ses produits fort incertains et toujours d'un
prix élevé. Dans ces dernières années, on a
perfectionné cette culture en la simplifiant.
La batate croît à peu près dans tous les sols ;
mais elle préfère ceux qui sont profonds et
frais. Les graines mûrissent rarement sous
nos climats, on la multiplie de boutures, de
stolons et de coulants. Les tubercules ne se
comportent pas toujours de la même manière ;
tantôt ils sont très-rapprochés du sol, et les
uns des autres ; tantôt ils sont éloignés entre
eux et profondément enfoncés. La récolte a
lieu ordinairement dans le courant de juillet;
quelques jours avant de recueillir les tuber-
cules, on coupe les tiges à 25 centimètres du
sol, pour les donner aux bestiaux. Quelquefois
on a une seconde récolte en octobre.

BATAUCAULON
s. m. (ba-to-kô-lon — du
gr. batos, buisson; kaulos,tige). Bot, Section
du genre mimeu«e.
— Moll. Grande espèce de patelle.

BATAULE
s. f. (ba-to-le). Sorte de graisse
ou de beurre végétal, appelé aussi beurre de
bamboitc, et que l'on retire d'un arbre qui
croît au Sénégal.
BATA VA CASTRA, ville do l'ancienne Ger-
manie, en Viiulélicie (Bavière actuelle), sur
l'Ister (Danube). C'est aujourd'hui la ville de
Passau.
BAT AVE (RÉPUBLIQUE), nom que prirent les
Pays-Bas constitués en république, de 1795
à 1806. V. HOLLANDE.

BATAVES
ancien peuple germanique, qui,
par suite de troubles intérieurs, vint se fixer,
longtemps avant César, aux embouchures du
Rhin. Le centre principal du pays où ils s'éta-
blirent était Yinsula Batavorvm (île des Ba-
taves), décrite par César et qui avait pour
limites la Meuse, l'Océan et l'embouchure oc-
cidentale du'Rhin. Outre cette île, et à une
époque postérieure, tout le pays situé plus au
nord, depuis l'Yssel et le lac Flevus (Suder-
sée) jusqu'à la mer, fut compris, dans une ac-
ception plus étendue, sous le nom de Batavia,
lorsque Drusus eut changé l'embouchure du
Rhin par sa fameuse Fossa Drusiana, canal
qui devint l'embouchure principale de ce
fleuve.
« Les Bataves, dit Tacite, sont Cattes d'ori-
gine, et ils quittèrent leur pays à la suite
d'une guerre civile? pour s'avancer vers l'O-
céan. Les Romains ne les chargent pas de
taille et d'impôts ; ils les réservent pour le
combat, comme le fer et les armes. « D'après
quelques récits fabuleux ou légendaires, un
certain Batos aurait été, lors de l'émigration,
le chef des Bataves, auxquels il aurait donné
son nom ; quelques poètes hollandais l'ont pris
même pour héros de leurs fictions. Malgré ces
fictions poétiques , quelques écrivains pensent
que les Bataves portaient d'abord le nom de
Batti, auquel on joignit, après leur émigra-
tion dans les marécages du Rhin, la syllabe
aw, qui signifiait eaux et marécages. Le pays
où ils vinrent s'établir était désert, et on con-
jecture que ses premiers habitants s'étaient
joints aux Cimbres et aux Teutons lorsque
ceux-ci se présentèrent vers le Midi. V. BA-
TAVES (île des).
Au point de vue religieux, moral et politi-
que , les Bataves devaient ressembler beau-
coup aux peuples de la Germanie, dont ils
tiraient leur origine. Les auteurs latins, qui
seuls peuvent nous renseigner sur les peu-
plades germaniques, rendent unanimement
témoignage à la bravoure des Bataves ; leur
cavalerie surtout, armée à la légère et habi-
tuée à traverser les fleuves à la nage, fut très-
utile aux Romains dans leurs guerres. Les Ba-
taves n'avaient point de rois, mais des chefs
d'armée (duces), élevés sur le pavois par
une élection unanime, et des familles plus émi-
nentes que les autres, parce que la gloire des
ancêtres passait de ceux-ci a leurs descen-
dants; Outre les armes dont se servaient les
autres peuples germaniques, ils avaient des
machines de siège, des échelles pour esca-
lader les murs, et même des tours mobiles qui
servaient à la défense de leurs remparts ; ils
se servaient aussi de javelots et d'arcs, que
ne connaissaient pas les autres tribus germa-
niques. Ils plaçaient des oiseaux et d'autres
ornements sur leurs casques, et, pour musique
militaire, se servaient d'une espèce de cor de
chasse. Les Caninéfates, une des tribus ba-
taves, étaient particulièrement puissants sur
mer, et il y avait un grand nombre de Bataves
parmi les matelots que les Romains entrete-
naient sur le Rhin.
La ville éternelle faisait encore plus de cas
des Bataves que des autres Germains, à cause
de leur haute stature et de leur blonde cheve-
lure; aussi les cosmétiques destinés à teindre
en blond les noirs cheveux des Romains s'ap-
pelaient-ils crème batave.
L'histoire de ce peuple , comme celle de
tous les peuples de l'Europe septentrionale,
nous est tout à fait inconnue avant la con-
quête romaine; mais quand Rome eut étendu
sa puissance sur les Gaules et sur une partie
de la Germanie, les Bataves jouèrent un rôle
important dans la vie militaire de l'empire ro-
main. Ce furent des cohortes bataves qui,
rangées sous les drapeaux de César, firent les
premières charges à cette grande bataille de
Pharsale, qui assura la victoire de César sur
Pompée. A la bataille d'Actium, ils se trou-
vaient aussi sur la flotte romaine, et les em-
pereurs avaient tant d'estime pour eux qu'ils
les admettaient dans les cohortes prétoriennes,
chargées de veiller à da sûreté de leur per-
sonne. Enfin, quand Agricola soumit la Grande-
Bretagne, les Bataves l'aidèrent puissamment
dans la conquête de ce pays. Plus tard, traités
en esclaves par les lieutenants romains en-
voyés dans leur pays, ils profitèrent des dis-
sensions intestines des Romains pour recou-
vrer leur indépendance. Après la mort de
Néron, un des principaux de leur nation, Ci-
vilis, se mit à leur tête ; il fut l'âme de cette
insurrection gallo-romaine qui, au nom de
Vitellius, prit les armes contre Vespasien, et
dont le but était d'établir un empire gaulois,
ou indépendant de Rome, ou maître de la ville
éternelle. Vespasien, délivré de Vitellius, eut
besoin d'une année encore pour comprimer la
révolte et forcer les Bataves à accepter une
paix honorable. Ce peuple resta longtemps
ensuite allié fidèle du peuple romain. Septime-
Sévère traita les Bataves avec la plus grande
faveur , et ils contribuèrent beaucoup à la
victoire que Julien, surnommé l'Apostat, rem-
porta près de Strasbourg. Ils rendirent, plus
tard encore, de grands services à l'empereur
Tbéodose, et passèrent enfin sous la domina-
tion des Francs. Sous les Mérovingiens, ils
furent rattachés de nom au royaume d'Aus-
trasie ; sous les Carlovingiens, les anciens
noms disparurent, et tous les pays eurent des
ducs ou des comtes. L'île des Bataves, centre
de leur résidence, fit partie, sous diverses ap-
pellations, des Pays-Bas. V. ce mot.
BATAVES (ÎLE DES), la Batavorum insula des
Romains, appelée Bommeler-Waard par les
Hollandais, delta de 29 kil. de long sur 9 kil.
de large, formé par la branche du Rhin tombant
près de Leyde dans la mer du Nord, par le
Wahal et la Meuse. Cette contrée, qui forme
une partie de la Hollande, et où se sont élevées-
tant de cités populeuses et florissantes, a été
transformée par l'activité industrieuse de ses
habitants. Voici comment en parle un auteur
du me siècle, Eumène, originaire de la ville
d'Autun : « Cette terre n'est point à propre-
ment parler une terre, elle est tellement im-
bibée d'eau , que non-seulement les parties
manifestement marécageuses cèdent sous les
pieds qui les pressent et les font plonger,
mais que les endroits même qui paraissent
plus fermes tremblent et chancellent sous les
pas. »

BATAVE
s. m. (ba-ta-ve). Ornith. Variété
de pigeon à long cou.

BATAVIA
s. f. (ba-ta-vi-a), Hortic. Variété
de laitue.
BATAVIA, ville de l'Océanie, capitale de l'île
de Java et de toutes les possessions néerlan-
daises des Indes orientales, sur une baie de la
côteN.-O. de l'île, à l'embouchure du Jakatra,
appelé aussi Tjiliwoug, avec un port fortifié ;
par 6o 12' de lat. S., et 104Q 33' de long. E.
150,000 hab., parmi lesquels on compte 4,000
Européens. Le reste de la population se com-
pose d'indigènes, de Chinois et d'Arabes. Ré-
sidence du gouverneur général; place de
guerre défendue par une citadelle et quelques
batteries; port militaire avec arsenal. Siège
de la haute cour de justice, d'un préfet aposto-
lique ; consulats de France et des Etats-Unis ;
banque ; théâtre ; Société des arts et des scien-
ces très-florissante. L'industrie, peu impor-
tante à Batavia , est presque entièrement
exercée par les Chinois, partie là plus active de
la population ; en revanche, c'est la première
ville de l'Océanie sous le rapport commercial.
La rade, qui forme'le port, est abritée par
plusieurs îlots contre la mousson du N.-O. et
offre un bon mouillage ; cependant les navires
de plus de 300 tonneaux sont obligés de jeter
l'ancre à environ 2 kil. du rivage. Il sort an-
nuellement de Batavia environ 1,500 navires,
dont les deux tiers environ sont néerlandais ;
les principaux articles du trafic sont les épi-
ces, le riz, le café, les sucres, l'indigo,les bois
de teinture, le théet la poudre d'or. Le chiffre
des exportations de cette place de commerce
égale à peu près celui de ses importations, qui
dépasse 60 millions de francs.
Batavia, fondée en 1621 par l'amiral hollan-
dais Jean Koen, sur les ruines de la ville ma-
laise de Jakatra, est bâtie sur un sol bas et ma-
récageux, coupé de nombreux canaux. Elle
se compose de deux parties : la vieille ville
ou ville basse, qui était autrefois un foyer
d'émanations pestilentielles, mais qui a été
assainie par les soins des gouverneurs Dœn-
dels et van Capellen ; et la nouvelle ville, for-
mée de maisons spacieuses et bien aérées,
séparées les unes des autres par des cours et
de beaux jardins, qui en font un séjour des
plus agréables. C'est là, principalement dans
le quartier appelé Weltevreden, que les riches
Européens ont aujourd'hui leurs somptueuses
demeures; l'ancienne Batavia a été aban-
donnée aux Malais et aux Chinois ; le négo-
ciant européen n'y a conservé que ses bu-
reaux, auxquels il se rend vers dix heures du
matin, et qu'il se hâte de quitter vers quatre
heures, pour retourner à Weltevreden, où il
retrouve la fraîcheur dont il a été privé pen-
dant la journée. Après avoir traversé ce
uartier aristocratique, on arrive sur la route
e Beutenzorg, où l'on admire le magnifique
château du gouverneur, et où se trouve le jar-
din botanique, l'un des plus riches du globe.
Parmi les édifices remarquables de Batavia,
nous devons mentionner 1 église luthérienne,
le grand bôpital militaire, la Bourse et la
Banque de Java. Depuis sa fondation, cette
ville est toujours restée possession hollandaise,
excepté de 1811 à 1816. période pendant la-
quelle Batavia fut entre les mains des Anglais.
Il Ville des Etats-Unis, dans l'Etat de New-
York, à l'E. de Buffalo et à l'O. d'Albany,
sur le chemin de fer de Buffalo à Rochester ;
4,500 hab.

BATAVIQUE
adj. f. (ba-ta-vi-ke — rad.
batave). Phys. Usité seulement dans l'expres-
sion Larmes batavigues, Gouttes de verre
terminées par une pointe très-déliée, quo
l'on produit en laissant tomber du verre
liquide dans un vase plein d'eau froide. Elles
sont ainsi appelées, parce qu'elles furent in-
ventées à Leyde, en Hollande.
— Encycl. Quand on casse l'extrémité de
la pointe d'une larme batavique, toute la masse
se réduit en poussière, en produisantune légère
détonation. Ce phénomène est dû à ce que,
par suite du refroidissement brusque de la
pièce, les molécules intérieures se trouvent
dans une sorte d'équilibre forcé, qui est sim-
plement maintenu par la solidarité de celles
de la surface, et qui est rompu aussitôt que
l'on opère une solution de continuité quelcon-
que dans l'enveloppe. Les larmes batavigues
se nomment aussi gouttes_du prince Robert.
I BÀTAVODURUM, ville ancienne des Bata-
ves, dans la Germanie deuxième, entre la
Meuse et le Wahal. On ne sait pas exacte-
I ment à quelle position moderne correspond
! cette ville. Quelques auteurs pensent qu'elle
I était située sur l'emplacement de la petite ville
! hollandaise de Wyck-Dursted.

BATAVORUM
INSULA, nom latin du Bom-
meler-Waard.
BATAVORUM OPPIDUM, ville ancienne du
pays des Bataves. Aujourd'hui Batenbourg,
sur la Meuse.
BATAYOLEs. f. (ba-ta-io-le). Mar. Mon-
tant qui supportait autrefois les lisses ou
garde-fous, les passavants, les fronteaux.
BATB1E (Anselme-Polycarpe), jurisconsulte
et économiste français, né à Seissan en 1828.
Reçu,' au concours, auditeur au conseil d'Etat
en 1849, il soutint, l'année suivante, sa thèse de
docteur en droit à la faculté de Paris, fut
nommé, en 1852, professeur suppléant à la
faculté de droit de Dijon, et passa bientôt
après, avec la même qualité, à celle de Tou-
louse , où il professa le droit administratif
comparé, de 1854 à 1856. Appelé à Paris en
1857, il enseigna également le droit admini-
stratif, et il reçut en 18G0, du ministre de l'in-
struction publique, la mission d'aller étudier
en Allemagne, en Belgique et en Hollande
l'organisation de l'enseignement du droit pu-
blic. De retour de cette mission, il fit paraître
une étude sur Turçot, économiste, philosophe
et administrateur (1861, in-8°), à laquelle 1 In-
stitut a décerné le prix Léon Faucher, c'est-
à-dire le prix institué par MmP Léon Faucher,
pour perpétuer le souvenir de son mari. La
même année, il commençait la publication,
aujourd'hui menée à terme, des premiers vo-
lumes de son Traité théorique et pratique de
droit public et administratif. Ce traité, qui est
l'une des grandes œuvres de la vie déià bien
remplie du jeune professeur, est considéré, par
les critiques qui ont autorité pour traiter de
ces matières, comme bien supérieur à toutes
les précédentes publications de ce genre. Plus
heureux que ses devanciers, M. Batbie a su
faire une équitable part à la théorie et à la
jurisprudence, et il a évité de trop sacrifier
soit a l'une, soit à l'autre. Mieux que personne,
il a su réaliser l'alliance intime qui doit exister
entre la doctrine et la pratique, et il a fait admi-
rablement ressortir les trois éléments irréduc-
tibles auxquels aboutissent toutes les classifi-
cations du droit public : 1° les personnes, ou
le sujet du droit; 2° les choses, ou l'objet du
droit ; 3» les manières d'acquérir. Afin de
rendre son travail aussi complet que possible,
M. Batbie y a joint des comparaisons avec les
législations étrangères. En ce qui concerne
l'Angleterre, il est à regretter que le savant
professeur, qui, au moment où il écrivait son
ouvrage, ne connaissait les institutions poli-
tiques de ce pays que de seconde main, et ne
pouvait encore lire un livre de droit politique
en anglais, ait accepté, sur le mécanisme des
institutions représentatives, sur la pratique du
droit de réunion et delà liberté de la presse dont
ce pays est en possession, les affirmations et
appréciations des circulaires et manifestes de
M. de Persîgny, comme des vérités histori-
ques et juridiques bien établies. L'œuvre de
M. Batbie aura assurément plus d'une édition,
et il est probable qu'en revenant sur ce sujet,
ses études et ses jugements personnels y tien-
dront beaucoup plus de place que les études
et appréciations de l'homme d'Etat qu'il a
un instant été amené à prendre pour guide et
pour maître en histoire et en pratique du
droit constitutionnel. Sur le terrain de l'éco-
nomie politique, M. Batbie est libre-échan-
giste. En principe, il repousse les monopoles
et se prononce pour la concurrence, n'admet-
tant pas que la réglementation en ces ma-
tières vaille mieux que la liberté. Il est contre
toute intervention administrative et gouver-
nementale. A ses yeux, les subventions de
l'Etat, la prohibition, la protection, la péna-
lité et les amendes ne sont pas des remèdes à
employer.
En dépit des railleries dont la maxime lais-
sez faire, laissez passer a été l'objet, de la
part de ceux qui en font la caricature pour
s'épargner la peine de la comprendre, M. Batbie
tient pour elle. 11 fait observer que ces raille-
ries portent, en définitive, sur la liberté du
travail et de l'industrie. L'œuvre de M. Batbie
est en voie de pénétrer dans le monde poli-
tique et officiel; ses vues y ont été assez
bien goûtées pour que, lors de la création
d'une chaire d'économie politique à l'Ecole de
droit de Paris en 1864, M. Duruy, ministre de
l'instruction publique, ait cru devoir le désigner
au choix de 1 empereur. M. Batbie est membre
de la Société d'économie politique de Paris. Il
prend part aux discussions les plus importan-
tes de cette société, et parmi les résumés de dis-
cours que publie chaque mois sur cette société
le Journal des Economistes, les siens sont
au nombre de ceux qui renferment un ensei-
gnement sérieux et de bon aloi. En dehors de
sa chaire de professeur, M. Batbie a fait en-
core des cours populaires d'économie politi-
que à l'amphithéâtre de l'Ecole de médecine
et à la Sorbonne. Ses Lectures sur Voltaire et
l'Homme aux quarante écus ne paraissent pas
avoir été aussi bien accueillies par le public
mêlé qui vient aux conférences de la Sorbonne,
que le sont les leçons du professeur par les
élèves de quatrième année de l'Ecole de droit.
M. Batbie a écrit, en collaboration, ur ou-
352
-rage intitulé le Crédit populaire (1863), qui
a été également couronné par l'Institut en
1864. On a encore de lui une brochure sur
Y Appel comme d'abus (1852).
La nouvelle édition du Dictionnaire des con-
temporains, qui a paru vers la fin de 1865,
consacre une quarantaine de lignes à M. Batbie,
sans dire un mot de ses travaux en économie.
C'est une lacune regrettable pour ceux qui cher-
chent des renseignements dans l'ouvrage,
d'ailleurs si estimable, de M. Vapereau.

BATC1UAN,
île de la Malaisie, une des plus
grandes du groupe des Moluques. Elle a pour
cap. Batchian, ville de 4,000 hab., et résidence
d'un sultan, vassal des Hollandais. Le sol de
l'île, montagneux et assez fertile, renferme
quelques mines d'or, et ses côtes sont assez
poissonneuses. Superficie, 975 kil. carrés.

BÂTE
s. f. Techn. Grand cercle qui porte
le mouvement de la montre, il Rebord de la
cuvette d'une montre, d'une cassolette, etc.
sur lequel le dessus se ferme à frottement.
Il Contour, côtés intérieurs d'une tabatière, il
Partie polie d'un corps d'épée, sur laquelle
on monte la moulure, n Plaque d'étain em-
ployée par les potiers comme pièce de rapport.

BATE
(ÎLE DU), petite île de la mer d'Oman,
sur la côte occidentale de l'Indoustan anglais,
à l'extrémité N.-O. de la- péninsule de Goud-
iérate, par 22° 27' de latitude N., et 66» 59' de
longitude E. Bon port, où se fait un assez
grand commerce. Bâte est célèbre dan3 la
mythologie des Indous, qui s'y rendent en
pèlerinage de toutes les parties de l'Inde, ce
qui est pour cette île une grande source de
richesses.
BATE (George), médecin et historien an-
glais, né a Maidsmorton en 1608, mort en IG68.
Il fut successivement premier médecin de
Charles ltr, de Cromwell et de Charles II. On
l'a accusé d'avoir hâté par le poison la mort
du Protecteur. On lui doit : Pharmacopœ
Bateana (1688), ainsi qu'une Apologie de Char-
les I«r, et une autre pièce sur le même sujet,
qui a été traduite en français sous le titre
d'Abrégé des mouvements d'Angleterre (An-
vers, 1G50).

BÂTÉ
ÉE (bâ-té) part. pass. du v. Bâter.
Muni d'un bât : Un âne BÂTÉ. Un mulet BÂTÉ.
— Fig. Qui subit un joug moral : Ne me
dites plus rien , s'écria le Polonais ; je suis BÂTÉ
(marié). (Balz.) Le royaliste ne saurait que
faire, où aller, comment se conduire, s'il n'était
BÂTÉ et bridé. (Lamenn.)
Combien voit-on do gens sottement entêtés.
Qui, nés avec le bat, veulent mourir bâtés!
LACIIAMBAUME.
— Loc. fam. Ane bâté, Personne excessi-
vement sotte ou ignorante : Diantre soit de
i'ÂNK BÂTÉ ! (Mol.) Ceux-ci sont tous ÂNES

BÂTÉS
sous le rapport de la langue, pour me
servir d'une de leurs expressions. (P.-L.Cour.)
— Prov. L'âne du commun est toujours le
plus mal bâté, Il n'est rien de moins soigné
que ce qui appartient au public.

BATEAU
s. m. {ba-tô — co mot, comme
tant d'autres termes de marine, est d'origine
germanique ; nous le retrouvons en effet,
sous différentes formes, dans l'ancien haut
allem. bot et bat; dans l'allem. boot; dans
l'ang.-sax. bat eibœt; dansl'angl. boat ; dans
le holland. boot; dans le dan. baad et dans le
suéd. baat. La forme islandaise bâtr explique-
rait au besoin la présence de l — les liquides /
et r sont convertibles — dans le vieux franc.
batel, d'où batelier; mais il est plus simple
de regarder batel comme un diminutif du bas
lat. batus, d'où les langues néo-latines ont
fait batel, espag., et battello, ital. Le mot
anglais signifiant bateau, boat, prononcez bât,
a passé directement dans notre langjue avec
le terme paquebot, bateau servant à trans-
porter les marchandises, les paquets). Navire
ou embarcation autre qu'un bâtiment de
guerre : Un BATEAU de plaisance. Un BATEAU
marchand. Un BATEAU pécheur. BATEAUX
transatlantiques. Le BATEAU une fois délié, les
vagues le poussèrent, Véloignèrent du bord et
l'emportèrent au loin dans la pleine mer. (P.-L.
Cour.) Des BATEAUX chargés de bois descen-
daient la rivière; d'autres la remontaient à la
voile ou à la traîne. (Chateaub.) Ces BATEAUX
pêcheurs sont munis de deux voiles latines,
attachées en sens inverse à deux mâts diffé-
rents. (V. Hugo.) Toutes les embarcations d'un
vaisseau sont communément appelées des BA-
TEAUX. (A. Jal.)
— Par ext. Charge d'un bateau : Un BATEAU
de bois, de pierres, de charbon.
— Bateau plat, Navire ou embarcation à
fond plat : On emploie des BATEAUX PLATS au
débarquement des troupes, il Bateau testeur,
Celui qui, dans le port, est employé à porter
du lest aux navires. Il Bateau plongeur, ou
Bateau sous-marin, Bateau destiné à naviguer
sou! l'eau. Il Bateau dragueur, Celui qui porte
une drague pour le curage des ports ou des
cours d'eau, il Bateau maire, Celui qui tient
la tête d'un convoi. Il Bateau-poste, Bateau de
rivière faisant le service des passagers, et à
qui sa forme allongée donne une marche
a'une rapidité exceptionnelle : Le BATKAU-
POSTE de Paris à M eaux est traîné sur le canal
de l'Ourcq avec une vitesse de quatre mètres en-
viron par seconde. (Journ.) il Bateau rabot,
Bateau armé d'une machine à l'aide de la-
quelle on peut nettoyer une passe obstruée.
il Bateau-porte, Sorte de bateau que l'on peut
couler à volonté, pour servir de porte à une
écluse ou à une forme de radoub. Il Bateau-
bœuf, Bateau pour le cabotage, lourd et soli-
dement construit, n Bateau-pilote, Embar-
cation qui précède et guide les navires, à
l'entrée de certains ports, ou dans certains
Sassages difficiles, il Bateau à vapeur, Navire
e guerre ou marchand^ ou simple bateau,
qui reçoit d'une machine à vapeur l'im-
pulsion qui le fait marcher : Une escadre
de BATEAUX À VAPEUR. Les BATEAUX À VAPEUR
ne connaissent plus de vents contraires sur
l'océan. (Chateaub.) Le BATEAU À VAPEUR
destiné à servir en escadre ou sur nos côtes
devra toujours avoir une grande vitesse, comme
premier moyen de succès. (De Joinville.) Le
vaisseau de l'Etat n'obéit pas au gouvernail
comme un simple BATEAU À VAPEUR. (Tous-
scnel.) Il Bateau à ponton, Bateau plat, ponté,
insubmersible, divisé en cases à l'intérieur,
de façon à ne point être coulé, môme par une
ouverture qu'on pratiquerait, servant à sou-
tenir les lambourdes des ponts volants, n Ba-
teau à eau, ou Bateau-citerne, Bateau plat
qui sert à transporter l'eau douce, il Bateau
à glace, Légère embarcation, destinée à opérer
le sauvetage des personnes tombées sous la
glace, il Bateau à air, Appareil servant à tra-
vailler sous l'eau, à de petites profondeurs.
Il Bateau de sauvetage ou de salut, Embar-
cation spécialement destinée à secourir les
naufrages, quand la mer est très-mauvaise.
Il Bateau de loch, Triangle de bois attaché à
l'extrémité du loch qui sert à mesurer la
marche du navire. Il Bateau-phare, Grand
bateau qui porte une ou plusieurs grosses
lanternes à l'extrémité de ses mâts, et que
l'on mouille, pour tenir lieu de phare, dans
les endroits où l'état do la mer ne permet
pas d'élever des constructions : Le tonnage
des BATKAUX-PHAP.ES, très-communs sur tes
côtes de la Grande-Bretagne, varie de soixante-
dix à trois' cent cinquante tonneaux. (L. Re-
nard.) u Bateau de fleurs, Espèce de grande
jonque, d'une construction particulière, que
l'on trouve sur tous les fleuves de la Chine,
amarrée aux quais des grandes villcSj et où
les riches Chinois se rendent pour se livrer à
de mystérieuses débauches. Les bateaux de
fleurs sont de simples lieux de prostitution.
Ils ressemblent à des cages flottantes, déco-
rées avec beaucoup de luxe, et dont le toit
est chargé de caisses d'arbustes et de fleurs,
disposées avec goût. On y trouve réuni tout
ce qui peut contribuer aux plaisirs de la
clientèle : chant, danse, musique instrumen-
tale, etc. il Bateau-traîneau, Légère embarca-
tion, montée sur un traîneau, à patins et
munie d'un mât et de voiles, qui sert à voya-
ger sur la glace dans certains pays : Les

BATEAUX-TRAÎNEAUX
sont surtout usités sur les
lacs duCanada et sur les longs canaux de la Hol-
lande, et il suffit d'un peu de vent pour les
pousser et leur permettre de porter fort loin
des passagers et des marchandises. \\ Bateau-
vanne, Appareil qui sert au nettoyage du
grand égout collecteur de Paris à Asnières.
U se compose d'un bateau de forme ordinaire,
construit eivtôle, et d'une vanne mobile
ayant le gabarit de la cunette placé en
avant du bateau. Tandis que le bateau mar-
che, poussé par l'eau qui court dans l'égout,
la vanne chasse devant elle les sables et les
immondices accumulés dans la cunette. H Ba-
teau de selle, Bateau sur lequel sont établis
les bancs ou selles des lavandières.
— Fig. Objet réel ou métaphorique auquel
on confie quelque chose de précieux : Croyant
avoir, par cette manœuvre, délivré le BATEAU
de ma fortune du péril de s'ensabler, je ne
craignis plus rien. (Le Sage.)
— Arriver en trois bateaux, Arriver avec
un apparat, une solennité extraordinaires :
Votre serviteur Gîlle,
Cousin et gendre de Bertrand,
Singe du pape en son vivant.
Tout fraîchement, en cette ville,
Arrive en trois bateaux exprès pour vous parler.
LA FONTAINE.
Cette expression proverbiale et- comique,
3u'on emploie en parlant d'une personne ou
'une chose dont on veut relever 1 importance
affectée, est une allusion à l'usage de faire
escorter par des vaisseaux de guerre un
vaisseau de transport qui est richement
chargé, ou qui a quelque passager illustre à
son bord. Elle se trouve dans le chap. xvi du
livre I«r de Rabelais, où il est parlé de la
jument de Gargantua, amenée de Numidie en
trois quarraques et ung brigantin. Le peuple
dit aujourd'hui arriver en quatre bateaux,
dans une acception de reproche, en parlant
d'une personne qui affiche des prétentions,
se donne de grands airs, fait de l'embarras
dans une société où elle paraît, il II n'en vient
que. deux en trois bateaux, Se dit ironiquement
des personnes que l'on vante ou qui se
vantent d'une manière outrée, à qui l'on
donne ou qui se donnent une importance
fort exagérée.
— Argot. Faire le bateau, Se dit de deux
joueurs qui s'entendent ensemble pour faire
perdre ceux qui parient contre un de leurs
affidés. il On dit aussi FAIRE UNE GALIOTE ou
UNE GAYE.
— Comm. Bois, charbon de bateau, Bois,
charbon apporté sur les rivières par les ba-
teaux : Les BOIS DE BATEAU sont plus estimés
que les bois flottés.
„ — Archit. Pont de bateaux, Pont en bois
porté par des bateaux amarrés.
— Géol. Courbure concave et de petites
dimensions que présente parfois l'allure d'un
terrain, d'une couche ou d'un filon. H Fond de
bateau,La partie inférieurede cette courbure.
— Moll. Nom donné à une grande espèce de
patelle. Il Bateau ponté, Nom commun aux
grandes espèces du genre crépidule.
— Econ. dom. Petit plat en forme de ba-
teau, pour servir des hors-rt'œuvre : Je me
mets aux pieds de madame a'Argental, et je la
remercie du BATEAU qui parera la table de
Tronchin. (Volt.)
— Techn. Menuiserie qui forme une partie
de la carcasse d'un carrosse. Il Lit en bateau,
Lit dont les pans sont recourbés de bas en
haut, de manière à rappeler la coupe d'un
bateau.
— Encycl. Philol. Dans son remarquable ou-
vrage des Origines vido-européen*.es,M. Pictet
consacre un article curieux aux noms généri-
ques du bateau, tels qu'ils existent chez les
différents peuples de race aryenne. Nous
allons mettre sous les yeux des lecteurs les
résultats de ce savant travail de comparaison,
afin de leur donner une idée de la méthode
philologique, telle qu'elle est appliquée aujour-
d'hui à 1 interprétation féconde d'un monde
disparu, mais non voué à l'oubli. On aura
ainsi un résumé complet des étymologies se
rattachant aux premières origines de la navi-
gation chez les ancêtres de notre race. Nous
renvoyons, en outre, les lecteurs, pour des
détails plus spéciaux sur les différents noms
du gréement, de la rame, du gouvernail, de la
voile, etc., aux articles particuliers que nous
avons consacrés aces mots, à leur place alpha-
bétique.
- Trois noms principaux du bateau, dit M. A.
Pictet, ont été certainement en usage au
temps de l'unité aryenne, et d'autres font
présumer l'existence d'une synonymie encore
plus étendue. Le premier groupe a. pour chef
le sanscrit nau ou nu, diminutif nauka (vais-
seau), avec les dérivés nâoika (matelot,
pilote),etc. La racine est nu (aller),alliée sans
doute à la racine similaire snu (couler), dont s,
comme le conjecture Weber, pourrait bien
n'être pas une lettre primitive ; on peut aussi
rapprochersnâ (être lavé). La branche ira-
nienne nous présente le même vocable sous les
formes presque identiques du persan moderne
nâu>, nâwah, nâwarah, diminutif nâwtchah, qui
a le sens de bateau, puis de tout objet creux et
long, auge, canal, etc. ; puis vase en général.
(Comparez, pour le changement de significa-
tion, le français vaisseau, qui veut dire à la
fois vase et navire). Le kourde dit naw; l'ar-
ménien nav, navag et navig (rapprochez, pour
l'identité phonétique, le français navig-uer);
et l'ossète nau. SL nous passons à la famille
helléno-italique, nous trouvons le grec naus ,
en dialecte latin, Jièus; d'où nautès et nautilos
(matelot). En outre, le dialecte éolien nous
offre une forme nauo pour napà et naô, avec
l'acception de couler, comme le snu san-
scrit. En latin, nous avons navis (vaisseau) et
navita, contracté en nauta (matelot). L'ancien
irlandais dit noe, noi, nai, et l'irlandais mo-
derne naoi, naebh ; le cymrique dit noe;
l'armoricain nev, neo (baquet, auge); l'ancien
allemand nawa ou nawi ; le bavarois nau ; le
Scandinave nôi; le polonais nawa représente
le groupe slave.
Si nous passons maintenant à la seconde
famille étymologique, nous trouvons, comme
élément générateur, le sanscrit plava et pla-
vâkâ (bateau, radeau), dérivé de la racine plu,
qui signifie littéralement nager, flotter, et que
le zend, par suite du changement connu de /
en r et de p en 6, nous montre sous la forme
fru. A plu se rattache immédiatement le grec
pleô (flotter, naviguer), et à plava, le grec
ploion (bateau) ; d'où ploos, plous (navigation);
plôtèr (batelier, nageur). Le groupe des idio-
mes germaniques se tient fort près du grec et
du sanscrit, avec l'anglo-saxon flota, fliet
(vaisseau) ; flota (matelot) ; l'ancien allemand
fludar (radeau) ; floz (barque) ; le Scandinave
floti (flotte). On peut encore rapprocher l'an-
glo-saxon flôo'an (couler) ; le Scandinave floâ
{inonder) ; l'ancien allemand flawjan (plonger
dans l'eau). Le groupe slave a également tiré
f rand parti de cette racine ; ainsi, le lithuanien,
e la forme augmentée piaulai (naviguer,
nager), a fait plauksmas et plausmas (radeau),
et il dit, en outre, plauti, plowiti (laver) ;
pluditi (flotter). Le russe se sert de plovu
pour dire canot; l'illyrien de plaw pour vais-
seau; de plavza et de plaveiza pour bateau.
L'ancien slave et le russe ont encore pluti et
plavati pour naviguer; l'illyrien plivati et le
polonais plywatch.
Passons enfin au troisième et dernier
groupe étymologique : cette fois, c'est la fa-
mille iranienne qui ouvre la marche, et nous
confinons déjà à d'autres horizons étymologi-
ques. Du zend pSrë, en sanscrit pri, qui se
développe en par, le persan moderne a fait
paranaah, qui veut dire barque, bateau, et
aussi oiseau. L'idée commune qui réunit ici
l'oiseau au bateau, c'est celle de traverser un
fluide, sott l'eau, soit l'air. On peut comparer
à yarandak le grec parôn et le persan paro,
espèce de vaisseau léger, et le verbe grec
peraô (traverser),qui nous ramène à la signi-
fication originelle. Les idiomes germaniques
ont mis également cette racine à contribu-
tion ; l'anglo-saxon faer et le Scandinave far
(navire) ; l'ancien allemand ferid, espèce de
navire, et ferjo (matelot) ; le gothique faran,
d'où l'allemand moderne fahren (aller, être
transporté sur un véhicule quelconque, bateau
ou voiture). Pour les langues slaves, nous
avons le lithuanien paramas (bac, bateau) ; le
russe paromu et le polonais prum. Il est assez
curieux de remarquer que nous avons, par
1 .ntermédiaire de l'allemand prahm, pris le
vocable polonais, dont nous avons fait prame,
espèce de bateau à fond plat. Quant a la si-
gnification secondaire d'oiseau, nous la re-
trouvons dans l'ancien slave prati et pariti
(voler); d'où pero (plume), comme en persan
par et far (plume et aile); paridan (voler).
C'est ainsi, ajoute M. A. Pictet, que le latin
pluma— plu-ma — se lie à la racine plu, que
nous avons examinée plus haut, et qui a
donné comme dérivé correspondant le san-
scrit plâvin (l'oiseau qui nage dans l'air).
Il existe encore un nombre considérable de
mots qui servent à désigner le bateau dans
les langues indo-européennes, m^'s ils sont
plus isolés que les trois groupes que nous ve-
nons de voir, et ils n'offrent pas entre eux
des analogies aussi incontestables. Nous nous
bornerons ici à donner les origines étymologi-
ques probables de quelques mots grecs et
latins servant à désigner des espèces particu-
lières de bateaux. Le latin ceiox (vaisseau
léger), proche parent de celer, rappelle singu-
lièrement le kourde kalek, espèce de radeau
flottant, soutenu par des outres, et rappelant
lui-même le sanscrit kâla, bateau en général.
Le kantharos grec, qui veut dire à la fois un
vaisseau et un vase à boire, est évidemment
identique au sanscrit kanthala, dont il ne dif-
fère que par le changement, parfaitement
justifie, de l en r. Le latin ratisfait penser au
sanscrit vari-ratha, littéralement char d'eau
(radeau) ; l'on dit rath dans le même sens. Le
f rec phasèlos (canot) peut être rapproché sans
ifficulté du sanscrit bhasad (radeau et canard),
car la substitution du ph au bh et de / à d est
conforme aux lois phonétiques du grec. Le
grec karabos et le latin carabus sont évidem-
ment le persan hiraw (canot), qui, dans diffé-
rents dialectes turcs, est devenu karap, kirep,
kereb ; on peut encore rapprocher l'irlandais
carbh (vaisseau etchar), l'ancien slave korabi,
le russe korabli, le polonais et le bohème
korab. Peut-être tous ces mots dérivent-ils de
kora (ècorce), comme barkr, en français bar-
que, qui, en Scandinave, veut dire bateau, et
a pour correspondant borkr (écorce). Ce se-
rait, dans cette hypothèse, la matière dont est
faite le bateau qui lui aurait fait donner ces
noms.
— Naviç. Bateaux ordinaires. Ils sont plais
ou à quille, suivant qu'ils sont destinés h la
navigation intérieure ou à la navigation mari-
time. Les bateaux plats se composent tous
d*un fond , ou semelle, qui est chevillée sous
des solives transversales, nommées râbles et
Hures. Les râbles sont coudés : une de leurs
parties pose sur la semelle, tandis que l'autre,
qui se nomme aras, monte sur le côté ou bord
du bateau, dont elle empêche Fécartement.
Les liures ont la même forme, mais leur partie
verticale s'arrête à une petite distance du
fond, où elle est fixée a une solive verticale,
appelée clan. De longues planches, nommées
liernes, qui vont d'une extrémité à l'autre de
l'embarcation, retiennent ensemble les clnns
et les bras des râbles. Le bateau est fermé à
chaque bout par un billot, qui s'appelle bitte
ou bitton, et sur lequel sont clouées les extré-
mités des liernes. Certains bateaux sont cou-
verts à l'avant par un plancher, qui porte le
nom de levée. Un plancher semblable, mais
plus grand, se trouve quelquefois à l'arrière :
on l'appelle travure. Les bateaux à quille diffè-
rent des bateaux plats, non-seulement par leurs
dimensions, mais encore par des détails de
construction nécessités par l'usage spécial
auquel ils doivent servir.
Les bateaux qui servent a la navigation de
la Seine, et dont quelques-uns vont jusqu'à la
mer dans diverses directions, et jusque dans
des ports très-avancés des canaux intérieurs
du continent, se distinguent par une infinité de
noms, qui désignent moins des genres particu-
liers de construction que des appropriations qu
des destinations spéciales. Ainsi, les chènières
sont des bateaux plats qui apportent les mer-
rains de la Lorraine. Les sapinières sont des
barquettes légères, qui servent au transport
des charbons de bois de l'Yonne. On appelle
marnais, les bateaux qui chargent les vins de
la basse Bourgogne ; lavandières, les barques
qui ont une tente analogue à celle des bateaux
de blanchisseuses, pour abriter les marchandi-
ses que la pluie détériorerait, comme le plâ-
tre , la chaux , etc. Les péniches sont les plus
grands bateaux qui fassent le service fluvial ;
elles sont pontées et jaugent jusqu'à huit cents
tonneaux de cale couverte, tandis que leur
pont reçoit encore une centaine de tonnes do
marchandises encombrantes et légères. Les
porteurs sont d'introduction récente ; ce sont
des bateaux à quille, longs et étroits, d'abord
destinés à porter la marchandise en grande
vitesse, c'est-à-dire à la remorque de bateaux
à vapeur. Les porteurs, munis eux-mêmes de
propulseurs (roues ou hélices),leur ont bientôt
succédé, de même que beaucoup de péniches
ont aujourd'hui leur moyen de propulsion par
la vapeur, mais plutôt comme auxiliaire, at-
tendu que, dans ce genre de navigation, où le
tirant d'eau varie considérablement suivant la
charge, il est difficile d'établir un propulseur
353
dans de bonnes conditions. L'ingénieur La-
croix fils est le premier qui ait eu l'idée d'é-
tablir, pour ce cas particulier, une hélice à
position variable avec le tirant d'eau , qui ré-
sout le problème dans une certaine mesure.
— Bateau à vapeur. On entend par ces mots
un bateau dont les moyens de propulsion re-
posent sur l'emploi de la vapeur comme mo-
teur appliqué soit a une roue, soit à-deux
roues, soit à une hélice ou à deux hélices, ou
à tel autre organe destiné à remplacer les ra-
mes. Le génie de la langue veut qu'on res-
treigne l'appellation de bateau à vapeur aux
seuls bateaux, ainsi munis, qui naviguent sur
les canaux ou les neuves, et tout au plus à
ceux qui côtoient le rivage de la mer. C'est
donc par un abus de langage, qui ne doit pas
être consacré, qu'on a étendu et qu'on étend
tous les jours le nom de bateau à vapeur à de
véritables navires qui, bien qu'ils aient de com-
mun avec les précédents leur mode de pro-
pulsion , d'ailleurs très-différent comme force
et comme disposition, n'ont rien qui justifie
leur assimilation vocable avec un bateau. Au
contraire, à part leurs moyens de propulsion
pur la vapeur, ils ont tous les caractères du
navire fait pour la mer, et doivent être dé-
signés .par des noms appropriés, tels que pa-
quebot, qui forme la transition, navire ou vais-
seau à vapeur.-Qn dit encore pyroscaphe, mot qui
pourrait être assez général, s'il n'était un peu
trop scientifique pour une chose tellement
usuelle, et trop inintelligible pour les masses.
L'usage du mot anglais steamer, qui tend de
plus en plus à se franciser, a pour lui sa briè-
veté et son énergie, etparaît destiné à l'empor-
ter sur celui de vapeur, en partie adopté dans
le langage des marins. C'est que « le vapeur*
est une expression peu heureuse ; il ne rend
qu'imparfaitement l'idée, tandis que steamer,
littéralement le faiseur de vapeur, parle à
l'imagination et lui fait voir ce navire qui
lance en marchant son nuage de vapeur, et
signale ainsi sa puissance, en dépit des élé-
ments ligués contre lui.
Il nous reste maintenant à retracer l'histo-
rique du bateau à vapeur : nous allons le faire
aussi complètement que possible.
Si l'on en croit une note publiée en 1826
par M. de Navarrete, qui en devait la com-
munication au chanoine Gonzalez, directeur
des archives de Simancas, c'est en Espagne
qu'aurait eu lieu la première tentative pour
appliquer la force motrice de la vapeur d'eau
à la marche des navires.
D'après cette note, n Blasco de Garay, ca-
pitaine de mer, proposa, l'an- 1543, à l'empe-
reur et roi Charles-Quint, une machine pour
faire aller les bâtiments et les grandes em-
barcations, même en temps de calme, sans
voiles ni rames.
» Malgré les obstacles et les contrariétés
que ce projet essuya, l'empereur ordonna que
. l'on en fît l'expérience dans le port de- Barce-
lone; ce qui effectivement eut lieu le 17 du
mois de juin de ladite année 1543. '
» Garay ne voulut pas faire connaître en-
tièrement sa découverte ; cependant on vit,
au moment de l'épreuve, qu'elle consistait
dans une grande chaudière d'eau bouillante et
dans des roues de mouvement attachées à
l'un et à l'autre bord du bâtiment.
» On fit l'expérience sur un navire de 200
tonneaux appelé la Trinité, arrivé de Coïmbre
pour décharger du blé à Barcelone, capitaine
Pierre de Scarza,
» Par ordre de Charles-Quint, assistèrent à
cette expérience don Henri de Tolède, le gou-
verneur don Pierre de Cardona, le trésorier
Ravago, le vice-chancelier et l'intendant de
la Catalogne.
* Dans les rapports que l'on fit à l'empereur
et au prince, tous approuvèrent générale-
ment cette ingénieuse invention, particuliè-
rement à cause de la promptitude et de la
facilité avec laquelle on faisait virer de bord
le navire.
» Le trésorier Ravago, ennemi du projet,
dit qu'il irait deux lieues en trois heures ; que
la machine était trop compliquée et trop coû-
teuse, et que l'on serait exposé au péril que
la chaudière éclatât. Les autres commissaires
assurèrent que le navire virait de bord avec
autant de vitesse qu'une gjalère manœuvrée
suivant la méthode ordinaire, et faisait une
lieue par heure pour le moins.
» Lorsque l'essai fut fait, Garay emporta
toute la machine dont il avait armé le navire ;
il ne déposa que les bois dans les arsenaux de
Barcelone et garda tout le reste pour lui.
» Malgré les oppositions et les contradictions
fuites par Ravago, l'invention de Garay fut
approuvée; et si l'expédition dans laquelle
Charles-Quint était alors engagé n'y eût mis
obstacle, il l'aurait sans doute favorisée. »
La note de M. de Navarrete fit beaucoup de
bruit à l'époque où elle parut; mais elle ne
tarda pas à trouver des contradicteurs. On
alla même jusqu'à révoquer en doute les faits
qu'elle rappelait. « En thèse générale, disait
à ce propos notre illustre Arago, l'histoire de
la science doit se faire exclusivement sur des
pièces imprimées : des documents manuscrits
ne sauraient avoir aucune valeur pour le pu-
. blic; car le plus souvent il est dépourvu de
tout moyen de constater l'exactitude de la
date qu'on leur assigne. Des extraits de ma-
nuscrits sont moins admissibles encore : l'au-
teur d'une analyse n'a pas quelquefois bien
compris l'ouvrage dont il veut rendre compte;
il substitue, même sans le vouloir, les idées
de son temps, ses propres idées aux idées de
l'écrivain qu'il abrège. J'accorderai toutefois
qu'aucune de ces difficultés n'est applicable
dans la circonstance actuelle; que le docu-
ment cité par M. de Navarrete est bien de
1543, et que l'extrait de M. Gonzalez est
fidèle ; mais qu'en résulte-t-il ? qu'on a essayé,
en 1543, de faire marcher des bateaux avec
un certain mécanisme, et rien de plus. La
machine, dit-on, renfermait une chaudière :
donc, c'était une machine à vapeur. Ce rai-
sonnement n'est point concluant. Il existe en
effet dans divers ouvrages des projets de ma-
chines où l'on voit du feu sous une chaudière
remplie d'eau, sans que la vapeur y joue au-
cun rôle : telle est, par exemple, la machine
d'Amontons. Enfin, lors même qu'on admet-
trait que la vapeur engendrait le mouvement
dans la machine de Garay, il ne s'ensuivrait
pas nécessairement que cette machine était
nouvelle et qu'elle avait quelque ressemblance
avec celle d aujourd'hui ; car Héron d'Alexan-
drie décrivait déjà, seize cents ans aupara-
vant, le moyen de produire un mouvement de
rotation par l'action de la vapeur. J'ajouterai
même que si l'expérience de Garay a été
faite et que si sa machine était à vapeur, tout
doit porter à croire qu'il employait l'éolinyle
d'Héron. Cet appareil, en effet, n'est pas d une
exécution très-difficile, tandis que {on peut
l'assurer hardiment) la plus simple des ma-
chines h vapeur d'aujourd'hui exige dans sa
construction une précision de main-d'œuvre
fort supérieure à tout ce qu'on aurait pu obte-
nir au xvie siècle. Au reste, Garay n'ayant
voulu montrer sa machine à pei sonne, pas
même aux commissaires que l'empereur avait
nommés, toutes les tentatives qu on pourrait "
faire, après trois siècles, pour rétablir en quoi
elle consistait n'amèneraient évidemment au-
cun résultat certain.
» En résumé, ledoeumentexhumeparM.de -
Navarrete doit être écarté : 1° parce qu'il n'a
été imprimé ni en 1543 ni plus tard; 2° parce
qu'il ne prouve pas que le moteur de la bar-
que de Barcelone était une véritable machine
à vapeur; 30 parco qu'enfin, si une machine
à vapeur de Garay a-existé, c'était, suivant
toute apparence, Téolipyle à réaction déjà
décrit dans les oeuvres d'Héron d'Alexan-
drie. -
Deux objections ont été faites aux observa-
tions qui précèdent, a S'il est vrai, a-t-on dit,
que l'histoire des sciences doive se faire, en
général, sur des pièces imprimées, il n'est pas
moins vrai que certains manuscrits peuvent
avoir un caractère d'authenticité tel, que leur
autorité historique soit égale à celle d'un livre
imprimé. Sans cela, que serait l'histoire des
sciences pour les siècles antérieurs à la dé-
couverte de l'imprimerie ? D'un autre côté, en
admettant'que l'exactitude de la citation de
M. de Navarrete et l'authenticité des .pièces
Su'elie résume fussent démontrées, chose
ont il ne serait pas très-difficile de s assurer
dans l'état actuel de nos relations avec l'Es-
pagne, il deviendrait fort probable que Blasco
de Garay a bien réellement eu l'idée d'appli-
quer la force motrice de la vapeur à la navi-
gation ; et quel que fût le genre de l'appareil
qu'il eût employé, fût-ce l'éolipyleà réaction,
ce qui est vraisemblable, ce mécanicien de-
vrait prendre un rang élevé parmi les inven-
teurs dont les noms figurent dans une histoire
des bateaux à vapeur. »
La vérification demandée par l'auteur dont
nous venons de rapporter les paroles a été
faite, il y a quelques années, non par des
étrangers, mais par les Espagnols eux-mêmes.
Or, elle a prouvé, conformément à l'opinion
de notre Arago, que la vapeur n'avait joué
aucun rôle dans les expériences de Blasco de
Garay. Ce mécanicien avait simplement cher-
ché à faire marcher des bateaux au moyen de
roues à palettes mises en mouvement par
des hommes; c'est-à-dire s'était borné à re-
produire des essais plusieurs- fois entrepris
par les anciens, notamment par les Romains.
« J'ai inscrit, dans les archives de Simancas ,
dit à ce sujet un éminent critique castillan,
jusqu'à quarante-trois documents relatifs à la
machine de Blasco de Garay, et de leur exa-
men il résulte que la note du chanoine Gonza-
lez n'est absolument qu'une fiction punissable.
Ce ne fut pas seulement une expérience qui
eut lieu à Barcelone, on en fit jusqu'à quatre
sur des bâtiments de ports divers, dans cette
même ville et à Malaga, et cela deux ans
avant l'expérience de 1543, la seule que l'on
ait citée. De cet essai et de ceux qui précé-
dèrent, il résulte que la machine de Blasco de
Garay se réduisait à un appareil de roues
semblables à celles dont on use sur les bateaux
à vapeur, et que ces roues se mouvaient seu-
lement par la forcu des bras : le tout n'offrant,
en définitive, qu'une économie notable de
puissance motrice, comparativement à celle
qu'on était obligé d'employer ordinairement
en faisant usage des rames à bord de navires
d'un port si considérable. Je me rappelle fort
bien que, dans une de ses lettres, Blasco de
Garay dit à -Charles-Quint qu'il lui remet le
plan de sa machine. I] est certainement à re-
gretter que, durant la translation de nos ar-
chives généralesî opérée par les Français, ce
plan ait été égaré. -
Le nom de Blasco de Garay doit donc
maintenant disparaître de l'histoire des ba-
teaux à vapeur. Le premier nom qui doit
figurer dans cette histoire est celui d'un dô
nos compatriotes, Denis Papin, né à Blois de
1640 à 1652, mais qui, à partir de 1675, vécut
constamment àl'étrangerj surtout en Allema-
gne et en Angleterre, ou on le qualifiait de
philosophe cosmopolite. En 1690, il publia,
dans les Acta eruditorum de Leipzig, la des-
cription de la machine à vapeur atmosphéri-
que qu'il venait d'inventer ; et, cinq ans
après, dans son Becueil de diverses pièces, il
exposa les différents usages qu'il serait pos-
sible de faire de cette machine. « Il seroit
trop long, disait-il, de rapporter ici de quelle
manière cette invention se pourroit appliquer
à tirer l'eau des mines, à jeter des bombes, à
ramer contre le vent... Je ne puis pourtant
m'empêcher de remarquer combien cette force
seroit préférable à celle des galériens pour
aller vite en mer. » Passant ensuite en revue
les moteurs animés, «qui occupent un grand
espace et consomment beaucoup, lors même
qu ils ne travaillent pas, « il faisait remarquer
que sa machine serait moins embarrassante ;
« mais, ajoutait-il, comme elle ne pourroît.pas
faire jouer des rames ordinaires, il faudroit
employer des rames tournantes. » Il avait vu
des rames-semblables attachées à un essieu,
sur une barque du prince Robert, et que des
chevaux faisaient tourner. Quant à lui, comme
c'est le mouvement de va-et-vient du piston
qu'il voulait transformer en mouvement de
rotation, voici comment il s'y prendrait ; * II
faudroit que les manches des pistons fussent
dentées pour tourner de petites roues aussi
dentées, affermies sur les essieux des rames. *
Mais comme un piston ne ferait aucun effort
dans le bas de sa course pour obtenir un
mouvement continu, Papin conseillait d'em-,
ployer plusieurs corps de pompe dont les pis-
tons marcheraient en sens contraire, l'un
commençant à descendre quand l'autre serait
arrivé au bas de sa course. « On m'objectera
peut-être, ajoutait-il, que les dents des man-
ches des pistons étant engagées dans les dents
des roues devroient, en montant et en descen-
dant, donner à l'essieu des mouvements oppo-
sés, et qu'ainsi les pistons montants empêcne-
roientle mouvement de ceux qui descendroient,
ou ceux qui descendroient empêcheroient le
mouvement de ceux qui devroient monter.
Mais cette objection est facile h résoudre;
car c'est une chose fort ordinaire aux horlo-
gers d'affermir des roues dentées sur des
arbres ou essieux, en telle sorte qu'étant
poussées vers un côté, elles font nécessaire-
ment tourner l'essieu avec elles; mais, vers
le côté opposé, elles peuvent tourner libre-
ment sans donner aucun mouvement à l'es-
sieu, qui peut ainsi avoir un mouvement
tout opposé à celui desdites roues. »
C'est dans ce mémoire de 1635 que les
principes de la navigation à vapeur se trou-
vent exposés pour la première foisrToutefois,
Papin ne chercha pas à faire passer ses idées
dans le domaine de la pratique, parce mae sa
machine était si défectueuse qu'il lui eut été
impossible de s'en servir. La défaveur avec
laquelle les savants accueillirent, l'invention
le découragea tellement, qu'il renonça à con-
tinuer ses études sur la puissance motrice
de la vapeur. Il les reprit cependant en 1705,
époque a laquelle Leibnitz, ayant fait un
voyage en Angleterre, lui envoya un dessin
de la machine de Savery. Papin, alors dans
les États de l'électeur de Hesse, montra le
dessin à ce prince, qui l'engagea à reprendre
ses anciens travaux. Le résultat de ces nou-
velles recherches fut une machine, qui n'était
en réalité qu'une imitation de celle du mé-
canicien anglais, et que Papin fit construire
en grand pour la placer sur un bateau. Ce
bateau fut essayé à Cassel, sur la Fulda, et
avec assez de succès pour faire concevoir de
brillantes espérances. « L'expérience de mon
bateau a été faite, écrivait Papin à Leibnitz,
le 15 septembre 1707, et elle a réussi de la
manière que je l'espérais *, la force du cou-
rant de la rivière était si peu de chose en
comparaison de la force de mes rames, qu'on
avait de la peine à reconnaître qu'il allât plus
vite en descendant qu'en remontant. » Puis
il ajoutait : « Je suis persuadé que si Dieu me
fait la grâce d'arriver Heureusement à Lon-
dres, et d'y faire des vaisseaux de cette con-
struction qui aient assez de profondeur pour
appliquer la machine à feu à donner le mou-
vement aux rames, je suis persuadé, dis-je,
que nous pourrons produire des effets qui pa-
raîtront incroyables à ceux qui ne les auront
pas vus. » Quelques jours après avoir écrit
cette lettre, Papin descendit la Fulda pour se
rendre à Brème, d'où il devait passer en An-
gleterre; mais, arrivé à Mûnden, au confluent
de la Fulda et de la Wera, les bateliers de
cette ville ne voulurent pas lui laisser conti-
nuer son voyage, et, comme il réclamait
contre un procédé si injuste, ils mirent son
bateau en pièces. Ainsi se termina la première
tentative qui ait été faite pour appliquer la
force élastique de la vapeur à la navigation.
Vingt-neuf ans après les expériences de
Cassel, c'est-à-dire en 1736, un Anglais, ap-
pelé Jonathan Hulls, obtint une patente pour
- une nouvelle machine « propre, disait-il, à
faire entrer les vaisseaux et navires dans
les rades, ports et rivières, ou à les en faire
sortir, contre vent et marée comme en temps
calme. » Cet appareil n'était autre qu'un ba-
teau remorqueur, à l'arrière duquel se trou-
vaient deux roues à palettes mues par une
machine de Newcomen. Il paraît que les
fonds manquèrent à l'inventeur pour le con-
struire, en sorte qu'il resta a l'état de projet.
Du reste, si les plans qui nous ont été conser-
vés sont exacts, il offrait des dispositions tel-
lement vicieuses, qu'il n'aurait pu fonction-
ner. C'est cependant à l'auteur d une telle in-
vention que les Anglais ont attribué et attri-
buent peut-être encore la création de la ma-
rine à vapeur. __
Nous venons de voir que, pour faire mou-
voir les roues de leurs bateaux, Papin et Jo-
nathan Hulls employaient la machine atmos-
phérique, te seule, d'ailleurs, qui fût encore
connue. Or, avec une machine semblable, il
était radicalement -impossible d'obtenir des
résultats sérieux. Cette vérité était reconnue
par tous ceux qui avaient une idée exacte des
difficultés de la navigation à vapeur. Aussi,
en 1753, quand l'Académie des Sciences de
Paris mit au concours la recherche d'un
moyen de suppléer à l'action du vent pour les
grands navires, aucun des savants qui se
mirent sur les rangs ne proposa la vapeur.
Cet agent ne fut indiqué-que par un chanoine
régulier de Nancy, 1 abbé Gauthier, dont le
mémoire passa, pour ainsi dire, inaperçu.
L'application sérieuse de la vapeur aux
usages de la navigation ne devint possible
qu'à partir de 1770, quand James Watt, ayant
transformé la machine de Newcomen, futpar-
venu à ce résultat admirable d'augmenter l'in-
tensité de l'action motrice, tout en diminuant
énormément la dépense du combustible. Les
essais commencèrent en France. Dans le prin-
temps de 1773, il se forma à Paris une com-
pagnie pour établir sur la Seine un système
de remorquage à vapeur. Dès l'année suivante,
un bateau, construit sous la direction du comte
d'Auxiron, fut essayé vis-à-vis du "Chainp-
de-Mars; mais il se comporta très-mal, parce
que la machine n'avait pas une force suffi-
sante. Découragée par cet insuccès, la com-
pagnie renonça à l'entreprise, convaincue
« que la navigation par la vapeur ne rempla-
cerait pas économiquement, sur la Seine, le
halage ordinaire des bateaux. - Peu de temps
après, arriva à Paris un jeune officier franc-
comtois, le marquis de Jouffroy d'Abbans, qui
s'occupait, depuis plusieurs années, d'études
scientifiques. 11 s'empressa de se mettre en
rapport avec les frères Périer, les plus ha-
biles constructeurs de machines de 1 époque,
et l'idée lui vint de renouveler l'expérience
qui venait d'échouer. Trois de ses amis, le
comte d'Auxiron, le marquis Ducrest et le
chevalier de Follenay, qui avaient les mêmes
goûts que lui, partagèrent avec enthousiasme
son projet, auquel s associa également Cons-
tantin Périer, l'aîné des mécaniciens. Toute-
fois, si les associes étaient d'accord sur le but
à poursuivre, ils étaient profondément divisés
quant aux moyens d'exécution. Périer dressa
un projet qui différait'de celui de M. de Jouf-
froy, tant par la forme et la disposition du
mécanisme à adapter au bateau, cjue par la
considération des résistances à vaincre et de
la force motrice à employer. Il avait calculé
ces éléments d'après l'expérience d'un bateau
de halage remorqué par des chevaux, tandis
que M. de Jouffroy affirmait qu'il fallait con-
sidérer la résistance comme trois fois plus
forte, dès qu'on prenait le point d'appui sur
l'eau, au lieu de le prendre sur la terre, et
Sue, par conséquent, il était indispensable
'avoir une force motrice au moins trois fois
plus grande. Le marquis de Jouffroy avait
évidemment raison, il était même encore au-
dessous de la vérité ; mais, malgré l'appui du
comte d'Auxiron et du chevalier de Follenay,
qui se rangèrent de son côté, il ne crut pas
devoir lutter contre un homme aussi célèbre
que Périer, et il partit pour sa province. Celui-
ci persista dans sa manière de voir, mais le
bateau qu'il essaya put à peine surmonter le
courant de la Seine, ce qui le dégoûta de faire
de nouvelles expériences.
Cependant, retiré dans les montagnes de la
Franche-Comté, le marquis de Jouttroy con-
tinuait ses recherches sur la navigation à va-
peur. En juin et juillet 1776, il fit naviguer
sur le Doubs, à Baumes-Ies-Dames, un petit
bateau, long d'environ 13 m. et large de 2 m.
Ce bateau était muni d'un appareil moteur du
système dit palmipède., et d'une machine à
simple effet dont la construction, dans un
pays alors dénué de toute ressource de fabri-
cation, avait présenté les plus grandes diffi-
cultés.
L'appareil moteur consistait en deux tiges,
longues de 2 m. 60, qui étaient suspendues de
chaque côté, à l'avant, et dont l'extrémité
libre de chacune portait un châssis armé de
volets mobiles comme nos persiennes et plon-
geant de près de 0 m. 50 dans l'eau : ce châs-
sis décrivait un arc de 0 m. 98 de corde et do
2 m. 60 de rayon; il était maintenu au bout
de sa course, vers l'avant, par un levier
muni d'un contre-poids. Le mécanisme de
transmission était une simple chaîne do fer
attachée au piston de la machine et qui, s'en-
roulant sur une poulie de renvoi, venait se
fixer à la tige des châssis. Quand la vapeur
soulevait le piston, les contre-poids rame-
naient en avant les volets qui faisaient alors
fonction de rames, et qui, dans ce mouve-
ment, se fermaient d'eux-mêmes par suite de
la résistance du liquide , afin d'opposer la
moindre surface possible. La condensation de
la vapeur ayant tait le vide dans le cylindre,
la pression atmosphérique entraînait le piston
jusqu'au bas de sa course, et, par suite de la
traction de la chaîne, les châssis étaient ra-
menés avec force contre les flancs du bateau*
11. 45
354
tandis que les volets mobiles s'ouvraient de
manière à offrir toute leur surface à la résis-
tance du fluide. L'appareil du marquis de
Jouffroy fonctionnait assez bien au départ ou
quand le bateau marchait avec lenteur ; mais
aussitôt que la vitesse s'augmentait, la rapi-
dité du courant empêchait les volets de s'ou-
vrir. Au lieu de chercher à faire disparaître
ce défaut, ce qui eût été peu difficile, l'in-
venteur le crut irrémédiable et il abandonna
entièrement le système palmipède pour adop-
ter celui des roues à palettes. En même
temps, il changea les dispositions de la ma-
chine, ainsi que le mécanisme de transmis-
sion.
A la suite de ces nouvelles études, le mar-
quis de Jouffroy se rendit à Lyon pour y faire
construire un autre bateau. Ce bateau était
presque aussi grand que ceux qui naviguent
aujourd'hui sur la plupart de nos rivières. Il
avait 41 m. de longueur, 4 ni. 15 de largeur,
0 m. 975 de tirant d'eau, et portait un poids
d'environ 150 mille kilo. Aux trois cinquièmes
environ de sa longueur totale, vers l'avant, il
était traversé par un arbre tournant sur des
rouleaux de friction placés près des bords. Sur
cet arbre étaient .montées deux roues à aubes,
de 4.m. 55 de diamètre, dont les palettes,
longues de 1 m. 95, plongeaient à 0 m. 65 dans
l'eau. La machine a vapeur se composait de
deux cylindres accolés : les pistons avaient
ô m. 5P de diamètre et une course d'un peu
plus de 1 m. 62. La communication de mouve-
ment, semblable" a celle que Papin avait indi-
uée en 1690, était obtenue au moyen d'une
ouble crémaillère à rochets , qui agissait
constamment sur une partie cannelée de l'ar-
bre tournant. Le bateau fut expérimenté sur
la Saône pendant l'été de 1783. Le 15 juillet,
an présence de plusieurs milliers de person-
nes et sous les yeux des membres de l'acadé-
mie de Lyon, il remonta, pendant un quart
d'heure, le courant de cette rivière, qui était
alors au-dessus des moyennes eaux. Le suc-
cès de son système de navigation se trouvant
ainsi publiquement constaté, le marquis de
Jouffroy s'occupa de former une compagnie
our établir un service de transport sur la
aône; mais, avant de s'engager, les capita-
listes qu'il avait intéressés à l'entreprise vou-
lurent être mis en possession d'un privilège
de trente ans. Une demande dans ce sens fut
adressée au ministre de Calonne,qui crut de-
voir consulter l'Académie des Sciences pour
savoir comment il fallait l'accueillir. Or, celle-
ci , dominée par l'esprit étroit qui régnait
alors dans la plupart des sociétés savantes,
influencée d'ailleurs par un de ses membres
principaux , Constantin Périer, le rival de
M. de Jouffroy, refusa d'admettre la réalité
des expériences de Lyon. Elle répondit donc
au ministre qu'avant de se prononcer, il y
avait lieu d'exiger que l'inventeur vînt répéter
ses essais à Paris, en faisant remonter sur la
Seine, l'espace de quelques lieues, un bateau
charge de trois cent milliers. » En apprenant
la réponse de l'Académie, qui fut, d ailleurs,
adoptée par le gouvernement, le marquis de
Jouffroy perdit tout espoir. Il n'avait pas et
il ne pouvait pas trouver les fonds nécessaires
pour venir à Paris faire construire un bateau
qui pût convaincre l'Académie. Il ne songea
même pas à entrer en lutte avec elle. Pour
toute vengeance, il envoya à Périer un mo-
dèle, au vingt-quatrième, du bateau de Lyon.
L'abandon que notre compatriote fit de son
projet de navigation à vapeur était d'autant
plus regrettable, qu'au moment même où il
s'y décidait, l'invention, par James Watt, de
la machine à double effet allait fournir le
moyen de triompher de tous les obstacles qu'il
avait rencontrés.
Du reste, l'application delà vapeur à la na-
vigation préoccupaittellement les esprits dans
la seconde moitié du dernier siècle, que des
essais avaient lieu à la fois dans plusieurs
pays. Ainsi, en Franee, la solution de ce pro-
blème était cherchée, non-seulement par le
marquis de Jouffroy, mais encore par Guyon
de la Plombière (i776) et l'abbé Arnal, cha-
noine d'Alais (1781). En Angleterre, on citait
les expériences de Patrick Miller (1787), de *
lord Stanhope (1795) et de Baldwin (1796),
qui échouèrent entièrement, comme échouè-
rent aussi un peu plus tard celles de Syming-
ton (1801) et de notre compatriote Desblancs
(1802). Aux Etats-Unis, où des recherches
semblables avaient lieu, on procédait avec
une intelligence et un esprit de suite qui de-
vaient conduire au succès. Dans ce pays, l'é-
tendue et l'importance des communications
qu'ouvraient l'Ohio et le Mississipi, soit par
eux-mêmes, soit par leurs affluents, et les ob-
tacles qu'opposait à la navigation la rapidité
de leur courant, avaient attiré de bonne heure
l'attention du congrès. Dès 1784, cette assem-
blée avait promis une récompense de 30,000
acres de terre fédérale à celui qui trouverait
le moyen de faire remonter économiquement
les rivières aux bateaux chargés, sans se ser-
vir du halage. On ne pouvait évidemment ré-
pondre à l'appel du congrès qu'en employant
ta vapeur. John Fitch et James Rumsay, qui
firent presque simultanément des essais, en
1786 et 1787, le premier sur le Delaware, et
le second sur le Potomack, ne réussirent pas.
Robert Livingston fut un peu plus heureux,
quelque temps après, sur l'Hudson. Il obtint
même, en 1798, de l'Etat de New-York, un
privilège de vingt ans, à condition qu'il con-
struirait, avant un an, un bateau pouvant
marcher à raison de 4,800 m. à l'heure. Le
bateau fut prêt à l'époque fixée, mais il ne
remplit pas les conditions du programme.
Livingston allait s'occuper d'y introduire des
perfectionnements, quand il fut obligé de se
rendre en France pour y remplir des fonc-
tions diplomatiques. Après son départ, trois
homme d'élite, le capitaine Mac Keaver, le
mécanicien Olivier Evans et un émigré fran-
çais, appelé Louis de Valcourt, s'occupèrent
ensemble de recherches sur la navigation à
vapeur; mais les succès de Robert Fulton
rendirent leurs efforts inutiles.
Robert Fulton était aussi un citoyen des
Etats-Unis. Poussé par le désir de s'instruire,
il se rendit en Angleterre, vers 1786, à l'âge
de vingt-deux ans, pour y apprendre la pein-
ture; mais ayant reconnu, après quelques
mois de travail, que là n'était pas sa voca-
tion, il abandonna la palette pour s'adonner à
la mécanique. Ce furent, dit-on, les conseils
de James Rumsay, le même dont il a été
question plus haut et qui était alors établi à
Londres, qui donnèrent l'essor à ses facultés
inventives. Ce fut peut-être aussi dans les
conversations de ce mécanicien qu'il puisa le
germe de ses premières idées relatives aux
bateaux à vapeur. Quoi qu'il en soit, n'ayant
pu faire adopter en Angleterre un système de
canalisation qu'il avait imaginé, il passa en
France, en 1796, dans l'espoir de voir son in-
vention mieux,accueillie; mais il n'y fut pas
plus heureux. Différentes propositions qu'il fit
ensuite au gouvernement français, pour des
bateaux plongeurs et des machines explosives
sous-marines, ne réussirent pas mieux. Dé-
couragé par l'insuccès de tant de démarches,
il était sur le point de s'en retourner en Amé-
rique, quand Robert Livingston l'engagea à
différer son départ pour étudier avec lui la
question des bateaux à vapeur, qui importait
tant à la prospérité de leur commune patrie.
En vertu d'un arrangement qu'ils firent entre
eux, Livingston se chargea de fournir tous les
fonds nécessaires à Fulton pour faire les expé-
riences : on était à la fin de 1801 ou au com-
mencement de 1802.
Fulton passa d'abord en revue tous les es-
sais qui avaient été faits avant lui, et ce ne
fut qu'après avoir acquis une connaissance
exacte des causes qui les avaient fait échouer
qu'il se mit à l'œuvre. Toutefois, les commen-
cements de l'entreprise furent désastreux. Un
premier bateau, terminé au commencement
de 1803, se trouvant trop faible pour porter
la machine, se rompit pendant la nuit et s'a-
bîma dans la Seine. La machine fut repêchée,
et, comme elle n'avait éprouvé aucune ava-
rie, on l'installa sur un second bateau, con-
struit avec tout le soin convenable. Ce nou-
veau bateau, long de 33 m. et large de 2 m. 50,
fut terminé au mois de juillet de la même an-
née, et, le 9 août suivant, il navigua en pré-
sence d'une commission de l'Institut et d'un
grand nombre de personnes, en marchant
contre le courant avec une vitesse de l m. 60
par seconde ou de 5,760 m. par heure. - A six
heures du soir, dit un témoin oculaire, Ful-
ton, aidé seulement de trois personnes, mit en
mouvement son bateau et deux autres atta-
chés derrière, et, pendant une heure et demie,
il procura aux curieux le spectacle étrange
d'un bateau mû par des roues comme un cha-
riot, ces roues, armées de volants ou rames
plates, mues elles-mêmes par une pompe à
feu. » A la suite de cette expérience, Fulton,
désormais sûr du succès, s'adressa au minis-
tre de la guerre et de la marine afin d'en ob-
tenir les moyens de continuer des études sur
une plus grande échelle. On lui fit partout bon
accueil, mais on lui répondit qu'on n'avait
point de fonds disponibles. En même temps,
il demanda au premier consul que son inven-
tion fût soumise officiellement à l'examen de
de l'Académie des sciences, offrant, si l'avis
était favorable, d'en faire hommage à la
France. Malheureusement, ses longs et infruc-
tueux essais sur les machines explosives sous-
marines, essais qui avaient été presque en-
tièrement exécutes aux frais du gouvernement,
avaient laissé une impression très-fâcheuse
dans l'esprit du chef de l'Etat, qui ne voyait
en lui qu'un intrigant. Aussi sa requête fut-
elle rejetée; et, comme Louis Costaz, alors
F résident du tribunat, qui s'était chargé de
appuyer, s'efforçait de faire revenir le pre-
mier Consul de ses préventions et de le per-
suader de la réalité et de l'importance des
résultats obtenus par Fulton : a II y a, lui ré-
pondit son illustre interlocuteur, dans toutes
les capitales de l'Europe, une foule d'aventu-
riers et d'hommes à projets qui courent le
monde, offrant à tous les souverains de pré-
tendues découvertes qui n'existent que dans
leur imagination. Ce sont autant de charla-
tans ou d imposteurs, qui n'ont d'autre but que
d'attraper de l'argent. Cet Américain est du
nombre : ne m'en parlez plus. »
L'Académie des sciences n'entra donc pour
rien dans le refus qu'éprouva Fulton. Elle ne
fut point appelée à donner un avis sur les
travaux de cet ingénieur : par conséquent,
elle ne put, comme on le répète chaque jour,
qualifier d'idée folle, d'erreur grossière, d'ab-
surdité, la navigation à vapeur. Il y a plus,
l'Académie comptait alors parmi ses membres
des hommes tels que Carnot et Constantin
Périer, qui étaient parfaitement au courant
de la question, et qui, sans nul doute, n'au-
raient pas souffert qu'elle portât un jugement
aussi ridicule. Au reste, Fulton qui, pendant
toute la durée de ses essais, fut en rapport
constant avec les académiciens français, dé-
clara plus tard n'avoir eu qu'à s'en louer. Ils
lui avaient dit seulement que le succès de ses
travaux leur paraissait fort douteux, parce
que, très-probablement, la force de la vapeur,
si puissante qu'elle fût, ne parviendrait pas à
vaincre, à certaines époques de l'année, la
violence des courants des fleuves et des ri-
vières. Or, l'état rudimentaire dans lequel
se trouvait le nouveau système de navigation
justifiait, et au delà, cette appréciation.
Nous ne dirons pas, comme on l'a tant de
fois avancé, que si Napoléon l^, prêtant une
oreille favorable-à la demande de Fulton, eût
fait construire une flottille d'après les idées de
cet ingénieur, il aurait, par cela seul, assuré
le succès de la grande entreprise qu'il médi-
tait alors contre 1 Angleterre. Ce raisonnement,
fait après coup, n'a rien de sérieux. En effet,
l'invention de Fulton était trop imparfaite pour
qu'on pût en faire des applications de quelque
étendue. Ensuite, l'art de construire les ma-
chines à vapeur n'existait pas encore en
France, et les événements Se succédaient
avec une si grande rapidité qu'il eût été im-
possible de ly introduire. Enfin, et cette rai-
son paraîtra décisive, Fulton lui-même ne
croyait pas à cette époque que les bateaux à
vapeur fussent en état de s'aventurer sur les
mers : il ne songeait qu'à les employer sur les
fleuves et les rivières, et, quand Costaz se
chargea de présenter sa demande au premier
Consul, il ne fit aucune allusion à la guerre
d'Angleterre.
Dans tout ce qui précède, nous n'avons rien
dit de la lettre de Napoléon au ministre de
l'intérieur comte de Champagny, que les jour-
naux ont publiée en 1849, parce que cette
pièce est une mystification due peut-être au
même écrivain qui a imaginé la lettre de Ma-
rion Delorme à Cinq-Mars, sur Salomon de
Caus.
Fulton eut bientôt pris son parti du refus du
f ouvernement français. Ainsi que nous l'avons
it, il n'avait entrepris ses recherches que dans
le but d'en appliquer les résultats à son pays.
Il s'occupa donc des moyens d'établir sur les
cours d'eau des Etats-Unis le système de
transport dont il venait de démontrer la va-
leur. Informée par Livingston des succès ,des
expériences de Paris, la législature de l'État
de New-York accorda aux deux associés le
privilège exclusif de naviguer, pendant vingt
ans, à partir de 1803, sur toutes les eaux de
l'Etat. Elle leur imposa seulement pour con-
dition de construire, dans un délai de deux ans,
un bateau à vapeur marchant à la vitesse de
6,400 m. par heure, contre le courant ordi-
naire de l'Hudson. A la réception de l'acte qui
concédait ce privilège, Livingston écrivit en
Angleterre, à James Watt et à Boulton, pour
leur commander une machine à vapeur dont
il envoya les plans et les dimensions sans rien
dire de la destination. Fulton passa lui-même
en Angleterre pour surveiller l'exécution de
la commande, puis il se rendit à New-York, où
il fit construire le bateau dans les ateliers de
Charles Brown. Ce bateau fut appelé le Cler-
mont. Il avait 50 m. de long sur 5 m. de large,
et jaugeait 150 tonneaux. Il était muni de deux
roues a aubes ayant chacune 5 m. de diamètre,
et d'une machine de dix-huit chevaux. Il fut
lancé le 11 août 1807, et, le 16 du même mois,
il effectua son premier voyage : il mit trente-
deux heures à l'aller et seulement trente au
retour pour franchir les 240 kil. qui séparent
New-York d'Albany, remplissant ainsi et au
delà l'unique condition du programme. Dès ce
moment, la navigation à vapeur se trouva un
fait accompli. Toutefois, Fulton ne chercha
pas à pousser ses études assez loin pour ame-
ner son invention à toute la perfection dési-
rable ; il laissa ce soin à ses successeurs. Avant
lui, on avait trouvé les roues à aubes, la ma-
chine motrice et la transmission du mouve-
ment; mais nul, à l'exception peut-être du
marquis de Jouflroy, et c'est là surtout ce qui
fait sa gloire, n'avait compris que, pour que
le nouveau système de navigation pût réussir,
il fallait donner une force suffisante à la ma-
chine.
L'Europe ne pouvait demeurer indifférente
au progrès qui venait d'être réalisé en Amé-
rique. Ce fut l'Angleterre qui devança les
autres nations. Dès 1812, le mécanicien écos-
sais1 Henry Dell et naviguer sur la Clyde,
entre Glasgow et Hedensburg-Bath, un petit
bateau nommé la Comète, qui était long de
13 m. 90 et large de 3 m. 50, avec une machine
de la force de 4 chevaux : c'est le premier
pyroscaphe qui ait fait un service régulier
chez nos voisins. Cinq ans après, la naviga-
tion à vapeur était déjà prospère sur presque
tous les grands cours d'eau des trois royaumes.
Elle fut introduite en France, dans le courant
de 1816, mais elle ne commença à s'y déve-
lopper qu'après 1825.
Dans le principe, à l'exemple de Fulton, on
ne croyait pas que des bateaux à vapeur fus-
sent propres à la navigation maritime. Les
faits ne tardèrent pas à prouver le contraire.
Au printemps de 1815, le Bob-Boy, du port de
90 tonneaux, pourvu d'une machine de 30 che-
vaux, fit sans accident la traversée de Green-
ock, sur la Clyde, à Belfast, et, à la fin de la
même année, le Robert-Bruce, le Talbot, lo
Waterloo, etc., également construits sur la
Clyde, furent envoyés sur divers points de
l'Angleterre. En 1817, une ligne régulière,
desservie par YHibernia et la Britannia, fut
établie entre Holydead et Dublin, à travers le
canal de Saint-Georges. Au mois de juillet 1819,
le navire américain le Savannah, de 350 ton-
neaux, franchit l'Atlantique et se rendit de
New-York à Saint-Pétersbourg, en touchant
à Liverpool et à Copenhague ; mais ce trajet,
qui eut lieu en partie à la voile, en partie à la
vapeur, fut considéré comme une témérité. Ce
ne fut que sept ans après que les marins an-
glais jugèrent la construction des bateaux à
vapeur assez avancée pour qu'il fût possible
de faire de grandes traversées avec une sécu-
rité suffisante. Le 16 août 1825, l'Entreprise,
de 500 tonneaux, mue par deux machines de
60 chevaux chacune, partit de Falmouth et
arriva, le 4 novembre suivant, à Calcutta,
après un voyage de cent-treize jours, dont huit
passés au Cap pour renouveler les provisions
de charbon. Presque à la même époque, un
bâtiment-hollandais se rendit avec le même
bonheur d'Amsterdam à Curaçao. Le succès
de ces deux traversées imprima un élan im-
mense à la navigation à vapeur, et les ingé-
nieurs de tous les pays, surtout ceux de l'An-
gleterre et des Etats-Unis, rivalisèrentd'efforts
pour la doter de tous les perfectionnements
dont elle pouvait être susceptible. En 1836, la
construction des bateaux avait atteint un si
haut degré de perfection que l'on regardait
« comme possible la navigation la plus pro-
longée, dans toutes les mers, par tous les
temps et dans toutes les saisons. » Enfin, en
1838, les navires anglais le Sirius et le Great-
Western inaugurèrent le premier service ré -
gulier qui ait existé entre l'ancien monde et le
nouveau. A l'aller, ils franchirent tous les deux
l'Atlantique en dix-sept jours : au retour, le
Sirius tint la mer pendant dix-huit jours, et le
Great- Western pendant quinze seulement.
Les bateaux à vapeur ne servirent d'abord
u'au transport des voyageurs et des marchan-
ises; mais, en présence des résultats obte-
nus , les gouvernements comprirent qu'ils
pourraient aussi être utilement employés pour
le service de guerre. Toutefois, l'impossibilité
où l'on était de soustraire les roues à aubes au
choc des projectiles ennemis les fit considérer,
pendant longtemps, comme de simples moyens
de communication rapide, malgré les vents et
les calmes. Les choses ne changèrent qu'en
1841, lorsque le fermier anglais William Pettis
Smith et le mécanicien Ericson furent parve-
nus à remplacer les roues à aubes par un pro-
pulseur à hélice. Avant ce moment, une cen-
taine au moins d'inventeurs, surtouten France,
en Angleterre et aux Etats-Unis, avaient bien
essayé de faire marcher les navires à l'aide
d'hélices diversement disposées, mais aucun
n'avait pu trouver une solution réellement
pratique de la question, soit faute de cette per-
sistance qui assure seule le succès, soit parce
que leur époque ne s'était pas trouvée prête à
recevoir une si grande innovation. C est de
l'adoption du nouveau propulseur que date,
comme nous le verrons ailleurs, la véritable
marine de guerre à vapeur (V. HÉLICE, MA-
RINE, etc.).
—Bateaux à air. Les bateaux à air sont em-
ployés à la place des cloches à plongeur or-
dinaires, toutes les fois qu'il est nécessaire de
descendre sous l'eau un atelier un peu nom-
breux. La première idée de ces appareils a été
émise théoriquement par l'ingénieur Colomb,
en 1778 : mais elle n'a été réalisée pratique-
ment qu à notre époque. Le plus ancien que
l'on ait construit en France est probablement
celui dont o"n s'est servi en 1845, pour enlever
des rochers qui obstruaient la passe d'entrée
du port du Croisic. Il se composait d'une
grande caisse en tôle, qui était longue
de 3 m. 60, large de 3 m., et haute d'environ
3 m. 50. Il était divisé en trois compartiments,
un au centre et les deux autres aux extrémi-
tés. Celui du centre était ouvert par le bas et
fermé par le haut : on l'appelait chambre de
travail, parce qu'il avait pour objet de rece-
voir les ouvriers. Des ouvertures, pratiquées
dans le plafond et fermées par des verres de
hublot, y laissaient pénétrer suffisamment de
lumière. Les compartiments extrêmes étaient
clos de toutes parts : ils étaient destinés à re-
cevoir le lest nécessaire pour déterminer l'im-
mersion. On employait le bateau au commen-
cement du jusant, quand les rochers à extraire
n'étaient recouverts que d'une hauteur d'eau
de 2 m. 25. On le conduisait alors au lieu où
l'on voulait opérer; puis, après l'avoir amarré,
on le faisait échouer en remplissant d'eau, au
moyen de soupapes, le compartiment de l'avant
et celui de l'arrière. L'échouage terminé, les
ouvriers descendaient dans la chambro de tra-
vail par une espèce de trou d'homme pratiqué
dans le plafond, et que l'on fermait ensuite
avec soin ; mais ils se tenaient d'abord sur un
grillage en fer placé assez haut pour que l'eau
ne pût les atteindre. Aussitôt que le trou
d'homme était fermé, des pompes foulantes,
mues par une machine à vapeur, introduisaient
dans la chambre de l'air comprimé qui en ex-
pulsait peu à peu toute l'eau. Ce résultat ob-
tenu, les ouvriers sautaient sur le rocher, bat-
taient des mines, divisaient les blocs, et cela
comme s'ils avaient été en plein air. Pendant le
travail, les pompes ne cessaient de fonctionner
pour le renouvellement de l'air. Le bateau
contenait neuf hommes travaillant à pic, et
seize occupés à lorer des mines. Depuis cette
époque, les appareils de ce genre ont été très-
souvent employés, et toujours avec le plus
grand succès, principalement sur la Seine, le
Rhin et le Nil. Seulement, on en a modifié la
forme, les dimensions et les dispositions inte-

rleures, suivant les circonstances. Celui qui a
servi pour l'exécution des grands travaux du
barrage du Nil était assez grand pour renfer-
mer un atelier de quarante ouvriers : il avait
été construit par 1 ingénieur Cave, à Paris.
— Bateaux à glace. Les bateaux à glace se
font tantôt en bois, tantôt en osier recouvert
de cuir ou d'une toile imperméable. On les
fait avancer soit au moyen d'une gaffe, soit à
l'aide de petites roues fixées sur les côtés.
Dans tous les cas, on pratique vers le milieu
de leur fond une espèce de trappe s'ouvrant
de bas en haut. Pour se servir a'un de ces ap-
fiareils, on le conduit au-dessus du trou par
equel le noyé a disparu; puis, ouvrant la
trappe, on y passe une échelle qui sert au
sauveteur à descendre sous la glace pour y
exécuter son exploration. Parmi les bateaux à
glace les mieux disposés, on cite celui de Th.
Ritzle, de Hambourg, et de notre compatriote
Godde de Liancourt.
— Bateaux de sauvetage. L'idée d'un bateau
qui pourrait être employé, même quand la
mer est soulevée par les plus violentes tem-
pêtes, pour aller porter des secours aux nau-
fragés, ou qui pourrait servir aux naufragés
eux-mêmes pour sauver leur vie, a dû natu-
rellement se présenter à l'esprit des naviga-
teurs, dès les temps les plus reculés; mais si
elle a donné lieu, chez les anciens, à quelques
essais plus ou moins ingénieux, nous devons
croire que ces essais échouèrent toujours
contre les difficultés pratiques qu'il fallait
vaincre, puisque l'histoire n'en a pas conservé
le souvenir. C'est en 1610 seulement qu'on fit
une expérience publique, dont la mémoire a été
conservée ; cette expérience eut lieu à Paris
même, dans le grand bassin des Tuileries, en
&résence de la reine mère et de toute la cour,
n constructeur de bateaux avait inventé une
nacelle, qu'il disait insubmersible; on la ren-
versa dans l'eau, de manière que sa quille fût
en haut, et elle reprit son aplomb d'elle-
même j on la cribla de trous de balles, et elle
s'empht d'eau, mais ne sombra point : « L'on
ne sait que s'imaginer, écrivait Malherbe a
Peiresc ; la commune opinion est que cela se
fait par magie. » Il y avait sans doute quel-
que chose de fort ingénieux dans la construc-
tion de cette nacelle ; mais il faut croire que
ce qui avait réussi en petit ne put être appli-
qué en grand, puisque l'invention resta sté-
rile.
Près de deux siècles plus tard, au mois de
septembre 1789, le navire anglais l'Aventure,
de Newcastle, ayant péri corps et biens a
l'embouchure de la Tyne, sans qu'il fût pos-
sible de lui porter secours, les notables de
South-Shields fondèrent un prix destiné à ce-
lui qui construirait un bateau disposé de ma-
nière à pouvoir tenir la mer pendant le gros
temps, surtout au milieu des brisants. Le prix
fut remporté par Greathead, dont le bateau,
terminé en 1790, dépassa l'espoir des sou-
scripteurs. Toutefois, il avait un défaut: c'est
qu'il ne pouvait être mis à bord d'un bâtiment,
et qu'il devait toujours être envoyé de la côte.
George Palmer combla cette lacune en 1828,
par l'invention d'un autre bateau qui pouvait
être embarqué sur un navire et servir, en cas
de naufrage, à sauver l'équipage avec les
ressources du bord. Ces deux bateaux furent
imités dans presque tous les pays maritimes.
Des centaines de personnes leur durent la vie ;
mais il fut impossible de s'en servir dans plu-
sieurs circonstances, et il fut démontré a tous
les yeux que le problême n'était pas encore
complètement résolu. En 1849, lors du nau-
frage de la Betsey, à l'entrée de la Tyne, où
vingt pilotes périrent, sur vingt-quatre qui
montaient une embarcation de Greathead,
l'institution royale et nationale de sauvetage
établie a Londres ouvrit un concours pour la
construction d'un nouveau bateau. Deux cent
quatre-vingts plans ou modèles furent en-
voyés à la commission, qui, après un minu-
tieux examen, adopta celui de Beeching. C'est
le bateau de cet inventeur, perfectionné
dans ces dernières années par Peake, qui est
encore employé en Angleterre. Il est long de
9 à 10 m., large de 2 m. 40, et ne cale que
0 m. 60. Enfin, il est absolument insubmer-
sible ; mais il ne peut être monté que par des
hommes dressés a sa manœuvre. L'Institution
royale en entretient un grand nombre, qui sont
disséminés sur les points où les naufrages-
sont le plus fréquents. En temps ordinaire,
on les conserve dans les ports ou sous des
hangars, d'où on les transporte, au moment
où ils doivent servir, au moyen de chariots
d'une forme "particulière. Des bateaux de
sauvetage existent également dans les autres
pays maritimes ; comme nous l'avons déjà dit,
ils sont tous des imitations plus ou moins mo-
difiées de ceux des Anglais. M. Berdan, des
Etats-Unis, a construit un bateau compres-
sible , en bois, recouvert de toile et cui-
rassé de gutta-percha. Les plats-bords, ratta-
chés à la quille par des charnières, peuvent
se rabattre, et le volume du' bateau se trouve
réduit des quatre cinquièmes environ. Il ne faut
que quelques minutes pour le monter et le lan-
cer à l'eau ; il flotte, même losqu'il est rempli
d'eau, monté par quinze hommes et chargé de
poids fort lourds. Parmi les bateaux de sauve-
tage inventés récemment en France, un des
plus remarquables est celui de M. Moue, du
Havre, qui fut essayé en 1854, dans le bassin
du Commerce. Il se distingue par l'extrême
simplicité de sa construction, et, comme l'ex-
périence l'a constaté, il possède au plus haut
BAT
degré la faculté de se redresser quand il esi
chaviré. Il peut aussi, même lorsqu'il est plein
d'eau et chargé d'ur poids de 300 kilo., porter
un nombre d'hommes suffisant pour secourir
efficacement les naufragés.
— Bateau plongeur ou bateau sous-marin.
La première idée de la navigation sous-
marine parait remonter au xvie siècle; mais le
plus ancien bateau au moyen duquel on ait
cherché à la réaliser est probablement celui
que, vers 1620, le physicien hollandais Cor-
nélius van Drebbel essaya sur la Tamise, à
Londres, et dans lequel Jacques 1er, roi d'An-
gleterre, ne craignit pas de s'embarquer. Sui-
vant le voyageur Monconys, qui tenait ses
renseignements du gendre de 1 inventeur, ce
bateau était, pourvu de douze rames à garni-
tures imperméables, et offrait une capacité
assez grande pour contenir plusieurs per-
sonnes, indépendamment des hommes d'équi-
page. Il se maintenait parfaitement entre
deux eaux, mais il ne pouvait.descendre à plus
de douze ou quinze pieds anglais, parce que, à
une profondeur plus considérable, la pression
de 1 eau en eût endommagé les parois. Le
même écrivain rapporte que l'appareil pou-
vait rester longtemps immergé, parce que le
gendre de Drebbel avait inventé une liqueur,
dont il suffisait de répandre quelques gouttes
pour rendre immédiatement à l'air, vicié parla
respiration, toutes ses propriétés premières.
Les expériences de Londres engagèrent une
foule de savants à s'occuper des bateaux
sous^marins, mais ils ne le firent qu'en théorie.
Quelques-uns, cependant, publièrent des des-
criptions dont certains détails furent plus tard
mis à profit. C'est à Denis Papin et à un autre
Français dont le nom n'a pas été conservé, que
l'on doit peut-être l'idée première de se servir
de ces engins dans la guerre maritime, pour at-
taquer les navires ennemis. Plusieurs bateaux
plongeurs furent construits à la fin du xvme
siècle. Le ier août 1772, le Journal encyclo-
pédique annonça que, le 28 mai précédent,
Dionis, membre de l'académie de Bordeaux,
avait expérimenté, dans le golfe de Gascogne,
un bateau de son invention qui, monté par
dix personnes et armé de huit rames, avait
fait cinq lieues en quatre heures et demie :
l'air y était maintenu dans un état convena-
ble à l'aide d'une « eau artificielle », et les gaz
méphitiques étaient conduits au dehors par un
tuyau étroit. Quatre ans après, l'Américain
Bushnell ou Brushuell construisit un bateau
assez grand pour qu'un homme pût y respirer
pendant une heure, et dont le pont portait une
caisse de poudre, disposée de manière à pou-
voir être aisément fixée contre la carène d'un
navire ennemi. Il l'offrit au gouvernement de
son pays, pour détruire les flottes anglaises
qui bloquaient alors les ports de l'Union ; mais
on rejeta son offre, parce qu'on reconnut que
la machine était trop difficile à gouverner :
on ne Grut pas d'aillleurs que le droit public
des nations permît l'emploi d'un tel agent de
destruction. Cette dernière raison n'empêcha
pas Robert Fulton, autre citoyen des Etats-
Unis, de taire, en 1800, une proposition sem-
blable au gouvernement français. Il avait
donné le nom de nautile au bateau sous-marin
qui fut essayé sur la Seine devant Vesplanade
des Invalides. Il s'enferma lui-même dans sa
machine, avec un matelot et une bougie allu-
mée, plongea assez avant pour disparaître à
tous les regards, et remonta sur l'eau à une
distance assez éloignée, plongea encore, et
vint reparaître au point d'où il était parti d'a-
bord. Cette expérience fut renouvelée au
Havre peu de temps après. En 1802, l'ingé-
nieur anglais Hodgman fit à Folkéstone des
expériences du même genre dans la mer, et
son bateau put parcourir, sous l'eau, environ
un quart de mille. En janvier 1810, MM. Coës-
sin construisirent un nouveau bateau plongeur,
qui fut essayé au Havre, en présence d'une
réunion nombreuse d'ingénieurs et d'officiers
de marine. Ce bateau avait la forme d'un el-
lipsoïde allongé ; l'intérieur était divisé en
trois parties par des doubles fonds. Les
hommes se plaçaient dans la partie du milieu,
et les deux autres parties pouvaient être rem-
plies d'eau ou d'air, à 1 aide de pompes. Il
était mis en mouvement par des rames, et les
ouvertures par lesquelles passaient ces rames
étaient masquées par des poches de cuir ;
quatre rames suffisaient pour avancer d'une
demi-lieue par heure. Le compartiment destiné
aux navigateurs recevait un peu de lumière
par de fortes lentilles logées dans la partie supé-
rieure du bateau. L'air nécessaire à la respira-
tion arrivait par des tuyaux flexibles, soutenus
par des flotteurs qui restaient toujours à la sur-
face de l'eau ; la circulation de l'air s'obte-
nait au moyen d'un ventilateur. Mais comme
le ventilateur devenait impuissant lorsqu'on
descendait à plus de 7 mètres, MM. Coèssin
pensèrent qu'il valait mieux remonter de temps
en temps à la surface pour y faire provision
d'air, ou se munir d'oxygène comprimé, ren-
fermé dans des récipients.
En 1846, on fit encore, sur la Seine, l'essai
d'un bateau sous-marin inventé' par le docteur
Payerne. Le journal l'Illustration en donna
une description détaillée, dont nous allons citer
les parties principales :
- Ce bateau est construit en tôle de 7 milli-
mètres d'épaisseur; sa configuration est une
ellipse assez rapprochée de la forme d'un œuf
qui aurait 9 mètres de l'arrière à l'ayant, et
1 m. 80 dans sa plus grande section transver-
sale. Dans sa construction, on a ménagé 30
BAT
orifices percés dans la tôle ; 26 d'entie eux, qui
portent 14 centimètres de diamètre, sont fer-
més par des lentilles de verre „.; des quatre
autres, qui ont 40 centimètres de diamètre,
l'un, placé à la partie supérieure, sert d'entrée
et de sortie à 1 équipage, et trois s'ouvrent à
travers la cale pour servir de voie de commu-
nication avec le sol au fond des eaux. Un pro-
pulseur hélicoïde, placé à l'arrière, ainsi qu'un
gouvernail, sert à mettre le bateau en mouve-
ment. Deux aubes, en forme de nageoires,
fiermettent de monter ou de descendre à vo-
onté. Si l'on entre maintenant dans le bateau
par le trou d'homme pratiqué à la partie su-
périeure, on descend dans une chambre qui
occupe a peu près les deux cinquièmes du
volume total ; les trois autres cinquièmes for-
ment un vaste récipient, auquel sont adaptées
deux pompes, dont chacune est munie de
quatre, robinets, deux pour l'aspiration ou le
refoulement de l'air, deux pour l'aspiration ou
le refoulement de l'eau. Quand les hommes
veulent descendre sous l'eau, ils font jouer
l'une-des deux pompes pour faire entrer dans
le récipient intérieur une quantité d'eau pro-
portionnée à la profondeur où ils veulent at-
teindre. Bientôt la clarté transmise par les
hublots ou lentilles de verre, s'obscurcit sen-
siblement, sans pourtant cesser d'éclairer suf-
fisamment les manœuvres ; puis une faible se-
cousse annonce qu'on touche le fond. Alors"
on ouvre les panneaux placés à fond de cale,
et l'on se trouve en contact direct avec le sol
sous-marin, qu'on peut explorer à son aise.
La manœuvre pour remonter est aussi facile
à comprendre : si, pour entraîner le bateau au
fondj il a fallu aspirer 1,000 litres d'eau, on
refoulera en dehors la même quantité de li-
quide, et le bateau allégé reviendra de lui-
même au niveau de flottaison. On voit que
ces bateaux plongeurs ont beaucoup de rap-
ports avec les bateaux à- air, dont nous avons
donné précédemment la description.
Beaucoup d'autres bateaux du même genre
ont été imaginés aux Etats-Unis, en Angle-
terre, en Russie, en Allemagne ; mais la plu-
part de ces inventions n'ont existé que sur le
papier, et celles, en très-petit nombre, qui ont
été réalisées pratiquement, n'ont pu survivre
aux expériences auxquelles on les a soumises.
Plusieurs constructeurs contemporains ont
même compliqué la solution du problème, en
voulant armer leurs appareils d'une artillerie
redoutable, et en les munissant d'une hélice
propulsive, mue par l'air comprimé, la vapeur
ou une machiné magnético-électrique. — Dans
ces dernières années, on a donné le nom de
bateaux plongeurs ou bateaux sous-marins à
des cloches d'une forme particulière : il en
sera question ailleurs. V. CLOCHE À. PLONGEUR.
— Administ. Les accidents dont fut suivie
l'introduction de la navigation à vapeur obli-
gèrent l'administration d'intervenir. Elle n'eut
point l'initiative de cette intervention ; sans
les persistantes réclamations du public, elle
aurait, comme aux Etats-Unis, pris son parti
des désastres causés par l'excès même de
puissance des nouveaux moteurs, et elle
n'aurait rien fait pour régler les mutuels
intérêts du public et des entrepreneurs. Ne
pouvant rester neutre, l'administration adopta
un système mixte, consistant à réglementer
dans l'intérêt du public, tout en imposant le
moins de gêne possible à l'intérêt privé. C'est
dans cet esprit que fut rendue l'ordonnance
du 2 avril 1823, qui assujettit les bateaux à
vapeur à la surveillance de commissions spé-
ciales, instituées dans chacun des départe-
ments où existait alors ce genre de naviga-
tion. La même année vit naître l'institution
de la commission centrale des machines à va-
peur, à laquelle fut confié le soin de veiller
au maintien des nouveaux, règlements, de
résoudre les cas incertains en interprétant la
pensée de l'administration, et de proposer
tous les perfectionnements indiqués par l'ex-
périence. Ces commissions, qui existent encore
aujourd'hui', sont composées de personnes
expérimentées,et présidées par des ingénieurs
en chef des ponts et chaussées ou des mines.
Elles doivent, tous les trois mois, s'assurer
de la bonne construction des bateaux, parti-
culièrement en ce qui concerne l'appareil mo-
teur. En 1828, une nouvelle ordonnance, en
date du 7 mai, réglait la construction des ba-
teaux, le nombre de leurs passagers et leurs
heures de départ. En vertu de cette ordon-
nance, les conditions auxquelles avaient été
assujetties les chaudières à haute pression
furent déclarées applicables aux chaudières
à basse pression. L usage des chaudières et
bouilleurs en fonte fut, de plus, formellement
interdit. L'ordonnance du 27 mai 1830 com-
pléta cette réglementation.
La navigation à vapeur était alors dans
l'enfance ; les navires mus par la vapeur
étaient en si petit nombre, que la flotte qui
portait l'expédition d'Alger en comptait seule-
ment sept. L'industrie privée n'en exploitait
guère qu une cinquantaine. En 1865, la France
en comptait environ 500.
De 1828 à 1843, l'administration, suivant pas
à pas les expériences faites par les entrepri-
ses privées, se contenta de leur faire des re-
commandations en vue de la sécurité publique.
Ainsi, elle leur conseilla successivement l'em-
ploi d'armatures convenables dans les chau-
dières à surface plane, l'isolement complet
des chaudières dansies bateaux qui en conte-
naient deux, et la séparation, par de fortes
cloisons, du local des chaudières et des salles
BAT 355
où se tiennent les passagers. Enfin, l'ordon-
nance du 23 mai 1S43, résultat de quinze ans
d'observations continues, refondit toute la ré-
flementation précédente, et les règles qu'elle
tablit sont encore aujourd'hui celles qui sont
suivies. En voici les principales dispositions.
Les bateaux à vapeur sur rivières doivent se
pourvoir d'un permis de navigation délivré
par le préfet. La demande de permis doit com-
prendre : le nom du bateau, ses principales di-
mensions, son tirant à vide et sa charge maxi-
mum, exprimée en tonneaux de 1,000 kilo.;
laforce de l'appareil moteur, exprimée en che-
vaux vapeur ; la pression, évaluée en nombre
d'atmosphères, sous laquelle cet appareil doit
fonctionner ; la forme de la chaudière, le ser-
vice auquel le bateau sera destiné ; les points
de départ, de stationnement et d'arrivée ; le
nombre maximum des passagers; enfin, un
dessin géométrique de la chaudière. Cette de-
mande est ensuite soumise par le préfet à la
commission de surveillance du département.
— Cette commission doit alors porter son at-
tention sur les conditions de solidité et sur les
précautions requises pour le cas où le bateau
serait destiné à un service de passagers ; sur
les mesures de sûreté relatives à l'appareil
moteur, et particulièrement sur son généra-
teur; sur les précautions nécessaires pour
prévenir les chances d'incendie. La commis-
sion doit de plus assister à un essai du bateau
à vapeur, afin de vérifier si l'appareil moteur
a une force suffisante pour le service auquel
le bateau est destiné, et elle doit constater ;
1° la hauteur des eaux lors de l'essai; 2° le
tirant d'eau du bateau ; 3° sa vitesse en mon-
tant et en descendant; 4° les divers degrés de
..tension de la vapeur dans l'appareil moteur,
pendant la marche du bateau. — Ces conditions
préliminaires remplies, le permis est délivré.
Ce permis, qui n'est valable que pour un an,
doit, en dehors des indications comprises dans
la demande et dans le procès-verbal de véri-
fication de la commission de surveillance,
énoncer la tension maximum de la vapeur, ex-
primée en atmosphères, et en fractions déci-
males d'atmosphère sous laquelle l'appareil
moteur devra fonctionner; les numéros des
timbres dont les chaudières, tubes bouilleurs,
cylindres et enveloppes de cylindres auront été
frappés; le diamètre des soupapes de sûreté
et leur charge. Il contient enfin toutes les
prescriptions d'ordre et de police locale né-
cessaires. Copie en est transmise aux préfets
des départements traversés par la ligne de
navigation, afin qu'ils prescrivent les dispo-
sitions conformes, à observer dans leurs dé-
partements.
A chaque renouvellement annuel du permis,
la commission de s'urveillance doit être con-
sultée. Cette commission doit, chaque année,
visiter tous les bateaux de sa circonscription.
Dans le cas où un bateau à vapeur vient h être
construit dans un autre département que ce-
lui où il doit entrer en service, le propriétaire
doit obtenir une autorisation provisoire du
préfet du département où son bateau a été
construit, puis obtenir un permis définitif de
navigation du préfet dans le département du-
quel le bateau doit naviguer.
Toute pièce devant renfermer de la vapeur
doit être éprouvée avant d'être installée.aLes
épreuves, même celles des cylindres et enve-
loppes en fonte, sont faites au triple de la
pression effective. Elles doivent avoir lieu
tous les ans. De plus, elles peuvent être re-
nouvelées après l'installation de la machine,
en cas d'avaries, de modification ou de répa-
rations. Les chaudières à face plane dont la
tension de la vapeur ne dépasse pas, à l'inté-
rieur, une atmosphère et demie sont dispensées
d'épreuves. Cependant, les explosions de chau-
dières à basse pression fonctionnant sur les
bateaux ont été assez multipliées pour faire
contester la sagesse de cette exception.
Les chaudières doivent être munies de cer-
tains appareils de sûreté, tels que soupapes,
manomètres, indicateurs du niveau de l'eau,
et moyens d'alimentation. Indépendamment
de leurs soupapes ordinaires, les chaudières
à face plane doivent être munies d'une sou-
pape atmosphérique, c'est-à-dire disposée de
manière à s'ouvrir du dehors en dedans. Cette
soupape a pour but de prévenir l'accident qui
consiste dans l'écrasement d'une ou plusieurs
faces de la chaudière, lorsque, par l'effet du
refroidissement, la vapeur vient à se con-
denser en partie dans l'intérieur, et que la
pression extérieure de l'atmosphère devient
prépondérante. En ce qui concerne l'alimen-
tation, indépendamment de la pompe ordinaire,
chaque chaudière doit être pourvue d'une au-
tre pompe pouvant fonctionner soit a l'aide
d'une machine particulière appelée petit che-
val, soit à bras d'homme, et destinée à ali-
menter la chaudière, s'il en est besoin, lorsque
la machine motrice du bateau ne fonctionne
pas.
En cas d'installation de plusieurs chaudiè-
res sur un même bateau, leur alimentation doit
se faire séparément, et leurs communications
ne peuvent avoir lieu que par les espaces oc-
cupés par la vapeur. L'emplacement des ap-
pareils moteurs doit être disposé de manière
à ce qu'on puisse facilement les visiter. Cet
emplacement doit, en outre, être séparé des
salles des passagers par des cloisons en feuil-
les de tôle, suffisamment épaisses pour em-
pêcher, en cas de déchirure de la chaudière,
l'eau bouillante et la vapeur de se répandre
dans ces salles.
356 "
Le garde-corps doit être d'une hauteur suf-
fisante pour la sûreté des voyageurs. Chaque
bateau doit avoir à bord un mécanicien et
autant de chauffeurs que peut en nécessiter
l'appareil moteur. De plus, nul ne peut être
employé comme capitaine ou mécanicien, à
moins de produire des certificats de capacité
délivrés dans des formes déterminées par le
ministre des travaux publics. Les individus
que les propriétaires de bateaux à vapeur veu-
lent employer comme capitaines ou mécani-
ciens doivent être, au préalable, désignés au
préfet, qui fait examiner le capitaine par l'in-
specteur de la navigation, le mécanicien par
l'ingénieur en chef, président de la commis-
sion de surveillance, et c'est ensuite sur le
vu du procès-verbal d'examen, que le préfet
accorde ou refuse la commission demandée.
Autant que possible, les lieux de stationne-
ment des bateaux à vapeur doivent être dis-
tincts de ceux des autres bateaux, et même
chaque entreprise doit avoir un emplacement
particulier, dont elle a la jouissance exclusive,
a condition d'y faire, à ses frais, toutes les dis-
Ïiositions convenables pour l'embarquement et
e débarquement des voyageurs et des mar-
chandises. En cas de concurrence entre deux
entreprises, le préfet règle les heures de dé-
part de manière à éviter les luttes pouvant
amener des accidents. C'est aussi le préfet
qui détermine les conditions de solidité et de
stabilité des batelets destinés au service d'em-
barquement et de débarquement des passa-
gers. — La sollicitude administrative s'est
aussi préoccupée des règles à observer quand
deux oateaux viennent à se rencontrer, soit
qu'ils marchent en sens contraire, soit qu'ils
marchent dans le même sens avec des vites-
ses différentes ; elle indique ce que doit faire
le bateau montant, et ce que doit faire le ba-
teau descendant. Dans les rivières à marée,
le bateau qui vient avec le flot est censé des-
cendre. Les précautions à prendre à l'appro-
che des ponts, pertuis et ouvrages d'art, la
manœuvre à faire quand des batelets abor-
dent le bateau pour prendre ou déposer des
voyageurs-ou des marchandises, tout cela est
compris dans la réglementation. Pendant la
nuit, les bateaux à vapeur doivent tenir con-
stamment deux fanaux allumés, l'un à l'avant,
l'autre à l'arrière! Ces deux fanaux sont a
verres blancs lorsque le bateau descend, et à
verres rouges lorsqu'il monte. En cas de brouil-
lard, le capitaine doit faire tinter continuelle-
ment la cloche, pour éviter les abordages.
Le mécanicien doit présider à la mise en
feu, entretenir toutes les parties de la ma-
chine, diriger les chauffeurs, noter sur un re-
gistre ad Koc les principales circonstances de
la marche de la machine. L'entrée du lieu où
se trouve la machine est absolument interdite
aux voyageurs. Chaque bateau doit avoir un
registre particulier, sur lequel les voyageurs
ont la faculté dé consigner leurs observa-
tions relatives au départ, à la marche ou à la
manoeuvre. Le permis de navigation est affi-
ché dans la salle des passagers; on y affiche
également un tableau indiquant la durée
moyenne des voyages, tant en montant qu'en
descendant, et en ayant égard à la hauteur
des eaux, la durée des stationnements, le
nombre maximum des passagers, la faculté
que ceux-ci ont de consigner leurs observa-
tions sur un registre spécial ; enfin le prix des
places.
La surveillance administrative des bateaux
à vapeur est confiée aux préfets ; les bateaux
doivent être visités au moins tous les trois
mois, et chaque fois que le préfet le juge con-
venable. Sur la proposition des commissions
de surveillance, le préfet peut ordonner la
réparation et le remplacement de toutes les
„ pièces dont un plus long usage présenterait
des dangers. Il peut suspendre le permis de
navigation jusqu'à l'exécution de ces mesu-
res, et même, au cas où la sûreté publique lui
Earaitrait compromise, révoquer ce permis.
,es propriétaires de bateaux sont tenus de
recevoir à bord et de transporter gratuite-
ment les inspecteurs de la navigation, les
gardes-rivières, et tous les agents qui sont
spécialement chargés de la police et de la
surveillance des bateaux à vapeur. En cas
d'avaries, de nature à compromettre la sûreté
de la navigation, la police locale a le droit
d'arrêter la marche du bateau, sauf à infor-
mer immédiatement le préfet, qui, à son tour,
met sur-le-champ en mouvement la commis-
sion de surveillance.
La navigation des bateaux à vapeur en mer
est réglée par l'ordonnance du 17 janvier 1846.
Les mesures de sûreté applicables aux appa-
reils à. vapeur sont, en général, les mêmes sur
mer que sur lés fleuves; mais certaines de
ces mesures diffèrent : ce sont celles qui se
rapportent a la construction, à l'armement,
aux équipages, aux heures de départ et au
mode de surveillance. Les permis de naviga-
tion maritime sont, comme les permis de na-
vigation fluviale, délivrés après examen et
rapport des commissions de surveillance éta-
blies dans les ports de mer où se trouve le
siège des entreprises. Ces commissions, de-
vant indispensablement posséder, en dehors
des connaissances sur les machines à vapeur,
celles qui ont pour objet la construction, la
stabilité et l'armement des bâtiments qui na-
viguent sur mer, comprennent des ingénieurs
des mines et des ponts et chaussées, en rési-
dence dans le port, les officiers du génie ma-
ritime, le commissaire ou préposé à l'inscrip-
tion maritime, et le capitaine, lieutenant ou
maître de port résidant sur les lieux : le dé-
faut de solidité dans la construction, ou de
proportions convenables (dans la forme de la
coque, donnant lieu à autant de sinistres que
les vices de construction ou la mauvaise con -
duite des appareils à, vapeur, il est recom-
mandé aux commissions de se faire assister,
dans l'examen du navire, de constructeurs et
de toutes personnes spécialement compéten-
tes, d'exiger la présentation des contrats faits
par les armateurs avec les constructeurs, con-
trats dans lesquels sont généralement stipu-
lées les dimensions et la nature des maté-
riaux de bois ou de fer employés à la con-
struction de la coque. Leur attention se porte
spécialement sur le danger si grave des in-
cendies dans la navigation maritime, et sur la
distance à laquelle les soutes à charbon sont
placées des fourneaux. Mais cette distance
bien observée n'est pas une précaution suf-
fisante, puisqu'il y a des exemples d'inflam-
mation spontanée des charbons dans les sou-
tes. Aussi, dispose-t-on ces soutes de" telle
sorte que l'incendie quis'y manifesteraitpuisse
être promptement étouffé. La division d'un
bâtiment à vapeur en cinq compartiments, sé-
parés par de fortes cloisons en tôle impéné-
trable a l'eau, est recommandée comme le meil-
leur des moyens de sûreté en cas de collision
avec un autre navire, de choc contre un
écueil, ou de tout autre accident déterminant
une voie d'eau considérable. Cette division,
qui permet de limiter, de combattre et d'é-
touffer les incendies, sans être positivement
prescrite, est recommandée comme ayant été
jugée très-utile par les constructeurs mariti-
mes les plus compétents.
Les voyages par mer pouvant avoir une
très-longue durée, il n'est pas possible d'im-
poser le renouvellement annuel du permis ;
mais les bateaux sont souvent visités, et
notamment à leur retour de longues tra-
versées.
Afin d'éviter, autant que possible, les abor-
dages et les rencontres de nuit, les bateaux à
vapeur de la marine marchande doivent por-
ter, à leur tambour et en fête de leur mât, les
mêmes feux que les bâtiments à vapeur d,e
l'Etat. Par suite d'un commun accord entre
les gouvernements de France et d'Angleterre,
tous les bateaux à vapeur des deux nations,
qui sont en route, doivent porter, depuis le
coucher du soleil jusqu'à son lever, un feu
blanc en tête du mat de misaine, un feu vert
à tribord, un feu rouge à bâbord, et lorsqu'ils
sont au mouillage un feu blanc ordinaire. —
Le feu de tète de mât doit être visible à au
moins cinq milles de distance; les feux de cou-
leur à distance d'au moins deux milles. Le fa-
nal employé au mouillage doit être construit
de manière à donner une bonne lumière tout
autour de l'horizon. Le décret du 17 août 1852 -
a apporté quelques modifications dans la forme
de ces feux. Les connaissances exigées des
capitaines et des mécaniciens sont beaucoup
plus grandes que pour la navigation fluviale.
Les mécaniciens doivent, en outre, en cas de
longues traversées, justifier de leur aptitude
pour réparer les pièces du mécanisme ou des
générateurs qui viendraient à manquer. C'est
là. assurément une réglementation des plus
minutieuses; mais ne trouve-t-elle pas am-
plement sa justification dans l'extrême rareté,
chez nous, de ces accidents et catastrophes
qui arrivent si souvent en Amérique, où ces
mêmes précautions sont inconnues ou restent
à l'état de lettre morte?
Baicnu (RENDEZ-MOI MON LÉGER). Par. de
Samt-Elme Champ. Mus. d'Edouard Brugnière.
Brugnière vint à Paris en 1824, et s'y fit
connaître aussitôt par quelques productions
gracieuses dont le Bateau est la plus saillante.
De ce Bateau descendirent les nacelles et les
gondoles qui ont si longtemps sillonné le
fleuve de la romance. Plaisanterie à part, si
les paroles de cette composition sont faibles
au dernier point, la musique est charmante et
digne de l'accueil enthousiaste que lui firent
les dilettantes de la Restauration.
^^^^^^
On m'a - vait dit, sur
un au-tre "ri-va-ge, Banales ci-
Ifel i^m^=f
- teau Et ma chau - mine au bord de
l'eau,
- tés vasener - cher le bon - heur.
Dans les ci - tés, rien n'a sé-duit mon
cœur, Et je re - viens
Et ma chau - mine au bortî u«
- teau, L'azur du lac pai - sible et ma rame Ile-
l'eau... Ma chaumine au bord de IVau!
2c Couplet.
Sous ces lambris où la pourpre étincelle
Je n'avais plus ma douce liberté.
De noirs soucis étouffaient ma gai té,
J'avais perdu tout bonheur avec elle.
Rendez-moi, etc..
3e Couplet.
Je veux ravoir ces jeux sur la fougère
Qu'un triste ennui ne refroidit jamais;
Je veux revoir ce ciel pur que j'aimais,
Je veux m'asseoir au foyer de mon père !
Rendez-moi, etc..
BATEDORs. m. (ba-te-dor). Agric. Machine
dont les Brésiliens se servent pour égrener le
maïs. On l'appelle aussi MANJOLA.

BÂTÉE
s. f. (ba-té). Techn. Terre pétrie
en une fois dans la caisse du verrier, u Grande
éçuelle de bois pour le lavage des sables au-
rifères. V. BATTEE.

BATELAGE
s. m. (ba-te-la-ie — rad. bate-
ler). Transport par petits bateaux opéré
d'un navire au rivage, et réciproquement :
Le BATELAGE commence; il y a foule sur l'eau.
(A. Jal.) u Droit de transport payé à un bate-
lier.
— Exercice du métier de bateleur : Je
n'aime pas qu'on fasse un BATELAGE de la foire,
du temple de Corneille. (Volt.) Ils amassèrent
beaucoup d'argent par ce BATELAGE. (D'A-
blanc.)
— Faire le batelage, Aller chercher avec
des canots ou des chaloupes le poisson pris
en mer. Il Transporter à bord d'un bateau pê-
cheur les ustensiles nécessaires pour la pêche.

BATELÉ
ÉE (ba-te-lé). part. pass. du v.
Bateler : Des charbons BATELÉS.
— Prosod. V. BATTELÉE.
BATE LÉ E s. f. (ba-te-lé — rad. bateau).
Charge, contenu d'un bateau : Une BATELÉE
de promeneurs. Une BATELÉE de fruits.
— Fig. Grande quantité : Une BATELÉE de
gens.
— Jurispr. marit. Poids réglementaire que
les ordonnances de marine défendent à un
bateau de dépasser, pour éviter les accidents,
et qui est ordinairement réglé par le nombre
de personnes qu'il doit prendre, si c'est un
bateau de passage.

BATÈLEMENT
S. m. V. BATTELLEMENT.

BATELER
v. a. ou tr. (ba-tc-lô — rad. ba-
teau. — Double / devant uno syllabe muette :
Je BATELLE, tu BATELLERAS). Transporter par
bateaux : BATELER du poisson.
— Absol. Conduire un bateau, il Peu usité.
BATELER v. n. ou intr. (ba-tc-lé — rad. ba-
teleur. — Doublo l devant une syllabe muette : *
Je BATELLE, il BATELLERA). Débiter ou faire
des bouffonneries comme un bateleur.

BATELERIE
s. f. {ba-te-le-rî — rad. bate-
leur). Tour ou bouffonnerie de bateleur, n Peu
usité.
BATELETs. m. (ba-te-lè — dim. de bateau).
Petit bateau : PGUT traverser la cataracte, on
s'aventure sur un petit BATELET ajusté comme
une pirogue de sauvage. (V.Hugo.) Un BATELET
gui traverse le Rhin à cet endroit-là, avec ses
deux avirons, y fait un bruit formidable. (V.
Hugo.)

BATELEUR
EUSE (ba-te-leur, cu-ze —
rad. bâton). Individu qui amuse le public en
Slein vent, par des bouffonneries, des tours
e force ou d'adresse : Il y a eu, dans toutes
les épogues, de bons BATELEURS; mais les plus
célèbres que nous ayons eus en France, suivant
Clément et l'abbé De la Porte, sont : Tabarin,
Turlupin, Gauthier-Garguille, Gros-Guillaume
et Guillot-Gorju. (Jullien.) Nous nous arrê-
tâmes dans une bourgade, où nous eûmes le
divertissement d'une pièce jouée par des BA-
TELEURS. (Le Sage.) Son ancien métier de BA-
TELEUR et de soldat lui donnait des facilités
singulières pour ces sortes d'ascensions obsidio-
nales. (Th. Gaut.) Que l'enchanteresse portât
le ruban bleu de Marie, ou les affïquets de la
petite BATELEUSE, c'étaient toujours ses yeux
noirs, sa taille voluptueuse. (Cl. Robert.)
Ah! ce n'est pas la moindre entre tant de douleurs, Que de vous voir mêlée a ces vils bateleurs.
V. HUGO.
Sorciers, bateleurs ou filous,
Gais bohémiens, d'où venez-vous?
DÉRANGER.
— Par dénigr. Bouffon de société : Vous
pourriez être un homme sensé, si vous ne préfé-
riez être un BATELEUR. Il Acteur : Laissez tous
ces BATELEURS qui gagnent leur vie à amuser
le public. Ils se mettent en frais pour des valets.
des filles publiques et des BATELEURS. (Droz.)
— Fig. Charlatan : Il y a des fripons de
moralité, des BATELEURS de vanité. (Balz.)
— s. m. Ornith. Nom donné à un genre
d'oiseaux de proie diurnes, de la famille des
aigles, mais ayant beaucoup d'analogie avec
les vautours, et comprenant une seule espèce,
qui accomplit dans l'air des évolutions et des
cabrioles, qui ont fait donner au genre tout
entier le nom qu'il porte : Le BATELEUR com-
mun a une queue excessivement courte.
— s. ï. Ornith. Espèce d'alouette d'Aïrique.
— Encycl. Suivant l'Académie, le bateleur
est celui qui fait des tours de passe-passe au
moyen d'un bâton qu'il tient à la main, et, par
extension, celui qui monte sur des tréteaux dans '
les foires et sur nos places publiques, commo
les charlatans, les joueurs de farces, les dan-
seurs de corde, les diseurs de bonne aventure,
les arracheurs de dents, les marchands de vul-
néraire, les escamoteurs, les jongleurs, les sau-
teurs, les ventriloques,les gilles, les paillasses,
entin tous les sujets de cette bohème qui vient,
à grand renfort de cymbales et de grosse caisse,
sur la place publique, pour amuser la populace
et lever sur elle un impôt de gros sous. Cet
Hercule qui soulève des poids à bras tendus,
bateleur; cet Orphée qui racle une corde à
boyau en faisant des grimaces, bateleur; ce
Gargantua qui s'empiffre d'étoupes allumées,
dévore des épées nues et se régale de cailloux,
bateleur; cet homme incombustible, cette
femme a barbe, ce géant écossais, ce nain
difforme, ce marchand de crayons a panache
ondoyant, cet opérateur à cuirasse éclatante,
cette tireuse de cartes a, jupe bariolée, ces
montreurs d'ours ou de veaux a deux têtes, ces
joueurs de marionnettes, ces chanteurs de com-
plaintes, ces musiciens ambulants, qui jouent
a la fois de cinq ou six instruments et imitent
le cri des animaux, bateleurs, bateleurs. Bate-
leur est donc un terme général, le nom donné
à tous ces apôtres du rire-grimace, do la gaieté
forcée, auxquels les dieux Cornus et Momus ont
dit : Allez, et amusez les badauds, depuis le
pôle brûlant jusqu'au pâle glacé. Quiconque
amasse la foule par ses gasconnades, ses hâ-
bleries, ses cocasseries, et amène le badaud k
cracher dans le bassinet de son escarcelle, en
arrachant une molaire, en escamotant la mus-
cade, en dressant son mollet sur son occiput,
en ramenant sur l'estomac l'éminence qui dé-
core son épine dorsale, en balançant ses tibias
sur la corde roide; en déclamant des drôleries
sur le Grand Mogol, des gaillardises sur la
reine de Saba, des âneries sur le roi de Con»o,
des cocasseries sur la sultane favorite, des
coq-à-1'âne sur le schah de Perse; celui-là est
un bateleur.
Bateleur et badaud sont deux termes re-
latifs : l'un naît de l'autre. Supprimez le ba-
daud; du même coup vous pulvérisez le bate-
leur, et réciproquement. Est-ce le badaud qui
a créé le bateleur, est-ce le bateleur qui a fait
le badaud? i\neslïon insoluble, comme celle de
l'œuf et de la poule. La science embryogônique
croit qu'ils sont nés simultanément, par suite
d'un rapprochement soudain, en pleine place
publique. Le mot bateleur vient de bâton, voila
qui est convenu, et si l'on nous objecte qu'au-
jourd'hui les bateleurs ont des bâtons, à peu
près comme les gallinacés ont des dents, nous
répondrons que rien n'est menteur comme uno
préface, une dédicace, une épitaphe, et surtout
une étymologie : carabinier vient de carabine,
parce que le carabinier est un soldat qui ne
porte point de carabine.
Quoi qu'il en soit, ce nom de bateleur, qui,
dès le xvc siècle, remplaça ceux de jongleur
ou d'histrion, a été indifféremment donné de-
puis longtemps aux baladins, farceurs, para-
distes, charlatans et amuseurs publics géné-
ralement quelconques, vivant au jour le jour
du produit de leurs tours, momeries, jongleries
ou hâbleries, et cherchant sans cesse le moyen
de faire rire leurs auditeurs, d'amuser la po-
pulace, d'en imposer au badaud crédule, afin
de- faire tomber quelques sous dans l'escarcelle
posée devant eux. « Le métier du bateleur est
de tromper le peuple en ayant l'air do le di-
vertir » dit une encyclopédie que nous avons
sous les yeux. Nous trouvons ce jugement bien
sévère pour quelques-uns" surtout de ces ar-
tistes nomades, bohémiens de notre civilisation,
qui gagnent si péniblement le pain quotidien,
riant de leurs propres difformités, acceptant la
laideur avec reconnaissance et comme la pre-
mière mise de fonds de leur pénible industrie,
se rendant ridicules, grotesques ou repoussants
à. plaisir, pour mieux exciter la gaieté et la
générosité de « l'honorable société. » Naissant
on ne sait où, allant on ne sait où, mourant on
ne sait où: aflamés, besoigneux, méprisés;
dépensant des trésors de ruse et d'adresse,
d'éloquence et de diplomatie, de patience et
de courage, pour aboutir à l'humiliation, à la
misère, au faux pas qui les jette brisés sur le
pavé. Ces derniers mots s'adressent, il est vrai,
plus particulièrement aux acrobates propre-
ment dits; mais à tous les autres quel avenir
est donc réservé? L'hôpital, voilà ce qui les
attend de mieux-, jadis ils mouraient au coin
d'une borne ou d'un bois, et on les jetait à la
voirie. L'histoire nous apprend pourtant que
quelques bateleurs devinrent riches. Mais il
faut tout dire : ceux que la fortune favorisa
ne furent pas les plus méritants; ils furent les
plus... audacieux, et la fortune, qui est femme,
favorise les audacieux : Audaces fortunajuvat.
D'ailleurs, on ne les rencontre guère que dans
la classe toute spéciale des arracheurs de
dents, marchands d'orviétan et empiriques.

iiommes bienfaisants et méconnus, qui mettent
le grand art de guérir à la portée de toutes les
bourses, et à qui la sottise humaine refuse ra-
rement une maison de campagne et des rentes
sur l'Etat. Les autres sont de pauvres diables
déclassés, que des infortunes ou la mauvaise
conduite lancent sur la place en leur criant :
- Saute, paillasse ! » Chez ceux-là, se trouvent
parfois des intelligences d'élite, qui sentent
toute l'humiliation de leur métier. 11 nous sou-
vient — c'était sur la place de la Bastille —
avoir entendu sortir un mot singulier de la
bouche d'un de ces dévoyés. Il était en train
d'exhiber ses grimaces les plus fantastiques,
de débiter ses âneries les plus spirituelles,
d'exhumer pour la centième fois ses calem-
bours les plus désopilants; mais aucun décime
ne passait de l'escarcelle dans la sébile tradi-
tionnelle ; ce jour-là, tout l'auditoire était
. jaune citron; on eût dit que chacun avait pris
médecine, ou qu'il était en train de ne pas
payer un terme échu depuis quinze jours.
On ne l'écoutait pas. L'orateur recourut ^
A ces bâcises violentes
Qui savent exciter les âmes les plus lentes;
Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu'il put;
Le vent emporta tout; personne ne s'émut.
L'animal aux tûtes frivoles,
Ne daignait l'écouter;
Tous regardaient ailleurs; il en vit s'arrêter
A des combats d'enfants, et point à ses paroles.
Que fit le bateleur?...,.
Il changea dé ton : « Ah çal crétins, s'écria-
t-il — c'était sans doute un ex-rédacteur de
notre spirituel Tintamarre — Ah çal idiots,
croyez-vous donc que je suis venu ici pour
m'amuser? » Et il leva majestueusement la
séance aux applaudissements de tous les ba-
dauds. Quand Frederick Lemaître lançait une
de ces fusées aux impatients du parterre, on
l'obligeait à présenter des excuses, et cela
n'était que justice :
C'est un droit qu'a la porte on achète en entrant.
Le saltimbanque jouit de plus de liberté, et
cette liberté de tout dire est sa représentation
à béuéfice. Le public, qui vient la bénévole-
ment, et qui ne paye rien, même en sortant, a
le droit d'applaudir; il n'a pas celui de bâiller.
Mais ces funèbres digressions ne convien-
nent pas à notre sujetj reprenons donc bien
vite le fil de notre discours. Un petit Dic-
tionnaire pittoresque de Cousin d'Avallon (Pa-
ris, 1835), aujourd'hui introuvable, définit le
bateleur un homme qui réussit faiblement sur
lés planches une manière de gambader assez
commune dans le monde : l'aperçu ne manque
pas de saveur. Le Dictionnaire de la Conver-
sation, de son côté, dit, mais plus lourdement,
que o le nom de bateleur peut être appliqué à.
tous ceux qui, dans les relations d'une société
ftlus relevée (plus relevée que quoi ?), apportent
es prestidigitations de la foire, et qui, grâce à
la jactance, aux petites manœuvres des com-
pères, aux journaux, aux annonces, parvien-
nent à se créer une réputation usurpée, à
attraper les niais de salon, plus nombreux
eut-être encore que ceux de la place pu-
lique. » Cependant ce mot, qui est d'un si
grand secours pour l'allusion, est peu employé
aujourd'hui. Il a été détrôné, ou peu s'en faut,
par un autre qui englobe mieux que lui encore,
si cela est possible, dans ses quatre syllabes
avenantes .et dansantes, toutes les étonnantes
variétés de parasites à qui le dieu de la cré-
dulité, de l'ignorance et de la badauderie donne
chaque jour la pâture. Ce motest saltimbanque,
mot générique sous lequel on confond mainte-
nant toutes ces classes d'amuseurs, de cabri o-
leurs et de dupeurs, qui avaient autrefois leurs
attributions sui generis, et qui, maintenant, — ô
bienfaits de la centralisation 1 — ne forment
plus qu'une seule et vaste tribu.
Quel que soit aujourd'hui l'état misérable
des bateleurs, et le peu d'importance de leur
rôle, il est certain que c'est par eux que com-
mença notre théâtre comique. Ils le prirent un
peu gauchement à l'état embryonnaire, et quand
il fut né au bruit de leurs chansons graveleuses
sur les tréteaux de la vieille farce gauloise,
ses pères nourriciers le firent sauter "et
bondir dans ses langes plébéiens où il pouvait
tout oser, lui frottant le naseau d'une gousse
d'ail, et lui donnant du vin à teter comme le
roi de Navarre à son petit-fils Henri IV. Certes,
Us ne lui enseignèrent ni le beau langage, ni
. les grâces décentes ; trop souvent même, ils le
conduisirent au cabaret et dans les mauvais
lieux; mais, après tout, ils lui apprirent à ré-
fléchir sur ce mot de Pétrone, traduit, com-
menté par Montaigne, et qu'un clerc sceptique
et dégoûté leur avait sans nul doute répété en
grignotant son pain sec trempé dans l'eau
claire : totus mundus ezcrcet histrionem, tout
le monde joue la comédie; le monde est un
histrion. « D'illustres farceurs remplissaient
alors, comme aujourd'hui, la scène du monde,
et le peuple, méprisé, n'avait pour se dédom-
mager de leur insolence qu'une arme; arme
terrible, il est vrai : la satire. Cette arme, les
bateleurs s'en emparèrent, et s'abritant derrière
le rire au gros sel et le coq-à-1'âne, derrière
l'emphase ridicule et la bouffonnerie ordurière,
ils firent feu de leur plantureuse et grotesque
éloquence sur les grands, qui mangent les pe-
tits, qui se laissent manger par les grands ; ils
firent les fous, les niais, pour avoir la liberté
de tout dire et de tout oser, sans que cela tirât
à conséquence; ils ouvrirent de grands yeux
où brillait, pour qui savait voir, l'esprit
BAT
gausseur, narquois et badin de Jacques Bon-
homme ; ils s'élargirent la bouche, s'allon-
gèrent les oreilles, se rendirent laids et dif-
formes à plaisir, afin de dauber avec pleine
licence sur les vices et les travers, regardant
du.haut de leurs quatre planches, à travers
leurs masques grossiers, le flux et le reflux de
la grande marée humaine, écrivant chaque
: jour, à leur manière, le journal du moment,
chatouillant jusqu'aux larmes la fibre popu-
laire. Oui, les bateleurs ont cette gloire et cet
honneur, d'être les ancêtres de la comédie
française. De leurs rangs sont sortis des bouf-
fons de mérite, qui servirent de transition entre
les jeux de la Basoche et ceux de l'hôtel de
Bourgogne. Molière a ri de leurs parades, et
il_en a largement profité. L'académicien Saint-
Amand et les poètes de son temps allaient en-
tendre assidûment les bateleurs du Pont-Neuf
pour se former à l'éloquence (Œuv. de Saint-
Amand, édit. Elzévir, t. 1er, p. 215). En
France, comme en Angleterre, comme partout
sans doute, l'art de la scène éclôt dans la rue,
Le premier théâtre de Shakspeare et le pre-
mier théâtre de Molière se ressemblent : un
échafaudage, où l'on monte par une échelle,
en fait tous les frais. Molière et Shakspeare,
ourquoi ne le dirait-on pas, furent d'abord des
ateleurs, imitèrent les bateleurs, arrachèrent
aux bateleurs le grossier vêtement de la farce,
l'ornèrent de cent façons après l'avoir taillé
et découpé, et en firent une magnifique tunique,
ui ne peut renier son origine plébéienne,
ait-on tout ce que notre grand comique doit
à ces trois histrions célèbres : Gauthier-Gar-
uille, Gros-Guillaume et Turlupin, qui, avant
'être des comédiens de l'Hôtel de Bourgogne,
avaient été des bateleurs de la Porte Saint-
Jacques? le petit Poquelin, âgé de douze ans
à leur mort, avait, selon l'expression de M. Eu-
gène Noël, recueilli un souffle de leur amitié,
de leur gaieté naïve et courageuse. Gros-
Guillaume, Gauthier-Garguille et Turlupin
avaient commencé par jouer des farces de leur
invention sur un théâtre portatif, dans un'jeu
de paume; les comédiens de l'hôtel de Bour-
gogne, dont les planches ressemblaient de si
f»rès à celles de la place publique, après avoir
ongtemps souffert de leur concurrence, finirent
par les engager dans leur troupe. Nous pour-
rions multiplier les exemples. Mais n'a-t-on
pas vu suffisamment qu'on ne saurait faire
l'histoire des bateleurs, sans toucher aux ori-
gines de notre art dramatique ?
Le métier de bateleur remonte aux temps
les plus éloignés. Les Grecs, qui avaient les
comédiens en grand honneur, le connaissaient ;
et nous voyons, dans le vie siècle av. J.-C,
Dolon et JSusarion d'Icarie l'exercer avec
succès à Athènes. Les Romains firent peu de
cas das bateleurs, qui ne pouvaient pas être
enrôlés dans les armées. Plaute, auteur, acteur
et chef de troupe, comme plus tard Shakspeare
et Molière, se trouva plus d'une fois en con-
currence avec des gladiateurs, des entrepre-
neurs de combats d'animaux et des bateleurs.
Les Gaulois n'avaient pas de théâtre; seule-
ment, ils se livraient à des exercices publics et
à des jeux souvent meurtriers, où l'adresse
entrait toujours en première ligne. Un de ces
jeux, qu'ils appelaient le jeu du pendu, con-
sistait à suspendre celui que le hasard dési-
gnait à un arbre, à l'aide d'une corde qu'on
lui passait autour du cou. On lui mettait à la
main une épée dont le tranchant était bien
affilé; il devait couper la corde, au risque de
rester étranglé s'il n'y parvenait pas. Ce spec-
tacle provoquait la gaieté et les plaisanteries
de nos rudes ancêtres. Devenue romaine, la
Gaule emprunta à ses vainqueurs leurs diver-
tissements et leurs spectacles ; « ce furent
d'abord des jeux grossiers et en rapport avec
l'état des mœurs, dit un écrivain anonyme ;
des courses du cirque, des représentations
scéniques d'une gaieté licencieuse, et dans
f lesquelles des histrions se laissaient aller à des
paroles et à des gestes obscènes. Mais à.me-
sure que la civilisation romaine pénétra dans
les Gaules, les mœurs s'adoucirent, le goût
s'épura, et le théâtre dut se régler sur celui
de Rome. C'est ce que prouve 1 existence in-
contestable, sur tous les points de la Gaule, d'un
grand nombre de monuments destinés aux
représentations dramatiques. Les invasions
des Barbares, la ruine des villes gauloises, la
destruction des monuments qu'elles renfer-
maient, amenèrent la cessation momentanée
des spectacles; mais après l'entière soumis-
sion du pays, quelques rois mérovingiens
firent encore célébrer les jeux du cirque. Con-
tentons-nous de citer les jeux donnés par
Childebert Ier^ a Arles, et par Chilpérlc 1er, à
Paris et à Soissons, en 587 ; ce dernier avait
même, dans son admiration pour la civilisation
romaine, fait construire des cirques dans ces
deux villes. Cependant les jeux romains fini-
rent par disparaître entièrement. Alors les
histrions et les bateleurs prirent leur place. »
Depuis longtemps, les mimes et les faiseurs de
tours étaient en faveur. On les signale au
JVC siècle, alors que le théâtre païen, loin
d'avoir pu encore être aboli par le christia-
nisme, jouit un moment d'une certaine recru-
descence; on les signale encore dans le siècle
suivant, a l'heure où s'etfectue, entre l'idée
païenne et l'idée chrétienne, un compromis
- littéraire, et qu'un troisième élément arrive,
qui disjoint tout à coup les deux idées et se
réunit à la plus jeune pour renverser la plus
ancienne. Ce terrible personnage, qui entre si
tragiquement en scène; cet acteur, dont le
rôle devait être si sanglant, s'appelait tout
BAT
simplement : les Barbares. Les nouveaux con-
quérants, grossiers et sauvages, s'amusèrent
des farces ridicules et licencieuses des bala-
dins (kistriones) et des bateleurs. L'Eglise s'op-
posa vainement au scandale de ces représenta-
tions. Charlemagne n'eut guère plus de succès
lorsqu'il renouvela contre les bateleurs le
quatre-vingtrseizième canon du concile d'Afri-
que, et que, dans son capitulaire de 789, il les
plaça au nombre des personnes infâmes inca-
pables d'être admises en témoignage. Les con-
ciles de Mayence, de Tours, Je Reims et de
Chalon-sur-Saône, tenus en l'année 813, firent
défense aux prélats et aux ecclésiastiques
d'assister aux exercices des histrions, sous
peine d'encourir une répression sévère; ajou-
tons que les membres du haut clergé, des
évoques, des abbés et même des abbesses,
avaient coutume d'appeler souvent auprès
d'eux des bateleurs pour se divertir de leurs
grossières facéties. Plus d'une fois même, des
cler.es s'étaient joints à eux pour jouer en pu-
blic des farces fort peu édifiantes. Les bate-
leurs avaient poussé la hardiesse jusqu'à se
revêtir d'habits sacerdotaux, et à mettre en
action certaines aventures de couvents. Reli-
gieux et religieuses étaient peu ménagés dans
ces scènes burlesques, si bien que le clergé
réclama, et que Louis le Débonnaire prononça
contre les auteurs de ces excès la peine du
bannissement. Ces sévérités déconsidérèrent
ceux qui en étaient l'objet. Les bateleurs furent
tellement décriés, l'Eglise les frappa d'une si
complète réprobation, qu'ils se dispersèrent et
disparurent peu à peu. Au ixc et au xe siècle,
les terreurs de la société, les calamités publi-
ques, les misères excessives, l'effroi général,
les exilèrent presque complètement. A l'avé-
nement de Hugues Capet, c'est à peine si l'on
en trouve quelques débris épars, confondus
avec les mimes et les baladins, et menant con-
curremment avec ces derniers une vie errante
et précaire. D'ailleurs, les troubadours, dans
les provinces du midi, et les trouvères, dans
les contrées du nord, allaient s'emparer de
l'attention publique. Les troubadours, comme
les trouvères, avaient des réunions générales
appelées cours d'amour, puys d'amour, gieux
sous formel, palùwds, où accouraient en
fqule des seigneurs et des dames de haute no-
blesse, et dans lesquelles ils se livraient des
combats poétiques. Ces solennités revenaient
annuellement. Là, les concurrents récitaient
des contes, des tensons, des fabliaux dialogues,
et les improvisaient quelquefois. Dans les in-
tervalles que laissaient ces exercices, qui
créaient pour la France une riche et féconde
littérature, un grand nombre de ces poètes
faisaient le métier de ménestrels, parcourant
les châteaux et les jmonastères, pour réciter
leurs ouvrages, et recevoir, en récompense
du plaisir qu'ils procuraient, des présents en
or, argent, bijoux, robes de prix, armures, che-
vaux , etc. Tous ne menaient pas cette existence
vagabonde; beaucoup étaient attachés à la
personne des princes et des grands seigneurs ;
d'autres, trop haut placés par leur naissance
et leur rang, eussent rougi d'aller de porte en
porte tendre la main, comme gueux de l'os-
tière. Ces derniers prirent à leur service des
jongleurs ou ménestrels, qui colportèrent les
œuvres de leurs patrons, lesquels, se conten-
tant de la gloire qu'ils en retiraient, leur en
abandonnaient les profits. Pierre de La Mula,
poète inconnu, dans un sirvente fort curieux,
se .plaint amèrement du métier qu'il fait, et
accuse une infinité de gens sans talent de se
mêler de jonglerie, et de dégrader la profession
par leur bassesse. « Je veux, dit-il, abandon-
ner le service des jongleurs; car plus on les
sert, moins on y gagne. Ils se sont multipliés au
point, qu'il y en a autant que de lapins dans une
garenne. On en est inondé. » Pierre de La Mula
nous apprend que les jongleurs vont deux à
deux en criant; a Donnez-moi, car je suis
jongleur, » et qu'ils injurient ceux qui ne leur
donnent rien. Ordinairement, le jongleur était
le chef d'une troupe composée de chanteurs,
de conteurs, de musiciens, de baladins, de far-
ceurs et de bateleurs qui s'associaient pour
mettre leurs talents et leurs profits en com-
mun, a Une ménestrandie bien composée, dit
M. Victor Fournel, avait ses poètes, ses musi-
ciens et chanteurs, ses farceurs et saltim-
banques. Les plaisirs du spectateur étaient
ainsi des plus variés, et, après avoir entendu
une chanson de geste et un concert de harpe,
il se reposait en écoutant les quolibets, en con-
templant les grimaces du jongleur et les gen-
tillesses du chien savant. -» Une estampe d'une
Bible du xc siècle, conservée à la Bibliothèque
de la rue de Richelieu, représente une de ces
troupes : tandis que les uns jouent de'la harpe,
de la trompe, de la flûte, les autres dansent, la
tête en bas et les pieds en l'air, jonglent avec
des épées, des poignards, des boules et des
anneaux. Ces comédiens errants allaient ani-
mer de leurs jeux les festins, les noces, les
assemblées plénières. Auxnieet au xiv<-'siècle,
on en vit souvent à Paris. Ils s'y fixèrent dans
une rue qui fut appelée rue des Jongleurs, et
qui plus tard devint la rue de Saint-fulien-des-
Ménétriers. Ils s'associèrent des femmes, qu'on
nommait jongleresses. On les louait pour di-
vertir les compagnies dans les maisons parti-
culières ; et la politique des rois, si l'on en croit
Dulaure, ne dédaigna pas leurs jeux pour les
faire servir à ses fins. Au xine siècle, Philippe
le Bel employa les jongleurs pour la représen-
tation d'une farce appelée ia Procession du Re-
nard, vive satire contre le pape Boniface VIII.
Une pareille farce, ordonnée par le roi, dut en
BAT 357
autoriser d'autres plus ou moins scandaleuses.
Aussi trouve-t-on, en 1395 (M septembre),
une ordonnance du prévôt de Paris, détendant
aux histrions, baladins, bateleurs, jongleurs et
autres, » de faire ou chanter en places ne
ailleurs, aucuns diz ou rhymes qui facent men-
tion du pape. » Il était enjoint, en outre, par
la même ordonnance de ne rien dire* repré-
senter ou chanter, dans les places publiques ou
ailleurs, qui pût causer scandale.
Une éternelle confusion de noms, qui se ren-
contre dans les auteurs contemporains, em-
pêche de distinguer le rôle précis que rempli-
rent les bateleurs dans la représentation des
pièces dramatiques, qui alors prenaient le nom
de gestes, et dans celles des satires, des dia-
logues entre des amants (tensons, sirventes).
Les artistes qui exerçaient l'art de ménestrel-
lerie ou de jonglerie se trouvent désignés, dan?
les anciens recueils, sous une multitude de noms
d'une signification analogue, mais qui tous
pourtant avaient leur valeur spéciale : c'esl
ainsi que bateleur et baladin, quoique souvent
pris dans le même sens, indiquent des attribu-
tions différentes; mais il est â croire que U
même individu, dans les troupes nomades peu
importantes, était chargé de plusieurs emplois,
comme cela a lieu aujourd'hui encore dans les
troupes d'acteurs de province, où le jeune
premier joue, au besoin, les pères nobles. Quoi
qu'il en soit, le xue siècle fut pour les his-
trions une époque fortunée. On les rechercha,
et, quel que soit le nom sous lequel ils figuren'
à côté des auteurs qui récitaient eux-mêmes
leurs vers ou des interprètes qui les chan-
taient, il est certain que tous ensemble, réunis
en compagnies, se firent payer fort cher les
amusements qu'ils procuraient. Des filles de
joie s'adjoignirent à eux et les accompagnèrent
dans les châteaux auprès des seigneurs, de*
princes et des rois. Les religieux eux-mêmes
aux jours de fête, louaient des troupes de ce
fenre et leur permettaient, moyennant finance
e dresser des tréteaux dans l'intérieur du
monastère. Ce trafic singulier fut interdit pai
le concile de Béziers en 1223; mais on n'en
vit pas moins, dans certaines provinces, les
prêtres avec leurs clercs élever à l intérieui
même des églises des tréteaux où ils faisaient,
après vêpres, mille bouffonneries pour attirer
et amuser les paroissiens, appelant à leur aido
des histrions de passage. Le concile de Salz-
bourg défendit, en 1310, ces profanations. L'un
des articles des canons de ce concile est ainsi
conçu : « Clerici neu sint joculatores aut ga-
liardi. » Malgré cette injonction, les clercs
continuèrent à danser, à se masquer et à pa-
rodier dans les lieux saints, ou à y donner entrée
aux bateleurs. Jusqu'au xvic siècle, l'autorité
de l'Eglise ne fut pas assez forte pour les en
empêcher.
Les représentations des Mystères nuisirent
quelque peu aux bateleurs. Lorsque les con-
frères de la passion, les clercs de la basoche et
les enfants sans-souci eurent créé notre théâtre,
les jongleurs, chanteurs, ménestrels et his-
trions abandonnèrent leurs prétendues fonc-
tions dramatiques et devinrent de simples dan-
seurs. Nous avons déjà montré un coin de
leur histoire, qui se mêle à l'histoire de la danse
ou à celle des chanteurs et des joueurs d'in-
struments, au mot BALADIN, auquel nous ren-
voyons le lecteur. Toutefois, beaucoup parmi
eux conservèrent le caractère primitif des
bateleurs, et, sous le nom de jongleurs (jocu-
latores), à peu près abandonné par ceux qui
l'avaient porté jusque-là, ils continuèrent à
divertir le peuple en jonglant avec des armes,
des anneaux, des bâtons, et faisant toutes
sortes de tours d'adresse. Ceux de qui ils
prenaient le nom, les jongleurs, n'avaient pas
tardé, tant à cause de leurs mœurs qu'à cause
des proscriptions des conciles et des rois, à
tomber dans le mépris. Les vices et les bas-
sesses de la majorité avaient rejailli sur la
profession tout entière. Ils étaient bien loin
maintenant, sous le rapport moral, du ménes-
trel proprement dit, resté fidèle aux traditions
héroïques de son état, poète exercé et chan-
teur soigneux de' sa propre dignité, et ne
s'abaissant point, comme eux, au rôle de sor-
cier et de grimacier obscène.
Nous parlions tout à l'heure des singes
que les bateleurs menaient avec eux et qu'ils
drefîsaient à toutes sortes de gambades. Déjà,
sous Louis IX, l'usage de ces animaux existe
parmi les amuseurs publics. Dans le Livre des
métiers, d'Estienne Boileau, recueil de règle-
ments colligés sous le règne de ce roi, dans
le3 Essais historiques de Sainte-Foy, et les
Curiosités de Paris de Dulaure, il est dit qu'un
bateleur, entrant à Paris, sous le petit Châte-
let, sera exempt de tout droit de péage, tant
dudit singe que de tout ce qu'il aura apporté
pour son usage, en faisant jouer et danser l'a-
nimal devant le péager. De là vient le pro-
verbe, payer en monnaie de singe, en gamba-
des. Un autre article du tarif porte que les
jongleurs en seraient quitte, eux, pour une
chanson devant le péager. Il y a loin de es
privilège aux proscriptions dont nous avons
parlé. Philippe-Auguste, témoin cependant de
la vogue extraordinaire des jongleurs, n'avait
pas eu pour ceux-ci le même goût. Aux grands
seigneurs de son royaume, qui tous entrete-
naient des jongleurs, il disait : « donner aux
histrions, c'est donner au démon. -
Au Registre des recettes et dépenses de la
royne Isabeau de Bavière, pour l'année 1415,
conservé aux archives, et cité par M. Le Roux
de Lincy dans les Femmes célèbres de l'an-
358
cienne France, nous voyons la belle-sœur de
"Valentine de Milan faisant jouer à plusieurs
reprises devant elle les ménestrels du roi, des
bateleurs et des joueurs de personnages ; il est
baillé un escu à un joueur de basteaux, nommé
Mathieu Lestuveur, qui a joué au Plessis-
Piquet; à Ferry Cabinguet.
On remarque que, dans ce document, la
qualité de jongleur n'est pas employée. Faut-
il croire, avec Delamarre {Traité de la police,
t. III, liv. II, ch. n) que le nom de bateleur
remplaçait déjà ceux de jongleur et d'histrion ?
Nous avons vu précédemment que le jongleur
de la tradition, le primitif jongleur, l'artiste
multiple s'était transformé, et que son héri-
tage était dévolu aux ménétriers ou ménes-
trels et aux bateleurs. Mais le nom subsistait
encore, ne faisant plus qu'un, cela n'est pas
douteux, avec celui de bateleur. Dans le mys-
tère de Saint-Christophey d'Antoine Chevalet,
qui date des premières années du xvie siècle,
on voit le jongleur Mauloue, parcourant villes
et villages avec tout l'attirail de ss, profes-
sion :
Bastons, bacins, soufflets, timballe,
Les gobelets, la noix de galle.
Le singe, la chièvre, le chien,
Et l'ours
vendant des images de sainteté et chantant
des chansons badines. Le jongleur est tout à
fait dégénéré en opérateur et en charlatan.
Une ordonnance du parlement, de l'année
1543, nous offre un renseignement qu'il est
bon de noter; elle nous montre que, concur-
remment avec les confrères de la passion, il y
avait encore, à cette époque, dans Paris, des
comédiens appelés*;'ong leurs et bateleurs. « La
cour, avertie que -plusieurs du populaire et
gens de métiers s'appliquent plutôt à voir
jeux de basteleurs et jongleurs, et y donnent un
et deux grands blancs ; ce qu'ils ne font pour
les pauvres » défend à tous basteleurs,
jongleurs et autres semblables de jouer en
ceste ville de Paris, ou sonner leur tambourin,
quelque jour que ce soit, sous peine du fouet
et bannissement de ce royaume. » Delamarre,
que nous citions tout à l'heure, prétend qu'à
la date où il écrivait (1705), les noms de jon-
gleur et d'histrion avaient décidément été
remplacés par celui de bateleur (probablement
comme aujourd'hui ce dernier, par celui de sal-
timbanque), et qu'ils n'en avaient point d'autre
alors. licite, en outre, un règlement de 1560
et 1588, toujours en vigueur en 1705, qui dé-
fendait aux basteleurs « de jouer les diman-
ches et les jours de festes, aux heures du ser-
vice divin, de se vestir d'habits ecclésiastiques
et de jouer des choses dissolues ou de mau-
vais exemple, à peine de prison et de puni-
tion corporelle. »
En avançant dans ce travail, nous ne pou-
vons oublier que bateleur a de nombreux
synonymes, qui ne remplacent pas, il est vrai,
ce mot, mais qui en sont comme autant de
rameaux vivaces, ayant chacun une existence
reconnue, et que faire ici l'histoire du groupe
tout entier, ce serait empiéter sur certains
mots qui réclament de nous une mention spé-
ciale. Nous avons déjà renvoyé le lecteur au
mot baladin, nous continuerons notre tâche
aux articles charlatan, farceur, opérateur,
paradiste, etc. L'ensemble de ces articles
formera réellement l'histoire du batelage, com-
plétée encore par la biographie particulière
de tous ces joyeux compères qui ont conservé
parmi nous la tradition du rire et de l'esprit
gaulois, tels que Bruscambille, Gauthier-Gar-
guille, Gros-Guillaume, Turlupin, sans oublier
les Barry, les Bobèche, les Galimafré, les
Mondor, les Tabarin, les Taconnet, et autres
pitres, saltimbanques, grimaciers, diseurs de
sornettes, grands hommes du ruisseau et de
la place publique, passés maîtres en l'art de la
bouffonnerie, de la parodie, de la hâblerie,
dont la liste immense débute avec le monde
et se terminera avec lui, si toutefois les rè-
f lements de police ne s'y opposent. Hélas ! et
'un mot, nous voilà triste, quels temps peu
propices aux comédiens de la place publique
sont les nôtres I Aujourd'hui que tout est ré-
glementé, administré, patenté, les libres pa-
roles n'éclatent plus, salées et pimentées,
comme jadis, sur la place publique ou sur les
champs de foire. Ombres de Grattelard, de
Gilles le niais, de Padelle, de Jean Farine ,
de Gringalet, de Guillot-Gorju, de Goguelu
et de tant d'autres, voilez-vous la face, vous
ne pourriez plus aujourd'hui, grâce au pro-
grès, rien trouver à dire de spirituel sur nos
modes, nos préjugés et le reste. On a fait de
nous des demi-dieux, alignés au cordeau, dont
vous ne trouveriez rien à dire ; nous sommes
parfaits, et vos épigrammes s'émousseraient
sur le tricorne des agents de la force publique,
qui n'entendent plus raillerie. D'ailleurs, on a
exproprié, pour cause d'utilité publique, tous
ces bons endroits où vous faisiez merveilles;
on a macadamisé le Pont-Neuf et jeté bas les
halles— les halles où'Herpinot brillait devant
la populace grouillante. Où sont maintenant
les foires Saint-Germain, Saint-Ovide et Saint-
Laurent? La foire du Saint-Esprit, qui se re-
nouvelait tous les lundis sur la place de Grève,
et la foire de Bezons, où l'on allait en partie
fine; la foire Saint-Clair, qui s'échelonnait le
long de la rue Saint-Victor, celle que rame-
nait le 24 août devant les galeries du Palais
de Justice, et tant d'autres où toute la confré-
rie de bohème, que l'on écoutait à gueule bée,
déployait ses plus fiers oripeaux, ses plus
BAT
éclatantes fanfares et ses coq-à-1'âne à tout
rompre, dites, où les retrouvprez-vous ? et
ces pages, clercs, écoliers, laquais, archers,
filous, bourgeois, tireurs de laine, chambriè-
res, écosseuses, gentilshommes, grisettes, poè-
tes crottés et académiciens, toujours prêts à
vous ouïr, toujours avides de vos grimaces et de
vos saillies, toujours charmés de vos joyeusetés
et de vos hardiesses, où sont-ils?.... Le der-
nier des vôtres a risqué une dernière allusion,
qui vous en dira bien sûr assez : « Les ras-
semblements au nombre de plus d'un sont in-
terdits. » Et puis, si vous reveniez, ô farceurs
de génie, dont le vent dispersait chaque jour
les étincelles, il vous faudrait faire viser votre
esprit huit jours d'avance par la commission
d'examen, et vous munir d'une médaille frap-
pée à la rue de Jérusalem. Ainsi toutes cho-
ses disparaissent : un siècle chasse au loin
ce que le siècle précédent admirait. Les mœurs
changent, le langage s'épure, dit-on, parce
que la verve s'en va : l'argot s'étale, îlest
vrai, comme un chancre rongeur sur l'idiome
sensé et coloré des ancêtres; mais le mot gras,
le mot salé, le mot concis, plein et robuste,
3ui va droit au but et dit ce qu'il veut, ce mot
e la farce, engendré d'un jet au pays de ba-
telage; ce mot plantureux, qui renferme toute
la sève nationale, ce mot, atteint d'atrophie et
de chlorose, s'est mis en quarantaine. Nos
pères ont vu et applaudi les derniers bateleurs
dignes de ce nom, en la personne du père
Rousseau, de Louis le Borgne, de Gringalet,
deuxième du nom, de Faribolp, de Bobèche et
de Galimafré, lesquels furent plus particuliè-
rement des paradistes, variété du genre bate-
leur. Nous avons vu, nous, par grâce der-
nière, quelques charlatans, le marchand de
crayons Mengin et le dentiste Duchesne ; mais
c'est là la menue monnaie des célébrités du
Pont-Neuf. L'inventeur de la poudre persane,
le gjrand Miette, ,a été, de nos jours, le seul
héritier de toute cette joyeuse bande dont
Tabarin est l'aïeul : l'ombre de Brioché lui
avait souri.
Donc, l'art du batelage est tellement dégé-
néré, qu'on est presque tenté d'affirmer qu'il a
disparu. Quelques rejetons de cette végétation
sauvage qui a préparé notre théâtre et vécu
ensuite à son ombre se montrent encore, les
jours de fête, sur la place publique de nos pe-
tites villes et de nos bourgs; ces jours-là,
quelques familles de saltimbanques font, avec
ta permission de M. le maire, sonner le porte-
voix et grincer les cymbales ; quelques musi-
ciens allemands, parés de vestes a brande-
bourg et de shakos à aigrettes, composent
l'orchestre ; le paillasse enfle ses joues, fait
résonner ses grelots, débite des calembours
qui feraient lever le cœur de pitié à feu Go-
guelu; la jeune première, le jarret tendu, le
poing sur la hanche, la jupe arrondie, envoie
de temps à autre un soufflet au pauvre diable
qu'un maigre repas a rendu étique ; puis un
monsieur « not' bourgeois » vêtu d'un paletot
marron, porte la main à son chapeau grais-
seux, et, avec le secours d'une baguette qui
lui sert à montrer un à un les exercices
représentés sur les toiles suspendues der-
rière lui, débite un boniment qui brille gé-
néralement par la platitude et par ces écarts
de consonnance qu'on décore du nom de
cuirs, dans le langage familier. Ces saltim-
banques nomades, derniers et obscurs vesti-
ges d'une race curieuse et forte, forment en-
core une classe nombreuse, qui comprend
toutes les variétés autrefois désignées sous le
nom générique de bateleurs, tels que : bouffons,
pitres, paillasses, faiseurs de tours, êcuyers,
jongleurs, escamoteurs, danseurs de corde,
charlatans, montreurs d'animaux, etc. Ordi-
nairement très-malheureux, nos modernes
bateleurs vivent au jour le jour, travaillant
isolément, ou réunis en troupy sous la direc-
tion d'un entrepreneur aussi besoigneux
Qu'eux, et qui parlois, de sa voix enrouée, leur
it, quand la recette est mauvaise, comme le
Bilboquet de la comédie : « Mes enfants, mes
chers associés, tout n'est pas rose dans la
vie!... tout n'est pas jasmin dans notre pro-
fession. Il y a de bons jours, il y en a de mau-
vais ; il faut prendre le temps comme il vient...
On ne soupe plus dans la bonne société; on
ne dîne jamais, c'est mauvais genre; nous dé-
jeunerons mieux demain matin... Mes enfants,
les temps sont durs ; les entreprises dramati-
ques sont dans le marasme, et l'indifférence
du public a tué l'art. O l'art 1 ô l'art l où se
fourre-t-il ce coquin-là? »
Maintenant que nous avons jeté quelques
fleurs sur la tombe de la grande famille des
bateleurs, encore plus nombreuse que celle de
Priam, voyons s'il faut donner des pleurs à
cette race disparue. Autrefois, le saltimban-
que était le propriétaire le plus riche de la
capitale ; toutes les places de la grande ville
lui appartenaient; il y campait, il y installait
ses pénates, il y dormait, et, la nuit, si l'en-
vie lui en prenait, il pouvait se livrer à des
rêves sardanapalesques et se croire transformé
en marquis de Carabas. Quand il voyageait,
plus heureux que Danton, il emportait sa pa-
trie à la semelle de ses brodequins. Depuis
dix ans, les choses ont bien changé : les pla-
ces publiques ont été métamorphosées en
squares vastes et élégants, où la nombreuse
population ouvrière respire le soir un air pu-
rifié et trouve, en plein Paris, les agréments
du bois de Meudon. Y avons-nous gagné?
Hippocrate dit oui, mais Galien dit non; et le
Grand Dictionnairet<\uoi qu'il ait dit plus haut,
BAT
dans un de ses accès de sentimentalité, est de
l'avis d'Hippocrate.
Pour que cette étude sur le bateieur soit
complète, il nous reste à donner un spécimen
des parades jouées en plein vent; celle-ci est
une pochade prise sur le vif. Comme celui qui
en est le fauteur est l'ami le plus intime de
M. Pierre Larousse, nous la copions textuel-
lement sans craindre des poursuites en con-
trefaçon :
LES QUATRE PRUNES.
Une très-belle, très-célèbre et très-spirituelle
actrice venait de lancer un bon mot. — Je dis
lancer, parce que trop souvent le bon mot est
une flèche et qu'il blesse celui qu'il atteint.
— « Peuh! s'écria un jeune fat, en portant la
main à la blessure, aujourd'hui l'esprit court
les rues. — Allons donc! repartit M^e Sophie
Arnould, ce sont les sots qui font courir ce
bruiUà. »
Si Sophie Arnould s'était trouvée dernière-
ment dans la grande rue de Boulogne, où s'é-
bat depuis quinze jours la fête patronale, elle
aurait vu l'esprit, habillé en Paillasse, monté
sur des tréteaux et courant véritablement les
rues : Rabelais aurait ri aux éclats, lui qui
nous a tant fait rire. J'imagine que l'on n'est
peut-être pas assez attentif a cet esprit qui se-
coue ses grelots sur quatre planches, au fron-
tispice d'une baraque où l'on voit un Hercule
de Batignolles, un Huron de Carpentras, un
sauvage de Lons-le-Saunier, et où se joue le
vaudeville au prix de 15 cent, les premières.
L'esprit s'échappe en fusées, éclate en cas-
cades ; on est tout ébloui de ces étincelles, aux-
quelles on était loin de s'attendre en un tel
lieu et sous de tels oripeaux. La petite fleur
que je vais livrer à votre admiration s'est-elle
épanouie en plein vent, ou n'a-t-elle pas été
tirée de quelque serre chaude dans les jardins
enchantés de Scribe, de Dumanoir ou de Théau-
lon ? Je l'ignore ; c'est une question de biblio-
graphie que je laisse à résoudre aux Quérards
présents et aux Saumaises futurs.
PAILLASSE. Ah ! ah ! ah I ah ! ah I Prrr I prrr 1
Voilà, voilà, voilà.
Quand j'ai bu du vin clairet
Tout tourne, tout tourne,
Quand j'ai bu du vin clairet,
Tout tourne au cabaret.
LE MAÎTRE, survenant. Tiens! {Il lui donne
un soufflet.) Voilà, coquin, pour m'avoir éveillé
en sursaut. Tu cries comme les oies du Capi-
tule. As-tu donc envie de te faire chasser?
Oublies-tu que tu as ici une place excellente,
et que , pour la conserver, il faut te conduire
d'une manière décente? Voyons, que te man-
que-t-il? Tu as de beaux appointements, cent
francs par mois.
PAILLASSE. Oui. (A part.) Que je reçois en
quatre payements, chaque fois rien.
LE MAITRE.\TU es bien nourri.
PAILLASSE. Oui. (A part.) Ce matin, une
couenne de lard dont le chat n'a pas voulu.
LE MAÎTRE. Bien couché.
PAILLASSE. Oui. (A.part. ) Au fond d'une
malle.
LE MAÎTRE. Bien logé, au troisième.
PAILLASSE. Oui. (A part.) Au troisième au-
dessus de l'entre-sol... du sixième.
LE MAÎTRE. C'est beau pour un jeune homme
de ton âge; car tu n'as que vingt ans.
PAILLASSE. Oui. (A part.) Sans compter huit
ans de nourrice et six mois de maladie.
LE MAÎTRE. Ce n'est pas tout. A partir d'au-
jourd'hui , je veux encore te donner autre
chose.
PAILLASSE (vivement et tendant la main).
Vrai, monsieur?
LE MAÎTRE. Ma confiance.
PAILLASSE (désappointé.) Ah ! (A part.) C'est
une monnaie qui n'a pas cours ; on ne s'achète
pas av(;c cela une paire de bottes.
LE MAÎTRE. TU vois cette fiole? Il y a là
quatre fruits confits ; des fruits rares, exquis,
qui viennent des îles Fortunées. Ils coûtent
douze cents francs chacun. Eh bien! c'est à
toi, à toi, entends-tu ?
PAILLASSE (tendant la main). Oh! monsieur!
LE MAÎTRE. A toi que...
PAILLASSE. Oht monsieur! monsieur!
LE MAÎTRE... Que je les confie pour les por-
ter à ma meilleure amie, Mme de Saint-Hi-
laire, rue Racine, n° 13. Voyons, répète cela.
PAILLASSE. Mme Racine, rue Saint-Hilaire,
no...
LE MAÎTRE. Mais non, coquin, Mme de Saint-
Hilaire, rue Racine, no 13.
PAILLASSE. Oui, oui; Mme Treize, rue Ra-
cine, no...
LE MAÎTRE. M»e de Saint-Hilaire, no 13.
PAILLASSE. C'est bien ça : Mme Thérèse,
rue...
LE MAÎTRE ( tirant une carte de son porte-
feuille). Tiens, voici la carte de mon amie; tu
sais lire?
PAILLASSE (lisant). Mme de Saint-Hilaire,
rue Racine , n° 13. C'est ce que je disais.
LE MAÎTRE. Tu lui diras : Mme de Saint-
Hilaire , voici un bocal de fruits des îles For-
tunées, que mon maître vous envoie. Voyons,
répète.
I PAILLASSE. Mrae Fortunée, voici un fruit
j du bocal des lies Saint-Hilaire que mon maître
I vous envoie.
BAT
LE MAÎTRE. Je crois que le pendard le fait
exprès. Mme de Saint-Hilaire, voici un bocal
de fruits des îles Fortunées, que mon maître
vous envoie.
PAILLASSE (avec volubilité). Mme de Saint-
Hilaire , voici un bocal de fruits des îles For-
tunées, que mon maître vous envoie... Oh!
monsieur, je ne pourrai jamais dire cela.
LE MAÎTRE. TU viens de le dire , maraud.
PAILLASSE. Alors, monsieur, je vous assure
que c'est sans le faire exprès.
LE MAÎTRE. N'oublie pas que je t'attends ici
dans une heure, pour savoir la réponse. (Il
sort.)
PAILLASSE (seul). Douze cents francs cha
cune ! c'est-à-dire que ce doit être sucré, à vous
réjouir l'estomac et à vous embaumer le pa-
lais pour le restant de vos jours. Et dire qu'il
existe des mortels assez fortunés pour... Ah!
mon père, que n'étais-tu le Grand Mogol ou le
schah de Perse ? Ton fils dormirait sur un oreil-
ler rembourré de feuilles de roses, et, à son
réy^il, la main d'une belle esclave lui présen-
terait une prune des îles Fortunées.
(Pendant ce monologue, il a adroitement dé-
noué le cordon , qui tombe avec le papier qui-
recouvrait la fiole.)
Tiens! le papier qui s'en va tout seul... Sije
mangeais une prune?...rien qu'une... une pe-
tite... Au fait, pourquoi pas? L'amie de mon
maître n'en sait pas le compte... L'occasion
est belle... elle ne se représentera peut-être
jamais. Saisissons-la... par les cheveux. (Il
prend une prune par la queue et l'avale.)
Oh! ohl ohl oh! oh! septième ciel, je t'es-
calade. J'entrevois... aïe I aïe ! aïe ! (Il se
tient le ventre en faisant force contorsions.)
Aïe! aïe! aïel (Se calmant tout à coup.) Ah!
j'y suis! Elle est toute seule; elle s ennuie.-
Parbleu oui, elle s'ennuie, elle s'ennuie. Là!
là! ma mignonne, calmez-vous. Vous voulez
une compagne? On va vous en expédier une.
Saisissons une deuxième... occasion par... la
queue. (Il avale une seconde prune.) Oh ! déli-
cioso ! superdélectissime !... Aïe I aïe ! aïe I aïe t
aïe I Voilà qu'elles se battent. Si nous les pre-
nions en douceur? C'est cela; un peu de jus...
Aïel aïe! aïe! aïe! Le duel continue. (Se cal-
mant de nouveau.) Eh! mais, j'y pense. En-
voyons-en une troisième pour les séparer. (Il
avale une troisième prune, puis il exprime le
même ravissement suivi des mêmes contorsions.)
Allons! bon! voilà qu'elles se mettent deux
contre une. Oh ! aïe ! aïe ! aïe ! ( Se calmant
tout à coup.) Il n'y a qu'une chose à faire ;
égalisons les chances. (Il avale la dernière
prune.) Douze cents francs I Elles valaient
douze cents francs! Et ce jus? (Il boit, le jus.)
C'est du coulis d'ortolans , une vraie purée
d'ananas.
Quand j'ai bu du vin clairet,
Tout tourne, tout tourne,
Quand j'ai bu du vin clairet.
Tout tourne au cab
(Il entend son maître, et met précipitamment
la fiole dans sa poche.)
LE MAÎTRE , qui a aperçu le mouvement de
Paillasse. Ah ! ah I te voilà revenu ?
PAILLASSE. Oui, monsieur.
LE MAÎTRE. Tu n'as pas été longtemps. (Sai-
sissant le bras de Paillasse, qu'il secoue forte-
ment.) C'est bien, mon garçon ; c'est bien, c'est
bien, c'est bien.
PAILLASSE (le regardant et ne sachant guère
ce que cela veut dire). A part. Qu'est-ce qu'il
a donc?
LE MAÎTRE. Je te dis merci, mon garçon;
merci, merci, merci. (Il secoue plus fortement,
en prononçant chacun de ces trois derniers
mots.)
PAILLASSE. Mais, monsieur, ne me remerciez
pas si fort. Vous allez me casser le bras. (A
part.) Qu'est-ce qu'il a donc?
LE MAÎTRE. AU contraire, mon garçon.
Quand on a un domestique comme toi, hon-
nête comme toi, fidèle comme toi, sobre comme
toi (à chaque mot, il lui secoue plus fortement
le bras) il faut y tenir. Et j'y tiens , j'y tiens ,
j'y tiens. (Il secoue de nouveau.)
PAILLASSE, dégageant sa main, — à part. Il y
tient trop. Qu'est-ce qu'il a donc?
LE MAÎTRE. Maintenant que je t'ai remercié
comme tu le mérites, prenons une chaise (i7
secoue), asseyons-nous (il secoue), et causons
(il secoue).
PAILLASSE, reculant sa chaise le plus loin
possible. Décidément, il a quelque chose.
LE MAÎTRE. Comme cela, mon garçon, tu as
parfaitement trouvé la demeure de mon amie?
PAILLASSE. Ohl oui, monsieur.
LE MAÎTRE. Qu'est-ce qu'elle t'a dit, mon
amie?
PAILLASSE. Oh! elle m'a dit des choses, des
choses, des choses. Elle m'a dit beaucoup de
choses, monsieur.
LE MAÎTRE. C'est bien... Qu'as-tu remarqué
de particulier sur la cheminée ?
PAILLASSE. Sur la cheminée, monsieur?...
Ah! monsieur, quelle cheminéef D'abord il y
avait sur la cheminée... ily avait... et puis en-
suite... Ah! quelle belle cheminée! monsieur.
Et puis encore, sur la cheminée... ah! quelle
magnifique cheminée!... Enfin, il y avait...
Ah ! monsieur, c'est une bien belle cheminée I
LE MAÎTRE. Ah! tu as remarqué tout cela?
(Il approche sa chaise,)

PAILLASSE. {Il recule sa chaise.) A part.
Qu'est-ce qu'il a donc?
LE MAÎTRE. On voit que tu es observateur
C'est bien ! c'est bien I c'est bien ! {Il secoue
fortement.)
PAILLASSE. {A part.) Qu'est-ce qu'il a donc?
LE MAÎTRE. Maintenant que tu m'as satis-
fait sur ce point, passons à autre chose. Que
dis-tu du guéridon?
PAILLASSE. {A part.) Je danse sur des baïon-
nettes. {Haut}} Le guéridon, monsieur?
LE MAÎTRE. Oui, le gué {il secoue) ri {il se-
coue) don. {Il secoue.)
PAILLASSE. Le guéridon?... Ohl le guéri-
don !... (A part.) Ah 1 un trait de lumière I
(Haut). Monsieur, les persiennes étaient fer-
mées.
LE MAÎTRE. Qu'est-ce à dire, maraud? Chez
mon amie, il n'y a pas de persiennes.
PAILLASSE. Mais, monsieur, je ne dis pas
qu'il y a des persiennes, je dis qu'elles étaient
fermées.
LE MAÎTRE. Si les persiennes étaient fer-
mées, il y avait des persiennes.
PAILLASSE. DU tout, monsieur } du tout, du
tout, du tout. Les persiennes étaient fermées,
et il n'y avait pas de persiennes. Nous avons
raison tous les deux.
LE MAÎTRE. Ah! pourrais-tu me prouver
cela?
PAILLASSE. Ce n'est pas difficile , monsieur.
Suivez bien le fil... de la trame... de la chaîne...
de mon raisonnement.
LE MAÎTRE. Voyons, suivons la chaîne {il
secoue) de la trame (il secoue) du fil {il secoue)
de ton raisonnement.
PAILLASSE. Je n'ai pas dit cela, monsieur.
J'ai dit le fil de la trame de la chaîne de mon
raisonnement.
LE MAÎTRE. C'est bien. A la question.
PAILLASSE. {A-part.) Hélas! je n'y suis que
trop... a la question. Inspire-moi, Guatimozm.
{Haut.) Quand monsieur veut aller au théâtre,
et que l'on dit à monsieur : « Le théâtre est
fermé , « c'est comme s'il n'y avait pas de
théâtre... Il n'y a pas de théâtre.
LE MAÎTRE. Comment 1 il n'y a pas de
théâtre?
PAILLASSE. Ce raisonnement n'a pas con-
vaincu monsieur. En voici un autre. Quand on
dit d'un homme... quand on dit d'un homme :
« Son cœur est fermé aux. sentiments d'hon-
neur, de générosité, d'humanité,» cet homme
n'a pas de cœur, monsieur j c'est un sans
cœur, monsieur. Son cœur est fermé..., il n'a
pas de cœur, il n'a pas de cœur.
LE MAÎTRE. (A lui-même.) Son cœur est
fermé, il n'a pas de cœur; c'est vrai, le coquin
a raison.
PAILLASSE. Eh hien 1 monsieur ; les per-
siennes étaient fermées, il n'y avait pas de
persiennes. C'est clair, c'est clair.
LE MAÎTRE. Oui. Les persiennes étaient fer-
mées, donc il n'y avait pas de persiennes.
C'est clair, {il secoue) c'est clair, {il secoue)
c'est clair, {il secoue.)
PAILLASSE. {Se reculant.) Qu'est-ce qu'il a
donc?
LE MAÎTRE. {A part.) Le drôle n'avouera
pas. Prenons-nous-y autrement.
LE MAÎTRE. D'après 1e rapport détaillé que
tu viens de me faire, je vois que tu t'es ac-
quitté fidèlement de ta commission, et j'é-
prouve le besoin de te déclarer que je suis
content de toi. Oui, très-content ! très-content I
très-content I {Il le secoue fortement.)
PAILLASSE. Ah! {A part.) Qu'est-ce qu'il a
donc?
LE MAÎTRE. Car tu ne sais pas encore le
service que tu m'as rendu.
PAILLASSE. Ah!
LE MAÎTRE. Un service que je n'oublierai
de toute ma vie.
PAILLASSE. Ah!
LE MAÎTRE. Devrais-je vivre cinq cents ans.
. PAILLASSE, Ah!
LE MAÎTRE. Et alors que je deviendrais
aveugle, sourd et muet. {Il le secoue à chacun
de ces trois derniers mots.)
PAILLASSE. Ah 1 (A part.) Qu'est-ce qu'il a
donc?
LE MAÎTRE. Ainsi, mon garçon, si dans cinq
cents ans tu as besoin de moi, tu n'auras qu'à,
parler.
PAILLASSE. Ahl
LE.MAÎTRE. TU seras ouï,'servi, ravi. {Il le
secoue à chaque mot.)
PAILLASSE. Ahl (A part.) Qu'est-ce qu'il a
donc ? #
LE MAÎTRE. Il y a une heure que tu as vu
Mme de Saint-Hilaire.
PAILLASSE. Monsieur, les persiennes étaient
fermées.
LE MAÎTRE. Assez sur cet incident. Eh bien,
Mme de Saint-Hilaire est maintenant 1...
PAILLASSE. {Vivement.) N1** de Saint-Hilaire
est maintenant?...
LE MAÎTRE. Kouik. {Il fait un mouvement de
la main.)
PAILLASSE. Kouik?
LE MAÎTRE. C'est-à-dire que tu l'as envoyée
ad patres.
PAILLASSE. Ad patres! Monsieur sait bien
que jo ne connais pas l'anglais.
BAT
LE MAÎTRE. Ad patres, chez ses pères.
PAILLASSE. Monsieur en a donc fait une séna-
trice ?
LE MAÎTRE. Pas de politique; c'est malsain.
Mon amie. — Mon amie 1 — Mme de Saint-Hi-
laire, était — était, tu entends ? .C'était une
fausse amie... elle m'a fait...
PAILLASSE. Elle vous a fait...
LE MAÎTRE. Des infidélités... avec un prince
nègre.
PAILLASSE. Un prince nègre!... le trait est
noir.
LE MAÎTRE. Et je l'ai...
PAILLASSE. {Très-vivement). Vous l'avez?...
LE MAÎTRE. Empoisonnée.
PAILLASSE. {Epouvanté.) Oh! monsieur...
Oh! ah! monsieur!... Oh! oh! ah! ahl mon-
sieur ! ! 1
LE. MAÎTRE. Empoisonnée !
PAILLASSE , qui manifeste la plus sincère
épouvante. Aïe I aïe I
LE MAÎTRE. En ce moment, le poison com-
mence à opérer; son haleine est brûlante.
PAILLASSE. Aïe!
LE MAÎTRE. Son palais est en feu.
PAILLASSE. Aïe !
LE MAÎTRE. Sa gorge est une fournaise.
PAILLASSE. Aïe!
LE MAÎTRE. Encore un instant, et l'incendie
va se déclarer dans l'estomac.
PAILLASSE. Aïe!
LE MAÎTRE. Elle est morte 1 ! !
PAILLASSE. Aïe 1 aïe ! aïe ! ! 1 {Il se laisse
tomber à terre.)
LE MAÎTRE. Mais qu'as-tu, donc? On dirait
que tu te trouves mal.
PAILLASSE. Oh! monsieur! monsieur! mon-
sieur! Ayez pitié de moi, monsieur! Aïe! aïe!
aïe !
LE MAÎTRE. Coquin, est-ce que tu aurais
mangé les prunes?
PAILLASSE. Monsieur, pardon 1 C'est votre
amie qui m'en a donné une; une petite, mon-
sieur. Aïe ! aïe 1 aïe !
LE MAÎTRE. Si tu n'en as mangé qu'une
c'est bien. Je vais t'admmistrer du contre-
poison pour une, pour une seule, entends-tu?
PAILLASSE. Oui, monsieur, une... une grosse,
monsieur; apportez-en pour deux, monsieur.
Aïe ! aïe! aïe.
LE MAÎTRE. Comment, coquin, tu en as mangé
deux?
PAILLASSE. Oui, monsieur ; votre amie m'en
a donné deux... avec un peu de jus... Appor-
tez-en pour trois, monsieur. Aïe I aïe ! aïe 1
LE MAÎTRE. Eh quoi! pendard, tu en as
mangé trois?
PAILLASSE. Oui, monsieur... les trois plus
grosses, monsieur. Aïe! aïel aïe!... Du contre-
poison pour quatre, monsieur, pour quatre.
Aïel aïel aïel
LE MAÎTRE. Ah ! voilà enfin mon scélérat qui
avoue. Il a mangé les prunes. Eh bien, tant
mieux. J'ai maintenant une garantie de ta fidé-
lité. Ces fruits sont magiques et soumis à ma
puissance. Us vont garder en eux leur vertu
malfaisante. Tant que tu seras à mon service,
ils resteront là... sur ta conscience. Mais aie
bien soin de leur donner un souvenir chaque
matin en te levant; car si tu l'oubliais un seul
jour , ils reprendraient immédiatement leur
première vertu, et...
PAILLASSE. Oh! merci, monsieur, merci.
Tous les matins elles me reviendront. elles
étaient si bonnes!
LE MAÎTRE {au public). Voilà, mesdames
et messieurs, une recette infaillible pour
conserver ses domestiques. Ça coûte quatre
sous, chez la fruitière du coin :
Air connu.
Messieurs, près de nous retirer,-
Une crainte nous assiège;
L'auteur, pour mieux vous attirer,
Dans son titre a mis un piège.
Ne soyez pas trop rigoureux,
Pour demain gardez vos rancunes,
Donnez des bravos vigoureux.
Applaudissez... C'est pour des prunes.

BATELIER,
1ÈRE s. (ba-te-lié, iè-ro —
rad. bateau). Personne dont la profession est
de conduire un bateau : Trilby était amou-
reux de la brune Jcannie, l'agaçante BATE-
LIÈRE du lac. (Ch. Nod.) Vous avez raison,
répliqua le BATELIER , le métier de pêcheur
rend le cœur content et l'esprit confiant dans
la protection des saints. (Lamart.)
— Adjectiv. Néol. Qui a rapport, qui ap-
partient à une entreprise de transport par
bateaux : Une compagnie BATELIÈRE sera
formée. (Proudh.)
Bateliers du Niémen (LES) , à-propos pa-
triotique de Bésaugiers, Francis et Moreau,
représenté à Paris au théâtre des Variétés, en
juillet 1807.
Le traité de paix de Tilsit, resté célèbre
dans l'histoire contemporaine, fut célébré à
Paris par tous les théâtres. Le fameux radeau
du Niémen, sur lequel Napoléon et Alexandre
se donnèrent l'accolade, et où furent arrêtées
entre les deux empereurs les bases d'une paix
si vivement désirée, ce radeau, disons-nous,
eut sa part d'encens et fut chanté sur les airs
en vogue. Les Variétés épuisèrent en son
iûuneur les comparaisons et les métaphores
BAT
que les vaudevillistes ont l'art de ressemeler
a chaque occasion nouvelle et sous les ré-
gimes les plus différents. Il n'importe; ces
à-propos soi-disant patriotiques sont intéres-
sants à consulter, car, s'ils ont vécu peu, ils
ont du moins reçu l'empreinte, parfois assez
juste, du vent qui soufflaitalors sur les esprits :
Ce radeau sur qui se fonde
L'espoir d'une heureuse paix.
Va peut-être voir dans l'onde
Nos maux s'éteindre à, jamais.
Poux le Niémen quelle gloire!
Partout on n'entend qu'un cri :
C'est le temple de Mémoire
Sur le fleuve de l'Oubli.
BAT 359
L'arche où Noé se sauva
Quand le déluge arriva,
N'ravit qu'un homme au naufrage;
Ce jour en sauv' davantage.
Mettons de niveau
L'arche et le radeau.
Mais le traité de Tilsitt n'apportait que la
paix continentale, car la lutte continuait tou-
jours sur mer avec la « perfide Albion. » Aussi
nos voisins les Anglais recevaient-ils force
traits du Français, né malin. Dans les Bate-
liers du Niémen, les épigrammes et les me-
naces contre l'Angleterre abondent jusqu'à
l'excès; mais une fois les couplets chantés,
les vaudevillistes, ainsi que le fait remarquer
fort justement M. Théodore Muret, ne s'in-
quiétaient pas si ces augures aventureux se
réaliseraient, et ils n'en perdaient ni un calem-
bour, ni une rasade, ni une fanfaronnade :
Certain espoir qui m' flatte
Me dit qu'avant un an,
L' radeau d'vîendra frégate,
Et I' Niémen, Océan.
Du Niémen craignez les eaux,
Messieurs les insulaires,
Car on sait qu' les p'tUs ruisseaux
Font les grandes rivières.
Ici, le calembour, soigneusement préparé
d'avance, éclate en menaces assez ridicules
d'ailleurs :
Avant qu'l'an soit écoulé,
La France au pas redoublé,
Et la Russie et la Prusse,
L'accompagnant au pas russe,
Front marcher l'Anglais
Au pas de Calais.
Autant les Bateliers du Niémen montraient
les dents aux Anglais, autant ils déployaient
de politesses pour les Russes, devenus en
un trait de plume nos amis :
A leur bravoure, au champ d'honneur,
Nous rendons tous un juste hommage,
Et s'ils ont eu moins de bonheur,
Ils n'ont pas eu moins de courage.
Lon, lan, la, laissez-les passer,
Ces militaires,
Nos frères.
Dans nos bras, j' pouvons les presser :
Nos emp'reurs viennent d's'embrasser.
« Voilà qui est bien, s'écrie l'auteur de l'His-
toire par le théâtre, et l'on ne peut qu'ap-
plaudir à ce procédé courtois; mais il aurait
fallu que les mêmes soldats à qui l'on faisait
des compliments dans telle occasion, ne fussent
pas vilipendés et injuriés dans telle autre. Il
y a inconséquence à serrer la main de gens
que l'on a traités de sauvages, de barbares,
que l'on a montrés sous un aspect ridicule et
grotesque, et, lorsqu'on est en guerre, il faut
songer que l'on sera plus tard en paix. C'est
une affaire de tact et de convenance qui a été
trop souvent oubliée dans nos vaudevilles
guerriers, et des circonstances plus récentes
ont pu donner lieu à cette observation. Nous
avons vu, il n'y a pas longtemps, Russes et
Autrichiens traduits sur nos théâtres, ainsi
qu'aux devantures de nos boutiques d'estam-
pes, eu caricatures ignoblement burlesques,et
représentés comme des espèces de manne-
quins, dont un coup de poing avait raison.
Pour une nation qui se pique d'être spirituelle
par excellence, c'était un manque d'esprit
autant que de bon goût. Outre que le jour de
la réconciliation est toujours à prévoir, on se
nuit à soi-même, on se déprécie, en rabaissant
son adversaire. En effet, si l'on est vainqueur,
ouest alors le mérite de la victoire? Et si l'on
éprouve un revers, car la guerre est sujette à
plus d'une chance, quelle confusion d'être
vaincu par des ennemis que l'on a représentés
comme si misérables I » Nous sommes pleine-
ment de cet avis, et il est impossible de faire
entendre de plus sages paroles, des observa-
tions plus humaines. Quand donc renoncera-t-
on à cette lutte stupide et sauvage, qu'on
appelle la guerre? Quand donc les mauvais
instincts de l'homme cesseront-ils d'être exal-
tés et glorifiés? Si la guerre est inévitable
aujourd'hui, qu'on oublie demain qu'on l'a
faite. Pourquoi des chansons et des arcs de
triomphe, qui insultent au vaincu ?
Batelier, dit Lisette, paroles de Planard,
musique d'Hérold, barcarolle entr'acte de
l'opéra de Marie. A Marie, représentée à
l'Opéra-Comique en 1826, commence, pour
Hérold, cette aurore de gloire qui avait jeté
ses premières,lueurs dans le Muletier et la
Clochette, et qui devait avoir pour midi ce
chef-d'œuvre qui s'appelle Zampa. Je pars
demain, Une robe légère, Je flaire un mystère,
ont réjoui toutes les oreilles de leur douce
et gracieuse mélodie.
^^^^N^p
Ba - te-Iier, dit Li - set - te Je
Je m'en vais chez mon pe-re, Dit
-r*-*-
-*-«-*
vou
Li
bien
- ârais pas . -
- sette à
— 9 —
guis trop, pau
crois-tu ' ma
ser l'eau ;
Co - lin.
- vret - te
che - re
~<-^
Mais
- Hé
Pour
Qu'il
pay - er le ba - teau. Co
m'ac - cor - de ta main? Ali!
- lin dit à la bel - - - le : Ve-
ré - pon - dit la bel - - - le, O -
- nez, ve - nez tou-jours; Ve - nez, ve -
- sez, o - sez tou-jours O - aez, o -
-nez tou - jours! „, .
-sez tou -jours! Et ™-em la Da '
- le Qui por
BATELIER D'AVIRON (Jacques LU), ju-
risconsulte français du xvie siècle. Il émit
avocat au présidial d'Evreux, et a laissé des
Commentaires sur la.coutume de Normandie,
publiés à Rouen en 1626, à la suite de ceux de
Bérault et de Godefroy (2 vol. in-fol.).

BATELLERIE
s. f. (ba-tè-le-rî — rad. ba-
teau). Industrie du transport par bateaux:
A Lyon, une lutte s'établit ardente, âpre, ac-
tive, entre le chemin de fer et la BATELLERIE à
vapeur. (L. Jcurdan.)

BATEMAN
(Thomas), médecin anglais, né
en 1778, mort en IS21. Il s'adonna d'une façon
toute spéciale à l'étude des maladies de la
peau, en suivant les leçons du docteur Willan,
qui lui légua tous ses manuscrits, et il exerça
son art à Londres. On a de lui plusieurs ou-
vrages, notamment : A practical synopsis of
cutaneous diseases (Londres, 1813), qui a été
traduit en français par M. G. Bertrand, sous
ce titre : Abrégé pratique des maladies cuta-
nées, classées d après le système nosologique du
docteur Willan (Paris, 1820, in-8°). L'ouvrage
anglais avait été accompagné d'un atlas expli-
catif. On peut également citer son Report on
the diseases of London, etc., from 1804 to 1816
(Londres, 1816).
BATEMAN, théologien anglais. V. BÂTES.
BATEMAN (John-Frédéric), ingénieur an-
glais, né en 1810 près d'Halifax, comté
d'York, descendait par sa mère d'une famille
d'émigrés français, qui se fixa en Irlande à la
suite de la révocation de l'édit de Nantes. Il
fut élevé par des maîtres particuliers, et reçut
l'instruction professionnelle dans le comté de
Lancastre, le grand centre manufacturier de
l'Angleterre. M, Bateman s'adonna d'une façon
toute spéciale à l'étude de l'art hydraulique.
On lui doit un grand nombre de travaux
appartenant à cette spécialité : des canaux,
des bassins, la rectification de divers cours
d'eau, et surtout d'importants ouvrages de-
mandés par des villes et des places populeuses
pour la fourniture d'eaux abondantes; ou-
vrages parmi lesquels on doit citer particuliè-
rement les constructions hydrauliques de la
ville de Manchester et celles de la ville de
Glascow, aboutissant au lac Katrim, qui sont
les œuvres d'art les plus remarquables de ce
genre, exécutées dans la Grande-Bretagne.
Les travaux hydrauliques de Manchester fu-
rent signalés par les grandes difficultés que
présentait la construction de vastes réser-
voirs artificiels. On cite encore les travaux
du viaduc du lac Katrim, inaugurés en pré-
sence de la reine, et remarquables par la rapi-
dité de cette heureuse et utile entreprise, con-
duite jusqu'à une distance de57 kil., au moyen
de nombreux tunnels creusés à travers un pays
des plus accidentés. En somme, M. Bateman
a fourni de l'eau aux besoins de plus de 2 mil-
lions de personnes, soit en établissant des
constructions nouvelles, soit en remaniant ou
360
en développant les anciennes. Il a introduit
divers perfectionnements notables dans les
procédés et les applications de ce genre de
constructions. Ses recherches sur la chute des
pluies et sur l'écoulement des eaux ont con-
tribué au progrès et à la diffusion de notions
exactes sur ce sujet, qui relève du physicien
météorologiste autant que de l'ingénieur.
M. Bateman a écrit plusieurs articles sur
cette question, ainsi que sur l'aménagement
des* eaux dans les villes, et sur d'autres sujets
de la science hydraulique. Ces études ont été
publiées dans les Transactions (mémoires) de
la Société littéraire et philosophique de Man-
chester, dans celles de l'Association britan-
nique pour l'avancement de la science, de
l'Institut des ingénieurs civils, etc.

BATEMANNIE
s. f. (ba-te-ma-nî). Bot.
Genre de plantes de la famille des orchidées,
tribu des vandées, comprenant une seule
espèce, qui croît dans l'Amérique tropicale.

BATEMARE
s. f. (ba-te-ma-re). Nom de
la bergeronnette dans notre vieille langue.

BATÊME
BATISER, BATISMAL ; etc.
Orthographe de baptême et de ses dérivés,
indiquée par l'Académie, mais complètement
hors d'usage.

BATEMON
(Nicolas), antiquaire anglais, né
en 1812, mort en 1862. Fils d'un antiquaire
distingué, il s'est adonné comme lui, d'une
façon particulière, a l'étude des monuments
celtiques et saxons. Outre d'intéressants tra-
vaux et articles publiés dans le recueil inti-
tulé Collectanea antiqua, Batemon a fait pa-
raître, en 1848 et en 1858, les deux ouvrages
suivants : Vestiges des antiquités du comté de
Derby, et Dix ans de recherches dans les mo-
numents funéraires celtiques et saxons des
comtés de Derby, de Stafford et d'York. Une
fortune considérable permettait à M. Batemon
de satisfaire ses goûts pour les anciens ma-
nuscrits, les vieilles enluminures et les livres
rares. 11 avait fait de sa belle résidence de
Lomberdale-house, dans le comté de Derby,
un véritable musée. Ce musée, très-riche en
antiquités grecques, romaines et du moyen
âge, mais surtout en antiquités celtiques et
anglo-saxonnes, était, comme celui du comte
de Derby, à Chastworth, ouvert au public, qui
pouvait le visiter en tout temps.

BATENBOUHG
bourg de Hollande, pro-
vince de Gueldre, à 14 kil. de Nimègue, sur la
Meuse ; G00 hab. Situé sur l'emplacement de
l'ancien Oppidum Ratavorum.

BATEN-KAÏTOS
s. m. (ba-tainn-ka-i-toss).
Astr. Nom de l'une des étoiles de la constel-
lation do la Baleine.

BÂTER
v. a. ou tr. (bà-té — rad. bât).
Munir d'un bât: BÂTER un âne, un mulet.
La laine dont les lamas sont couverts dispense
de les BÂTER. (Buff.)
— Fam. Marier, en considérant le mariage
comme une espèce d'assujettissement, d'es-
clavage :
Diantre soit fait, dit l'époux en colère,
Et du témoin, et de qui Va bàiè. LA FONTAINE.
— Prov. Qui bâte la bête la monte, Qui
habille et pare une femme a droit à ses der-
nières faveurs. Ce proverbe indécent appar-
tient à la langue de Rabelais, et n'a plus
droitde cité, aujourd'hui que les mœurs se
sont épurées, du moins quant aux apparen-
ces; chez nous, lorsque la forme est sauvée,
le fond devient sans importance-, l'essentiel
est moins d'être honnête homme que de le
paraître. Le xixe siècle y a-t-il gagné? Ques-
tion très-difficile et encore plus délicate à
résoudre.
— Neutral. Bien ou mal bâter, Aller, con-
venirbien ou mal, comme un bat qui vaou ne
va pas à la bête qui le porte : Cette affaire mor-
tifia les jésuites, d'autant plus que cette même
affaire leur BÂTAIT MAL à Rome. (St-Sim.)
Les personnes enivrées de la cour se croient
tout permis, et, quand cela BÂTE MAL, elles se
croient perdues. (St-Sim.)
— Antonyme. Débâter.

BATÉRALECTORE
adj. (ba-té-ra-lèk-to-re
— du gr. batêr marcheur; alectàr, coq).
Ornith. Qui est do la race des gallinacés
marcheurs.
— s. m. pi. Famille de gallinacés mar-
cheurs.

BATÉRAPTODAGTYLE
adj. (ba-té-ra-pto-
dak-ti-le — du gr. batêr, marcheur; apto, je
touche; daktuloSj doigt). Ornith. Qui a des
doigts prenants et propres à la marche,
comme le perroquet.
— s. m. pi. Famille d'oiseaux qui offre ce
double caractère.

BATÉROCHOROPTÈNE
adj. (ba-tc-ro-ko-
ro-ptè-ne — du gr. batêr, marcheur; chôros,
champ; ptênos, volatile). Ornith. Qui ap-
partient aux gallinacés marcheurs et cam-
pestres.
— s. m. pi. Famillo de gallinacés qui offre
ce caractère.

BATERSE
s. f. (ba-tèr-se). Agric. Sorte de
grosse charrue.

BATES
ou BATEMAN (Guillaume), prédica-
teur et théologien anglais, né en 1625, mort
en 1699, Il se fit connaître par son savoir et
son éloquence ; devint chapelain de Charles IT ;
fit preuve, dans diverses négociations ecclé-
siastiques, d'autant d'habileté que d'esprit de
< conciliation, e+ occupa le poste de pasteur
; presbytérien a Durhain. Son refus de se sou-
j mettre à l'acte de conformité lui valut sa
I destitution. Oh a de lui plusieurs ouvrages
j bien écrits, des traités, des sermons, etc. Les
l principaux sont : Réflexions sur l'existence de
i Dieu et sur l'immortalité de l'âme, avec un
! discours sur la divinité de Jésus-Christ ; Vitœ
selectœ wrorum qui doctrina, dignitate et pie-
tate inclaruere (Londres, 1681, in-4°).
BATES (Jean), célèbre organiste anglais, né
en 1740j mort en 1799. Il fut chargé, en 1776,
d'organiser le concert de musique ancienne, et
reçut, en 178-1, la mission de diriger les ora-
torios exécutés h Westminster, pour l'anni-
versaire de la mort de Hcendel. Il devint plus
tard directeur de l'hôpital de Greenwich.
Bâtes a composé un opéra, Pharnaces, et trois
opérettes.. De toutes ses œuvres de musique
vocale et instrumentale, six sonates pour piano
ont été seules publiées. — Sa femme, Sara

BÂTES
connue d'abord sous le nom de miss
Harrop, reçut des leçons de Sacchini, et étu-
dia avec son mari le style de Hasndel. Elle
acquit la réputation d'une cantatrice excel-
lente, tant par la pureté et l'étendue dé sa
voix que par l'expression dramatique.

BATEUL
s. m. (ba-teul — rad. battre).
Techn. Partie du harnais des bêtes de somme,
qui leur bat sur la croupe, il On écrit aussi
BATEUIL.

BAT-FILIÈRE
s. f. (ba-fi-liè-re — de battre
et fil). Techn. Outil à battre les fils métalli-
ques. || PI. Des BAT-FILIÈRE.

BATH
s. m. (batt). Métrol. Mesure de ca-
pacité pour les liquides, chez les Hébreux et
les Egyptiens.
— Encycl. Ly bath valait 18 litres 88 ; il
avai* un multiple, le cor, et quatre sous-mul-
tiples, le hin, le log, la rabùte et le cos. Plu-
sieurs auteurs pensent qu'il y avait aussi un
petit bath, égal aux deux tiers du précédent,
c'est-à-dire valant il litres 39. Sous lesPtolé-
mées, le bath, appelé aussi artaba, correspondit
à 35 litres; en même temps, il reçut un nou-
veau sous-multiple, le cadaa.
BATH, ville d'Angleterre, comté de Somer-
set, à 18 kil. E. de Bristol et à 1G2 kil. S.-O.
de Londres, sur l'Avon et sur le chemin de fer
de Great-Western ; 60,000 hab. Bien située,
bien bâtie, Bath possède une école de belles-
lettres et de sciences et une école de sciences
appliquées; des sociétés littéraires et artisti-
ques, un théâtra et de belles promenades ;
mais ce qui distingue surtout cette ville, ce
sont ses sources thermales et ses magnifiques
établissements de bains, les plus fréquentés du
Royaume-Uni. Les eaux de Bath, qui attirent
annuellement 15,000 visiteurs, connues dès
l'époque romaine, sont sulfatées et calcaires;
elles émergent de l'alluvion recouvrant le lias,
par trois sources; leur densité est de 1,0024
et leur température varie de 42° 78 à 470 22
centigrades.
On remarque dans cette ville les ruines d'un
temple de Minerve élevé par Agricola ; la
cathédrale de Saint-Pierre et Saint-Paul, vé-
nérable monument d'architecture ogivale, ter-
miné en 1582, mais considérablement augmenté
depuis, et dont le grand portail occidental est
remarquable par sa richesse. On remarque à
l'intérieur ses nombreuses croisées, le jubé, la
chapelle du prieur Bird et les monuments de
l'acteui" Kean, avec une épitaphe de Garrick,
de l'évêque Montagne, du colonel Newton,
d'Herman Katenkamp, et de l'amiral Bikerton,
par Chantrey. Il Ville des Etats-Unis, dans
l'Etat du Maine, sur le Kennebeck, avec un
port et des chantiers de construction navale ;
6,000 hab.; reliée par un chemin de fer à
Portland et à Augusta. On trouve des villes
du même nom dans la Virginie, la Caroline du
Nord et l'Etat de New-York.

BATHAMPTON
ville d'Angleterre. V. BAMP-
TON.

BATHE
(Guillaume), écrivain irlandais, né à
Dublin en 1564, mort à Madrid en 1614. Né
d'une famille protestante, il abjura, se fit jé-
suite dans les Flandres, voyagea en Italie et
en Espagne, et devint directeur du séminaire
irlandais de Salamanque. Il a publié divers
ouvrages, dont les principaux sont : Courte
introduction à l'art véritable de la musique
(Londres, 1584); Janua linguarum (Salaman-
que, 1611) ; et Préparation pour le sacrement de
pénitence (1614), livre ascétique qu'il a fait
paraître en espagnol, sous le pseudonyme de
Pierre Manrique.

BATHÈLE
s. m. (ba-tè-le). Bot. Espèce de
lichen, qui croît en Afrique, il On dit aussi
BATHÉLÉUM.

BATHÉNIEN
s. m. (ba-té-ci-ain). Hist.
Nom donné en Egypte aux Ismaéliens, et
qui, suivant quelques auteurs, signifie illu-
miné ; suivant d'autres, partisan du sens inté-
rieur.

BATIÏGATE
ville d'Ecosse, comté et à 9 k.
S. de Linlithgow ; 3,600 hab. Exploitation de
houille et calcaires ; fabrication de cotons ;
importantes foires aux bestiaux.

BATHIDE
s. f. (ba-ti-de). Entom. Genre
d'insectes coléoptères tétramères, de la fa-
mille des chrysomélincs, formé aux dépens
des colaspis. et comprenant deux espèces,
qui vivent dans l'Amérique du Sud.
BATH 1LDE ou BATI LDB (sainte), épouse de
Clovis II, morte en 680. Elle apparaît comme
une blanche et pure vision dans le tableau
sanglar.t et sombre que déroule à nos yeux
l'histoire de cette race épuisée, imbécile, ma-
lade, des Mérovingiens. Nous la rencontrons,
sainte et digne, lorsqu'à peine nous venons de
tourner la page qui nous a raconté la vie de la
sanguinaire Frédégonde et de la trop fameuse
Brunehaut. Ce rapprochement nous la montre
plus sainte encore et plus digne ; on ai-
merait à reposer bien longtemps ses regards
sur elle, et 1 on voudrait en parler tout à son
aise... Mais nous devons nous restreindre ; au
lieu d'un portrait en pied, faire un mé-
daillon.
Quelqueschroniqueurs, se plaçant au point de
vue des courtisans contemporains, et qui, sans
doute, avaient cru flaiter la vanité de la reine,
la font descendre des princes saxons d'Angle-
terre. — De nos jours encore, on se plaît à
ces flatteries-là. — Pour nous, qui ne croyons
pas à la transmission, par les molécules sper-
matiques de la sainteté en Orient, de la no-
blesse en France, Bathilde, pour n'être pas
sortie d'un sang princier, ne nous en paraît
fias moins noble, moins intéressante. Prenons-
a donc comme l'histoire vraie nous la mon-
tre : esclav°, et où, pour la première fois,
elle nous la fait connaître, chez Erchinoald,
maire du palais, et attachée au service de la
femme de celui-ci.
Le jeune roi Clovis II rencontra Bathilde
chez Érchinoald ; il fut touché do sa grâce,
frappé de son esprit élevé, épris de sa beauté.
Plus tard, nous verrons ses successeurs n'avoir
qu'à manifester un désir luxurieux, et père,
mère, frère, se hâter avec bassesse, avec non-
heur, de prostituer femme, fille, sœur à ce
royal désir. Au temps de Clovis, il n'en était
point encore tout à tait ainsi ; c'était au temps
(chante la chanson en riant, mais en disant
vrai) où les rois épousaient les bergères. —
Clovis épousa Bathilde.
En l'année 656, Clovis II mourut. Ce saint,
disent les uns ; ce débauché, disent les autres ;
à coup sûr, cet homme charitable, mais fou à
lier, comme l'ont été beaucoup de rois de
France, beaucoup d'empereurs romains, beau-
coup de ceux qui ont eu à gouverner les
hommes, laissait de sa belle esclave saxonne
trois fils : Clotaire, Childéric et Thierry.
Une assemblée générale des primats choisit
Clotaire, l'aîné, pour roi unique. Bathilde fut
nommée régente. Erchinoald, l'ancien maître
de la jeune reine, lui, que l'histoire dit sage
et d'un esprit élevé, s'était incliné depuis
longtemps; il restait comme serviteur de son
ancienne servante. Grâce au concours de ce
sage conseiller, Bathilde remplit ses difficiles
fonctions avec autant de dignité que de sa-
f esse. Elle maintint dans l'obéissance les lou-
es turbulents, fit respecter son administration
au dehors, abolit la coutume d'avoir des
esclaves attachés à sa personne, et s'efforça de
supprimer les exactions.qui entraînaient si
souvent les particuliers à vendre leurs en-
fants. En même temps, d'accord avec saint
Ouen et d'autres évêques, elle entreprit de
mettre un terme à la simonie qui régnait dans
['Eglise, et aux brigues pour l'épiscopat; enfin,
elle fonda plusieurs hôpitaux, construisit ou
restaura plusieurs monastères.
Dès lors, peut-être, eût commencé véritable-
ment la formation de la nationalité française ;
entre les mains fermes du maire du palais et
par l'intelligence à la fois et la modération de
la reine se serait formée cette autorité royale,
unique, souveraine, et partant, cette France,
telle qu'essaya de la faire Louis XI, telle que
la fit Richelieu; mais le temps n'était pas en-
core venu, sans doute.
Erchinoald meurt en 659, et il est remplacé
par Ebroin. Ce nouveau maire du palais, on
l'avait pris quelque part dans un bourg mili-
taire des environs de Soissons, où, parmi ses
compagnons, il s'était acquis une haute impor-
tance par sa violence, sa force, sa morgue,
ses fanfaronnades, qualités très-prisées dans
une caserne, et qu'if apporta en ses nouvelles
fonctions.
« II n'y a qu'une opinion sur son compte, dit
Bûchez, parmi les chroniqueurs. Il était avide,
il vendait également la justice et l'injustice;
il dépouilla plusieurs Français, non pas de
leurs bénéfices, mais de leurs biens propres
(proprias facultates) ; il chargea le peuple de
contributions nouvelles; il faisait tuer ceux
qui lui résistaient. Il semblait que par lui le
mal fût érigé en système. Il est certain qu'il
fut l'auteur des désordres qui éclatèrent plus
tard. On a cherché la raison de ces provo-
cations brutales, de cette conduite impru-
dente et sauvage. On a cru voir un but poli-
tique là où il n'y avait probablement qu'un
égoïsme effréné et intrépide. »
Ce despotisme, ces violences, qui rappelaient
les règnes de Brunehaut et de Frédégonde,
furent mis, par l'hypocrisie d'Ebroin, sur le
compte de Bathilde. La pauvre jeune femme,
cependant, vivait retirée en son palais, d'où,
tout entière au soin de ses enfants, et retenue
Far l'ascendant du maire, elle n'entendait que
écho lointain des plaintes de ses sujets.
Ces plaintes se rapprochèrent cependant;
elles se changèrent en cris, en menaces, et la
reine régente fit tous ses efforts pour les cal-
mer. Mais la puissance d'Ebroin était trop
grande alors; elle était trop assise, ses parti-
sans étaient trop nombreux, pour que Bathilde
pût l'arrêter dans la voie sanglante qu'il avait
prise.
Alors, ne voulant pas assumer sur elle 1«5
crimes qui se commettaient en son nom, la
mère du roi se retira en l'abbaye de Chelies,
qu'elle avait fondée. Là, douce, résignée,
humble, comme au temps où elle était esclave,
elle se soumit aux règles sévères qu'elle-
même avait dictées, et à l'abbesse nommée par
elle.
-Le 30 janvier 680, à l'âge de quarante-cinq
ans, Bathilde s'éteignit doucement. Ses restes
furent inhumés dans le couvent où s'étaient
écoulées les années les plus heureuses et les
plus calmes de sa vie. Elle a été canonisée
par le pape Nicolas 1er.
Bathilde, drame en trois actes par M. Au-
guste Maquet, représenté sur le théâtre de la
Renaissance, le 14 janvier 1839. — M»™ Ba-
thilde de Linière, jeune et jolie veuve, habitait
une de ses terres aux environs de Tours.
M. Marcel, la fieur des pois du département,
le Lovelace de l'endroit, était fort amoureux
de Bathilde. Bathilde, ne soupçonnant pas
Marcel capable d'un amour si romantique, ne
se faisait aucun scrupule d'aller se promener
avec lui sur la rivière, croyant son honneur
en sûreté dans un bateau; mais Marcel ayant
fait chavirer le frêle esquif, il s'ensuit un
évanouissement de la peureuse Bathilde, dont
il profite pour lui ravir l'honneur. Alors, au
lieu d'aimer Marcel, Bathilde le prend subite-
ment en horreur, et, pour l'éviter, se sauve à
Paris, où elle est sur le point d'épouser
Deworde, son cousin, qu'elle aime en secret
depuis longtemps. Marcel, plus amoureux que
jamais, tombe comme un obus au milieu d'une
fête donnée par Bathilde, et la force, par ses
menaces, à le suivre dans sa chambre, rue
Taitbout. A demi morte de frayeur, Bathilde
perd l'usage de ses sens en arrivant chez
Marcel, qui s'efforce de la faire revenir à elle
à l'aide des protestations les plus tendres,
auxquelles elle ne répond que par des gestes
de mépris et des paroles de haine. Cependant
Deworde arrive avec des pistolets et veut
prendre la défense de Bathilde ; mais celle-ci,
interpellée et sommée par Marcel de déclarer
celui qu'elle aime, n'ose pas dire que c'est
Deworde, de peur que Marcel ne raconte les
suites du terrible chavirement du bateau.
Deworde, désespéré, n'ayant plus aucun droit,
salue Marcel et se retire. Marcel, éperdu de
joie, s'imagine que Bathilde est revenue de sa
haine contre lui et que les glaces de son âme
se sont enfin fondues au feu de ses soupirs. Il
se jette à ses pieds en criant : « Vous m'aimez
donc! — Je vous méprise, » répond majes-
tueusement Bathilde en se dirigeant vers la
porte, où Guillaumin, sorte d'ami grotesque de
Marcel, la rencontre fort à propos pour lui
donner la main et la conduire au couvent. —
Ce drame est le début au théâtre de M. Auguste
Maquet. Beaucoup d'invraisemblances, des
scènes et des "situations choquantes, mais du
mouvement et de l'imagination, voilà ce qu'on
trouve dans cette œuvre, fille bâtarde d'Antony
et de Terésa.

BATH-KOL
s. m. (batt-kol). Hist. Nom qui,
en hébreu, signifie littéralement la fille de ta
voix, et que les Hébreux donnaient à un do
leurs oracles ou aux inspirations de leurs
prophètes.

BATHME
s. m. (batt-me— du gr. bathmos,
même sens). Anat.Cavité d'un os, dans laquelle
s'enchâsse la saiUie d'un autre os. u On dit
aussi BATHMUS.
BAT11NA ou BATNA, ville d'Algérie, pro-
vince de Constantine, ch.-l.de la 3U subdivi-
sion militaire de la province, située dans les
monts Aurès, à 110 kil. S. de Constantine, sur
un territoire très-fertile, où abondent l'eau et
le bois; climat très-sain ; 1,750 hab. Auprès, se
trouvent les belles rumes de Lambessa. Dans
la ville, fondée en 1844, au milieu de rues
spacieuses et tirées au cordeau, on voit une
caserne, un hôpital et une belle église mo-
derne; plusieurs usines, nombreux moulins à
blé.

BATHOMÈTRE
s. m. (ba-to-mè-tre — du
gr. bat nos, profondeur; metron, mesure).
Phys. Instrument proposé pour déterminer
les grandes profondeurs de la mer.

BATHOMÉTRIE
S. f. (ba-to-mê-trî — rad.
bathomètre). Phys. Art de déterminer los
profondeurs de la mer.

BATHOMÉTRIQUE
adj. (ba-to-mé-tri-ke —
rad. bathométrie). Phys. Relatif à la batho-
métrie : Mesures BATUOMÉTRIQUES.

BATHORI
où NYR-BATHOR, bourg des
Etats autrichiens (Hongrie), comitat de Sza-
! bolcs, dans la province de Gross-Wardein;
| 3,142 hab. Berceau de la famille Bathori.
| o BATHORI ou BATTOR1, nom d'une ancienne
. et noble famille, originaire de la Hongrie, qui
a fourni à la Transylvanie, où elle vint s'établir
| au xivc siècle, plusieurs princes ou vavvodes,
et un roi à la Pologne. Les membres les plus
importants de cette famille sont les suivants :
BATHORI (Etienne), né en 1532, mort en
1586, acquit par sa valeur, par ses talents et
par les services rendus, une telle influence en
Transylvanie, qu'à la mort de Jean Sigismond,
en 1571, il fut nommé spontanément vayvode
par les Transylvains. Trop faible pour se dé-
clarer indépendant, il se vit forcé de demander
l'investiture de cette souveraineté au sultan
Sélim II, qui la lui donna en 1573, et, deux
ans après, il battit à Saint-Paul Gaspard Bè-
thési ou Békési, qui venait d'envahir la Tran-
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sylvanie avec une armée dans le but de le
renverser. En 1575, Henri de Valois, roi-de
Pologne, ayant quitté furtivement ce pays
pour revenir en France succéder à son frère
Charles IX, les Polonais déclarèrent le trône
vacant, et élurent pour roi, de préférence à
Maximilien d'Autriche, Etienne Bathori, qui
fut couronné à Cracovie en 1576, et épousa
Anne, tille de Sigismond-Auguste, le dernier
roi Jagellon. Brave, actif, juste, bienfaisant,
Bathori eut un règne glorieux, et mérita l'af-
fection des Polonais. Il triompha de son com-
pétiteur Maximilien d'Autriche, prit Dantzick
aux Autrichiens, lutta pendant cinq ans contre
les Russes, leur enleva la Courlande et une
partie de la Livonie, réorganisa l'adminis-
tration civile dans toutes ses branches, fonda
l'académie de Vilna, disciplina l'armée ainsi
que les Cosaques de l'Ukraine, et créa cette
cavalerie polonaise, si redoutée des Turcs et
des Russes. Il songeait, dit-on, à faire de la
Pologne un royaume héréditaire, lorsqu'il
mourut sans postérité à Grodno, à la suite
d'un accès de colère provoqué par la rébel-
lion de Riga; —BATHORI (Christophe), frère
iu précédent, lui succéda comme prince de
Transylvanie en 157G, et mourut en 1581,
après avoir fait alliance avec les Turcs et ap-
pelé dans ce pays les jésuites, à qui il confia
l'éducation de son fils ; — BATHORI (Sigismond),
fils du précédent, fut élu prince de Transyl-
vanie du vivant même de son père, auquel il
succéda en 1581. Elevé par les jésuites, il de-
vint dans leurs mains un pur instrument, et
leur influence se fil aussitôt sentir par les
troubles qui agitèrent le pays. Il commença pai*
rompre avec la Porte, et, comme les Etats
voulurent s'opposer à cette rupture, il étouffa
leur résistance dans le sang. Bientôt après, il
épousa une princesse de la maison de Habs-
bourg; mais presque aussitôt, cédant aux
conseils du jésuite Simon Genga, il abdiqua
en faveur de l'empereur Rodolphe II, qui lui
promit en échange le chapeau de cardinal
avec une pension viagère, et il embrassa l'état
ecclésiastique. Les Etats, indignés de ce trafic
d'un pouvoir qui émanait de la nation seule,
protestèrent avec énergie; mais encore une
fois le sang coula ; l'un des membres les plus
éloquents de l'opposition, Etienne Josibia eut
la tête tranchée, et la Transylvanie fut livrée
à des commissaires autrichiens en 1588. Si-
gismond, ayant vainement attendu le chapeau
de cardinal qu'on lui avait promis, finit par
comprendre qu'il avait été le jouet d'une in-
trigue. Il revint en Transylvanie, essaya de
faire donner le pouvoir à son frère Balthazar
Bathori, puis il alla se réfugier en Pologne.
Balthazar fut défait près de Kronstadt par
l'armée de George Basta et âe Michel, vay-
vode de Valachie, envoyés contre lui par
l'empereur, et massacré peu de jours après
par le peuple. La mésintelligence qui s'éleva
bientôt après entre les vainqueurs, Michel
et Basta, .permit à Sigismond Bathori de re-
paraître en- Transylvanie en 1601, et de res-
saisir le pouvoir. Battu à Govoslo par Mi-
chel et Basta, qui s'étaient réconciliés, il se
réfugia en Valachie, revint une dernière fois
en Transylvanie, et, après une abdication dé-
finitive en faveur de Rodolphe, moyennant
une pension de 300,000 thalers et une terre en
Bohême il terminaobscurément, en 1613, une
vie qui, grâce aux jésuites, avait été si cala-
miteuse pour son pays. En lisant l'histoire si
remplie d'incidents de Sigismond Bathori et
des autres princes de sa famille, on ne peut
s'empêcher de se demander si notre La Fon-
taine, qui vint" au monde quelques années
après seulement, ne songeait pas à eux lors-
qu'il disait si bien, dans sa fable des Deux
Voleurs et l'Ane :
L'&ne, c'est quelquefois une pauvre province;
.. Les voleurs sont tel ou tel prince,
Comme le Transylvain, le Turc et le Hongrois.
— BATHORI (Gabor ou Gabriel), frère du pré-
cédent, fut élu prince de Transylvanie en 160S,
et consentit a reconnaître pour suzerain l'em-
pereur Rodolphe ; mais il devint si odieux aux
Transylvains par son orgueil et ses débau-
ches, qu'après une révolte de la noblesse,
comprimée en 1610, les Saxons se soulevèrent
à leur tour et le battirent à Kronstadt. Le roi
de Hongrie Mathias, pensant qu'il lui serait
facile eu ce moment de conquérir la Transyl-
vanie, prêta son concours aux révoltés, s'em-
para de "Weissembourg, battit Bathori et l'en-
ferma dans Hermanstadt. Le vaincu allait être
forcé de se rendrej lorsque son cousin Bethlen-
Gabor accourut a son secours à la tête de
troupes turques, et fit conclure la paix en 1611.
Au lieu de se montrer reconnaissant, Bathori
essaya de, faire assassiner Bethlen, qui lui
portait ombrage. Celui-ci se rendit aussitôt en
Turquie, obtint du sultan Achmet I^r une armée
de 60,000 hommes, commandée par Sandar-
pacha, et entra en Transylvanie, où il fut pro-
clamé vayvode, pendant que Bathori, détrôné
' par le peuple, prenait la fuite et mourait assas-
siné h G rosswardein en 1613. Il fut le dernier
représentant de cette famille qui régna en
Transylvanie;— BATHORI (Elisabeth), nièce
d'Etienne, roi de Pologne, et femme d'un
seigneur hongrois nommé Nadasty, morte
en 1614. Elle s'est rendue fameuse par des
actes d'une monstruosité peut-être unique
dans les annales du crime. Cette horrible
créature vivait dans son château de Cseithe,
avec plusieurs jeunes filles qui lui tenaient
compagnie et qu elle punissait, pour les fautes
les plus légères, avec une cruelle sévérité,
Ayant un jour frappé une de ses demoi-
selles d'honneur avec une telle violence, que
le sang de celle-ci lui rejaillit au visage, elle
crut remarquer, en s'essuyant, que, sous le
sang, sa peau était devenue plus douce et plus
blanche. Aussitôt elle forma le projetde pren-
dre des bains de sang humain, dans l'espoir
de se rajeunir, et elle fit égorger secrètement
et successivement plus de six cent chiquante
jeunes filles de la contrée. Le deuil devenait
universel, et on ne savait qui accuser, lorsque
la disparition d'une nouvelle victime vint
donner l'éveil. Son fiancé ayant eu quelques
soupçons prodigua l'argent, finit par savoir
la vérité, et s<* rendit à Presbourg, où il dé-
nonça le crime. Georges Thurzo, palatin de
Hongrie, se rendit sur-le-champ au château
de Cseithe (1010). Il surprit Elisabeth en fla-
grant délit avec ses trois complices, son nain
Flisko et deux vieilles femmes, qui, après
avoir procuré les victimes, jetées dans une
cave profonde, les égorgeaient, recevaient
leur sang dans un pot déterre, et le versaient
tout fumant sur le corps d'Elisabeth Bathori.
Ces deux femmes furent brûlées vives; le nain
fut décapité après avoir eu, comme celles-ci,
le poing tranché; quant à Elisabeth, elle fut
condamnée à une détention perpétuelle dans
un cachot de son château d'Esei, où elle
mourut trois ans après. On trouve encore au-
jourd'hui dans les archives du chapitre de
Gran, en Hongrie, les pièces relatives à l'in-
struction de cette lugubre série de crimes.
" BATHRIK s. m. (ba-trik). Hist. Nom sous
lequel on désigne les patriarches chrétiens
dans les pays orientaux.

BATHSÈBE
s. f. (ba-tsè-be). Entom. Genre
d'insectes coléoptères tétrameres, delà famille
des chrysomélines, formé aux dépens des
colaspis et comprenant une seule espèce, qui
' vit au Cap de Bonne-Espérance.
BATHIJR1N ou BATOUR1NE, ville de la
Russie d'Europe, gouvernement et à-.l'E. de
Tchernigow, district et à 30 kil. N.-O. de Ko-
notop, près de la Seym, affluent de la Desna;
9,000 hab. Ancienne résidence de l'hetman des
Cosaques; prise et saccagée par les Russes
en 1708.

BATHURST
ou BATHCRST-TOWN (pro-
noncez Baceurste), colonie et ville anglaise
dans le bassin de la Gambie (Afrique occiden-
tale), auprès de la mer, par 13° 28' làt. N. et
18° 55' long. O., résidence du gouvernement
local; fondée en 1816; 3,000 hab. Le sel est le
principal article de troc contre les produits
indigènes. Il Ile au N. de l'Australie, près du
golfe de Van-Diemen, par no 30' lat. S. et
128° long. E. Ville principale : Port-Raffes,
fondéeeni824. Il Ville de l'Australie (Nouvelle-
Galles du Sud), sur le versant occidental des
montagnes Bleues et la rive gauche du Mac-
quarie, à 200 kil. de la mer; aux environs,
récentes et riches mines d'or, n Ville de l'Afri-
que méridionale, dans la colonie anglaise du
Cap, ch.-l. du district d'Albany, à SOO kil. E.
du Cap.
BATHURST, nom d'une famille anglaise,
dont l'origine remonte .a la conquête de l'An-
gleterre par les Normands, et qui compte plu-
sieurs membres distingués, parmi lesquels
nous citerons les suivants : Ralph BATHURST,
poëte et savant, né en 1620 dans le comté de
Northampton, mort en 1704. Médecin de la
marine sous Cronrwell, il fut un des fonda-
teurs de la Société royale de Londres, et, étant
entré dans les ordres après la restauration, il
fut nommé chapelain de Charles ÏI, président
du collège de la Trinité à Oxford, et, en 1673,
vice-chancelier de l'université de cette ville.
Promu évêque de Bristol en 1691, il refusa ce
siège et mourut aveugle. On a de lui un ou-
vrage curieux sur les fonctions de la respira-
tion, intitulé : Prœlectiones très de respira-
tione (Oxford^ 1634); Nouvelles de l'autre
monde, en anglais (Oxford, 1651), ouvrage
dans lequel il raconte l'histoire de AnneGreen,
pendue, en 1650, pour crime d'infanticide, et
rappelée à la vie par ses soins; des poésies
insérées dans les Ânalecta Musarum, etc. Un
choix de ses œuvres a été publié par Warton,
sous le titre de Literary Bemains (Restes litté-
raires), 1761; — Allen BATHURST, homme
d'Etat, né à Westminster en 1684, mort en
1775, fut élu en 1705 au parlement par le
bourg de Cirencester, et porté a la chambre
haute par les torys en 1711. Il s'y signala
comme un des adversaires les plus acharnés
du ministère "Walpole. Nommé membre du
conseil privé par George II, il arriva au com-
ble de la faveur sous George III, dont il
avait été le trésorier pendant que celui-ci
n'était que prince de Galles. Il en obtint une
pension de 2,000 liv. sterl. (50,000 fr.) et le
j titre de comte en 1772. Bathurst fut en rela-
tion avec les hommes de lettres les plus émi-
nents de l'époque , et Sterne prétend qu'à
quatre-vingts ans il avait encore toute la vi-
vacité d'esprit, la sensibilité et le charme d'un
* homme de trente ans; — Henri BATHURST, fils
du précédent, né en 1714, mort en 1794, étu-
dia la jurisprudence, et fut successivement
nommé solicitor gênerai du prince de Galles
en 1746, juge de la cour des plaids en 1754,
lord et baron d'Aspley en 1771, enfin, appelé
la même année au poste de grand chance-
lier d'Angleterre, qu'il conserva jusqu'en 1778.
Il figura, en qualité de grand sénéchal, dans
le procès de la duchesse de Kingston, en 1776,
f et devint, en 1779, président du conseil privé.
, Il passe pour un des chanceliers les plus in-
capables et les plus dénués de caractère qui
aient jamais rempli ces fonctions dans la
Grande-Bretagne. On a de lui quelques écrits,
notamment une Theo^y of évidence, dont le
juge Buller paraît s'être servi dans son in-
troduction à la loi Nisi prius ; — BATHURST
(Henri, comte DE), homme d'Etat, fils du
précédent, né en 1762, mort en 1834. Porté
aux affaires, autant par la position de son
père que par la faveur du prince hérédi-
taire, depuis George IV, il devint membre
de la commission pour l'Inde en 1793, et fut
appelé, en 1809, à faire partie du ministère
Castelrea^h, en qualité de secrétaire d'Etat
des colonies. Il se signala, parmi les membres
du parti tory, par sa constante opposition à
toutes les mesures libérales demandées par
les wighs, et plus encore par la haine qu'il ne
cessa de manifester en toute occasion contre
la France et contre Napoléon, ce qui lui valut
une certaine popularité en Angleterre. Lors-
que Napoléon, revenant de l'île d'Elbe, inau-
gura son second règne de cent jours, Ba-
thurst déclara, dans le conseil des ministres,
« que l'administration anglaise serait à jamais
déshonorée si, après avoir présenté à l'Eu-
rope la chute de Bonaparte comme le résultat
des vastes etforts de la nation britannique,
cette administration pouvait consentir à le re-
connaître pour souverain. - En conséquence,
il demanda et obtint qu'une partie des fonds
consolidés fût.consacrée à payer les intérêts
de la dette contractée en Hollande par la
Russie pour soutenir la guerre; que des som-
mes considérables fussent appliquées à forti-
fier contre Napoléon les frontières de Belgi-
que, et il se fit accorder un bill dans
le but de pouvoir expulser tout Français de
la Grande-Bretagne. Quand l'empire croula
sur le .champ .de bataille de Waterloo, Ba-
thurst fit voter des remerciements solennels à
lord Wellington et a son armée, et lorsque, en
1816, lord Landsdowne demanda la réduction
de l'effectif, il s'y opposa vivement, en pré-
tendant qu'une nombreuse armée était dé-
sormais nécessaire à l'Angleterre. Comme mi-
nistre des colonies , Bathurst a à répondre
devant l'histoire des mesures odieuses qui
furent prises contre Napoléon vaincu, im-
puissant et désarrfié. Ce fut lui qui fit choix
d'Hudson-Lowe pour être son implacable geô-
lier, et qui lui donna ses instructions. Appré-
ciant un jour la conduite de lord Bathurst,
l'empereur tombé le flétrit en ces termes : « 11
ne m'est donné de pouvoir juger ici ce mau-.
vais dogue, à la pâture duquel il semble qu'on
nous ait livrés, que d'après ses actes envers
moi. La brutalité de ses déterminations, la
grossièreté de ses expressions, le choix in-
fâme de son agent m'autorisent à le juger
ainsi. » Il est facile de comprendre, après ces
paroles, pourquoi Bathurst s'éleva avec tant
de véhémence, en 1817, contre la proposition
de lord Holland, qui demandait une enquête
sur la conduite tenue à l'égard de Napoléon.
La réaction qui s'opéra dans l'esprit public,
vers 1825, amena au pouvoir le ministère li-
béral de Canning, et força Bathurst à se reti-
rer, avec Wellington et Peel. Le parti tory
ayant repris le dessus en 1828, la présidence
du conseil fut donnée à Bathurst; mais la ré-
volution qui éclata à Paris, en juillet 1830,
eut son contre-coup en Angleterre, et, en don-
nant une nouvelle force aux idées libérales
dans ce pays, elle amena la retraite définitive
de cet homme d'Etat.— Le frère du précédent,
Benjamin BATHURST, né à Londres en 1784,
embrassa la carrière diplomatique. Chargé,
en 1809, d'une mission en Autriche, il quitta
Vienne avec des dépêches diplomatiques, et
disparut dans les environs d'Hambourg. Mal-
gré toutes les recherches auxquelles on se li-
vra, il fut impossible d'en retrouver d'autres
traces que quelques lambeaux de vêtements
ramassés au bord de l'Elbe.

BATHYANI
ou BATTYANI, nom d'une an-
cienne et célèbre famille hongroise, qui fait
remonter son origine a Cœrs, compagnon
d'Arpad, lors de l'invasion de la Pan^onie par
les Magyars, en 884, et qui doit son nom à la
terre de Battyani, donnée en 1389 à Grégoire
de Cœrs, par le roi Sigismond, pour le récom-
penser d'éminents services. Il est sorti de
cette maison un grand nombre d'hommes dis-
tingués, guerriers, hommes d'Etat et d'Eglise,
dont nous allons mentionner les plus impor-
tants.
BATHYANI (Balthazar DE), né en 1538,
mort en 1590, s'acquit une grande réputation
militaire dans les guerres contre la Turquie,
et il eut sans cesse à ses frais un corps de
douze cents fantassins et de cinq cents cava-
liers. Il fut élevé, en 1585, à la dignité de
baron de l'empire, et son fils Adam à celle
de comte, en 1630.
BATHYANI (Charles-Joseph, prince I>E), né
en 1697, mort en 1772, fut un des hommes de
guerre les plus distingués de son temps. Dès
1716, il signala sa brillante valeur à la ba-
taille de Peterwaradin, puis aux sièges de
Temeswar et de Belgrade, et, après avoir fait
partie de l'ambassade d'Autriche à Constanti-
nople, en 1719, il servit, comme général, sous
les ordres du prince Eugène, dans la campa-
gne du Rhin, en 1734. Il se battit de nouveau
contre les Turcs à Rudawatz (1737) et à Cor-
nia (1738), fut appelé, en 1741, à commander
la cavalerie dans la yderre contre la Prusse,
au sujet de la succession de Bavière, et ren-
dit, à la tète de ses Croates, d'éminents ser-
vices. Frédéric de Prusse ayant envahi la
Bohême en 1744, Bathyani réunit ses forces
à celles du prince Charles,qui, à la tête d'une
armée imposante, força Frédéric à une re-
traite précipitée. Bientôt après, Bathyani bat-
tait, à Pfaffendorf (1745), les Français et les
Bavarois commandés par le comte de Ségur,
et contribuait puissamment, par ce succès, à
amener la paix de Fussen. Nommé feld-ma-
réchal par Marie-Thérèse, il.fit encore la
„guerre dans les Pays-Bas et sur les bords du
Rhinj puis il fut élevé, en 1764,.à la dignité
de prince de l'empire, à celle de conseiller in-
time/et appelé à la grande maîtrise de la cour
de l'archiduc, qui depuis fut l'empereur Jo-
seph II.
BATHYANI (Ignace, comte DE), né en 1741,
mort en 1798, entra dans les ordres, fut ap-
pelé, en 1781, à occuper le siège épisco^al de
Weissembourg, en Transylvanie, et devint un
Ïirotecteur aussi éclairé que généreux des
ettres et des sciences. Il fonda en 1796, à
Carlsbourg, un observatoire, auquel il laissa
en mourant une somme de 40,000 florins et la
riche bibliothèque qu'il s'était faite. On lui
doit plusieurs ouvrages écrits en latin, dont
le plus important a pour titre : Leges eccle-
siasticœ reqni Bungariœ et provinciarum col-
lecta; et ûlustratœ ( Weissembourg , 1785 ,
in-fol.).
BATHYANI (Casimir, le comte), homme po-
litique, né en 1807. Possesseur d'une immense
fortune, il voyagea dans presque toute l'Eu-
rope après avoir achevé ses études, et sé-
journa longtemps en Angleterre, où le spec-
tacle d'un peuple libre fit sur son esprit une
vive impression. De retour dans sa patrie, il
fut appelé, à partir de 1840, à siéger dans la
diète. Il se signala par ses vues larges et libé-
rales, se mêla activement à toutes les entre-
prises ayant un caractère national, et aida de
sa fortune à la publication d'ouvrages hon-
grois, écrits en faveur de la liberté. Lorsque,
en 1848, les Croates, sous l'instigation de
l'Autriche, entrèrent en lutte avec la Hon-
grie, M. Bathyani, qui venait d'être nommé
grand bailli (obergespan) et commissaire du
gouvernement dans le comté de Barany, se
montra aussi habile administrateur qu'homme
de guerre énergique. Il s'empara de la place
forte d'Essek, assura la navigation du Da-
nube et de la Drave, sortit vainqueur des com-
bats de Szarwas et de Chezin, et se retira à
Debreczin, lorsque Essek fut tombé au pou-
voir des Autrichiens, au commencement de
1849. Il fut alors appelé au gouvernement ci-
vil et militaire de la petite Koumanie, de Sze-
gedin, etc. ; puis il prit part à l'expédition
que fit Perczel dans la Bacska et le Banat, et
qui eut pour résultat la soumission de ces
contrées. Lorsque la diète de Debreczin eut
proclamé l'indépendance de la Hongrie , le
14 avril 1849, M. Bathyani fut chargé par son
ami Kossuth, devenu président, de diriger le
ministère des affaires étrangères. Forcé, au
bout de trois mois, de se réfugier, avec ce
dernier, à Szegedin e£ à Arpad, il protesta
contre la dictature de Georgey et se rendit,
après la catastrophe de Vilagos, à Widdin,
dans la Turquie. La Porte Ottomane l'interna
à Schumla, puis a Kutayeh; mais il obtint,
peu de temps après, l'autorisation de se rendre
en France. M. Bathyani a publié plusieurs de
ses Discours à la diète hongroise (Leipzig,
1847).
BATHYANI (Louis, comte), homme politi-
que, né à Presbourg en 1809, mort en 1849,
embrassa, à seize ans, la carrière militaire, et
fut envoyé en garnison à Venise, où, au con-
tact de ses chefs-d'œuvre artistiques, son in-
telligence prit un goût décidé pour l'étude.
Devenu maître, à sa majorité, d'une fortune
prîneière, il quitta'l'armée pour s'adonner aux
sciences et a la politique, visita, avec sa
femme Antonie Zichy, la plus grande partie
de l'Europe et de l'Orient, fit, h. son retour,
grâce a 1 aide de Horvath, une étude appro-
fondie de la langue et de l'histoire des Ma-
gyars, et lorsqu'il parut, en 1840, à la cham-
bre des magnats, celle-ci compta un orateur
et un esprit libéral de plus. Le jeune comte,
par la fermeté de son attitude, devint prosque
aussitôt un des membres les plus importants
du parti national hongrois. A la diète de 1843
et 1844, il combattit le gouvernement autri-
chien , le parti conservateur, le chancelier
Appony ainsi que l'institution des administra-
teurs, et, en même temps, se fit le défenseur
de toutes les mesures propres à favoriser la
liberté, le commerce et 1 industrie. Après avoir
combattu Kossuth, il-se lia avec lui d'une
étroite intimité, et usa de toute son influence
pour lui faire obtenir un siège de réprésen-
tant à la diète de 1847. Bathyani vit s'augmen-
ter encore son autorité morale lorsque son
ami, l'archiduc Etienne, fut nommé palatin.
Quelques mois après, en mars 1848, lé comte
Louis fut placé a la tête du ministère institué
pour diriger les affaires de la Hongrie. Parti-
san du maintien de l'union politique de la
Hongrie et de l'Autriche, il se vit en présence
d'embarras de tout genre amenés par la diffi-
culté de la situation, et il donna sa démission
au mois de septembre suivant, lorsque le bàn
Jellachich envahit la Hongrie, à l'instigation
de l'Autriche. Après avoir tenté de former un
ministère modéré, qui n'eut pas la sanction
royale, il partit pour Vienne à la suite de la
dissolution de la diète et de l'assassinat du
comte Lambert, commissaire autrichien. Il
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s'efforça vainement d'amener le gouvernement
impérial dans la voie de la modération. Le
part; national et républicain, à la tête duquel
se trouvait l'illustre Kossuth, repoussait d ail-
leurs* l'union politique avec l'Autriche, comme
rendant impossible toute liberté réelle en Hon-
grie, et la lutte était devenue inévitable. Lors-
que les hostilités commencèrent, Bathyani,
qui s'était retiré dans une de ses terres, arma
ses domestiques, et, en véritable patriote, il
combattit pour son pays dans le corps franc
de Vidos, jusqu'à ce qu'une chute de cheval
ie forçât à déposer l'épée. Il alla siéger alors
à la diète de Pesth. Lorsque Windischgraetz
marcha sur cette ville, il rit décider qu on lin'
enverrait une députation pour négocier la
paix; mais cette députation, dont il était mem-
bre, ne fut point reçue par le général autri-
chien. Bathyani retourna à Pesth, où il fut
arrêté chez sa belle-sœur, la comtesse Karoly,
quand Windischgraetz entra dans cette ville,
le 8 janvier 1849. Après avoir été transféré
dans diverses prisons, il fut ramené à Pesth
et condamné à être pendu. Pour échapper à
ce supplice infamant, Bathyani essaya de se
donner la mort avec un poignard, et obtint
d'être fusillé. Ses biens furent frappés de con-
fiscation, et sa veuve fut contrainte d'aller
chercher, avec ses enfants, un refuge à l'é-
tranger.
BATHYGUîS. sculpteur grec, né à Magnésie,
florissait vers 1 an 530 avant l'ère chrétienne.
Pausanias décrit avec beaucoup d'éloges les
bas-reliefs dont cet artiste orna le trône du
roi Amyclès.

BATHYERGUE
s. m. (ba-ti-èr-ghe). Mamm.
V. ORYCTÊRE et RAT-TAUPE. Il On écrit aussi
BATHYERQUti.

BATHYLLE
poète latin médiocre et qui se-
rait aujourd'hui tout à fait inconnu si, par une
vanité ridicule, il n'avait essayé de s'attribuer
l'honneur d'un distique, que "Virgile avait tracé
sur la porte du palais d'Auguste, sans y mettre
son nom; Auguste faisait célébrer à Rome des
fêtes publiques, qui furent interrompues par un
orage, mais qui purent, dès le lendemain, re-
prendre leur cours, parce que le ciel était
redevenu serein. Cependant, tous ceux qui
passaient devant le palais s'arrêtaient pour
lire sur la porte les deux vers suivants :
Nocte pluit tota; rcdeunt spectacula mane :
Divisum imperium cum Jove Cœsar habet.
« Il a plu toute la nuit ; le matin recom-
mencent les spectacles publics : Auguste par-
tage l'empire du monde avec Jupiter. »
On s'empressa de les faire connaître à Au-
guste, qui les trouva beaux, et qui ne fut pas
médiocrement flatté de voir que le poëte égalait
sa puissance à celle de Jupiter lui-même. Il com-
manda qu'on fît des recherches pour connaître
l'auteur du distique; mais ces recherches fu-
rent sans résultat. Enfin Bathylle, voyant
que personne ne se présentait, finit par décla-
rer qu'il avait lui-même tracé les deux vers.
Auguste le combla d'éloges et le récompensa
richement. Alors Virgile, que sa modestie
avait seule empêché de réclamer l'honneur qui
lui était dû , employa un moyen ingénieux
pour confondre l'audacieux menteur : il écri-
vit de nouveau les deux vers sur les murs du
palais, et y ajouta celui-ci ;
Bo$ ego versiculos fcci, tulit aller honores,
De ces deux petits vers, Romains, je suis l'auteur.
Et cependant un autre en reçoit tout l'honneur.
Puis il ajouta le commencement de quatre
autres vers dont les premiers mots étaient :
Sic vos non vobis...
Auguste, pensant qu'un poëte, jaloux de Ba-
thylle, pouvait avoir eu l'idée de jeter ainsi
du doute sur le droit que celui-ci aurait eu à
recevoir une récompense, exprima le désir de
voir Bathylle achever lui-même ces quatre
vers ; mais le pauvre Bathylle ne put en ve-
nir à bout, malgré tous ses efforts. Virgile
alors se fit connaître, et compléta les vers
de la manière suivante :
Sic vos non vobis nidificatis, aves;
Sic vos non vobis vellera fertis, oves ;
Sic vos non vobis melliftcatis, apes;
Sic vos non vobis fertis aratra, boves.
C'est-à-dire :
Ainsi, mais non pour lui, l'agneau porte sa laine;
Ainsi, mais non pour lui, le bœuf creuse la plaine ;
L'oiseau bâtit sou nid pour d'autres que pour lui,
Et le miel de l'abeille est formé pour autrui.
Autre traduction, citée par Victor Hugo :
Ainsi, pour vous, oiseaux, au bois vous ne nichez;
Ainsi, pour vous, moutons, vous ne portez la laine ;
Ainsi, mouches, pour vous aux champs vous ne ruchez;
Ainsi, pour vous, taureaux, vous n'écorchez la plaine.
Bathylle, forcé d'avouer son imposture, ne
recueillit que des huées au lieu des applaudis-
sements sur lesquels il avait compté; et son
nom s'est transmis d'âge en âge, comme celui
d'un vil plagiaire : on remploie, dans ce sens,
comme nom commun, et il a pour synonyme
le Geai paré des plumes du paon, de notre bon
La Fontaine.
BATHYLLE, célèbre pantomime 7 -né à
Alexandrie vers le milieu du ier siècle de
notre ère, était esclave de Mécène, qui l'af-
franchit. Rival d'un-autre saltateur, non moins
célèbre, Pylade, il perfectionna le genre co-
mique, où il excellait, pendant que son adver-
saire obtenait des succès aussi bruyants dans
BAT
le genre tragique. Les Romains se partagèrent i
en deux factions pour ces histrions fameux, et
les amateurs du genre comique s'étant trou-
vés en nombre supérieur aux amateurs du
genre tragique, Pylade fut banni de Rome.
BATHYM. Démonol. Divinité des enfers
douée d'une grandeur et d'une force surnatu-
relles, que l'on représente sous l'aspect d'un
homme robuste, ayant une queue de serpent,
et monté sur un cheval d'une blancheur livide.
Sa mission est de transporter les voyageurs
d'un pays dans un autre, avec une vitesse
extraordinaire. Trente légions de diables lui
obéissent. Elle était invoquée pour la recher-
che des herbes et des pierres précieuses.

BATHYPICRON
s. m. (ba-ti -pi-kron — du
gr. bathus, profond; pikros, pikron, amer).
Bot. Nom donné à l'absinthe.

BATHYRA
ou BATIRA, ville de la Palestine,
bâtie par Hérode, dans la Batanée, pour ga-
rantir les Juifs, sur la route de Babylone,
contre les attaques des Trachonites.

BATHYRRHYNQUE
adj. (ba-ti-rain-ke —
du gr. bathus, profond; rugehos,bec). Ornith.
Qui a le bec épais.
— s. m. Syn. de paradoxornis.

BÂTI
s. m. (bâ-ti — rad. bâlir). Techn.
Charpente sur laquelle sont assemblées les
diverses pièces d'une machine : La presse li-
thographique est composée d'un BÂTI en chêne
solidement établi, sur lequel repose un chariot
destiné à recevoir lapjerre. (Louvet.) H Assem-'
blage des pièces d'unp. porte, .d'une croisée,
d'un guichet, d'un lambris, n Châssis d'une
machine à tendre les roues, il Assemblage
non cousu, mais faufilé, des diverses pièces
d'un vêtement : Le BÂTI d'une robe, d'une re-
dingote. Il Gros fil qui a servi au bâti d'un vê-
tement : Vous avez encore du BÂTI dans votre
habit.
BÂTI, IE (bà-ti) part. pass. du v. Bâtir :
Une maison BÂTIE en trois mois. Cette ville a
été BÂTIE avaitt Jésus-Christ. Athènes, sous
l'autorité de Thésée, fut BÂTIE pour y rassem-
bler les habitants épars de l'Attique. (Machia-
vel.) C'est une maison qui semble avoir été

BÂTIE
par les fées. (Le Sage.) D'immenses lé-
zardes sillonnaient les murs de trois corps de
logis BÂTIS en équerre. (Balz.) De temps en
temps, nous traversions des villages terreux,

BÂTIS
en pisé. (Th. Gaut.) C'étaient les hôtels
des fermiers généraux de la place Vendôme,
.BÂTIS de la misère du peuple. (Michelet.)
C'est un petit village, ou plutôt un hameau,
Bâti sur te penchant d'un long rang de collines.
BOILEAU.
— Couvert de bâtiments totalement ou en
partie : Emplacement BÂTI. Terrain BÂTI. J'ai,
entre les Alpes et le Jura, une terre grande
comme la main, BÂTIE de ma façon. (Volt.)
— Par ext. Tourné, arrangé, disposé : Quel
dessin mal BÂTI! Cet arbre est tout mal BÂTI.
il En ce sens, se dit surtout du corps humain :
Un grand diable bien BÂTI. VOICI notre homme.
Ah! comme il est BÂTI! (Mol.) H ne faut pas
être mal BÂTI pour donner de l'amour à une
coquette. (Le Sage.) Je lui ai présenté trois
cavaliers bien BÂTIS. (Le Sage.) fié! hé! il est
bien BÂTI, ce pendard-là! (Destouches.) Une
foule de femmes abandonnaient leurs enfants
et leurs maris, pour l'amour d'un soldat médio-
crement BÂTI. (A. Karr.)
Notre homme ainsi bâti fut député des villes
Que lave le Danube
LA FONTAIKE.
Un valet marié, dont Ja femme est jolie.
Et de qui le patron est bâti comme vous,
A de justes raisons de paraître jaloux.
BOURSAULT.
— Fig. Constitué, au moral : Moi, je suis
ainsi BÂTI. Il y a des cœurs plaisamment BÂTIS
en ce monde. (M«ne de Sév.) Je regrette AI. de
Vades, parce qu'il n'y a plus d'hommes à la
cour BÂTIS sur ce modèle-là. (M.mc de Sév.)
L'homme est ainsi bâti: quand un sujet l'enflamme,
L'impossibilité disparaît de son Âme.
LA FONTAINE.
Il Fondé, établi, appuyé : Cette fortune est
BÂTIE sur le sable. Sur quoi sont BÂTIS tous ces
arguments? La félicité des hommes, nous ne le
savons que trop, est BÂTIE sur le sable. (Tous-
senel.)
— Techn. Façonné, en parlant d'un cha-
peau, il Assemblé et simplement faufilé, en
parlant d'un vêtement : Robe à peine BÂTIE.
— Substantiv. Personne considérée au
point de vue de sa tournure : Voyez donc ce
mal BÂTI !

BATIACE
s. m. (ba-ti-a-se —du gr. batia-
kos, même sens). Antiq. gr. Vase à boire
usité chez les Grecs, qui l'avaient emprunté
aux Perses.

BATIDE
s. m. (ba-ti-de — du-gr. batos,
ronce). Bot. Genre de plantes qui n'a pu,
jusqu'à présent, êtro rangé dans aucune fa-
mille naturelle, et qui comprend une seule
espèce, le batide maritime, qui croît sur les
plages de l'Amérique méridionale, il On dit
aussi BÂTIS.
BÂTIE s. f. (ba-tî — nom mythologique).
Entom. Genre d'insectes lépidoptères noc-
turnes, formé aux dépens des teignes.

BATIE-NEUVE
(LA), bourg de France, ch.-l.
de cant. (Hautes-Alpes), arrond. et à 10 kil.
E. de Gap; pop. aggl. 286 hab. — pop. tôt.
767 hab. il BATIE-MONTSALÉON {la), village de
France (Hautes-Alpes), arrono. et à 30 fcil.
BAT
0. de Gap; 450 hab.; sur l'emplacement de
l'ancienne ville romaine Mons-Seleucus, cé-
lèbre par la victoire de Constance surMaxenc6,
en 353.

BÂTIER
s. m. (bâ-tié — rad. bât). Techn.
Ouvrier qui fabrique des bâts.
— Agric. Paysan qui soigne les bestiaux,
en Auvergne : Il y a, en Auvergne, des mon-
tagnes destinées à l'engrais des bestiaux; les
hommes qui les soignent se nomment BÂTIKRS.
(A.Hugo.)
— Fig. Celui qui impose un joug pénible
et avilissant à d'autres personnes : Laissons
le peuple recevoir un bât des BÂTIEKS qui le
bâtent, mais ne soyons pas bâtés. (Volt.)
BÂTIÈB.E s. f. (bà-tiè-re — rad. bât).
Archit, Usité seulement à propos d'un clo-
cher, dans la locution Toit en bâlière, Toit en
forme de bat, toit à deux pentes seulement.

BATIFODAGE
s. m, (ba-ti-fo-da-je). Constr.
Mélange do terre grasse et de bourre, pour
faire des plafonds, il Travail que l'on fait avec
ce mortier, u Ouvrage fait de cette façon :
C'est un BATIKODAGE mal fait.

BATIFOLAGE
s. m. {ba-ti-fo-la-je — rad.
batifoler). Action de batifoler: Allons, pas
tant de BATIFOLAGES !

BATIFOLANT
(ba-ti-fo-lan) part. prés, du
v. Batifoler : Faner est la'plus jolie chose du
monde; c'est retourner du foin en BATIFOLANT
dans une prairie. (M"'c de Sév.)

BATIFOLER
v. n. ou intr. (ba-ti-fo-lé —
de l'ital. batifolle, rempart, boulevard, en-
droit où les jeunes gens allaient jouer). Fam.
Folâtrer, s'amuser, en jouant d'une manière
enfantine : En batifolant donc, puisque BATI-
FOLER y a. (Mol.) Moi, JE BATIFOLE itou. (Mol.)
Un jour, que vous aviez voulu BATIFOLER avec,
la petite Bruyère, malgré elle, tes deux gros
coqs d'Inde vous ont sauté à la figure. (E. Sue.)
Elle l'agaçait... mais il se recula et ne voulut
pas BATIFOLER. (G. Sand.) La loutre s'amuse à
poser sur le rivage, à une dislance respectable
du tireur; elle se roule sur le sable et BATI-
FOLE devant lui. (Toussenel.) Aujourd'hui, des
courses d'affaires; demain, un diner de fa-
mille, sans compter les malaises du talent et
ceux du corps, et enfin les jours où l'on BATI-
FOLE avec une femme adorée. (Balz.)
Le gros Lucas aime a. batifoler. MOLIÈRE.
— Par ext. Faire l'enfant, se livrer à des
actes peu sérieux :
Assez batifoler comme cela, ma chère ;
La sensibilité ne vaut rien en affaire.
Ë. AUGIER.

BATIFOLEUR
EUSE s. (ba-ti-fo-leur, eu-ze
— rad. batifoler). Personne qui aime à bati-
foler: Un peu de paix, grand BATIFOLEUR!

BATIGNE
(Paul), médecin français, remplit,
h Berlin, l'emploi de médecin de la maison
française des pauvres. Il a laissé : Essai sur
la digestion et sur les principales causes de la
vigueur et de la durée de la vie (Berlin, 1768,
in-12; Paris, 17G9, in-go).

BATIGNOLLAIS
, AISE adj. et s. (ba-ti-
gno-lè, è-ze; gn mil.). Géogr. Habitant de
Batignolles; qui appartient a Batignolles ou
à ses habitants.

BATIGNOLLES
commune aujourd'hui com-
prise dans l'enceinte de Paris, dont elle forme
le XVIlc arrondissement. Il serait difficile de
déterminer l'étymologie de ce nom, de même
que celui d'une foule d'autres lieux. On en
peut, du moins, indiquer l'origine. Cette com-
mune ne date que du xvmc siècle, et elle prit
son nom du territoire sur lequel elle a été
bâtie. On voit, dans un cartulaire de l'abbaye
Saint-Germain-des-Prés, qu'en 1408 le grand
fief du monastère, situé sur l'autre rive de la
Seine, renfermait un territoire de Batilloles.
Il est très-probable qu'il s'agit ici du lieu où
s'éleva plus tard Batignolles. Dans le plan de
Paris et des environs, levé par l'ingénieur
Roussel et publié en 9 feuilles, en 1730, on
voit figurer, au nord-ouest du village de
Monceaux, entre les chemins de Clichy et de
Saint-Ouen, diverses places plantées d'arbres
et servant d'abris ou de remises au gibier.
L'une d'elles est dénommée remise du fond ou
des Batignolles. C'est à cette place qu'est
aujourd'hui le quartier de ce nom.

BATILDE
épouse de Clovis IL V. BATHILBE.

BATILLE
s. m. (ba-ti-le — du lat. batillus}
pelle). Moll. Genre de mollusques, appelé
aussi pelleron, formé aux dépens du genre
turbo, et qui n'a pas été adopté.

BATILLEMENT
s. m. (ba-ti-lle-man ; // mil.
— rad. batiller). Action de hatiller, mouve-
ment des eaux qui batillent : Le BATILLEMENT
des eaux a sur tes berges une action destruc-
tive, lente et continue. (E. Clément.)

BATILLER
v. n. ou intr. (ba-ti-llé; II mil.
— dimin. de battre). Ponts et chauss. Ondu-
ler rapidement, en battant les uords. Se dit
de l'eau d'une rivière ou d'un canal : On voit
l'eau BATILLER le long des quais. (E. Clément.)

BÂTIMENTS
m. (bâ-ti-man —rad. bâtir).
Construction en maçonnerie, destinée à ser-
vir de logement ou d'abri : On grand BÂTI-
MENT. Les BÂTIMENTS de la couronne. BÂTI-
MENT militaire. BÂTIMENT civil. Il lui montrait
le temple et les BÂTIMENTS d'alentour. (Boss.)
Un bourgeois aime les BÂTIMUNTS. (Pasc.)
BAT
. . . Je charrierai les pompeux bâtiments^
Des loisirs d'un héros nobles amusements.
BOILEAU.
Corne a fait un grand bâtiment.
Dont il a tiré peu d'usage,
Car il est mort subitement;
Et tu dis qu'il n'était pas sage!...
Les autres font-ils autrement? -**
— Edifice en construction : donnent généralement le nom de BÂTIMENT à
tout ce qu'on est en train de construire ; d'où
il résulte que le nom de BÂTIMENT a plus de
rapport au métier de bâtir, et celui d'édifice à
l'art dé l'architecture. (Miiiin.)
— Action de bâtir : Le BÂTIMENT d'une
maison. Il Fig. Action d'édifier, de produire,
d'établir : Les philosophes, et Sénèque surtout,
n'ont point oté les crimes par leurs préceptes ;
ils n'ont fait que les employer au BÂTIMKNT de
l'orgueil. (La Rochef.) il Vieux dans ces deux
sens.
— Art de bâtir; profession, industrie de
ceux qui bâtissent : Le BÂTIMENT exige de
nombreuses connaissances. L'industrie du BÂTI-
MENT est lucrative. Le BÂTIMENT chôme en ce
moment.
— Mar. Navire de l'Etat ou navire mar*.
chand : Un BÂTIMENT de transport. Une esca-
dre de douze BÂTIMENTS. Un BÂTIMENT à va-
peur. Monk, confié aux soiits de sir Jîichard
Greenville, trouve un refuge sur son BÂTIMENT.
(Guizot.)
Ce hardi bâtiment.
Qui maîtrise l'orgueil du fougueux élément.
DELILLE.
— Bâtiment latin, Nom que l'on donne, dans
le Levant, aux bâtiments gréés de voiles
triangulaires, dites voiles latines, il Bâtiment
vivrier, Navire chargé de vivres destinés à
approvisionner d'autres navires.
— Techn. En bâtiment, De bâtiments : Pein-
tre, menuisier, serrurier EN BÂTIMENT.
— Bâtiment de graduation, ou simplement
Bâtiment, Nom d'une vaste construction dans
laquelle on commence l'évaporation de l'eau
des sources et puits salés, afin d'extraire le
sel qu'elle renferme : BÂTIMENT à cordes. BÂ-
TIMENT à tables. BÂTIMKNT à fagots.
— s. m. pi. Administration, direction des
bâtiments : Villacerf eut les BÂTIMENTS, à la
mort de Louvois. (St-Sim.)
— Encycl. Administr. Le premier usage que
l'homme fasse en tout pays de la prise de pos-
session du sol sur lequel il vient s'installer, est
de s'assurer un abri qui lui procure, pour lui
et pour sa famille, le refuge et la sécurité dont
il a besoin, pour se défendre soit contre les
intempéries atmosphériques, soit contre les
attaques des animaux féroces , soit aussi
contre les agressions de ses semblables. A part
les populations nomades, qui n'existent dans
le inonde qu'à l'état d'exception, il faut voir
là, sans contredit, l'une des premières origines
de la constitution de la propriété, le point de
départ de la civilisation. Pour l'homme attaché
au sol qui l'a vu naître, l'abri devient prompte-
ment un bâtiment aussi solide qu'il peut l'être
pour résister au temps, aussi commode que le
possesseur peut ie construire pour y trouver
toutes les jouissancesdu foyer domestique qui,
dès lors, lui est acquis. Par suite de l'accrois-
sement de la famille, comme par l'effet de ce
sentiment inné de sociabilité, ou pour mieux
dire, de ce qui pousse les hommes à se rap-
procher les uns des autres, un premier bâtiment
en voit bientôt surgir d'autres auprès de lui.
De là, naissent, de voisin à voisin, ces pre-
mières relations qui appellent des lois sus-
ceptibles de garantir les droits de chacun. Par
là, en même temps, commencent à se fonder
ces groupes de population qui, par la suite, de-
viennent des bourgs, des villes, des cités im-
portantes, où, parallèlement à la garantie des
droits individuels, l'intérêt général appelle
des règlements d'édilité qui, en prévenant tout
ce que pourrait produire de désordonné l'in-
térêt privé abandonné à lui-même et n'ayant
d'autre frein que les règles du droit ordinaire»
assurent à tous les avantages qui peuvent
sortir de leur agrégation. Ainsi, la ques-
tion des bâtiments est essentiellement liée
à celles qui intéressent le plus la propriété,
les droits respectifs et les obligations récipro-
ques des citoyens vivant réunis sur le même
point du territoire, et la bonne administration
du pays. Un point surtout doit dominer pour
l'homme aux idées élevées que passionne tou-
jours le sentiment du progrès et de l'art, c'est
qu'étant l'expression de la civilisation de chaque
âge, les bâtiments qui s'élèvent autour de
nous sont destinés à transmettre aux généra-
tions futures le reflet le plus saisissable de
notre époque.
De nombreuses traces nous restent de l'im-
portance que, dans les beaux temps de la
civilisation romaine, on attachait aux bâti-
ments. Dans les commencements, les maisons
n'avaient qu'un étage (Vitruve, Hv. II), mais
elles prirent rapidement un développement
bien plus considérable. Nous voyons, par un
ouvrage allemand très-curieux, traduit récem-
ment de Friedlander par Vogel (Mœurs ro-
maines du règne d'Auguste à la fin des Anto-
nins), qu'il y avait à Rome des maisons de quatre
et de cinq étages, comme aujourd'hui chez
nous, et que, dans certaines parties de Pltalie,
il y en avait même de sept étages. Cette hau-
teur fut réduite, par Auguste, d'abord, à 70
piedsromains(l7m. 77), et plus tard, par Tra-
jan, fc 60 pieds (15 m. 2b), ce qui équivaut juste

à la hauteur adoptée, pour les grandes rues de
Paris, par le dernier décret sur la matière, en
date du 27 juillet 1859. De nombreux règle-
ments chargèrent successivement les préteurs
de veiller à la bonne construction de tous les
bâtiments et d'en assurer la commodité et
l'élégance. On alla même jusqu'à prescrire
la destruction de tous ceux qui seraient sus-
ceptibles de contrarier l'ornement et la déco-
ration extérieure des cités : - Diruenda sunt
omnia, porte la loi VI, liv. VIII, tit. xn, du
code Justinien, quœ in publico qitocumque locOj
contra ornât um et commodum, ac decoram fa-
ciem civitatis exstructa noscuntur. »
Les bâtiments primitifs des Gaulois, se res-
sentant de l'origine celtique des populations
de ces contrées, étaient en quelque sorte res-
tés à l'état rudimentaire, lorsque la conquête
romaine apporta là, comme partout, sa civili-
sation. Les habitations, en bois ou en chaume,
étaient plutôt des huttes que des maisons.
Elles n'avaient même pas de cheminées. Pa-
ris (alors Lutèce) ne renfermait aucun temple,
et un autel à Jupiter, construit .du temps de
Tibère sur l'emplacement même où est au-
jourd'hui l'église métropolitaine de Notre-
Dame, fut le premier monument qui s'y éleva.
Sous l'impulsion puissante de cet esprit de
progrès qui fut partout le cachet de la domi-
nation romaine, de nombreux monuments s'é-
levèrent, dont quelques-uns se sont conservés
jusqu'à nous, non-seulement à Paris, mais
encore dans toutes les provinces. La France
entière fut dès lors civilisée.
Ce mouvement, d'abord favorisé plutôt que
contrarié par l'établissement du christianisme,
se continua sous la première race de nos rois
.et jusque vers la fin de la seconde race. Les
bâtiments religieux, les hôpitaux ou maladrc-
ries, les couvents s'élevèrent à l'envi de
toutes parts, et attirèrent autour d'eux de
nombreux groupes de population,.dont beau-
coup ont été le berceau de villes et de bourgs
importants qui subsistent encore aujourd'hui.
Mais l'invasion des peuplades étrangères dans
l'intérieur de la France, et les guerres civiles
de la seconde moitié du xe siècle, amenèrent
un temps d'arrêt regrettable. La dévastation,
le saccagement" et 1 incendie rirent disparaître
presque tous les bâtiments civils et religieux,
et une grande partie des habitations particu-
lières. Ce ne fut là, du reste, qu'un des côtés
du bouleversement général qui marqua l'épo-
que, bouleversement dont la société ne pou-
vait sortir qu'en se reconstituant sur des bases
nouvelles. La reconstitution, qui se fit encore
assez promptemi'nt, eut néanmoins, comme
toutes les reconstitutions, ses lenteurs, ses
difficultés et ses inconvénients. Le droit nou-
veau qu'elle créa, en donnant au système féo-
dal sa plus complète expression, amena une
diffusion de pouvoirs locaux, à la fois destruc-
tive de l'action du pouvoir central et de la
liberté individuelle. Ce régime fut loin d'être
favorable aux bâtiments, et entrava, pour un
temps au moins, la rapidité de leur construc-
tion. Par une des conséquences du principe
alors dominant, qu'il n'y avait nulle terre sans
seigneur, les particuliers ne purent désor-
mais élever aucun bâtiment sans en deman-
der la permission à leur seigneur, à qui il
appartenait de fixer arbitrairement les condi-
tions et le prix de cette permission. En outre,
comme, par application du même principe, les
matériaux nécessaires aux constructions, la
chaux, par exemple, et les fours qui la pré-
paraient, la terre, le marbre, la pierre, le
sable, etc., appartenaient au seigneur, celui-ci
n'en permettait ordinairement l'usage qu'à de
dures conditions. Aucun bâtiment, quelles qu'en
fussent la nature et l'importance, n'échappait
d'ailleurs au droit du seigneur. La permission
de bâtir devait être demandée pour la con-
struction la plus simple, comme pour les pa-
lais, les églises, les villes, etc. Le seigneur
réglait, pour les unes et pour les autres, d'une
manière absolue, l'étendue des bâtiments, leur
position et la manière dont ils seraient érigés
(Champollion-Figeac, Droits et usages concer-
nant les travaux de co?istruction sous la troi-
sième race des rois de France). La rigueur de
ce système dut fléchir, toutefois, par l'effet
même de l'exagération qui y fut apportée
dans les premiers temps, comme sous l'in-
fluence de diverses autres causes. Les sei-
gneurs, d'abord, et surtout les seigneurs d'E-
glise, ne tardèrent pas à comprendre l'intérêt
qu'ils avaient à faciliter autour d'eux l'érec-
tion de bâtiments et de villages susceptibles
d'augmenter sensiblement, et avec rapidité,
leurs revenus. Au lieu de continuer à imposer
aux constructeurs de lourdes conditions qui
en éloignaient le plus grand nombre, ils allè-
rent jusqu'à leur taire des avantages de na-
ture à les attirer. Des chartes particulières,
des privilèges furent accordés soit aux villes
et aux villages, soit aux corporations de mé-
tiers. En même temps s'établissaient presque
partout ces usages locaux, ces coutumes, à l'a-
bri desquelles les droits individuels trouvaient
une protection contre les abus de l'arbitraire.
Enfin, le pouvoir royal s'étant fortifié et ayant
repris son autorité souveraine , notamment
sur ce qui touchait à la voirie, les bâtiments
se trouvèrent replacés dans ses attributions.
Il y eut des maîtres jurés des œuvres du roi,
visitant les bâtiments de Sa Majesté (ord. de
12G8); des maîtres en divers métiers, et no-
tamment des maîtres charpentiers du roi(lettres
patentes du 26 mars 1314), des maîtres jau-
geurs de plâtre (lettres patentes de 1317), etc.,
m
BAT
investis de certains pouvoirs et ayant juridic-
tion sur tous les gens de leur profession. Sully
reçoit, sous Henri IV, la charge de surinten-
dant des bâtiments et celle de grand voyer
qui lui donnent autorité sur tout ce qui se
rattachait à la construction des bâtiments lon-
geant la voie publique. Les bureaux des
finances furent enfin définitivement chargés,
dans chaque généralité, d'assurer l'exécution
des règlements rendus sur la matière. A partir
du règne de Louis XIV, la législation des
bâtiments se régularise tout à fait, et se per-
fectionne à ce point, qu'aujourd'hui encore,
sauf certains changements de forme plutôt
que de fond, amenés par l'ordre" politique
nouveau qui est sorti de la Révolution, elle se
fond avec la législation nouvelle, dont elle est
restée la base. C'est l'ensemble de cette lé-
gislation que nous allons examiner dans ses
principales dispositions.
Au point de vue du droit civil, les bâtiments
sont, comme les fonds de terre, immeubles
par leur nature (C. Nap., art. 518). Toutefois,
il y a, en faveur de la propriété du sol, une
distinction importante à faire. La propriété
du sol emporte la propriété du dessus et du
dessous (C. Nap., art. 552), et il suit tout d'a-
bord de ce principe que toute construction
élevée sur un terrain est présumée faite par
le propriétaire à ses frais, et lui appartenir, si
le contraire n'est prouvé (C. Nap., art. 553).
Mais la loi va plus loin encore, et elle donne au
propriétaire du sol un droit marqué de préfé-
rence qui, dans tous les cas, réduit pour lui
les bâtiments, qu'ils aient été élevés par lui
ou par d'autres, à la condition d'un accessoire
dont il reste toujours le maître de disposer à
son gré. Ainsi, le propriétaire du sol qui a fait
des constructions avec des matériaux qui ne
lui appartenaient pas n'est tenu qu'à en payer
la valeur avec des dommages-intérêts, s'il y
a lieu. Mais le propriétaire des matériaux n'a
pas le droit de les enlever (C. Nap., 554). Si,
au contraire, la construction a été faite par
un tiers et avec ses matériaux, le propriétaire
du fonds a le droit de les retenir ou d'obliger
ce tiers à les enlever (C. Nap., 555). Dans le
cas où le propriétaire du fonds demande la
suppression de la construction, elle est aux
frais de celui qui l'a faite, sans aucune indem-
nité pour lui, et le propriétaire peut même lui
réclamerdes dommages-intérêts. Mais si lepro-
priétaire préfère conserver la construction, il
doit seulement le remboursement de la valeur
des matériaux et du prix de la main-d'œuvre,
sans égard à la plus ou moins grande augmen-
tation de valeur que le fonds a pu recevoir
(C. Nap., art. 555).
A quelle distance de la propriété du voisin
peut-on élever un bâtiment? La. loi ne con-
tient, à cet égard, aucune disposition restric-
tive, et il faut en conclure qu'elle laisse au
propriétaire constructeur toute latitude, même
celle de construire à l'extrême limite du ter-
rain qui lui appartient. Cela ne fait, au sur-
plus, en principe, aucune difficulté, et l'on
peut même remarquer, à ce sujet, que les seules
restrictions mises au droit absolu de propriété
par le Code Napoléon, au titre des servitudes,
ne sont établies (m'exceptionnellement. « Le
propriétaire (du sol), dit d'une manière géné-
rale l'art 552, peut faire au-dessus toutes les
plantations et constructions qu'il juge à pro-
pos, sauf les exceptions établies au titre des
servitudes ou services fonciers. « Or,.comme,
dans ce titre des servitudes, rien ne limite le
droit du propriétaire de construire sur toute
'étendue de son terrain, ce droit reste évi-
demment libre ou entier. On voit bien, dans
les articles 675 et suivants, que certaines dis-
tances sont prescrites pour l'ouverture de
jours sur la propriété voisine, et notamment,
par l'art. 678, que « on ne peut avoir des vues
droites ou fenêtres d'aspect, ni balcons ou
a,utres semblables saillies sur l'héritage clos
ou non clos de son voisin, s'il n'y a 19 déci-
mètres (6 pieds) de distance, entre le mur où
on les pratique et ledit héritage. » Mais il n'y
a aucune assimilation possible entre le droit
d'ouvrir des jours et le droit de construire, et
il ressort évidemment des dispositions mêmes
que nous venons de reproduire que, sauf à ne
pas ouvrir des jours sur la propriété voisine à
la distance prohibée, rien n empêche d'élever,
même à l'extrême limite qui la joint, un bâti-
ment ou une construction quelconque. Du
reste, dans les cas ordinaires, cela ne fait.
nulle difficulté, et des constructions de ce
genre se font journellement dans la pratique.
Cependant, il s'est élevé à cet égard une
grave question, qui divise les auteurs et la
jurisprudence, celle de savoir si le droit du
propriétaire constructeur n'est pas susceptible
de restriction, dans le cas, par exemple, où
le voisin, ayant possédé pendant plus de trente
ans, sur le terrain où l'on vient à construire,
des vues droites à moins de 1 m. 90 de distance,
invoquerait la prescription. On s'est de-
mandé si, dans ce cas, le propriétaire construc-
teur ne devait pas être contraint lui-même à
laisser, entre sa construction nouvelle et les
fenêtres de son voisin, la distance de 1 m. 90,
qu'il aurait laissé prescrire contre lui. On fait
valoir, à l'appui de ce système, que le voisin,
ayant incontestablement acquis par la pres-
cription le droit dp conserver ses fenêtres, a
acquis, par cela même, une servitude de vue
qu'on ne peut lui retirer ; et que ce serait ren-
dre son droit illusoire que de permettre à une
construction nouvelle de venir obstruer ces
mêmes fenêtres, à une distance moindre que
BAT
celle qu'il aurait été tenu lui-même d'observer.
Ce système est professé par MM. Duranton,
(t. V. no 326) ; Delvincourt (t. I, p. 577) ; So-
lon (no 303)-, Frémy-Ligneville {Législation
des bâtiments, t. II, no 600); à l'appui de leur
doctrine, ces auteurs tirent argument de deux
arrêts de la cour de cassation du 18 janvier
1825 et du 1er décembre 1835, ainsi que de di-
vers arrêts des cours de Montpellier, Bordeaux,
Nancy et Colmar, en date des 30 décembre
1825, 10 mai 1822, 1er décembre 1827, 7 fé-
vrier 1828. Mais, en faveur de la doctrine
contraire, on dit avec beaucoup plus de rai-
son, suivant nous, que, si l'un des deux pro-
priétaires a pu, ce qui n'est pas douteux, pres-
crire contre l'obligation qui lui était imposée
d'observer certaines distances dans l'établisse-
ment de ses jours de vue, il n'a rien pu'pres-
crire au delà de l'affranchissement de son
obligation, et qu'on ne voit surtout aucune
raison légale pour que l'autre propriétaire soit
considéré, par le fait de cette prescription,
comme étant soumis à l'obligation de ne pas
construire. Que, par son silence pendant trente
ans, ce dernier ait perdu le droit de faire sup-
primer les fenêtres pratiquées par le voisin à
moins de l m. 90 de distance, on le comprend ;
mais cela ne peut lui avoir fait perdre le droit
de faire de son terrain ce que bon lui semble
Conf., Pardessus, t. II, no 312; Toullier,
t. III, n° 554 , Merlin, vo Servitudes ; Cour de
cassation, 10 janvier 1810; cours de Pau, de
Nîmes et de Bastia, 12 avril et 21 décembre
1826, 12 octobre 1834).
Les autres obligations réciproques qui exis-
tent entre voisins, à raison de la possession
de bâtiments, sont réglées par le Code Napo-
léon, au titre des sei'vitudes (art. 635etsuiv.),
notamment en ce qui concerne la mitoyen-
neté, la distance ou les précautions à observer
pour certains ouvrages, le droit de vue par
fenêtres d'aspect et par jours de souffrance,
les constructions, réparations, ou reconstruc-
tions auxquelles chacun peut être respective-
ment tenu. Ces différents points sont, au sur-
plus spécialement traités par nous, à mesure
qu'ils se présentent dans leur ordre alpha-
bétique.
Au point de vue de l'administration, les bâ-
timents sont encore aujourd'hui placés en
première ligne sous le régime des anciens
règlements, qui, confirmés provisoirement par
la loi des 19-22 juillet 1791, sont devenus défi-
nitifs, en l'absence d'aucune autre disposition
nouvelle et fondamentale. « Sont confirmés
provisoirement, porte l'art. 29 de cette loi, les
règlements qui subsistent touchant la voirie,
ainsi que ceux actuellement existants à l'égard
de la construction des bâtiments, et relatifs à
leur solidité et sûreté. » La juridiction chargée
"d'appliquer ces anciens règlements s'est seule
trouvée changée par l'effet des lois des 7-11
septembreet7-ll octobre 1790, qui déjà avaient
fait passer dans les attributions des Corps ad-
ministratifs (aujourd'hui les préfets) celles
dont étaient précédemment investis le grand
voyer, les trésoriers de France et les commis-
saires des ponts et chaussées. Il faut ajouter
à ces lois, comme base du pouvoir qu'a dans
notre nouveau droit, en matière de voirie et
de bâtiments, l'autorité municipale, la loi des
16-24 août 1790, laquelle déclare (titre XI,
art. 3) que « les objets de police confiés à
la vigilance et à l'autorité des corps munici-
paux, sont : 1° tout ce qui intéresse la sûreté
et la commodité du passage dans les rues,
quais, places et voies publiques... 5° le soin
de prévenir par des précautions convenables...
les accidents et fléaux calamiteux, tels que
les incendies, etc.. » De l'ensemble de ces
diverses dispositions, combinées avec les an-
ciens règlements, il est.passé aujourd'hui en
principe qu'au nombre de ses principales attri-
butions, 1 autorité administrative a pour mis-
sion d'intervenir, en matière de bâtiments :
1° pour régler leur alignement sur la voie pu-
blique, ainsi que la disposition des accessoires
qui peuvent s y rattacher; 2°. pour surveiller
le mode de leur construction et, au besoin,
désigner Rs matériaux à y employer, de ma-
nière à ce que les bâtiments aient toute la so-
lidité désirable, et afin de prévenir toute cause
d'accident, comme, par exemple, les écroule-
ments ouïes incendies; 3° pour régler, dans
l'intérêt de la salubrité comme dans celui de
la sûreté publique, la hauteur des maisons;
4° enfin, pour ordonner la démolition des bâti-
ments menaçant ruine.
Seulement, il importe d'observer préalable-
ment que, dans l'application de ces différentes
règles, l'autorité chargée de statuer varie,
d'après notre organisation administrative ac-
tuelle, selon la nature de la voie publique à
laquelle appartiennent ou à laquelle doivent
appartenir les bâtiments. La grande voirie, qui
comprend les routes impériales et les routes
départementales, ce qu'on appelait autrefois
les chemins du roi, réglementée par l'autorité
supérieure, est sous la juridiction immédiate
du préfet. C'est à ce haut fonctionnaire qu'il
appartient, en conséquence, de statuer sur tout
ce qui tient au régime des bâtiments situés
sur ces routes. Aux termes de la loi du 15 juil-
let 1845, il en est de même des bâtiments con-
struits le long des chemins de fer. La voirie
vicinale, dans laquelle viennent se ranger les
chemins de grande communication, ceux d'in-
térêt commun ou de moyenne communication
et les chemins vicinaux ordinaires, a un carac-
tère mixte, qui la fait relever tantôt de la juri-
diction du préfet, tantôt seulement de l'autorité
BAT 363
municipale. La réglementation appartient,
dans tous les cas, au préfet (loi du 21 mai
183G, art. 21 ; instr. du min. de l'intérieur, du
21 juin 1854). Mais, en ce qui concerne le ré-
gime des bâtiments, et notamment les autori-
sations de construire ou de réparer, et les
différentes mesures qui peuvent en découler,
il n'a autorité directe que sur les chemins de
grande communication. Sur les chemins d'in-
térêt commun et sur les chemins vicinaux or-
dinaires, les mêmes autorisations sont don-
nées par les maires (loi du 21 mai 1836, art. 9,
lîcgl. gén. du min. de l'intérieur, art. 283 et
286). Enfin, la voirie urbaine, qui comprend les
rues et places publiques des villes, bourgs et
villages (autres que celles qui forment la con-
tinuation des différentes voies dont nous ve-
nons de parler) reste entièrement dans les
attributions de rautoritémunicipale,àlaqueile,
dès lors, il appartient uniquement de statuer,
soit par voie de règlement, soit par décisions
spéciales, sur tout ce qui se rattache au ré-
gime des bâtiments. Observons toutefois en-
core, quant à ce dernier point, qu'à Paris et
par exception, toutes les rues et places publi-
ques étant placées sous le régime de la grande
voirie, l'autorité, en cette matière, appartient
au préfet de la Seine (décl. du roi du-10 avril
1783 ; décret imp. des 26 mars 1851 et 27 juil-
let 1859).
Voici, en ce qui concerne l'alignement,
comment s'exprime l'arrêt du conseil d'Etat
du 27 février 1765 « concernant les permissions
de construire et les alignements sur les routes
entretenues aux frais du roi, » arrêt qui, ré-
sumant tous les règlements antérieurs , est
généralement accepté comme base de la légis-
lation en cette matière : « Fait Sa Majesté
défenses à tous particuliers, propriétaires ou
autres, de construire, reconstruire ou réparer
aucuns édifices , poser échoppes ou choses
saillantes le long des routes, sans en avoir
obtenu les alignements ou permissions à
peine de démolition desdits ouvrages, confis-
cation des matériaux, et de 300 livres d'a-
mende; et, contre les maçons, charpentiers et
ouvriers, de pareille amende, et même de plus
grande peine, en cas de récidive. Fait pareil-
lement Sa Majesté défenses à tous autres
(qu'aux fonctionnaires ayant qualité) , sous
quelque prétexte et à quelque titre que ce soit,
de donner lesdits alignements et permissions,
à peine de répondre, en leur propre et privé
nom, des condamnations prononcées contre
les particuliers, propriétaires, locataires et
ouvriers, qui seront, en cas de contravention,
poursuivis à la requête des procureurs de Sa
Majesté, et punis suivant l'exigence des cas...»
Cet arrêt du conseil confirme d'ailleurs en
termes exprès, dans son préambule, et étend
à tout le royaume,une ordonnance précédente
du bureau des finances de la généralité de
Paris, en date du 29 mars I75-J,laquelle,après
des dispositions analogues à celles ci-dessus ,
explique formellement que ces dispositions
s'appliquent indistinctement à toutes les mai-
sons ou bâtiments quelconques situés le long
des routes, soit dtms les traverses des villes,
bourgs ou villages, soit en pleine campagne.
Cette législation s'applique aujourd'hui jour-
nellement à toutes les constructions sur les
routes impériales et sur les routes départe-
mentales, conformément à ce que nous avons
dit plus haut, à l'exception de l'amende, tou-
tefois, qui, aux termes de la loi du 23 mars
1842, est aujourd'hui susceptible de réduction
jusqu'au vingtième. Elle a été adoptée pour
les chemins vicinaux par le règlement général
du ministère de l'intérieur (art. 2S1 et suiv.).
Dans beaucoup de villes et bourgs, elle a
servi de modèle aux règlements de voirie ur-
baine édictés par les maires, en vertu de la
loi des 16-24 août 1790.
La question a été soulevée, de savoir si les
particuliers pouvaient être tenus à demander
l'alignement pour bâtir, ou pour réparer leurs
bâtiments, le long des simples chemins ruraux,
qui, n'étant pas légalement classés, échappent
au régime de la vicinalité, et ne sont, à bien
dire, que de simples propriétés communales,
au profit desquelles on ne peut imposer aux
citoyens d'autres obligations que celles qui ré-
sultent du droit ordinaire. Après quelques hési-
tations dans la jurisprudence du conseil d'Etat
et de la cour de cassation, voici le système au-
quel on s'est arrêté. On a reconnu que, quel que
tût le caractère légal des chemins dont il s'agit,
ils n'en constituaient pas moins des voies pu-
bliques, et que dès lors le maire, qui tient de
la loi des 16-24 août 1790 le droit de veiller à
la commodité et à la sûreté du passage sur
toutes les voies publiques, a parfaitement le
droit de prohiber, par voie de règlement, sur
les chemins ruraux comme sur tous les autres
chemins, toute construction sans l'autorisation
municipale. On décide donc que là où il existe
un règlement de cette nature, les particuliers
sont obligés de s'y conformer. Mais lorsque
ce règlement n'existe pas, la jurisprudence
refuse aujourd'hui invariablement de voir une
contravention dans le fait de ne pas avoir de-
mandé l'autorisation de construire.
Pour garantir les citoyens contre l'arbi-
traire dans la délivrance de l'alignement ou
permission de bâtir , comme dans l'intérêt
même de l'édilité, il a été de tout temps dans .
les vues du pouvoir supérieur, qu'il soit dressé
partout des plans généraux, obligatoires pour
les différentes autorités chargées de délivrer
des alignements, comme pour les particuliers.
L'arrêt du 17 février 1765, la loi du 16 sep-
364
tembre 1807, et différentes instructions mini-
stérielles le prescrivent formellement. Lors-
que ces plans généraux d'alignement, qui ne
sont établis et ne reçoivent force d'exécution
qu'après une instruction et dans des formes
solennelles, existent, les maires et les préfets
sont tenus de s'y conformer. Mais cette œuvre
considérable n'a pu, on le comprend facile-
ment, être accomplie dans toutes les com-
munes, surtout dans les petites localités. A
défaut de plan général, le droit, conféré aux
maires par la loi de 1790, de prendre des ar-
rêtés pour assurer la sûreté et la commodité
du passage sur les voies publiques, subsiste
dans toute sa force, et les alignements qu'ils
donnent, conformément aux anciens règle-
ments, sont toujours obligatoires; du reste,
en cette matière, comme généralement en
tout ce qui est réglé par l'administration, le
droit des maires n est pas rigoureusement ab-
solu, non plus que celui des préfets. On peut
toujours recourir du maire au préfet,du préfet
au ministre de l'intérieur, et de celui-ci même
au conseil d'Etat, pour tout ce qui, dans la
délivrance d'un alignement, constituerait un
abus de pouvoir. Si l'arrêté d'alignement tou-
chait à des droits préexistants de propriété ou
autres, ou à des droits acquis à des tiers, la
voie des tribunaux resterait toujours ouverte
à la partie lésée.
Les règles de l'alignement s'appliquent non-
seulement à la façade même des bâtiments,
mais à tous les accessoires, saillies ou orne-
mentations quelconques qui s'y rattacheraient.
Généralement, toutes ces saillies sont prohi-
bées. — « Deffendons à notre grand voyer et à
ses commis, porte l'édit de décembre 1607, de
permettre qu il soit fait aucunes saillies, avan-
ces et pans de bois estre aux bastiments neufs, et
mesme à ceux où il y en a à présent, de con-
traindre les réédifier, n'y faire ouvrages gui
les puissent conforter, conserver et soutenir,
n'y faire aucun encorbellement en avance pour
porter aucun mur, pan de bois ou autres choses
en saillie, et porter à faux sur lesdites rues,
ains faire le tout continuer à plomb, depuis le
rez-ae-chaussée tout contremont, et pourvoir à
ce que les rues s'embellissent et élargissent, en
mieux que faire se pourra... » — Ces disposi-
tions sont toujours légalement en vigueur.
Toutefois, en raison des progrès survenus
dans l'art de la construction, on s'attache gé-
néralement, aujourd'hui, plutôt à régler Tes
ouvrages dont il s'agit de manière à les main-
tenir dans des conditions acceptables, qu'à les
" empêcher d'une manière absolue. — Une or-
donnance royale du 24 décembre 1823, règle
tout ce qui concerne les saillies, auvents et
constructions semblables, à permettre dans Pa-
ris, et les dimensions qui doivent être données
aux ouvrages permis. Ce règlement comprend
dans ses dispositions principales : les saillies
fixesj telles que les pilastres et les colonnes
en pierre, etc. — et les saillies mobiles, telles
que les lanternes, volets et contrevents, etc. ;
— les barrières au-devant des maisons; —
les bancs, pas, marches, perrons, bornes; —
les balcons ; — les constructions provisoi-
res, les échoppes ; — les auvents et corniches
de boutiques ; — les enseignes ; — les tuyaux
de poêlé et de cheminée; — les bannes;
— les perches ; — les éviers ; — les cuvettes ;
— les constructions en encorbellement ; —
—- les corniches ou entablements; — les gout-
tières saillantes; —les devantures de bouti-
ques. De nombreuses ordonnances de police
ont été depuis rendues dans les mêmes vues.
Il n'est pas douteux que, dans les villes autres
que Paris, et même dans les simples com-
munes, les maires, qui sont chargés de la po-
lice et de la voirie municipale (Ib. 16-24 août
1790; 18 juillet 1837, art. 10), n'aient le droit
de faire des règlements analogues, sauf à de-
mander, lorsqu'il, y a lieu, 1 approbation du
préfet.
Les demandes en alignement ou en auto-
risation de réparer des bâtiments, adressées,
suivant les cas, au maire ou au préfet, ainsi
qu'on l'a vu plus haut, doivent contenir tous
les détails de nature à bien faire apprécier les
conditions dans lesquelles les travaux doivent
être exécutés, et être accompagnées, au be-
soin, du plan des lieux et des plans de détail
qui seraient à cet effet nécessaires. — A
Paris, tout constructeur de maisons, avant de
se mettre à l'œuvre, doit demander l'aligne-
ment et le nivellement de la voie publique au-
devant de son terrain, et s'y conformer. II
doit pareillement adresser à l'administration
un plan et des coupes cotés des constructions
qu'il projette, et se soumettre aux prescrip-
tions qui lui seraient faites dans l'intérêt de
la sûreté publique et de la salubrité. Vingt
jours après le dépôt de ces plans et coupes au
secrétariat de la préfecture de la Seine, le
constructeur peut commencer les travaux d'a-
près son plan, s'il ne lui a été notifié aucune
injonction. Une coupe géologique des fouilles
pour fondation de bâtiments doit être dressée
par l'architecte ou le constructeur, et remise à
la préfecture de la Seine (décret du 20 mars
1852, art. 3 et 4).
Les alignements et les autorisations de ré-
parer des bâtiments peuvent donner lieu, au
profit des communes, à la perception de droits
de voirie, lorsqu'elles ont, à ce sujet, des
tarifs dûment approuvés (loi du 18 juillet 1837,
art. 31; lois annuelles de finances). — Le ta- -
rif appliqué à Paris a été arrêté par un dé-
cret impérial du 27 octobre 1808. — Mais il
n'existe aucune disposition qui autorise la
perception des mêmes droits au profit de l'Etat
ou des départements. C'est, du reste, ce qu'in-
terdisaient formellement les anciens règle-
ments en matière de grande voirie, et notam-
ment l'ordonnance du bureau des finances de
la généralité de Paris, du 17 juillet 1781 :
toutes lesdites permissions et aligne-
ments, porte cette dernière ordonnance, con-
tinueront à être donnés sans frais I »
Le droit de l'autorité, de veiller au mode de
construction des bâtiments, et au choix même
des matériaux employés, comme à leur dispo-
sition, dérive nécessairement de la législation
qui la charge de veiller à la sûreté de la voie
publique, et de prendre les précautions con-
venables pour prévenir les accidents, les in-
cendies, etc. (Ib. 16-24 août 1790). — Ainsi,
l'emploi, dans la construction des façades ou
dans les toitures, de matières combustibles
qui peuvent augmenter les chances d'incendie,
—; la mauvaise assise des fondations, — le
défaut d'épaisseur des murs, ou la mauvaise
qualité des matériaux employés à leur éléva-
tion, et, en général, tout ce qui pourrait être
une cause d écroulement, — la trop grande
dimension ou la mauvaise disposition de cer-
tains matériaux, qui en laisseraient à craindre
la chute, etc., etc., — sont autant de causes
d'accidents que l'administration doit s'attacher
à prévenir. — Le droit de l'autorité munici-
pale à cet égard est, au surplus, constant, et il
existe, dans un grand nombre de villes, des
règlements généraux qui prescrivent tontes
les dispositions de détail à observer par les
constructeurs, dans le choix des matériaux
comme dans leur emploi. — A Paris, ces dis-
positions ont été réglées par trois arrêtés du
préfet de la Seine, en date des 24 nivôse an IX,
23 brumaire an XII, et 22 août 1809. Il y a,
en outre, un nouveau projet préparé par le
préfet, de concert avec le ministre de l'inté-
rieur.
Des motifs de salubrité et de convenance
publique ont porté l'autorité supérieure à
prendre une mesure analogue à celles dont
nous venons de parler, dans le but d'assurer
la propreté extérieure des bâtiments. Aux
termes du décret du 26 mars 1852, spéciale-
ment relatif aux rués de Paris, la façade des
maisons doit être constamment tenue en bon
état de propreté. Elles doivent être repeintes
et badigeonnées au moins une fois tous les
dix ans, sur l'injonction de l'autorité munici-
pale. — Ces dispositions ont été déclarées ap-
plicables à toutes les villes qui en feraient la
demande (décret du 20 mars 1852, art. 9). — Des
décrets spéciaux les ont déjà étendues, par
suite, à un grand nombre de villes, sur la de-
mande des administrations locales.
La hauteur des maisons à Paris, réglée
primitivement par la déclaration du roi du
10 avril 1783, et par des lettres patentes du
25 août 1784, est aujourd'hui régie par un dé-
cret impérial du 27 juillet 1859, qui a réglé en
même temps la hauteur et la disposition des
combles, celles des cheminées, et la disposition
des lucarnes. — Aux termes de ce décret, la
hauteur des façades des maisons bordant les
voies, publiques dans la ville de Paris est dé-
terminée par la largeur légale de ces voies
publiques. — Cette hauteur, mesurée du trot-
toir ou du pavé au pied des façades des bâti-
ments, et prise, dans tous les cas, au milieu de
ces façades, ne peut excéder, y compris les
entablements, attiques, et toutes les construc-
tions à plomb du mur de face, savoir : —
il m. 70 pour les voies publiques au-dessous
de 7 m. 80 de largeur; — 14 m. 60 pour les
voies publiques de 7 m. 80 et au-dessus, jus-
qu'à 9 m. 75; — 17 m. 55 pour les voies pu-
bliques de 9 m. 75 et au-dessus. — Toutefois,
dans les rues ou boulevards de 20 m. et au-
dessus, la hauteur des bâtiments peut être
portée jusqu'à 20 in., mais, à la charge, par les
constructeurs, de ne faire en aucun cas, au-
dessus du rez-de-chaussée, plus de cinq étages
carrés, entre-sol compris (décret, 27 juillet 1859,
art. 1er). — Des dispositions subséquentes,
règlent en détail ce qui concerne la hauteur
des bâtiments situés h l'encoignure de deux
rues d'inégale largeur (Ib. art, 3 et 4). — Les
bâtiments situés en dehors des voies publiques,
dans les cours et espaces intérieurs, ne peu-
vent excéder, sur aucune de leurs faces, la
hauteur de 17 m. 55, mesurée du sol. — L'ad-
ministration peut toutefois autoriser, par ex-
ception, des constructions plus élevées pour
des besoins d'art, de science ou d'industrie. —
Dans ces cas exceptionnels, elle fixe les di-
mensions, la forme et le mode de construc-
tion de ces élévations (Ib. art. 5). — Par
d'autres dispositions, le décret règle la hau-
teur et la disposition des combles et des che-
minées, ainsi que les dispositions des lucarnes
(Ib. art. 7 à 14). — Ces dernières dispositions
sont déclarées applicables à tous les bâtiments
placés ou non fiur la voie publique (art. 14).
— Le décret n'est, du reste, pas applicable
aux édifices publics {Ib. art. 16).)
Partout ailleurs qn'à Paris, ce décret tout
spécial ne saurait être applicable. — On com-
prend, d'ailleurs, l'impossibilité qu'il y aurait
a fixer d'une manière générale, dans toutes
les villes de France, pour l'élévation des bâ-
timents, une hauteur," nécessairement suscep-
tible de varier suivant le climat et les dispo-
sitions topographiques dechaque pays, comme
en raison même du plus ou moins d'importance
des localités. — Mais il est universellement
reconnu que l'autorité municipale tient, à cet
égard, des lois qui l'ont investie du droit de rô-
f lementer tout ce qui intéresse la solidité des
aliments et la sûreté de la voie publique
(lois 16-24 août 1790; 19-22 juillet 1791), le
pouvoir de faire tous les règlements qui lui
paraissent utiles. — C'est ainsi qu'il existe *
a Lyon un règlement général de voirie,
en date du 13 mai 1825, dans lequel le
maire a fixé la hauteur des maisons de
cette ville ; règlement dont la force obliga-
toire a été formellement reconnue par un ar-
rêt de la cour de cassation, du 30 mars 1827,
f>récisément à l'occasion d'une difficulté sou-
evée sur la légalité de cette hauteur, et cette
jurisprudence est encore consacrée par d'au-
tres arrêts de la même cour, en date des 7 dé-
cembre 1827, 2 et 8 août 1833. — Nous voyons
également, dans un arrêt du conseil d'Etat, du
21 mars 1861, qu'à Montpellier, la hauteur des
constructions a été fixée par arrêts du con-
seil, en date des 4 février 1775 et 31 octo-
bre 1779.
Lorsqu'un bâtiment en mauvais état, soit
par vétusté, soit par vice de construction ou
autre circonstance, menace de compromettre?
par sa ruine, la sûreté des citoyens, l'autorité
serait désarmée des moyens d'apporter là une
protection que tous attendent a'elle, si elle
n'avait le droit de faire disparaître aussitôt
toute cause de danger, en ordonnant soit la
réparation, soit même, au besoin, la démoli-
tion de Kédifice en péril. — Aussi, ce droit lui
est-il reconnu par notre nouvelle législation
comme par l'ancienne. C'est un principe hors
de toute discussion, qu'en pareil cas, l'autorité
administrative (maire ou préfet, selon qu'il
s'agit de la petite ou de la grande voirie) a
plein pouvoir d'intervenir, même d'urgence et
sans constatations contradictoires, pour or-
donner toutes les mesures qui seraient néces-
saires. Comme en pareille matière, toutefois,
on touche aux droits de la propriété, l'admi-
nistration ne doit agir, lorsqu'il y a le temps
suffisant, qu'après avoir appelé le propriétaire
à une expertise contradictoire, sur lo résultat
de laquelle il est statué définitivement.— Mais
le propriétaire, bien qu'ayant son recours de-
vant l'autorité supérieure, doit exécuter la
décision dès qu'elle lui est notifiée. Faute par
lui de s'y conformer, la réparation ou la démo-
lition peut être faite d'office à ses frais, par
les soins de l'administration (déclaration du
roi du 18 juillet 1729).
A quels signes peut-on reconnaître la né-
cessité de démolir un bâtiment pour cause de
péril? — C'est ce qu'il serait assez difficile de
déterminer, les causes de danger pouvant va-
rier à l'infini.— Voici, d'après M. Frémy-Li-
gneville (Législation des bâtiments, tome II,
n° 844), les caractères les plus saisissables de
cette nécessité. « Il y a lieu, dit cet auteur,
de démolir un bâtiment pour cause de péril :
1° lorsque , par vétusté , une ou plusieurs
jambes etrières, trumeaux ou pieds-droits sont
en mauvais état (conseil d'Etat, 26 décem-
bre 1827); 2o lorsque le mur de face sur
rue est en surplomb de la moitié de son épais-
seur, dans quelque état que se trouvent les
jambes etrières, les trumeaux et pieds-droits
(conseil d'Etat, 19 mars 1823; Davenne, t. II,
p. 123) ; 3» si le mur sur rue est à fruit, et
qu'il ait occasionné sur la face opposée un
surplomb égal au fruit de la face sur rue ;
4° chaque fois que les fondations sont mau-
vaises, quand il ne se serait manifesté dans la
hauteur du bâtiment aucun fruit de surplomb ;
50 s'il y a un bombement égal au surplomb
dans les parties inférieures du mur de face.
L'administration ne doit pas d'indemnité au
propriétaire dont le bâtiment est démoli pour
cause de péril, lorsque la nécessité de la dé-
molition a été amenée, soit par la négligence
du propriétaire à faire les réparations qui au-
raient été nécessaires, soit par le fait de la
construction vicieuse de l'édifice, soit enfin
par l'effet de toute circonstance dommageable
qui serait imputable au propriétaire lui-même
ou à des tiers. Dans ces divers cas, ou le pro-
priétaire ne fait que subir les conséquences
de sa propre faute, ou c'est à lui à exercer
tel recours que de droit, soit contre l'archi-
tecte ou l'entrepreneur, soit contre son ven-
deur, soit enfin contre tous ceux à qui le
dommage pourrait être reproché. — Mais une
indemnité serait évidemment due par l'admi-
nistration, s'il était reconnu, après la démoli-
tion, qu'elle a été ordonnée à tort (conseil
d'Etat, 2 juillet 1820).
Indépendamment de la démolition et des
conséquences qui peuvent s'en suivre, comme
de la réparation du dommage que la ruine du
bâtiment aurait pu causer à des tiers (code
Napoléon, art. 1386), le propriétaire reste
passible, s'il y a lieu, des peines portées par
les articles 471 et 479 du Code pénal, aux
termes des'quels sont punis d'une amende
de un franc jusqu'à cinq ceux qui ont négligé
ou refusé d'obéir à la sommation, émanée de
l'autorité administrative, de réparer ou démo-
lir les édifices menaçant ruine (Code pénal,
art. 471)... et de onze à quinze francs, ceux
qui auraient occasionné la mort ou la blessure
des animaux ou bestiaux appartenant à autrui,
par la vétusté, la dégradation, le défaut de
réparation ou d'entretien des maisons ou édi-
fices (Code pénal, art. 479).
— Technol. Les bâtiments de graduation
sont des hangars très-longs, assez élevés, et
ouverts à tous les vents, que l'on dispose de
manière à obtenir la plus grande surface d'é-
vaporation possible. Ils portent, à la partie
supérieure, un canal qui en occupe toute la
longueur, et dans lequel on amène l'eau au
moyen de pompes. Dans les bâtiments à cordes,
l'intérieur de la construction est rempli de
cordes tendues verticalement de haut en bas.
Dans les bâtiments à tables! N es^ muni de
tablettes légèrement inclinées, les unes dans
un sens et Tes autres en sens contraire alter-
nativement, et placées les unes au-dessus
des autres. Enfin, dans les bâtiments à fagots,
les corde3 et les tablettes sont remplacées
par des fagots d'épines, disposés en couches
minces : c'est ce dernier système qui est le
plus employé. Dans tous les cas, l'eau salée,
en tombant du canal supérieur, se divise à
l'infini, et perd au contact de l'air une portioD
de ses parties aqueuses. On renouvelle l'opé-
ration jusqu'à ce que la liqueur soit arrivée à
un degré de concentration qui correspond à
une salure de 14 à 22 pour 100, après quoi,
on la dirige dans des réservoirs en maçonne-
rie appelés baissoirs, d'où elle passe dans des
chaudières de fer, larges et peu profondes,
pour y achever son évaporation au moyen du
feu. Pendant les premiers temps de l'ébulli-
t'ion, il se précipite une matière saline, nom-
mée schlot (v. ce mot), qu'on enlève avec
soin. On continue de chauffer et, au bout de
quelques heures, Je sel commence à se dé-
fioser. On le recueille avec des écumoires,on
e fait égoutter dans des trémies, enfin, on
le porte dans des séchoirs, et on le livre au
commerce.

BÂTINE
s. f. (bà-ti-no — dim. do bât).
Sello recouverte de grosse toile, et rembour-
rée de poils ou de paille : Il jeta la DÂTINU
sur la jument, sauta dessus et partit au galop.
(G. Sand.)

BATINSKOF
ou BATIUSKOF (Constantin-
Nicolaewitch), écrivain russe, né à Vologda
en 1787. Il avait été soldat duns sa jeunesse;
niais une grave blessure, qu'il reçut à la
jambe, le força à prendre sa retraite. Il a pu-
blié : Critique des œuvres de Lamonosof et de
Mouraviefi Une soirée avec le prince Kante-
mir; Visite à l'Académie des beaux-arts;
Critiques du Tasse, de l'Arioste et de Pétrar-
que, et un certain nombre de Poésies, impri-
mées dans 1Anthologie russe de Bowring.

BATINUM
rivière de l'Italie ancienne, qui
coulait dans le Picenum (Marche d'Ancône),
et qui porte aujourd'hui le nom de Salinello.

BATIPORTE
s. m. (ba-ti-por-to — rad.
bâti et porte). Mar. Bordage do chêne qui
empêche l'entrée de l'eau dans la cale.

BÂTIR
v. a. ou tr. (bâ-tir. — L'origine de
ce mot a été vivement discutée; les uns ont
voulu y reconnaître une racine celtique;
d'autres, avec plus de vraisemblance, une
expression germanique. M. Delâtre, qui par-
tage cette dernière opinion, donne, sur la
filiation de ce mot et de toute la famille qu'on
peut grouper autour de lui, des détails inté-
ressants. Il le rattache au thème déjà si
fécond band, qui se retrouve dans la plupart
des idiomes indo-européens, avec lo sens do
lier, attacher. La forme zendc du participe
passif de cette racine, bashta, est restée,
comme il le montre, dans les langues germa-
niques. Ainsi, en allemand moderne, bast si-
fnifie proprement l'écorce intérieure, le liber
os arbres, littéralement ce qui est lié ou ce
qui lie. M. Delâtre fait dériver directement
de bast l'italien bastô (selle), pour les bêtes
de somme, et, médiatement, le français bast
(bât) ; bâter, débâter. Le mot allemand bast
se prend encore dans l'acception plus spéciale
do filasse; le suédois se sort même du verbo
basta pour diro lier avec de l'écorce d'arbre.
De là viendrait l'italien bastire (mettre en-
semble); l'espagnol bastire (préparer, dispo-
ser): le vieux français bastir, bâtir (assembler
les diverses parties d'un vêtement, les cou-
dre à grands points). Ainsi, ce serait avec
cette signification, qui aujourd'hui nous sem-
blerait a priori dérivée, que ce vocable a
pénétré dans notre langue. Nous ferons, du
reste, remarquer combien l'idée de lier (cou-
dre) est voisine de celle de bâtir; c'est ainsi
qu'en allemand lo nom générique du ciment
est bindemittel (moyen, matière pour lier).
Bâtir finit donc par vouloir dire construire,
et c'est dans cette nouvelle acception qu'il a
donné naissance aux nombreux dérivés : bâ-
tisse, bâtiment,^édifice ou navire; rebâtir, dé-
bâtir une étoffe: bastide, maison de campa-
gne dans le Midi, participe- régulièrement
formé du verbe bastir ; bastille, sorte de di-
minutif ; bastille, qui a des créneaux renver-
sés,terme de blason; bastion, bastionner,etc.
La forme italienne bastinga a produit le
français bastingue, toile matelassée dont on
se servait autrefois pour bastinguer ou faire
un bastingage, espèce de retranchement
qu'on forme autour du pont supérieur d'un
vaisseau avec les hamacs de l'équipage, pour
se garantir de la mousqueterie de l'ennemi.
M. Delâtre rattache encore à la même famille
bastringue, qui lui paraît identique à bastin-
gue, et où r serait une lettre épenthétique ;
bastringue aurait signifié d'abord une cahute,
une guinguette ; puis, par métonymie, un bal
de guinguette. Avec les mots bâtard, batar-
deau, espèco de digue faite de pieux, d'ais et
de terre, pour détourner un cours d'eau, nous
entrons dans une nouvelle série d'idées ; lo
mot italien bastone, forme d'augmentatif, gui
semble appartenir à cette série, signifia
d'abord une grosse branche d'arbre, un gour-
din; d'où le français baston et bâton, et la
riche dérivation : bâtonner, bâtonnier, bâton-
365
net, bâtonniste, bastonnade, calqué, peut-être
immédiatement sur l'italien bastonata. Il faut
nrobablement encore rapprocher de ces déri-
vés l'italien bastare (remplir, suffire), d'où
l'exclamation si connue basta (suffit 1 assez!)
expression qui a pénétré, par l'intermédiaire
de la langue franque, jusque dans l'arabe
moderne. Nous avouons, cependant, que nous
ne voyons pas très-nettement la transition
de ce sens dérivé aux différentes significa-
tions que nous avons vues plus haut. M. De-
lâtre voudrait encore rapporter à la même
racine le mot basterne, qui désigne une espèce
de litière ou char attelé de bœufs, en usage
chez d'anciens peuples du Nord et sous nos
rois de la première race. Mais cette étymo-
logie nous semble suspecte, surtout quand
nous pensons au mot grec bastazein (porter) ;
bastagma et bastagé (charge, fardeau), etc.
Enfin, M. Delâtre fait remarquer qu'en
vieux français bast et baste désignaient, par
métaphore, une prostituée; il rapproche,
comme analogie de significations, le latin
cortex (écorce), et scortum; l'allemand baîg
(peau), et meretrix, etc. Ce sens spécial^ du
mot bast est une donnée précieuse pour l'éty-
mologie du mot bâtard; car on disait indiffé-
remment fils de bast, ou bastard, bâtard).
Construire, édifier: BÂTIR une église, une
caserne. BÂTIR un nid, une cabane de ro-
seaux. Abraham BÂTIT un autel au Seigneur.
(Sacy.) Les oiseaux n'aiment pas les orangers
et n'y BÂTISSENT pas leurs nids. (A. Karr.) Le
débordement possible des Busses fait réparer
la muraille de Chine et BÂTIR la muraille de
Paris. (V. Hugo.) Aujourd'hui, on BÂTIT avec
de la boue et du plâtre une demeure d'un jour.
(E. Sue.) Quand on ne sait plus BÂTIR d'églises,
on restaure et on imite les anciennes. (Renan.)
Quelle savante main a bâti ce palais?
CORNEILLE.
Ces remparts, qu'ouï jadis bâlis des mains divines'
Sous la ronce et la mousse ils sont ensevelis.
LA HARPE.
Il Couvrir de constructions : Terrain à BÂTIR.
BÂTIR un vaste terrain.
— Par ext. Faire bâtir, en payant ou en
dirigeant la construction : Ce millionnaire BÂ-
TIT un hôpital danssa ville natale. {***) Cen'est
pas un seul architecte qui A BÂTI le Louvre (***)
Cet entrepreneur BÂTIT bien et vite. (***) Les py-
ramides étaient des tombeaux, encore les l'ois
qui les ONT BÂTIES n'ont-ils pas eu le pouvoir
d'y être inhumés. (Boss.)
Alidor a ses frais bâtit un monastère.
BOILEAU.
— Fonder, commencer à construire : BÂTIR
une ville. Amri, roi d'Israël, BÂTIT Samarie.
(Boss.) Alexandre, dans l'âge fougueux des
plaisirs et dans l'ivresse des conquêtes, A BÂTI
plus de villes que tous les autres vainqueurs dé
l'Asie n'en ont détruit. (Volt.)
— Par anal. Construire, en parlant d'un
objet formé de pièces assemblées : BÂTIR un
meuble.
Viens me voir en mon faubourg,
Où, vrai patriarche,
Contre les flots de la cour
J'ai bâti mon arche. COLLETET.
— Fig. Fonder, établir : BÂTIR un système
sur un paradoxe. BÂTIR sa fortune sur une
banqueroute. Si notre être, si notre substance
n'est rien, tout ce que nous BÂTISSONS dessus
que peut-il être? (Boss.) Quand on veut BÂTIR-
im système sur une matière dont les détails
sont totalement inconnus, comment fixer l'éten-
due des principes? (Condillac.) On ne BÂTIT
aucun monument durable sur le déshonneur.
(Chateaub.) On ne peut immoler une victime
sans BÂTIR un autel. (H. Taine.) // BÂTIT un
monde de suppositions dans sa tête. (G. Sand.)
Des républiques qui BÂTISSENT la monarchie,
des monarchies qui BÂTISSKNT la république,
et le chaos après. (Ch. Nod.)
Le temps détruit bientôt ce qu'ti bâti Terreur.
SAURIN.
11 verra comme il faut dompter les nations,
Et sur de grands exploits bâtir sa renommée.
CORNEILLE.
... Jamais ma dépense, excédant ma recette,
Ne me force a bâtir un espoir mal fondé
Sur le terrain mouvant du tiers consolidé.-
C DELAVIOHE.
U Préparer, jeter les fondements de : Le per-
pétuel ouvrage de la vie est de BÂTIR la mort.
(Montaigne.)
— Absol. Elever ou faire élever des con-
structions : L'art de BÂTIR. Sion fut la de-
meure de David; il BÂTIT autour et la nomma
la cité de David. (Boss.) Le vrai chrétien ne

BÂTIT
pas sur la terre, parce que sa cité n'est
pas de ce monde. (Boss.) On BÂTIT dans sa
vieillesse, et l'on meurt quand on est aux
peintres et aux vitriers. (La Bruy.) BÂTIR est
beau, mais détruire est sublime. (Volt.) L'art
de BÂTIR fut le premier art pratique, art fé-
cond, art matrice de tous les autres arts.
(Lamenn.)
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands sei-
N fgneurs.
LA FONTAINE.
Voulez-vous un conseil? Ne bâtissez jamais.
PONSARD.
Socrate un jour faisant bâtir.
Chacun censurait son ouvrage.
LA FONTAINE.
— Fig. Fonder quelque chose, l'établir :
On nous propose de décombrer avant de BÂTIR.
(Mirab.) Ce n'est pas toujours pour soi qu'on
BÂTIT dans cette vie. (Chateaub.)
— Bâtir de boue et de crachats, Faire une
construction très-peu solide. Il Bâtir sur le
sable, Commencer une entreprise, fonder une
opinion, un système, sur des bases, des prin-
cipes peu solides : Voilà LE SABLE SUR LEQUEL
ON BÂTIT. (Mïne de Sév.)
Le bien de la fortune est un bien périssable.
Quand on bâtit sur elle, on bâtit sur le sable.
RACAN,
J'accorde que je quitte un bien incomparable.
Pour semer sur du vent et bâtir sur au sable.
ROTROU.
J'aurais voulu bâtir, sur l'arène mouvante.
Un monument hardi pour la gloire vivante;
Pour la gloire morte, un tombeau.
DE BANVILLE-
Il Bâtir en l'air, Former des projets, imagi-
ner des systèmes chimériques : Fonder ses
projets de fortune sur l'honnêteté publique,
c'est BÂTIR EN L'AIR. Il Bâtir des châteaux en
Espagne. V. CHÂTEAU.
— Bâtir à chaux et à ciment, Bâtir très-so-
lidement : Je veux BÂTIR ma maison À CHAUX
ET À CIMENT, il Fig. Etablir sur des bases
solides : Nous BÂTIRONS un bon traité À CHAUX
ET À CIMENT.
— Pop, Bâtir sur le devant, Prendre du
ventre. Se dit aussi d'une femme enceinte.
— Techn. Assembler et faufiler, en parlant
d'un vêtement : Je n'ai encore pu BÂTIR votre
robe. Les jeunes ouvrières de la couturière BÂ-
TISSAIENT d'élégants canezous de mou'sseli?ie.
(Balz.) Elle BÂTISSAIT alors les plis d'une robe
lamée. (F. Soulié.) il Façonner sur le bassin,
en parlant du feutre destiné à la confection
d'un chapeau.
Se bâtir, v. pr. Etre bâti : Les maisons du
boulevard SE BÂTISSENT à vue d'œil. A un si-
gne de ma tête, des palais SE BÂTISSENT, et mon
architecte ne se trompe jamais. (Balz.)
— Bâtir pour son usage, bâtir pour SOÏ ;
Le castor qui SE BÂTIT une cabane, l'oiseau qui
se construit un nid n'agissent que par instinct.
(Flourens.)
— Préparer'pour soi, acquérir graduelle-
ment : SE BÂTIR une petite fortune.
— Impers. Il S'EST BÂTI cinquante maisons
en un an. Il ne SE BÂTISSAIT point de maison,
qu'il ne présidât à la manière de la monter.
(St-Sim.)
— Syn. Bâtir, construire, édifier. Bâtir est
le terme général; il se dit du maçon qui as-
semble les pierres, et il se dit aussi de celui
qui le paye, sans s'occuper autrement du tra-
vail. Construire emporte l'idée de l'ordre dans
lequel sont disposés les matériaux, de l'art
avec lequel on distribue les diverses parties ;
il s'emploie au figuré, pour marquer l'ordre
dans lequel on assemble les mots, quand on
veut composer des phrases. Edifier veut dire
proprement élever un édifice considérable ;
mais il ne s'emploie plus guère qu'au figuré ou
en histoire naturelle, et presque toujours
d'une manière absolue, par opposition à l'idée
de destruction : Partout où les hommes se sont
habitués, le castor perd son industrie et cesse
' (/'ÉDIFIER. (Buff,)
— Antonymes. Démolir, détruire, raser,
renverser, ruiner.
— Allus. littér. Patte encor de bâlîr;
mais planter à cet âge 1 vers tiré d'une des
fables les plus philosophiques et les plus belles
de La Fontaine, le Vieillard et les trois
Jeunes hommes :
Un octogénaire plantait.
Passe encore de bâtir; mais plantera cet âge!
Disaient trois jouvenceaux, enfants du voisinage :
Assurément il radotait.
Car, au nom des dieux, je vous prie.
Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir?
Autant qu'un patriarche il vous faudrait vieillir.
A quoi bon charger votre vie
Des soins d'un avenir qui n'est pas fait pour vous ?
Ne songez désormais qu'à vos erreurs passées;
Quittez le long espoir et les vastes pensées;
Tout cela ne convient'qu'à nous.
Le fabuliste donne raison à la prévoyance
du vieillard, qui répond sagement :
Tout établissement
Vient tard, etdure peu. La main des Parques blêmes
De vos jours et des miens se joue également.
Nos termes sont pareils par leur courte durée.
Qui de nous des clartés de la voûte azurée
Doit jouir le dernier? Est-il aucun moment
Qui vous puisse assurer d'un second seulement?
Mes arrière-neveux me devront cet ombrage :
Eh bien! défendez-vous au sage
De se donner des soins pour le plaisir d'autrui ?
Cela même est un fruit que je goûte aujourd'hui :
J'en puis jouir demain, et quelques jours encore;
Je puis enfin compter l'aurore
Plus d'une fois sur vos tombeaux.
Dans les applications que l'on fait de ce
vers, le côté philosophique disparaît entière-
ment, et on l'applique à tous ceux qui forment
des entreprises dont il ne semble pas que leur
âge leur permette d'attendre les fruits.
Bâtir (TRAITÉ DE I/ART DE). V. ART.

BATIROLLE
s. f. (ba-ti-ro-le). Un des
noms de la batte à beurre.

BATIS
s. m. (ba-tiss). Ornith. Un des noms
de l'oiseau appelé traquet.
Ichthyol. — Espèce de raie.
— Encycl. Tchthyol. Le bâtis, appelé aussi
coliart, raie blanche, raie cendrée ou raie on-
dée, se distingue facilement des autres espèces
du genre raie par son corps plutôt arrondi ou
ovalaire qu'en losange. Il a le museau allongé
et pointu ; la partie de la tête voisine des yeux
est munie antérieurement de quelques aiguil-
lons ; le corps en est à peu près dépourvu, si
ce n'est sur la ligne médiane du dos, qui en
présente quelques-uns épars.j la queue en a
une rangée; mais il n'y en a pas sur son
extrémité, qui est effilée. Il paraîtrait, toute-
fois, que ces détails s'appliquent surtout à la
femelle, et que le mâle présente un grand
nombre d'aiguillons sur les deux faces du
corps et sur les nageoires latérales, avec trois
rangées sur la queue, où ils sont beaucoup
plus forts que chez la femelle. Ces différences
entre les deux sexes ont fait regarder ceux-ci
par les anciens auteurs comme appartenant
a deux espèces distinctes, qu'ils ont nommées
raie épineuse ou rampante (raia spinosa), et
raie lisse {raia levis). La couleur de la partie
supérieure du corps est cendrée, avec des ta-
! ches ou des raies noires ondulées ; le dessous
S est blanc et moucheté de très-petits points
! noirs. C'est l'espèce de ce genre qui acquiert
| les plus grandes dimensions; sa longueur va-
| rie de I a 2 mètres, et elle atteint quelquefois
I le poids énorme de 100 kilo. Le bâtis est ré-
! pundu dans presque toutes les mers ; mais il
! abonde surtout dans l'Océan européen. Il se
j plaît dans les eaux fangeuses, voisines des ri-
j vages ; il passe néanmoins pour tenir le pre-
mier rang dans son genre pour la bonté de sa
chair, qui est blanche, ferme et meilleure,
' dit-on, en hiver qu'en été. On retire de son
foie une huile assez bonne pour remplacer
l'huile d'olive dans les usages culinaires.

BÂTISSABLE
adj. fbâ-ti-sa-blfi — rad. bâ-
tir). Qui peut être bâti; où l'on peut bâtir :
Eglise BÂTISSADLE. Emplacement BÂTISSABLE.

BÂTISSAGE
s. m. (bâ-ti-sa-je— rad. bâtir).
Techn. Action de bâtir le feutre des cha-
peaux.

BÂTISSANT
(bâ-ti-san). Part. prés, du v.
Bâtir : Autrefois, en BÂTISSANT une demeure,
on travaillait, on croyait du moins travailler;
1 pour une famille éternelle. (Balz.)
j BÂTISSE s. f. (bà-ti-se — rad. bâtir).
! Archit. Construction en maçonnerie : Une
belle BÂTISSE. Une. BÂTISSE solide. La ridicule

BÂTISSE
fut abandonnée, et l'ouvrage nommé
confusion. (Chateaub.) J'ai défriché un champ ;
je l'ai enclos, planté, arrosé, couvert de BÂ-
TISSES. (Thiers.)
— Passion ou action de bâtir : La BÂTISSE
est un mal contagieux. Il éprouvait ces mille
attractions de la BÂTISSE et du jardinage, qui.
vont du monarque au petit propriétaire. (Balz.)

BÂTISSEUR
s. m. (bà-ti-seur— rad. bâtir).
Celui qui bâtit, celui qui aime à bâtir : Tous
les empereurs ont été d'infatigables BÂTISSEURS.
(Journ.) Tous les BÂTISSEURS avouent qu'il ne
se peut rien voir de mieux. (Voiture.) Je trem-
blais que le vieux Cœlus ne vît changer en
truelle de plomb la truelle d'or du BÂTISSEUR
de Troie. (Chateaub.)
— Fig. Celui qui fait, qui élabore, qui pro-
duit quelque chose : Un BÂTISSEUR de lots.
Cela regardait... une société de BÂTISSEURS
occultes, qui apportent, depuis une centaine
d'années, des matériaux à la Babel intellec-
tuelle. (Ch. Nod.) Dans ce sens, se prend tou-
jours en mauvaise part.
— Pop. Mauvais constructeur ou mauvais
architecte : Un détestable BÂTISSEUR.
— Antonyme. Démolisseur.
BATISS1ER (Louis), archéologue français,
né à Bourbon-rArchambault en 1813. Après
s'être fait recevoir docteur en médecine eh
1842, il s'adonna presque" exclusivement à
l'étude de l'archéologie, et fut nommé consul
de France à Suez. On a de lui des ouvrages
estimés : le Mont-Dore et ses environs (1840) ;
Eléments d'archéoloqie nationale (1843) ; His-
toire de l'art monumental dans l'antiquité et
au moyen âge (1845). Il a, en outre, retouché
et continué l'Histoire de Paris, par Dulaure,
- et composé divers mémoires sur le Bourbon-
nais.

BÂTISSOIR
s. m. (ba-ti-soir — rad. bâtir).
Techn. Appareil de tonnelier, pour tenir les
douves assemblées pendant la construction
du tonneau.

BATISTE
s. f. (ba-ti-ste — du nom de l'in-
venteur). Comm. Toile de lin ou de chanvre,
très-fine et très-serrée : Un mouchoir, un ri-
deau de BATISTE. NOS larmes se tarirent dans
la BATISTE embaumée de ce mouchoir. (G. Sand.)
On emploie, pour tisser la BATISTE,unfiltrès-
blanc nommé rame, qu'on tire du Éainaut.
(Bouillet.)
— Batiste hollandée, Batiste très-forte, qui
ressemble à la toile de Hollande, il Batiste
d'Ecosse, Nom impropre d'une étoffe de coton
à tissu très-serré.
— Encycl. La batiste est une sorte de toile
blanche, très-fine et très-serrée, qui forme le
plus fin de tous les tissus de lin; elle doit pré-
senter un aspect brillant ou soyeux, dû au
lustré du fil à la main qui entre dans sa fabri-
cation. Ce fil est le produit d'un Un très-fin,
qu'on appelle rame, et qui vient particulière-
ment dans le Hainaut français. La batiste doit
son nom à Baptiste Chambray, industriel du
xme siècle, qui fabriqua le premier cette
sorte de toile. Selon d'autres, ce nom lui au-
rait été donné par analogie avec une toile des
Indes, très-blanche et très-fine, qu'on appelle
bastas. Lorsque la batiste n'est pas tissée avec
encadrements pour mouchoirs, elle se fabri-
3ue le plus souvent à 0 m. 80 ou 0 m. 90 c.
e large. Quoiqu'elle s'imprime moins bien
que les étoffes de coton, elle reçoit néan-
moins, soit des impressions de vignettes, soit
des encadrements de couleur pour mouchoirs,
soit de petits dessins pour chemises. La fabri-
cation de la batiste, qui a été longtemps un
privilège exclusif de la France, s'est étendue
aujourd'hui en Angleterre, dans les Pays-
Bas, et même en Suisse, en Bohême et en
Silésie. Néanmoins, la France en exporte
encore annuellement une grande quantité.
BAT1STIN (Jean-Baptiste STRUCK, dit), mu-
sicien d'origine allemande, né à Florence,
mort à Paris en 1755. Il fut musicien ordinaire
du due d'Orléans et de l'Opéra, où, le premier
avec Labbé, il joua du violoncelle. Louis XIV
lui accorda deux pensions pour le retenir en
France et à Paris. Batistin a fait représenter
trois opéras à l'académie royale de musique :
Méléagre (1709); Manto la fée (1711) ; et
Polydore (1720). *
Ses autres œuvres, ballets et opéras, com-
posés pour les spectacles de la cour, n'ont pas
été représentés à Paris. Il a laissé, en outre, .
quatre livres de cantates et un recueil d'airs
nouveaux.

BATITURES
s. f. pi. (ba-ti-ture). Techn.
Parcelles de fer rougi, qui jaillissent sous le
marteau du forgeron.

BAT-LEAU
s. m. Véner. Air qu'on fait en-
tendre lorsque le cerf est à l'eau : Sonner le
BAT-L'EAU.

BATLEY
ville d'Angleterre, comté d'York,
dans le West-Riding, à 13 kil. S.-O. de Leeds ;
5,000 hab. Vaste exploitation de toutes les
branches de l'industrie des laines.

BATMAN
s. m. (batt-man). Métrol. Poids
usité en Orient, et variable suivant les loca-
lités : Le BATMAN de Cherray vaut environ
4,592 grammes, et celui de Tauris2,296 gram-
mes. (Complém. de l'Acad.)

BATMANSON
(Jean), écrivain anglais, mort
en 1531. Il devint prieur d'un couvent de char-
treux, à Londres, et se fit surtout connaître
en publiant, contre Erasme et Luther, deux
ouvrages qu'il rétracta bientôt : Animadver-
siones in annotationes Erasmi, et Traité contre
quelques erreurs de Luther. On a également
de lui, en latin, un Traité du mépris du monde,
des Commentaires sur les Proverbes de Salo-
mon, etc.
BATNA. V. BATHNA.
BA.TNA3 ou BATHNA, ville de l'Asie an-
cienne, dans la Mésopotamie, au S. d'Edesse ;
fondée par les Macédoniens et conquise par
Trajan; auj.,Batan ou Serudsen. \\ Autre ville
ancienne de Syrie, entre Berœa (auj., Alep)
et Hierapolis (auj., Membidsch).

BATO
s. m. (ba-to). Comm. Nom que les
Malais donnent aux graines du guilandina
bonducella. il On dit aussi BATU.

BATOA
île de l'Océanie (Mélanésie), dans
l'archipel de Viti ; 9 kil. de circonférence ; peu
d'habitants; découverte par Cook en 1773, et
reconnue par Dumont-Durville en 1827.

BATOCÈRE
s. m. (ba-to-sè-re — du gr.
batos, buisson; keras, corne). Entom. Genre
d'insectes coléoptères tétramèros, de la fa-
mille des longicornes, voisin des cérambyx et
des lamies, et comprenant une douzaine d'es-
pèces, qui vivent, pour la plupart, aux Indes
orientales : Les BATOCÈKES se trouvent, pen-
dant les mois de mai et juin, dans le voisinage
de Calcutta, sur le pipai, dont ils mangent les
bourgeons.

BATOGUES
s. f. pi. (bato-ghe). V. BAT-
TOGUES.

BATOLITHE
OU BATOLITE S. m. (ba-to-
li-te — du gr. batos, buisson; lithos, pierre).
Moll. Genre de coquilles fossiles, syn. d'hip-
purite. V. ce mot.

BÂTON
s. m. (bâ-ton — pour l'étym., v. BÂ-
TIR). Morceau de bois cylindrique et assez
mince, dont on se sert comme appui en mar-
chant, et aussi comme moyen d'attaque ou de
défense : S'appuyer sur un BÂTON. Un BÂTON
d'aveugle, de berger, de voyageur. Un gros
BÂTON noueux. Faire mourir sous le BÂTON.
Mériter des coups de BÂTON. C'est une opinion
païenne, de dire qu'on puisse donner un coup de
BÂTON à qui a donné un soufflet. (Pasc.) Ces
coups de BÂTON me reviennent au cœur; je ne
saurais les digérer. (Mol.) Entre gens qui s'ai-
ment, cinq ou six coups de BÂTON ne font que
ragaillardir l'amitié. (Mol.) La correction par
les coups de BÂTON était la moins sévère que
les Romaiîis exerçassent sur leurs esclaves.
(St-Evrem.) Le plus grand capitaine de la
Grèce fut-il déshonoré pour s'être laissé mena-
cer du BÂTON? (J.-J. Rouss.) Point de vol, ou
cent coups de BÂTON sur tes côtes ; telle est ma
manière de voir. (G. Sand.)
Jamais coup de bâton ne cassa tête d'âne.
PONSARD.
Parbleu! je le ferais mourir sous le bâton.
S'il m'avait soutenu des faussetés pareilles.
Moi.iEn.vi.
366
Sous le bâton du pâtre et les crocs du mâtin.
Les troupeaux hébétés oubltraient leur chemin.
A. BARBIER.
Dieu m'a dit : Je le veux, et, plein d'un saint courage.
J'ai pris, pour obéir, mon odton de voyage.
C. DELAVIONB.
— Par ext. Bastonnade, coups de bâton :
Vous avez mérité le BÂTON. VOUS aurez le
BÂTON pour avoir désobéi.
On n'en peut rien tirer qu'avecque le bâton.
LA FONTAINE.
— Par anal. Petit objet façonné, de forme
à peu près cylindrique : Un BÂTON de sacre
d'orge. Un BÂTON de réglisse. Un BÂTON de
cire d'Espagne.
— Hampe : Le BÂTON de la croix. Le BÂTON
d'une bannière. Le BÂTON d'une confrérie, de la
bannière d'une confrérie.
— Appui, soutien : BÂTON de vieillesse.
L'analyse est le BÂTON que la nature a donné
aux aveugles. (Volt.) L'athéisme est un mau-
vais BÂTON de vieillesse. (M»»e de Puizieux.)
Pour me soutenir dans le malheur, vous m'ap-
puyez sur le BÂTON de la philosophie. (Pourier.)
Bonne maman, consolez-vous;
Prenez un bâton de vieillesse.
BÉRANOER.
— Aveugle sans bâton, Personne qui man-
que des ressources dont elle a besoin pour
agir : Un auteur sans esprit, un industriel
sans argent, sont deux AVEUGLES SANS BÂTON.
— Bâton à deux bouts, Bâton armé de fer
par les deux bouts, et dont on se servait
comme d'une arme : Il faisait le moulinet
autour de moi avec une houssine qu'il avait
arrachée à un laquais, et il s'en escrimait
comme d'un BÂTON À DEUX BOUTS. (***) Le
BÂTON k DEUX BOUTS est une arme familière
aux Bas-Bretons. (Acad.)
— Bâton à signer ou main de justice, Bâton
surmonté d'une main de justice ou d'une main
qui fait le geste do bénir, que les rois por-
taient do la main gaucho dans les occasions
solennelles, en mémoire de la consécration
qu'ils avaient reçue. Il Bâton augurai, Bâton
recourbé par le haut, que les augures por-
taient dans l'exercice de leurs fonctions, et
que les évoques leur ont emprunté. Il Bâton
pastoral, Crosse d'évêque : C'est du pied de
la croix que sont partis douze législateurs,
pauvres, nus, un BÂTON PASTORAL à la main.
(Chateaub.) L'origine de ce bâton remonte à
saint Pierre. C'était primitivement un bâton
surmonté d'une petite pièce transversale, qui
lui donnait l'apparence du tau ou de la croix
de saint Antoine. Quelquefois aussi, la partie
supérieure de co bâton était.recourbée, ou
surmontée d'un globe en ivoire ou en os. Il
était fait en bois de cyprès ; mais cette sim-
plicité digne fut de courte durée : le goût des
ornements d'or et d'argent se développa, et le
bois disparut pour faire place au métal pré-
cieux. Ce bâton est l'insigne de la puissance
pastorale, et le prélat consécrateur, en le don-
nant au nouvel ôvêque, lui dit : « Recevez
ce bâton, signe de votre gouvernement sacré,
et souvenez-vous de fortifier les faibles, d'af-
fermir ceux qui chancellent, de corriger les
méchants, do diriger los bons dans le che-
min du salut éternel. » C'est en parlant du
bâton pastoral que l'abbé Pascal a dit : a At-
tirez par le haut bout, gouvernez par le milieu,
corrigez par la pointe. » |] Bâton du prieur,
Bâton qui -était porté processionneliement
derrière l'ccu d'un prieur de couvent, H Bâton
d'appui, Bâton sur lequel les clercs et les
fidèles s'appuyaient autrefois à l'office, lors-
u'ils étaient debout, mais qu'ils devaient
époscr pendant la lecture de l'Evangile, n
Bâton de chantre, Bâton orné, que les chan-
tres en chape portaient au chœur et dans les
processions: Les BÂTONS DE CHANTRE sont la
représentation des bâtons que portaient autre-
fois les Hébreux quand ils mangeaient l'agneau
pascal. (Trév.) n Bâton cantoral, Symbole de
l'autorité du premier chantre d'une cathé-
drale ou d'une grande paroisse. Il est habi-
tuellement en argent ou en bronze doré, et sur-
monté d'un petit dôme, dans lequel se trouve
la statuette au saint patron, n Bâton d'exempt,
Bâton que portait un exempt, comme marque
de distinction, n Bâton de commandement, Ce-
lui que portent certains officiers, comme signe
de distinction et d'autorité.
— Bâton de maréchal ou simplement bâton,
Bâton orné que porte un maréchal, comme
signe de son autorité : En France, chaque
soldat porte dans son sac le BÂTON DE MARÉ-
CHAL de France. Nous avions tous bien envie
ue le roi lui envoyât le BÂTON, après une si
elle action. (M»l° de Sév.) Le grand Condé,
arrêtant Louis XIV prêt à pousser son cheval
dans le Bhin, dit à ce monarque : Sire, avez-
vous besoin du BÂTON DE MARÉCHAL? (Beau-
march.) Lorsque La Meilleraye prit d'assaut
la ville d'Hesdin, Louis XIII lui présenta sa
canne et lui dit : Je vous fais maréchal, et
voilà le BÂTON. (De Chesnel.)
Colonel à treize ans, je pense, avec raison,
Que l'on peut, à trente ans, m'honorer du bâton.
VOLTAIRE.
Le bâton, ce n'est plus un hochet de faveur;
C'est le jalon qu'on plante au chemin de l'honneur.
L. BOUILHET.
It Fig. Dernier but de l'ambition, extrême
limite de la convoitise : Elle n'a point encore
quitté la rive gauche de la Seine pour la place
Saint-Georges, ce rêve de bonheur, ce BÂTON
JOE MARÉCHAL des jeunes Aspasies de la rvc de
BAT
La Harpe. (Mornand.) n On a quelquefois joué
sur cotte expression, en confondant à dessein
le bâton de maréchal avec l'instrument vul-
gaire qui sert à appliquer des corrections
humiliantes : Le maréchal de Ségur, cet ex-
ministre, qui avait déclaré le tiers, c'est-à-dire
la presaue totalité des Français, incapable de
porter l'épaulette, ce maréchal, qui a si bien
mérité le BÂTON, vient d'apprendre au public
qu'il est grandement étonné de voir publier le
livre rouge... (Cam. Desmoulins.)
— Bâton de longueur, Bâton très-long à
l'usage des bâtonnistes : Cet autre était pourvu,
selon la mode anglaise, d'une canne appelée
BÂTON DE LONGUEUR, que connaissent les bâ-
tonnistes. (Balz.) || Bâton de cage, Bâtonnet
ui sert de perchoir dans une cage, il Bâton
eperro<7we£, Perchoir de perroquet. On donne
fam. le môme nom à une maison très-haute,
et très-étroite dans toutes ses dimensions, n
Bâton de chasse, Bâton dont on se sert pour
la chasse à courre.
— Bâton de chaise, Nom que l'on donnait
aux morceaux de bois longs et forts avec les-
quels on portait les chaises dites chaises à
porteur, il Un des quatre montants d'une
chaise ordinaire.
— Loc. fam. Martin Bâton, Employé plai-
samment par La Fontaine :
Oh! oh! quelle caresse et quelle mélodie!
Dit le maître aussitôt; holà! Martin Bâton!
Martin Bâton accourt
. LA FONTAINE.
Il Volée de coups de bâton, Coups de bâton
donnés rapidement et en grand nombre : Il
a reçu une bonne VOLÉE DE COUPS DE BÂTON.
— Tour de bâton) Tour d'adresse, il Profit
illégitime, détourne, ou non compris dans les
bénéfices d'une charge : Il a 12,000 francs,
sans compter le TOUR DU BÂTON.
Il n'est point de coupable, un peu riche et puissant,
Dont le tour de bâton ne fasse un innocent.
Que l'on aille d'un grand implorer une grâce :
Sans le tour du bâton, je doute qu'il la fasse.
Pour avoir un emploi de quelque financier,
C'est le tour du bâton qui marche le premier.
On ne veut rien prêter, quelques gages qu'on offre,
Si le tour du, bâton ne fait ouvrir le coffre.
. Qu'est-ce que c'est encor que le tour du bâton ?
—Le tour du bâton?—Oui.—C'est un certain appas.
Un profit clandestin; vous ne l'ignorez pas.
BOURSAULT.
— Le bâton haut, D'autorité, impérieuse-
ment : Le chevalier de Lorraine mena Mon-
sieur LE BÂTON HAUT toute sa vie. (St-Sim.)
Les consciences ne se gouvernent pas LE BÂTON
HAUT. (De Choisy.)
— Peine du bâton. V. BAMBOU. Il A coups
de bâton, Brusquement, grossièrement, par
force : On ne doit pas recevoir tes gens k COUPS
DE BÂTON. Sa mère l'avait fait prêtre À COUPS
DE BÂTON. (St-Sim.)
— Tirer au court bâton, Ancienne expres-
sion pour dire à la courte paille. 11 Fig. Con-
tester, disputer jusqu'au bout : Une faut pas
TIRER AU COURT BÂTON avec ses amis. (Acad.)
— Sortir le bâton blanc à la main, Sortir
d'une place de guerre sans armes ni bagages :
Il fut permis aux hommes d'armes, qui ne vou-
draient pas prêter serment au roi d'Angleterre,
de SORTIR de la ville sans rien emporter de leurs
biens, AVEC UN BÂTON BLANC À LA MAIN. (Ba-
rante.) Il Fig. Se retirer pauvre, dénué de
biens : // EST SORTI de sa charge comme il y
était entré, LE BÂTON BLANC À LA MAIN.
— Jouer du bâton, Connaître l'art de manier
le bâton pour attaquer ou se défendre : Vous
JOUEZ très-bien DU BÂTON. Il Signifie aussi, Se
servir d'un bâton pour donner des coups :
Enfermant au milieu de la troupe les deux
téméraires, ils se mirent à JOUER DU BÂTON sur
leurs reins, avec une merveilleuse diligence.
(L. Viardot.) il Prendre un bâton, Agir avec
brusquerie, avec grossièreté :
... Lorsque, pour me voir, ils font de doux efforts.
Faut-il prendre un bâton pour les mettre dehors ?
MOLIÈRE.
— Sauter te bâton, Faire une chose malgré
soi, à contre-cœur, comme les animaux que
les bateleurs contraignent à sauter le bâton :
Il leur fallut SAUTER LE BÂTON de mauvaise
grâce. (St-Sim.)
— Mettre des bâtons dans les roues, Cher-
cher à entraver une affaire, à empêcher
qu'elle n'aboutisse : Ne venez pas ici METTRE
DES BÂTONS DANS LES ROUES.
— Battre l'eau avec un bâton. Tenter des
efforts inutiles : Ne lui demandez pas d'ar-
gent; C'est BATTRE L'EAU AVEC UN BÂTON.
— Prov. On peut jouer du bâton à deux
bouts dans cette chambre-là, Se dit d'une
chambre dégarnie de meubles, par la misère
de ceux qui l'occupent.
— Antiq. égypt. Fêtes des bâtons, Fêtes
que l'on célébrait à l'équinoxe d'automne, en
se livrant les uns aux autres des combats à
coups de bâton.
— Argot des coulisses. Perdre son bâton,
Perdro contenance, ne savoir pas conserver
l'assurance, la rigidité de son maintien.
— Tcchn. Nom commun à un grand nom-
bre d'objets de forme généralement cylin-
drique et de dimension maniable ; morceau
de bois sur lequel le planeur nettoie son mar-
teau. 11 Chacune des lames minces qui sou-
tiennent la feuille d'un éventail. On dit plus
BAT
souvent BRIN. 11 Portion de pâte que l'ouvrier
étrisseur prend à deux mains, élève au-
essus de sa tête et rejette ensuite dans le
pétrin, il Bâton de semple, Pièce longue,
mince, cylindrique, à laquelle on attache
toutes les cordes du semple. |] Bâton de rame,
Appareil analogue auquel on fixe les cordes
de rame. Il Bâton de croisure, Bâton que l'on
emploie à croiser les fils de chaîne d'une ta-
pisserie. Il Bâton de gavassinière, Pièce d'our-
dissoir. |] Bâton de preuve, Pièce de bois apla-
tie, avec laquelle le raffineur abat la matière
en ébullition et en fait l'essai. 11 Bâton à égri-
ser, Morceau de bois cylindrique, sur lequel
on cimente le diamant que l'on veut égriser.
il Bâton à cire, Morceau do bois enduit de
mastic humide, avec lequel le metteur en
œuvre happe les petits diamants, n Bâton à
gant ou tournegant, Morceau de bois tourné
en fuseau, dont se sert le gantier. 11 Bâton à
dresser, Rouleau avec lequel l'orfèvre aplanit
certaines plaques fort minces et qui font res-
sort, ce qui les expose à sauter, il Bâton à
frotter, Cylindre entouré de peau de chien
de mer, avec lequel le formier et l'orfèvre
polissent leur ouvrage, il Bâton à tourner,
Cylindre mince et long, muni d'une rainure,
avec lequel on fait tourner l'ensuple. Il Bâton
rompu, Fer coudé à angle très-ouvert, dont
se servent les serruriers. 11 Ornement de ta-
pisserie, qui consiste en des bâtons entrelacés.
— Archit. Grosse moulure en saillie, à la
base d'un pilastre, il Bâtons rompus, Ornement
consistant en des sortes de bandes ou filets
entrelacés et brisés de distance en distance,
comme on en voit fréquemment dans les mo-
numents de l'époque romano-byzantine.
— Mus. milit. ,4 bâtons rompus, Manière de
battre le tambour en donnant deux coups de
suite avec chaque main, et sans produire de
roulement proprement dit. 11 Fig. Sans suite,
par boutades : Crébillon travaillait k BÂTON*
ROMPUS à ce Catilina. qu'il annonçait depuis
dix ans. (Marmontel.) Gui-Patin "est de ces
esprits k BÂTONS ROMPUS qui ne vont point jus-
qu'au bout d'une conséquence. (Ste-Beuve.)
Madame Sand aura tenu, durant une huitaine
de jours, Amyot entr'ouvert; elle l'aura lu k

BÂTONS
ROMPUS, et elle se l'est infusé plus
abondamment et plus au naturel que le docte
et exquis Courier durant des années de dégus-
tation et d'étude. (Ste-Beuve.) Ne sois pas
trop sévère pour cette correspondance k BÂTONS
ROMPUS. (Gér. de Nerv.) 11 On a même em-
ployé cette locution adjectivement, pour dé-
signer une personne qui n'a pas de suite dans
ses idées : Je suis comblé de joie, mais j'ai en
même temps une peur horrible; attendez-vous
à me trouver bien BÂITONS ROMPUS.(M"ie duDeff.)
— Mus. Barre qui coupe une ou plusieurs
portées et qui indique, a l'aide d'un chiffre
dont elle est surmontée, un certain nombre
de mesures à compter. C'était, autrefois, par
la longueur môme do la ligne que l'on con-
naissait le nombre de ces portées, c'est-à-dire
qu'il fallait compter autant de mesures que
la barre occupait d'intervalles, il Bâton de
mesure, Sorte de baguette dont se sert un
chef d'orchestre pour battre.la mesure: Un
chef d'orchestre de l'Opéra, qui abusait du
BÂTON DE MESURE, avait été surnommé le Bû-
cheron. Les chœurs, se trouvant quelquefois
placés au fond du théâtre et fort éloignés de
l'orchestre, seraient à tout moment, sans le
secours du BÂTON DE MESURE, hors de tout
rapport avec les instruments qui les accompa-
gnent. (Millin.) Lulli, ne sachant comment
donner le sentiment de ta mesure aux violons
de Louis XIV, s'était armé d'un BÂTON haut
de six pieds, dont il frappait rudement le plan-
cher. (Vitet.) Jusque vers la fin du dernier
siècle, on appelait bâton de mesure un simple
rouleau de papier ; à l'Opéra seul, on se ser-
vait d'un bâton. Plus tard, cet usage fut
adopté par tous les théâtres. Lorsque Meyer-
beer mourut, il légua au chef d'orchestre de
l'Opéra le bâton de mesure en argent massif,
qu il tenait de la libéralité d'un souverain
étranger.
— Mar. Mâtcreau qui porto un pavillon ou
une flamme : BÂTON de pavillon. BÂTON de
flamme. Il Bâton de commandement, Celui qui
porte le pavillon du commandant. II Bâton de
girouette, Mâtcreau qui porte la girouette, il
Bâton de foc, bâton de clin-foc, Bout dehors
de foc, de clin-foc. il Bâton de cornette, bâton
de flamme, Morceau de bois qu'on introduit
dans la gaîne pratiquée à ces signaux flot-
tants, il Bâton de gaffe, Manche d'une gaffe, n
il Bâton d'hiver, Mât de perroquet sans flèche,
pour les mauvais temps. Il Bâton de vadel ou
de guipon, Morceau de bois qui porte le bou-
chon d'étoupe du calfat. il Bâton à pompe, Tige
de la pompe.
— Art milit. anc. Nom générique des ar-
mes droites, comme lances et épées, avant
l'invention do la poudre. H Bâton à feu, Fusil,
après l'invention de la poudre. Il Gros bâtons,
Canons, à la même époque.
— Calligr. Barre un peu longue : Je lui fis
faire des BÂTONS sur le papier, comme à un
enfant. (Gér. de Nerv.) Il écrivit en gros BÂ-
TONS écrasés. (P. Fév.)
— Phys. Bâton électrique, Cylindre de bois
imbibé d'huile bouillante, doué de la pro-
priété de s'électriscr par le frottement.
— Mathém. Bâtons ou baguettes de Néper,
Instrument de calcul inventé par le géomètre
anglais Jean Néper ou Napier, qui en publia
la description en 1617 : La maniéré de calcu-
BAT
1eraumoyen des BÂTONS DE NÉPER se nomme
rabdologie.
— Bâton de Jacob, Petite baguette en
ébène, à bouts d'ivoire, et longue de 40 à
50 centimètres, que les escamoteurs tiennent
habituellement à la main lorsqu'ils exécutent
leurs tours d'adresse. Elle leur sert à frapper
et à renverser les gobelets, et, comme l'opé-
rateur la tient fréquemment dans la main où
il cache les muscades, elle favorise cette sub-
tilité. Il existe de ces bâtons qui sont creux,
dont la cavité est fermée par un opercule que
l'on fait mouvoir à son gre, au moyen d'une
vis de rappel fixée à une tige intérieure.
On cache dans cette cavité des muscades, des
graines ou d'autres corps que l'on fait passer
soit sous les gobelets, soit dans les poches
des spectateurs.
— Astron. Bâton de Jacob, bâton astro-
nomique , arbalète ou arbalestrille, Instru-
ment dont on se servait autrefois pour mesu-
rer la hauteur des astres en mer : On peint
les anciens astronomes avec un BÂTON DE JACOB
àlamain.(Trèv.) 11 Constellation, aussi connue
sous le nom de Baudrier d'Orion.
— Art culin. Bâton de Jacob, Petit gâteau
oblong, qui contient de la crème et qui est
souvent glacé.
— Bot. Bâton de Jacob, Asphodèle jaune, n
Bâton de saint Jean, Persicaire d'Orient, il
Bâton d'or, Giroflée jaune. H Bâton de saint
Jacques, Rose trémière. Il Bâton de casse,
Fruit de la casse à bâton. 11 Bâton royal, As-
phodèle rameux.
— Blas. Bâton royal, Lance ornée de ban-
deroles, il Bâton noueux, Branche d'arbre éco-
tée : Famille T'homassin : d'azur, à deux BÂ-
TONS NOUEUX d'or en croix. Il Bâton péri, Bande
ou barre raccourcie par les deux bouts et
n'ayant qu'un tiers de la largeur ordinaire. Il
Bâton en barre, Barre qui n'a qu'un tiers de
la largeur ordinaire, et qui désigne ordinaire-
ment une branche bâtarde. 11 Bâton en bande,
Bande qui n'a qu'un tiers de la largeur ordi-
naire, et qui désigne le plus souvent une
branche cadette. Il Bâton alaise, Bâton qui
n'atteint pas les bords de l'écu. Il Bâton péri
en bande, Bâton alaise placé de droite à gau-
che, comme la bande, il Bâton péri en barre,
Bâton alaise, placé de gauche à droite, comme
la barre dans les armes do bâtards.
— Parfum. Bâton aromatique, Pâte sous
forme de petits cylindres que l'on emploie pour
parfumer les appartements, et qui est formée
de substances aont le nombre et la nature
sont très-variables. Les bâtons aromatiques
russes, qui passent pour une des plus suaves
préparations de co genre, contiennent les
matières suivantes : baume de tolu, baume
de la Mecque, baume du Pérou, storax cala-
mite, cannelle, cascarille, benjoin, girofle,
sucre, vanille, musc, ambre gris, succin,
laque carminée, esprit de roses; pour s'en
servir, on les frotte sur une pelle chauffée.
— Encycl. Arithm. Les bâtons de Néper ont
pour objet de faciliter les opérations de l'arith-
métique en réduisant les multiplications à des
additions, et les divisions à des soustractions.
Ils sont surtout utiles quand il s'agit d'opérer
sur de grands nombres. Ils consistent en une
série de petites règles de bois, de corne, do
métal, d'ivoire ou de carton, dont la face an-
térieure est partagée en 9 carrés, chacun di-
visé en deux triangles par une ligne diago-
nale. Chaque règle porte une des colonnes de
la table de multiplication; seulement, comme
on le voit ci-dessous, les carrés de ces co-
lonnes sont disposés de telle sorte que le
chiffre des unités occupe le triangle de droite
et le chiffre des dizaines le triangle de gauche.
Voici maintenant comment on procède. Soit
à multiplier 5j978 par 937. Après avoir assem-
blé l'une à coté de l'autre les règles 5, 9, 7
et 8, de manière que la réunion de leurs qua-
tre premières cases forme le multiplicande
5,978, on place à leur gauche, ainsi que le
montre la deuxième figure, la rè^le-index 1 :
cette règle, qui porte seulement les neuf ca-
ractères numéraux, est simplement destinée à
faciliter l'opération en montrant dans quelle
case horizontale il faut chercher les produits.
En faisant la multiplication suivant l'usage
ordinaire, on multiplierait d'abord tous les
chiffres du multiplicande par le dernier chif-
fre 7 du multiplicateur, et l'on obtiendrait
pour produit 41,846. Or, ce produit est tout
fait dans la série des cases horizontales pla-
cées en regard du chiffre 7 de la règle-index.
On écrit à part le 6, qui occupe le triangle do
droite de la dernière de ces cases; on addi-
tionne ensuite le 5 du triangle de gauche do
cette même case avec le 9 de la case précé-
dente, ce qui donne 14 : on pose 4 à la gauche
du 6 déjà écrit, et l'on retient l. Cet 1, ajouté
au 4 de la même case et au 3 de la case pré-
cédente, donne 8, que l'on pose à. la gauche
du 4. Ajoutant alors le 6 de la même case au
5 de la case précédente, on obtient 11. On
pose l à la gauche du 8, et l'on retient 1, qui,
ajouté au 3 de la même case, fournit 4, que
l'on pose à la gauche de l. Tous les chiffres
écrits à côté les uns des autres forment ainsi
le produit partiel 41,846. Passant au second
chitfre 3 du multiplicateur, et, agissant de la
même manière, on trouve le second produit-
partiel 17,934, dans la troisième colonne ho-
rizontale. Enfin, la neuvième -colonne hori-
zontale donne le troisième produit partiel
53,802, c'est-à-dire celui de tous les chiffres du
multiplicande par le chiffre des centaines du

multiplicateur. Pour avoir le produit total, il
ne reste plus qu'à disposer les trois produits
f artiels comme a l'ordinaire, et a en faire
addition : on a pour résultat final le nombre
5,601,386.
41,846
179,34
5,380,2
5,601,386
Tout, dans cette multiplication, s'est donc ré-
duit à de simples additions. — Soit mainte-
nant à diviser 5,601,386 par 5,978. Après avoir
disposé, comme ci-dessus, les règles qui por-
tent en tête les chiffres du diviseur, on place
à leur gauche la règle-index, qui doit servir
à indiquer les quotients partiels, suivant les
cases horizontales où se trouvent les dividen-
BAT
des. En exécutant la division selon la mé-
thode vulgaire, on commence par chercher
combien de fois 5,978 est contenu dans 56,013.
Or, ce dernier nombre, ou du moins celui qui
en approche le plus, est dans une des colon-
nes horizontales. Quelques tâtonnements ap-
prennent que c'est dans la neuvième. Pour l'y
reconnaître, on procède comme pour la mul-
tiplication. Ecrivant à part 2, chiffre du trian-
gle de droite de la dernière case, on dit : 7 et
3, 10; je pose 0 et retiens l, qui, ajouté à 6 et
à 1, donne 8 ; je pose donc 8 ; 8 et 5 font 13,
je pose 3 et retiens 1, qui, ajouté à 4, donne 5.
On a ainsi pour résultat 53,802, qui est le plus
grand nombre au-dessous de 56,013. Le quo-
tient est donc 9, m:iis il reste 2,211, différence
de 56,013 et de 53,802. Prenant donc ce reste
et écrivant à sa droite le chiffre 8 du divi-
BAT
dende,on a le nombre 22,H8,queron cherche
dans une des colonnes horizontales. On re-
connaît que la troisième contient 17,934, qui
est le plus grand nombre au-dessous de 22,118.
On en conclut que 3 est le second chiffre du
quotient, et on l'écrit à la droite du 9 déjà
trouvé. Il reste 4,184, différence de 22,118 et
de 17,934. On place a la droite de ce reste 6,
dernier chiffre du dividende, et l'on trouve
que le nombre 41,846 ainsi formé est exacte-
ment contenu dans la septième colonne hori-
zontale. Ecrivant donc 7 à la droite des deux
chiffres déjà trouvés, on voit que 937 est le
quotient de 5,601,386 divisé par 5,978.— De-
puis leur invention, les bâtons de Néper ont
été modifiés de plusieurs manières, mais la
forme ci-dessous,qui est la forme primitive,
est la plus simple.
BAT 367
1 24567891A//3///*
X //1XX2/A
.-6
/ 1/Ai /
/2 1/1/X3/6/
/'J
1/ /21//5Xt//l2//A2//74/A/*1/
/6 2//oX2/A»3//2X5l/A1//52//o2//53/A"
3/ /54//o*/A61/A2/»2/A*
3/ /o3//6*//2X5/A7l/A*2//l2//i3//54//24//9A/G0//38l/2//43//2A/o
4/ /S6/X7//2
9 1/A
/->
3/ /64/A*5/
/-*
6/ AXX
0 /A
/ /»A>//o/o//o//123468951//Ol//52//o2//53/A"
3/ /54//o4//591/ A
A /1
3/ 4//h5//46/A/2X
7 2//l2//83//5
-t/
/2 w/-
5/ /6G//38/G2/
/-*
3/ A
4/ /aX5/AX7/
/2 —Anecdotes. Voici une lettre énergique
d'une femme irritée : « Maraud, si les coups de
bâton pouvaient s'écrire, tu ne lirais ma lettre
que. sur ton dos. »
Un fanfaron avait reçu des coups de bâton
sans mot dire. Celui qui les lui avait adminis-
trés le craignait assez peu pour s'en être
vanté. Quelque temps après, le bâtonné me-
nace un poëte, qui avait lâché quelque épi-
gramme à son sujet, de lui donner une volée
de coups de bâton : - Parbleu, répliqua le
poète, cela ne vous sera pas difficile, puisque
vous les avez reçus hier. »
Un auteur ayant fait une comédie, dans la-
quelle il avait glissé quelques traits équivo-
ques qui pouvaient désigner un grand person-
nage étranger, fort riche, fut assailli, sur la
brune, par trois spadassins qui vengèrent'sur
son dos l'offense supposée. Comme la pièce
avait eu beaucoup, de succès, quelqu'un dit
qu'elle avait valu à l'auteur mille écus. —
Oui, répondit un autre, qui était dans le se-
cret, sans compter le tour du bâton.
M. de Stainville menaçait Clairval, acteur
de la Comédie Italienne, qui vivait depuis
longtemps avec M111*? de Stainville, de lui ad-
ministrer une correction, a M. de Stainville me
menace de cent coups de bâton si je vais chez
sa femme, disait Clairval à ce propos; ma-
dame m'en offre deux cents si je ne me rends
pas à ses ordres. Que faire? — Parbleu, ré-
pondit Caillot, ami de Clairval, obéir à la
dame : il y a cent pour cent à gagner. »
Le marquis de Villette ayant écrit une lettre
d'injures à Sophie Arnould, sa maîtresse, avec
laquelle il s'était brouillé, reçut du comte de
Lauraguais, son successeur, un manche à balai
soigneusement empaqueté, et sur l'enveloppe
duquel étaient ces deux vers que Voltaire avait
composés pour une statue de l'Amour : .
Qui que tu sois, voici ton maître :
Il l'est, le fut ou le doit être.
Le maréchal de Duras ayant menacé Lin-
guet de le faire périr sous le bâton, ce dernier
lui répondit : « Monsieur le maréchal, vous
n'avez pas coutume de vous en servir. » Cette
anecdote donna lieu aux vers suivants :
Monsieur le maréchal, pourquoi tant de réserve?
Quand Linguet le prend sur ce ton.
Que ne le faites-vous mourir sous le bâton%
Afin qu'une fois il vous serve?
De noblesse à noblesse, on sait la différence,
Disait quelqu'un; sans me vanter,
Dans ma maison je puis compter
Jusqu'à douze bâtons de maréchal de Fraice.
C'est bien honnête !—Eh ! qu'est cela?
Dit un Gascon; belle vétille!
Depuis cent ans et par delà,
Ce n'est qu'avec ces bâtons-\b.
Que l'on se chauffe en ma familie.
— Allus. litt. Les bâtons flottants, allusion
à la fable de La Fontaine, le Chameau et les
Bâtons flottants.
On avait mis des gens au guet,
Qui, voyant sur.les eaux de loin certain objet,
Ne purent s'empêcher de dire
Que c'était un puissant navire.
Quelques moments après, l'objet devint brûlot,
Et puis nacelle, et puis ballot,
Enfin bâtons flottants sur l'onde.
Et le fabuliste conclut par ce vers :
De loin c'est quelque chose, et de près ce n'est rien.
Quoique La Fontaine commette ici une hé-
résie d'optique, les bâtons flottants n'en sont
pas moins passés en proverbe, pour désigner
toute chose, ou plutôt toute personne qui perd
à être vue de près. C'est, dans un ordre d'i-
dées plus général, le major e longinguo reve-
rentia des Latins.
Bâtons flottant» (LES), comédie en cinq ac-
tes et en vers, de M. Liadières, représentée à
Paris sur le théâtre de la République, le
28 juin 1851. Ces bâtons flottaient sur l'eau
depuis 1844, lorsqu'il fut donné enfin à l'au-
teur de les pousser au rivage, et au public de
les saisir. « De loin c'est quelque chose, et de
près ce n'est rien. » Jamais le vers du fabuliste
ne se trouvaplus cruellement réalisé. L'auteur,
.quoique un des serviteurs les plus zélés du
trône de Juillet, officier d'ordonnance du roi,
député conservateur et-'familier des Tuileries,
avait eu quelque peu maille à partir avec la
censure. Sa pièce photographiait l'époque et
mettait en scène des ministres et des députés
3ui, par la force même des choses, devenaient
e vivantes personnalités. M. Duchâtel au-
rait bien désiré ne pas laisser jouer cet ou-
vrage; d'un autre côté, il ne voulait pas dé-
sobliger l'auteur. On demanda à ce dernier
d'atténuer la vivacité de certains passages.
M. Liadières ne consentit qu'à ajourner la re-
présentation de sa comédie ; mais, dans le
public, tant qu'ils étaient hors de vue, on parlait
beaucoup de ces fameux bâtons flottants.
D atermoiements en atermoiements, la révo-
lution de Février arriva. L'auteur put donner
librement sa comédie; il la remania et la fit
jouer en 1851. Mais ses portraits et ses satires
avaient perdu de leur à-propos, et la versifi-
cation molle, flasque et filandreuse de cet
homme du monde improvisé poète, n'était pas
faite pour intéresser le spectateur. Aussi les
Bâtons flottants neûottèvent-\\s pas longtemps.
H Par quel bout prendre ces bâtons? écrivait,
en juin 1851, M. Théophile Gautier. Traiterons-
nous M. Liadières comme artiste ou comme
homme du monde ? Ce serait une rigueur inu-
tile et cruelle d'appliquer.les règles sévères
de l'art à quelqu'un qui ne les soupçonne pas,
qui n'est pas du métier et n'a pas martelé sur
1 enclume, dès sa jeunesse, ce dur métal de la
langue, si rebelle à prendre les formes qu'on
veut lui donner; le regarder comme un ama-
teur agréable, abusant d'une facilité banale
de rimer à peu près de la prose coupée en
tranches d'alexandrins, .et lui adresser quel-
ques-uns de ces éloges vagues dont on est
libéral envers les choses qui n'ont aucune
importance, ce serait peut-êfere blesser plus
vivement encore son amour-propre d'auteur
accidentel... Si de simples auteurs, Balzac,
Léon Gozlan, Méry, ou tout autre d'une litté-
rature avérée, eussent fait une pareille pièce,
comme on leur aurait dit que leurs personna-
ges étaient d'invention, que rien de semblable
ne se passait dans le monde, qu'ils ignoraient
les affaires et prenaient leurs songes creux
Jiour des réalités 1 M. Liadières, lui, a pratiqué
es hommes et les choses dont il parle ; il
était dans la coulisse, et bien placé pour
voir; ce n'était pas du fond de son cabinet
ou du haut de sa mansarde qu'il étudiait
ou plutôt qu'il supposait un monde formé pour
lui. Dans quel ministère, dans quel couloir de
la chambre, dans quelle rédaction de journal
l'auteur des Bâtons flottants a-t-il rencontré
Duvernay, Soligny et Montbrun, pales sil-
houettes, incertaines découpures? Ministre,
député et journaliste, est-ce donc la peine
d'avoir trempé si longtemps dans la politique,
pour en savoir moins que les hommes d'Etat de
M.Scribe?» M.Liadières a fait, en effet, de ses
héros de tristes silhouettes qui flottent, nagent
et s'embarrassent à travers de plates péri-
phrases. Une versification contournée,' sans
rhythme et sans rimes, détestable pastiche de
la plus pauvre des poésies, celle de l'em-
pire, enveloppe comme d'une brume opa-
que l'idée prétendue philosophique de l'ou-
vrage. Les Bâtons flottants, c'est le pouvoir
qui n'est rien de près, si de loin il semble
quelque chose. Après cela, l'auteur cherche
à prouver que nul n'est plus malheureux
qu un ministre, parce qu'on fait des articles
contre lui dans les-journaux, qu'il est ca-
lomnié et que son bonheur conjugal est
troublé.
Le ciel de Duvernay n'est pas exempt d'orage.
Le pauvre homme ! L'auteur-député qui écri-
vait toutes ces jolies choses n'aurait pas
voulu être ministre, sans doute, à moins pour-
tant qu'on ne l'eût violenté ; car il n'y a, pour
sûr, a ses yeux que les .ministres qui soient
malheureux en ménage ; eux seuls entre les
hommes sont calomniés. Mais tirons le rideau
sur cette comédie, qui avait la prétention de
retracer les mœurs gouvernementales, et qui
ne retrace absolument rien. Nous ne la men-
tionnons ici que parce qu'on en évoque encore
le souvenir de loin en loin, sorte de vitalité
posthume qu'elle doit à la quarantaine un peu
prolongée que lui a fait subir la censure.
Bâton (LES COUPS DE), dans les relations so-
ciales, la littérature et les arts. Qu'on ne rie
pas : ce titre est sérieux, et l'on renfermerait,
au besoin, dans ce chapitre l'histoire philoso-
phique de l'humanité. Lorsque le premier
homme s'éveilla à la vie dans l'Eden, il étendit
les bras autour de lui, prit une branche d'arbre
et la brandit dans sa main puissante. Sans
doute, il y a loin de la canne d'Adam à la canne
de M. de Balzac, mais, par cela même, que de
faits curieux à tous les points de vue comblent
la distance qui sépare ces deux bâtons! Le
bâton fut la première arme de l'homme et fut
complice du premier meurtre. L'assassin et sa
victime étaient enfants du même père et de la
même mère. Aujourd'hui, Caïn dédaignerait la
classique massue et renoncerait à assommer
Abel. Est-ce donc que le fratricide a disparu
de nos mœurs? Non. Le crime est resté; les
moyens de le commettre se sont centuplés,
voilà toute la différence. Grâce à la civilisa-
tion, Caïn n'aurait que l'embarras du choin
pour se défaire d'un frère incommode, soit en
lui brûlant la cervelle, soit en le poignardant,
soit en lui versant à dose calculée un lent, mais
sûr toxique. Toutefois notre intention n'est pas
d'écrire une monographie complète du bâton,
monographie tour à tour attristante et comique,
que nous laissons à d'autres le soin d'élaborer
à loisir. Il y a d'ailleurs coups de bâton et coups
de bâton, comme il y a fagots et fagots. Sga-
narelle s'apprêtant à frapper sa femme .lui
dit : 0 Voilà, ma douce moitié, le vrai moyen
de vous apaise»*,» et quand, aux cris de Martine,
M. Robert intervient, l'épouse, relevant le clii-
§non,déclare toutfièrementqu'illuiplaît d'être
attue, ce qui induit certaines gens à prétendre
que la plus faible moitié du genre humain aime
a être battue par la plus forte ; on a même écrit
sur cet important sujet un livre intitulé ou à
peu près : De l'utilité de battre sa fei.tme. Les
coups de bâton, au dire de Sganarelle, qui
semble s'y connaître, <- ce sont petites choses
de tempsen temps nécessaires dans l'amitié. »
Je ne sais si beaucoup de femmes partagent
cet avis. Plus d'une, qui a tâté du balai, ne s'en
est pas amendée pour cela, au contraire. Ainsi
le bon Montaigne nous conte l'histoire d'une
femme oui, a pour aucunes corrections, me-
naces et bastonnades, ne cessait d'appeler son
mari pouilleux, et qui, précipitée dans l'eau,
haussait encore, en étouffant, les mains, et
faisait, au-dessus de sa tête, signe de tuer
des... » nous n'osons dire le mot. Les femmes,
il est vrai, ont pris plus d'une fois leur re-
vanche, non à la façon de Martine, mais autre-
ment. Nous en avons pour preuve l'usage
établi dans la plupart des pays de l'Europe, au
moyen âge, de faire monter à rebours sur un
âne, et parcourir la ville ou le village en te-
nant l'âne par la queue, la femme qui avait
battu son mari. Dans quelques endroits, les
maris qui battaient leurs femmes étaient ex-
posés au même châtiment. C'est du moins ce
que nous apprend un conseiller au parlement
de Dijon, Philibert Colin, qui a publié sur ce
sujet un poëme latin intitulé : De Majuma fes-
tivitate quœ fit maio nïense in duros maritos
qui efferato trucique animo uxoribits plagas
infligunt. (Dijon, 1571,1572,in-4°.)Ce n'est pas
de ces coups de bâton, échangés sous le toit
conjugal, que nous voulons parler, puisque en-
tre l'arbre et l'écorce,on ne doit pas mettre le
doigt; mais seulement des coups de bâton qui
appartiennent à l'histoire. Certes, Chicaneau
disant, en frappant sur le dos de l'Intimé :«Oui-
da, je verrai bien s'il est sergent, u et l'Intimé
tendant l'échiné et s'écrîant : a Frappez, j'ai
quatre enfants à nourrir » nous oflrent, au
point de vue des mœurs, des types aussi curieux
a étudier que celui de la Rissole, disant dans
une comédie de Boursault : " J'ai des déman-
geaisons de te casser la gueule, » ou bien en-
core n lorsqu'on me veut railler, je donne sur
la face; D nous les négligerons pourtant, ainsi
que tant d'autres dont le théâtre est plein, car
il nous est prescrit de nous borner. Qu'on songe
seulement, si l'on veut se reporter aux baston-
nades mémorables de la comédie, que le sabre
de bois du satyre grec et du bouffon romain,
devenus plus tard l arlequin italien, n'est autre
chose qu un bâton déguisé. Le paysan grec et
l'esclave romain, dont l'épaule est encore
meurtrie, viennent rire sur la scène de leur mi-
sérable condition, et se vengent sur un person-
nage fictif des châtiments que le maître leur
infligea. Ce maître, c'est peut-être Platon ou
Plutarque, car nous savons que Plutarque et
Platon ne se faisaient pas faute de corriger
leurs esclaves; c'est, si on l'aime mieux, Au-
guste, lequel fit fouetter Hylas, pantomime
qui s'était permis des personnalités dans son
jeu, ni plus ni moins qu'un acteur du xixe siècle,
comme Dioclétien fit bâtonner l'acteur Genest,
qui, en jouant le chrétien, le devint et endura
le martyre. Chez nous, Arlequin se fait
grand seigneur et rosse Pierrot, c'est-à-dire
le peuple; Pierrot, par sa gaucherie, faisait
briller Arlequin petit-maître; Arlequin, sous
le règne des Pompadour et des Du Barry,
a le sarcasme à la bouche, des vices nombreux
et de l'esprit à pleines mains; mais cet esprit
s'épuise dans les nuits de débauche, et pendant
qu'Arlequin s'enivre de Champagne entre les
bras des grandes dames qui se prostituent à
lui, Pierrot cultive son intelligence, Ht les phi-
losophes au clair de la lune, apprend à dérober
le sabre de bois, et frappe celui qui l'a tant de
fois et si injustement frappé. Pierrot est le
maître maintenant, et Arlequin n'a laissé que
des rejetons rachitiques.et impuissants. N'a-
vions-nous pas raison de dire au début que
l'histoire philosophique de l'humanité tien-
drait au besoin dans le titre de cet article? Qui
nous empêcherait, en effet, de montrer par des
exemples l'intelligence populaire, trop long-
temps abaissée, trop longtemps courbée sous
le bâton, et son émancipation progressive?
Que de fois le peuple dut, comme Esope, se
sauver du châtiment par quelque trait de sub-
tilité! Ah! le bâton, éternel symbole du droit
du plus fort, où ne le retrouve-t-on pas? que
.de nobles épaules ont frémi à son brutal con-
tact : Molière, Voltaire, Racine, Beaumarchais,
et avant eux et après eux combien d'autres
encore qui sont la gloire du monde entier, ont
dû baisser la tête et dévorer l'outrage devant la
toute-puissance du bâton! Aujourd'hui, fort
heureusement, cette toute-puissance est singu-
lièrement amoindrie ; mais il a fallu toute une
révolution pour proscrire de nos moeurs cette
altima ratio des grands seigneurs de tous les
temps, devant laquelle s'inclinent encore, à
368
l'heure qu'il est, des nations qui se prétendent
civilisées.
Il existe un in-32 qui a pour titre : Du rôle des
coups de bâton dans les relations sociales, et en
particulier dans l'histoire littéraire, Paris,
1858. Son auteur, M. Victor Fournel, n'a pas
fait une facétie à la manière anglaise, comme
cette Dissertation sur les coups de pied au der-
rière, que Fielding écrivit avec une finesse
mêlée d'amertume. Son livre, c'est lui qui lé
déclare, eût pu s'intituler : Histoire de la con-
dition sociale des gens de lettres, de leur abais-
sement et de leur émancipation progressive.
M. Fournel ne remonte pas plus naut que le
xvnc siècle; il s'attache aux hommes de lettres
français bâtonnés, et néglige ainsi une foule do
faits qui contiennent cependant leur enseigne-
ment; inutile d'ajouter que son étude n'exclut
ni les soufflets, ni les coups de poing, ni les
coups de pied, « ni les autres gentillesses de
même nature, qu'on n'administrait guère aux
écrivains que lorsque l'instrument ordinaire de
ces corrections à ramiable venait à faire dé-
faut. » Le titre que nous avons pris indique
suffisamment que l'instrument ordinaire se re-
trouvera ici en sa compagnie obligée; nous
n'omettrons même pas la verge, et, si nous la
rencontrons, nous lui ferons notre humble sa-
lut; aussi bien elle ne nous est pas inconnue,
et nous savions ce qu'en vaut l'aune bien avant
d'avoir lu ces paroles barbares empruntées
aux Proverbes de Salomon : «N'épargne point
la correction au jeune enfant ; quand tu l'auras
frappé de la verge, il n'en mourra pas. — Tu
le frapperas avec la verge, mais tu délivreras
son âme du sépulcre .«Cette belle théorie, mise
en pratique par une douce main de femme, a
arraché a Jean-Jacques Rousseau une page
délicieuse; elle amène ici tout naturellement
une anecdote qu'il faut bien vite conter aux
grands enfants qui se souviennent d'avoir été...
petits : Le jeune roi Louis XIII, ayant été
fouetté par ordre de la régente, alla peu après
trouver la reine; celle-ci, pour se conformer
aux usages de la cour, se leva et lui fit la
révérence. «J'aimerais mieux, dit le prince
tout brusquement, qu'on ne me fît point tant
de révérences, et qu on me fit moins fouetter. -
Négligeons les anciens, et sautons tout d'un
coup en France, après avoir enregistré en
passant et pour mémoire, le soufflet que reçut
publiquement Démosthène sur le théâtre, au
milieu des fêtes de Bacchus, pendant qu'il
remplissait ses fonctions de chorége. Ce fut
Midias qui le lui donna; Mîdias, citoyen riche
et puissant. Démosthène porta plainte devant
le peuple, qui condamna Midias; puis il com-
posa, pour être prononcé devant les juges, le
vigoureux discours que nous avons encore. Le
soufflet de Midias nous valut un chef-d'œuvre ;
le vaudeville moderne a donc raison d'affirmer
qu'un soufflet n'est jamais perdu ; mais n'in-
troduisons pas la plaisanterie en de si graves
matières.
« Il est fort probable, dit M. Fournel, que des
poètes comme Gringore, "Villon surtout, peut-
être même Clément Marot,que maint et maint
troubadour ou trouvère, maint enfant sans-
souci ou clerc de la basoche, durent, en plus
d'une circonstance, faire connaissance avec
le bâton. » Mis à fa porte par Jehanneton,
Villon, tant il est vrai qu'amour rend les gens
bétes, fut battu comme du linge à la rivière
par Catherine de Vaucelles et par bien d'autres
encore; quant à Gringore ou Gringoire et à
Clément Marot, ils eurentplus d'une fois maille
à partir avec le clergé, comme leur confrère
Jean de Pontalais, dont Bonaventure Des Per-
riers nous a transmis la plaisante lutte avec
le curé de Saint-Eustache.
Ne quittons pas le théâtre : Hardy, ce
Shakspeare, moins le génie, comme on 1 a sur-
nommé, ce poëte qui mérita, avant Corneille,
le titre de fondateur de notre théâtre, Hardy,
acteur-auteur, s'était engagé dans la troupe
de comédiens qui succéda aux confrères de la
Passion. Il fut leur poëte à gages, s'il faut
en croire Scudéry dans sa Comédie des comé-
diens,et il composa huit cents pièces. Eh bien!
cet homme infatigable, qui soutint presque
seul la scène française pendant une longue
suite d'années, était le souffre-douleur de ceux
qui l'employaient, et, si vous voulez savoir ce
qu'il, eut à endurer dans ses pérégrinations
dramatiques, lisez le Roman comique de Scar-
ron : Hardy y est peint sous le nom de Roque-
brune. Un auteur aux gages des comédiens,
c'était quelque chose de pitoyable; mais un
auteur aux gages de gentilshommes, ce n'é-
tait pas beaucoup plus réjouissant. Telle était,
en effet, surtout avant et pendant une grande
partie du xvne siècle, la condition sociale des
littérateurs, que presque tous étaient les do-
mestiques de quelque maison princière, dont ils
payaient la protection en bons mots et en dé-
dicaces. La mendicité littéraire fonctionnait du
haut en bas de l'échelle : Corneille adressait ses
épîtres au financier Montauron ; La Fontaine
payait ses quartiers de pension en vers. Le
profit que Rangouze tirait de ses dédicaces
était devenu proverbial, et la dédicace au car-
dinal Mazarin, de l'Art de faire de beaux'
enfants, valut à Quillet l'abbaye de Dou-
deauville. Pressés de la faim, les pauvres
auteurs allaient offrir leurs livres aux grands
seigneurs, qui, parfois, laissaient tomber
quelques pistoles; le plus souvent, ils s'at-
tiraient toutes sortes de déboires. Dans de
telles conditions, les écrivains ne pouvaient
être respectés. Elevés dans la servitude et le
parusHisme, ils en avaient contracté tous les.
BAT
vices; aussi la dignité littéraire était-elle à
peu près inconnue, surtout avant Racine et
Boileau. L'écrivain payé par tel personnage
devait le flatter et le divertir; s'il dépassait
les limites de la plaisanterie et laissait poindre
par malheur l'épigramme au coin de sa lèvre,
les coups de bâton pleuvaient dru sur sa mai-
f re échine, et le pied des valets le poussait
ehors, c'est-à-dire dans les bras de la misère
et de la faim. « Si tu m'importunes davantage,
tu me déroberas un soufflet, » dit un person-
nage de la Comédie des proverbes d'Adrien de
Montluc, répétant ainsi un dicton populaire
que Molière a lui-même placé dans le Méde-
cin malgré lui. Molière avait pu l'entendre
sortir de la bouche d'un Mécène de son temps,
à l'adresse de quelque pauvre hère quêtant
le pain quotidien. Pour la satisfaction des
gens de lettres d'aujourd'hui, la plupart si jus-
tement jaloux de leur dignité professionnelle,
disons bien vite que leurs devanciers n'étaient
pas seuls à tâter du cotret; ils seront agréa-
blement surpris, sans doute, d'apprendre que
Henri d'Escoubleau de SourdLs, archevêque
de Bordeaux, mort en 1641, passait pour le
prélat du monde qui avait été le plus battu.
Le duc d'Epernon lui fit donner des coups de
bâton a Bordeaux ; une autre fois, le maré-
chal de Vitry lui appliqua un coup de canne.
La gsnt bâtonnable avait donc des confrères
en haut lieu. Louis XIII ne voulait pas
que ses premiers valets de chambre fussent
gentilshommes, afin de pouvoir les battre à
son envie: son frère, Gaston d'Orléans, fit
jeter dans le canal, à Fontainebleau, un gen-
tilhomme qui l'avait ofTensé, pendant que Sa
Majesté faisait appliquer, de son côté, une
douzaine de coups de bâton à un de ses servi-
teurs. Le roi soleil s'oublia un jour jusqu'à
lever sa canne sur un gentilhomme de ser-
vice ; une autre fois, il la lança par la fenêtre,
pour se dérober à la tentation d'en châtier
Lauzun. Le même Louis XIV eût, sans Mme de
Maintenon, frappé Louvois avec des pincettes.
Un roi d'Angleterre, George II, imita, en
1737, ce bel exemple en le perfectionnant.
Peu satisfait de quelques représentations "de
son ministre Walpole, il mit ce dernier hors
de son'eabinet a coups de pied, ce qui, joint à
l'emportement avec lequel il s'était livré pré-
cédemment au même geste, à rencontre de
son propre chapeau, inspira à Fielding l'idée
d'écrire sa Dissertation sur les coups de pied
au derrière. Le cardinal de Richelieu était
sujet aussi à battre les gens. Il a plus d'une
fois battu le chancelier Séguier de Bullion,
surintendant des finances. Ces procédés aris-
tocratiques étaient fort en usage a la cour et
s'étendaient à la province. Le moindre hobe-
reau croyait se donner les plus nobles allures,
en tranchant par le bâton toute question qui
s'élevait entre les gens de rien et lui. Mena-
cer quelqu'un du bâton devint du dernier bon
goût. Plus d'un duc endetté mit le bâton au
service de sa caisse, et le fit servir a acquitter
les mémoires de ses fournisseurs. Un certain
gentilhomme était à l'article de la mort; son
tailleur, à qui il devait une assez forte somme,
le priait de lui donner une reconnaissance.
« Bon, mon ami, écrivez. » Il dicte, et met
cent coups de bâton au lieu de la somme. Voilà
donc quelles étaient les façons d'agir de cette
belle société si policée, dit-on, si raffinée
dans ses goûts, et si spirituelle. Mais ne trou-
verons-nous pas sur notre route quelque ave-
nante physionomie de femme, étrangère à
tous ces beaux moyens de rosseries gens?
Hélas I la chronique fourmille de faits qui
prouvent que le bâton, les soufflets et le reste
n'étaient pas inconnus du beau sexe, même en
haut lieu.
On connaît les habitudes garçonnières de la
fameuse Christine de Suède, et certain soufflet
qu'Elisabeth d'Angleterre donna, avec toute
la délicatesse de son sexe, dans un moment de
dépit amoureux. Eh bien, nous aimons mieux
cela : qu'une maîtresse femme soufflette le
volage qui la trompe, c'est un soufflet où il y
a du moelleux, où il y a de l'âme, sans inten-
tion de calembour : un tel soufflet peut se
donner à Lovelace ; il n'a jamais honoré la
joue de George-Dandin.
Ne quittons pas le monde féminin sans parler
de cette spirituelle marquise de Boufrlers,
mère du poëte, et qui devint plus tard maré-
chale de Luxembourg. Elle était fort galante,
et le comte de Tressan fit sur elle une chanson
qu'elle récompensa par un soufflet :
Quand Boufflera parut à la cour,
On crut voir la mère d'Amour;
Chacun essayait de lui plaire,
Et chacun l'avait a son tour.
Dans sa vieillesse, la maréchale se plaisait
cependant à fredonner cette chanson, où, s'il
n'était pas question de ses vertus, sa beauté
se trouvait du moins célébrée.
Le comte de Tressan nous ramène tout na-
turellement à ces petits grimauds, barbouil-
leurs de papier que l'on rossait pour un oui
ou un non, et qui parfois s'appelaient Mal-
herbe, Saint-Amand ou Voiture; Despréaux,
J.-B. Rousseau ou Voltaire. On comprend, en
lisant de tels noms, jusqu'où pouvaient aller
ces familiarités de Martin-Bâton, auxquelles
Régnier faisait allusion en parlant des Mécè-
nes de son temps, qui, disait-il,
Nous vuyent de bon œil, et tenant une gaule,
Ainsi qu'à leurs chevaux nous en flattent l'épaule...
i II suffisait d'un moment de colère, fait
BAT
remarquer M. Fournel, pour que la caresse
amicale de la houssine, plus fortement ap-
puyée, se changeât en un coup de cravache. »
L'usage de frapper un poète était si bien ad-
mis, oue-MUe Ségur parlait ainsi à Bensen*de,
qui 1 avait chansonnée sur ce qu'elle mettaii
les amants en fuite par son embonpoint ;
- Dans notre race, il n.y a point de poète (de-
Jmis lors il y en a eu, et d'assez mauvais, né-
as f) pour vous rendre la pareille ; mais il y
a des gens qui vous traiteront en poëte si
vous y revenez. -» Traiter en poète était une
expression consacrée, aussi bien que celle-
ci : « Recevoir son brevet de poète. » Piron,
en 1722, dans son Arlequin-Deucalion, pou-
vait dire avec beaucoup d'àpropos : « Je
vais vous payer, mais en monnaie courante
du pays, » en faisant tomber une grêle de
coups de batte sur le dos d'Apollon. On
voit, par ce qui précède, ce qu'il faut penser de
la dignité des lettres à une époque où les pau-
vrettes portaient si haut la gloire de la France.
De loin en loin, une voix s'élevait pour pro-
tester, mais si timide, que personne n'y pre-
nait garde. Le premier écrivain que nous
voyons insister pour se faire rendre justice
est Boissat. Boissat était, il est vrai, gen-
tilhomme de la chambre de Gaston d'Or-
léans, comte palatin de par le vice-légat
d'Avignon, et ancien officier; mais, de tous
ses titres, celui qui lui montait le plus à la
tête, c'était le titre d'académicien. Bâtonné
par les laquais du comte de Saulx, pour avoir,
au haï, manqué de respect à la comtesse,
Boissat exigea une réparation, n'entendant
pas que l'Académie fût ainsi avilie dans sa
personne; cela fit un bruit énorme. L'affaire
dura treize mois, au bout desquels Boissat
obtint sa réparation. On lui mit un bâton
entre les mains, pour en user comme bon lui
semblerait sur le dos de3 valets du comte,
agenouillés à ses pieds, mais Boissat se mon-
tra généreux et nusa pas de la licence. Bau-
tru, gentilhomme et académicien comme
Boissat, se laissait battre plus volontiers,
« Mon Dieu, disait Anne d'Autriche au coad-
juteur, dont Bautru avait ri, ne ferez-vous pas
donner des coups de bâton à ce coquin?» Bau-
tru se contentait de riposter aux coups de
bâton par des coups de langue. Mme des Ver-
tus lui fit administrer une rude volée par le
marquis de Sourdis; l'excellente dame s'était
mise, pour contempler cette exécution de haute
saveur, à l'une de ses fenêtres donnant sûr le
Pont-Neuf. Le Pont-Neuf était l'endroit clas-
sique des bastonnades, et c'est là que Saint-
Amand fut trouvé, un matin, presque mort,
tant les valets de M. le Prince avaient mis de
zèle à exécuter les ordres de leur maître, mé-
content de quelques vers satiriques. N'est-ce
pas aussi au Pont-Neuf que Bautru fut encore
étrillé par les soins du duc d'Epernon, dont il
avait raillé la fuite clandestine de la ville de
Metz? A quelques jours de là, un des laquais
qui l'avaient frappé, l'apercevant, se mit h
contrefaire les cris que le malheureux avait
poussés : « Vraiment, dit Bautru sans s'émou-
voir, voilà un bon écho ; il répète longtemps
après. « Une autre fois, la reine, lui voyant
un bâton à la main, lui demanda s'il avait la
goutte; il répondit que non : « Voyez-vous,
dit alors le prince de Guéménée, il porte le
bâton comme Saint-Laurent porte son gril :
c'est la marque de son martyre. » Bautru était
le premier à rire de ses mésaventures. Le
marquis de Borbonne ayant mis ses épaules
en capilotade, il fit de l'accident une chanson :
Borbonne
Ne bût personne :
Cependant il me bâtonné,
et, quelques jours après, se trouvant à l'Aca-
démie, et voyant l'embarras des assistants, il
s'écria : « Croit-on que je suis devenu sauvage
.pour avoir passé par les bois? » La boutade
peint son homme; mais celle qui échappa dans
une circonstance à peu près semblable au
poëte Chapelle nous paraît à la fois plus fine
et plus digne. Il se trouvait à dîner à côté d'un
marquis fort ridicule, qui saisissait toutes les
occasions de le molester, parlant de vers
satiriques dirigés contre les gens de qualité, et
disant que, s'il en connaissait les auteurs, il les
rouerait de coups de bâton ; il revint plusieurs
fois à la charge, haussant le ton, gesticulant
beaucoup et gênant de plus en plus Chapelle,
l'homme du monde qui aimait le plus ses aises.
Fatigué de l'importunité du marauis, Chapelle
se lève et lui dit, en présentant le dos : « Frappe,
mais va-t'en. » Le marquis baisse le ton, éloigne
son siège et comble le poëte de politesses. Le
mot fameux de Thémistocle n'avait pas mieux
réussi.
Boisrobert fut aussi gourmé plus d'une fois.
Richelieu le protégeait pourtant, et prit même
son parti contre Servien, seffl-étaire d'Etat,
qui, piqué d'un propos plaisant du mordant
abbé, lui avait dit : « Monsieur de Boisrobert,
on vous appelle Le Bois, mais on vous en fera
tâter. » A Rouen, notamment,-Boisrobert fut
étrillé par un chanoine, son collègue; il reçut,
en outre, une volée complète à la comédie, et
courut grand risque d'être assommé pour une
satire contre LaVrillière.
Les grands seigneurs se commettaient rare-
ment eux-mêmes dans ces exécutions à la
mode; ils en confiaient le soin à leurs gens.
Plusieurs, comme le duc d'Epernon, le plus
grand uatteur du royaume, avaient leurs don-
neurs d'étrivières gagés, spécialement consa-
crés à cet emploi. Fléchier, dans ses Grands
BAT
jours d'Auvergne^ nous parle d'un certain mar-
quis de Cassignac,qui levait la taille à sa ma-
nière et faisait fructifier ses terres avec beau-
coup de talent. A cet effet, il entretenait douze
scélérats, qu'il appelait ses douze apôtres, ei
qui catéchisaient avec l'épée ou avec le bâton
ceux qui étaient rebelles à sa loi. Un autre,
comme M. de Lamothe-Tintry, recrutait des
gens de journée. A Paris, les choses se pas-
saient plus galamment, et Martin-Bâton n'était
guère employé qu'à laver des injures. Ainsi,
le duc de Guise, ayant àse plaindre de la muse
badine d'un médecin, qui, tranchant du poëte,
avait chansonné ses amours avec M'leuV. Pons,
fît monter ses gens chez le pauvre diable, et
demeura à la porte tandis qu'on le bâtonnait.
En parcourant l'histoire littéraire, nous ne
voyons pas les écrivains bâtonnés seulement
par des personnages d'importance, nous les
voyons encore avoir maille à partir avec do
simples valets. Desbarreaux, par exemple, fut
rossé par un laquais, qui lui fit payer cher une
plaisanterie fort innocente. Desbarreaux était
d'ailleurs habitué aux horions. Battu à Venise
pour avoir levé la couverture d'une gondole;
battu par des paysans tourangeaux, qui attri-
buaient la gelée de leurs vignes à ses propos
irréligieux, il avait, par-dessus le marché, reçu
de Villequier une bouteille sur la tête et des
coupsdepied dans un endroitqu'on ne nomme
pas; sans compter qu'un jour, se rendant à la
fête du Landit {juin 1023), il fut meurtri de
coups sur le grand chemin de Saint-Denis, pour
avoir apostrophé la femme d'un procureur au
Châtelet. Il se vengea, il est vrai, sur les ser-
gents qui venaient l'arrêter, car Desbarreaux
maniait lui-même le bâton d'une façon supé-
rieure, s'exerçant aux heures de loisir à battre
ou à être battu avec grâce; si bien qu'une
fois, ayant été rencontré par un seigneur dans
le plus pitoyable état, et ce seigneur s'étant
informé de ce qui lui était arrivé : -< Moins que
rien, répondit-il; c'est un coquin à qui j'avais
donné des coups de bâton, et qui vient de me
les rendre. * Après tout, un laquais bâtonnant
Desbarreaux na rien de plus surprenant .que
ce fait de madame Marie, la servante du poëto
Gombauld, menaçant Conrarfc de le faire
fouetter par les rues de Paris, pour n'avoir
pas garde à son endroit le silence prudent qui
est resté proverbial. Nous avons vu le vaillant
Voiture berné; un bon mot sauva ses épaules.
Balzac faillit, lui aussi, être bâtonné, et par
qui ? par les Anglais, pour avoir mal parlé d'Eli-
sabeth; une autre fois, Théophile dut mettre
l'épée à la main pour le sauver du bâton. Ce
Théophile, qui sauvait les autres, aurait eu be-
soin d'être 3auvé lui-même, et le duc de Luynes
le traita assez mal sur de simples soupçons.
Ce fut surtout pour leurs prétentions aux
bonnes fortunes que les poètes se firent bâ-
tonner. Vauquelin des Yyeteaux, cet original
si célèbre par sa vie d'épicurien, fut cruelle-
ment bâtonné par M. de Saint-Germain, qui
l'avait surpris avec sa femme. M'"e de La
Guette nous apprend que son fils avait promis
à Aîarigny, le chansonnier de la Fronde, cent
coups de canne pour certaines paroles adres-
sées à une dame de sa connaissance; et pour-
tant des Yveteaux et Marigny avaient qualité
de gentilshommes, mais ils étaient auteurs, et,
par cela seul, rentraient dans le droit com-
mun. Parmi les beaux esprits d'alors, le plus
à plaindre fut l'illustre Montmaur, professeur
de grec, pédant, poëte et parasite. Il serait
impossible d'énumèrer les mésaventures de ce
personnage, dont l'intrépide gloutonnerie est
devenue historique. Qu'on lise la Requête de
Fainmort de Scarron.etl'on sera édifié. Fain-
mort, bien entendu, n çst autre que Montmaur.
Le siècle de Louis XIV est l'âge d'or des
coups de bâton; nous voyons, malgré la pro-
tection royale accordée aux lettres, les bas-
tonnades se multiplier. Chaque couplet de
chanson, chaque trait plaisant, chaque échap-
pée de langue ou de plume, est aussitôt punie :
t Mon petit ami, disait M. de Çhâtillon a Ben-
serade, s'il vous arrive jamais de parler de
M'»e de Çhâtillon, je vous ferai rouer do
coups de bâton. » On sait que Scarron a daté
une de ses épîtres de
L'an que le sieur de Benscrade
Fut menacé de bastonnade.
Benserade avait chansonné Mme de Çhâtillon,
qui le méritait bien. Le dos de Richelet expia
plus d'une fois les méchancetés que son maître
avait introduites dans son dictionnaire, et
quelques vers de La Fontaine nous apprennent
Sue Furetière eut aussi de mauvais quarts
'heure à passer. Le satirique, dans son second
factum, avait raillé le fabuliste de n'avoir pas
su faire la différence entre le bois en grume et
le bois marmenteau, ce qui était d'autant plus
piquant que La Fontaine avait exercé la charge
de maître des eaux et forêts; â quoi le bon-
homme répondit par les vers suivants, qui
sont pour nous une révélation :
Toi qui de tout as connaissance entière,
Ecoute, ami Puretière :
Lorsque certaines gens.
Pour 8e venger dç tes dits outrageants,
Frappaient sur toi, comme sur une enclume,
Avec un bois porto sous le manteau,
Dis-moi si c'était bois en grume,
Ou si c'était bois marmenteau.
Boileau n'eut rien à envier à Furetièrp. Ro-
gnard a dit de lui :
Son dos même, endurci, s'est fait aux bastonnades.
369
Il courut plus d'une fois des risques sérieux,
notamment à la représentation de la Phèdre
de Racine, qu'il défendait centre le prince de
Couti. La protection de Cuiidé ne sauva cas
Despréaux, si l'on en croit certain sonnet tait
a cette occasion :
Dans un coin de Paria., Boileau, tremblant et blême,
Fut hier bien frotté, quoiqu'il n'en dise rien.
M. de Nemours l'avait aussi menacé. Le légis-
lateur du Parnasse faillit, en outre, s'attirer
une grosse affaire avec son vers fameux :
J'appelle un chat un chat, et Rolet un fripon.
Cent coups de bâton lui furent adressés par la
poste, en attendant mieux, par un hôtelier
blaisois, qui portait le nom de Rolet, et qui se
crut insulté.
A l'étranger, le sort des satiriques n'était
pas plus enviable. Dryden, après la publication
d'un Essay on Satire, qu'on lui attribuait à
tort, fut roué de coups par ordre de Rochester
et de la duchesse de Portsmouth; le duc de
Buckingham se mit plus tard de la partie.
L'Arétin, qui, avant Dryden, avait reçu, pour
un sonnet amoureux... à une cuisinière, cinq
coups de poignard, fut bâtonné par l'ambas-
sadeur d'Angleterre à Venise. Nous ne par-
lerons pas de son aventure avec le Tintoret.
Rappellerons-nous que Molière fut menacé
du bâton par M. de Montausier, qui se recon-
naissait, dit-on,dans l'Alceste du Misanthrope.
Molière avait un double titre à l'insolence des
grands : il était auteur et comédien. Or, les
humiliations que l'on faisait endurer aux gens
de lettres n'étaient rîen en comparaison de
celles qu'essuyaient journellement les acteurs,
placés par l'opinion commune, et par l'Eglise
surtout, au dernier échelon de l'échelle sociale.
Le parterre ne se gênait pas pour les humi-
lier, et l'on connaît les paroles de cet ac-
teur, condamné à faire des excuses au par-
terre : - Je n'ai jamais mieux senti qu'en ce
moment la bassesse de mon état. » Les correc-
tions de toutes sortes ne leur manquèrent pas.
Le prince d'Harcourt, pour les empêcher de
jouer une pièce de Scarron, ne voyait pas
d'autre argument à mettre en avant que le bâ-
ton ; et Bellemore, dit le capîtan Matamore,
quitta le théâtre pour avoir reçu un coup de
canne de la main du poète Desmarets, dont
il n'osa se venger, parce que celui-ci ap-
partenait au cardinal. UAmadis gaulé, co-
médie, n'est que la mise au théâtre de ce
qui arriva à 1 un des acteurs de YAmadis de
Gaule, qu'un homme de qualité, dont il osait
être le rival, avait battu comme plâtre. Le
comte de Livry ne se gênait pas davantage
avec Dancourt : o Je t'avertis, disait-il à
l'auteur-acteur, que si, d'ici à la fin du souper,
-tu as plus d'esprit que moi, je te donnerai cent
coups de bâton. » Notez que le comte de Livry
était l'amant en titre de Mme Dancourt. On
sait que le même Dancourt fut souffleté en
plein théâtre par le marquis de Sablé ivre.
Les artistes, et entre tous les artistes les mu-
siciens, subirent la loi commune. Maugars,
l'excellent joueur de viole, et le chanteur Lam-
bert eurentde fréquents démêlés avec le tricot.
Lulli, qui battait volontiers ses exécutants,
reçut aussi maintes caresses désagréables.
Le cotret jouait, on le voit, un rôle im-
mense dans les relations sociales; aussi ne
faut-il pas s'étonner qu'on l'ait employé si
souvent au théâtre. C'est ainsi que, dans les
Rodomontades,1e duc Aymon dit a son fils :«Si
j'empoigne un bâton, je te feray plus sage.»Au
xvne siècle surtout, les coups de gaule pieu-
vent comme grêle dans les romans aussi bien
que sur la scène, et la poésie épigrammatique
joue partout le même air; c'est là un des ca-
chets curieux de la littérature de l'époque -.
Martin-Bâton est le héros principal de toutes
les intrigues en vers ou en prose. Cyrano de
Bergerac n'a qu'un refrain : échiner son
homme 1 C'était un de ces coupeurs d'oreilles,
toujours prêts a mettre flamberge au vent
contre ceux qui marchaient dans leur ombre.
Montileury, menacé par lui, ayantosé paraître
sur la scène, notre matamore lui cria, du mi-
lieu du parterre, qu'il eût à se retirer au plus
vite, sinon qu'il pouvait faire son testament
et se regarder comme mort. Monttleury obéit,
car Cyrano était homme à l'embrocher sur-
le-champ. Le poiite Saint-Amand réserve de
son côté une correction à son libraire dans
Y Elégie au duc de Retz ; dans son Poète crotté,
il dépeint la condition de certains auteurs
« saouls de chiquenaudes et redoutant en diable
\a gaule. » La menace du bâton est d'ailleurs
si bien dans les mœurs, qu'elle prend tous les
genres et tous les tons pour aller à son
adresse :
Quoi ! Nogaret se mêle
De faire des chansons?
Ne craint-il point la grêle
De cent coups de bâtons?
Cette menace prend même le mode lyrique
sous la plume du burlesque Scarron, criant
à Gilles Boileau :
Taisez-vous, Boileau le critique :
On fait, pour votre hiver, grand amas de fagots;
On veut qu'un bras fort vous applique
Cent coups de bâton sur le dos.
Dans ses Imprécations, Scarron souhaite de
voir fustigé à tour de bras celui qui lui a volé
son Juvénal. Il termine ainsi une de ses satires :
- Vous savez
u. .. . . Qu entre les fléaux, famine, guerre, peste,
Il en est encore un, fatal aux rimailleurs,
Fort connu de tout temps, en France comme ailleurs:
C'est un mal qui se prend d'ordinaire aux épaules,
Causé par des bâtons, quelquefois par des gaules.
Il résulte suffisamment de ce qui précède :
1° que l'abbé Cotin était dans le vrai lorsqu'il
disait que les poètes satiriques ont pour destin
de mourir le cou cassé; 2° que les écrivains
ne dédaignaient pas de se briser entre eux
quelques côtes à l'occasion, comme si les coups
uc bâton qui leur venaient d'en haut n'eussent
pas suffi, si bien que les discussions littéraires
se vidaient presque toujours d'une façon plus
ou moins analogue à celle que Boileau nous a
dépeinte à la fin de sa deuxième satire sur un
repas ridicule. On connaît l'ode burlesque de
Régnier, où se trouve le récit d'un combat
acharné qui eut lieu entre ce poète et Berthelot.
Berthelot se vit administrer une autre fois par
un gentilhomme de Caen, agissant cour le
compte de Malherbe, une volée de bois vert.
Malherbe avait d'ailleurs pour habitude de
rappeler de la sorte ses confrères au senti-
ment des convenances. Il fut lui-même moulu
à souhait par une main experte, qui lui fit lar-
gement payer une boutade agressive. Balzac
ne se gêna pas non plus pour frapper un avocat
d'Angoulême, qui avait plaidé contre lui; On
connaît sa fameuse querelle avec dom Goulu,
général des feuillants : elle valut à un jeune
avocat de province une correction cruelle,
qui fut administrée à celui-ci, de la part dudit
Balzac, par un gentilhomme et deux valets.
Les écrivains, comme les grands seigneurs,
avaient donc déjà, en 1623, leur séides pour ces
sortes d'aventures. Un peu plus tard, nous
voyons Ménage en démêlé avec Bussy-Rabu- ,
tin; Ménage menaça son collègue, et s'en tint
heureusement aux menaces ; Boisrobert lui
rendit la pareille, et chargea un de ses neveux
de lui frotter l'échiné ; Ménage esquiva la ven-
geance de l'abbé, qui n'y allait pas de main
morte.
Un des écrivains les plus maltraités du
xvme siècle, ce fut La Harpe, contre qui on
fit cette êpigramme, à l'occasion d'un arrêt du
parlement qui le tança vertement, et du prix
d'éloquence qu'il remporta le même jour :
La Harpe, joyeux et chagrin
Vante et pleure sa destinée;
Il est couronné le matin.
Et fouetté l'après-dlnée.
Son visage « appelle le soufflet, » disait-on.
a II a reçu des croquignoles de tous ceux qui
ont voulu lui en donner, lit-on dans les Mé-
moires secrets, et ne s'est vengé que par sa
plume, qui ne l'a pas toujours bien servi. »
En" butte à la haine, au mépris, aux sarcasmes
dés gens de lettres, il est malmené par Sau-
vigny, qu'il a attaqué dans le Mercure (U73);
par Dorât, qu'il a âprement critiqué (1777), et
par Linguet surtout. Les menaces de Dorât
firent tant de bruit que l'Académie s'en émut;
elles donnèrent naissance à plusieurs facéties,
entre autres à celle-ci, renouvelée d'un calem-
bour du marquis de Bièvre sur Fréron : « Une
société d'amateurs, ayant proposé l'année der-
nière un prix à qui pincerait le mieux de la
harpe, a déclaré que ce prix avait été adjugé
à M. Dorât : elle se propose de donner l'année
prochaine un prix double à celui qui, a la
satisfaction du public, aura pu, par le moyen
des baguettes, tirer de la harpe des sons plus
doux et plus harmonieux. - Deux ans plus
tard, la querelle élevée entre les gluckistes et
les piccinistes faillît coûter les oreilles à notre
Aristarque. Entre autres gentillesses qu'on lui
décocha, on peut Ure les vers d'un homme gui
aime la musique et tous les instruments, excepté
la harpe, que nous avons cités à l'article
ARMIDE. Mais nous aurions fort à faire, de
rappeler toutes les corrections, avec ou sans
accompagnement de vers et de prose, qu'il
reçut. L'auteur du Bureau d'esprit, Rutlidge,
le soufflette et lui dit : «t Mon petit monsieur,
c'est un dépôt que je confie à votre joue, pour
le faire passer à tous les impudents tels que
vous. « Blin de Sainmore, dont il avait vive-
ment critiqué la tragédie à'Orphanis, le ren-
contre dans une toilette éblouissante, et le
roule dans le ruisseau. Une plume de hêtre,
disait une êpigramme d'une violence inouïe,
qu'on se passait de main en main en 1777,
voila tout ce qu'il fallait pour le réduire au
silence. « Vous remarquerez sûrement, ajoute
la Correspondance secrète, le ton avec lequel
on parle à ce fameux critique. L'un lui promet
des chiquenaudes; l'autre lui reproche d'avoir
eu des soufflets ; celui-ci fait courir une quit-
tance do coups de bâton signée de lui, et enfin
celui-là propose de le transporter, comme
partisan de 1 antiquité, au milieu de la bataille
de Cannes. Cette anecdote nous en rappelle
une autre : Un jour que l'abbé de Veyrac
s'était rangé sous une porte pour attendre la
fin d'une pluie violente, un petit-maître, qui
l'aperçut couvert d'un mauvais chapeau, en-
voya lui demander à quelle bataille son cha-
peau avait été percé. « A celle de Cannes, »
répondit l'abbé, en appliquant au valet chargé
de la missive force coups de canne sur les
épaules. Pour en revenir à La Harpe, on ne
peut s'emçêcher de convenir qu'il faut qu'un
homme soit bien généralement méprisé pour
qu'on puisse impunément se permettre avec
lui de pareilles plaisanteries. Un des partisans
de La Harpe, car La Harpe avait des parti-
sans, Desaintange, le traducteur d'Ovide, fut,
après son chef de file, l'un des écrivains les
plus favorisés du tricot. Ayant été gratifié de
quelques soufflets au café Procope, il reçut
une épée de bois, avec ces vers :
Petit roi des nains de Sologne,
De Bébé petit écuyer,
Petit querelleur sans vergogne,
Petit poète sans laurier.
Au Parnasse petit rentier,
Petit brave, au bois de Boulogne
Tu veux, en combat singulier,
Exposer ta petite trogne :
Eh bien, nous t'armons chevalier.
La Chronique scandaleuse* nous parle d'un
combat assez singulier, qui eut lieu entre le
même Desaintange et uu abbé paralytique -. Il
donna des coups de canne et reçut des coups
de béquille. Le métier de critique, si l'on en
juge par ce qui précède, n'était pas une siné-
cure. Tous les Aristarques n'avaient pas, il est
vrai, le sort de La Harpe, qui, d'ailleurs, s'avisa
une fois d'envoyer à son confrère Dussieux,
l'un des rédacteurs du Journal de Paris, une
promesse de coups de bâton en récompense
d'un article contre une de ses tragédies. Mais
notre homme réussit mal : Dussieux porta
plainte au criminel, et, sur l'intervention de
l'Académie, La Harpe dut faire des excuses à
son critique. Décidément, La Harpe avait tous
les malheurs.
En réalité, le bâton, qui se rencontre à
chaque "instant sur les lèvres, commence à
n'être plus employé que rarement. Les me-
naces sont fréquentes, mais ne s'exécutent
guère. J.-J. Rousseau écrit-il à Saint-Lambert
pour le régenter sur sa liaison avec Mtne d'Hou-
detot : « On ne répond à cette lettre que par
des coups de bâton, » dit Xauteur des Saisons
à "Diderot. Un critique se permet-il dans un
journal quelques réflexions a l'endroit du cho-
régraphe Noverre, celui-ci court le menacer
d'une correction : « Mais, monsieur, vous me
parlez comme le pourrait faire un maréchal
de France, s'écrie le journaliste. — Si .j'étais
maréchal de France, riposte le danseur, je sais
bien à quoi me servirait mon bâton. » Et les
choses ne vont pas plus loin. Lebrun, qui
depuis fut Lebrun-Pindare, mécontent d'un
jugement de Fréron, se borne à déposer chez
celui-ci une carte de visite ainsi conçue :
« M. Lebrun a eu l'honneur de passer chez
M. Fréron pour lui donner quelque chose. »
Ce Fréron est, d'aiHeurs, un insolent, qui ne
craint pas, dans son n« 22 (1764), de dire :
« Faute à corriger dans le no 20, page 200,
ligne 12 : François-Marie de Voltaire Arouet ;
lisez : François-Marie de Voltaire à rouer, »
Fréron, cette mauvaise plaisanterie en té-
moigne assez, fut l'ennemi acharné de Vol-
taire. C'était un bon homme au fond, mais
qui disait du mal pour vivre,
Grand écumeur des bourbiers d'Héltcon,
Cet animal se nommait Jean Fréron.
Le trait qu'il lançait à l'immortel écrivain
était d'autant plus perfide, qu'Arouet, depuis
longtemps, n'était plus à rouer. On connaît
l'histoire. Un jour qu'il dînait chez le duc de
Sully, une discussion s'éleva, et comme il ne
se trouvait pas de l'opinion d'un des convives,
le chevalier de Rohan-Chabot, celui-ci, nourri
dans les habitudes de l'ancienne cour, et ne
soupçonnant pas qu'un poète pût servir a autre
chose qu'a divertir les grands seigneurs qui
daignaient l'admettre en leur compagnie, laissa
tomber quelques allusions de mauvais goût sur
Voltaire, qui riposta avec esprit : « Quel est
donc, demanda-t-il alors, ce jeune homme qui
parle si haut? — Monsieur le chevalier, ré-
pondit Voltaire, c'est un homme qui ne traîne
pas un grand nonijmais qui honore celui qu'il
porte. » Quelques jours après, le poète dînait
de nouveau chez le duc de Sully. Un domesti-
que vint lui dire qu'on le demandait en bas
pour une bonne oeuvre. A peine est-il dehors,
que des laquais se mettent à le frapper à
grands coups de bâton, jusqu'à ce que le che-
valier, qui présidait de loin à cette exécution
sauvage, assisté de quatre autres gredins, ait
dit : « C'est assez I » Cependant "voltaire re-
monte et supplie le duc de Sully de regarder
comme sien l'outrage fait a un de ses hôtes.
Le duc se refuse à tout, même à venir déposer
chez le magistrat. Voltaire s'éloigne alors, et
pour toujours,- de cette maison plus souillée
que lui-même de l'affront qu'il a reçu, rentre
chez lui et biffe de la Henriade le nom de Sully,
en même temps que celui de Rohan, qui ve-
naient d'être déshonorés. Plus tard, Voltaire
adressa la plainte suivante au ministre : « Je
remontre très-humblement que j'ai été assas-
siné par le brave chevalier de Rohan, assisté
de six coupe-jarrets, derrière lesquels il était
hardiment posté. J'ai toujours cherché depuis
ce temps à réparer, non mon honneur, mais
le sien, ce qui était trop difficile... » Les tri-
bunaux restèrent muets; mais Voltaire, qui
avait tout plein de sang français dans les
veines, voulut se faire justice lui-même. Il
s'enferme, et apprend l'escrime pour se battre,
et l'anglais, pour vivre hors de France après
le duel. Une fois en mesure de tenir une épée,
il défia son déloyal ennemi en termes si mé-
firisants, que le chevalier n'osa point refuser
e combat. Mais, dans la nuit, la famille de
Rohan fit enfermer le poète à la Bastille. Au
bout de six mois, il fut permis à Voltaire de
sortir... par la porte de l'exil. Au même mo-
ment, on condamnait à être rompus vifs un
juif hollandais et son complice, pour des coups
de bâton qu'ils avaient eu Yintention de don-
ner à Mlle Pélissier, actrice de l'Opéra, et à
Francœur, violon de ce théâtre. MH° Pélissier
avait été la maîtresse du juif, qui avait fait
pour elle de folles dépenses, et qu'elle trom-
pait. Rien de tout cela n'échappait à la cri-
tique du public :
Admirez combien Ton estime
Le coup d'archet plus que la rime :
Que Voltaire soit assommé, '
Thémis s'en tait, la cour B'en joua!
Que Francœur ne soit qu'alarmé.
Le seul complot mène a la roui.
Pourtant il devait être donné au duc de
Chaulnes, dans sa querelle avec Beaumar-
chais, de dépasser encore le chevalier de
Rohan. Le noble personnage, soupçonnant
l'écrivain d'être préféré par une actrice qu'il
protégeait, forma tout bonnement le projet
de le tuer. Il faut lire dans l'ouvrage de M. de
Loménie, Beaumarchais et son temps, les dé-
tails ignobles de la bataille grossière, engagée
par ce grand seigneur contre l'écrivain, les
soufflets et les coups qu'il donne tout d'abord
à Gudin de la Brunellerie, ami de ce dernier;
sa lutte corps à corps avec Beaumarchais, et
une foule d autres particularités qu'on a honte
de rapporter, tant elles inspirent de dégoût.
Mais tout cela allait changer. Quelques années
plus tard, en 1781, Mozart, que l'arcnevêque de
Saltzbourg traitait comme un laquais, jeté à la
porte à coups de pied par le comte d'Arco,
pouvait écrire à son père que, partout où il
rencontrerait le comte, il lui rendrait la pa-
reille, car les idées marchaient, et l'homme,
qui avait conscience de sa dignité, sentait bien
que le moment était proche ou allait être pro-
clamée l'égalité civile entre les citoyens.
Désormais, nous ne nous étonnerons donc plus
si nous voyons Dugazon, valet de comédie,
bâtonner un maître des requêtes et souffleter
le marquis de Langeac. Dugazon vengea, une
autre fois encore, sur la joue d'un comte amou-
reux un des nombreux accrocs faits par sa
femme, actrice des Italiens, à la foi'conjugale.
Les annales dramatiques nous fournissent en-
core un autre genre de correction : Favart ve-
nait de donner la Chercheuse d'esprit (1741), qui
se terminaitpar treize couplets chantés par tous
les personnages. Un jeune auteur, dont le nom
ne nous est pas parvenu, parodia ces couplets,
en les retournant contre les actrices. Une de ces
dernières, MUe-Brillant, vient s'asseoir à l'am-
phithéâtre à côté de notre bel esprit, qui se
pavanait tout fier de son exploit, le comble de
politesses, porte sa chanson aux nues : a Vous
ne m'avez pas ménagée, dit-elle, mais j'en-
tends raillerie. l\ manque deux ou trois cou-
filets; voulez-vous me faire l'amitié de venir
es écrire dans ma loge? » Le jeune homme la
suit. Mais h. peine est-il entré, que toutes les
comédiennes, armées de verges, fondent sur
lui et l'étrillent impitoyablement. L'officier de
police eut toutes les peines du monde à l'ar-
racher des mains de ces furies. Aussitôt dé-
livré, le malheureux auteur, sans prendre le
temps de se rajuster, fendit la foule attirée
parle bruit, et courut, toutes voiles dehors,
1 usqu'à son logis. Quelques jours après, il s'em-
barquait pour les îles, et jamais depuis on n'en
eut de nouvelles. Traitée à peu près de la
même manière sur la terrasse des Feuillants,
cinquante-deux ans plus tard, la belle et infor-
tunée Théroigne de Méricourt, lorsqu'elle
échappa aux plus lâches violences qu'un
homme puisse exercer sur une femme, et aux
risées de la foule cynique, avait perdu l'esprit.
On le voit, comédiens et comédiennes se
mêlaient aussi de faire la guerre aux au-
teurs ; c'était encore là une guerre entre pro-
ches , sinon entre frères- Une certaine de-
. moiselle de théâtre qui était, il est vrai, la
maîtresse du prince de Soubise, M>le La
Prairie, rompit plus d'une fois sa mignonne
cravache sur le dos des folliculaires assez
hardis pour l'offenser. Avant elle, la célèbre
Maupin fit mieux encore : elle obtenait à
l'Opéra une célébrité d'un genre particulier.
Ses moeurs, quelque peu lesbiennes, faisaient
l'objet d'assez vertes critiques. Mais l'actrice
imposait silence, à coups d'épée ou de bâton, à
ceux qui avaient l'imprudence de répéter tout
haut ce que chacun disait tout bas. Elle se
battit, une fois entre autres, contre trois
hommes qu'elle tua, dit-on. Insultée par son
camarade Dumesnil, elle l'attendit, déguisée
en homme, à la place des Victoires, et le bâ-
tonna d'importance ; puis elle lui prit sa montre
ainsi que sa tabatière, et s'éloigna. Le lende-
main, au foyer des acteurs, Dumesnil racon-
tait a qui voulait l'entendre comme quoi U
avait été attaqué par trois grands bandits, qui
l'avaient saisi à la gorge et l'avaient volé.
a Tu en as menti l lui dit la Maupin ; les trois
grands bandits c'était moi toute seule, qui t'ai
donné des coups de canne ; et, pour preuve de
ce que j'avance, voici ta montre et ta taba-
tière que je te rends. » Ainsi, les comédiens
entre eux faisaient volontiers appel a l'arbitre
suprême, le bâton. En Angleterre, les choses
allaient même jusqu'au tragique. Une discus-
sion qui s'éleva, le 10 mai 1735, entre Macklin
et un autre acteur nommé Hallam, au sujet
d'une perruque, eut un résultat des plus
malheureux. Macklin saisit une canne et en
frappa sqn camarade de telle sorte, que le
bout du bâton entra dans l'œil de Hallam et
pénétra dans le cerveau. Hallam mourut le
lendemain. Macklin, poursuivi comme meur-
trier, fut sauvé par la question intentionnelle.
Cela ne l'empêcha pas de boxer, en plein
foyer, quelque temps après, avec Quîn,lequel
voulait le forcer de modifier son jeu dans le
Franc parleur. Il y a dans les Mémoires cfe
47
370
Fleury une aventure du chevalier de Bouf-
fiers, qui rappelle celle du jeune homme battu
de verges, citée plus haut. Une lettre avait
couru contre certaine dame à tabouret, fort
galante, et on l'avait attribuée à Bouffiers,
ancien amant de l'infidèle. La dame écrivit a
Bouffiers, lui demandant de venir sceller la
réconciliation à sa table, Le chevalier, en
homme prudent, se rendit chez son ancienne
maîtresse à l'heure dite, avec des pistolets
dans sa poche. A peine est-il entré,que quatre
estatiers-se jettent sur lui, le renversent, à
moitié déshabillé, sur un lit et lui meurtrissent
les reins de cinquante coups de verges. La
dame commande l'humiliante manœuvre, no-
tant sur son calepin, gravement, imperturba-
blement, les coups qui tombent en cadence.
La chose faite, le chevalier se lève avec le
plus grand sang-froid, se rajuste, puis, par un
mouvement inattendu, saisit ses pistolets,
montre quatre gueules béantes, et ordonne
aux valets, en les couchant en joue, de rendre
à leur maîtresse ce qu'ils venaient de lui donner
à lui-même. La duchesse cria : « Grâce! » Il
fallut bien se résoudre pourtant, et le cheva-
lier compta scrupuleusement les coups. Après
quoi, mais c'est un mince détail, il força nos
quatre particuliers à se les repasser les uns
aux autres, exigea qu'on lui donnât un reçu
de deux cent cinquante coups de verges, dont
cinquante à Mme la duchesse, salua avec grâce,
et sortit.
Barthe, auteur des Fausses Infidélités, ayant
eu une querelle littéraire avec le marquis de Vil-
lette, se vit défier au combat, et n'échappa à la
colère du marquis qu'en se faisant passer pour
fou. Collé, dans son Journal de janvier 1751,
nous conte une anecdote curieuse. « Grotz,
gazetier d'Erlang, dans la principauté de Bai-
reuth, s'était avisé de publier quelques gaietés
contre le roi de Prusse Frédéric-Guillaume Ier,
celui qui corrigeait au besoin sa fille à coups
de canne, 'comme ses capitaines. Un bas offi-
cier des troupes de ce prince reçut ordre de
Sa Majesté de donner cent coups de bâton à
ce joyeux gazetier, et d'en tirer un reçu.
L'officier, pour s'acquitter plus sûrement de
sa commission, imagina de proposer à Grotz
une partie de plaisir hors de la ville. Après avoir
captivé sa confiance et s'être lié avec lui, il
lui exposa les ordres dont il était chargé, à
quoi le gazetier répliqua qu'ils étaient trop
amis pour qu'il les exécutât. L'officier lui té-
moigna, en apparence, sa répugnance à cet
égard- il lui dit qu'au moins fallait-il qu'il
parût qu'il lui eût donné les coups de bâton
en question, et que pour cela un reçu lui était
nécessaire. Grotz se laisse décider, non sans
peine, à signer un récépissé aussi extraordi-
naire. Dès que l'officier en fut nanti, il déclara
à Grotz qu'il était trop honnête homme pour
accepter le reçu d'une somme qu'il n'avait pas
remise, et, ayant appelé quelques soldats, il la
compta lui-même sur le dos du gazetier, à qui
il fit ensuite la révérence. »
Si les gens de lettres et les artistes se bâton-
naient entre eux. ou, cédant au pernicieux
exemple venu de naut, bâtonnaient leurs infé-
rieurs, l'es gentilshommes, en revanche, per-
daient peu à peu cette brutale habitude a leur
endroit. Les grands personnages avaient bien
encore leurs heures, où ils s'écriaient volon-
tiers à la moindre contradiction : « Un bâton
pour châtier ce drôle I » Mais, en général, ils
se bornaient aux menaces. L'impunité ne les
protégeait plus, et le peuple s'avisait main-
tenant de faire comme les gens de lettres,
c'est-à-dire de relever la tête, parfois même
il se passait la fantaisie d'appliquer la loi du
talion. En 1783, M. de Choiseul-Meuze rouait
de coups de canne un malheureux cocher; il
le lardait ensuite à coups de dard, pour le
punir d'avoir osé se défendre avec son fouet.
Mais le'peuple le fit repentir de son action.
A cette époque, le marquis de Laçrange
agit de même à l'égard d'un autre cocher, et
le blessa grièvement : il aurait été pendu sur-
le-champ par les passants, sans l'intervention
de la garde. On voit que, malgré certaines
réformes, les mœurs avaient encore plus d'un
pas à faire, et que le soleil de 1789 avait bon
besoin de luire sur cette caste insolente qui
tenait le haut du pavé, et clouait d'un coup
d'épée contre le mur un cocher qui ne se ran-
eait pas assez vite. Les artistes et les gens
e lettres, se souvenant trop de leur ancienne
domesticité, affectèrent longtemps encore des
allures, des vices et des ridicules, qu'il fallait
laisser à la noblesse oisive et vaniteuse. Heu-
reusement, la Révolution était proche, et le
bâton, comme bien d'autres abus de la force,
allait disparaître avec elle. La Révolution
n'emporta pas seulement toutes ces mains qui
avaient longuement et brutalement outra^é'la
nature humaine, elle emporta aussi les têtes.
Sous la Révolution, avons-nous besoin de
le dire, un Rohan eût été mal venu en es-
sayant de bâtonner un des écrivains d'alors.
Eii France, aujourd'hui, nous le répétons, le
bâton est hors d'usage dans les relations so-
ciales, ou à peu près. Quelques coups de canne
s'échangent encore de loin en loin, mais si
timidement qu'il n'en faut point parler. Quant
aux soufflets, .ils tiennent bon, et ne sont sou-
vent que la préface d'une tragédie qui va se
dénouer sur le terrain. Talma, poussé à bout
par les critiques de Geoffroy, se précipita un
soir dans la loge de celui-ci pour lui faire
cette rapide imposition des mains, qui fournit
au journaliste le sujetd'un 3e ses plus piquants
feuilletons. La joue de Geoffroy rit aussi con-
naissance, en pleine loge, avec l'éventail de
Mlle Contât. Ces inexcusables représailles
n'ont guère été imitées de notre temps que par
certaines créatures en dehors des mœurs gé-
nérales. Lola-Montès se permit de cravacher
tel journaliste, qui avait porté atteinte à sa
considération. Tout le monde connaît l'issue
du fameux soufflet donné en plein opéra a un
célèbre et courageux publiciste, en 1840. Mais,
encore une fois, ce sont là des faits isolés, qui
d'ailleurs ne placent plus l'offensé dans une
situation subalterne vis-à-vis de l'offenseur;
quelle que soit la violence avec laquelle on se
traite, c'est du moins d'égal a égal, et si la
morale en est parfois blessée, la dignité de
l'homme n'en souffre pas. Il faut aller loin
maintenant, pour retrouver la trace des abus
que nous signalions plus haut: il faut aller jus-
qu'en Russie pour assister, enjdein xixe siècle,
à ce spectacle incroyable d'un poète comme
Pouschkine puni par le fouet ou le knout des
libertés de sa plume.

BATON,
écuver et parent d'Amphiaraùs ,
avec lequel il fut englouti dans les environs
de Thèbes, et reçut les honneurs héroïques.
On voyait sa statue à Delphes, et on le met au
nombre des personnages qui figuraient sur le
coffre de Cypsélos.
BATON, BATTON ou BATTO, statuaire
rangé par Pline au nombre de ceux qui ont
représenté des athlètes, des hommes armés,
des chasseurs et des sacrificateurs. On ne sait
rien de son origine, ni du temps où il vivait.
Le temple de la Concorde, à Rome, possédait
jadis un Apollon et une Junon de ce statuaire.
BATON, appelé à tort quelquefois Battus,
potite comique grec, contemporain d'Arcési-
las, vécut dans la dernière moitié du me siè-
cle avant notre ère. Parmi les pièces qu'il
avait composées, on en cite quatre, où il se
moquait des philosophes alors en réputation,
tels que les cyniques, les épicuriens et les
stoïciens. Ces pièces étaient intitulées : YEto-
lien,\c Meurtrier, les Bienfaiteurs et le Trom-
peur. On n'en connaît que_ des fragments con-
servés par Athénée et par Stobée.
BATON DE S1NOPE, rhéteur postérieur à
Aratus de Sicyone, qui mourut l'an 213 av.
J.-C.,ou,du moins, son contemporain. Il avait
composé plusieurs ouvrages historiques :
Les Persiques, dont Strabon nous a conservé
un fragment; Des tyrans U'Ephèse, des tyrans
de Syracuse, sur la Thessalie et l'Hémonie,
une Histoire de l'Attique, et i>ur le Poète
Ion. Les fragments de Bâton de Sinope ont
été recueillis par M. Mùller, dans la collection
des Fragments des historiens grecs de Didot,
t. IV, p. 347.
BATON (Henri), dit Y Aine t musicien fran-
çais, né à Paris vers 1710. Il s'acquit une
grande réputation par le talent avec lequel il
jouait de la musette. On a de lui trois livres
de sonates et deux livres de duos pour cet
instrument; — Son frère, Charles BÂTON, dit
le Jeune, mort en 1758, excellait à jouer de la
vielle, à laquelle il apporta diverses amélio-
rations. On a de lui, outre des compositions
et des études sur cet instrument, un Mémoire
sur la vielle, publié dans le Mercure de 1757.
Il s'est également fait connaître par sa dé-
' fense de l'ancienne musique française, dont il
se déclara le champion dans sa brochure
intitulée : Examen de la lettre de M. Rousseau
sur la musique française (Paris, 1754), l'une
des meilleures réponses qui aient été faites
aux innovations de Jean-Jacques Rousseau.

BATONI
ou BATTONI (PompeC-Giroiamo),
l'un des plus célèbres peintres italiens du siè-
cle dernier, né "h Lucques en 1708, mort à
Rome en 1787. Lanzi dit qu'il étudia les prin-
cipes de l'art dans sa ville natale, sous la
direction do Brugieri et de Gio-Domenico
Lombardi ; d'autres veulent qu'il ait reçu
des leçons de Conca, de Masucci et de Fer-
nandi. Si l'on en croit Mariette, il n'eut
pas de maître, et commença par exercer
la profession d'orfèvre. Il arriva qu'un jour
on lui donna une miniature, pour faire un
dessus de tabatière. *- Battoni regarde cette
miniature; il lui prend envie d'essayer de la
copier ; à force de soin, il réussit au point que
la copie est prise pour l'original. Encouragé,
il dessine, il peint; il s'aperçoit qu'il est né
peintre, que c'est sa vocation; il s'y livre, et,
en peu de temps, il devient un des maîtres
les plus estimables de l'Italie. » Ce qu'il y a
de certain, c'est qu'il vint très-jeune a Rome ;
qu'il y étudia avec ardeur les œuvres de Ra-
phaël et des autres grands maîtres de l'école ro-
maine, et qu'il.partagea, avec Raphaël Mengs,
la gloire de donner à cette école un dernier
lustre. Il fut créé chevalier, et jouit, jusqu'à
R fin de sa longue carrière, d'une immense
réputation. Il peignit des sujets religieux, des
tableaux d'histoire, et fit un grand nombre de
portraits, entre autres ceux des papes Be- -
noît XVI, Clément XII, Pie IV, de l'empereur
Joseph II et de son successeur Léopold II, du
grand-duc et de la grande-duchesse de Mos-
covie, etc. Le chevalier Boni, qui a écrit son
éloge [Elogio del cavalière Pompeo Batoni,
Rome, 1787, in-8°), a dit : « Raphaël Mengs
fut le peintre de la philosophie, Batoni fut
celui de la nature. Celui-ci avait un goût na-
turel, qui le portait vers le beau sans qu'il s'en
aperçût ; celui-là y arriva par l'étude et par
la réflexion. » Suivant Lanzi, la nature fut le
véritable modèle dont s'inspira Batoni:" «C'est
à elle qu'il emprunta cette incroyable variété
de têtes de physionomies, de beautés de
toute espèce, que les grands maîtres mêmes
laissent quelquefois à désirer, parce que l'en-
thousiasme du beau idéal les entraîne trop
loin. Ce fut d'elle encore qu'il prit les mouve-
ments et les expressions les plus analogues à
chaque sujet. Son coloris est net, vif, bril-
lant, et, même après un grand nombre d'an-
nées , il conserve sa fraîcheur. Batoni se
jouait avec son pinceau, et tout chemin était
sûr pour lui. Il peignit tantôt par empâte-
ments, tantôt par touches ; quelquefois il ter-
minait son travail par de simples traits; quel-
quefois il en résumait pour ainsi dire l'en-
semble, et lui donnait la vigueur nécessaire
avec une seule ligne. Il peignit en miniature
pendant quelque temps, et il appliqua le soin et
la précision que comportait ce genre aux
peintures d'une plus grande importance, sans
tes affaiblir par de la sécheresse, * Le juge-
ment de la postérité n'a pas complètement
sanctionné ces louanges données à Batoni par
ses contemporains.il faut reconnaître, cepen-
dant, que les œuvres de cet artiste sont, en gé-
néral, d'un caractère très-gracieux, et qu'elles
ont conservé une grande fraîcheur de coloris.
Elles sont assez rares en France (le Louvre
n'a qu'une Madone), ce qui explique, jusqu'à
un certain point, pourquoi l'auteur n'y jouit
pas de toute l'estime qu'il mérite. C'est en
Italie qu'il faut l'étudier, car c'est là que sont
ses meilleures productions. Il nous suffira de
citer : à Rome, le Mariage de sainte Cathe-
rine- au Quirinal ; la Chute de Simon le Ma-
gicien aux Chartreux; Sainte-CeIse, dans
l'église de ce nom ; à Lucques, le Martyre de
saint Barthélémy, dans l'église des Olivétatns ;
à Florence, l'Education d'Achille et Achille
reconnu par les filles de Nicomède, au musée
des Offices, Hercule entre le Vice et la Vertu
et Hercule étouffant des serpents, au palais
Pitti; au musée de Parme, Vénus, l'Amour
et Chiron; au musée Brera, à Milan, une
Vierge entourée d'anges et de saints ; au musée
de Turin, la Sainte Famille, Hercule entre le
Vice et la Vertu, Enée portant Anchise, le
Retour de l'enfant prodigue; à Venise, dans la
galerie Manbrini, le Triomphe de Venise. Le
musée de Munich possède le portrait de l'ar-
tiste ; le musée de Dresde, un Saint Jean-Bap-
tiste, la Madeleine pénitente et une allégorie
représentant les Arts plastiques.

BÀTONNABLE
adj. (bâ-to-na-ble — rad.
bâton). Qui mérite des coups de bâton :
Le héros de son roman est /7*ès-BÂTONNAB"LE.
(Scarron.) il Peu usité.

BÂTONNAGE
s. m. (bâ-to-na-je — rad.
bâton). Art vétér. Opération qui consiste à
chatouiller, à l'aide d un bâton, le palais d'un
animal metéorisé, pour lui procurer des
éructations.
— Techn. Mise en bâtons de substances
fondues : Le BÂTONNAGE de la réglisse, de la
cire d'Espagne.

BÂTONNANT
(bâ-to-nan) part. prés, du v.
Bâtonner : Oui, j'accorde le bâton; je trouve
que cet ours BÂTONNANT contre des chiens sera
un spectacle réjouissant. (E. Sue.)

BÂTONNAT
s. m. (bà-to-na—- rad. bâton).
Dignité du bâtonnier; exercice de ces fonc-
tions : Etre honoré du BÂTONNAT. Son premier
BÀTONNAT. Ce grand avocat n'a pu obtenir les
honneurs du BÂTONNAT. Cette condition explique
pourquoi le nombre des candidats au BÂTONNAT
ne dépasse jamais le chiffre deux. (Alhoy.) Les
honneurs de l'empire allèrent chercher M. De-
lamalle dans l'exercice du BÂTONNAT. (O. Pi-
nard.)

BÂTONNÉ
ÉE (bâ-to-né) part. pass. du v.
Bâtonner. Frappé à coups de bâton : Il a été
rudement BÂTONNÉ.
— Biffé, raturé : Trois lignes BÂTONNÉES.
— Econ. dom. Linge bâtonné, Linge plié à
petits plis.
— Substantiv. Personne frappée à coups de
bâton : Quelque temps après, le BÂTONNÉ me-
naça un poète. (Journ.)

BÂTONNÉE
s. f. (bà-to-né — rad. bâton).
Mar. Quantité d'eau fournie par un coup de
bâton ou tige de pompe.

BÂTONNEMENT
s. m. (bâ-to-ne-man —
rad. bâton). Art vétér. Coups de verge ré-
pétés sur le ventre d'un animal, pour dé-
terminer l'expulsion des gaz, dont la pré-
sence constitue la météorisation.

BÂTONNER
v. a. ou tr. (bâ-to-né — rad.
bâton). Frapper avec un bâton : Le duc d'E-
pernon fit rudement BÂTONNER Bautru pour
mie plaisanterie qu'il s'était permis de lui faire.
(***) Veux-tu deux de mes gens qui te BÂTON-
NERONT? (Mol.) Anglais, Suisses, Allemands,
Prussiens, tous BÂTONNENT le soldat. (P.-L.
Cour.) Le chevalier de Rohan fit BÂTONNER
Voltaire : Voltaire fut mis à la Bastille.
(Vacquerie.) Il était modestement juché sur
un âne, dont un fellah BÂTONNAIT la maigre
croupe. (Th. Gaut.) Si c'est un manant, qu'on
le BÂTONNÉ; si c'est un créancier, qu'on le
jette à la porte. (X. Marinier.)
— Rayer, biffer : BÂTONNER un article dans
un compte.
— Jeux. Bâtonner une bille, Frapper une
seconde fois de la queue une bille qu'on avait
mal frappée d'abord.
— v. n. ou intr. Jouer, s'escrimer du bâton.
H Peu usité.

BÂTONNET
s. m. (bâ-to-nè — dim. de
bâton). Petit bâton.
— Carrelet, règle à quatre faces.
— Jeu. Petit bâton aminci par les deux
bouts, que les enfants s'amusent a faire sauter,
en le frappant avec un bâton ordinaire :
Faire sauter le BÂTONNET. Le BÂTONNET est
perdu, n Jeu où l'on se sert du bâtonnet : Le
BÂTONNET n'est pas un jeu sans danger. -
— Prov. Il n'a pas de chance au bâtonnetJ
Il est malheureux ou maladroit.
— Art vétér. Petit morceau de bois dont
on se sert, dans la saignée avec la flamme,
pour faire pénétrer brusquement la pointe
de l'instrument par un coup sec du bâtonnet.
— Moll. Nom vulgaire d'une espèce de côno.
— Encycl. Jeu. Le bâtonnet se joue à deux.
Celui que le sort a désigné se place au centre
d'un cercle tracé sur la terre : c'est le maître
du cercle. Il tient à la maiu une baguette assez
grosse, dont la longueur varie de 60 à 80 cent.
L'autre joueur, ou le servant, se poste en face
de son adversaire, à une certaine distance : il
a pour instrument un bâtonnet, c'est-à-dire un
petit bâton, long de 6 à 8 cent., qui est pointu
par les deux bouts comme une navette de tis-
serand. Voici maintenant en quoi consiste le
jeu. Le servant lance le bâtonnet dans la
direction du cercle, et s'efforce de le faire
entrer dans le cercle même. De son côté, le
maître s'étudie à repousser le bâtonnet en
l'arrêtant à la volée avec sa baguette, et soit
qu'il y réussisse ou que le bâtonnet tombe hors
du cercle, il sort du cercle et il a le droit de
frapper trois fois le bâtonnet sur l'un des bouts,
de manière à le faire sauter, et, chaque fois,
il peut encore l'éloigner davantage par un
second coup, avant qu'il ait touché la terre.
Mais aussitôt qu'il a donné le troisième coup,
il doit se hâter de regagner son cercle pour le
défendre, comme aussi le servant doit em-
ployer son adresse et sa vivacité à lancer
ledit bâtonnet dans le cercle, afin de ne pas
donner à son adversaire le temps de se mettre
en garde. Quand le servant parvient à faire
tomber le bâtonnet dans le cercle, il devient
maître à son tour, et se fait servir.

BÂTONNIER
s. m. (bâ-to-nié — rad. bâton).
Membre d'une confrérie, qui porte le bâton
aux processions.
— Jurispr. Titre donné au chef de l'ordre
des avocats inscrits près d'une cour ou d'un
tribunal : Le BÂTONNIER a été réélu. Les avo-
cats sont convoqués pour l'élection du BÂTON-
NIER. Le nom de BÂTONNIER apparaît pour la
première fois en 1602, dans un arrêt du parle-
ment, qui mande à sa barre le BASTONNIER DES
AVOCATS. (M. Billecoq.) Ce parfait avocat nous
a donné de bons exemples et de bons écrits ; il
a été parmi nous le meilleur des confrères et le
modèle des BÂTONNIERS. (Dupin.)
— Techn. Ouvrier qui s'occupe exclusive-
ment de la confection des fauteuils, des chaises,
des tabourets et sièges mobiles, faits en gé-
néral do bois carré et contourné : Da?is la
division des attributions, le tourneur, en chaises
ne doit faire que les bois ronds assemblés car-
rément à trous et tenons ronds ; c'est le BÂTON-
NIER qui fait les ceintures des chaises et des
fauteuils ouvragés. (Désormeaux.)
— Encycl. Hist. et législ. Les avocats au
parlement de Paris sentirent de bonne heure
le besoin d'avoir un chef, défenseur de leurs
intérêts, représentant de leur ordre et gardien
de la discipline. Ils confièrent ce mandat à
celui d'entre eux qui, en qualité de chef d'une
confrérie de Saint-Nieolus, établie à la cha-
pelle du Palais en 1342, portait, aux réunions
de cette confrérie, le bâton revêtu d'argent,
insigne de sa dignité, d'où le nom de bâton-
nier. La confrérie de Saint-Nicolas se com-
posait des procureurs établis prgs du parle-
ment ; ils acceptèrent d'avoir à la tête de leur
communauté un avocat, qui devint en même
temps le chef de ses confrères. Ceux-ci don-
nèrent d'abord le bâton à leur doven, c'est-à-
dire au plus ancien d'entre eux, d après l'ordre
du tableau ; plus tard, on procéda par voie
d'élection ; mais, en fait, le choix tomba pres-
que toujours sur le plus ancien des avocats.
Chaque année, le 9 mai, jour de la Saint-Ni-
colas d'été, on élisait le bâtonnier : cette fonc-
tion honorifique devint assez onéreuse ; car
l'usage imposait au nouvel élu l'obligation de
verser 1,000 livres à la caisse de la commu-
nauté, pour être employées à des secours de
charité. Les frais de l'office de Saint-Nicolas,
et d'autres dépenses, évaluées à environ
1,000 livres, étaient en outre mis à la charge
du bâtonnier. La mission principale de ce der-
nier était de dresser le tableau de l'ordre dé-
posé tous les ans, le 9 mai, au greffe du par-
lement de Paris. Le plus ancien bâtonnier dont
on ait gardé le souvenir est Denis Doujat, élu
en 1617 ; le premier acte dans lequel il soit
parlé d'un bâtonnier est une relation du con-
seil secret du parlement (21 mai 1602), où il
est dit que le bastonnier des avocats avait été
mandé par le procureur général. On a la liste
complète de tous ceux qui furent élus depuis
1708 jusqu'à la suppression de l'ordre : uu
seul, le dernier, Tronchet, nommé en 1790, a
laissé un nom connu. Ses prédécesseurs
étaient sans doute, à l'époque de leur élection,
des avocats estimés, mais il n'est resté d'eux
qu'un nom sans célébrité.
Les usages du barreau de Paris furent sui-
vis dans les provinces, en ce qui touche l'é-
lection d'un chef de l'ordre et ses attributions;
mais le titre de bâtonnier ne fut pas admis
partout : à Rouen, notamment, il fut remplacé
par celui de syndic.

" La loi du 22 ventôse an XII, qui prescrivit la
formation d'un tableau d'avocats, ne rétablit
pas l'institution du bâtonnat, mais le' décret
du 14 décembre 1810 combla cette lacune, en
donnant pour chef à chaque barreau un bâ-
tonnier nommé par le procureur général. Plus
tard (1822), cette nomination fut attribuée au
conseil de discipline de l'ordre, ou'au tribunal
de l re instance dans le cas où le nombre des
avocats inscrits serait inférieur à vingt. En
1830, le gouvernement donna aux avocats le
droit, dont ils jouissaient, sans conteste, avant
1789, d'élire directement le bâtonnier, droit
dont ils ont été privés de nouveau en 1852 :
aujourd'hui, le bâtonnier est nommé par le
conseil de discipline, et doit être choisi parmi
les membres de ce conseil. Lorsque le nombre
des avocats est inférieur à six, le tribunal
remplit les fonctions de conseil de discipline,
et désigne comme bâtonnier un des avocats.
Il est d'usage, dans un grand nombre de bar-
reaux, d'élire le même Bâtonnier deux années
de suite. V. AVOCAT.
Le bâtonnier est chef de l'ordre, dépositaire
du tableau, président du conseil de discipline,
?u'il est chargé de convoquer, et il est tenu de
aire exécuter ses décisions : il représente l'or-
dre vis-à-vis de ses confrères, sur lesquels il a
un droit de surveillance, et vis-à-vis des corps
judiciaires. C'est à lui que sont notifiées les
décisions prises par ces derniers à l'égard de
l'ordre. Il est le défenseur naturel de ses con-
frères: dans les conflits qui naissent quelque-
fois entre un avocat et la cour (ou le tribunal)
devant laquelle il plaide, le bâtonnier n'hésite
jamais à venir, seul ou assisté de membres du
conseil, prendre la parole en faveur de l'avo-
cat menacé. Dans les barreaux où sont éta-
blies des conférences de stagiaires, le bâton-
nier en est le président-né : il les dirige, s'as-
socie à leurs travaux, et apporte à ces réunions
le concours de son expérience. A Paris, la
conférence est solennellement ouverte, chaque
année, par un discours du bâtonnier, qui est
moins une œuvre oratoire qu'une allocution
familière, pleine de bons conseils et de sages
réflexions sur l'exercice de la profession.
Quelques-uns sont restés comme des modèles
du genre . nous citerons ceux que M. Liou-
ville a prononcés pendant les deux années de
son bâtonnat, et dans lesquels il a envisagé le
barreau sous toutes ses faces ; histoire, légis-
lation, tradition, coutumes, droits, devoirs;
ils ont été publiés, avec notes, documents et
commentaires, sous ce titre : Devoirs, hon-
neurs, avantages, jouissances de la profession
d'avocat (1857, in-12).
Le bâtonnat est un honneur très-envié et
très-désiré : il est une attestation de talent,
d'indépendance et de probité. A Paris, sur-
tout, où le nombre des avocats est considéra-
ble, où l'ordre renferme des mérites si écla-
tants, il est honorable d'être appelé à porter
ce beau titre, d'autant plus qu'il est déféré à
l'avocat par ses pairs. Nous donnons ici la
liste, depuis 1810, des bâtonniers qui se sont
succédé à la tête de ce grand barreau :
Delamalle 1811
Delacroix-Frainville . - . 1812-1815
Fournel ' 1816
Bonnet 1817
Archambault 1818-1819
Delahaye 1820
Billecoq 1821-1823
Garral 182-1-1825
Pantin 1826-1827
Thévenin 1827-1828
Louis IS29
Dupin aîné 1830
Mauguin 1830-1832
Parquin 1833
Phil. Dupin 1834-1835
Delangle 1836-1837
Teste 1838
Pa'ûlet 1839
Marie 1840-1S41
Chaix-d'Est-Ange .... 1842-1S43
Duvergier 1844-1845
Baroche 1846-1847
Boinvilliers 1848-1849
Gaudry 1850-1851
Berryer 1852-1853
Bethmont -. . 1854-1855
Liouville 1856-1857
Plocque 1858-1859
Jules Favre 1860-1861
Dufaure 1862-1863
Desmarets 1864-1865
La date oui accompagne chaque nom est
celle de l'élection. Chaque exercice com-
prend, en général, une ou deux années ju-
diciaires, c'est-à-dire du mois d'août au mois
d'août.
Presque tous les noms que nous venons de
citer sont célèbres : de tous ces bâtonniers,
quelques-uns ont pris place au Sénat, au Con-
seil d'Etat et dans l'administration: M. Dupin
aîné, procureur général à la cour de cassa-
tion, président de l'Assemblée législative et
sénateur; M. Delangle, procureur général,
sénateur,garde des sceaux; M. Chaix-d'Est-
Ange, procureur général, sénateur, vice-
président du Conseil d'Etat; M. Baroche, pré-
sident du Conseil d'Etat, ministre de la justice ;
MM. Boinvillîers et Duvergier, conseillers
BAT
d'Etat, sont des preuves éclatantes du discer-
nement avec lequel les avocats choisissent
leurs bâtonniers. D'autres, plus amoureux de
leur profession, plus soucieux de leur indé-
pendance, méritent également les sympathies
publiques, bien qu'ils aient pris moins de
part au gâteau officiel des rois. Les Mau-
guin, les Marie, les Liouville, les J. Favre,
les Berryer, ont trouvé leur récompense dans
la profession qu'ils aiment et dans l'estime
de leurs confrères, estime à laquelle toute la
France s'associe ; et ici le Grand Dictionnaire
regrette un nom, Me Lachaud, l'orateur le
plus profondément sympathique du barreau
français.
j— Bibliog. Consulter les divers ouvrages
que nous avons indiqués, sous les rubriques
AVOCAT et BARREAU, et notamment le Barreau
au xixe siècle, par M. O. Pinard.

BATONNISTE
s. m. (bâ-to-ni-stc — rad.
bâton). Personne qui sait manier le bâton et
s'en servir comme d'une arme : Max essaya
d'un moulinet, en manœuvrant son sabre avec
une dextérité de BÂTONNISTE. (Balz.)

BÂTON-ROUGE
ville des Etats-Unis d'A-
mérique, capitale politique et siège de la lé-
gislature de l'Etat de la Louisiane, depuis
1848. C'est une jolie petite ville franco-espa-
gnole, construite sur le dernier morne qu'on
rencontre en descendant le Mississipi, à 81 k.
en avant de la Nouvelle-Orléans, par consé-
quent à près de 250 Tûï. des bouches du
fleuve. 5,625 hab. Collège, arsenal, pénitencier
de la Louisiane.
Des Français qui, dans la première moitié
du xvine siècle, remontaient le cours du Mis-
sissipi, à la recherche d'un .emplacement con-
venable, s'arrêtèrent en un lieu où se dres-
sait , tout à fait isolé, un énorme cyprès
complètement décortiqué et garni, à son
sommet seulement, d'un bouquet de feuilles.
On sait que, sous leur écorce, les arbres rési-
neux ont une apparence rougeâtre. De là le
nom de Bâton-Rouge ^onDé à la nouvelle
ville.
Pendant la guerre de la sécession, cette
ville fut prise, le 25 avril 1862, par Farragut,
commandant les troupes fédérales, reprise
peu après par les sudistes, et soumise de nou-
veau par les soldats du Nord, sons les ordres
du général Banks.

BATOQUE
s. f. (ba-to-ke). Syn. de bo-
toque.

BATOSCÈLE
s. m. (ba-to-sè-le — du gr.
batos, buisson; skélis, cuisse). Entom. Genre
d'insectes coléoptères pentamères, de la fa-
mille des carabiques, dont l'espèce type vit
au Bengale.

BATOOM
ville de la Turquie d'Asie, pa-
chalik et à 130 kil. N.-E. de Trébizonde, port
sur la mer Noire; 8,000 hab. Sol extrêmement
fertile, et produisant en abondance des gre-
nades, des oranges et des figues.
BATOURINE. V. BATHURIN.

BATOURNER
v. a. ou tr. (ba-tour-né).
Techn. En parlant des douves d'un tonneau,
Les mesurer pour les égaliser aiTbesoin.

BATRACHIDÉE
s. f. (ba-tra-ki-dé — du
gr. batraehos, grenouille : idea, forme). En-
tom. Genre d'insectes orthoptères, de la fa-
mille des sauterelles, démembré du genre
te tri x.

BATRACHION
s. m. (ba-tra-ki-on — du gr.
batraehos, grenouille). Entom. Genre d'in-
sectes coléoptères pentamères, de la fa-
mille des carabiques, voisin des harpales, et
comprenant trois espèces, qui vivent au
Mexique.
— Bot. Ancien nom de la renoncule bul-
beuse, vulgairement appelée GRENOUILLETTE.

BATRACHITE
s. f. (ba-tra-ki-te — du gr.
batraehos, grenouille). Miner. Corps gris ver-
dâtre que l'on rencontre dans leTyrol,etqui
est une variété de péridot.
— Antiq. Pierre verdâtre, qui passait pour
provenir de la tête du crapaud, et qu'on disait
efficace contre toutes sortes de venins.

BATRACHOCÉPHALE
adj. (ba-tra-ko-sé-
fa-le — du gr. batraehos, grenouiLle; kephalê,
tête). Zool. Dont la tête ressemble à celle de
la grenouille.

BATRAGHOGRAPHE
s. m. (ba-tra-ko-gra-fe
— du gr. batraehos^ grenouille; graphe, j'é-
cris). Celui qui a écrit des traités spéciaux
sur les batraciens.

BATRACHOGRAPHIE
s. f. fî — rad. batrachographe). Description des
grenouilles et des batraciens.

BATRACHOÏDE
adj. (ba-tra-ko-i-de — du
gr. batraehos, grenouille; eidos, aspect). Zool.
Qui ressemble à la grenouille.
— s. m. Ichthyol. Genre de poissons acan-
thoptérygiens, voisin des baudroies, à tête
large et plate, qui rappellent la forme des
têtards de grenouilles : L'espèce de BATRA-
CHOÏDE vulgairement appelée tau habite les
mers" de l'Europe. L'appareil branchial des
BATRACHOÏDE s n'a que trois lames de'chaque
côté. (G. Bibron.)
Bntracliomyomachio (LÀ) , c'est-à-dire le
Combat des rats et des grenouilles, petit poème
burlesque, en un seul chaut de deux cent
quatre-vingt-quatorze vers, communément
attribué à Homère, mais qui n'appartient évi-
demment pas à l'immortel auteur de 1Iliade
BAT
et de l'Odyssée. Cette parodie de la poésie
dénote un état plus avancé de la civilisation.
Le sujet de la Batrachomyomachie est extrê-
mement simple.,Psicarpax (Pille-Miettes), fils
de Rodilard, roi des rats, après avoir échappé
aux poursuites d'un chat, vient rafraîchir sa
barbe et se désaltérer dans les eaux limpides
d'un lac. Physignathe (Joues-liout'ties), reine
des grenouilles, l'aperçoit et lui tient des dis-
cours flatteurs, pour l'attirer dans son empire.
L'imprudent Psicarpax s'élance sur le dos de
Physignate. Mais bientôt un serpent se montre,
et Physignate, plongeant dans les eaux pour
lui échapper, laisse le malheureux Psicarpax
se débattre sur l'onde : il meurt en invoquant
le courroux des dieux et la vengeance des
rats. Rodilard, instruit de la mort de son fils,
et après avoir gémi et pleuré sur le corps de
Psicarpax, comme Priain sur celui d'Hector,
appelle an combat tous les rats contre les
grenouilles.
Voilà les deux armées en présence. Jupiter
convoque les dieux dans le ciel étoile, et, leur
montrant cette multitude guerrière, demande
en souriant quels sont, parmi les immortels,
les protecteurs des grenouilles et ceux des
rats. «.Ma fille, dit-il à Minerve, iras-tu au se-
cours des rats? Car ils ne cessent de former
des chœurs de danse au milieu de ton temple,
réjouis par l'odeur des sacrifices. » Le fils de
Saturne parla ainsi, et Pallas répondit : « O
mon père, je n'irai jamais au secours des rats
dans leurs plus grands désastres ; ils m'ont
trop outragée en brisant mes couronnes, en
cassant mes lampes pour en avoir l'huile. 11
vit dans mon cœur le souvenir de leurs sacri-
lèges. Ce voile même que j'avais filé de mes
mains et tissé moi-même avec tant de com-
-plaisance, ce voile dont la trame déliée était
ouvragée avec tant d'art, ils l'ont rongé, ils y
ont fait mille trous. Celui qui l'a racommodé
me poursuit et exige de gros intérêts ; je n'ai
pu même encore payer la laine que j'avais prise
à crédit. » On remarquera que ce langage de
Minerve rappelle bien plutôt la licence d'Aris-
tophane que la simplicité d'Homère. Evidem-
ment, il y a ici intention flagrante de tourner
en dérision les interventions des dieux dans
les combats des hommes.
Minerve poursuit : « Je n'irai pas non plus
au secours des grenouilles, car elles n'ont au-
cune vénération pour moi. Tout récemment,
je revenais de la guerre, accablée de fatigue et'
de sommeil : leurs criailleries ne me permirent
pas de fermer l'œil; je restai sur mon lit sans
dormir jusqu'au chant du coq. Dieux et déesses,
je vous en prie, qu'aucun de nous n'aille se-
courir les combattants, de peur que leurs traits
aigus ne nous déchirent. Ils sont si hardis, ces
héros, qu'ils attaqueraient même un dieu, s'ils
le rencontraient dans la mêlée. Restons tous
ici, et, du haut du ciel, soyons tous spectateurs
de cette bataille. »
Minerve, on le voit, n'a pas oublié la bles-
sure que Vénus a reçue de Diomède-, elle re-
doute quelque Diomède rat ou grenouille. Per-
suadé par la déesse de la sagesse, l'Olympe
observe la neutralité. Cependant, deux hé-
rauts, s'avançant entre les deux camps, don-
nent le signal de l'attaque. Armées de longues
trompettes, des mouches sonnent avec ardeur
de l'instrument belliqueux, et Jupiter fait rou-
ler son tonnerre pour annoncer le moment
solennel. Le combat commence; l'auteur nous
en fait une description tout à fait homérique ;
il nous dit les noms des héros, les coups ter-
ribles qu'ils portent, les blessures qu ils re-
çoivent, le sang qui coule et dont la terre
s'abreuve, les yeux qui se voilent d'éternelles
ténèbres, les âmes qui s'envolent. Pendant
quelque temps , la victoire paraît indécise.
Mais voici qu'un jeune rat, le brave Méridar-
pax (ravisseur de morceaux), s'empare d'une
éminence voisine de l'étang au bord duquel le
combat est engagé, et là, aux acclamations
de ses compagnons, jure d'exteririiner la race
entière des grenouilles. Il l'eût fait, tant était
grande sa force, si le père des dieux et des
hommes n'eût regardé d un œil de miséricorde
les grenouilles si près de leur fin. Le fils de
Saturne veut envoyer Mars et Pallas pour
éloigner du combat ce rat invincible, l'Achille
des rats. Mars répond que ni lui ni Pallas ne
pourront rien contre un bras si formidable ; il
faut ou que tous les dieux ensemble se réu-
nissent pour exterminer le héros, ou que Ju-
piter, secourant les grenouilles,-lance enfin
contre leurs ennemis ce redoutable tonnerre
dont il frappa la race sauvage des géants et
des Titans formidables. Mars parla ainsi, et
le fils de Saturne lança la foudre vengeresse.
Au bruit du céleste courroux, le vaste Olymtfe
s'ébranle, et le trait enflammé, terrible, s e-
chappe en tournoyant de la main toute-puis-
sante du roi des dieux. Rats et grenouilles
tremblent de terreur; mais les rats se rani-
ment, redoublent d'acharnement, frappent,
renversent, et font un carnage affreux. Jupi-
ter voit sa foudre impuissante; pour sauver
l'espèce vaincue d'une entière destruction, il
est forcé de recourir à un autre expédient. Il
lui envoie des défenseurs au dos armé d'en-
clumes, aux pinces recourbées, à la démarche
oblique, dont la gueule est armée de ciseaux,
le corps couvert d'écaillés, les jambes tortues,
qui ont huit pieds, etc., en un mot, des crabes.
Ces nouveaux combattants répandent une
terreur panique parmi les rats, qui prennent
tous la fuite. Mais déjà le soleil descendait au
couchant ; de sorte que la bataille finit avec
le jour.
BAT 371
Nous possédons dans notre langue, sous le
nom de Guerre comique, une imitation, en trois
chants, de la Batrachomyomachie. L'auteur en
est inconnu; son œuvre parut en 1768,,une
deuxième édition en 1S0S et une troisième en
1837, donnée par M. Berger de Xivrey, à la
suite de sa traduction de la Batrachomyoma-
chie. Nous en citerons le fragment suivant,
qui comprend le récit de la rencontre du rat
et de la grenouille, sous d'autres noms que
ceux des héros du poëme grec.
Un rat venant de la campagne,
Altéré, pour un chat d'Espagne
Qui l'avait talonné de près,
Passait un jour dans un marais
Où, par hasard, une grenouille,
Qui faisait faire la patrouille,
Le vit comme il buvait un doigt.
Et, s'arrêtant au même endroit,
Lui dit : - Que fais-tu là, compère?
— Compère! dit-il en colère;
Peut-être bien Monsieur pour toi.
— Aussi, le cro's-je en bonne foi,
Répartit l'autre; et, par la barbe!
On vous prendrait, a votre garbe,
Pour quelque rat de qualité,
Si vous n'étiez pas si crotté.
C'est pourquoi, Monsieur, si vous l'êtes.
Sans vous fâcher comme vous faites,
Dites-nous un peu votre nom.
Avez-vous quelque affaire ou non
Qui vous retienne en cette terre?
Que nous buvions dans votre verre. *
Le rat regarda fièrement
La grenouille, à ce compliment,
Et, recoquillant sa moustache :
- Je suis, dit-il d'un ton bravache,
Puisque tu veux savoir mon nom,
Le valeureux Croquelardon,
Dont l'immortelle renommée
"Par toute la terre est semée;
11 n'est pays si reculé
Où ce grand nom ne soit allé,
Province ni terre habitable
Où ma présence redoutable
Ne fasse pâlir l'usurier
Et trembler le lard au charnier. -
La grenouille se fait connaître à son tour et
dit au rat :
- C'est moi qui commande à baguette
Sur le peuple à verte jaquette
Dans tout le pays du cresson.
Boursouflé^ premier de ce nom.
M'a laissé, pour mon apanage,
Héritier de ce marécage. «
Elle invite ensuite le rat à visiter son palais,
et lui offre de le prendre sur son dos pour faire
la traversée.
Croquelardon, dont l'humeur Aère
Rebutait tant les gens naguère,
Oyant ce discours obligeant.
Devint aussi souple qu'un gant.
Qu'en advint-il? A*u bout du compte.
Le rat sur la grenouille monte,
A l'aide d'un rat estafier
Qui lui vint tenir l'étr'ter;
Et, sans connaître la monture,
Il met son corps à l'aventure.
Ce ne fut, au commencement.
Que ris et divertissement.
Tant qu'il vogua près du rivage.
Il discourait du paysage.
En passant dessous les arceaux
Des grands cabinets de roseaux,
Il raisonnait sur les cascades,
Les nappes d'eau, les balconnades.
Prisait la grandeur des palais,
Parlait d'y danser des ballets.
Et cent autres contes pour rire
. Que l'enjouement lui faisait dire.
Mais quand ce vint en pleine mer.
Que le cœur lui devint amer!
Lorsqu'il vit derrière sa queue
La. terre loin d'un quart de lieue,
Trois fois sa poitrine il frappa
D'un furieux mea culpa;
Et, se tirant par les moustaches :
- Il n'est que le plancher des vaches.
S'écria-t-il, pour voyager!
Sur mer, on court toujours danger;
Et, par ma foi, si j'en réchappe,
De ma vie on ne m'y rattrape.
La peste ! il faut être bien fou
D'aller courir le guilledou.
Au hasard de faire naufrage.
S'il fallait qu'il vtnt un orage,
Où diantre en serais-je réduit
Pour m'étre embarqué sans biscuit? -
Comme il disait ces belles choses,
Qu'on lit dans le3 Métamorphoses,
La grenouille vit un serpent.
Long de six pieds et d'un empan,
Qui s'en venait, Va gueule ouverte,
La gober, comme une huître verte.
Aussitôt, baissant le menton,
Elle fit un saut de mouton,
Moyennant quoi la maie bête
Jeta le rat le cul sur tête.
Et pui3, en criant au renard,
Fit le plongeon comme un canard.
Ainsi, le rat, faute d'adresse,
Fut contraint, en cette détresse,
Pour n'avoir appris à nager.
De boire beaucoup sans manger.
Il plonge, il barbote, il patrouille,
Dit rage contre la grenouille,
Prend le ciel contre elle à témoin;
Mais le ciel en était bien loin.
372
- Ses bottes à la cavalière
Avaient par trop de genouillère;
En remuant les paturons»
Il 6e prenait aux éperons;
Tantôt il sortait hors de l'onde,
Tantôt rentrait; car sa rotonde,
Qui comme une éponge buvait,
De son propre poids l'aggravait.
Enfin, voyant l'heure fatale
Qu'il lui fallait plier sa malle.
Regardant tristement les cieux,
Il en cria vengeance aux dieux
Et fit, en ce triste accessoire,
Mainte oraison jaculatoire.
Que les dieux n'écoutèrent pas,
Car ils ont bien d'autre embarras.
Telle fut la fin déplorable
De ce héros incomparable,
Qui méritait que son roman
Se terminât bien autrement.
. Son corps, flottant au grés de l'onde,
Fut longtemps errant par le monde;
On n'en revit jamais à bord
Ni pied ni patte après sa mort.
Batfacbomyomachio (LA) de Rollenhagen.
En allemand, ce poème satirique et politique
s'appelle Froschmaeusler. Rollenhagen, né
en 1542 à Berlin, était de son vivant recteur à
Magdebourg. Il s'occupa beaucoup de littéra-
ture, et composa nombre de comédies, que ses
élèves représentaient par toute la Saxe ; mais
il établit sa réputation, qui dure encore, par la
publication de son Froschmaeusler. Ce poème,
qui a plus de dix mille vers, peut être regardé
comme le pendant deRenielce le Renard. Déjà,
en 156G, Rollenhagen, avait assisté, àWitten-
berg, à des conférences sur la Batrachomyo-
machie d'Homère, faites par le docteur
Winsheim.
L'œuvre d'Homère lui plut, il occupa ses
loisirs à la traduire en allemand , et il soumit
plusieurs fragments de son travail à son pro-
fesseur, qui lui donna l'idée d'appliquer la
même forme aux événements du jour. Le dis-
ciple, enchanté de ce conseil, se mit à l'œuvre ;
mais la mort de Winsheim vint refroidir son
enthousiasme, et ce ne fut qu'en 1595, après
de mûres réflexions, qu'il publia cette con-
ception de sa jeunesse, que l'âge avait dû
modifier. Durant toute sa vie, il s'était préoc-
cupé des événements politiques et, pendant
deux années, il avait publié" le Messager
boiteux, une espèce de journal en vers , dans
lequel il comparait les éternelles dissensions
des calvinistes et des luthériens à la guerre
des grenouilles et des rats, à laquelle la ci-
gogne espagnole mettait un terme en ava-
lant les combattants des deux camps. L'idée
mère poursuivait constamment Rollenhagen.
Son but était le même que celui de tous les
esprits satiriques qui l'avaient précédé : dire
la vérité à l'humanité en riant, puisqu'elle ne
voulait pas l'entendre ou ne savait plus la
comprendre quand elle se présentait sous une
forme sérieuse. Jusqu'à lui, la poésie didacti-
que ne s'était occupée que de sujets religieux
ou moraux; elle étendit son empire sur les
matières mondaines et-politiques. Moschen-
rosch, dont notre poète prépara si admirable-
ment la voie, devait achever l'œuvre com-
mencée, et conquérir pour le genre didactique
le droit de toucher à tous les domaines.
Rollenhagen expose lui-même le contenu de
son poème de la manière suivante : « Puisque,
dit-il, on n'écoute pas les conseils de la sa-
gesse , soit qu'ils viennent de Dieu , soit qu'ils
viennent des hommes, on les appréciera peut-
être quand ils seront mis dans la bouche des
grenouilles ou des rats. Si je réussis, ce sera
grâce à Dieu; sinon, c'est que j'aurai bien
pensé, mais mal parlé. Dans le premier livre,
le rat dira ce qui se passe dans son monde;
dans le deuxième, la .grenouille exposera ce
qui se fait dans sa société, et dans le troisième,
le rat et la grenouille se feront la guerre. C'est
ainsi que finit le poème, et l'on y apprend
comment il faut vivre, gouverner, et quelle
conduite on doit tenir en temps de guerre.
Celui qui fera sur tout cela des réflexions sa-
ges aura bien profité de ses loisirs; mais ce-
lui qui n'y cherchera qu'une occasion de rire
fera mieux de s'endormir, car un pareil effet
n'a pas été le but de l'auteur. »
Nous ne parlerons pas de l'action, qui est
tout à fait insignifiante, et complètement étouf-
fée par les nombreuses échappées didactiques
du poète; il n'est pas davantage nécessaire de
s'occuper des emprunts faits à l'œuvre d'Ho-
mère ; ceux-ci sont sans aucune importance.
L'élément germanique domine, et le ton de la
fable de l'antiquité, tel que Phèdre et Esope
nous l'ont transmis, est abandonné, pour faire
place au langage vigoureux que Luther avait
mis à la mode. La valeur poétique de l'ou-
vrage est presque nulle ; des longueurs insup-
Ïjortables, des digressions oiseuses, des inéga-
ités dans la composition, sont à noter à chaque
instant; mais le tout n'en reste pas moins une
œuvre originale, qui touche a toutes les ques-
tions brûlantes de l'époque, et donne un ta-
bleau fort exact, et par cela même pour nous
très-précieux, des mœurs du jour. Du premier
livre ressort la leçon que tout ici-bas a son
ennemi naturel ; le renard même, malgré toute
sa ruse, est trompé par ceux qui exploitent sa
cupidité. Sous la-forme des scarabées et des
dauphins, le poète se moque avec beaucoup
d'esprit des alchimistes et des chercheurs de
trésors. Dans le second livre, il expose les
idées d'Hérodote sur les différentes formes
de gouvernement, et les avantages que cha-
BAT
cune présente, et il rattache cette partie didac-
tique à la fable du roi des grenouilles. D'ordi-
naire, dit l'auteur, après un changement dans
la religion et les coutumes du pays, arrive une
révolution politique; il serait a désirer, selon
lui, que les prêtres s'en tinssent à répandre
leurs célestes doctrines, et ne se mêlassent pas
de l'autorité temporelle, et que le roi gouver-
nât, non suivant son bon plaisir, mais d'après
des lois écrites et immuables.
Dans plus d'un passage, l'allusion aux évé-
nements du jour laisse percer le bout de l'o-
reille, et la satire ,sur le pouvoir temporel du
pape se rencontre presque à chaque ligne.
Le prêtre Beisskopf (une grenouille), après
avoir inondé le pays de ses créatures et avoir
abusé de son pouvoir, a occasionné une ré-
volte. On l'a dépossédé, et les grenouilles
tiennent conseil sur le choix du maître qu'el-
les vont se donner.
Tout ce qui est dit dans ce passage sur le
gouvernement des peuples dénote chez l'au-
teur un profond bon sens et un esprit des plus
judicieux. On est tout étonné de rencontrer là
les idées que Montesquieu a développées plus
tard sur l'application de la république. Dans
tous les discours que les membres du conseil
prononcent, on vante la république ; mais dans
plusieurs on cherche à prouver, par les faits
de l'histoire, qu'on ne peut la pratiquer comme
forme de gouvernement; que jadis les hommes
étaient pleins de loyauté et de franchise, que
le sentiment de la justice les animait; qu Us
pouvaient donc bénéficier de tous les bienfaits
de la liberté la plus complète; mais que les
temps sont bien changés. Il vaut donc mieux
n'avoir qu'un maître, qui, animé des meilleures
intentions et inamovible à son poste, apprend
à connaître peu à peu les besoins de ses sujets,.
et ne s'occupe tous les jours qu'à améliorer
leur sort. Si l'on peut exiger de lui qu'il pro-
tège la religion, la .justice et la liberté, par
contre, le peuple doit avoir de l'indulgence
pour lui, et ne pas oublier qu'il est plus facile
de critiquer que de mieux faire. Mais les gre-
nouilles commettent des fautes, et Rollenha-
feri énumère toutes les causes de la décadence
e l'Allemagne. On recommande fort, dans le
conseil, de conserver comme régent le célèbre
et peu dangereux soliveau (l'empereur); les
lois seules doivent gouverner, et sept princes
(les électeurs) doivent veiller à leur exécution.
On remet aussi sur le tapis la question du main-
tien du pouvoir clérical en faveur de Beiss-
kopf. On fait appel à la superstition, à la puis-
sance des choses établies, à la piété, au dés-
intéressement , à la générosité. à la nécessité
de contre-balancer la cigogne ou le héron,
c'est-à-dire l'empereur Charles-Quint et son
despotisme espagnol. Mais enfin le prince
Mortz, sur le conseil d'un animal fort sage,
qu'on appelle homme (l'auteur avait Melan-
chthon en vue), se range à l'avis de la gre-
nouille d'Elbmarx (Martin Luther), et déclare
le pouvoir de Beisskopf (le pape) déchu à tout
jamais. « Qu'il règne, s'écrie-t-il, dans les pays
du Sud, et comme nous reconnaissons qu'on
ne peut forcer la conscience de personne et
encore moins lui imposer la foi, nous ne cher-
cherons pas à lui enlever ses partisans. » C'est
là, il faut l'avouer, une déclaration de liberté
de conscience, comme on ne saurait la souhai-
ter plus large et plus complète. Le troisième
livre, enfin, n'est qu'une série de tableaux et
de scènes militaires, qui n'ont aucune portée
politique.
Balrachomyomacliie d'Homère (LES PARA-
LIPOMÈNES DE LA) , poëme italien en huit
chants, de Leopardi, publié pour la première
fois à Paris, chez Baudry, en 1842, sous le
titre de : / Paralipomeni délia Batracomioma-
ckia d'Omero. Dans cet opuscule, écrit en ex-
cellents vers, limpides, coulants et contenus,
Leopardi, à propos de rats, de grenouilles et
d'écrevisses, raconte les derniers événements
de son pays. Un commentaire fort laconique
en explique l'allégorie : les écrevisses {gran-
chi) sont les Allemands ; les rats (topi) sont
les Italiens et spécialement les Napolitains de
1820 ; quant aux grenouilles (rane), ce sont les
prêtres.
Ajoutons que Leopardi, philologue aussi re-
marquable par la scie'nce que par la précocité
de l'intelligence, avait publié déjà, en 1816
(c'est-à-dire à l'âge de dix-huit ans)' une tra-
duction, en sixains, de la Batrachomyomachie
d'Homère , accompagnée d'une dissertation
célèbre en Allemagne, et même en France,
*ans laquelle il combat savamment l'opinion
qui attribue ce poème à Homère. Cette disser-
tation a été traduite en allemand par Bothe, et
publiée à Leipzig en 1835. Quant à la traduc-
tion, Leopardi la refaite presque en entier
quelques années plus tard, et a publié cette
seconde version à Bologne, en 1826.

B'ATRACHOPHIDE
adj. (ba-tra-ko-fi-de —
du gr. batrachos, grenouille; ophis, ophidos,
serpent). Erpét. Dont la peau ressemble à
celle de la grenouille, en parlant d'un ophi-
dien.

BATRACHORINE
s. f. (ba-tra-ko-ri-ne —
du gr. batrachos, grenouille; rhin, nez). En-
tom. Genre d'insectes coléoptères tétramères,
de la famille des longicornes, comprenant
une espèce, qui vit aux îles de France et de
la Réunion.

BATRACHOSPERME
s. m. (ba-tra-ko-spèr-
me — du gr. batrachos, grenouille ; sperrna,
semence). Bot. Genre de conferves des eaux
douces, dont l'espèce type forme des sortes
BAT
de chapelets, analogues au frai des gre-
nouilles.
— Encycl: Le genre batrachosperme, établi
par Roth pour le conserva gelatinosa de Linné,
a été subdivisé depuis en plusieurs autres. On
le distingue aujourd'hui par les caractères
suivants : fronde entourée d'un mucus épais,
formée de filaments le plus souvent rameux,
pellucides, articulés, striés longitudinale-
ment, chargés, au sommet de chaque article,
de faisceaux verticillés, de ramules articulés,
moniliformes, colorés ; fructifications placées
au milieu des ramules. Ce genre comprend
une dizaine d'espèces, qui croissent dans les
eaux douces, surtout au milieu des eaux vives
et courantes. L'espèce la plus commune est
le batrachosperme moniliforme. Cette algue,
d'une couleur brunâtre plus ou moins" foncée,
est remarquable par sa consistance gélati-
neuse, et par les paquets globuleux ne ses
ramules ; elle adhère fortement au papier sur
lequel on prépare des échantillons pour l'her-
bier, et prend, dans cet état, sous l'influence
de la lumière, une teinte d'un beau violet.
BATRACHOSPERME, ÉE, adj (ba-tra-ko-
snèr-mé— rad. batrachosperme). Bot. Sem-
blable au batrachosperme.
— s. f. pi. Tribu de la famille des algues,
ayant pour type le genre batrachosperme.
— Encycl. Les caractères généraux de la
tribu des batrachospermées peuvent se résu-
mer ainsi : fronde filamenteuse ou globulaire,
formée de filaments articulés, rameux, enve-
loppés d'un mucus gélatineux ; filament prin-
cipal un peu différent des filaments acces-
soires. Les loges de ceux-ci sont pourvues
d'un endochrome abondant, coloré, tandis gue
les articulations du filament central qui a
atteint tout son développement sont presque
toujours diaphanes et a peine marquées de
taches ou zones endochroiniques. Les ramules
articulés sont souvent terminés par des pro-
longements capillaires diaphanes, qui parais-
sent inarticulés. Les gemmes fructifères sont
situées au milieu des .rameaux ; elles sont for-
mées de corpuscules agrégés, entourés de ra-
mules. Cette tribu comprend six genres : deux
renferment des algues marines; les quatre
autres ne représentent que des espèces d'eau
douce.

BATRACHOSTOME
s. m. (ba-tra-ko-sto-me
— du gr. batrachos, grenouille; stoma, bou-
che). Ornith. Genre d'oiseaux, formé aux dé-
pens des podarges.

BATRACHOTÉTRIX
s. m. (ba-tra-ko-té-
triks — du gr. batrachos, grenouille; tetrix,
nom d'un oiseau). Entom. Genre d'insectes
orthoptères, de la famille des sauterelles,
comprenant deux espèces exotiques, toutes
deux dépourvues d'ailes.

BATRACIEN
, IENNE adj. (ha-tra-si-ain,
i-è-nc— du gr. batrachos, grenouille). Erpét.
Qui tient de la grenouille; qui ressemble à
une grenouille.
— Fam. Qui rappelle la forme d'une gre-
nouille : Il eût pu voir la tête BATRACIENNE de
Mathieu, gui s'allongeait hors de la hutte, les
yeux fixes et ardents. (Al. Dum.)
— s. m. pi. Grand groupe d'animaux ver-
tébrés, regardé jadis comme le quatrième
ordre de la classe des reptiles, et dont pres-
que tous les zoologistes font aujourd'hui une
classe à part : La durée de la vie des BATRA-
CIENS n'est pas connue. (T. Cocteau.) La plu-
part des BATRACIENS "ont ovipares; ces animaux
sont les seuls, parmi les reptiles, qui offrent
des métamorphoses. (Richard.) Les BATRA-
CIENS sont en réalité des reptiles, mais des
reptiles qui commencent par être poissons, (J.
Macô.)
— Encycl. La classe des batraciens ren-
ferme tous les animaux dont l'organisation
est analogue à celle de la grenouille. Long-
temps rangés dans la classe des reptiles, ces
vertébrés sont considérés aujourd'hui comme
formant, sous le nom d'amphibiens ou batra-
ciens, une classe entièrement distincte, qui se
place naturellement entre celle des reptiles et
celle des poissons. En effet, d'un côté, les ba-
traciens diffèrent par des caractères très-tran-
chés de tous les ordres de reptiles : 1° des ché-
loniens, par le défaut d'ongles aux pattes, par
l'absence ou le peu de développement des côtes,
par le mode d'accouplement et l'enveloppe des
œufs; 2° des sauriens, par la plupart des
mêmes caractères, et, en outre, par la forme
de leur cloaque ; 3° enfin, des ophidiens, par la
présence des pattes dans le plus grand nombre
des espèces, ainsi que par les paupières, la
présence d'un sternum, l'absence d'un pénis
double, etc. D'un autre côté, ils ont des liai-
sons évidentes avec les poissons. Ainsi, de
grandes analogies de forme existent certaine-
ment entre les têtards des anoures et certains
poissons, tels que le séchot et plusieurs es-
pèces des genres batrachus, chironecte et
lépadogastère. De même, parmi les derniers
genres des batraciens, quelques-uns, tels que
les amphiumes,les céciliés et les protées,ont,
dans leurs formes générales, dans leur ma-
nière de nager, dans la disposition de leur
queue, dans le mode d'articulation de leurs
vertèbres, des ressemblances frappantes avec
les aptérichtes, les gastrobranches et les mu-
rénophis. Les batraciens, tels qu'ils sont divi-
sés aujourd'hui , présentent entre eux des
différences marquées ; cependant, ils se réu-
nissent par les caractères suivants : tronc
BAT
déprimé, trapu, arrondi ou allongé; sternum .
généralement très-développô ; côtes rudimen-
taires ou nulles ; vertèbres dorsales en nombre
variable, depuis dix seulement, comme dans
les anoures, jusqu'à quatre-vingt-dix, comme
chez les sirènes; peau nue, mince, souvent
visqueuse, sans aucune apparence d'écaillés,
excepté chez les ichthyobatraciens et les céci-
liés; corps terminé par une cuaeue ou privé
de ce membre ; tête déprimée, a contour anté-
rieur semi-circulaire, articulée avec l'atlas
par deux condyles occipitaux ; cou presque
nul; pattes nulles, ou au nombre de deux à
quatre; doigts dépourvus d'ongles, ou munis
tout au plus de petits étuis cornés. Les batra-
ciens sont des animaux à sang rouge et froid
et à circulation incomplète ; le cœur a deux
oreillettes et un seul ventricule, et le liquide
qui passe dans l'aorte est un mélange de sang
artériel et de sang veineux. Chez quelques
espèces, l'œil se rapproche de celui des pois-
sons; chez d'autres, il est petit ou nul. Dans
le premier âge, les petits, connus sous le nom
de têtards, sont dépourvus de membres et
munis d'une queue ; ils sont herbivores, et res-
pirent au moyen de branchies, comme les
poissons. Plus tard, cette organisation se mo-
difie , les membres se développent, la queue
disparaît souvent, les branchies s'atrophient,
et l'animal respire par des poumons, comme
les reptiles. Cependant, chez quelques genres,
les branchies persistent concurremment avec
les poumons : ainsi, les sirènes, les protées et
les ménobranches ont à la fois les deux modes
de respiration.
La plupart des batraciens vivent dans l'eau
ou dans les lieux humides ; ils sont tous plus
ou moins amphibies. A l'état adulte, ils sont
carnivores, mais ne se nourrissent jamais de
débris d'animaux. L'accouplement a Lieu par
simple contact et se prolonge souvent pen-
dant plusieurs jours. Les œufs, protégés seu-
lement par une enveloppe membraneuse, sont
pondus le plus souvent avant la fécondation ;
ils grossissent après la ponte.
La classe des batraciens comprend .quatre
ordres : io Les ophidiabatraciens (céciliés ,
rhinatrèmes) ; 2° les batraciens anoures (gre-
nouilles, crapauds) ; 3° les batraciens urodèles
(salamandres, tritons, etc.); 4« les ichthyoba~
traciens V. ces mots. V. aussi, pour d'autres
détails, le mot AMPHIBIENS.
— Batraciens fossiles. Dans les terrains ter-
tiaires, formés par les eaux douces, on trouve
assez souvent des os et même des squelettes
à peu près complets de batraciens. Parmi ces
fossiles, les uns appartiennent à des espèces
encore existantes, d'autres semblent indiquer
des genres maintenant disparus. Presque tous
se distinguent par des proportions gigantes-
ques. M. Jaeger en a découvert un dont la
tête présente un disque aplati, demi-elliptique,
qui n'a pas moins de 0 in. 72 centimètres de
long sur 0 m. 57 de large. Un autre, trouvé
au commencement du xvme siècle dans les
carrières schisteuses tertiaires d'Œningen,
mesure 1 m. 50 de longueur. Cette pétrifica-
tion a donné lieu à une méprise célèbre.
Scheuchzer crut y reconnaître le squelette
d'un homme, et il développa son opinion dans
une dissertation intitulée : Homo ailuvii testis.
La plupart des savants ne furent pas de cet
avis, et l'homme témoin du déluge devint un
poisson du genre silure. Enfin, après bien des
années, Cuvier, grâce à la précision qu'il avait
introduite dans la distinction des caractères
paléontologiques, reconnut ce fossile pour être
le squelette d'une salamandre, qu'en raison
de sa taille il surnomma gigantesque. Espé-
rons que ce sera là sa dernière transforma-
tion. C'est dans les schistes d'CEningen, dans
le lignite schisteux des environs de Bonn,
dans les terrains tertiaires du Wurtemberg,
du Brabant méridional et du département du
Gers, qu'ont eu lieu les principales décou-
vertes d'ossements de batraciens. Au-dessus
des terrains tertiaires, la période diluvienne
ne présente guère de restes d'animaux de
cette classe que dans des fentes de rochers ou
dans des cavernes. On peut présumer que les
mouvements violents des eaux et des maté-
riaux qu'elles entraînaient à l'époque du grand
cataclysme ont anéanti leurs restes fragiles,
excepté dans quelques endroits à l'abri des
grands courants.

BATRACUS
et SÀURUS, architectes grecs,
natifs de Sparte, et qui vivaient au i*r siècle
de notre ère. Après avoir construit divers édi-
fices à Rome, ils y élevèrent, à leurs frais,
un des temples situés à l'intérieur des porti-
ques d'Octavie. Ayant vainement demandé de
graver leurs noms sur le frontispice, ils signè-
rent néanmoins leur œuvre d'une façon sym-
bolique, en faisant sculpter dans les orne-
ments des colonnes des grenouilles (en grec,
batrachos) et des lézards (en grec, sauros),
animaux dont, ainsi qu'on le voit, ils portaient
les noms. Le couvent de Saint-Eusèbe possé-
dait, vers 1771, quelques-unes de ces colonnes.
Un chapiteau d'ordre ionique, où l'on voit
sculptés ces deux animaux, se trouve à l'é-
glise Saint-Laurent hors des murs, à Rome.
Selon toute probabilité, c'est un débris du
temple élevé par les deux Lacédémoniens.

BATRATHÈRE
s. f. (ba-tra-tè-re — du gr.
batêr, marcheur; athêr, épi). Bot. Genre de
plantes monocotylédones, de la famille des
graminées, forme aux dépens des andropo-
gons ou barbons, et comprenant une seule
espèce, qui croit dans l'Inde.
373

BATRIACE
s. f. fba-tri-a-se). Techn. Outil
du fabricant de tuiles, il On dit aussi BATRIAU
et BATRIAVO.

BATRISE
a. m. (ba-tri-ze). Entom. Genre
d'insectes coléoptères dimères, de la famille
des psélaphiens, comprenant une dizaine
d'espèces, dont la plupart habitent la France ;
Les BATRISES sont de très-petits 'insectes, gai
vivent, pour la plupart, en société avec les four-
mis, et dont quelques-uns habitent sous les
écorces et dans les lois en décomposition. (Du-
ponchel.)

BÀTROUN
autrefois Botrys, bourg de la
Turquie, en Syrie, à 24 kil. S. de Tripoli-de-
Syrie, sur le bord de la Méditerranée, avec
un port sûr, et très-fréquenté par les bâtiments
d'un faible tonnage.

BATSCH
( Au guste-Jean-Ge orges -Charles),
naturaliste allemand, né à léna en 1761, mort
en 1802. Il se fixa à Weimar en 1781, pour y
exercer la médecine, mais il s'adonna plus
particulièrement à l'étude de l'histoire natu-
relle. Après avoir été chargé de l'organisation
et du classement du beau muséum zoologique
etmïnéralogique de Kœstriz, il devint, en 1792,
professeur de philosophie dans sa ville natale,
ou il fonda la Société pour l'avancement des
sciences naturelles. Ce savant distingué a,
laissé un grand nombre d'ouvrages, dont les
plus importants sont : Elenchus fungorum
(Halle, 1783); Essai d'une histoire des doc-
trines naturelles (1789-91, % vol.); Analyse
botanique des fleurs des divers genres de plan-
tes (1790): Essai d'une doctrine de la matière
médicale (1790); Botanique des dames (1797),
ouvrage écrit en allemand comme les précé-
dents, mais qui a été traduit en français par
Bourgoing. Citons enfin un essai de classifi-
cation en botanique,.sous le titre de Tabulas
affinitatum regni vegetabilis (Weimar, 1802).

BATSCHIE
s. f. (batt-schî — de Batsch,
botaniste allemand). Bot. Nom donné succes-
sivement à divers genres ou sous-genres
(gremîl, humboldtie, eupatoire), et qui ne
sert plus aujourd'hui que comme synonyme.

BÀTT
(Corneille), médecin zélandais, né a
Tervière en 1470, mort en 1517, fut un mé-
decin distingué. Il a écrit en flamand : Des-
cription du monde, et d'autres ouvrages des-
tinés à l'éducation de son élève Adolphe de
Bourgogne, notamment une Cosmologie (1512).

BATT
(Barthélémy), luthérien flamand, né à
Alost en 1512, mort a Rostock, en 1559. Il fut
persécuté par l'inquisition, pour avoir embrassé
le luthéranisme. On a de lui : De Œconomia
christiana libri duo (Anvers, 1558, in-12). —
Son fils, Lievin BATT, né à Gand, en 1535,
mort en 1591, se fit recevoir maître es arts à
Wittemberg en 1559, enseigna les mathéma-
tiques à Rostock, et, après avoir pris le grade
de docteur en médecine a Venise, il vint pro-
fesser cette science à l'université de Rostock.
Il a écrit : Epistolœ aliquot medica tractantes,
insérées dans les Miscellanea de H. Smetius
(Francfort, 1611).
BATT (Charles), médecin flamand qui vi-
vait à la fin du xvie siècle. Il exerça son
art, de 1593 à 1598, à Dordrecht, et il s'est fait
connaître comme traducteur de plusieurs ou-
vrages médicaux, notamment : Livre de méde-
cine, où sont décrites toutes les parties du corps
humain et leurs maladies, depuis la tête jus-
qu'aux pieds, avec la manière de les guérir
traduit de l'allemand (2° édit., Dordrecht,
in-fol.) ; Pratique de la chirurgie, traduit du
français de JeanGuillemeau (Dordrecht, 1598,
in-fol.) ; La chirurgie et toutes les œuvres d'Am-
broise Paré, en 28 livres, avec figures (Am-
sterdam, 1615, in-fol.}, etc.
BATT (Guillaume), médecin anglais, né à
Collingham en 1744 , mort en 1812. Il se fit
recevoir docteur à Montpellier en 1770, pro-
fessa la chimie a- Gênes, et se distingua par
son courage et son activité lors de l'épidémie
de typhus qui ravagea cette ville en 1800. Il
a laissé des mémoires insérés dans : Memoria
délia Societa medica di emulazione di Genova.

BATTA
(Alexandre), violoncelliste hollan-
dais, né en 1816, à Maestricht, est fils d'un
musicien de talent, qui professa pendant long-
temps au Conservatoire de Bruxelles. Elève
de Platel, il se fit remarquer, dès l'âge de dix
ans, dans les soirées musicales et concerts
donnés par ce dernier. Parcourant ensuite les
principales villes d'Europe , il s'acquit une
grande réputation d'exécutant. C'est à Paris
surtout que, pendant plus de vingt ans, il
a donné un grand nombre de concerts, tou-
jours suivis avec beaucoup d'intérêt par
les amateurs, qui se plaisaient à admirer la
grâce, le sentiment et la légèreté de son jeu.
Il a fréquemment paru a la cour de La Haye,
où son talent a joui d'une faveur exception-
nelle. On lui doit des fantaisies, des airs variés
et divers morceaux pour le violon. Des juges
sérieux reprocheront à M. Batta son amour
des petites compositions de salon, ses transi-
tions perpétuelles du forte au piano, son jeu
efféminé, ses mièvreries et fadeurs instru-
mentales, enfin l'absence de virilité de l'ar-
chet. Comme Alfred Quidant, M. Batta est un
musicien pour dames ; il est à Servais ce que
Quidant est à Listz.

BATTAGE
s. m. (ba-ta-je — Les différents
noms que les langues européennes ont donnés
à cette opération, ainsi qu'a l'aire où elle s'exé-
cute, présentent généralement assez peu
d'analogie. M. A. Pictet explique d'une ma-
nière satisfaisante cette diversité assez rare
dans les idiomes de notre race. La récolte,
enlevée sur le char, était, dit-il, amenée à
l'aire ou mise en réserve pour le moment du
battage. On sait que cette opération s'exécu-
tait de différentes manières, suivant les
temps et les lieux. On pilait les épis dans un
mortier, on les battait avec le fléau, ou bien
on les faisait fouler sur l'aire par des bœufs
ou des chevaux qui tournaient en cercle. Ce
dernier procédé a été surtout en usage chez
les peuples de l'Orient, ainsi qu'en Grèce, où
l'usage du fléau était inconnu. Aussi ce der-
nier n'a-t-il de nom ni en grec, ni en sans-
crit. Dans le nord de l'Europe, et par suite du
climat, c'est le battage en grange qui était
généralement usité. On comprend que, par
l'effet même de cette diversité de procédés,
les termes qui se rapportent au battage ont
dû varier considérablement. Il ne faut donc
s'attendre qu'à des rapprochements isolés et
par conséquent douteux. La série étymolo-
gique la plus intéressante pour nous, qui ait
rapport a l'opération du battage, c'est celle
que nous ouvre le latin. Nous trouvons tri-
turo, forme redoublée de tero, d'où tribulum,
fléau à battre, et même le nom du blé, tri-
txcum. A tero (broyer, fouler) répondent,
ajoute M. A. Pictet, legr., teiro ; l'anc. slav.
irieti; le lithuan. triti; le cym. tori; l'ar-
mor. terri, etc. Au sens plus spécial se rat-
tache l'irland. tiomrah, le battage du blé. Les
langues germaniques s'y rattachent de plus
loin par leur verbe gothique thriskan ; en
angl.-sax., therscan; en scandin., threskia, en
anc. allem. dreskan, d'où le goth. gathrask,
aire, et Tangl.-sax., therskol,anc. allem., dris-
kil, fléau, et l'allem. mod. dreschel., employé
concurremment avec flégel, dans lequel il est
difficile de méconnaître le latin flagellum.)
— Agric. Opération par laquelle on sépare
le grain de la paille, les graines de leurs cap-
sules : Le BATTAGE du blé. BATTAGE au fléau.
BATTAGE mécanique. BATTAGE au tonneau. Le
* BATTAGE des graines est une des opérations les
plus importantes de l'agriculture. (Darblay).
Le BATTAGE se fait toujours en plein air, ce qui
a de grands inconvénients. (Moroges.) Les blés
ne manquaient pas en 1792; mais la récolte
avait été retardée par la saiso7i, et, en outre,
le BATTAGE des grains avait été différé par le
défaut de bras. (Thiers.) Lorsqu'on n'opère pas
tout de suite le BATTAGE, on loge les gerbes
dans des granges. (Math, de Domba'sle.) Les
semences de toute espèce doivent être remuées
fréquemment pendant quelques mois après le
BATTAGE. (Math, de Dombasle.)
— Econ. rur. Action d'agiter la crème du
lait, pour y déterminer la formation du
beurre : Le meilleur moment pour le BATTAGE
du beurre, pendant la belle saison, est le ma-
tin de bonne heure, avant que le soleil ait beau-
coup d'action. (Moroges.) Une température de
quinze'à seize degrés de chaleur est favorable
au BATTAGE du beurre. (Joigneaux.)
— Techn. Pulvérisation : Le BATTAGE de la
poudre ne peut s'opérer qu'avec des pilons en
bois, dans des mortiers de bois, u Opération
consistant à comprimer les pâtes du potier,
à l'aide d'une percussion violente, exercée,
soit avec les forces seules de l'ouvrier, soit
avec des machines diversement disposées,
afin d'augmenter l'homogénéité que lui ont
donnée les manipulations précédentes : BAT-
TAGE à la main. BATTAGE mécanique. Il Opéra-
tion ayant pour objet de réduire les métaux,
spécialement l'or, l'argent et le cuivre, en
. feuilles d'une extrême ténuité, au moven
du marteau. On dit aussi BATTERIE, H Prépa-
ration donnée à la laine, au moyen de hous-
sines dont on la frappe sur des claies de
corde. Il Opération par laquelle, dans le tirage
de la soie, on dégage la bourrette ou frison
qui garnit la surface des cocons : Le BATTAGE
consiste à agiter les cocons dans de l'eau
chaude, afin de dissoudre la matière gommeuse
dont ils sont enduits, n Opération qui a pour
but d'enfoncer des pilots, en les frappant sur
la partie supérieure, il Battage du fit, Opéra-
tion à laquelle on soumet le fil à coudre, pour
en obtenir le lissage. Cette opération est
confiée à des ouvriers appelés flliers ou fil-
triers, et s'exécute avec des appareils nommés
battes, qui, dans les grands établissements,
sont mis en mouvement par une machine à
vapeur.
— Mar. Abordage agressif : Ll s'attaque
aux chétives et inoffensives embarcations des
promeneurs ; alors son BATTAGE, c'est-à-dire
son attaque, a toute la férocité d'un abordage
de corsaire. (E. Briffault.)
— Argot. Supercherie, feinte.
— Encycl. Agric. Le moyen le plus simple
qui se soit présenté à l'esprit pour séparer le
grain de ses enveloppes a dû être de saisir les
tiges et de frapper les épis contre un corps
dur et résistant. C'est l'égrenage, qui est en-
core usité pour les plantes potagères, le maïs
et le seigle. Mais, ce moyen devenant trop
long et trop dispendieux dès qu'il s'agissait de
récoltes un peu considérables, on l'a remplacé
par le battage au fléau. Voulant ensuite sub-
stituer au travail de l'homme l'action plus ra-
pide des animaux, quelques cultivateurs'ingé-
nieux ont inventé le dépiquage. Enfin, de nos
jours, le génie de la mécanique a cherché à
régulariser ces diverses opérations, à les
combiner, à réduire le temps et l'espace qu'on
y employait : il a produit la machine à battre.
Les trois premières méthodes, l'égrenage
simple, le battage au fléau et le dépiquage, i
ont été simultanément employées dès la plus
haute antiquité. Ainsi, les Egyptiens égre- i
naient le lin en le faisant passer entre les
dents d'un peigne mû par les pieds de l'ou-
vrier. Nous savons aussi que les Chinois
égrènent le riz et quelquefois même le blé.
Le prophète Isaïe nous montre les différentes
méthodes dont nous venons de parler comme
étant d'un usage général de son temps, parmi
les Hébreux : « On ne foule pas, dit-il, la vesce
avec des traîneaux, on ne fait point passer la
roue des chariots sur le cumin ; mais on bat la
vesce avec la verge, et le cumin avec le
fléau. » Déjà Moïse, dans le Deutéronome,
avait prescrit de ne pas emmuseler le bœuf
qui foulait le grain, afin qu'il pût profiter, lui
aussi, de l'abondance de la récolte : Non alli-
gabis os bovis triturantis.
Les Grecs dépiquaient le blé en le faisant
fouler aux pieds des bœufs, comme on le voit
par ce passage de Ylliade : « Lorsqu'un la-
boureur a réuni sous le joug deux taureaux au
large front pour fouler l'orge blanche dans
une aire spacieuse, la paille légère s'envole
sous les pieds des taureaux mugissants ;
ainsi les deux coursiers d'Achille ibulent à
leurs pieds les cadavres et les boucliers; l'es-
sieu, le siège arrondi, sont couverts d'une
rosée sanglante, que font jaillir les pieds des
chevaux et les roues du char. » Les Romains
employaient à la fois le battage au fléau et le
dépiquage. Varron décrit fort exactement ce
dernier : o Le grain, dit-il, est quelquefois
battu dans l'aire par des bœufs attachés au
joug d'un tribulum. Cette machine est faite
de planches hérissées de pierres ou de fer.
Elle supporte le conducteur ou tout autre
poids considérable. On la promène sur les
épis pour détacher le grain qu'ils contiennent.
Ailleurs, on se sert d'un traîneau formé de
cylindres armés de dents, et divisés en plu-
sieurs sections orbiculaires. On lui donne le
nom de chariot phénicien ou carthaginois (plos-
tellum pœnicum). Ce traîneau est usité dans
l'Espagne citérieure et en d'autres lieux.
Parfois aussi, on fait battre le blé par des
bestiaux non assujettis au joug et qui, par ie
frottement de leurs sabots, contraignent le
grain à sortir de l'épi. » Suivant Columelle,
lorsque les épis sont seuls moissonnés, on peut
immédiatement les porter à la grange et en
remettre le battage à l'hiver. On peut alors
l'exécuter au moyen des fléaux, ou en faisant
fouler les épis aux pieds des bestiaux : le bat-
tage au fléau est préférable. Si, au contraire,
la paille reste unie à l'épi, le blé doit être
battu, quelque temps après la récolte, par le
moyen du dépiquage. En général, les che-
vaux valent mieux que les bœufs pour cette
dernière opération. On peut ajouter un rou-
leau ou un traîneau, quand on n'a pas un
nombre suffisant d'attelages.
Les différents moyens employés dans l'an-
tiquité pour extraire le grain de l'épi sont en-
core usités de nos jours. En conséquence,
pour diviser convenablement cet article et Je
mettre au niveau de la science moderne, nous
allons traiter successivement du battage au
fléau, du chaubage ou battage au tonneau et à
la vache, du dépiquage, et enfin, de Yégrenage
au moyen des machines à battre proprement
dites.
— Du battage au fléau. Ce battage s'exé-
cute "avec le fléau, instrument très-simple,
mais dont les formes varient beaucoup selon
les pays. Plusieurs manœuvres battent en-
semble, en se mettant deux par deux, à quel-
que distance. Ils frappent alternativement et
en mesure sur les gerbes placées devant eux.
Lorsqu'un côté est battu, on retourne les ger-
bes; on les bat de nouveau, puis on les délie
ou on les ouvre, afin d'atteindre les épis ca-
chés dans l'intérieur. La paille est ensuite
battue de nouveau à plusieurs reprises. Ce
n'est qu'après avoir passé six^ou même huit
fois sous le fléau, qu'elle est définitivement
mise en bottes pour les divers usages auxquels
on la fait servir.
On appelle autons, blé chape, blé vêtu, les
grains que l'on ne peut débarrasser de leur
balle florale. Ces grains sont mis è part pour
la nourriture des volailles.
Le battage au fléau présente des inconvé-
nients assez graves, parmi lesquels nous nons
contenterons de signaler son excessive lenteur
et son imperfection.
D'un autre côté, le battage effectué au
moyen du fléau est, pour les ouvriers qui en
sont chargés, une occupation des plus fati-
gantes. On a calculé qu'une gerbe pesant
8 à 9 kilo, exige environ 150 coups de fléau.
Or, chacun de ces coups éprouvé au dynamo-
mètre, sur une largeur de 0in 01, le fait en-
foncer de 6 kil. 25. Les épis d'une gerbe oc-
cupant om 40 de surperficie sur le plancher de
la grange, les 150 coups de fléau produisent
930 kil. 50. D'où il résulte qu'un homme
battant, par exemple, dans sa journée,
35 gerbes produit un travail mécanique de
79,687 kil. Dans les pays où l'on ne se sert
de la paille que pour la nourriture des bes-
tiaux, le battage au fléau présente encore un
autre inconvénient : les chaumes ne sont pas
brisés suffisamment, et souvent les animaux
refusent de les manger. Cependant, malgré
les désavantages qui viennent d'être signalés,
ce mode d'égrenage est encore préférable à
tout autre dans le centre et au nord de la
France, surtout pour les cultivateurs peu aisés,
à cause de la facilité qu'il présente de limiter
i ses résultats aux besoins et aux travaux de
j la ferme. C'est ainsi que la petite propriété
i est demeurée jusqu'ici son domaine exclusif.
Dans les grandes exploitations, ce système
tend de plus en plus à disparaître : toutefois,
dans la plupart de nos départements du cen-
tre, il n'a pas cessé d'être en usage, aussi
bien pour la grande que pour la petite culture.
Les inconvénients du battage au fléau ont
engagé différents agronomes à recourir à un
système de fléaux mécaniques , capables
d'exécuter le même travail en moins de temps
et avec moins de fatigue ou de dépense. Plu-
sieurs combinaisons ont été essayées; mais
aucun de ces appareils n'a réussi assez com-
plètement pour obtenir une supériorité incon-
testable. Nous citerons seulement, pour mé-
moire, les machines de Fœster,de Hansen,de
Rey de Planazu et de M. de Marolles. Cette
dernière est la plus remarquable, tant à cause
de son bas prix, que pour son mécanisme peu
compliqué.
— Du chaubage. Ce procédé de battage
s'applique surtout au seigle, et quelquefois
auolé et à l'avoine longue, dont la paille doit
servir à faire des liens. Il s'opère au moyen
d'un tonneau et d'un cadre en bois appelé
vache, traversé par des barres et supporté
sur quatre pieds. L'ouvrier prend dans ses
mains environ le quart d'une gerbe de 10 kilo.;
il le serre avec une corde, afin que les épis ne
se dérangent pas, et frappe avec force sur la
vache ou le tonneau qu'il a devant lui; quand
il ne sort plus de grain, il retourne sa poignée
et frappe de nouveau, puis il l'ouvre, place
en dehors les épis qui étaient au centre, et
recommence à frapper. Quand il a battu un
certain nombre de poignées, il en forme une
botte de paille, qu il lie avant d'entamer de
nouvelles gerbes.
— Du dépiquage. On entend par dépiquage
l'égrenage fait au moyen du piétinement des
animaux. Comme il convient de donner, avant
tout, une idée exacte de cette opération, nous
allons citer ce qu'en dit l'abbé Rozier dans
son Cours complet d'agriculture : - On com-
mence par garnir le centre de l'aire par qua-
tre gerbes, sans les délier; l'épi regarde le
ciel, et la paille porte sur la terre; elles sont
droites. A mesure qu'on garnit un des côtés
des quatre gerbes, une femme coupe les liens
des premières et suit toujours ceux qui ap-
fiortent les gerbes ; mais elle a soin de leur
aisser garnir tout un côté avant de couper
les liens. Les gerbes sont pressées les unes
contre les autres de manière que la paille ne
tombe point en avant; si cela arrive, on a
soin delà relever lorsqu'on place de nouvel-
les gerbes; enfin, de rang en rang, on par-
vient à couvrir presque toute la surface de
l'aire. Les mules, dont le nombre est toujours
en raison de la quantité de froment que l'on
doit battre et du temps qu'on doit sacrifier
pour cette opération, sont attachées deux à
deux, c'est-à-dire, que le bridon de celle qui
décrit le côté extérieur du cercle est lié au
bridon de celle qui décrit l'intérieur du cercle;
enfin, une corde part du bridon de celle-ci et
va répondre à' la main du conducteur, qui oc-
cupe toujours le centre, de manière qu'on
prendrait cet homme pour le moyeu d'une
roue, les cordes pour ses rayons, et les mules
pour les bandes. Un seul homme conduit
quelquefois jusqu'à six paires de mules, et,
armé d'un fouet, il les fait toujours trotter,
pendant que les valets poussent sous les pieds
de ces animaux la paille qui n'est pas encore
bien brisée et l'épi qui n'est pas assez froissé.
On prend pour cette opération des mules oudes
chevaux légers, afin que, battant et pressant
moins la paille, elle reçoive des contre-coups
qui fassent sortir le grain de sa balle. Chaque
paire de mules marche de front, et elles dé-
crivent ainsi huit cercles concentriques. Ces
pauvres animaux vont toujours en tournant
sur une circonférence d'un assez large dia-
mètre, il est vrai; mais cette marche circu-
laire les aurait cependant bientôt étourdis, si
on n'avait la précaution de leur boucher les
yeux avec des lunettes faites exprès ou avec
un linge : c'est ainsi qu'ils trottent du soleil
levant au soleil cou hant, excepté pendant les
heures des repas. Le conducteur, en lâchant
la corde ou en la resserrant, conduit ses
mules où il veut, mais toujours circulaire-
ment, de manière que, lorsque toutes les ger-
bes sont aplaties, les animaux passent "et re-
passent sur toutes les parties. Le dépiquage
se fait toujours en plein air, ce qui a de grands
inconvénients, à cause de la pluie et surtout
des orages. Dans ce cas, on perd beaucoup
de blé et de paille, quelques précautions qu'on
prenne. Outre les mules, on emploie aussi les
chevaux, les ânes, et même les bœufs. Les
chevaux de la Camargue, à demi sauvages,
petits et vifs, sont préférés à tous les autres. »
Un des principaux avantages du dépiquage,
c'est la célérité de l'exécution. Suivant
M. Jaubert de Passa, vingt-quatre chevaux
peuvent battre, en une seule journée, près de
six mille gerbes pesant chacune 7 kilo. 50. Ce
procédé paraîtrait donc, au premier abord,
deux fois plus économique que le battage au
fléau. Mais cette proportion est loin d'être
exacte, parce que le battage est un travail
coutinu, tandis que le dépiquage, nécessitant
un temps sec, laisse de longues journées de
chômage, pendant lesquelles les animaux sont
oisifs et les hommes peu occupés. En général,
la journée d'un cheval- ne produit que cinq
hectolitres. En somme, le dépiquage, s'il est
374
plus expéditif que le battage au fléau, n'est
pas assurément plus économique. Il entraîne,
en outre, d'assez grands inconvénients. Ainsi,
devant toujours avoir lieu en plein air, il est
inapplicable aux contrées du centre et du nord
de l'Europe ; les pailles sont souvent salies par
les animaux, qui refusent ensuite de les man-
ger ; enfin, sous le rapport du rendement, il est
encore moins parfait que le battage au fléau.
On trouve toujours du grain dans la paille de
l'ouvrage considéré comme le mieux fait.
« Quand le blé est cher, dit M. de Gasparin, il
vient des gens des montagnes, qui rebattent
toujours les pailles au fléau, pour en retirer le
grain qui y reste : le terme moyen de ce qu'ils
y trouvent est 2 1/2 pour 100 de la récolte
totalej dans les années humides, où le blé se
dépouille moins bien, cette proportion peut
s'élever jusqu'à 6 pour 100. » Ce sont sans
doute ces inconvénients qui, dès les temps les
plus reculés, ont donné lieu à l'invention de
divers procédés de dépiquage mécanique.
Nous avons déjà parlé du chariot phénicien
ou carthaginois, que l'on retrouve encore de.
nos jours en Andalousie. L'Italie centrale se
sert d'un rouleau assez répandu, qui porte le
nom de ritolo. Cette machine, que l'on a in-
troduite, au commencement de ce siècle, dans
les environs d'Agen, de Toulouse et de Mont-
pellier, a été l'objet de divers perfectionne-
ments: La machine suédoise, que M. de Las-
teyrie nous a fait connaître, est construite sur
un autre modèle. Elle se compose de deux cy-
lindres, en forme de cône tronqué, fixés dans
un châssis courbe qui se rattache à un fort
levier par le moyen d'une chaîne ou d'un
crochet. Ce levier est ensuite agrafé à un ar-
bre vertical, autour duquel se fait le mouve-
ment circulaire. On attelle les chevaux aux
chevilles du levier, et on les force de marcher
toujours dans la même direction, en leur atta-
chant un bâton devant le poitrail. Le^ rou-
leaux portent treize rangées de dents, lon-
gues de 0 m- 05 et également espacées. Cet
appareil peut être considéré comme l'une des
meilleures machines à dépiquer qui existent.
Le battidore, en usage dans quelques parties
des Apennins, le trillo, dont on se sert dans
presque toute l'Espagne, le trity de la Corse,
sont des appareils extrêmement imparfaits,
que les progrès de l'industrie agricole ne tar-
deront pas à faire disparaître. Quant aux
rouleaux usités dans le midi de la France,
leur supériorité sur le dépiquage au moyen
du piétinement est incontestable : ils permet-
tent de mieux utiliser les forces des animaux,
et opèrent un égrenage bien plus parfait.
Toutefois, ils sont loin de posséder les avan-
tages des véritables machines à battre, qui,
dans un avenir plus ou moins prochain, sont
destinées à les remplacer. Nous citerons,
parmi les .meilleurs appareils de ce genre,
ceux de M*, de Puymaunn, de M. de Lajous et
du comte Dupac-Bellegarde.
— Des machines à battre. Nous avons vu
les procédés mécaniques appliqués au dépi-
quage et au battage par le moyen du fléau;
il nous reste maintenant à examiner les ma-
chines à battre proprement dites. Mais comme
ce sujet exige des développements considéra-
bles, nous renvoyons le lecteur au mot BAT-
TEUSE, où il sera traité dans toute son étendue.

BATTAGLIA,
ville de l'empire d'Autriche,
dans la Vénétîe, province et à 14 kil. S.-O. de
Padoue, sur le canal de son nom, qui unit le
canal de Moncelice au Bacchiglione ; 2,700 hab.
Bains d'eau minérale très-fréquentés ; aux en-
virons, belles maisons de campagne.
BATTAGLIA (François), patriote vénitien,
mort en 1799. Il embrassa»avec enthousiasme
les grandes idées de la Révolution française,
et, lorsque notre armée entraen Italie en 1796,
il se prononça énergiquement, dans le sénat.
de Venise, pour qu'un traité d'alliance fût con-
tracté entre les deux républiques. Bien que
sa motion eût été repoussée, il fut nommé, à
la place de Foscarini, provéditeur des Etats
de terre ferme, et bientôt après appelé à la
dignité à'avogadore, c'est-à-dire de tribun de
la république. Cependant la situation de la
Vénétie devenait de plus en plus critique, car
Bonaparte se disposait à fondre sur elle. Bat-
taglia fut envoyé avec Dandola vers le géné-
ra., pour conjurer l'orage, mais il ne put em-
pêcher celui-ci de s'emparer de Vérone, ainsi
que des autres villes de terre ferme. Sur ces
entrefaites, parut un manifeste, appelant à la
guerre contre les Français, et signé du nom
de Battaglia. Vavogadore démentit formelle-
ment cette pièce, qui avait été fabriquée à
Milan par un nomme Salvadori ; il continua à
se prononcer pour les Français, nej>ouvant
croire qu'une armée envoyée par une répu-
blique libératrice pût attenter aux droits d'une
autre république ; et il était tellement plein
de cette conviction, qu'il fit partir une flottille
pour chercher la division du général Bara-
guay d'Hilliers et l'amener à Venise. Lorsque
Battaglia vit Bonaparte supprimer d'un trait
de plume la république de Venise, et la livrer
à l'empereur d'Autriche par le traité de Campo-
Forinio (1797), il en ressentit une si grande
douleur, qu'il mourut de chagrin peu de jours
après la prise de possession de Venise par les
Autrichiens.
BATTAGLIA, architecte italien, qui vivait au
xvme siècle. Il doit surtout sa réputation aux
travaux qu'il exécuta dans le couvent de Ca-
tane, terminé par ses soins. Ce magnifique
édifice, dans lequel 104 colonnes de marbre
de Carrare soutenaient les cloîtres, était en-
richi de bas-reliefs, de sculptures, d'arabes-
ques, possédait, outre une bibliothèque, un
riche musée, et présentait dans toutes ses
parties l'aspect somptueux d'un riche palais.
Situé en face de l'Etna, le couvent de Catane
eut à souffrir de ce dangereux voisinage, et
fut détruit en partie dans une des iruptions
du volcan.

BATTAGLINI
(Marc), antiquaire italien, né
en 1645 près de Rimini, mort aCésèneen 1717.
Il fut successivement évêque de Nocera et de
Césène. Il s'est fait connaître par deux ouvra-
ges écrits en un style qui, selon l'usage du
temps, n'est pas exempt d'affectation et d'en-
flure. Ce sont : Jstoria universale di tutti i
concilj generali e particolari di sancta Chiese
(1686, in-folio. Dans une seconde édition, pu-
bliée en 1689, il ajouta l'histoire de quatre cent
trois autres conciles), et Annali del Sacerdozio
e dell' Imperio intorno ail' intero secolo de-
cimo-settimo di nostra salute (Venise, 4 vol.
in-folio, 1701).

BATTAILLE
(Charles- Amable), chanteur
français, né à Nantes le 30 septembre 1822,
d'un père médecin, qui le destina de bonne
heure à suivre la même carrière que lui. Il
étudia la médecine à Nantes pendant cinq ans,
fut reçu interne au concours de cette ville, et
pendant quatre ans exerça les fonctions de
prosecteur d'anatomie. Il fut reçu bachelier
es sciences à Caen, et passa à Paris ses quatre
premiers examens pour le doctorat. Cependant
un penchant irrésistible l'entraînait vers le
théâtre; il se destina d'abord au drame et à la
tragédie, mais, encouragé par le célèbre pro-
fesseur Garcia, il se fit recevoir au Conser-
vatoire, où il emporta, après deux ans d'études,
les trois premiers prix de chant, d'opéra et
d'opéra-comique, succès presque sans précé-
dent au Conservatoire.
Basset, alors directeur de l'Opéra-Comique,
devina le jeune artiste et l'engagea à de bril-
lantes conditions. Son début eut lieu le 22 juin
1848, dans le rôle de Sulpice do la Fille du
régiment, opéra de Donizetti; malheureuse-
ment, les tristes journées de juin commencèrent
le lendemain de cette représentation, et les
chants cessèrent... M. Battaille avait été re-
marqué et se signala à la fin de cette même
année 1848, en créant, d'une façon magistrale,
le rôle du vieux chevrier du Val d'Andorre,
d'Halévy. Il obtint ensuite les plus brillants
succès dans le Carillonneur de Bruges, la Fée
aux roses, le Toréador, le Songe d'une nuit
d'été. Marco Spada, etc., etc. ; sa plus belle
création fut celle de Pierre le Grand, dans
YEtoile du Nord, opéra de Meyerbeer, ou-
vrage dans lequel il déploya, en même temps
qu'une grande science de chant, son art de
comédien, auquel il dut toujours la" moitié de
ses succès.
Après s'être éloigné quelque temps de la
scène, M. Battaille reparut au Théâtre-Lyrique,
où il se fit de nouveau applaudir dans divers
rôles, entre autres celui d'Osmin de YEnlève-
mént au sérail, de Mozart. Il y reprit aussi le
rôle du chevrier dans le Val d'Andorre, son pre-
mier triomphe. M. Battaille s'est depuis quel-
que temps retiré définitivement du théâtre,
et se consacre entièrement au professorat. Il
est, depuis 1851, professeur de chant au Con-
servatoire, et on lui doit un mémoire intitulé :
Nouvelles recherches sur la phonation (1861,
in-8°), suivi d'un second qui le complète : De
l'enseignement du chant; deuxième partie :
De la physiologie appliquée à l'étude du méca-
nisme vocal (1863, in-8°). Ces différents ou-
vrages, ainsi que ses savantes créations, ont
valu à M. Battaille diverses décorations étran-
gères, entre autres celle de Saints-Maurice et
Lazare. Ses études sur la phonation lui ont
valu aussi un prix de physiologie de l'Académie
des sciences. La voix de M. Battaille est celle
de la basse-taille, elle est d'une agilité mer-
veilleuse et d'usé gravité vraiment exception-
nelle - on a pu 1 entendre, dans YEtoile du
Nord, donner le contre-mi bémol grave avec
beaucoup de puissance, et dans YEnlèvement
au sérail le contre-rè grave; ce ne sont là,
sans doute, que des curiosités vocales; mais
unies à cette science et à ce tempérament
d'artiste qui distinguent M. Battaille, elles con-
stituent un ensemble rare de qualités pré-
cieuses.

BATTAISON
s. f. (ba-tè-zon — rad. battre).
Agric. Action de battre le blé ; époque où il
est battu, il On dit plutôt BATTAGE.

BATTAJASSE
s. f. (batt-ta-ja-se). Ornith.
V. LAVANDIÈRE.

BATTALCS
ou BATALUS, joueur de flûte,
natif d'Ephèse, vivait vers l'an 408 avant notre
ère. Il jouissait d'une grande célébrité en
Grèce, à cause de son talent, et peut-être plus
encore à cause de sa mollesse, qui était de-
venue proverbiale et dont le poète Antiphane
avait fait le sujet d'une de ses comédies, au-
jourd'hui perdues. Démosthène, qui., avant
de devenir le premier orateur du monde,
avait eu dans sa jeunesse des mœurs très-
efféminées, avait reçu pour ce motif le sur-
nom de Battalus.

BATTANT
(ba-tan) part. prés, du v. Battre :
// est peu d'enfants que l'on corrige en les
BATTANT.
Par l'ouragan fouettée, et battant les vitraux,
La pluie, en ruisselant, obscurcit les carraux.
LAMARTINE,
— Mener battant, Mener rondement; no
pas cesser de poursuivre, en parlant de l'en-
nemi : Nous MENÂMES l'ennemi BATTANT jus-
qu'à deux lieues du champ de bataille. Cette
mousqueterie nous MENA BATTANT jusqu'à notre
grana'garde. (St-Sim.)
Nous les menons battant jusqu'à la un du jour.
CORNEILLE.
il Fig. Presser vivement et sans relâche, soit
au jeu, soit dans une discussion : L'opposition
A MENÉ BATTANT le gouvernement jusqu'à la fin
de la session. Nous MENÂMES nos deux parte-
naires BATTANT tout le soir.
BATTANT, ANTE adj. (ba-tan, an-te —
rad. battre). Qui bat, qui aime à battre :
Je ne suis point battant, de peur d'être battu.
MOLIÈRE.
Je suis loin de parler pour les maris battants;
On ne doit maltraiter personne.
FR. DE NEUFCHATEAU.
— Porte battante, Porte qui n'est pas ar-
rêtée et que le vent fait battre, il Double
porte placée au-devant d'un appartement, et
qui se referme d'elle-même.
— Pluie battante, Averse, grande pluie :
Je reçus pendant vingt minutes une PLUIE BAT-
TANTE. (Berlioz.) Quelle imprudence, dit Va-
lentine, de s'exposer ainsi à une PLUIE BAT-
TANTE! (Ad. Paul.)
— Tambour battant, Au son du tambour :
La garnison est sortie avec armes et bagages,
TAMBOUR BATTANT, enseignes déployées; elle a
eu les honneurs de la guerre. Un régiment d'in-
fanterie a traversé la ville, TAMBOUR BATTANT
et enseignes déployées. (Scribe.) Il Fig. Ronde-
ment, sévèrement : Ce maître mène sa classe
TAMBOUR BATTANT.
— Loc. fam. Tout battant neuf, toute bat-
tante neuve, Complètement neuf : Un habit
TOUT BATTANT NEUF. Une maison TOUTE BAT-
TANTE NEUVE. On a*fait à Paris une constitu-
tion TOUTE BATTANTE NEUVE. (J. de Maistre.j il
Fig. Ingénu, en parlant des personnes ou des
qualités de l'âme : Nous avons toujours la
petite personne; c'est un esprit vif et TOUT
BATTANT NEUF, que nous prenons plaisir d'é-
clairer. (Mme de Sév.) il M^e de Sévigné l'a
dit aussi d'une personne complètement in-
connue : Mademoiselle Amelot fut mariée
dimanche, sans que personne l'ait su, avec un
M. de Vaubecourt TOUT BATTANT NEUF.
— Techn. Métier battant^ Métier d'ourdis-
seur et dé tisseur, en activité.
— Mar. Vaisseau battant ou bien battant,
Vaisseau dont l'artillerie est bien installée,
fonctionne bien. v
— Substantiv. Personne qui bat ou qui a
battu : Les BATTANTS ont attaqué en justice,
et les battus ont payé l'amende.
BATTANT s. m. (ba-tan —rad. battre)
Pièce de métal, le plus souvent en fer, sus-
pendue librement au sommet intérieur d'une
cloche, contre les parois de laquelle elle frappe
quand la cloche est mise en branle : Agiter
le BATTANT d'une cloche. Le BATTANT de la
grosse cloche de Paris pèse mille trois cents
livres. (Trév.)
Chaque coup du battant sonore
Me semble jeter des sanglots.
LAMARTINE.
L'esprit de minuit passe, et répandant l'effroi,
Douze fois se balance au battant du beffroi.
V. Huoo.
— Chacun des vantaux d'une porte : Ouvrir
une porte à deux BATTANTS. Un des BATTANTS
de la porte cochère restait ouvert et garni d'une
porte basse, à claire-voie et à sonnette. (Balz.)
Les châteaux des Dardanelles ferment cette
mer, comme les deux BATTANTS d'une porte.
(Lamart.) Ce personnage venait de disparaître,
lorsque les deux BATTANTS de la porte du fond
s'ouvrirent. (E. Sue.)
La porte, à Bon aspect, s'ouvre à deux grands battants.
REONARD.
On ferme à deux battants les portes de l'église.
LAMARTINE.
. . . On vient fermer la divine demeure.
Et sur les gonds saches, les deux battants d'airain
Tournent, en ébranlant le caveau souterrain.
LAMARTINE.
Ii Chacun des volets d'une fenêtre : Il va la
voir... Fermez un des deux BATTANTS. (Scribe.)
il Peu usité.
— Par anal. Sorte de volet, qu'on soulève
pour ouvrir un comptoir, u Ce sens a vieilli.
— Loc. fam. Ouvrir à quelqu'un à deux
battants ou les deux battants, Le recevoir avec
un grand empressement : Venez me voir, et
JE vous OUVRIRAI ma porte k DEUX BATTANTS.
La prime! devant elle il n'est point d'inhumaine.
La prime, tenant lieu d'antique parchemin,
Nous ouvre d deux battants le faubourg St-Germain.
C. DELAVIQNE.
Un avare est damné; mais pour un riche aimable,
Qui partage galmcnt ses plaisirs et sa table,
Les portes de la-haut s'ouvrent d deux battants.
— Argot. Cœur : Mets la main sur mon
BATTANT.
— Techn. Chacun des montants d'une port'*
auxquels sont assemblées les traverses. Il
Pièce principale d'un loquet ; celle qu'on
soulève, et qui ferme en retombant. [| Pièce
de bois qui balaye le grain et le pousse sous
lameuledumoulin. Il Châssis qui bat la trame
dans les métiers à tisser,c'esl-à-dire dans ceux
du tisserand, du gazier et du rubanier.
— Armur. Battant do lagrenadlère ou d'en
haut, Anneau de fer fixé à la grenadière. Il
I Battant de sous-garde ou d'en bas, Anneau de
fer fixé en avant du pontet, et qui sert, avec
le précédent, à recevoir les deux extrémités
} de la bretelle, c'est-à-dire de la bande de cuir
au moyen de laquelle on porte un fusil en
bandoulière.
— Chass. Petit piège d'oiseleur.
— Mar. Partie flottante d'un pavillon, par
opposition à la nartie fixe, qu'on appelle guin-
dant : Ce pavillon a huit pieds de BATTANT et
deux pieds de guindant.
— Erpét. Pièce mobile qui, chez certaine*
tortues, ferme hermétiquement la carapace
lorsque l'animal y retire son corps.
— Moll. Nom que l'on donnait autrefois
aux valves.
—Bot. "Chacune des deux valves qui forment
les siliques.

BATTANT-BROCHEUR
s. m. Techn. Ma-
chine au moyen de laquelle on tisse les
étoffes brochées, c'est-à-dire ornées de bou-
quets ou de dessins isolés, en n'employant
que la guantité do matière rigoureusement
nécessaire à l'exécution de ces ornements, u
PI. Battants-brocheurs. '
— Encycl. Autrefois, les dessins des étoffes
t brochées s'obtenaient en faisant passer le fil
destiné à les former sur certains fils de la
trame et en dessous de tous les autres. Il arri-
vait de là que, pour une très-petite partie de
fil utilisée, tout ce qui passait en dessous de
la trame était perdu, et que le plus souvent,
le poids du tissu devenant trop considérable
ou les longs fils de l'envers trop gênants, on
était obligé de couper ces derniers. Or, cette
opération donnait lieu à un grand inconvé-
nient : c'est que les fils du dessin n'étaient plus
alors retenus que par le serrement de ceux
entre lesquels passaient leurs extrémités, ser-
rage presque toujours insuffisant pour la soie,
en sorte que si quelques-uns d'entre eux ve-
naient à s'échapper par suite de l'usure, l'étoffe
j elle-même se trouvait rapidement mise hors de
. service. C'est pour remédier à ce défaut ca-
I pital de l'ancienne fabrication des tissus bro-
chés que le battunt-brocheuf a été inventé.
Cette ingénieuse machine a été créée, en 1838,
par le mécanicien lyonnais Prosper Meynier.
On la considère comme une des plus remar-
quables inventions dont on a de nos jours doté
la fabrication des étoft'es brochées, et son ap-
plication au tissage des châles a tellement
révolutionné cette industrie, qu'à prix égal,
les châliers français peuvent faire aussi bien
que ceux de Cachemire.

BATTANT-BRODEUR
s. m.Techn. Machine
à broder les étoffes, il PI. Battants-brodeurs.

BATTANT-LANCEUR
s. m. Techn. Pièco
d'un métier à tisser, munie de deux coulis-
seaux qui chassent alternativement la na-
vette. Il PI. Battants-lanceurs.

BATTANT-LŒIL
s. m. Bonnet de femme
en négligé, portant deux avancements qui se
rabattent facilement sur le visage et surtout
sur les yeux : La fruitière était en BATTANT-
L'ŒIL., et le fort de la halle en chapeau gris.
(Jouy.)

BATTARA
(Jean-Antoine), savant italien,
né à Rimini, mort en 1798. Il était curé dans
sa ville natale, ce qui ne l'empêcha pas de se
livrer en même temps à la médecine, et surtout
de s'adonner "à l'histoire naturelle, pour la-
quelle il avait une véritable passion. Il a écrit
plusieurs ouvrages, notamment : Fungorum
agri Ariminensis Historia (Faen'za, 1755-1759),
avec 200 figures, livre estimé dans lequel il
traite des champignons, dont il donne une
classification, et qu'il considère comme de
véritables plantes devant leur origine à des
graines, et non à la putréfaction, comme on
le croyait alors; Pratica agraria distributa
in vani dialoghi (Rome, 1778, 2 vol.) ; Epistola
selecta de re naturali, etc. (1774).

BATTARÉE
s. f. (ba-ta-ré — du nom du
botaniste Battara). Bot. Genre de champi-
gnons de la famille des lycorperdacées, com-
prenant trois espèces exotiques.
— Encycl. - Ce genre, dit M. Léveillé, est
caractérisé par une valve qui renferme dans
les deux feuillets dont elle se compose une
matière gélatineuse. Cette valve se rompt, et
il en sort un pédicule creux, presque ligneux,
qui supporte un chapeau canipaniforme, lisse
en dessous, filamenteux et pulvérulent en
dessus. La membrane interne de la valve re-
couvre toute cette partie, comme le ferait un
capuchon. - On connaît trois espèces du genre
battarée; l<> La battarée phalloïde, dont la
valve, enfoncée en terre de 18 à 20 cent., est
blancne, ovale, et formée de deux membranes
qui renferment une matière mucilagineuse. Le
Îiédicule est nu, cylindrique, fendillé et écail-
eux à la surface, et d environ 30 cent, de
long. Des filaments et des spores roux cou-
vrent la face supérieure. 2° La battarée de
Stéven, qui croît dans les sables des bords du
Volga, et atteint jusqu'à 35 cent, de haut.
Chapeau coriace, mince, celluleux en dessus et
recouvert d'une grande quantité de spores
d'un jaune brun, diaphanes sous le micros-
cope. 3° La battarée de Gaudichaud, décou-
verte au Pérou, près de Lima, sur les bords
desséchés du Rimac en 1831, et encore peu
connue.

BATTAS
(PAYS DES). Contrée de l'Ile de Su-
matra, dans la Malaisie, s'étendant le long de
la côte occidentale et dans l'intérieur de Vile,

bornée au N. par le royaume d'Achera, au
S.-E. par le royaume de Siak et au S.-O. par
les possessions hollandaises de Fadang. Ce
pays, traversé par les monts Sampouans et
arrosé par le Sinkel, est couvert en grande
partie d'impénétrables forêts ; dans le centre,
on trouve des plaines et des vallées fertiles,
où l'on récolte du benjoin et du camphre. Il
est divisé en cinq grands territoires, gouvernés
par cinqs rajahs, auxquels obéissent des chefs
tributaires.
Les Battas sont plus petits que les autres
Malais, ont le teint moins foncé, et s'habillent
d'une étoffe de coton qu'ils fabriquent eux-
mêmes. Pour armes, ils ont le fusil, la lance et
l'épée ; ils n'ont point de monnaie, et ils entre-
tiennent très-peu de relations avec les étran-
gers. Leurs maisons, faites de bambous, n'ont
qu'une seule chambre; les villages, entourés
de fossés, sont défendus par des haies de
bambous. Bien qu'éminemment hospitaliers,
les Battas sont le peuple le plus barbare de
l'île de Sumatra ; chez eux, l'individu coupable
d'adultère est dévoré par les hommes de sa
tribu. D'autres crimes sont punis par le
même supplice. Ils mandent aussi des prison-
niers, mais ils ont abandonné l'ancien usage
de manger leurs parents devenus vieux et in-
capables de travailler : dans ce cas, le vieillard
allait lui-même se suspendre par les mains k
une branche d'arbre; les enfants et les voi-
sins dansaient autour de lui en chantant
« Quand le fruit est mûr, il faut qu'il tombe. »
- Dès que la fatigue faisait détacher les mains
de la victime, on se précipitait sur elle, et on la
dévorait. Un mari achète sa femme, et il peut
la revendre avec ses enfants. A ces coutumes
barbares et sauvages, ce peuple joint quel-
ques indices de civilisation j il possède une
langue et un alphabet particulier; la littéra-
ture des Battas est, dit-on, riche et originale;
mais ils tiennent avec opiniâtreté à leur reli-
gion, qui leur enseigne l'existence d'un dieu
supérieur et de trois dieux subalternes.

BATTE
s. î. (ba-te — rad. battre). Agric. et
Techn. Plateau de bois muni d'un manche,
dont on se sert-pour aplanir ou écraser, (i
Organe principal du batteur à coton et de la
batteuse pour les céréales, formé de deux ou
plusieurs lames à distance d'un axe central,
auquel elles sont rattachées par des bras, u
Plaque d'étain qu'on jette en moule toute
plate.
— diatte de tapissier, Baguette pour échar-
per la laine et ia bourre, li Batte de tonnelier,
Maillet pour faire sauter le bondon, en frap-
pant autour. C'est aussi une sorte de maillet
pour enfoncer les bouchons dans les bouteilles.
Il Batte de marbrier. Rouleau pour broyer les
couleurs, il Batte de potier, Instrument en
plâtre, qui sert à faire la croûte propre au mou-
lage des assiettes, dès plats, des compotiers,
et autres pièces du même genre : U ressemble
à une bouteille à vin qui serait tronquée
dans le milieu, et dont le goulot représente-
rait la partie qu'on tient à la main pour le
maniement. *il Batte de blanchisseuse, Banc
sur lequel la blanchisseuse bat son linge, u
Batte de jardinier, pour aplanir les allées.
il Batte de maçon, pour écraser le plâtre ou
le ciment, n Batte des chemins de fer, pour
tasser le sable sous les traverses, n Batte de
carreleur, pour tasser et niveler les carreaux.
il Batte à bœuf, Rondin dont le boucher se
sert pour battre et mortifier la chair des ani-
maux, avant de les écorcher.
— Constr. Masse en pierre ou en bois, mu-
nie d'un manche, avec lequel on la roule sur
des morceaux de plâtre cuit, pour les ré-
-duireen poudre. On l'appelle aussi DAME. H
— Théâtr. Sabre de bois d'Arlequin, dans
la comédie italienne, il Fig. Moyen comique
ou satirique : Pendant quinze ans, la BATTE
de l'épigramme ouvrit la brèche par où passa
l'insurrection. (Balz.)-
— Manég. Partie saillante d'une selle à
piqueur, qui soutient les cuisses du cavalier.
— Jeu. Partie du battoir qui frappe la
balle, au jeu de paume.
— Encycl. On distingue trois' sortes de
battes : 10 La batte commune ou batte à aires,
employée pour solidifier le sol des allées, des
orangeries, des aires de grange, etc.; c'est
un morceau de bois long de 0 m. 50, sur une
largeur moitié moindre, et une épaisseur d'en-
viron 0 m. 15; il est emmanché obliquement
dans le milieu, de manière qu'un homme de-
bout puisse frapper aisément le sol à plat et
d'aplomb ; 2o La batte-gazon, dont on se
sert pour fixer les plaques de gazon que l'on
veut appliquer sur les talus ou pentes rapides.
C'est un espèce de billot, ayant quelque ana-
logie avec le battoir des blanchisseuses ; 3° on
emploie aussi une espèce de batte, beaucoup
plus lourde que les précédentes, pour solidi-
fier les terrains nouvellement remués, tasser
la terre autour de certains arbres plantés de-
fiuis peu du broyer certains matériaux pour
es constructions rurales. On donne b. cet ins-
trument des formes et des dimensions diverses,
suivant l'usage auquel on le destine.
BATTE s. f. (ba-te = rad. battre). Techn.
Action de battre l'or : La BATTE de l'or.

BATTE-BEURRE
OU BATTE - À - BEURRE
s. m. Econ. agr. Sorte de cône tronqué,
armé d'un mancho et percé de trous, qui sert
à battre le beurre : C'est en soulevant et
abaissant, pendant -un espace de temps assez
considérable, le bâton et le BATTE-BEURRE que
BAT
le petit-lait se sépare de la crème et que la
crème forme le beurre.

BATTE-CUL
s. m. Art. railit. anc. Partie
de l'armure d'un chevalier qui lui couvrait
les fesses, n PI. BATTE-CUL.

BATTÉE
s. f. (ba-té — rad. battre). Techn.
Terre battue à la fois par le fabricant de
glaces, u Ciment pétri, battu à la fois dans
une auge, u Paquet de feuilles à relier qu'on
bat à la fois : Les BATTÉES sont composées
de d'autant moins de feuilles que la reliure du
volume doit être plus soignée. Il Laine battue^
à la fois sur une claie, et qui pèse de 6 à
7 kilo.
— Ccnstr. Endroit du dormant où bat une
porte que l'on ferme.

BATTE-GAZON
s. f. Hortic. Instrument
pour tasser le gazon nouvellement trans-
planté, ou appliqué en mottes, il PI. BATTE-
GAZON.

BATTEL
(André), voyageur anglais, né h.
Leigh vers 1565, mort vers 1640. Ayant quitté
l'Angleterre en 1589, il ne put atteindre Bue-
nos-Ayres, le but de son voyage, et, forcé de
suivre, ainsi que l'équipage affamé, la côte
du Brésil, il tomba entre les mains des indi-
Fènes, qui le livrèrent aux Portugais. Comme
Angleterre se trouvait alors en guerre avec
l'Espagne et le Portugal, Battel Tut regardé
comme prisonnier, envoyé à Loanda, sur la
côte d'Afrique, et chargé bientôt après, par
le gouverneur portugais, de conduire dans le
Zaïre une péniche, pour rapporter de l'ivoire,
du blé, etc. Il s'acquitta fort habilement, a
plusieurs reprises, de cette mission ; mais un
jour, ayant aperçu un navire hollandais, il
tenta de s'évader, fut pris et dirigé dans l'in-
térieur des terres, à Massangano, où il passa
six ans. Une seconde tentative de fuite, qui
réussit aussi peu que la première, le fit con-
damner à servir dans une troupe chargée de 0
combattre les nègres du Congo. Dans une de
ces expéditions, d'où les Portugais rappor-
tèrent un riche butin, Battel fut laissé en
otage chez les sauvages habitants de cette
contrée, et il profita de cette circonstance
pour la visiter avec attention. Son courage
et la fermeté de son attitude lui avaient valu
le grade de sergent dans la petite troupe
dont il faisait partie, lorsqu'en 1603, à la mort
d'Elisabeth, la paix fut signée entre l'Angle-
terre et le Portugal. Battel demanda à reve-
nir dans sa patrie; mais le gouverneur portu-
faîs ayant fait quelques difficultés, il s'enfuit
ans les bois, vécut encore trois ans chez les
nègres, et regagna enfin sa ville natale, où il
termina paisiblement sa vie. Il publia la rela-
tion de son voyage , sous le ' titre de : les
Etranges Aventtires d'André Battel de Leigh,
en Essex. , -

BATTELÉE
adj. f. (ba-te-lé— rad. battre,
à cause de l'espèce de battement produit).
Prosod.; Qualification donnée à une rime fi-
nale, repétée :au milieu du vers suivant.
Voici un exemple de rimes battelées :
A jeune cœur qu'Amour asservira
Ne servira jamais de se Aéballre,
Car qui de battre Amour dessein aura,
Battu sera, mais battu comme plâtre. L. P.
En voici un autre plus connu :
Quand Neptunus, puissant dieu de la mer.
Cessa d'armer caraques et galères,
Les Gallicans bien le durent aimer,
Et réclamer ses grand's ondes salées.
Cl. MAROT.

BATTE-LESSIVE
s. f. Ornith. Nom vul-
gaire de la bergeronnette lavandière, il PI.
BATTE-LESSIVE.

BATTELLEMENT
s. m. (ba-tè-le-man).
Constr. Double rang de tuiles formant la
partie la plus basse d'un toit, n On l'appelle
aussi ÉGOUT ou AVANT-TOIT.

BATTE-MARE
s. f. Ornith. Nom vulgaire
de la bergeronnette lavandière et de l'hiron-
delle de rivage, n Pi. BATTE-MARE.

BATTEMENT
s. m. ( ba-te-man — rad.
battre). Action de battre : Des BATTEMENTS
de mains. Des BATTEMENTS d'ailes. Les BATTE-
MENTS du tambour. Les endroits qui avaient
été le plus siffles ont été ceux qui ont eu le
plus de BATTEMENTS de mains. (Volt.) Si les
sifflets sont pour moi, les BATTEMENTS de mains
sont pour elles. (Volt.) La compagnie m'honora
d'un BATTEMENT de mains général. (Le Sage.)
— Battement du cil, Clignement de la pau-
pière : Non ! non ! il n'était pas digne du BAT-
TEMENT DU CIL d'une Romaine. (Lamart.)
— Physiol. et pathol. Pulsation : Les BAT-
TEMENTS du cœur. Le BATTEMENT du pouls, des
artères, d'une tumeur. Ce qu'il y a de plus re-
marquable dans le cœur est le BATTEMENT COÏI-
tinuel, par lequel il se resserre et se dilate.
(Boss.) Les BATTEMENTS du cœur d'un moineau
se suivent si promptement, qu'à peine peut-on
les compter. (Buff.) Mes artères se mirent à
battre d'une si grande force, que non-seulement
je sentais leur BATTEMENT, mais ""que je l'en-
tendis même, et surtout celui des carotides.
(J.-J. Rouss.) Elle avait le bruit d'un torrent
dans les oreilles, mais centuplé par le BATTE-
MENT de ses artères. (G. Sand.)
Comptez les battements de ce cœur oppressé,
Qui s'élève et retombe, et languit dans l'attente.
C. DELÀ VIGNE.
Il Fig, Emotion, sentiment vif ou tendre :
Toutes les palpitations, tous les BATTEMENTS
BAT
de ce cœur, c'est la charité qui les produit.
(Boss.)
— Artill. Nom donné aux ricochets succes-
sifs que les projectiles font dans l'âme des
pièces, parce que leur calibre extérieur n'est
pas rigoureusement égal à celui de l'âme,
et qu'ils ne reçoivent pas d'une manière par-
faitement symétrique l'action des gaz de la
poudre : Les BATTEMENTS produisent, aux
points où ils ont lieu, des dépressions ou af-
fouillements qui nuisent à la justesse du tir,
et finissent par mettre la bouche à feu hors de
service.
— Mar. Sorte de frémissement imprimé à
une voile brassée en ralingue.
— Littér. Repos gui divise un vers. Un
même vers peut avoir plusieurs battements ;
notre alexandrin n'en a qu'un, qui est la cé-
sure ; le vers suivant en a trois :
Mœcenas — atavis — édite — regibus.'
HORACE.
— Mus. Tremblement alternatif produit par
des sons dissonants émis à la fois : Les BAT-
TEMENTS deviennent d'autant plus fréquents
que l'intervalle approche plus de la justesse.
(Millin.) C'est dans l'instrument lui-même,
beaucoup plus que dans l'oreille, et par l'in-
fluence réciproque des deux mouvements vibra-
toires , que les BATTEMENTS sont engendrés.
(Marié-Davy.) n Trille exécuté sur une note-
commencée uniment, par exemple, lorsque,
étant donnés les sons successifs do ré, on
chante do mi ré, en prenant mi sur la valeur
de do. il Division d'une mesure : Il y a trois

BATTEMENTS
dans la mesure à trois temps,
quatre BATTEMENTS dans la mesure à quatre
temps. (Millin.)
— Chorégr. Mouvement qui consiste à se
placer à la troisième position et à faire mou-
voir l'une des jambes en l'air, pendant quo
l'autre supporte tout le poids du corps, il
Grands battements, Ceux ou le pied qui agit
s'élève à une certaine hauteur et vient se
placer alternativement devant et derrière
celui qui pose à terre, il Petits battements,
Ceux où le pied exécute les mêmes mouve-
ments, mais sans presque quitter le sol.
— Escrim. Mouvement exécuté de pied
ferme, et qui consiste à frapper du faible de
son énée le faible de l'épée de l'adversaire,
pour l'obliger à quitter la ligne : BATTEMENT
de tierce. BATTEMENT de quarte.
— Mécan. Course simple du piston d'une
machine à vapeur.
— Techn. Secousse imprimée par l'oscilla-
tion du pendule d'une horloge ou d'une mon-
tre : Une horloge est d'autant plus parfaite
que le BATTEMENT y est moins sensible. \\ Pièce
qui couvre la ligne suivant laquelle se joi-
gnent les battants d'une porte ou les volets
d'une croisée. H Partie de la lame d'un cou-
teau, qui porte sur le ressort, il Partie du pavé,
qui se trouve au droit de l'embrasement
d'une porte cochère.
BATTENBURGISTES. Hist. relig. Anabap-
tistes partisans de Jean de Battenburg, suc-
cesseur de Jean de Leyde : Quelques sectaires,
réunis par Jean de Battenburg, prirent le nom
de BATTENBURGISTES. (Gary.)

BATTENDIER
s. m. (ba-tan-dîô — rad.
battre). Techn. Celui qui exploite un moulin
à battre le chanvre.
-BATTE-PLATE S. f. Techn. Outil de plom-
bier, il PI. BATTES-PLATES.

BATTE-QUEUE
s. f. Nom vulgaire de la
bergeronnette lavandière, qui a été ainsi ap-
pelée à cause des mouvements de sa queue,
qui sont en quelquo sorte perpétuels, il PI.
BATTE-QUEUE.

BATTER
S. m. ( ba-teur, mot angl. dérivé
lui-même do bat, battoir). Jeux. Joueur
chargé de recevoir la balle avec le bat, dans
le jeu de cricket.

BATTERAND
s. m. (ba-te-ran — rad. bat-
tre). Techn. Sorte de masse de fer, à manche
ilexible, pour casser les pierres, n Marteau de
carrier pour enfoncer des coins dans la roche.
Il On dit aussi BATTRANT.

BATTERIE
s. f. (ba-te-ri — rad. battre).
Bataille qui suit une querelle : Une BATTERIE
d'ivrognes. Près du corps de garde allemand,
c'était un enfer! On s'y tuait en enragés/ —
Bah! des riens, des gourmades, des BATTERIES
de cabaret! (Lemercier.) Il y eut des BATTE-
RIES, et l'on en tua plus de soixante. (Miche-
let.) Il ne s'agit plus d'une BATTERIE mainte-
nant ; c'est un duel, une affaire d'honneur, et
c'est bien différent. (Fr. Soulié.) Tu n'as pas
eu de BATTERIES ; tu deviens donc sage ? (E. Sue.)
— Artill. Bouches à feu placées pour tirer
ensemble : Une BATTERIE de douze canons. Une
BATTERIE de gros mortiers. BATTERIE de côte.
BATTERIE de campagne. Les BATTERIES fouet-
taient étrangement notre cavalerie. (St-Sim.)
Monsieur, jetez les yeux sur cette BATTERIE
que je viens de faire placer là, (Mme de Sév.)
Il tenait dans un défilé les ennemis, entre deux

BATTERIES
qui plongeaient sur eux. (Volt.) Ga-
rantir les BATTERIES contre les courses impré-
vues d'un ennemi audacieux est une des pre-
mières précautions de l'art de la guerre. (Gén.
Bardin.) Ma foi! j'ai soutenu le feu des BAT-
TERIES ennemies; eh bien! jamais je n'ai trem-
blé. (Balz.) ^
— Les batteries prennent diverses déno-
minations, suivant la nature des pièces, le
mode ou le Iwu de leur installation : BATTB-
BAT 375
; R:E de canons, d'obusiers, de mortiers, il Batte-
ries croisées, Celles dont les boulets se croi-
sent dans leur parcours, il Batteries blindées,
Celles qui sont couvertes d'un toit qui pro-
tège contre les feux plongeants, n Batteries
découvertes, Celles sur lesquelles le feu en-
nemi a des vues directes, et qui ne sont point
protégées par quelque ouvrage. Il Batteries
rasantes, Celles qui sont établies presque à
fleur d'eau, contre les vaisseaux ennemis, u
Batteries directes, Celles qui battent perpen-
diculairement la face d'un ouvrage ou le front
d'une troupe. H Batteries d'écharpe, Celles qui
battent obliquement le point attaqué. Il Bat-
teries de revers, Celles qui le battent par der-
rière. Il Batteries d'enfilade, Celles qui le bat-
tent dans toute sa langueur, quand c'est une
artie d'ouvrage, ou dans toute sa profon-
eur, quand c'est'une troupe : Les BATTERIES
de revers et D'ENFILADE tirent ordinairement à
ricochet, en ligne brisée. Il Batterie à ricochet,
Celle dont les projectiles, lancés par une fai-
ble charge de poudre, ricochent contre le but
et le labourent sur une certaine étendue, il
Batterie par camarade, Batterie dont toutes
les pièces tirent ensemble du même point et
dans la même direction. Il Batteries de posi-
tion , Batteries fixes : Deux BATTERIES DB
POSITION commencèrent aussitôt leur feu contre
nous. (Baron de Bazancourt.) u Batteries de
plein fouet, Celles mû tirent directement sur
Je but. || Batteries dt campagne. Celles qui so
composent de six cai>ons obusiers de 12, pour
les circonstances ordinaires de la guerre. (I
Batteries de montagne, Celles qui compren-
nent six obusiers de 12} pour les opérations
en pays fortement accidenté, n Batteries de
division, Celles qui accompagnent les divi-
sions d'infanterie et de cavalerie. U Batteries
de réserve, Celles qui marchent à la suite,
pour remplacer au besoin les précédentes ou
les renforcer, [f Batteries de côte, Batteries
établies sur le bord de la mer, pour en défen-
dre l'approche. Il Batteries de place, Batteries
établies dans une place pour la défendre. Il
Batteries de siège on d'attaque, Batteries éta-
blies devant une place, pour l'attaquer. H
Batteries à barbette, Celles dont le tir a lieu
par-dessus le parapet, il Batteries à embrasure,
t Celles qui tirent par des coupures pratiquées
' dans le parapet, il Batterie à redans, Celle qui
est couverte par un ouvrage à redans.
— Par ext. Lieu préparé pour recevoir une
batterie de canons : Construire une BATTERIE.
Se promener dans la BATTERIE. Henri IV pas-
sait les jours et les nuits à visiter les BATTE-
RIES et les tranchées. (Ste-Beuve.)
On l'a mis à la guerre en une batterie
D'où le canon tirait avec tant de furie...
REGNARD.
— Compagnie d'artillerie, avec son maté-
riel : Les régiments d'artillerie sont divisés en
BATTERIES , composées chacune d'un certain
nombre de pièces.' (Gén. Bardin.)
—Mar. Canons qui arment chacun des ponts
d'un navire de guerre : Cette BATTERIE éteinte,
l'équipage remonte à la BATTERPS supérieure,
et la décharge sur l'ennemi. (Lamart.) il Pont
d'un navire de guerre, destiné à êtrearmé de
canons : La BATTERIE basse. Le mot BATTERIE,
dans le langage ordinaire des marins, désigne
aussi bien un étage de navire qu'une partie de
son armement. On va, on loge dans la BATTE-
RIE. (A. Jal.) Il Batterie découverte ou à bar-
bette, Batterie découverte, qui occupe le pont
supérieur. Il Batterie basse ou première batte-
rie, Batterie la plus voisine de la cale, li Se-
conde batterie, Celle qui est au-dessus de la
première, il Troisième battei'ie ou batterie
haute, Celle qui est au-dessus de la seconde.
Il Batteries couvertes, Batteries des entre-
ponts': On compte les vaisseaux par le nombre
de leurs BATTERIES COUVERTES : les vaisseaux
à trois ponts ont trois de ces batteries, les vais-
seaux à deux ponts n'en ont que deux, les fré-
gates et les corvettes n'en ont qu'une. (A. Jal.)
Il Batterie flottante, Autrefois, radeau ou
ponton chargé de canons : Le dernier bucen-
taure de Venise fut transformé par les Fran-
çais en une BATTERIE FLOTTANTE. (A. Jal.) Et
aujourd'hui, Sorte de ponton en fer destiné
au même usage.
— En batterie, En parlant des bouches à
feu, En position pour tirer : Mettre des ca-
nons en BATTERIE. Ils mirent EN BATTERIE qua-
tre cents pièces de canon.
— Par anal. Série d'objets alignés : Les
orgues, d'une grandeur formidable, ont des
BATTERIES de tuyaux disposés sur un plan trans-
versal. (Th. Gaut.)
— Fig. Moyens d'action combinés : Dresser,
préparer ses BATTERIES. Changer de BATTE-
RIES. Démonter les BATTERIES de quelqu'un. A
la cour, il faut arranger ses pièces et ses BAT-
TERIES, avoir un dessein, le suivre, parer celui
de son adversaire. (La Bruy.) Voilà donc les
deux BATTERIES que le monde dresse contre
nous ; il veut l'emporter de gré ou de force ;
s'il ne peut se faire aimer, il tâche de se faire
craindre. (Boss.) Nous avons préparé un bon
nombre de BATTERIES pour renverser ce dessein
ridicule. (Mol.) Mademoiselle Henriette mit
ses charmes en BATTERIE contre le fils du bou-
langer. (E. Abnut.) Avant de tourner contre
Pie IX la BATTERIE de leurs vœux persévé-
rants, ils auraient dû examiner d'abord si
sonpontificat a péché par défaut de réformes*
(Poujoulat.)
Sans changer de discours, changeons de batterie
CORNEILLB.
376
Ou!, l'on tient grand conseil ; de fortes batteries
Pour le coup vont, ce soir, agir aux Tuileries;
Tous les hommes puissants, nos illustres amis,
Vont en notre faveur se trouver réunis.
AL. DUVAL.
— Techn. Pièce de fer aciérée par-dessous,
quij dans l'ancienne platine à pierre, recou-
vrait le bassinet et produisais bLus lo choc
du silex, les étincelles nécessaires pour en-
flammer la poudre d'amorce. Un ressort d'a-
cier, dit ressort de batterie, pressait le pied
de cette pièce et la tenait appliquée sur le
bassinet : La BATTERIE s'appelait primitive-
ment fusil. // y avait là, dans un coin, à sa
portée, un fusil de chasse dont il fit jouer la
BATTERIE. (Ad. Paul.) il Série de pilons ou de
marteaux ordinairement disposés on ligne :
BATTERIE de pilons des raffineries de poudre
et des papeteries. BATTERIE de marteaux des
fabricants de cuivre jaune. Il Appareil à enfon-
cer des pieux, il Chaudière à battre le sirop,
dans les raffineries do sucre. Il Cuve où les
chapeliers foulent les chapeaux, il Cuve pour
opérer la séparation de la fécule et de l'in-
digo, H Fond d'un bassin à ciment, n Fond de
tamis.
— Méiall. Usine où l'on bat et étire le fer,
pour en faire de la tôle.
— Phys. Batterie électrique, Réunion de
fuusieurs bouteilles vde Lcydo disposées de
açon à pouvoir être chargées et déchargées
à la fois : Franklin inventa la charge par cas-
cade, qui devint la première BATTERIE ÉLEC-
TRIQUE. (Mignet.)
— Pyrotechn. Réunion de plusieurs pièces,
oui sont disposées ordinairement en ligne
droite, et destinées à partir simultanément :
On fait des BATTERIES de chandelles romaines,
de pots à feu, etc. Les bouquets qui terminent
les feux d artifice ne sont autre chose que de
gigantesques BATTERIES de fusées volantes,
— Jeu. Chacun des petits murs construits
le long du couvert, dans un jeu de paume, il
Action de réunir, sous un gobelet d'escamo-
teur, des muscades éparses sous les autres
gobelets, il Au jeu de l'ambigu. Quantité de
jetons qu'un joueur propose déjouer.
— Franc - maç. Rhythme des coups frap-
pés avec le maillet ou avec les mains, en si-
gne d'approbation , de sanction , de bienve-
nue, etc., dans le cours des travaux d'une
tenue maçonnique. Chaque grade a une bat-
terie spéciale. Elle s'indique, sur les rituels,
par des points d'exclamation (!), et les in-
tervalles sont marqués par des tirets (—).
Ainsi : m — III!, signifient qu'il faut frapper
sept coups, avec un intervalle du 3c au 4<*.
BAT
— Littér. Batterie de mots, Sorte de choc
produit par l'opposition de certains mots réu-
nis à dessein : Chercher un détour, pour trou-
ver une BATTERIE DE MOTS, cela est puéril.
(Fén.)
— Mus. Ensemble des instruments à per-
cussion, comme tambour, grosse caisse, cym-
bales, etc. il Manière de battre le tambour :
Les BATTERIES diverses sont autant d'avertis-
sements différents. Dans le siècle .dernier, les
modes disparates des BATTERIES ont occasionné
plus d'une altercation de régiment à régiment.
(Gén. Bardin.) il Manière de battre les cordes
d'une guitare, au lieu de les pincer comme
à l'ordinaire, il Passage composé de notes d'un
accord qu'on fait entendre successivement
sur un instrument, et qu'on répète plusieurs
fois dans un mouvement plus ou moins ra-
pide : Les BATTERIES sur le violon sont souvent
difficiles, et souvent aussi produisent un effet
désagréable.
— Econ. domest. Batterie de cuisine, En-
semble des ustensiles de métal employés dans
une cuisine : Une BATTERIE DE CUISINE relui-
sante de propreté. Madame de Graffigny ra-
contait quelquefois que sa mère, ennuyée d'avoir
chez elle une grande quantité de planches en
cuivre gravées par Callot, fit un jour venir un
chaudronnier et les livra toutes, pour qu'il lui
en fit une belle BATTERIE DE CUISINE. (*") M. de
Bièvre, rentrant chez lui en compagnie d'un
de ses amis et voyant deux de ses marmitons
aux prises, lui dit : « Ne faites pas attention,
c'est une BATTERIE DE CUISINE. » (***)
— Encycl. Art. milit. Le mot batterie sert
à désigner soit un ensemble de plusieurs bou-
ches a feu et le personnel correspondant, soit
une position où ces bouches à feu sont dispo-
sées pour agir, et où elles sont, ainsi que les
hommes qui les servent, le mieux possible ga-
ranties des feux de l'ennemi.
Le personnel d'une batterie est différent,
suivant que la batterie est à cheval, montée
on à pied : les batteries à cheval sont celles
où tous les servants sont à cheval; les batte-
ries montées ont leurs servants à pied ou
montés sur-les caissons pour les évolutions
rapides; les batteries à pied sont celles dont
tous les hommes sont a pied. Ces dernières
servent dans les places fortes, sur les côtes et
dans les sièges. Le personnel de chacune de
ces batteries est encore variable suivant
qu'elles sont établies sur le pied de paix, le
pied de rassemblement ou le pied de guerre.
D'après les décrets du 14 février 1854 et du
20 décembre 1855, elles sont ainsi constituées :
LIEUTENANTS
OFFICIERS.
Effectif commun aux trois
genres de batteries.
f de ire classe.
[ de 2e classe.
Totaux
BATTERIE A PJED.
' Maréchal des logis chef
Maréchaux des logis. .
. Fourrier
I Brigadiers
\ Artificiers
Canonniers ( ire cl
servants ( 2c cl
1 Ouvriers en fer et en bois
* Trompettes
Totaux
BATTERIE MONTÉE.
I Adjudant sous-officier..
Maréchal des logis chef.
Maréchaux des logis. .
Fourriers
I Brigadiers
I Artificiers
Canonniers t lre cl.
servants I 2e cl
Canonniers ) lre cl,
conduct. I 2e cl
| Ouvriers en fer eten bois
Maréchaux ferrants.
Bourreliers
Trompettes
Totaux
PIED DE PAIX
CHEVAUX
de selle (lo trait
1 863042422126162416214323_
122
BATTERIE A CHEVAL.
Adjudant sous-officier.
Maréchal des logis chef
Maréchaux des logis. .
Fourriers .
Brigadiers
Artificiers
Canonniers ( lre cl.
servants \ 2c cl.
Canonniers t lre cl.
conduct. | 2e cl.
Ouvriers en fer et en bois
Maréchaux ferrants. .
Bourreliers
Trompettes
Totaux.
1 1821261G24ie2443
PIED
DE RASSEMBLEMENT
CHEVAUX
de selle de trait
6 1865072421262436284443,231182126294326384323_
178
PIED DE GUERRE
de selle de trait
1 8670
102
4 2118212-6
29 43487243231263150426843233243
108
BAT
L'armement des batteries dépend de leur
destination : il n'est pas le même pour les bat-
teries appropriées à la défense des places for-
tes, pour les batteries de côtes, pour les batte-
ries de siège, pour les batteries de campagne
et pour les batteries de montagne.
L'armement des deux dernières est seul in-
variablement fixé; en ne considérant que les
bouches à feu, il est - pour les batteries de
campagne, de quatre canons de 12, de deux
obusiers de 16 et de six canons obusiers de 12
légers pour les divisions de cavalerie; pour
les batteries de montagne, l'armement est, en
principe, de six obusiers de 12, répartis dans
trois sections; il y a cependant des batteries
de montagne qui sont composées de quatre
sections de deux obusiers chacune.
Les batteries, considérées comme ouvrages
propres a couvrir les bouches à feu des feux
de 1 ennemi, reçoivent des noms différents sui-
vant leur destination, le mode de leur con-
struction, l'espèce des bouches à feu qui les
arment, le genre de tir auquel elles sont pro-
pres, et la direction de leurs feux par rapport
a l'objet battu.
En raison de leurs destinations différentes,
on distingue des batteries de place, de siège,
de côte, de campagne.
Le mode de construction établit la différence
entre les batteries à barbette, à embrasures,
blindées, casematées, etc. (V. BARBETTE, EM-
BRASURES.) On nomme merlan la partie de la
masse de terre qui protège les bouches à feu
comprise entre deux embrasures contiguës.
Une batterie blindée est protégée contre les
BAT
feux eimemis par un blindage ; une batteriu
casematée est établie dans les casemates.
On désigne une batterie sous le nom de bat-
terie de canons, batterie d'obusiers, batterie
de mortiers, suivant qu'elle est armée de
canons, d'obusiers ou de mortiers.
Une batterie est dite de plein fouet, lors"quo
les projectiles qui partent de ses pièces ont
une grande vitesse et suivent une trajectoire
très-peu courbe, depuis leur point de départ
jusqu'au moment où ils choquent directement
l'objet à battre; à ricochet, lorsque les projec-
tiles ont une faible vitesse, parcourent des tra-
jectoires très-courbes, et viennent frapper
derrière une masse couvrante, par un seul
choc, ou après plusieurs ricochets. Une bat-
terie est dite directe, lorsque les lignes de tir
des projectiles sont à peu près perpendicu-
laires à la face de l'ouvrage ou au iront des
troupes à battre ; d'écharpe, lorsque le tir de ses
pièces est oblique à cette face ou à ce front.
Une batterie d'enfilade est disposée de façon
que les pièces qui l'arment tirent leurs boulets
parallèlement a la face ou au front à battre ;
les boulets partis d'une pareille batterie pren-
nent en flanc un corps de troupe, et en rouage
une batterie. Une batterie prend à revers, lors-
qu'elle est placée en arrière du prolongement
du front à battre. On distingue dans toute
batterie: le terre-plein sur lequel reposent les
bouches à feu : la masse couvrante, dite epau-
lement (dans les ouvrages de fortification, le
parapet sert d'épaulement).
La figure ci-dessous représente un profil do
batterie de siège pour canons et obusiers, dont
0.G5
156
le terre-plein est à niveau du sol ; ce profil ne
diffère que par les dimensions de celui des re-
tranchements établis en campagne; ses di-
verses parties portent les mêmes noms que
celles de ce dernier; cependant ceux de terre-
plein et d'épaulement remplacent ceux de
banquette et de parapet. On nomme genouil-
lère la partie du talus intérieur située au-
dessous des embrasures. Toutes les batteries
ont des profils analogues, lesdimensions seules
diffèrent; le terre-plein peut être au-dessus
ou au-dessoxys du niveau du sol. La batterie
dont le profil est représenté ci-dessus est à em-
brasures, c'est-à-dire que le terre-plein est
percé, de distance en distance, d'ouvertures
analogues à des créneaux, où s'engagent les
âmes des bouches à feu; quelquefois ce3 ou-
vertures sont supprimées, et le tir se fait par-
dessus l'épaulement. Le talus intérieur et les
jours de l'embrasure sont revêtus en fascines.
On emploie aussi des saucissons, des gabions,
des claies. La pièce repose sur une plate-
forme en bois légèrement inclinée sur l'épau-
lement.
— Batteries de siège. Les batteries de siège
se divisent en batteries établies près de la pa-
rallèle, et en batteries de brèches et contre-
batteries. Les premières batteries de siège sont
ordinairement établies en avant de la parallèle,
à 20 ou 25 m. de distance; il arrive cependant
quelquefois que l'on est obligé de les reculer
jusqu'à la parallèle, et même jusqu'en arrière.
Lorsque la batterie est en dehors de la paral-
lèle, on la relie à cette dernière par des
boyaux de communication; lorsqu'elle .est éta-
blie dans la parallèle, on construit en arrière
une portion de parallèle, et dans l'espace in-
termédiaire entre celle-ci et les batteries, on
établit les magasins à poudre. Les batteries
sont établies soit à niveau du sol, soit au-
dessous ; toutes les fois que le sol le permet,
et lorsqu'il n'y a pas nécessité pour le tir h
commander les travaux faits en avant de la
batterie, on doit employer le second mode d'é-
tablissement comme plus prompt et plus solide.
Quelquefois le terre-plein est en remblais :
cette disposition s'emploie lorsqu'il y a à
craindre des inondations,oupour tirerde plein
fouet; mais la solidité est alors fortement di-
minuée.
Il est nécessaire, pour régler le tir et pour
tracer les batteries, d'effectuer les opérations
f>réliminaires qui suivent : prendre les pro-
ongements des faces des ouvrages, ens'aidant
des maisons, des arbres, etc.; marquer ces
prolongements avec des piquets garnis de pa-
pier blanc; mesurer la distance U*J la batterie
au saillant de l'ouvrage (v. TRIANGULATION) ;
mesurer la distance entre deux poiuts inacces-
sibles pour obtenir les longueurs que l'on veut
battre ; mener une parallèle à la face d'un
ouvrage, pour obtenir la direction des crêtes
de l'épaulement; mesurer la hauteur de l'ou-
vrage au-dessus du sol de la batterie; recon-
naître les ouvrages qui peuvent voir la batte-
rie ; déterminer les traverses, retours et
communications qui peuvent être nécessaires ;
la hauteur d'épaulement, l'emplacement des
magasins à poudre ; faire sur les lieux le cro-
quis coté de In batterie.
Ces opérations effectuées, le tracé de la
batterie se fait de nuit. S'il s'agit d'une batte
rie dont le terre-plein est à niveau> du sol,
on établit d'abord, au moyen de l'équerre
et du cordeau, le pied du talus intérieur, de
manière que son extrémité la plus rapprochée
soit à 20 ou 25 m. du pied du talus extérieur
de la parallèle. On marque le point où doit
commencer l'épaulement, et les directrices des
pièces. On élève, aux deux extrémités du pied
du talus intérieur, des perpendiculaires que
l'on indique au moyen de piquets, et sur les-
quelles on compte les dimensions horizontales
du profil de la batterie. Toutes ces opérations
sont répétées pour les traverses, communica-
tions et magasins à poudre.
Le tracé précédent est fait par un officier
aidé de quelques sous-officiers et canonniers;
lorsqu'il est terminé, la plus grande partie des
travailleurs, composés de soldats de la ligne
et de canonniers, qui sont restés dans la tran-
chée, prêts à partir, en sortent munis de tous
les instruments nécessaires au terrassement
qu'ils doivent effectuer. A la fin de la première
nuit, à moins d'accidents imprévus, d'empêche-
ments causés par des attaques, le terre-plein
est préparé, l'épaulement élevé au-dessus de
hi genouillère du côté intérieur et sur 2 m.
d'épaisseur, le revêtement commencé et quel-
quefois élevé jusqu'à la genouillère, les com-
munications et magasins à établir dans l'épaule-
ment terminés. Pendant le jour, les travailleurs
du fossé continuent à creuser et à amonceler
les terres sur la berme et au pied de l'escarpe,
afin qu'elles soient toutes prêtes pour le tra-
vail de la nuità venir. Le travail de revêtement
se continue derrière la partie déjà construite
de l'épaulement. On construit les magasins et
les communications en arrière de la batterie;
enfin on fait les transports des bois à plates-
formes, établies sur le terre-plein, pour rece-
voir les pièces et les empêcher de s'enfoncer.
Pendant la seconde nuit, on amène les ga-
bions nécessaires aux revêtements et tout ce
qu'il faut pour finir le travail. On jette aux
endroits des merlons les terres accumulées
pendant le jour et qui doivent servira Taché ve-
ment de 1 epaulement. On trace les embra-
sures, on les revêt, on achève les plates-formes
si elles ne sont pas terminées; enfin on arme
et on pourvoit la batterie de tout ce qui lui est
nécessaire pour qu'elle puisse commencer le
feu avec le jour. Pour que le travail puisso
ainsi être complètement terminé en deux nuits,
il faut que celles-ci aient au moins de dix h
onze heures : dans le cas où elles seraient plus
courtes, ou bien dans le cas où le travail au-
rait dû être interrompu, sans rien changer à
l'ordre des opérations précédentes, il faudrait
employer trois ou peut-être quatre nuits.
Les dimensions relatives aux batteries dont
le terre-plein est enfoncé sont différentes des
précédentes ; leur tracé est encore exécuté de
nuit par un officier aidé de quelques Canon-
niers ; ce tracé se fait d'ailleurs, à très-peu de
chose près, comme pour les batteries dont le
terre-plein est à niveau du sol. Le travail de
terrassement se fait des deux côtés de l'épau-
lement; en d'autres termes,on creuseà la fois
le fossé et le terre-plein; il en résulte une plus
f rande rapidité d'exécution. En dix ou onze
eures, une pareille batterie peut être com-
plètement construite et armée.
Les batteries dont l'épaulement est en terre
377
ne sont pas les seules employées dans les
sièges; on en construit aussi très-rapidement
et sans bruit avec des sacs à terre ; il est sou-
vent nécessaire d'employer de pareilles batte-
ries lorsque le sol est impropre, par sa nature,
à fournir les terres nécessaires à l'épaule ment;
dany ce cas, on construit aussi des batteries
identiques à celles que nous avons représen-
tées fig. l, moins le fossé; les terres sont
apportées de la tranchée dans des sacs à
terre ; les travailleurs sont abrités par un
masque construit en sacs à terre fermés.
Les batteries de mortiers s'établissent à une -
grande distance en arrière de la parallèle;
elles sont mieux garanties sur le prolonge-
ment de la capitale; il y a toujours avantage
à enfoncer leur terre-plein.
Les batteries de brèche s'établissent dans la.
sape du couronnement du chemin couvert, ou
dans le chemin couvert lui-même; le meilleur
emplacement est au saillant du chemin cou-
vert. Leur tir peut être très-oblique et pro-
duire des brèches très-praticables.
Les contre-batteries se construisent sur le
firolongement de la trouée du fossé de demi-
une ou du bastion qui se trouve en avant de
la batterie de brèche, et dans le couronnement
du chemin couvert. Dans certains cas, on est
obligé de construire des batteries dites flot-
tantes, que l'on amène dans leur position sur
des radeaux ou des bateaux : les-radeauxsont
toujours préférables, parce qu'ils ne peuvent
être submergés par l'effet des projectiles
ennemis.
— Batteries de place. Les batteries de place
ont pour épaulement le parapet même de
l'ouvrage; la hauteur du parapet est ordi-
nairement de 2 m. 50 au-dessus au terre-plein
du rempart; le minimum de cette hauteur est
de 2 m. 10. La hauteur de la crête intérieure,
au-dessus de la banquette d'artillerie, est d«
2 m.; la largeur minimum de la banquette
d'artillerie est de 5 m.
Les batteries de place peuvent être établies
sur affûts de place et avec embrasures de
place, ou sur affûts de place et avec embra-
sures de siège, ou sur affûts de siège et avec
embrasures de siège; souvent les embrasures
sont remplacées par des barbettes, qui se pla-
cent généralement aux saillants des bastions.
Dans bien des cas, on est obligé de séparer
les pièces par des traverses élevées de 0 m. 50
au-dessus de la crête intérieure, afin d'éviter
les coups d'écharpe.
Enfin, on emploie pour la défense des places
des batteries blindées et casematées.
Les batteries blindées doivent être établies
dans des points où elles ne soient pas en prise
aux feux directs des ennemis ; les blindages
sont, en effet, établis pour résister aux bombes ;
le meilleur emplacement à donner à ces bat-
teries est au saillant des bastions. Les batte-
ries casematées sont armées de pièces de
campagne.
— Batteries de côtes. Les batteries de côtes
sont disposées de façon que le tir de leurs
pièces se fasse par ricochet sur l'eau; les ri- A
cochets se produisent de 0° à 8°; l'angle de 50
est le plus favorable; cet angle de 50 donne
à la batterie un coinma'ndement de 15 m., et le
premier point de chute est à 200 m. de l'épaule-
ment; le projectile se porte ensuite par bonds
successifs jusqu'à. 1,200 ou 1,300 mètres.
La hauteur de la batterie au-dessus du ni-
veau de la mer se compte à partir de la crête
du parapet; elle se compose d'un élément
fixe, la hauteur au-dessus du niveau corres-
pondant aux marées, et de la hauteur variable
de ce dernier au-dessus du niveau de la mer.
Pour pouvoir établir convenablement la bat-
terie et régler le tir, il convient de connaître par-
faitement la loi de variation de cette hauteur
pour la côte où l'on s'établit. On doit toujours
éviter d'adosser la batterie à des rochers, dont
les éclats seraient dangereux.
Les batteries de côtes doivent presque tou-
jours être couvertes par des retours, et quel-
quefois par des traverses.
Le tir devant avoir un champ très-étendu,
le plus souvent les batteries de côtes sont sans
embrasures; cependant les batteries casema-
tées en sont munies ; mais ces embrasures sont
alors élargies vers l'extérieur, de manière à
donner encore un champ suffisant au tir.
L'affût est monté sur un châssis qui se meut
circulairement.
— Batteries de campagne. Les batteries de
campagne se construisent à embrasures ou à
barbettes, et à niveau du sol, pour découvrir le
terrain en avant; si le sol-est assez élevé, on
les enterre a la hauteur de la genouillère. Gé-
néralement, on ne construit pas de plates-
fornics pour supporter lès pièces; leurs roues
reposent simplement sur deux madriers.
Dans la marine militaire, on appelle batterie
l'ensemble des bouches à feu établies sur le
pont d'un navire. On donne aussi le même
nom au pont lui-même, ainsi qu'à la rangée de
sabords par lesquels les pièces font feu. Le
mot batterie a ce dernier sens dans les expres-
sions : vaisseau à deux batteries, vaisseau à
trois batteries, qui sont synonymes de vaisseau
à deux ponts, vaisseau à trois ponts, locutions
dans lesquelles on ne tient pas compte des
bouches a feu situées sur le pont supérieur.
Batterie est également employé dans le même
sens quand on dit : ouvrir une batterie, fermer
une batterie, expressions qui signifient relever,
abaisser les mantelets des sabords de cett©
tx.
batterie. Toute batterie établie entre deux
ponts est une batterie couverte. Les pièces du
plus fort calibre sont placées dans la première
batterie, et ainsi de suite jusqu'à la barbette,
qui a les canons les plus faibles.
— Phys. Batterie électrique. Pour former
une batterie' électrique, on réunit plusieurs
bouteilles de Leyde ou jarres électriques, au
nombre ordinairement de 4.6, S ou 9, dont on
met en communication, d'une part, toutes les
armatures extérieures, et, de l'autre, toutes
les armatures intérieures. Cette communica-
tion s'établit, pour les premières, au moyen
d'une feuille dé tain doublant le fond de la
caisse dans laquelle les bouteilles sont placées,
et qui se prolonge latéralement jusqu'à la
rencontre de deux poignées métalliques ; pour
les secondes, à 1 aide d'un conducteur qui
réunit toutes les tiges des armatures inté-
rieures. Pour charger une ba'tterie, on met
en rapport les armatures intérieures avec une
machine, et les armatures extérieures avec le
sol par une chaîne métallique fixée à l'une
des poignées de la caisse. Sur les jarres est
placé un électroscope à cadran qui permet de
juger la charge que contient la batterie. La
décharge ne doit se faire qu'avec beaucoup
de précautions, surtout quand ces puissants
appareils contiennent une quantité notable de
fluide électrique. Pour opérer cette décharge,
on se sert d'un excitateur à manche de verre ;
l'une des boules est mise en communication
avec les armatures extérieures, tandis que
l'on approche l'autre des boutons intérieurs.
On peut aussi former une batterie électrique
en disposant plusieurs bouteilles de la manière
suivante : On suspend au conducteur d'une
machine une première bouteille sous laquelle
est placé uu crochet; on se sert de ce crochet
pour suspendre une seconde bouteille à la
première, et la série est continuée à l'aide du
même moyen jusqu'à une dernière bouteille, à
laquelle est fixée une chaîne communiquant
avec le sol. Le plateau de la machine étant
mis en mouvement, l'électricité positive s'ac-
cumule sur la garniture intérieure de la pre-
mière bouteille, décompose le fluide naturel
de la garniture extérieure, et repousse la partie
positive de ce fluide dans la garniture inté-
rieure de la seconde bouteille. Il en résulte
que toutes se chargeront d'électricité positive
à l'intérieur, et d'électricité négative à l'exté-
rieur. On peut les décharger successivement
comme si chacune était seule, ou toutes en-
semble, en établissant un circuit conducteur,
de l'extérieur de la dernière au crochet de la
remière. Cette manière de charger plusieurs
outeilles suspendues l'une à l'autre est appe-.
lée charge par cascade; elle est aujourd'hui
peu employée.
Les batteries électriques produisent des effets
identiques à ceux de la bouteille de Leyde,
mais portés à un degré d'énergie d'autant plus
considérable que le nombre des bouteilles est
plus grand.
Lorsqu'on se propose de soumettre un objet
particulier à la puissante action d'une batterie,
on fait habituellement usage d'un petit instru-
ment appelé excitateur universel; cet appareil
se compose de deux verges de cuivre, mobiles
au moyen de deux charnières disposées autour
des extrémités de deux tiges isolantes en
verre. Ces verges, qui communiquent à l'aide
d'une chaîne et par une de leurs extrémités,
chacune avec une des armatures de la batterie,
reposent, par l'autre extrémité, sur une petite
tablette de bois disposée de manière à ce que
les deux étincelles jaillissent sur l'objet soumis
à l'expérimentation et qui est placé sur cette
petite tablette. Une batterie de trois à quatre
décimètres carrés, et chargée par une machine
de moyenne force, donne lieu à une décharge
qu'un homme robuste ne pourrait recevoir
sans danger. Priestley a foudroyé ainsi des
rats, des oiseaux, et même des chats. Sous une
forte décharge, un fil de fer devient incan-
descent et jaillit en une infinité.de petits
grains ;,une feuille d'étain se volatilise, et l'or
qui recouvre un fil de soie disparaît instanta-
nément sans que celle-ci ait eu le temps d'être
.attaquée, malgré la vive chaleur qui se dégage.

BATTERSEA,
ville d'Angleterre, comté de
Surrey, à 5 kil. S.-O. de Londres, dont elle est
comme un faubourg, sur la Tamise; 5,540 hab.
Grande récolte d'asperges, pour l'approvision-
nement de Londres.

BATTEUR
EUSE s. m. (ba-teur, eu-ze —
rad. battre). Personne qui aime à donner des
coups : Il n'est pas de BATTEURS qui ne finissent
par être battus.
Oui, je te ferai voir, batteur que Dieu confonde, Que ce n'est pas pour rien qu'il faut rouer le monde.
MOLIÈRE.
— Fam. Batteur de fer, Spadassin^ ferrail-
leur : Monsieur le BATTEUR DE FER, je vous
apprendrai votre métier. (Mol.) [1 Batteur de
pavéj Homme oisif, et qui passe son temps à
courir les rues :
Un de ces batteurs de pavé Sur le front desquels est gravé Qu'ils ont menti toute leur vie.
LEFRANC DE POMPIGNAN.
— Pop. Batteur de vaches liées, Bravache,
vantard, celui qui se glorifie des choses les
plus simples et les plus faciles.
— Agric. Batteur en grange ou simplement
batteur, Ouvrier qui bat les gerbes pour en
faire sortir le grain : Les BATTEURS déliaien t tes
javelles sur l'aire de la métairie. (Souvestre.)
Les BATTEURS, armés de leurs fléaux, frappent
sur le grain à coups précipités. (Math, de Dom-
basle.) Zes BATTEURS de grains trouvent moyen
d'égayer leur travail en infligeant des peines à
ceux qui enfreignent les règlements de la police
de l'aire. (A. Hugo.)
Ah! pourquoi Pierre a-t-il cet argent qui le change, Et que n'est-il encor pauvre batteur en grange!
— Techn. Ouvrier jjui bat certaines ma-
tières pour les pulvériser ou les écraser :
BATTEUR de plâtre. BATTEUR de soude. Il Ou-
vrier qui pétrit, qui prépare la terre de
pipes. 11 Ouvrier qui "bat des métaux pour les
étirer, pour les amincir : BATTEUR d'étain.
BATTEUR d'or. Il ne veut pas oublier que je
suis capitaine, et me traiter en simple BATTEUR
d'enclume, comme nous nous traitions jadis.
(E. Sue.) 11 Ouvrier relieur chargé de battre
les livres.
— Mus. Batteur de mesure, Musicien qui
bat la mesure, dans un chœur ou un orchestre.
— Art milit. Batteurs d'estrade, Cavaliers
isolés de l'armée, dans un but spécial de
surveillance ou d'espionnage : Une centaine
d'hommes mal accommodés étaient restés aux
mains des Français, de sorte que les BATTEURS
D'ESTRADE avaient perdu la moitié de leur
monde. (A. Achard.) il Parext. Vagabond plus
ou moins suspect : Aux premiers mots qu'il
entendit, Jacques comprit qu'une troupe de

BATTEURS
D'ESTRADE avait pénétré dans le
paijs. (A. Achard.)
— Argot. Batteur de dig dig, Malfaiteur
habituellement accompagné d'une femme,
avec l'aide de laquelle il vole. Tous les deux
se présentent dans un magasin j tandis que la
dame examine les marchandises, l'homme
simule une attaque d'épilepsie, on accourt
pour lui porter secours, .et pendant ce temps
sa compagne fait main basse sur tous les
objets qui se trouvent à sa portée.
— Véner. Homme chargé de battre le bois
pour faire lever le gibier.
— Ornith. Batteur d'ailes, Oiseau de mer
indéterminé : // est fort douteux que la déno-
mination de BATTEUR D'AILES doive s'appliquer
aux alouettes de mer. (Dum. de Sainte-Croix.)
— Encycl. Techn. Quatre opérations prin-
cipales constituent l'art du batteur d'or : la
fonte, le forgeage, le laminage et le battage.
Après avoir été fondu et coulé en lingot par
les moyens ordinaires, l'or est recuit à une
douce chaleur, pour l'adoucir. On le forge en-
suite en le recuisant à diverses reprises, puis
on le lamine de manière à le réduire en un
ruban d'un millimètre environ d'épaisseur,
Découpant alors ce ruban en morceaux ou
quartiers, de 27 millim. de largeur sur 40 de
longueur, on assemble ces quartiers par pa-
quets de 24, que l'on bat sur une enclume
jusqu'à ce qu'ils aient atteint les dimensions
d'un carré de 60 millim. de côté, et que leur
épaisseur soit égale à celle d'une feuille du
papier le plus mince. On prend 56 des feuilles
ainsi battues, et on les place les unes sur les
autres en les séparant par des carrés de vélin,
appelés outils, qui ont 10 à 12 centimètres de
coté. On met au-dessus du premier quartier
et au-dessous du dernier un cahier de vingt
feuilles de vélin, nommées emptures. Enfin,
on enferme le tout, ou premier coucher; dans
deux fourreaux de fort parchemin, qvn sont
disposés de telle sorte que l'ouverture de l'un
corresponde au fond de l'autre. Ces préparatifs
terminés, on porte le caucher sur un DIOC de
marbre poli, et on le bat, en allant du centre
à la circonférence, avec un lourd marteau à
manche très-court et à panne circulaire, lé-
gèrement convexe. Quand, sous l'action du
marteau, les feuilles d'or se sont étendues au
point de désaffleurer les outils, on les retire
et on les coupe en quatre parties égales, ce
qui donne de nouveaux quartiers, que l'on
assemble, au nombre de 112, pour former un
second caucher. Ce caucher, battu comme le
précédent, fournit de nouvelles feuilles qui,
coupées en quatre, servent à faire un troisième
assemblage, dans lequel les carrés de vélin
sont remplacés par des carrés de baudruche,
et auquel on donne le nom de chaudret. Après
le battage, les feuilles du chaudret sont encore
partagées en quatre et assemblées, au nombre
de 800, pour former un moule. Enfin, les
feuilles du moule, convenablement battues,
sont divisées en quatre et placées dans de
petits cahiers appelés quarterons, dont le pa-
pier, de couleur rouge orangé, a été préala-
blement frotté avec.un peu de terre bolaire,
afin de prévenir toute adhérence de la part du
métal. Chaque cahier ou livret renferme ordi-
nairement 25 feuilles. En résumé, chaque
quartier d'un millimètre d'épaisseur s est
étendu sur une surface 832 fois plus grande,
de sorte qu'il se trouve réduit à une épaisseur
d'environ un huit-centième de millimètre.
Le batteur d'or ne travaille pas seulement
ce métal : il transforme aussi l'argent, le pla-
tine, le cuivre, le zinc, le cadmium et l'étain
en feuilles excessivement minces, et cela par
les mêmes procédés qu'il emploie pour l'or. Il
fabrique également les diverses poudres mé-
talliques, principalement celles d'or et d'ar-
gent, dont se servent les miniaturistes, les
chromolithographes, etc. Dans ces dernières
années, Favrel, batteur d'or à Paris, a Imaginé
de remplacer le battage à la main par le bat-
tage mécanique; mais la machine qu'il a in-
ventée à cet effet ne paraît pas être encore
arrivée au degré de perfection désirable.
Néanmoins, elle a déjà rendu d'utiles services.
— Hist. Avant la Révolution, les bat-
teurs d'or et d'argent formaient, à Paris,
une communauté soumise à la juridiction do
la Cour des Monnaies. Henri H, en 1554,
Henri III, en 1584 et 1586, ont donné plusieurs
édits et ordonnances pour la régie, l'adminis-
tration et la police de cette communauté. Les
batteurs d'or emploient le métal pur de tout
alliage, en raison de la difficulté que pré-
senterait pour leur travail la présence d'un
métal étranger : l'alliage aigrit l'or, le rend
moins ductile, et l'ouvrier qui l'allierait
s'exposerait à perdre beaucoup plus par la
difficulté de son travail qu'il ne gagnerait par
le bas aloi de la matière.
L'art du batteur d'or est fort ancien. Pline
rapporte qu'il fut employé à Rome pour dorer
les planchers des maisons, à l'époque de la ruine
de Carthage, lorsque Lucius Mummius était
censeur; que les lambris du Capitule furent
les premiers que l'on dora, mais que, dans la
suite, le luxe s'accrut de telle sorte que de
simples particuliers firent dorer les plafonds
et les murs de leurs appartements. Les bat-
teurs, dit le même auteur, ne retiraient d'une
once d'or que cinq à six cents feuilles de
quatre doigts en carré; les plus épaisses s'ap-
pelaient bracteœ Prœnestinœ, parce qu'il y
avait à Préneste une statue de la Fortune qui
était dorée à l'aide de ces feuilles épaisses;
les feuilles de moindre épaisseur étaient appe-
lées bracteœ quœstoriœ. Mais les procédés du
battage de l'or devaient, à cette époque, être
fort imparfaits, car Pline ajoute lui-même que
l'on pourrait obtenir d'une once d'or un plus
grand nombre de feuilles que celui quil a
indiqué.
BATTEUR s. m. (ba-teur — rad. battre).
Techn. Première machine préparatoire de la
filature du coton.
— Batteur éplucheur, Batteur de premier
passage. 11 Batteur étaleur, Batteur qui pré-
pare les nappes pour les carder.

BATTEUSE
s. f. (ba-teu-ze — rad. battre).
Agric. Machine à battre le grain : BATTEUSE
mécanique. Dans les pays de grande culture, la
BATTEUSE mécanique ne s'est pas encore géné-
ralisée. (Belèze.) Les fermiers français com-
mencent à se se?'vir de BATTEUSES. (L.-J. Lar-
cher.)
— Techn. Appareil pour réduire les métaux
en feuilles : M. Favrel, batteur d'or, a ima-
giné une BATTEUSE mécanique pour réduire les
métaux en feuilles. (Maric-Davy.)
— Encycl. On peut diviser les batteuses en
cinq catégories bien distinctes, suivant les
diverses espèces de plantes auxquelles ces
machines'sont destinées : batteuses pour plan-
tes fourragères ; batteuses spéciales pour
vesces, pois, féveroles et sarrasin; batteuses
pour plantes oléagineuses; batteuses à maïs;
batteuses proprement dites. Les machines
comprises dans les trois premières catégories
sont encore peu répandues ; les batteuses à
maïs, au contraire, sont très-usitées, particu-
lièrement dans le midi de la France ; quant
aux batteuses proprement dites, ce sont les
plus importantes, et les seules dont nous ayons
a nous occuper. Elles s'appliquent spéciale-
ment à l'égrenage du froment, de l'orge, du
seigle, de l'avoine; mais on s'en sert aussi,
par exception et après leur avoir fait subir
quelques changements, pour égrener d'autres
plantes. Sous le rapport de la construction,
on peut ranger toutes les batteuses employées
jusqu'à ce jour dans les trois classes suivan-
tes : batteuses en bout ou par percussion ; bat-
teuses en travers ou à frottement ; batteuses (
mixtes, dans lesquelles le frottement est com-
biné avec la percussion.
— Batteuses à percussion. Les principales
machines à percussion sont la batteuse à
fléaux, et la batteuse à battes du système écos-
sais. La première, dont divers modèles ont été
exposés en 1855 par MM. Bordier et Dela-
combe, présente de graves inconvénients, et
ne paraît pas destinée à un grand succès.
Dans cette batteuse, l'organe d'égrenage est
composé de baltes de fléaux fixées par uno
articulation sur la périphérie d'un cylindre
plein ou creux, suivant qu'il est construit en
fer ou en bois. Le cylindre est mis en mou-
vement par des manivelles ou par un ma-
nège ; en même temps, les fléaux se dressent
en rayon en vertu de la force centrifuge,
et, dans leur mouvement de rotation, vien-
nent frapper sur une plate-forme placée de-
vant le cylindre, à une hauteur convenable.
Dans la batteuse de M. Delacombe, le batteur
se compose d'un arbre en bois plein, sur lequel
sont attachés trois rangs hélicoïdaux de trois
fléaux chacun. Ces fléaux viennent frapper
tour à tour, et trois par trois, sur le tiers d'une
plate-forme pouvant tourner à la main autour
d'un axe vertical. Le batteur est mis en mou-
vement à l'aide d'une manivelle. Tandis que
les fléaux frappent sur un tiers de la plate-
forme, un ouvrier range les gerbes déliées
sur le second tiers ou en apporte sur le troi-
sième tiers. Le battage achevé sur le premier
tiers, on présente le troisième, et ainsi de suite.
Les batteuses à percussion du système écos-
sais reposent sur un principe tout différent.
Qu'on se figure un tambourin en bois, cylin-
drique et concave, dans l'intérieur duquel se
meut, avec une vitesse déterminée, un cylin-
dre portant des pièces de bois saillantes, que
l'on nomme battes. Si l'on présente une gerbe
à l'action de ce cylindre, elle est entraînée
sous les battes et successivement rejetée eo
48
378
arrière. Le grain séparé de la paille s'échappe
en glissant sur un plan incliné, qui forme la
partie inférieure du tambour concave. Telle
est l'idée la plus simple que l'on puisse se
former de la batteuse écossaise. Des modifica-
tions sans nombre ont été introduites; nous
nous bornerons à signaler les principales.
D'abord, on a ajouté les cylindres alimentai-
res^ qui saisissent la paille et la font passer
sur le cylindre batteur. Plus tard, on a rem-
placé le plan incliné, au moyen duquel le grain
est porté en dehors, par un grillage mobile,
qui remplit le même office; le nombre des
batteurs a été aussi augmenté, et leur diamè-
tre plus ou moins agrandi. Enfin, le tambour,
auparavant lisse, a été garni de saillies qui
portent le nom de contre-battes. Mais la partie
de la machine qui a subi les plus grandes mo-
difications, c'est le cylindre batteur. Dans le
type écossais, les battes sont solidaires et
fixées sur des tourteaux en fonte ou des bras
tantôt en fer, tantôt en "bois. En outre, la face
battante des battes est située dans un plan
diamétral. Aujourd'hui, nombre de construc-
teurs adoptent des battes dont la face travail-
lante fait en arrière un angle plus ou moins
prononcé avec le plan diamétral. D'autres
remplacent les battes parallèles à l'axe du
cylindre batteur par des battes obliques à cet
axe, et par conséquent hélicoïdales. D'après
M. Térolle, qui en est l'inventeur, cette dis-
position aurait l'avantage d'économiser un
tiers de la force nécessaire au maniement de
la machine, et de rendre impossible l'engor-
gement, parce que les lames et la pression
n'opèrent que sur un cinquième dans la lon-
gueur des nervures du contre-batteur. Au
batteur écossais, toujours entièrement fermé,
on a aussi substitué des batteurs à claire-voie
ou non clos. Enfin, dans le but de ménager la
paille, on a fait des batteurs à battes indé-
pendantes, lesquelles se composent de cylin-
dres en bois ou en fer, attachés à l'axe du
batteur par des courroies que la force centri-
fuge tient écartées de cet axe lorsque le batteur
est en mouvement. Des constructeurs améri-
cains ont imaginé des battes en fer plat, fes-
tonnées à l'extérieur, et dont les festons en-
grènent avec ceux des contre-battes. D'autres
font des batteurs ordinaires, dont les battes
sont armées de courtes chevilles alternant
avec celles des contre-batteurs. Les machines
de ce genre brisent beaucoup la paille, mais
elles sont très-expéditives. On en a conseillé
l'emploi dans les pays où le dépiquage est en-
core en usage.
— Batteuses à frottement. Dans la'machine
écossaise, et dans toutes celles que nous ve-
nons de citer comme ayant été construites sur
son modèle, la-paille est battue en bout; dans
celles qui composent la deuxième classe, elle
est, au contraire, battue en travers. La bat'
teuse écossaise est encore le type des machi-
nes de cette classe; mais ces dernières s'éloi-
fnent beaucoup plus que les précédentes de
exemplaire primitif. Les différences carac-
téristiques sont celles qui existent entre les
batteurs et les contre-batteurs. En général,
les batteurs des machines en travers ont un
plus grand diamètre et un plus grand nombre
de battes que ceux des machines en bout ou à
percussion. Le contre-batteur est mobile, sou-
tenu par des vis de rappel et des ressorts qui
cèdent plus ou moins, suivant l'épaisseur de
la paille engagée entre les battes et les con-
tre-battes. De cette façon, on évite l'engor-
fement, et le grain ou la paille ne sont plus
royés, comme cela arrive trop souvent avec
' les batteuses privées d'un moyen de règle-
ment spontané de la pression ou de l'écarte-
ment du batteur. Ce perfectionnement est dû
à M. Duvoir, l'un de nos meilleurs construc-
teurs de batteuses en travers. Dans la batteuse
Lorriot, que l'on considère assez générale-
ment comme la plus parfaite sous tous les
rapports, le batteur se compose de quinze
battes en fer cornier, fixées sur quatre cer-
cles en fer plat, reliés à l'axe par des bras
partant de moyeux. Le contre-batteur, brisé
dans sa largeur en trois parties réunies par
articulations, est réglé avec des ressorts à
pompe, de telle façon qu'il reste toujours par-
faitement concentrique au batteur, soit qu'on
diminue, soit qu'on augmente l'intervalle laissé
entre eux.
Batteuses mixtes ou anglaises. Comme nous
venons de le voir, les batteuses en travers
ont le grand avantage de ménager le grain et
la paille, d'exécuter un travail plus régulier
et d'exiger moins de force motrice. Malheu-
reusement, dit M. Grandvoinnet, par cela
même que les cylindres alimentaires et les
régulateurs spontanés de batteurs ou de
contre-batteurs ont pour effet de donner un
travail régulier, fait avec peu d'effort et lais-
sant la paille intacte, ces dispositions ne per-
mettent guère de faire beaucoup de travail
dans un temps donné. Dans quelques machi-
nes en travers, on a supprimé les cylindres
alimentaires pour en faire des machines à
grand travail, en augmentant, la vitesse du
batteur, qui s'alimente seul, comme dans la
presque généralité des batteuses en bout ; on
engrène nécessairement alors un peu en biais,
et c'est le premier pas fait vers le genre de
machines mixtes, que nous appellerons an-
glaises, battant presque en travers et donnant
de la paille bottelable, mais moins bien ména-
gée que celle qui sort des vraies machines en
travers. Dans ce genre de batteuses, qui tend
à prendre chaque jour plus d'extension, tout
a été fait dans le seul but de battre beaucoup
dans un temps donné. Comme conséquence
même de leur caractère mixte, les batteurs
de ces machines tiennent des deux systèmes
précédents : les battes sont en plus grand
nombre que dans les batteuses en bout, mais
moins nombreuses que ^ans les batteuses en
travers. Le contre-batteur est garni de plaques
en fonte, à cannelures parallèles ou obliques à
l'axe, ou à saillies de diverses formes^ ou en-
fin formées de barres saillantes et toujours en
partie à claire-voie, comme dans les batteuses
en bout. Plus de cylindres alimentaires; le
contre-batteur ne peut se régler qu'à la main,
et non spontanément pendant le travail, ainsi
que cela a lieu pour les vraies batteuses en
travers. L'intervalle entre le batteur et le
contre-batteur est très-grand à l'entrée, et
diminue successivement jusqu'à la sortie. La
gerbe à battre est déliée, puis étalée sur une
planche fortement inclinée, formant un plan
tangent au .batteur : la paille descend d'elle-
même jusqu'à ce qu'elle soit saisie au vol par
les battes, et entraînée dans le contre-batteur,
ou elle est de plus en plus laminée et choquée
en parcourant près d'un demi-cercle.
Parmi les diverses espèces de batteuses
dont il vient d'être question, les unes se bor-
nent à accomplir une seule opération, l'égre-
nage; d'autres, en plus grand nombre, exé-
cutent en même temps le vannage et le
criblage. D'après M. de Gasparin, il n'est pas
bien certain qu'une telle complication d'opé-
rations soit avantageuse; cependant, lorsque
la vapeur est appelée à mettre en mouvement
les machines à oattre, cette complication, tout
en permettant de réaliser de notables écono-
mies de temps et d'argent, n'olfre pas d'in-
convénients sérieux. 11 n'en est pas de même
avec une manivelle ou un manège, la force
motrice étant alors nécessairement renfermée
dans des limites restreintes.
Nous n'avons guère étudié jusqu'à présent
que les parties essentielles d'une machine à
battre, c est-à-dire le batteur et le contre-
batteur; il nous reste à examiner deux autres
parties de cette même machine : les cylindres
alimentaires et le secoueur, qui, sans être ab-
solument indispensables, n'en ont pas moins
une grande importance. Beaucoup de batteu-
ses n'ont actuellement aucun appareil spécial
d'alimentation : la paille est placée sur un
plancher tantôt horizontal, tantôt légèrement
incliné; un homme la pousse jusqu'à ce que
les battes la saisissent et l'entraînent. Ce
mode d'alimentation est surtout employé avec
les machines où la paille est présentée en
bout. Cependant les batteuses du type écos-
sais s'alimentent par deux cylindres tournant
en sens contraire, qui saisissent la paille, la
laminent et la jettent au-devant des battes.
Le cylindre inférieur, conduit par une cour-
roie, ne peut ni s'élever ni s'abaisser; le su-
périeur repose sur le premier et peut se sou-
lever plus ou moins, suivant l'épaisseur de la
paille saisie. Le même appareil est en usage
dans les machines en travers proprement di-
tes, et dans les machines mixtes. Les cylin-
dres alimentaires rendent plus régulière, plus
continue l'introduction de la paille entre les
battes et les contre-battes ; malheureusement,
ils rendent aussi le travail moins expéditif. En
outre, si la paille estun peu humide, elle peut
s'enrouler autour d'eux. Pour éviter cet in-
convénient, divers constructeurs ont essayé
vainement d'en varier la forme; ils les ont
faits tour à tour unis, en bois ou en fonte;
cannelés, en fonte ou en bois, ou bien encore
garnis de bandes de fer contournées en hé-
lices. Le fonctionnement régulier des cylindres
alimentaires dépend de la vitesse qu'on leur
imprime. Celle-ci varie suivant la longueur
de la paille, et suivant son état de sécheresse
ou d'humidité. Plus la paille est longue, plus
elle est humide, moins il faut de vitesse. Dans
les batteuses écossaises, on admet générale-
ment que les cylindres alimentaires doivent
faire un tour pour cinq du batteur au plus, si
la paille est humide, et un pour six au moins,
si la paille est longue et sèche. La paille doit
être secouée à sa sortie du batteur, afin d'en
séparer entièrement le grain qui, sans cette
précaution, y resterait emprisonné. Dans les
batteuses les plus simples, le secouage est
encore fait à la main; presque toujours, ce-
pendant, on adapte aux batteuses des se-
coueurs mécaniques, qui abrègent le travail et
la dépense. Les dispositions de ces appareils
sont très-diverses; néanmoins, on peut les
ranger tous en deux grandes classes : les se-
coueurs à mouvement de rotation continu, et
les secoueurs à mouvement alternatif. Les
premiers sont préférables. Parmi ceux de ce
genre, on distingue le secoueur écossais, le
secoueur à cajnes, de M. Lorriot, et le se-
coueur ou charrie-paille à toile sans fin. Le
meilleur des secoueurs à mouvement alter-
natif est le secoueur anglais, dit secoueur à
bielles alternées.
Que les batteuses soient préférables au bat-
tage au fléau, au dépiquage direct paroles
chevaux, et même aux rouleaux, c'est une
vérité désormais établie, et que nul no songe
sans doute à contester. D'où vient, cepen-
dant, que l'usage en est encore si peu ré-
pandu? Plusieurs causes, selon nous, s'oppo-
sent à l'emploi général des batteuses. En
premier lieu, la difficulté du choix. Entre les
divers modèles qui sollicitent l'agriculteur,
celui-ci hésite, parce qu'aucun de ces modèles
ne s'impose avec une supériorité évidente,
incontestable. D'un autre côté, le discerne-
ment a priori n'est pas seulement difficile, il
est presque toujours impossible. L'expérience
seule peut donc fournir des données certaines.
Mais ici l'expérience est tellement coûteuse,
qu'on n'ose presque jamais la tenter. Le prix
des batteuses bien faites est, en effet, très-
élevé, et les moins chères coûtent de S à
900 fr. La petite et la moyenne culture seront
donc obligées de s'en tenir au battage par le
moyen du fléau, jusqu'à ce qu'on soit parvenu
à établir des machines simples, peu coûteuses,
facilement transportables, et présentant assez
de résistance pour supporter le choc des bat-
toirs et le mouvement des cylindres. C'est
vers ce but que tendent maintenant avec per-
sévérance, mais, il faut l'avouer, sans beau-
coup de succès, les efforts d'un assez grand
nombre de constructeurs. En général, le bat-
tage exécuté par des machines de petites di-
mensions est loin d'offrir les avantages qui
résultent de l'emploi des puissants appareils,
dont l'usage, par la force même des choses,
n'est possible que dans les grandes exploita-
tions.
Voilà où nous en sommes aujourd'hui, sur
ce point comme sur beaucoup d autres : nous
savons où est le progrès sans pouvoir l'at-
teindre. Pourtant, les difficultés qui nous ar-
rêtent ne sont pas insurmontables; le principe
de l'association, si bien compris dans notre
siècle, nous offre le moyen de les vaincre.
Que tous les habitants d'un même village, ou
de plusieurs villages réunis, consentent à faire
en commun l'achat d'une bonne batteuse, et le
problème sera résolu.

BATTEUX
(l'abbé Charles), littérateur et
humaniste français, né à Alland'huy, près de
Vouziers, en 1713, mort en 1780. Presque aus-
sitôt après avoir terminé ses études à Reims,
il fut chargé, à vingt ans, d'y professer la
rhétorique, et il embrassa en même temps la
carrière ecclésiastique. S'étant fait connaître
en 1739, par la publication d'une ode latine en
l'honneur de cette ville, il fut appelé à Paris,
où il enseigna successivement les humanités
au collège de Lisieux, la rhétorique au col-
lège de Navarre, et prononça, au nom do
^Université, deux discours latins qui le mirent
en évidence, l'un sur la naissance du duc de
Bourgogne, l'autre qu'il intitula De Gustu
veterum in studiis litterarum retinendo. Bientôt
après, Batteux occupa la chaire de philosophie
grecque et latine au Collège de France, fut
admis à l'Académie des inscriptions et belles-
lettres en 1754, et enfin à l'Académie fran-
çaise en 1761. Quelques années avant sa mort,
la chaire qu'il occupait au Collège de France
fut supprimée, ce qu'on a attribué à la publi-
cation de son Histoire des causes premières
(1769). Chargé par le comte de Saint-Germain
de composer un cours d'études pour l'Ecole
militaire, il s'adjoignit Chompré, Montcha-
blon, Pierre de Pretot, et publia, en moins d'un
an, les quarante-cinq volumes qui composent
son Cours élémentaire à l'usage de l'Ecole
militaire. La rapidité de ce travail ne nuisit
pas moins à la valeur de l'ouvrage qu'à la
santé de l'auteur, emporté bientôt après par
une hydropisie de poitrine. Littérateur estima-
ble , écrivain élégant, dissertateur ingénieux,
grammairien habile, et admirateur éclairé des
anciens, tel était, d'après Delille, ce savant
doublé d'un homme de bien. A des mœurs
pures et graves, il joignait une âme patrio-
tique, une probité rigoureuse, un caractère
bienveillant, 'une conversation instructive et
solide. Malgré son goût dominant pour les
anciens, il était loin de professer pour leurs
écrits un amour aveugle, et on le vit un jour,
dans une discussion qui s'éleva sur la ques-
tion de savoir de quelle langue il fallait se
servir dans les inscriptions monumentales, on
le vit se prononcer pour l'adoption de notre
idiome national. Batteux a composé un grand
nombre d'ouvrages ; outre ceux que nous
avons mentionnés plus haut, nous citerons les
suivants : Parallèle de la Benriade et du Lu-
trin (Paris, 1746); les Beaux-arts réduits à un
seul principe ( 1746 ), traité qu'on regard©
comme un des meilleurs de ses ouvrages. Il y
ramène tous les arts à l'imitation de la na-
ture, principe, dit Fétis, qui a peu d'utilité en
ce qui concerne la musique, de tous les arts
le moins positif; et il lui est arrivé, comme à
presque tous les savants qui ont écrit sur la
musique, de prouver, à chaque page, qu'il n'en
avait pas la moindre notion. Cet ouvrage sur
les beaux-arts a eu néanmoins plusieurs édi-
tions, et a été traduit en allemand. Cours de
belles-lettres (1750, 4 vol.), livre très-estimé,
surtout à l'époque où il parut; une traduction
d'Horace, exacte, mais peu élégante (1750,
2 vol.) ; la Morale d'Epictète tirée de ses pro-
pres écrits (1758) ; Traité de la construction
oratoire (1764); les Quatre poétiques d'Aristote,
d'Horace, de Vida et de Boileau (1771, 2 vol.) ;
des traductions de la Nature de l'univers, par
Ocellus Lucanus; de Y Ame du monde^ par
Timée de Locres, et d'une Lettre à Anstote
sur le système du monde (1768,3 part., in-8°) ;
Becueil de chefs-d'œuvre d'éloquence poétique
(1780). Citons enfin ses Mémoires sur l'histoire
des Chinois (1776-1789, 15 vol.), collection
achevée par Bréquigny et Guignes.

BATTICE
bourg de Belgique, province de
Liège, arrond. et a 15 kil. N.-O. deVerviers;
3,976 bab. Exploitation de houille, briquete-
ries, fabrique de draps.
BATT1E (Guillaume), médecin anglais, né
dans le Devonshire, mort en 1776. Après s'être
fait recevoir docteur à Cambridge, il prati-
qua son art à Uxbridge, puis à Londres,
où il acquit en peu de temps une grande
réputation. S'étant vivement mêlé à la dispute
qui s'éleva, vers 1650, entre le docteur Schom-
berg et le collège des médecins de Londres, il
fut pris pour sujet d'un poème burlesque, inti-
tulé la Battiade. Quelques années après, sa
critique acerbe du système employé par le
docteur Monro, dans le traitement des mala-
dies mentaleSj lui valut une vive réponse du
fils de ce dernier, qui 'prit pour épigraphe de
son opuscule ce vers d Horace :
O major tandem parcas insane minori!
Depuis lors, les plaisants, au lieu d'appeler
Battie docteur, ne l'appelèrent plus Que major.
Battie s'est beaucoup adonné à Vétuue des ma-
lad ies mentales, et il fut, à partir de 1757, méde-
cin h l'hospice des aliénés de Saint-Luc. On ade
lui : une édition d'Isocrate (Cambridge, 1749) ;
un Traité sur la manie (17571 r De prtncip'ds
animaîibus exercitationes (1751) ; Aphorisnn de
cognoscendis et curandis morbis, etc. (1762).
BATT1FERR1 (Laure), femme poëte ita-
lienne, née en 1525, morte à Florence en
1589. Fille naturelle d'un seigneur d'Urbin,
Antoine Battiferri, qui la légitima et lui fît
donner la plus brillante éducation, Laure de-
vint bientôt une jeune fille aussi remarquable
comme poète que par l'étendue de son savoir.
Elle épousa, en 1550, Barthélémy Ammanati,
éminent sculpteur et architecte de Florence,
et fut reçue au nombre des membres de l'aca-
démie des Intronati de Sienne; les plus beaux
esprits de son temps célébrèrent à l'envi son
rare talent. Au nombre de ces derniers, nous
citerons Annibal Caro etBernardo Tasso, père
de l'auteur de la Jérusalem, qui, dans son
poGme d'Amadis, l'appelle l'honneur d'Urbin :
Laura Battiferri, onore d'Urbino.
On a d'elle, entre un grand nombre de vers
répandus dans divers recueils, un volume de
poésies : Il primo libro délie opère (Toscane,
1560 . in-4û) et / sette Salmi penitenziali
(1564), traduction en toscan des Psaumes de
la pénitence.
BATT1KALA ou BATTICALA, île de la nier
des Indes, près de la côte E. de Ceylan, par
70 43' lat. N. et 79 25' long. E.

BATTIMENTO
s. m. (batt-ti-main-to —
mot ital.) Mus. Agrément de chant qui res-
semble au trille, mais dans lequel la première
note est inférieure à la seconde.

BATTIN
s. m. (ba-tain). Bot. Nom vulgaire
du sparte ou jonc d'Espagne.

BATTINE
s. f. (ba-ti-no — rad. battre).
Econ. agric. Pot en terre, où se bat la crème
pour faire le beurre.
BATT1SHILL (Jonathan), célèbre organiste
anglais, né à Londres en 1738, mort en 1801.
Après sa sortie de la maîtrise de Saint-Paul,
où il était entré comme enfant de chœur à
neuf ans, il fut nommé claveciniste du théâtre
de Covent-Garden, et organiste de plusieurs
églises. Deux opéras, qu'il composa pour
Drury-Lane, en 1764, n'eurent point de suc-
cès. C'est alors qu'il se livra à la composition
de la musique sacrée et à celle de chansons qui
obtinrent une grande vogue. Après la mort de
sa femme, la belle et célèbre cantatrice miss
Davies, il s'adonna à l'ivresse pour s'étourdir;
mais il ne tarda pas à en prendre l'habitude,
et tomba dans un complet abrutissement. Les
œuvres de Battishill sont remarquables, aussi
bien par la puissance de l'harmonie que par
l'appropriation parfaite des paroles avec l'ex-
pression mélodique. On a de lui deux collec-
i tions de chansons, publiées en 1776.
I BATTISTA (Vincent), compositeur italien
- contemporain, né à Naples, où il fit ses études
musicales. Il débuta, en 1843, par un opéra
intitulé Anna la Prie, qui fut joué avec succès
sur le théâtre de San-Carlo, dans sa ville na-
tale. Depuis cette époque, M. Battista a fait
représenter dans plusieurs villes d'Italie un
'assez grand nombre d'opéras, notamment
Bosvina de ta Forêt (1845); Emo (1846); //
corsaro délia Guadalupa (1853), etc., qui ont
été diversement accueillis par le public. Bien
que ce compositeur montre une véritable ha-
bileté dans l'arrangement des idées mélodi-
ques et dans l'entente des effets, il manque
d'originalité propre ; il reproduit dans ses
œuvres les styles de Bellini, de Donizetti et
de toercadante, qu'il s'est, du reste, parfaite-
ment assimilés.

BATTISTA
D'AGNOLO, ou BATTISTA DEL
MORO, peintre italien,néàVéroneau xvie siè-
cle. Elève de Torbido, qui lui transmit son
surnom de el Àforo, il appartient à l'école vé-
nitienne. Il a laissé un grand nombre d'œu-
vres, notamment à Vérone. Parmi ses meil-
leurs tableaux, nous citerons : la Conversion
de saint Paul, au-dessus de la porte de Saïnte-
Euphémie; saint Nicolas avec saint Augustin
et saint François, abbé ; et la Madone avec
saint Pierre et plusieurs autres saints. Cet ar-
tiste travailla aussi à Venise, où l'on cite les
peintures décoratives qu'il exécuta sur la fa-
çade de quelques palais, et à Mantoue, dont la
cathédrale possède de lui une très-belle Made-
leine. — Marco, son fils, l'aida dans la plupart
de ses œuvres.
BATTISTA SPAGNUOLl, poète latin mo-
derne, né à Mantoue vers 1430, mort en 1516.
379
Il était général des carmes, eut, de son vivant,
une renommée éclatante, et Erasme lui-même
va jusqu'à le comparer à Virgile. Cependant,
ses nombreuses poésies latines sont fort mé-
diocres, et les règles de la versification y sont
même souvent violées. Ses Œuvres complètes
ont été publiées à Paris en 1513,3 vol. in-fol., -
avec commentaires.

BATTISTI
(Barthélémy), médecin italien,
. né à Roveredo en 1755, mort en 1831. Il étu-
diait la médecine à l'université d'Inspruck,
lorsqu'il traduisit, en 1767, de l'allemand en
italien : les Instructions médico-pratiques à
l'usage des chirurgiens civils et militaires, du
docteur Stbrk. Ce travail lui valut la protection. _
de l'impératrice Marie-Thérèse, et lui permit
d'aller suivre à Vienne les leçons du célèbre
docteur Stoll. Il se fit recevoir docteur dans
cette ville, où il fut appelé, en 1784, au poste
de premier médecin du grand hôpital; fut
nommé, quatre ans plus tard, inspecteur des
hôpitaux de la Lombardie; puis, en 1804, con-
seiller du gouvernement et médecin délégué
de l'empereur pour la Dalmatie. Privé de ces
emplois, lorsque cette province tomba entre
les mains de la France, après 1809. il les re-
couvra en 1814, et conserva jusquà sa mort
la faveur de la cour,

BATTITURES
s. f. (ba-ti-tu-re). V. BATI-
1 TURES.

BATTLE
ville d'Angleterre, comté de Sus-
sex, à l'E. de Chichester et à 10 kil. N.-O. de
Hastings; 3,000 hab. ; sur l'emplacement du
champ de bataille de Hastings. Ruines de la
fameuse abbaye Battle- Abbey, bâtie par
Guillaume le Conquérant en mémoire de sa
victoire, et où l'on conservait le Doomsday-
Book, livre où furent inscrits les noms de
tous les chevaliers normands, ses compagnons
d'armes.

BATTOGUES
OU BATOGUES S. f. pi. (ba-
to-ghe). Baguettes avec lesquelles on inflige
en Russie la peine de la .bastonnade. Il Peine
qu'on inflige avec ces baguettes : Les BATTO-
GUES et le knout sont deux supplices particu-
liers aux Busses ; les BATTOGUES so)it regardées
comme une correction de police, et les seigneurs
ne peuvent l'infliger eux-mêmes. (Complera. de
l'Acad.)

BATTOIR
s. m. (ba-toir; de battre). Sorte
de palette armée d'un manche, dont on se
sert pour battre des objets de diverse nature :
BATTOIR de blanchisseuse. BATTOIR du fabri-
cant de pipes. Souvent le BATTOIR déchire le
linge ; il serait à désirer que les blanchisseuses
en abandonnassent l'usage. (Lenormand.) On
entend^ au milieu de la nuit, le BATTOIR préci-
pité et le clapotement furieux des lavandières.
(G. Sand.)
— Pop, Main large et solide, il Par ext.
Main du claqueur, qui fonctionne avec la
même constance et le même bruit que le bat-
toir des blanchisseuses : Dieu, la belle tragé-
dienne! En avant les BATTOIRS I (L. Reybaud.)
(! Avoir des mains comme des BATTOIRS, Avoir
des mains grosses et laides : Il cachait dans
ses poches des MAINS COMME DES BATTOIRS.
En vain de l'amitié l'impuissante cabale,
Avec des mains telles (pie des battoirs.
Faisait au loin sonner la salle. DELILLE.
— Agric. Partie principale du fléau, celle
ui frappe sur les gerbes : Le fléau pour
attre te blé se compose d'un manche et d'un
BATTOIR. (Raspail.)
— Jeux. Sorte de palette avec laquelle on
lance la balle dans les jeux de paume, il
Jeu du battoir, Jeu de la grande paume, dans
lequel pn emploie des battoirs au lieu de ra-
quettes, et des balles de bois recouvertes
d'une étoffe de laine, au lieu des balles ordi-
naires. C'est aussi le nom d'un jeu d'enfants
qui se ioue à deux, et qui consiste à se frapper
mutuellement les mains en cadence; quel-
quefois, les joueurs chantent un couplet, qui
sert d'accompagnement à leurs mouvements.

BATTOIRE
s. f. (ba-toi-re — rad. battre),
Syn. de Baratte.

BATTOLOGIE
s. f. (ba-to-lo-iî — de Battos
ou Battus, roi de Cyrène; qui était bègue, et
que cette infirmité forçait a répéter souvent
le même mot plusieurs fois. On pourrait
aussi faire remonter l'étymologie de ce mot
à un autre Battus, simple berger, qui avait
vu Mercure voler les bœufs confiés à la garde
d'Apollon par Admète. On sait que Mercure,
pour engager ce Battus à lui garder le se-
cret, lui avait fait don d'une vache ; et qu'en-
suite il se déguisa pour éprouver Battus, et,
sous la figure d'un inconnu, lui promit deux
vaches s'il voulait découvrir le lieu où l'on
avait caché le troupeau d'Admète. L'appât -
de cette double récompense tenta le berger,
et, selon Ovide, il répondit : ,
- Sub illis
Montibus, inquity erunt,» et erant sub montibus illis.
Voilà une répétition qui est bien ce que nous
appelons une battologie; elle fit sourire Mer-
cure, qui répliqua par une autre répétition
du même genre :
Me mihi, perfide, prodis!
Me mini prodis, - ait
Ovide, à la vérité, ne dit pas que le berger
Battus, que Mercure changea en pierre de
touche, avait la ridicule habitude de répéter
les mots sans utilité ; mais son récit le fait
suffisamment entendre. Lui a-t-il prêté ce |
défaut par réminiscence du roi de Cyrène^ ou
ne serait-ce pas plutôt que le nom même
battos réveillait dans l'esprit une idée de ré-
pétition par la double consonne t, et peut-être
par quelque rapport d'origine avec la racine
de nos mots battre, rebattre? Nous posons
seulement la question, sans avoir la préten-
tion de la résoudre). Littér. Répétition oi-
seuse, et presque dans les mêmes termes, de
ce qu'on avait dit déjà. Voici un exemple de
battologie : Je ne crois pas que vous ayez rai-
son, et si vous y réfléchissez, vous verrez
bien que vous n'avez pas raison, car si vous
aviez raison, ce que je ne crois pas, etc. Les
premiers sermotjs de Bossuet sont pleins de
BATTOLOGIE et d'enflure de slyle (Chateaub.)
J'avais assez profité de mes inutiles études
pour posséder au moins quelques-uns des se-
crets du barreau, les apostrophes et les excla-
mations, les BATTOLOGIES de remplissage, les
redondances verbeuses, les gestes démantibulés
et les haut-le-corps spasmodiques. (Ch. Nod.)
— Syn. Battologie, tautologie. Aucun syno-
nymiste n'a cherché, à notre connaissance, à
préciser les nuances qui distinguent ces deux
termes, et les dictionnaires, celui de l'Acadé-
mie entre autres, ne donnent à ce sujet que
des indications fort incertaines. Une battolo-
gie, d'après l'Académie, est la répétition inu-
tile d'une même chose; une tautologie est la
répétition inutile d'une même idée en différents
termes. Faut-il chercher la nuance dans les
mots chose et idée? Non, évidemment, puis-
qu'il est impossible d'exprimer une chose sans
exprimer par cela même une idée. Est-ce la
différence des termes employés qui constitue
proprement la tautologie? Alors, l'Académie
aurait dû définir la battologie une répétition
de mots, et non pas une répétition de choses.
Nous sommes sûr, d'ailleurs, d'avoir entendu
désigner comme battologies des répétitions
d'idées faites dans des termes très-différents.
Nous allons proposer une distinction que nos
lecteurs seront libres d'accepter ou de rejeter,
selon leur propre jugement. Toutes les fois
que, dans une conversation ou dans un livre,
nous sommes choqués de voir revenir, sans
nécessité et trop souvent, les mêmes mots ou
les mêmes idées, peu importe, si nous voulons
simplement faire entendre que cela nous en-
nuie, que nous y voyons la marque d'un
esprit pauvre ou distrait, qui ne sait pas se
rendre intéressant, ou dont on ne peut suivre
les idées sans fatigue, nous disons qu'il y a
battologie. Tout nous porte à croire, en effet,
que le mot battologie vient du nom propre
Battus, et Battus était un roi bègue, ou peut-
être un poëte ennuyeux, qui fatiguait à l'excès
ses auditeurs ou ses lecteurs. Si, au contraire,
on a la prétention de nous expliquer une
chose dont nous n'avons pas 1 intelligence
bien claire, et si l'explicateur ne fait que
remplacer un mot par un autre ayant au fond
le même sens, et, par suite, la même obscurité,
nous disons que sa prétendue explication
n'est qu'une tautologie, et ce n'est pas seule-
ment parce que la même chose a été répétée
s«us des termes différents, c'est surtout parce
que celui qui a commis cette bévue ne croyait
pas la commettre, parce qu'il avait la préten-
tion de nous apprendre quelque chose, et qu'en
réalité il ne nous apprenait rien. En d'autres
termes, le battologue nous ennuie; il ne sait
que répéter toujours la même chose, mais en
la répétant il sait au moins qu'il la répète, et
il peut se faire même qu'il croie avoir de
bonnes raisons pour la répéter ; le taulologue
est un pédant qui prétend nous apprendre
quelque chose et o|ui ne nous apprend'rien, c'est
un esprit faux, il y a du sophisme dans son
fait, et ses explications tautologiques tiennent
beaucoup du cercle vicieux.

BATTOLOGIQUE
adj. (ba-to-lo-ji-ke —
rad. battologie). Qui tient de la battologie;
qui a rapport a la battologie : Style BATTO-
LOGIQUE.

BATTOLOGUE
s. m. (ba-to-lo-ghe — rad.
battologie). Ecrivain qui se répète, qui fait
de la battologie : Un BATTOLOGUE ennuyeux.

BATTONI
(Pompeo-Girolamo). V. BATONI.

BATTORI
nom d'une famille princière d'o-
rigine hongroise. V. BATHORI.

BATTORIE
s- f. (ba-to-rî). Comm. Comp-
toir étranger des villes hanséatiques : Les
villes hanséatiques avaient des BATTORIES dans
les principaux centres de commerce.

BATTRANT
s. m. (ba-tran — rad. battre).
Techn. Gros marteau carré dont on se sert,
dans l'exploitation des carrières etdes mines,
pour enfoncer les coins dans la roche, il On
dit aussi BATTERAND.

BATTON
l Désiré - Alexandre ), musicien
français, né à Paris en 1797, mort à Versail-
les en 1855, était fils d'un fabricant de fleurs
artificielles. Admis au Conservatoire en oc-
tobre 1806, dans une classe de solfège, il de-
vint, en 1812, élève de Cherubini. Le jeune
Batton obtint, en 1816, le deuxième grand
prix de composition musicale, et, en 1817, sa
cantate, intitulée : la Mort d'Adonis, lui mé-
rita le premier grand prix. L'heureux lauréat
donna à l'Opéra-Comique, le 17 novembre 1818,
une Soirée à Madrid ou la Fenêtre secrète,
opéra en trois actes. Le po&me, estimable au
point de vue, littéraire, était assez ingrat
comme inspiration musicale. On applaudit
une instrumentation pure et savante, et des
mélodies colorées, sinon originales. Marta'm-
ville rendit compte de cet ouvrage dans les
termes suivants : « Le sujet est fondé entiè-
rement sur une donnée comique, employée
déjà dans plusieurs pièces : uu époux volage
fait sa cour à une charmante inconnue, qui
se trouve, à la fin, être sa femme; une mysti-
fication conjugale est la seule punition du par-
jure, qui promet d'être plus ndèle à l'avenir,
tout en regrettant la peine qu'il a prise pour
conquérir ce qui lui appartenait... Comme le
style de la pièce est, en général, facile et na-
turel, on a été d'autant plus choqué d'entendre
ce vers, qui serait merveilleusement placé
dans la bouche du Mascarilïe des Précieuses
ridicules :
Le flambeau du plaisir n'a que des étincelles.
Le naturel, cette qualité qui tient lieu de tant
d'autres, et qu'aucune ne remplace, est pré-
cisément celle qui manque à la musique du
nouvel opéra : on y reconnaît beaucoup d'art
et de travail,' une distribution attentivement
combinée des effets d'orchestre, un soin labo-
rieux dans les accompagnements. Le finale du
premier acte et la sérénade du troisième
sont les morceaux les plus marquants de la
partition, et leur mérite est tout entier dans
une parfaite application de l'harmonie. C'est
de:la musique bien faite, ce n'est pas de la
musique trouvée, comme disait Grétry. Sans
l'inspiration, point de grâce; la musique est
un jeu dans lequel toute la science possible
ne remplace pas le bonheur; et le bonheur,
en musique, c est l'inspiration. » Batton par-
tit alors pour Rome. Il composa, dans la ville
sainte, un oratorio; puis, à Munich, sur l'in-
vitation de la Société des concerts, une sym-
phonie qui fut remarquée. De retour en
France, vers 1823, Batton, après bien des dé-
marches et des dégoûts de tout genre, parvint
à faire représenter à l'Opéra-Comique,
en 1827, Ethelwina, opéra en 3 actes, qui ne
réussit guère ; les paroles étaient de M. Paul
de Kock. L'auteur de tant de joyeux romans,
subissant l'influence de son collaborateur,
avait assombri son esprit pour se mettre au
niveau d'un sujet sérieux. La musique ne put
se soustraire a l'obligation de la similitude
exigée en pareil cas. Elle était donc monotone
et sans effet.
Deux autres pièces tombèrent au même '
théâtre. Compositeur trop modeste pour attri-
buer ses échecs successifs aux poëmes ingrats
sur lesquels il travaillait, Batton abandonna la
carrière musicale, et succéda à son père dans
le commerce des fleurs, Batton, qui était déjà
membre du comité d'enseignement des études
au Conservatoire, fut nommé, «n 1842, inspec-
teur général des écoles de musique des dé-
partements. Il refit l'instrumentation de YA-
mant jaloux, de Grétry, à l'occasion de la re-
prise de cet ouvrage, qui eut lieu à l'Opéra-
Comique, le 18 septembre 1850. Voici la liste
des autres ouvrages de ce compositeur esti-
mable : le- Prisonnier d'Etat, opéra-comique
en un acte, de feu Cuvelier, arrangé par
M. M.... (Opéra-Comique, 6 février 1828),
pièce jouée, le 9 avril 1803, au théâtre de la
Porte-Saint-Martin, sous le titre de l'Officier
cosaque. M. M.... y avait fait quelques chan-
gements; succès éphémère et sans portée;"
le Camp du drap d or, opéra en trois actes,
de Paul de Kock et L..., musique faite en
collaboration avec Rifaut et Leborne (Opéra-
Comique, 23 février 1828), chute à peine dé-
guisée ; la Marquise de Brinvilliers, drame
lyrique en trois actes, de Scribe et Castil-
Blaze (Opéra-Comique, 31 octobre 1831), la
musique de cet ouvrage était signée de noms
illustres : Auber, Carafa, Hérold, Berton,
Blangini, Cherubini et Paer; la part de
M. Batton consistait en un finale remarquable
et plusieurs airs que la mélodie avait caressés
de son aile ; enfin, le Remplaçant, opéra-co-
mique en trois actes, de Scribe et Bayard, le-
quel fut joué sans aucun succès a l'Opéra-Co-
mique le 11 août 1837.

BATTRE
v. a. ou tr. (ba-tre. — L'origine
immédiate du mot français battre semble
être l'italien battere, qui, lui-même, provient
du latin batuere. Batuere est un mot parfai-
tement latin, et n'appartient pas, comme on
pourrait le croire, à la basse latinité. On le
trouve, avec la signification de frapper, pous-
ser, piler, en particulier dans Plaute ; Cicé-
ron remploie dans le sens de comprimer,
serrer, et Suétone, dans le sens de se battre,
faire des armes, en parlant d'escrime. Le
mot b'attualia, battualium, exercices de com-
bat et d'escrime des soldats et des gladia-
teurs, appartient bien, par exemple, lui, à la
basse latinité ; de là viennent l'ital. battaglia
et le franc, bataille. Si nous voulons main-
tenant chercher l'origine du lat. batuere,
nous verrons que ce mot se rattache à la
racine sanscr. badh, ou, avec l'insertion de la
nasale, bandh, frapper, souffrir, tourmenter,
d'où viennent le gr. paschâ, le lat. patit
passus sum, etc. — C'est probablement aussi
dans la même famille qu'il faut faire rentrer
les formes german. but et bot, qu'on re-
trouve dans l'anc. haut allem. bôzen, et le
holland. bots, coup. M. Dclâtre y rapporte
avec beaucoup de vraisemblance l'ital. botta,
coup, particulièrement coup de fleuret, et le
franc, botte, dans le sens de pousser une
botte. — Je bats, tu bats, il bat, nous battons,
vous battez, ils battent ; je battais, nous bat-
tions; je battis, nous battîmes ; je battrai,
nous battrons; je battrais, nous battrions;
bats, battons, battez; que je batte, que nous
battions; que je battisse, que nous battissions;
battant, battre). Frapper, heurter directe-
ment ou à l'ai Je d'un instrument : BATTRE le
fer avec un mj'teau. BATTRE un arbre, pour
en secouer les fruits. BATTRE des chaises, des
habits, des livres, pour en secouer la poussière.
BATTRE la 4aine pour la carder. BATTRE là
linge pour le nettoyer. BATTRE le plâtre pour
le pulvériser. BATTRE des livres à relier, pour
en réduire l'épaisseur. BATTRE le sol pour
l'aplanir et le durcir. BATTRE les coutures
pour en réduire lasaillie. Les taupes pressent et

BATTENT
la terre, la mêlent avec des racines et
des hei-bes, pour faire la demeure de leurs
petits. (Buff.) Les servantes à jupons courts,
qui BATTAIENT le linge au bord des lavoirs, se
retournèrent. (V. Hugo.) Il Dans son sens le
plus général, Frapper une personne ou un
animal pour leur faire du mal : Il loit bien à
l'homme BATTRE sa femme... quand elle lui
méfoi*, si comme quand elle est en voie de faire
folie de son corps. (Beaumanoir). Semblable
à ces enfants drus et forts, d'un bon lait, qui
BATTENT leur nourrice... (La. Bruy.) Gronde-
moi, querelle-moi, BATS-moi,je sou/frirai tout,
mais je n'en continuerai pas moins à dire ce
que je pense. (J.-J. Rouss.) Comment! avoir
l'audace de BATTRE un philosophe comme moi !
(Mol.)
Elles
Battent, dans leurs enfants, l'époux qu'elles haïssent.
BOILEAO.
J'épouserais plutôt un vieux soldat
Qui joue et boit, bat sa femme qui l'aime,
Qu'un fat en. robe, enivré de lui-même.
VOLTAIRE.
Jean s'accusait un jour dVnw battu sa femme.
— Combien de fois, mon fils, lui dit son confesseur 7
— Tous les matins. — Comment, tous les matins,
(infâme!
D'un semblable péché sentez-vous la noirceur?
Sachez qu'il peut sur vous faire tomber la foudre!
Battre sa femme ! Ah ciel! — Mon père, je vou3
[crois,
Et je vous fais serment, si vous voulez m'absoudre,
De la battre aujourd'hui pour la dernière fois.
PONS DE VERDUN.
— Absol. Donner des coups à une personne :
Celui qui veut battre, étant jeune, voudra tuer
étant grand. (J.-J. Rouss.)
— Par anal. Heurter, se ruer contre : Les
vagues BATTAIENT te rivage. Les volets BAT-
TENT le mur. Cette voile le mât. Les ondes
noires BATTAIENT le navire. (Fén.) Des tem-
pêtes extraordinaires BATTENT les vaisseaux
d'Anson et tes dispersent. (VoJt.) Il y a encore
des vapeurs qui BATTENT le visage, après que
le coup de vent a cessé de souffler. (Lamart.)
La pluie et le coup de vent BATTAIENT au dehors
le bois dépouillé. (Chateaub.)
Vous voyez que la mer en vient battre les murs.
RACINE.
De rage elle battait les murs avec sa tète.
REGNARD.
L'aurore se levait, la mer battait la plage.
LAMARTINE.
11 Atteindre, heurter en se balançant : Il
portait un bel habit marron puce, dont les
longues basques lui BATTAIENT agréablement
les mollets. (L.-J. Larcher.)
— Mêler, brouiller, gâcher : BATTRE des
œufs. BATTRE le beurre. BATTRE de la terre et
de l'eau. Carême BATTAIT longtemps et vive-
ment sa pâte. (Cussy.)
— Vaincre : Nous AVONS BATTU les Busses.
Je veux vous BATTRE ait trictrac. On attend
tous les jours que M. de Luxembourg BATTE
les ennemis. (Mme de Sév.) Borne BATTAIT
tous ses ennemis. (Boss.) Si vous BATTEZ M. le
Prince, vous n'aurez fait que votre devoir.
(Hamilton.) Il surprenait les ennemis, et les

BATTAIT
en pleine campagne. (Fléch.) || Vaincre
l'armée de : Les Romains BATTIRENT Annibal.
Il Fig. Triompher, être mis au-dessus de :
Le droit, d'abord battu par le fait, finit par
le BATTRE. (Chateaub.) il Travailler à dé-
truire : La vapeur est le bélier qui BAT, qui
perce et démolit toutes les frontières. (L.
VeuiUot.)
— Explorer, parcourir : BATTRE les bois.
BATTRE le pays. BATTRE la mer. En France,
quand on prend vingt hommes pour BATTRE le
bois ou la plaine, on pense faire suffisamment
les choses ; e?i Russie, il faut, pour le même
objet, plus de dix fois autant de monde. (L.
Viardot.) Les carabiniers BATTIRENT le pays
dans des directions différentes. (Alex. Dum.)
— Battre l'air, Faire des mouvements
dans l'espace : Les oiseaux BATTENT L'AIR de
leurs ailes.
Le malheureux, lion se déchire lui-même,
Fait résonner sa queue à l'en tour de ses flancs.
Bat l'air qui n'en peut mais. Le voilà Sur ses dents.
LA FONTAINE.
Il Fig. Faire une chose inutile :
Qu'on ne m'en parle plus, la chose est résolue,
— Seigneur, considérez... —C'est en vairi battre Vair.
TPUSTAN.
On dit dans le même sens BATTRE LE VENT :
Monseigneur, voulez-vous que je vous dise pour
toute conclusion et sans plus BATTRE LE VENT ? je
ne veux pas cesser le service d'un roi de France
pour un comte de Charollais. (Chastellain.) n
On dit encore BATTRE L'EAU, dans ces deux
sens :
Tu vois qu'à chaque instant il te fait déchanter,
Et que c'est battre l'eau de prétendre arrêter
Le torrent..,. MOLIÈRE.
— Battre la caisse, 4e tambourt Donner irn
380 >
signal à l'aide du tambour : Je suis trop sen-
sible à la gloire militaire, et je raisonne mal
quand j'entends BATTRE UN TAMBOUR (Cha-
teaub.) il On peutdonner pour régime au mot
battre le nom d'une batterie particulière de
tambour : BATTRE la diane, la charge, la re-
traite, le i^appel, la générale, etc. (v. ces diffé-
rents mots.) Les tambours BATTAIENT la charge,
et nous allâmes en désordre à l'ennemi. (Cha-
tcaub.) Ah! ah! que se passe-t-il donc dans
la ville? ON la générale. (Alex. Dum.) I]
Fig. Faire grand bruit, user de beaucoup
de moyens bruyants : II A BATTU LA CAISSE
pour attirer les chalands.
— Battrv tantôt les baguettes, tantôt le tam-
bour, Affirmer tantôt une chose, tantôt une
autre.
— Battre la breloque, Battre sur le tam-
bour des coups rompus et saccadés, il Fig.
Déraisonner : Je crois qu'il commence à BATTRE
LA BRELOQUE.
— Battre la chamade, Battre le tambour
d'une façon particulière, pour avertir l'as-
siégeant qu'on demande a capituler, n Fig.
Se retirer d'une discussion, faute d'arguments
pour répondre.
— Battre la campagne, Se mettre en quête
dans les champs : Les gendarmes BATTENT LA
CAMPAGNE depuis trois jours. A la suite du
voleur,une demi-douzaine de serviteurs par-
tirent comme des limiers, pour BATTRE LA
CAMPAGNE. (J. Sandeau.) Il Fig. Donner à
dessein des raisons vagues, pour gagner du
temps ou déguiser sa pensée : JE BATS LA
CAMPAGNE pour me tirer d'affaire. (J. de
Maistre). il Signifie plus souvent divaguer -.Il
commença à BATTRE LA CAMPAGNE quelques
heures avant d'expirer. Il n'a approché de la
raison que pour tromper celui gui l'écoute, et-
BATTRE LA CAMPAGNE de plus belle. (Grimm.)
Je me sens un peu de fièvre; autant vaut em-
ployer le babil qu'elle me donne à des sujets
utiles, qu'à BATTRE sans raison LA CAMPAGNE.
(J.-J. Kouss.) Il commençait, à force de boire,
à BATTRE LA CAMPAGNE. (G. Sand.)
Pauvres fous, battons Ja campagne.
B É RANGER..
Quel esprit ne bat la campagnol
Qui ne fait châteaux en Espagne?
LA FONTAINE.
Quand le vin de Champagne
Aux convives joyeux fait battre la campagne.
Celui qui ne boit pas, de tous est fort mai vu.
AL. DUVAL.
— Battre monnaie, Frapper les flans à l'aide
du balancier ou d'un appareil qui le rem-
place, pour y produire l'empreinte. Cette
expression n'est plus juste, bien qu'elle soit
toujours restée; elle date de l'époque où les
monnaies se faisaient au marteau.
Battre monnaie est a mes yeux
Ce que l'on peut battre de mieux. ***
. —Par cxt. Faire fabriquer de la monnaie,
avoir le droit d'en faire fabriquer : Plusieurs
vassaux du roi BATTAIENT MONNAIE au moyen
âge. Le droit de BATTRE MONNAIE n'appartient
qu'au souverain. Il Fig. Se procurer do l'ar-
gent : Me voilà réduite à BATTRE MONNAIE en
vendant mes bijoux. Or, vos intentions sont,
d'après vos trop jeunes discours, de BATTRE MON-
NAIE avec votre encrier. (Bd\z.) Il Battremonnaie
sur la place de la Révolution, Phrase qui a joué
un certain rôle dans notre grande Révolu-
tion. A cette époque, les biens des condam-
nés, mis à mort par jugement du tribunal
révolutionnaire, étaient confisqués au profit
de la République. Cet usage de la confisca-
tion, qui avait toujours été appliqué sous
l'ancien régime, et qui était le complément
obligé des condamnations capitales, ne fut,
comme on le sait, légalement aboli qu'à la
révolution de Février. On a prétendu que
Barère, par allusion aux nombreuses exécu-
tions de riches aristocrates, avait dit avec
une horrible çaieté que la guillotine battait
monnaie. Mais il convient de rapporter ici ses
dénégations énergiques contre cette asser-
tion de ses ennemis. Dans ses défenses, il
proteste contre les calomniateurs qui cher- r
chent à le rendre odieux « en m'attribuant, '
dit-il, des phrases fabriquées par mes dénon-
ciateurs, et que je les défie de trouver dans
mes rapports ou dans mes opinions à la Con-
vention nationale. J'ai cherché si ces expres-
sions avaient pu m'échapper au milieu du
mouvement et des crises révolutionnaires.
Non, je n'ai jamais prononcé ni écrit cette
phrase odieuse; non, je n'ai jamais dit, en
parlant des condamnations à mort, que c'é-
tait battre monnaie à. la place de la Révolu*
tion. Ce n'est pas moi qui ai rapproché ces
idées de fortune publique des idées du sup-
plice, et qui ai établi un système de richesse
nationale sur les lois pénales contre les en-
nemis de la République. »
— Battre le fer, Frapper le fer sur l'en-
clume avec un marteau. I) Fam. Faire des
armes :
11 n'était point d'adresse à mon adresse égale,
Et j'ai battu le fer en mainte et mainte salle.
MOLIÈRE.
Il Fig. Travailler assidûment : C'est un rude
travailleur ; voilà quinze ans qu'il LE FER.
il Battre le fer pendant qu'il est chaud, Saisir
l'occasion favorable; faire de nouveaux efforts
au moment où tout fait présager qu'ils doi-
vent réussir : Il n'y a pas de temps à perdre;
il faut, comme on ait, BATTRE LE FER/ QUAND
IL EST CHAUD. (Scribe.) J'aime à BATTRE LE
FER QUAND IL EST CHAUD. (Th. Leclercq.)
— Battre à froid, Battre le fer sans l'avoir
fait chauffer, n Fig. Tenter une entreprise
difficile, impossible : C'est une affaire que
vous BATTEZ À FROID, qui n'aboutira jamais.
— Battre en brèche, Battre de façon à ou-
vrir une brèche, u Fig. Battre quelqu'un en
brèche, Ruiner son argumentation, ruiner
sa réputation, son crédit : L'opposition espère
BATTRE EN BRÈCHE le ministère.
— Battre en ruine, Battre de façon à dé-
molir complètement : BATTRE EN RUINE une
place de guerre. Il Fig. Anéantir, réduire à
rien : Il BATTIT EN RUINE les arguments de
ses adversaires.
— Battre du pays, Voyager : IL A BATTU DU
PAYS autant que le Juif Errant. Il Battre le
pavé, Vagabonder, errer par les rues : Je pris
plaisir à BATTRE LE PAVÉ de Borne. (Le Sage.)
— Battre les buissons, Frapper dessus pour
faire lever le gibier, n On dit aussi quelque-
fois BATTRE À ROUTE, n Par anal. Faire des
recherches actives : Pour prendre ce filou, il
ya six mois que lapolice LES BUISSONS. Il
Il a battu les buissons, un autre a pris les oi-
seaux, Un autre a profité des peines qu'il a
prises : Et dit le duc de Bedford au due de
Bourgogne, qui-demandoit Orléans, qu'il se-
roit bien marri SAVOIR BATTU LES BUISSONS
ET QUE D'AUTRES EUSSENT LES OISILLONS. (Al.
Chartier.) Il comptoit sans son hoste, BATTOIT
LES BUISSONS SANS PRENDRE LES OISILLONS.
(Rabel.) -
— Battre la semelle, Frapper le sol alter-
nativement avec les pieds, pour se les ré-
chauffer : Il était là, par une nuit glacée d'hi-
ver, BATTANT LA SEMELLE SOUS le balcon de
Bosita. (R. Cornut.)
_ — Battre le briquet, Heurter une pièce d'a-
cier contre un caillou, pour détacher des par-
celles de métal qui s'enflamment et allument
l'amadou : Leur habillement est si râpé, si sec,
si inflammable, qu'on les trouve imprudents de
fumer et de BATTRE LE BRIQUET. (Th. Gaut.)
il Pop. Marcher de telle manière que les che-
villes des deux jambes se touchent, se frois-
sent réciproquement.
— Se faire battre, Se dit de quelqu'un qui
fournit lui-môme à l'ennemi, ou à son adver-
saire, l'occasion de le vaincre.
r—Battre les oreilles, Assourdir par des
répétitions ennuyeuses : Entendrons-nous des
chrétiens nous BATTRE LES OREILLES par cette
belle raison? (Boss.) n Battre quelqu'un comme
un chien, Le frapper sans pitié, sans ména-
gement, comme on bat un chien : On m\

BATTU
COMME UN CHIEN. Il Battre quelqu'un
comme plâtre, Le battre fort et dru, comme
on bat le plâtre pour l'écraser : Madame
Paul s'est amourachée d'un grand benêt de
vingt-cinq ans; elle l'épouse; il est brutal, il la

BATTRA
COMME PLÂTRE. (M'"edeSéV.) u Battre
quelqu'un à plate couture, Le battre comme
une couture qu'on aplatit, le vaincre complè-
tement : Nous les AVONS BATTUS À PLATE COU-
TURE, n Battre quelqu'un à terre, Battre quel-
qu'un qui ne saurait se défendre; et, fig.,
User de ses avantages avec quelqu'un qui
n'est pas en état de riposter : Je vous épargne
d'autres raisons plus fortes, parce que vous
êtes confondu, et qu'on ne pas les gens k
TERRE. Ce n'est pas qu'on ne s'oublie de temps
en temps, et qu'on ne s'amuse à BATTRE les gens
À TERRE. (Dider. ) il Battre comme un sourd,
Battre quelqu'un sans plus de pitié que si on
n'entendait pas les plaintes du patient.
— Battre froid à quelqu'un, Lui montrer,
de la froideur : Du moment que mon hôte s'a-
perçut que je n'avais plus d'argent, il ME BAT-
TIT FROID. (Le Sage.) Mon hôte me BATTIT
FROID, me fit une querelle d'Allemand, et me
pria un beau matin de sortir de sa maison. (Le
Sage.) Oh! oh! on ME FROID; mauvais
signe pour mon neveu. (Scribe.) Eh bien! vi-
lain boudeur, dit gracieusement la dame, vous
ME BATTEZ FROID! (E. Sue.) [[ Ne battre ni
froid ni chaud à quelqu'un^ Ne lui montrer
ni bienveillance ni mauvais vouloir : Com-
ment dois-je me conduire avec ces étranges
courtisans? — NE leur BATTEZ NI FROID NI
CHAUD, (Cazotte.)
— Prov. Battre le chien devant le loup,
Feindre de se fâcher contre quelqu'un, pour
tromper une autre personne, il Battre le chien
devant le lion, Faire une réprimande à quel-
qu'un, pour qu'une personne présente et à
qui on n'ose s en prendre s'applique la leçon.
Il // fait bon battre un glorieux, Il est com-
mode de donner des coups à une personne
vaine, parce qu'elle aura honte de se plain-
dre d'avoir été battue.
— Agric. Battre des grains. Frapper des-
sus avec le fléau ou de toute autre manière,
pour les séparer de la paille : Dans le Midi,
l'usage est de BATTRE LES GRAINS en plein air
après la récolte. (Math. deDombasle.) Il Battre
une faux, L'affûter en redressant les dents
qu'elle se fait dans l'opération du fauchage.
— Mus. Battre la mesure, Marquer, avec
des gestes, les temps de la mesure.
— Chorégr. Faire, avec les pieds élevés
en l'air, des mouvements rapides : L'homme
à genoux est presque aussi ridicule que celui
qui BAT. un entrechat. (Proudh.) [I Battre des
six, des huit, Frapper trois, quatre fois un
pied contre l'autre avant de retomber.
— Artill. Attaquer avec une machine de
guerre : BATTRE des remparts avec un bélier.
n Frapper 5 coups de boulets : L'artillerie
ennemie BATTAIT notre flanc gauche. Mahomet
BATTAIT les muns de Rhodes avec seize canons*
(Chateaub.) n Etre en position pour battre :
On a construit deux forts qui BATTENT l'entrée
de la rade. (V. BATTERIE pour les diverses
manières de battre.) n Battre en salve, en
mine, en brèche, etc. (V. SALVE, MINE, BRÈ-
CHE, etc.) il Battre la poudre, La presser de
huit ou dix coups de fouloir, pour éprouver
le canon.
— Typogr. Battre la lettre, Frapper les ca-
ractères avec les doigts pour les niveler, n
Battre le briquet, Battre plusieurs fois la
lettre sur le composteur; faire, en compo-
sant, des mouvements inutiles.
— Art. vôtér. Battre les avives. V. AVIVES.
— Techn. Battre la pâte, Frapper l'argile'
fortement avec un maillet de bois, afin de la
rendre plus malléable, et de lui donner une
espèce d'onctuosité qu'elle n'aurait pas sans
cette opération. Il Battre la chaude, Etirer
sur l'enclume des lames d'or et d'argent re-
cuites.
— Constr. Battre la ligne, Faire vibrer un
cordon tendu et colorié, pour imprimer une
ligne droite sur une surface unie.
— Ponts et chauss. Battre au large, Aug-
menter la section d'une galerie de tunnel ou
de mine en abattant leurs parois, à l'aide de
la mine ou du pic, selon la nature du terrain.
— Manég. Battre la poudre ou la pous-
sière, En parlant du cheval, marcher sur
place sans avancer, u Battre la poudre au pas,
Aller un pas trop court, u Battre la poudre au
terre à terre, Faire tous ses pas très-courts.
Il Battre la poudre aux courbettes, Les faire
trop basses et trop précipitées.
— Véner. Battre l'eau, Battre le ruisseau,
Se jeter à l'eaiij en parlant du cerf ou du
chevreuil poursuivi par une meute, il Se faire
battre, En parlant du gibier, se faire cher-
cher longtemps sans se lever :
Une heure là dedans notre cerf se fait battre.
MOLIÈRE.
— Pôch. Battre l'eau, Battre le ruisseau,
Agiter l'eau pour chasser le poisson dans les
filets.
— Mar. Battre les coutures, Enfoncer des
étoupes dans les joints. Il Battre pavillon, Ar-
borer pavillon : // PAVILLON d'amiral au
grand .mât, bien qu'il ne soit que vice-amiral.
Il Battre ta mer7 Rester longtemps dans un
espace détermine, le parcourir dans plusieurs
sens.
— Jeux. Aux échecs, pouvoir atteindre en
un seul coup joué : Votre reine mon ca-
valier, mais il est défendu par mon roi. H Battre
le coin, Tomber, au trictrac, sur le coin de
son adversaire, à coups de dames, il Battre
une dame, Au même jeu, mettre une dame
sur la flèche où était placée celle de l'adver-
saire. Il Battre à faux, Se dit, au même jeu,
quand l'un et l'autre des points du joueur
répondent à deux flèches, garnies do deux
dames ou cases, et que les deux points réu-
nis vont à une autre dame découverte, n
Battre par passage ouvert, Au même jeu,
tomber, par le passage d'un dé au moins,
sur une lame qui a une dame au plus. H Battre
par passage fermé, Tomber, par le passage
des deux dés, sur des cases occupées par deux
dames au moins, n Battre les cartes, Les mê-
ler : Il n'y a que des fous et des malades qui
puissent trouver du bonheur à BATTRE LES
CARTES tous les soirs. (Balz.)
— Argot. Feindre : Parmi ces hommes,
BATTRE c'est feindre : on une maladie.
(V. Hugo.) Battre le dig dig; Simuler une
attaque d'epilepsie.
— v. n. Frapper : BATTRE du pied, de la
main. La grêle contre les vitres.
L'ardent coursier déjà 6ent tressaillir ses veines,
Bat dû pied, mord le frein, sollicite les renés.
DELILLE.
A ce discours, tous les bons citadins,
Pressés en foule à la porte, applaudirent,
Comme autrefois les chevaliers romains
Battaient des pieds et claquaient des deux mains.
"VOLTAIRE.
— Ballotter, être secoué, en parlant d'un
objet pendant ou mal assujetti : Cette fe-
nêtre BAT, fermez-la mieux. ("*) Le fer de ce
cheval BAT, et ne tardera pas à tomber. Ces
bouteilles sont mal emballées, elles BATTENT.
"*) Le fourreau de son sabre lui BATTAIT entre
es jambes. (***) Le cheval devint de plus en
plus furieux, en sentant le brancard de la voi-
ture BATTËE contre son train de derrière. (***)
— Etre agité : Les ailes du troglodyte BAT-
TENT d'un mouvement si vif, que les vibrations
en échappent à l'œil. (Buff.) u Produire une
agitation : Cet oiseau des ailes.
— Etre animé de pulsations alternati-
ves : Je sentais dans sa poitrine brûlante
BATTRE son cœur à coups redoublés. (B. de
St-P.) Le pouls me BAT. Le cœur des petits
enfants de cent trente à cent quarante fois
par minute. (J. Macé.) On cite un vieillard de
quatre-vingt-quatre ans, dont le cœur ne BAT-
TAIT plus que vingt-neuf fois par minute. (J.
Macé.) H Se dit aussi pour exprimer la circu-
lation du sang, et, par ext., la présence de
la vie : Son cœur ne plus, il est mort.
Tant que le cœur me BATTRA, je me souvien-
drai de lui. (**"*) Il faut prendre son parti
sans pusillanimité dans toutes les occasions
de la vie, tant que l'âme dans le corps.
(Volt.)
r ... L'homme ranimant une rage assouvie.
Cherche encor la douleur où ne bat plus la vie.
LAMARTINE.
Il Se dit encore pour exprimer quelque senti-
ment, quelque émotion que l'on éprouve :
I Le cœur lui de peur, d'impatience, d'es-
1 poir. Le cœur m'en BATTAIT. (M«>e de Sév.)
Il soupirait, il frissonnait, le cœur lui BAT-
TAIT. (P.-L. Cour.) Le cœur me BATTAIT d'im-
patience de feuilleter ce nouveau livre. (J.-J.
Rouss.) Votre cœur n'A. jamais BATTU pour les
rois. (Chateaub.) J'ai toujours senti BATTRE
mon cœur, en voyant le facteur déposer une
lettre sur une table. (L*. Gozlan.) Le cœur me
BAT comme à un oiseau qui se lance hors du
nid pour la première fois. (G. Sand.) Il n'est
pas un cœur français qui ne BATTE au récit
des exploits des Polonais. (L.-J. Larcher.)
Rien d'humain ne battait sous son épaisse armure.
LAMARTINE.
Le même sentiment battait dans nos deux cœurs.
LAMARTINE.
C'était sous des haillons que battaient des cœurs
[d'hommes.
A. BARBIER.
Monseigneur, en ce triste état,
Confessez que le cœur vous bat.
VOLTAIRE.
. ..... Je suis fila de mon père,
C'est son sang généreux qui bat dans mon artère.
E. AUOIER.
— Porter, en parlant des bouches à feu :
Ces nouveaux canons BATTENT à douze cents
mètres. Il Darder, en parlant du soleil : Nous
marchions sous un soleil qui BATTAIT d'aplomb.
Il Tomber vivement, en parlant de la pluie
ou de la grêle : Le vent soufflait, la pluie
BATTAIT.
— Etre battu, en parlant du tambour :
Les tambours BATTENT. Le tambour BATTAIT
dans les rues et sur le port. (Alex. Dum.) H
Etre battu, en parlant d'un signal particu-
lier donné par le tambour : Partout BATTAIT
la générale.
— Battre du tambour, de la caisse, En ti-
rer des sons : Les enfants aiment à BATTRE
DU TAMBOUR. Il Battre aux champs, Battre le
tambour pour faire rendre les honneurs à
quelqu'un : Chapeau bas, messieurs, dit gra-
vement le commandant en se découvrant, et
vous, tambours, BATTEZ AUX CHAMPS. (E. Sue.)
il Signifie aussi, Etre battu aux champs, en
parlant des tambours: Vous prenez votre flûte,
lorsque vos tambours BATTENT AUX CHAMPS.
(Volt.)
— Battre en retraite, Abandonner son camp
ou le champ de bataille, en se retirant en
bon ordre : Nous attendions d'heure en heure
l'ordre de nous porter en avant ; nous reçûmes
celui de BATTRE EN RETRAITE. (Chateaub.)
BATTRE EN ^RETRAITE avec les honneurs de la
guerre a toujours été le chef-d'œuvre des
plus habiles généraux. (Balz.) Il Par ext. Se
retirer : La grande dame BATTIT EN RETRAITE,
et le malheureux vit s'écrouler l'édifice de ses
espérances. (J. Sandeau.) il Fig. Céder : Il
commença à BATTRE EN RETRAITE, et bientôt
garda le silence.
— Battre des mains, Les choquer l'une
contre l'autre, en signe d'approbation ou de
satisfaction : Je parus dans une loge; tout le
parterre me BATTIT DES MAINS. (Volt.) Je fus
si joyeuse, que je me mis à BATTRE DES MAINS
comme une folle. (Alex. Dum.)
Tout le beau sexe, aux fenêtres penché,
Battait des mains, de tendresse touché.
VOLTAIRE.
Lorsque l'un siffle à rompre le cerveau,
De ses deux mains l'autre B'obstine à battre.
DE GUERLE.
Les animaux charmés,
A ce nom de Buffon, s'ils avaient eu des mains.
Des mains auraient battu, tout comme les humains.
F. DE NEUFCHATEAU.
Il Fig. Applaudir, approuver : Ils BATTENT
DES MAINS à l'idée des réformes, parce qu'ils
les considèrent comme leur propre ouvrage.
(Poujoulat.)
— Loc. fam. Battre de l'aile ou Are battre
que d'une aile, Etre comme un oiseau qui a
une aile cassée, être en piteux état : Ce ban-
quier NE QUE D'UNE AILE ; il n'est pas loin
d'une faillite. Ce pauvre malade DE L'AILE;
il va nous dire adieu. Cette affaire est coulée,
elle NE PLUS QUE D'UNE AILE, H Battre des
ailes, En terme de coulisses, faire des gestes
fréquents, et frapper ses hanches à coups do
coudes, il Battre le job, Se dit d'un acteur qui
s'embrouille et ne sait ce qu'il dit. Cette ex-
pression s'emploie surtout en parlant d'un
vieil artiste dont la mémoire est affaiblie, il
On dit aussi FAIRE DE LA TOILE. Il Bien ne lut
bat, Il est froid, il manque de passion, d'en-
thousiasme : Cet homme a du nombre, de l'é-
1 légance, du style, de la raison, de la sagesse,
mais RIEN NE LUI au-dessous de la ma-
melle gauche. (Dider.)
— Argot. Battre comtois, Servir de com-
père à un marchand ambulant pour allécher
et attraper la pratique.
— Techn, En parlant d'un métier, être en
activité : Les métiers de nos rubaniers ne
BATTENT plus depuis trois mois. Jl Battre à la
terre, Fouler une étoffe avec de la terre dé-
trempée.
— Mus. En parlant de deux sons disso-
nants, produire certains renflements appelés
battements.
— Manég. Battre à la main, En parlant du

cheval, faire de brusques mouvements de
tête de haut en bas et de bas en haut, il
. Battre du flanc ou des flancs, En parlant d'un
cheval, être haletant.
—.Jeux. Au trictrac, porter, d'une flèche
où l'on a deux dames, sur une flèche où l'ad-
versaire n'en a qu'une. Il Battre à faux, Battre
par les deux flèches, dont l'une a deux dames
et l'autre une.
Se battre, v. pr. Se frapper mutuellement :
SE BATTRE à coups de poing. Les enragés/ Il
me semble que je vois deux chiens qui SE
BATTENT pour un os. (Le Sage.) Ne vous

BATTEZ
pas dans la rue, voilà les sots aux
fenêtres. (Chamf.) Sans la politesse, on ne se
réunirait que pour SE BATTRE. (A. Karr.)
Pour un âne enlevé deux voleurs se battaient.
LA FONTAINE.
A table comptez-moi, si vous voulez, pour quatre;
Mais comptez-moi pour rien, s'il s'agit de se battre.
MOLIÈRE.
Il Se dit particulièrement du combat singu-
lier appelé duel : SE BATTRE à l'épée, au pis-
tolet. Je suis dans l'incertitude si je dois ME
BATTRE avec mon homme, ou le faire assassiner.
(Mol,) Il y a, je l'avoue, une autre sorte d'af-
faires où la gentillesse se mêle à la cruauté, et
où l'on ne tue les gens que par hasard; c'est
celle où l'on SE au premier sang. (J.-J.
Rouss.) // devait SE BATTRE avec un monsieur
gui n'a jamais manqué son homme, et qui était
sûr de son coup. (Scribe.) Je ne ME BATS pas
avec le fils d'un marchand; si vous étiez noble
ou officier, je ne dis pas. (Scribe.) On proposait
à un joueur, que ta fortune venait de favoriser,
de servir de second dans, un duel : « Je gagnai
hier huit cents louis,, répondit-il, et je ME
-BATTRAIS fort mal; mais allez trouver celui à
qui je les ai gagnés, il SE BATTRA comme un
diable, car il n'a pas le sou.-»
Eh bien ! ils se battront, puisque vous le voulez.
CORNEILLE.
De tout ce différend, je ne veux rien connaître,
Et je ne prétends point me battre contre toi.
REONARD.
Il Se frapper soi-même :
On t'a battu! qui? — Moi. — Toi te battre! —
[Moi-même.
MOLIÈRE.
Il Battre à soi-même : SE BATTRE la tête con-
tre un mur. Le lion SE les flancs avec sa
queue. (Buff.) Il S'emploie avec le verbe faire,
avec suppression du pronom 5e : Faire BATTRE
(pour se battre) des chiens et des chats. On
cherche à nous faire BATTRE (pour nous battre).
— Par exagér. Se disputer quelque chose
avec acharnement : On SE pour avoir des
billets de loterie. On SE à qui vous aura.
(La Font.)
— Par cxt. Se heurter, se ruer l'un sur
l'autre, en parlant dos éléments : Les vents
SE BATTAIENT avec furie. Les flots SE BAT-
TAIENT, 5e choquaient avec un bruit affreux.
— Combattre ; On ' S'EST BATTU pendant
deux heures à l'arme blanche. On SE BATTAIT
avec le même courage et la, même fortune.
(Volt.) Il est cruel de SE BATTRE contre ses
concitoyens, mais il est bien plus horrible en-
core d'être opprimé par eux. (Mme de Staël.)
On SE dans tous les pays du monde, mais
il n'y a que les Français qui SE BATTENT en
riant. (Alex. Dum.) Le soldat, quelque coura-
geux qu'il soit, SE mat lorsqu'il est à jeun.
(L. Cruveilhier.) On SE pour sa patrie,
mais on SE aussi, passez*moi l'expression
vulgaire, pour sa peau. (Mich. Chev.) SE
BATTRE en Europe, c'est faire la guerre ci-
vile. (Napol. le.) SE BATTRE contre son pays
est toujours une chose grave. (Ste-Beuve.) L'art
de SE BATTRE a marché de progrès en progrès.
(E. de Gir.) Au Mexique, on vit des avocats,
militaires improvisés, SE BATTRE comme des
enragés. (L.-J. Larchcr.) C'est toujours par
le besoin d'exercer son activité, et surtout dans
le but d'améliorer sa condition, que le peuple
SE BAT. (***)
Je prenais un peu de courage
Pour nos gens qui se battaient.
MOLIÈRE.
..— Fig. Discuter : BATTEZ-VOUS sur ces ma-
Hères tant qu'il vous plaira; je ne veux point
en être le juge. (Boss.) Deux personnes se jet-
tent dans la tactique du sentiment, parlent au
lieu d'agir, et SE BATTENT en plein champ au
lieu de faire un siège. (Balz.)
— Loc. Fam. 5e battre les flancs, S'animer,
s'exciter soi-même, faire des efforts exagé-
rés : Il SE LES FLANCS pour s'échauffer en
composant. (Beaumarch.) J'ai beau ME BATTRE
LES FLANCS pour arriver à l'exaltation, j'y
perds ma peine. (Chateaub.) On ne connaissait
point alors l'art de SE BATTRE LES FLANCS pour
produire de l'effet. (Barante.) Il S'en battre
l'œil, S'en moquer, s'en inquiéter peu : Je
M'EN BATS L'ŒIL.
Je me bats Vai'. du Mercure et de toi.
BOURSAULT.
n S'en battre les fesses, Même sens :
Mais, a ces discours d'ivrognesses,
Le roi dît: Je m'en bats les fesses.
SCARRON.
Il Peu usité, il Se battre sur son palier, Etre
sur son terrain, parler ou s'occuper de choses
que l'on sait pertinemment : Pour s'entrete-
nir dignement soi-même et. les autres du senti-
ment de l'immortalité et du respect de la pos-
térité, il faudrait y avoir plus de droit ; c'est
alors qu'on SE BATTRAIT SUR SON PALIER.
— Mar. Se battre en ligne, En parlant des
navires de guerre, combattre après s'être
rangés sur une seule ligne, il Se battre en
chasse, Continuer à tirer sur son adversaire,
en cherchant à s'éloigner de lui.
— Fauconn. Se battre à la perche, En par-
lant de l'oiseau, s'agiter sur sa perche comme
pour s'envoler, il Fig. Se donner beaucoup de
mouvement inutile.
— Agric. Etre battu, en parlant des grains :
Le froment, le seigle, l'orge, l'avoine et la plu-
part des plantes fourragères -SE BATTENT au
fléau. (Dict. de la conv.)
— Syn. Battre, Trapper. Battre veut dire
donner des coups en grand nombre, et toujours
avec l'intention de faire mal. Frapper peut se
dire quand on ne porte qu'un seul coup, et même
quand il n'y aucune volonté de faire mal. Avec
battre on n'indique pas ordinairement la place
où tombent les coups; on dit bien, au contraire,
frapper à la joue, au visage, dans le dos.
Battre emporte quelquefois l'idée d'être le plus
fort, de remporter la victoire. Enfin se battre
signifie ordinairement prendre part à un com-
bat; se frapper, signifie plus spécialement se
donner des coups à soi-même.
— Syn. Battre, défaire, vaincre. Battre
l'ennemi, c'est l'emporter sur lui dans la ba- -
taille, être le plus fort dans une circonstance
donnée. Défaire, c'est rompre, désorganiser
une armée disposée en bataille, mettre le dé-
sordre dans ses rangs et les disperser. Vaincre
ajoute aux idées précédentes celle de la gloire,
et il suppose un résultat plus décisif; l'ennemi
vaincu n est plus à craindre,et le vainqueur
. peut lui imposer ses conditions.
— Antonymes. Caresser, flatter.
— AU. litt. Se battre contre des moulin» à
vent, allusion à l'un des épisodes les plus co-
miques du roman de Don Quichotte. Le cheva-
lier de la Manche, dont l'imagination exaltée
trouve partout du merveilleux, aperçoit des
moulins à vent qu'il prend pour des géants, et
contre lesquels il s'avance la lance au poing.
Mais la page est charmante ; passons la plume
à Cervantes. Les lecteurs en voudraient au
Grand Dictionnaire s'il leur donnait du chry-
socale alors qu'il a de l'or pur sous la main :
n Dans ce moment, don Quichotte aperçut
trente ou quarante moulins a vent; et regar-
dant son écuyer : a Ami, dit-il, la fortune
vient au-devant de nos souhaits. Vois-tu là-
bas ces géants terribles ? Us sont plus de trente :
n'importe, je vais attaquer ces fiers ennemis
de Dieu et des hommes. Leurs dépouilles com-
menceront à nous enrichir. — Quels géants?
répondit Sancho. — Ceux que tu vois avec ces
grands bras qui ont peut-être deux, lieues de
long. — Mais, monsieur, prenez-y garde; ce
sont des moulins à vent ; et ce qui vous semble
des bras n'est autre chose que leurs ailes. —
Ah ! mon pauvre ami, l'on voit bien que tu n'es
pas encore expert en aventures. Ce sont des
géants, je m'y connais. Si tu as peur, éloigne-
toi ; va quelque part te mettre en prière, tandis
que j'entreprendrai cet inégal et dangereux
_combat. »
» En disant ces paroles, il pique des deux, sans
écouter le pauvre Sancho, qui se tuait de lui
crier que ce n'étaient point des géants, mais
des moulins, sans se désabuser davantage à
mesure qu'il en approchait : « Attendez-moi,
disait-il, attendez-moi, lâches brigands ; un seul
chevalier vous attaque. - A l'instant même un
peu de vent s'éleva, et les ailes se mirent à
tourner. « Oh! vous avez beau faire, ajouta
don Quichotte; quand vous remueriez plus de
bras que le géant Briarée, vous n'en serez pas
moins punis. » Il dit, embrasse son écu ; et, se
recommandant à Dulcinée, tombe, la lance en
arrêt, sur l'aile du premier moulin, qui l'enlève
lui et son cheval, et les jette à vingt pas l'un
de l'autre. Sancho se pressait d'accourir au
plus grand trot de son âne. Il eut de la peine
à relever son maître, tant la chute avait été
lourde, o Eh ! Dieu me soit en aide I dit-il, je
vous crie depuis une heure que ce sont des
moulins à vent. Il faut en avoir d'autres dans
la tête pour ne pas le voir tout de suite. —
Paix! paix! répondit le héros; c'est dans le
métier de la guerre que l'on se voit le plus
dépendant des caprices de la fortune, surtout
lorsqu'on a pour.ennemi ce redoutable enchan-
teur Freston, déjà voleur de ma bibliothèque.
Je vois bien ce qu'il vient de faire : il a changé
les géants en moulins, pour me dérober la
gloire de les vaincre. Patience I il faudra bien
à la (in que mon épée triomphe de sa malice.
— Dieu le veuille !» répondit Sancho en le
remettant debout, et courant en faire autant
à Rossinante, dont l'épaule était à demi dé-
boîtée. »
De là est venue l'expression se battre contre
des moulins à vent, c'est-à-dire se forger des
chimères, se créer des fantômes pour les
combattre.
Un petit-maître ayant proposé un cartel à
un homme brave et sensé, par qui il se croyait
insulté, ce dernier lui dit : « Depuis deux siècles,
on rit de don Quichotte pour s'être battu contre
un moulin à vent; jugez de ce qu'on dirait de
moi, si j'allais me battre contre une girouette. »
t D'Artagnan se trouvait, au moral comme
au physique, une copie exacte du héros de Cer-
vantes , auquel nous l'avons si heureusement
comparé tout à l'heure. Don Quichotte prenait \
les moulins à vent pour des géants, et les mou-
tons pour des armées ; d'Artagnan prit chaque
sourire pour une insulte, et chaque regard pour
une provocation. » ALEX. DUMAS.
« M. d'Arlincourt affectionne par-dessus
tout, dans ses ouvrages, les allures chevale-
resques et les situations mélodramatiques. Ses
héros sont des matamores, faisant ordinaire-
ment beaucoup plus de bruit que de besogne,
des espèces de Don Quichotte toujours prêts à
se battre contre des moulins à vent. »
{Dictionnaire de la Conversation.)
o C'était un gaillard classique, philosophe,
constitutionnel, ironique et voltairien, qui se
plaisait à saper, comme il disait, les préjugés.
Il aimait à donner, c'était son expression, de
grands coups de lance dans les erreurs hu-
maines; et, quoiqu'il ne lui arrivât jamais
d'attaquer les véritables moulins à vent du
siècle, il s'appelait lui-même, dans ses gaietés,
Don Quichotte. Je l'appelais Don qui choque. »
V. HUGO.
« Lorsqu'en 1837, Béranger disait : Trem-
blez, Bourbons, je vais chanter/ il est clair que
cette menace était purement rétrospective.
- A huis clos, entre quatre murs, sur ce froid
papier destiné à une publication posthume, et
condamné au tiroir d'un notaire, se livrer à ces
gratuites démonstrations d'orgueil et de co-
lère, s'admirer ainsi dans sa vaillance, c'est
refaire pour son propre compte l'histoire du
héros de Cervantes, c'est livrer bataille à des ,
moulins à vent/ » Cuv. FLEURY.
BATTU, UE (ba-tu) part. pass. du v. Battre.
Heurté, frappé, soit directement, soit à l'aide
d'un instrument : Fer BATTU à chaud. Grains

BATTUS
avec le fléau. Pavés BATTUS avec la
demoiselle. L'or, l'argent, le cuivre BATTUS à
froid s'écrouissent. (Buff.) Quand les grains
sont BATTUSJ on doit les transporter immédia-
tement sur le plancher d'un grenier. (Math.de
Dombasle.) il Se dit-surtout d'une personne
ou d'un animal à qui l'on a donné des coups:
Un enfant BATTU par ses camarades. Hélioaore
fut BATTU de verges. Faut-il s'étonner de voir
les apôtres si-souvent BATTUS, lapidés et laissés
pour morts? (Boss.) Je suis las d'être bien
BATTU et mal nourri; je suis las de passer la
nuit à la porte d'un lansquenet, et le jour à
vous détourner des grisettes. (Regnard.)
— Vaincu dans une lutte, dans un combat :
Etre BATTU en rase campagne. Le général
BATTU a toujours tort, quelque sage conduite
qu'il ait eue. (Volt.) |] Par anal. Qui a eu le
dessous au jeu, dans une joute, etc. : Etre
BATTU aux échecs. Gladiateur n'a pas encore
été B.VTTU. irFig. Vaincu moralement : Je ne
me crois pas BATTU par vos raisons. Il tient
que la France a été BATTUE en ruine par la
plume de cet écrivain, et qu'il ne faut que ce
bel esprit pour détruire toutes nos troupes.
(Mol.) Le gouverneur était inquiet; il appar-
tenait à l'opinion BATTUE. (Cnateaub.) // est
triste, à votre âge, de se résoudre à être tou-
jours du parti BATTU. (H. Beyle.) Arrive donc,
mon cher ami; si tu ne fais diversion en ma
faveur, je suis BATTU sur tous les points.
(Scribe.) H Châtié, maltraité : Les fléaux sont
destinés à nous battre, et nous sommes BATTUS
parce que nous le méritons. (J. de Maistre.)
— Atteint ou à portée d'être atteint par
l'artillerie : Un rempart BATTU en brèche. Une
position BATTUE par l'artillerie ennemie.
— Heurté, secoué, ébranlé : Un rocher
BATTU par les flots. Un vaisseau BATTU par la
tempête. Il y a plaisir d'être dans un vaisseau
BATTU de l'orage, lorsqu'on est assuré qu'il ne
périra pas. (Pasc.) L'aigle, en s'élevant dans
les nuages, peut passer tout à coup de l'orage
dans le calme, tandis que les autres animaux
sont BATTUS de la tempête. (Buff.) Les der-
* nières cimes des montagnes sont froides et

BATTUES
des vents. (Lamart.)
Battu par la tempête, à la merci des vents,
Le pauvre pèlerin se trouble, perd courage.
LE BAILLT.
Il Fig. en ce sens : Le vaisseau de l'Etat est
BATTU par la plus violente tempête, et il n'y a
personne'à la barre. (Mirab.) BATTUE par les
orages de la vie, la colombe éperdue se réfugia
dans la solitude. (Chateaub.)
Aïeux de Malvina, du sein de vos nuages,
Veillez sur ses destins, battus par tant d'orages.
Ducis.
— Mêlé, gâché, brouillé : De la terre BATTUE.
Du plâtre BATTU. Des œufs BATTUS. Les mai-
sons sont construites avec des poteaux et des
claies,' revêtues en dehors et en dedans de terre
BATTUE. (H. Martin.)
— Foulé ; durci par une pression constante
ou souvent répétée : Chemin BATTU. Sol BATTU.
Terre BATTUE, H Fréquenté, en parlant d'un
chemin : Boute BATTUE. Voie BATTUE. Sentier
BATTU. Quand les herbes sont perlées de rosée,
il fait bon suivre les chemins BATTUS. (L.-J.
Larcher.) n Fig. Vulgaire, ordinaire, com-
mun, banal : Les routes BATTUES ne conduisent
qu'à des erreurs universelles. (Dumarsais.) On
n'ose pas s'écarter du chemin BATTU. (Boss.)
Elle a quitté les voies BATTUES de la vertu,
pour aller à Dieu par des routes inconnues et
\ nouvelles. (Fléch.) Prétendre faire mieux sans
BAT 381
faire autrement, c'est la voie BATTUE. (E. de
Gir.) La voie BATTUE , c'est celle qui consiste
à demander incessamment à la loi, sous forme
d'interdictions, des dispenses de capacités.
(E. de Gir.) Solidement assise sur la réalité,
elle avait conduit sa destinée par les routes
BATTUES, évitant les cailloux que sème le ca-
price. (E. Souvestre.) Le succès était assuré
pour qui suivrait le sentier BATTU .* David s'en
écarta. (Vitet.)
Loin des sentiers battus où se plaît le vulgaire,
Dans un sublime essor, 6 Muse, emporte-moi-
— Parcouru en tout sens, fréquenté:
Plaines BATTUES par des chasseurs. Pays
BATTUS par des maraudeurs.
— Yeux battus, Yeux entourés d'un cercle
noir, comme s'ils avaient reçu un coup :
Vous avez les YEUX bien BATTUS ; je vous
trouve bien changée. (Th. Gaut.) Il Avoir les
oreilles battues de quelque chose, Etre fatigué
de l'entendre répeter. ii On dit mieux RE-
BATTUES. Il Se tenir pour battu, Se regarder
comme vaincu, avouer sa défaite : Je ne ME
TIENS pas POUR BATTU, et je peux eu appeler.
— Prov. Autant vaut bien battu que mal
battu, Quand on à commencé une entreprise
qui offre des dangers, autant vaut la pour-
suivre jusqu'au bout, n Cocu, battu et content,
Sorte de proverbe rabelaisien, dont le sens
est suffisamment clair par lui-même.
— Techn. Etiré sur l'enclume : Fer BATTU.
Or BATTU. Il mangeait chez lui dans l'étain et
avec des couverts de fer BATTU. (Balz.)
— Comm. Brocart battu d'or ou d'argent.
Brocart mêlé de beaucoup d'or ou d'argent.
— Art vétér. Sole battue ou Solbature^ Ma-
ladie de la sole, causée par un accident
extérieur.
— Chorégr. Pas battu, Pas accompagné de
battements : PAS BATTU dessus et dessous.
— Fauconn. Battu de l'oiseau, Sur qui l'oi-
seau de proie a un avantage véritable et dé-
cidé : Héron BATTU DE L'OISEAU, il Fig. Abattu,
découragé, et aussi Enervé, affaibli par la
maladie : Je suis mieux, mais je me sens en-
core BATTU DE L'OISEAU.
— s. m. Personne à qui l'on a donné des
coups : Les BATTUS et les battants. Ce sont
ordinairement les BATTUS qui payent l'amende.
— Techn. Trait d'or ou d'argent battu :
Employer du BATTU. Il Battu de feutre, Défaut
du papier, provenant d'une petite quantité
de pâte mal étalée.
— Hist. Nom donné aux flagellants.
— Alchim. Fortement poussé, exalté par
le feu : Les esprits BATTUS s'évanouissent
aisément.
— Homonyme. Battue. .
-— Allus. littér. La femme de Sganarelle qui
vont être, battue, allusion à une des scènes les
plus comiques de Molière. Sganarelle a battu
sa femme, qui lui reprochait son ivrognerie.
Survient le voisin Robert, qui s'interpose entre
les deux époux, et met imprudemment ledoiyt
entre l'arbre et l'écorce :
MARTINE. Voyez un peu cet impertinent,
qui veut empêcher les maris de battre leurs
femmes !
M. ROBERT. Je me rétracte.
MARTINE. Qu'avez-vous à voir là-dessus?
M. ROBERT. Rien.
MARTINE. Est-ce à vous d'y mettre le nez?
M. ROBERT. Non.
MARTINE. Mêlez-vous de vos affaires.
M. ROBERT. Je ne dis plus mot.
MARTINE. Il me plaît d'être battue.
M. ROBERT. D'accord.
MARTINE. Ce n'est pas à vos dépens.
M. ROBERT. Il est vrai.
MARTINE. Et vous êtes un sot, de venir vous
fourrer où vous n'avez que faire. (Elle luidonne
un soufflet.)
Les écrivains font souvent allusion à la
femme de Sganarelle, qui veut être battue:
« Expliquez-moi par quelle fatalité la phi-
losophie ne peut se résoudre à quitter les
bords de la Seine, malgré les dégoûts qu'elle
y éprouve, et le peu de prosélytes qu'elle y
fait. Les philosophes sont comme la femme du
Médecin malgré lui, qui veut que son mari la
batte. » D'ALEMBERT.
n Tout peuple, en ce cas, et surtout une
nation fière comme les Anglais, veut être le
maître chez soi. Et quels que soient les vices
de sa constitution, si c'est un peuple rival qui
prétend le» redresser et les démocratiser de
gré ou de force, il dit, comme la femme de
Sganarelle à M. Robert : « De quoi vous
» mêlez-vous? et moi je veux être battue, o
CAMILLE DESMOULINS.
« La femme de Sganarelle disait au voisin,
qui prenait sa défense contre son mari : De
quoi vous mêlez-vous? je veux qu'il me batte.
Il y a des peuples qui diront : Nous ne vou-
lons pas être libres ; et c'est peut-être un
grand problème à résoudre, que de savoir
jusqu'à quel point cette liberté si vantée, qui
paraît innée dans le cœur de chaque individu,
est nécessaire au bonheur général. »
GRIMM.
382
« Le ménage des moineaux francs n'est pas
toujours exempt de nuages. Madame est d'hu-
meur exigeante, et houspille fréquemment
Monsieur. Mais ces querelles durent peu, et
malheur en tout cas à l'officieux voisin qui
s'avise de s'interposer entre les parties belli-
gérantes pour mettre le holà! car nos deux
époux se raccommodent aussitôt, et profitent
de la circonstance pour tomber à grands coups
de bec sur l'intrus, et pour lui apprendre à se
mêler de ce qui le regarde. Ainsi procèdent les
époux Sganarelle. » TOUSSENEL.
BATTU (Pierre), violoniste et compositeur,
né à Paris en 1799. Admis dans les classes pré-
paratoires du Conservatoire de Paris, il devint
élève de Rodolphe Kreutzer, et obtint le pre-
mier prix de violon au concours de 1822. De
tous les élèves du célèbre professeur, c'est lui
qui calque le moins servilement le style de
son maître. M. Battu,"-qui s'est produit tou-
jours avec succès dans les concerts, fut atta-
ché, comme violon j au théâtre de l'Opéra; il
a été nommé, en 1846, deuxième chef d'or-
chestre de ce théâtre. On a de lui deux con-
certos pour violons, trois duos concertants
pour deux violons, un thème varié pour le
violon, et des romances avec accompagnement
de piano.
BATTU (Léon), auteur dramatique fran-
çais, né à Paris en 1827, mort flans la même
ville en 1857, fils du précédent. Après avoir
obtenu des succès faciles dans la petite presse
parisienne, grâce a de légères esquisses, où
l'humour et l'esprit se mariaient à souhait,
il ambitionna les triomphes du théâtre, où il
fut souvent heureux. Voici la liste des ouvra-
ges dramatiques de ce jeune et regrettable *
écrivain : les Extrêmes se touchent, comédie-
vaudeville en un acte, avec Adrien Decour-
celle (Variétés, 27 janvier 1848); les Deux
font la paire, vaudeville en un acte, avec Mi-
chel Carré (Variétés, 25 octobre 1S48); les
Suites d'un feu d'artifice, vaudeville en un
acte, avec Clairville et Arthur de Beauplan
(Variétés, 14 novembre 1848); Jobin et Na-
nette, vaudeville en un acte , avec Michel
Carré (Vaudeville, 1849); Nisus et Euryale,
comédie-vaudeville en un acte, musique de Nar-
geot (Variétés, 1850) ; Madame Diogè.ne, vaude-
ville en un acte (Variétés, 1852); les Quatre
coins, comédie en un acte et en prose (Odéon,
7 novembre 1852); l'Honneur de la maison,
drame en cinq actes et en prose, avec Mau-
rice Desvignes (Porte-Saint-Martin, 6 juillet
1853), succès prolongé, dû à la moralité de
l'ouvrage et à son mérite littéraire ; Pepito,
opéra-comique en un acte, avec Jules Moi-
neaux, musique de Jacques Olfenbach (Va-
riétés, 3 septembre 1853); les Cheveux de ma
femme, vaudeville -en un acte, avec Labiche
(Variétés, 19 janvier 1855) ; Jacqueline, opéra-
comique en un acte, avec Scribe et. Edouard
Fournier, musique du comte d'Osmond et de
M. Jules Costé (Opéra-Comique, 8 juin 1855) :
cet ouvrage, joué au Théâtre-Italien, le 15 mai
1855, au profit de la Société des secours à do-
micile, fut représenté par ordre à l'Opéra-
Comique, où il obtint deux représentations ; un
Verre de Champagne, comédie en un acte, avec
Adrien Decourcelle (1855) ; Lucie Didier, pièce
-en trois actes et en prose, avec M. Jaune fils
(Vaudeville, 12 janvier 1856) : cette pièce
contenait tous les éléments de succès que peut
exiger un public plus blasé que délicat, et si
elle n'a pas obtenu la vogue des Filles de mar-
bre, des Faux Bonshommes, etc., on ne peut en
accuser que le caprice des spectateurs ; l'An-
neau d'argent, opéra-comique en un acte, avec
Jules Barbier, musique de Louis Deffès (Opéra-
Comique, 5 juillet 1855) ; Elo'die ou le Forfait
nocturne, quiproquo en un acte, avec Hector
Crémieux, musique de M. Amat (théâtre des
Boutfes-Pa.isiens, 185G) ; les Pantins de Vio-
lette, opéra-comique en un acte, musique d'A-
dolphe Adam (un petit chef-d'œuvre de grâce
et de fine raillerie musicale, dernier éclat de
rire du compositeur charmant auquel on doit
le Chalet et le Postillon de Lonjumcau) ; l'Im-
pressario, opéra-comique en un acte, avec
Ludovic Halévy, musique de Mozart (théâtre
des Bouffes-Parisiens, 1856); le Docteur Mi-
racle, opérette en un acte, avec Ludovic Ha-
lévy, musique de M. Lecoq (théâtre des
Bouffe s-Pari siens, 1856); le Cousin de Mari-
vaux, opéra-comique en deux actes, avec Lu-
dovic Halévy, musique de Victor Massé (théâ-
tre de Bade, août 1857). Léon Battu voulut
voir jouer sadernière pièce, et, malade, épuisé,
se traînant à peine, il se mit en route et arriva
à Bade, où il dutsemettre au lit. Il eut néan-
moins encore la force d'assister a la première
représentation et de revenir à Paris, où il
mourut quelques mois après.
BATTU (Marie), cantatrice française, sœur
du précédent, née à Paris, reçut de M. Du-
prez ses premières leçons de chant. Un an plus
tard, elle paraissait, à deux reprises succes-
sives, à la Société des concerts, et faisait en-
tendre le finale de Moïse, une scène à'Oberon
et un morceau des Noces de Figaro. Après
une saison passée au théâtre de Bade, elle fut,
lors de son retour à Paris, attachée au Théâ-
tre-Italien. Ses débuts sur cette scène eurent
lieu le 12 janvier 1860, dans la Sonnanbula,
avec un succès qui prit tout le caractère d'une
ovation, et qui fit dire que la jeune cantatrice
allait recueillir la succession de M»>c Persiani.
Lucia, qui continua ses débuts, offrit un ré-
sultat moins heureux ; mais Rigoletto lui fit
retrouver aussitôt sa vogue première. L'en-
thousiasme excité par l'apparition de Mlle Ma-
rie Battu sur une scène illustrée par tant d'ad-
mirables talents, fut tempéré, toutefois, par
l'opinion de certains critiques qui, résistant à
l'entraînement général, n'hésitèrent pas à dé-
clarer que les moyens, sous certains points de
vue si remarquables, de la nouvelle étoile, ne
leur paraissaient pas de nature à convenir au
répertoire de la salle Ventadour. Mlle Marie
Battu manquait, en effet, de cette chaleur
qu'il faut apporter dans l'interprétation des
opéras de Rossini, de Bellini, de Donizetti et
de Verdi, où éclate toute la fougue du génie
italien. Son chant, d'un charme infini, man-
quait de passion. C'est encore le reproche
qu'on lui fait aujourd'hui. Cinq jours après la
première apparition de M^e Battu à la salle
Ventadour, le directeur de Covent-Garden, à
Londres, lui fit offrir un engagement de trois
années; mais c'est seulement en 1862 qu'elle
s'est produite chez nos voisins, à qui elle a
donné, depuis lors, toutes ses saisons d'été.
En octobre 1863, l'Opéra-Italien de Paris ayant
changé de direction, M^e Battu, qui se trou-
vait libre, signa un engagement avec l'Acadé-
mie de musique. Elle avait paru aux Italiens
dans la Sonnanbula, Lucia, Rigoletto, Il Ma-
trimonio segreto, Maria, Don Giovanni, Nozze
di Figaro, Don Pasquale, Anna Bolena, Un
Ballo in maschera, Il Furioso, Cosi fan tutte,
rôles qu'elle avait également interprétés à
Londres, en y joignant Robert le Diable, les
Huguenots, la Muette de Portici. Mlle Battu
débuta à notre Grand-Opéra, le 28 décembre
1863, par le rôle créé par M03*: Damoreau dans
Moïse, rôle qu'elle joua sans interruption jus-
qu'au mois d avril 1864, époque à laquelle un
précédent engagement la rappelait à Covent-
Garden. Au mois d'août de la même année,
elle est allée inaugurer le Théâtre-Italien à
Bade par Rigoletto, Un Ballo in maschera,
Lucia, I Puritani, Don Pasquale, la Gazza
Ladra. A son retour a Paris, elle reparut, le
7 novembre 1864, dans Moïse et, plus tard,
dans la Muette de Portici (Elvire). Elle a créé,
en avril 1865, le rôle, assez pâle et assez froid,
d'Inès dans la fameuse Africaine, de Meyer-
beer. Mlle Marie Battu a peu de voix ; ses
sons, même dans les registres intermédiaires,
sont généralement faibles, et disparaissent à
demi dans les ensembles. Son organe veut
être ménagé ; mais, pour être délicat et faible,
il n'en est pas moins d'une admirable pureté.
Elle vocalise avec beaucoup de goût, mais le
sentiment lui fait défaut. Dans la Muette, -
comme expression et comme style, elle est
restée à une si grande distance de MUc Caro-
line Duprez, qu'on s'est demandé si réellement
les deux Elvire étaient sorties de la même
école. Dans l'Africaine, sa méthode correcte
l'a sauvée ; elle y a montré ce qu'elle tient
de son maître. Les passages où cette canta-
trice réussit le mieux sont, d'ailleurs, ceux qui
ne demandent qu'une exécution mécanique,
une sorte de perfection d'instrument; elle rend
faiblement ceux où la passion déborde, et c'est
pour cette raison qu'elle a sagement fait d'a-
bandonner le Théâtre-Italien, où, le premier
moment d'engouement passé, elle aurait peu
à peu fini par prendre dans l'opinion publique
un rang peu flatteur sans doute pour son
amour-propre d'artiste; car elle est douée, en
définitive, de qualités vraies et solides, sinon
de celles qu'exige le génie italien.
BATTUDE. V. BASTUDB.

BATTUE
s. f. (ba-tù — rad. battre). Chass.
Allées et venues faites en troupe, dans le but
de lever le gibier ou les botes fauves : Le sa-
medi 30, le Dauphin et le duc de BeiTi allè-
rent avec M. le Duc faire des BATTUES. (St-
Sim.) Dans les cantons conservés pour leplaisir
de la chasse, on tue quelquefois quatre ou cinq
cents lièvres dans une seule BATTUE. (Buff.) Les
BATTUES pour la destruction des loups, et la
manière d'y'procéder sont indiquées par l'or-
donnance du 20 août 1814. (Baudrillart.) Les
sauvages s'attroupent pour la BATTUE et la .
poursuite du gibier. (E. Pelletan.)
— Faire la battue ou battre à route, Frap-
per les buissons avec un bâton ou une hous-
sine, pour en faire sortir le gibier.
— Par anal. Recherches faites dans le but
de découvrir ou déloger des ennemis ou des
malfaiteurs : Les tirailleurs firent une BATTUE
dans le bois. Les gendarmes ont fait une BATTUE
sans résultat. On assomma, comme des bêtes
fauves, tout ce qui se trouva dans la BATTUE
du pacha; les brigands périrent, il est vrai,
mais avec trois cents paysans grecs qui n'étaient
pour rien dans l'affaire. (Chateaub.) Je prends
goût à la tuerie; c'est comme qui dirait une
BATTUE à l'homme. (Alex. Dum.)
— Pêch. Creux fait dans la vase par le
poisson, qui s'y enfonce pendant l'hiver.
— Techn. Préparation des cocons dans les
bassines^ pour dégager les bouts de la soie. Il
Quantité de cocons que l'on soumet ensem-
ble à l'opération du battage.
— Manég. Bruit du pas du cheval.
— Encycl. Chass. Les battues ont toujours
été regardées comme le meilleur moyen de
détruire les animaux nuisibles. Les anciennes
ordonnances prescrivaient d'en faire de temps
à autre dans les forêts dépendant du domaine
de la couronne, et même dans la campagne.
Un arrêté du Directoire, en date du 13 plu-
viôse an V (7 février 1797), a de nouveau pres-
crit cette mesure. Il ordonne de faire, tous les
trois mois et plus souvent, s'il est nécessaire,
des chasses et battues générales ou particu-
lières aux loups, aux renards, aux blaireaux
et autres animaux nuisibles. Si, depuis l'an V,
cette disposition de la loi eût été exécutée, il
est probable que la race des loups et celle des
renards auraient entièrement disparu du sol
de la France. De nouvelles prescriptions sur
les battues ont été édictées par une ordon-
nance du 20 août 1814, une instruction minis-
térielle du 9 juillet 1818, une instruction de
l'administration forestière du 23 mars 1821, et,
enfin, par la loi du 3 mai 1841 sur la police de
la chasse.
Les loups, et autres animaux nuisibles» ne
sont pas excessivement nombreux pendant
les années communes: cependant, il y a des
époques où, sans que Ion sache comment, ces
animaux se portent tout à coup en masse vers
une partie du territoire : il faut bien alors
avoir recours aux battues, et ce sont les lois
et règlements cités plus haut qui régissent la
matière.
Les battues sont ordonnées par le préfet,
sur la demande des agents forestiers, ou sur
celle de l'autorité municipale. Les maires et
officiers municipaux sont tenus d'y assister.
La liste des habitants de la commune qui doi-
vent y prendre part, soit comme rabatteurs,
soit comme tireurs, doit être fixée par le maire.
Si la battue doit s'étendre sur le territoire de
plusieurs communes, les maires doivent se
concerter pour choisir la personne à laquelle
sera donnée la direction générale.
On fixe de même le contingent de tireurs et
de rabatteurs que doit fournir chaque com-
mune. Du reste, aux termes de l'article 11 de
la loi de 1841 sur la police de la chasse, les
arrêtés préfectoraux sont souverains en ma-
tière de destruction d'animaux nuisibles.
Quand le lieu de la convocation a été fixé,
les tireurs et les rabatteurs doivent s'y rendre
à l'heure indiquée. Avant de commencer la
battue, le maire fait l'appel des habitants mis
en réquisition ; l'opération terminée, il doit
encore procéder au réappel, afin de s'assurer
que personne ne s'est retiré avant l'heure
marquée pour le départ. Il dresse ensuite pro- .
cès-verbal, et transmet la liste des absents au
procureur impérial, chargé de les poursuivre
en police correctionnelle. Un arrêt du conseil
du 25 janvier 1797 prononçait une amende de
10 fr. contre chaque contrevenant; mais cette
pénalité a été modifiée par l'article il delà
loi de 1841, et ceux qui enfreignent les arrê-
- tés des préfets sur la police des battues sont
aujourd'hui passibles dune amende de 16 à
100 francs. Cette peine ne s'applique pas seu-
lement a ceux qui négligent de se rendre à la
convocation, mais à quiconque enfreint une
des défenses de l'arrêté.
On distingue généralement quatre sortes de
battues : la battue sous bois, la battue en plaine,
la battue au chaudron et la battue au cordeau.
Nous trouvons, a ce sujet, dans le Diction-
naire universel de la vie pratique, de M. Be-
lèze, des détails que nous allons résumer.
— De la battue sous bois. La battue sous
bois est la plus ordinaire; on la pratique soit
pour détruire les animaux nuisibles, soit pour
atteindre quelque belle pièce de gros gibier.
Dès la veilk1, ou de grand matin, celui qui di-
rige la chasse doit aller reconnaître le terrain.
11 plante des numéros d'ordre sur toute la ligne
où se placeront les tireurs, en ayant soin de
les poster toujours au-dessous du vent, et en
tenant compte de la nature du gibier que l'on
chasse : les bêtes douces suivent de préfé-
rence, dans leur fuite, les coulées, les sen-
tiers tout tracés; les animaux nuisibles, au
contraire, loups, renards, et bêtes puantes en
général, se plaisent à traverser les endroits
les plus fourrés. Il faut aussi apporter beau-
coup de soin dans la disposition des rabat-
teurs ou traqueurs; ils doivent se rendre au
lieu qui leur est désigné, en observant le plus
grand silence, car le moindre bruit suffirait
pour faire partir le gibier. Ils doivent être
munis de deux bâtons : l'un qu'ils ne quittent
Eas, et dont ils se servent pour frapper sur les
uissons, l'autre qu'ils jettent au-devant des
animaux lorsqu'ils en voient venir sur eux.
Lorsqu'il faut détruire des bêtes dangereu-
ses , quelque louve furieuse, des bêtes de
compagnie, ou bien des ragots qui peuvent
charger les traqueurs, il est bon de faire mar-
cher devant eux quelques hommes armés de
fusils. On peut aussi conduire quelques chiens
en laisse pour les lancer à la poursuite des
animaux blessés; mais on ne doit jamais les
lâcher dans l'enceinte ; leurs aboiements accé-
lèrent la fuite du gibier, et le déterminent à
forcer la ligne des rabatteurs.
Quelquefois, les animaux délogés cherchent
a s'échapper, soit à droite, soit à gauche. Il
est bon de placer sur les ailes de la battue des
hommes qu en terme de chasse on appelle dé-
fenses.
Dès que tout le monde est à sa place, le
chef de la battue donne le signal par un coup
de feu ou par un coup de sifflet. Aussitôt, les
rabatteurs se mettent en route, en poussant de
grands cris et en frappant sur les buissons.
Ils doivent percer les halliers, et conserver
entre eux toujours la même distance, de peur
de laisser de trop grands espaces vides, par
lesquels le gibier s'échapperait.
— Des battues en plaine. Elles ont l'incon-
vénient de détruire tout le gibier d'un canton,
et, pour cette raison, elles sont d'un usage
assez rare. Elles ne diffèrent guère des battues
sous bois que par la nature du terrain.
Les chasseurs se placent au-dessous du
vent en se cachant dans des fossés, derrière
un tertre ou un buisson. Les traqueurs, pla-
cés sur une longue ligne et à une grande dis-
tance, poussent devant eux tout le gibier de
la plaine, et le ramènent au point où sont pla-
cés les tireurs.
— Battue au chaudron. On entoure une
grande plaine d'un cordon de tireurs, qui tous,
à un signal donné, partent en se dirigeant
vers un centre commun. Cette espèce de
chasse est très-usitée en Allemagne.
— Battue au cordeau. Elle se fait au moyen
de longues cordes, auxquelles sont attachées,
d'espace en espace, de petites cordelettes gar-
nies de grelots ou simplement de morceaux de
papier. Les hommes qui tiennent ces cordes
par les extrémités traversent le champ où
se trouve le gibier, qui, effrayé par le bruit
que font les grelots ou les morceaux de pa-
pier, se met à fuir lentement, et se trouve
bientôt réuni en grand nombre à la portée des
tireurs.
Nous empruntons a M. Lavallée les obser-
vations suivantes, qui sont applicables à toutes
les battues: n Quand une battue, dit-il; est
bien dirigée, le résultat est presque toujours
fructueux. Malheureusement, dans ces réu-
nions nombreuses, chacun veut presque tou-
jours faire à sa tête; chaque tireur, ne son-
geant qu'à lui-même et ambitionnant de se
signaler, quitte la place qu'on lui a donnée, et
en prend une meilleure ; il laisse ainsi un vide
sur la ligne, et c'est par là que le gibier se
sauve. Les rabatteur^, peu soucieux de tra-
verser les ronciers, s'écartent de la direction
qui leur est donnée, et les animaux qu'on vou-
lait atteindre peuvent tranquillement faire re-
traite Quelques chasseurs arrivent au ren-
dez-vous, les cheveux bien frisés, et répandent
autour d'eux une douce odeur d'ambre et de
benjoin. Les vêtements des autres exhalent le
parfum de la verveine ou de l'eau de rose, en
sorte que les animaux nuisibles les éventent à
deux lieues de distance. Ces beaux messieurs
se plaignent de n'avoir pas de chance en
battue; jamais rien ne vient de leur côté; à
qui la faute? Le directeur d'une battue qui
connaît son métier doit placer les tireurs par-
fumés aux deux extrémités de la ligne, ils
serviront de défense, et feront passer le gibier
au centre. »
Indépendamment des battues générales, fai-
tes dans l'intérêt de tous, chaque propriétaire
dont la récolte est menacée peut en faire de
particulières sur son propre domaine. Lorsque
la chasse est ouverte, et qu'il est muni d un
permis, il n'a pas besoin d autorisation. Si la
chasse est fermée, au contraire, il doit s'a-
dresser à l'autorité municipale, qui transmet
la demande au préfet. Ce fonctionnaire peut
accorder ou refuser l'autorisation. S'il l'ac-
corde, le propriétaire est libre d'exécuter la
battue, mais les frais qui en résultent sont à
sa charge; le< habitants ne peuvent pas être
mis en réquisition.

BATTUECÂS
(I.AS), vallée d'Espagne, dans
la province d'Estramadure, intendance et à
G0 kil. S.-O. de Salamanque, entourée de mon-
tagnes escarpées, et complètement inconnue,
dit-on, pendant plusieurs siècles. Le soleil,
dans les plus longs jours, ne s'y montre que
pendant quatre heures. C'est là que M»H- de
Genlis a placé la scène d'un roman publié en
1816. C'est une histoire des plus romanesques,
semée d'une foule de réflexions, de monolo-
gues et de conversations, qui laissent1 assez
peu de place aux événements. Ce roman est
peut-être, avec Mademoiselle de Clermont, un
des mieux écrits de l'auteur ; mais il faut dire
que c'est un de ceux où perce le plus sa manie
continuelle de pédanterie et d'affectation pé-
dagogique.

BATTURE
s. f. (ba-tu-re — rad. battre).
Techn. Dorure au miel, à la colle et au vi-
naigre. N Opération du relieur, consistant à
battre les feuilles d'un volume avec un mar-
teau d'une forme particulière, sur un bloc de
pierre ou de fonte, afin de les aplanir ou d'en
diminuer l'épaisseur : On ne soumet à la BAT-
TUKE ni les gravures, ni les cartes, ni les plans,
— Mar. Ecueil à peu près plat, formé de
roches ou de coraux, Fur lequel il est rare
que la mer brise, il Eau peu profonde, en gé-
néral.
BATTURE s. f. (ba-tu-re). Mot employé
dans le Boulonais pour désigner un phleg-
mon circonscrit : Je vie suis blessé la paume
de la main avec un clou rouillé; j'en ai une
BATTURE.
BATTUS, personnage mythologique. C'était
un berger qui gardait les troupeaux de Nélée,
aux environs de Pylos, dans le Péloponèse.
Ayant été témoin d un vol de bœufs commis
par Mercure au préjudice d'Apollon, il promit
de garder le secret, à la condition qu'il rece-
vrait une belle vache. Mercure se retira ; mais,
peu confiant clans la promesse du berger, il
revint bientôt, sous la forme d'un paysan, et
offrit à Battus un bœuf et une vache, s'il lui
indiquait où se trouvait le troupeau volé. Tenté
par l'appât du gain, le berger révéla tout ce
qu'il savait, et, pour le châtier de sa mauvaise
foi, le dieu voleur le changea en pierre de
touche, laquelle sert à éprouver la nature et
la pureté des métaux. Sabatier, qui a con-

iacré un long article à Battus, termine cet
article par les vers suivants :
Oh I que dans le siècle ou nous sommes,
Plein do vices et de vertus,
Il se trouve parmi les hommes
De Mercures et de Battus!
BATTUS ou BATTIADE, nom de quatre rois
de Cyrène, qui sont : BATTUS le*", originaire de
Théra, et fondateur de la colonie de Cyrène,
vers l'an 631 avant notre ère. Descendant, par
son père, d'un des Argonautes, il portait d'a-
bord le nom d'Aristote, qui fut changé en celui
de Battus, lequel, selon Hérodote, signifie roi
dans la langue des Lydiens, et, selon d'autres,
vient du grec battarizein (bégayer), parce
qu'il était atteint de ce vice de prononciation.
Il alla consulter l'oracle de Delphes sur la
cause de ce bégayement, et la Pythie lui or-
donna d'aller fonder une colonie en Libyej s'il
voulait se guérir. Battus négligea de suivre
ce conseil? qui était en même temps un ordre
divin ; mais il s'y"conforma lorsque, une peste
ayant ravagé les Théréens, l'oracle se pro-
nonça une seconde fois pour que ceux-ci fon-
dassent une colonie libyenne. Battus partit,
avec un certain nombre de ces derniers. Se-
lon la tradition, un lion s'étant montré à lui à
son arrivée dans le lieu où fut fondée Cyrène,
Battus poussa un cri d'épouvante, et son bé-
gayement cessa. Il paraît s'être habilement
tiré des difficultés que présente toujours une
colonie, à l'état de formation. Suivant Diodore
de Sicile, il fut un législateur d'un caractère
doux et modéré, et Pindare en fait un grand
éloge. Il régna environ quarante ans, et laissa
le trône à son fils, Arcésilas laT. —BATTUS II,
surnommé l'Heureux, petit-fils du précédent
et tils d'Arcésilas Ier, fut le troisième roi des
Cyrénéens, vers l'an 570 av. J.-C. Sous son
règne, la Pythie, par ses oracles, excita tous
les Grecs à s'embarquer pour aller habiter la
Libye. Ces derniers, s'étant rendus à Cyrène,
en grand nombre, s'emparèrent d'un canton
considérable. Les Libyens, leurs voisins, et
Adicran, leur roi, demandèrent le secours
d'Apriès, roi d'Egypte, auquel ils se soumi-
rent. Celui-ci envoya contre Cyrène une nom-
breuse armée, qui fut vaincue par Battus, dans
le voisinage d'Irasa. Il eut pour successeur
son fils Arcésilas IL — BATTUS III, le Boi-
teux, était fils d'Arcésilas II. Les Cyrénéens,
qui avaient beaucoup souffert de la tyrannie
sous le règne précédent, envoyèrent à Del-
phes demander à l'oracle quelle forme de
gouvernement ils devaient adopter. D'après le
conseil de la Pythie, les Cyrénéens s'étant
adressés aux Mantinéens, ceux-ci leur en-
voyèrent un des hommes les plus estimés de
leur ville, Démonax, qui se rendit à Cyrène,
et partagea le territoire en trois parties :
l'une comprenait les Théréens et leurs voi-
sins , l'autre les Péloponésiens et les Cre-
tois, et la troisième tous les insulaires. On
avait mis en réserve, pour Battus, certaines
portions de terre et les saerificatures. Toute
autorité réelle lui fut enlevée, et il ne conserva
de la royauté que le titre. Quant au peuple, il
rentra en possession de toutes les prérogati-
ves dont les rois avaient joui jusqu alors. Ces
règlements subsistèrent tant que Battus ré-
gna, mais ils furent abolis sous ses succes-
seurs. — BATTUS IV, surnommé le Beau, suc-
céda à Arcésilas III, au ve siècle avant notre
ère. On ne sait absolument rien du règne de ce
prince, et on ne trouve trace de son existence
que dans le passage suivant d'Hérodote : a Ar-
césilas avait assemblé à Samos une armée
nombreuse. Lorsqu'elle fut levée, il alla à
Delphes consulter l'oracle sur son retour. La
Pythie lui répondit : « Apollon accorda à ta
» famille la domination de Cyrène pour quatre
u Battus et quatre Arcésilas, c'est-à-dire pour
- huit générations ; mais il t'exhorte à ne rien
i tenter de plus. Quant à. toi, Arcésilas, il te
- conseille de rester tranquille, quand tu seras
- de retour dans ta patrie. *,

BATTUTA
(A)i Loc. adv. (a-ba-tou-ta —
mois ital.) Mus. Ad libitum, sans observer ia
mesure : Ce morceau se chante A BATTUTA.
3ATTYANI, nom d'une ancienne famille hon-
groise. V. BATHYANI.

BATUINIA
s. f. (ba-tu-î-ni-a). Art cuiin.
Soupe russe au poisson, contenant des herbes
hachées, et dans laquelle on met de la glace.

BATU-KHAN
ou BATHY-KHAN, souverain
du Kaptschak, mort en 1254. Petit-fils du cé-
lèbre Gengis-Khan, et fils de Touchy-Khan,
qui mourut six mois avant son père. Batu re-
çut, en 1223, de son grand-père, la souverai-
neté de Kaptschak, d Allan, de Rous, de Bul-
garie, suivit le grand khan Oktaïen Chine, et,
de retour de cette expédition, fut chargé par
celui-ci de subjuguer toutes les contrées voi-
sines de la mer Caspienne. A la tête de ses
Mongols, Batu-Khan envahit la Russie, sac-
cagea ou livra aux flammes les villes ou villa-
ges qu'il trouva sur son passage, Rézan,
Moscou, Souzdal, etc. ; puis, pénétrant en
Pologne, il brûla Cracovie, écrasa, à Wahl-
stadt, en 1241, l'armée du duc Henri de Bres-
lau, et continua sa marche dévastatrice à tra-
vers la Moldavie et la Hongrie, dont le roi,
Bêla IV, se vit contraint de se retirer en Dal-
matie, ravagée bientôt après par Batu-Khan.
Pendant dix années, le terrible Mongol pour-
suivit son système d'invasion, défit, en 1252,
le grand-duc André Jaroslowitz , força les
princes russes à le reconnaître en qualité de
khan, et fit faire le recensement de la popula-
BAU
tion et relever le montant de l'impôt dans la
Russie, qui, jusqu'au xve siècle, ne fut plus
qu'une province du vaste empire mongol. Se
retournant alors vers l'Asie, il apporta t'aide
de se§ hordes à Mangou-Khan, déjà maître do
la Perse, et qui voulait conquérir la Chine.
Bien qu'il fûtaussi puissantque ce prince, Batu
le reconnut comme khan suprême, en sa qua-
lité de chef de la famille de Gengis-Khan, et il
mourut en laissant pour successeur son pa-
rent, Berki.

BATYN
s. m. (ba-tain). Astron. Constella-
tion formée de trois petites étoiles, voisines
du Bélier.

BATYNITE
s. m. (ba-ti-ni-te). Hist. relig,
Membre d'une secte musulmane, qui parut
en 1163.
-
BATZ
s. m. (batss — de l'ail, batzen, môme
sens). Métrol. Monnaie d'Allemagne et de
Suisse, valant, selon les pays, de 13 à n cen-
times : Moyennant 15 BATZ, nous passions en
revue trois services complets. (Brill.-Sav.) |j
Monnaie suisse de 10 centimes; frappée depuis
l'introduction du système décimal dans ce
pays.

BATZ
comm. du dép. de la Loire-Inférieure,
arrond. de Savenay; pop. aggl. 1,178 hab. —
pop. tôt. 3,003 hab. Petit port pour la pêche ;
exploitation de vastes marais salants, qui sont
la source d'un revend considérable ; église re-
marquable; ruines de Notre-Dame-du-Mou-
riès-, entre le bourg et la mer, peulven de
3 m. hors de terre.
BATZ (ÎLE DE), petite île de France (Finis-
tère), dans la Manche, vis-à-vis de Roscoff,
arrond. et à 28 k. N.-O. de Morlaix-, 1,210 h.
Cette île forme une commune du canton de
Saint-Pol-de-Léon; ses habitants se livrent
surtout à la pêche et au cabotage.
BATZ (MANAIÎD IIÏ, baron DE), se trouvait,
avec Henri de Béarn, au siège d'Eause, en
1577, lorsque le roi, séparé du gros de son
armée par une trahison, se vit tout à coup
entouré d'ennemis dont les chefs criaient :
Tirez à la braye verte! désignant ainsi le cos-
tume porté par le futur Henri IV. De Batz fit,
avec trois intrépides compagnons, un rempart
de son corps au roi blessé, et, à eux quatre,
ils le défendirent jusqu'au moment où ses
troupes purent pénétrer dans la ville, et le dé-
livrer. Henri IV ne fut pas ingrat'envers celui
3ui lui avait sauvé la vie, et il parlait souvent
u danger qu'ils avaient couru ensemble.
BATZ (Jean, baron DE), arrière-petit-fils du
précédent, conspirateur royaliste, né près de
Tartas en 1760, mort en 1822. Député de la
noblesse aux états généraux de 1789, il siégea
au côté droit, et montra quelque connaissance
des matières de finances. Lors du procès du
roi, il organisa une conjuration pour enlever
ce prince pendant le trajet du Temple à l'é-
chafaud ; mais la plupart des conjurés ayant
manqué au rendez-vous, tout se borna à une
démonstration insignifiante à la hauteur du
boulevard Bonne-Nouvelle. L'infatigable Batz
consacra alors tous ses efforts à la délivrance
de la reine, du dauphin et des princesses, noua
des intelligences de tous côtés, et, avec la
complicité de l'officier municipal Michonis,
pénétra même au Temple, à la tête d'une fausse
patrouille. Il était sur le point d'exécuter ses
plans, lorsqu'il en fut empêché par la sur-
veillance de Simon. Toutes ces mésaventures,
les poursuites dont il était l'objet, n'arrêtè-
rent pas un moment ses entreprises. Il se
lança dans mille intrigues nouvelles, entra en
relation avec quelques conventionnels qui ne
passaient point pour incorruptibles, Delaunay
d'Angers, Julien, Chabot, etc., et futlui-même
activement mêlé à de honteux tripotages sur
les fonds publics. Toutes ces affaires sont de-
meurées assez obscures, d'autant plus qu'elles
ont été exagérées et mêlées de choses absur-
des et fausses, pour envelopper une foule de
victimes dans la conspiration dite de Batz ou
de l'étranger. Ce qui n'est pas douteux, c'est
l'incroyable audace et l'activité de cet intri-
gant royaliste, qui échappa à toutes les re-
cherches quand tous ses complices étaient
successivement arrêtés, et qui, suivant un
rapport de la police que nous avons eu sous
les yeux, se vanta même un moment de tenir
le comité de sûreté générale par la barbe
(allusion à ses liaisons avec l'ex-capucin Cha-
bot, qui était alors membre de ce comité). Il
continua à s'agiter jusque sous l'Empire, et fut
nommé, à la Restauration, maréchal de camp.

BATZEN
s. m. (mot allemand). Métrol.
Monnaie d'Allemagne, qui avait cours sur les
bords du Rhin et en Souabe; sa valeur était
un peu supérieure à quinze centimes de notre
monnaie; il en fallait vingt-deux et demi
pour faire un florin et demi de l'empire, te
qui revenait à trois livres quinze sous de
France environ.
BAU s. m. (ho). En Provence, Sorte de
grand filet pour la pêche : Tirer le BAU. il Pê-
che que l'on fait avec ce filet : Faire le BAU.
Il On écrit aussi, mais à tort, BŒUF.
BAU S. m. (bo — du holland. balk, poutre;
en tud. balco, en island. bielka, en ail. balke,
en dan. et en suéd. bielke). Mar. Chacune des
poutres transversales qui soutiennent un pont
de navire ; Les BAUX sont de fortes solives dont
la fonction est double : ils maintiennent contre
toute tendance à l'écartement ou au rapproche-
ment les deux flancs du navire, et ils portent
les bovdages qui forment les ponts, (A, Jal.)
BAU
— Maître bau, Bau central, tl Bau dx dalle,
Le premier vers l'arrière, n Bau de toltis, Le
plus voisin du mât de beaupré. \\ Bau de lof,
Le premier à l'avant, n Faux baux, Baux du
faux pont.
— Homonymes, Baud, beau, baux (pi. de
bail), bot.
— Encycl. Les baux ne servent pas seule-
ment à soutenir les ponts des navires, mais
encore à lier les deux murailles, c'e^t-à-dire
les deux flancs, et a, les maintenir dans l'écar-
tement voulu : ce sont des pièces de première
nécessité pour donner de la solidité aux na-
vires. Le grand bau, ou maître bau, est plus
long et plus fort que tous les autres ; mais il
n'est pas toujours placé exactement au milieu,
et il se trouve ordinairement un peu en avant
du milieu de la longueur. Les baux sont un
peu renflés vers le milieu de leur partie supé-
rieure ; ce renflement porte le nom de bauge
et sert à favoriser l'écoulement des eaux,
comme à modérer le recul des bouches à feu ;
leurs extrémités reposent sur une saillie nom-
mée bauquière, et formant, dans le navire, une
ceinture intérieure.
Les baux de nos anciens navires étaient
toujours en bois ; depuis quelques années, on
les a quelquefois remplacés par des 6aitcc de
fer, et ceux-ci, naturellement, sont seuls em-
ployés quand les navires eux-mêmes sont en
-fer. On appelle baux de-force, dans les ba-
teaux à vapeur, deux baux placés l'un à l'a-
vant, l'autre à l'arrière des roues, et destinés
à soutenir le demi-cylindre ou tambour qui
. enveloppe chaque roue. Ils sont fortifiés par
des élongis obliques ou courbes, et pourtant
ils s'affaissent souvent sous le poids des roues
et sous les ébranlements produits par leur
mouvement continuel.

BAUBELTHOUAP
île de VOcéanie, la plus
importante du groupe Peîew, qui fait partie
des Carolines (Micronésie). Lat. N. 7° 40',
long. E. 132° 30'; environ 45 kil. "de long, sur
20 kil. de large. Découverte, en 1797, par
James "Wilson.

BAUBIS
OU BATJBI S. m. (bô-bi — onoma-
topée, à cause de l'aboiement). Variété de
chiens anglais, à corps épais, qu'on dresse
pour la chasse au lièvre, au renard et au
sanglier.
BACBOLA. V. BILBILIS.

BAUCHART
(Alexandre-Quentin), homme
politique, né à Villers-le-Sec en 1809, avocat à
Saint-Quentin, et membre du conseil général,
au moment où fut proclamée la république de
1848. Nommé, avec l'appui du National, re-
présentant à la Constituante, il vota toutes
les mesures de réaction et d'hostilité contre la
république. Rapporteur de la commission d'en-
qnête sur les événements de mai et de juin
1848, il a laissé son nom à. ce fameux rapport,
qui n'était que l'acte d'accusation des fonda-
teurs de la république et de la révolution
elle-même, mais qui est d'ailleurs conçu avec
habileté, et où les matériaux sont groupés
avec art. Réélu à la Législative, M. Bauchart
adhéra k la politique présidentielle, et, après
le coup d'Etat du 2 décembre, il entra au con-
seil d'Etat.

BAUCHE
S. f. (bô-che). V. BAUGE (mortier).

BAUCHER
écuyer français, né en 1805.
Il s'est fait connaître à divers titres, d'abord
comme écuyer du Cii'que, puis comme pro-
fesseur d'équitation, et, plus tard, comme
inventeur d une méthode qu'il a développée
dans divers ouvrages, et plus particulièrement
dans celui qui a pour titre : Méthode d'équita-
tion basée sur' de nouveaux principes (1842,
in-8°; 11e édit., 1859). Cet ouvrage fait partie
de ceux qui ont été réunis sous le titre d'Œu-
vres complètes (grand in-S°, 1854 et I8ï>9) et
C|ui sont : Dictionnaire d'équitation ( 1833,
in-8°; 3e édit., 1859); Dialogues sur Véquita-
tion (1834, in-8o), avec M. Peltier; Passe-
temps équestre (1840, in-8°) ; Réponse à des
observations de M. d'Aure (1812).

BAUCHÉRISME
s. m. (bo-ché-ri-sme — de
Boucher, célèbre écuyer). Manég. Méthode
particulière pour dresser les chevaux, il Peu
usité.

BAUCHERY
(Francis-Roland), romancier et
auteur dramatique, né à Paris en 1798. Il a
donné des romans qui ont eu un succès de ca-
binet de lecture : Mémoires d'un homme du
peuple (1838); Didier ou le Borgne et le Bossu
(1836), etc., et des drames, entre autres, Beau-
marchais, représenté en 1846.

BAUCIS
femme pauvre et âgée, épouse de
Philémon. Ils habitaient un bourg de Phrygîe,
lorsque Jupiter et Mercure, en visitaut cette
contrée, furent repoussés de tous les habi-
tants et accueillis avec hospitalité par Philé-
mon et Baucis, quoiqu'ils n'eussent pas fait
connaître leur divinité. Jupiter, ayant inondé
tout ce pays, changea la cabane des deux
époux en un temple. Ceux-ci demandèrent à
en être les ministres, et à ne point mourir l'un
sans l'autre. Parvenus à la plus grande vieil-
lesse, Philémon fut changé en chêne, et Bau-
cis en tilleul. Tout le monde connaît la jolie
fable mythologique de La Fontaine,, sur le
sujet de Philémon et Baucis. Le nom de ces
deux époux, et surtout celui de Baucis, a passé
dans la langue : Une bonne vieille BAUCIS.
Mais on s'en sert principalement par compa-
raison directe : Vieux, unist heureux comme
PHILÉMON ET BAUCIS.
BAU 383

BAUCIUM
nom latin de Baux.

BAUD
s. m. (bo — du v. fr. baud, hardij.
Chien courant de Barbarie, aussi appelé
chien muet, parce qu'il cesse d'aboyer quand
le cerf vient au change, il On lui donne encorô
le nom de CHIEN-CERF.
— adj. Joyeux, gaillard, hardi.
— Homonymes. Bau, baux (pi. de bail),
beau, bot.
BAUD, bourg de France (Morbihan), ch.-I.
de cant., arrond. et à 25 kil. S. de Napoléon-
ville, au bord du Blavet; pop. aggl. 1,357 hab.
— pop. tôt! 5,470 hab. Minoteries; commerce
de céréales et fourrages. Près" du bourg;, on
remarque la chapelle de Notre-Dame de la
Clarette, construction très-ancienne, érigée
au bord d'une fontaine, et au sanctuaire de la-
quelle on parvient par une longue galerie cou-
verte, que soutiennent des arceaux gothiques*
Sur un monticule, près de Baud, et sur rem-
placement de l'antique château de Quinipily,
on voit une grossière statue en pierre, repré-
sentant une temme, de 2 m. 20 de hauteur; la
coiffure, de style égyptien, porte l'inscription
LIT, où l'on veut voir le nom d'une divinité
arabe, mentionnée dans le Coran comme pré-
sidant aux mystères de la nuit. Quelques au-
teurs la nomment Vénus armoricaine, ou Vénus
de Quinipily ; malgré les efforts du clergé, elle
est, de la part des femmes du pays, l'objet
d'un culte peu chrétien.
BAUD, industriel français, trouva, en i"96j
une nouvelle manière de fabriquer des cordes
de soie torses, qu'il prétendait devoir rem-
placer avec avantage les cordes en boyau,
dont on se sert pour les instruments de musique.
Dans un rapport de Gossec à l'Institut, ce sa-
vant s'exprime ainsi : « Ces cordes peuvent
se substituer avec avantage aux cordes de
boyau pour la harpe et la guitare; mais elles
sont moins sonores pour les instruments à ar-
chet. » Baud soumit également à l'Institut, en
1810, un violon construit sur un nouveau mo-
dèle et qui, prétendait-il, avait sur les autres
violons l'avantage de ne pas créer d'obstacle
aux vibrations longitudinales. Cette seconde
invention de Baud n'eut pas plus de succès
que la première. Il a publié une brochure in-
titulée Observations. sur les cordes à instru-
ments de musique, etc. (Versailles, 1803).

BAUDART
(Guillaume), l'un des auteurs de
la version hollandaise de l'Ancien Testament,
né en 1564, mort en \640. U a laissé, en outre,
une Description des combats, sièges et événe-
ments survenus dans les Pays-Bas (de 1589 à
1614), ainsi que divers autres écrits.

BAUDAU
s. m. (bo-do). Pèch. Corde en
sparte pour les bourdigues."

BAUDE
s. f. (bô-de). Pêch. Nom que l'on
donne, dans certains pays, aux câblières ou
grosses pierres auxquelles on fixe les cordes
et les filets au fond de l'eau.
BAUDE (Henri), poëte français, né à Mou-
lins vers 1430, mort vers 1495. Il s'attira la
faveur de Charles VU , qui lui donna une
charge d'élu en bas Limousin. Grâce à cette
fonction assez lucrative, qui avait pour objet
de répartir l'impôt, et qui était délégabfe,
Baude put vivre presque constamment à Paris,
où il s'abandonna à ses goûts littéraires. Con-
temporain de Villon, Baude a écrit plusieurs
moralités satiriques et des poésies, dans, un
style vif, prime-sautier, assaisonné de sel gau-
lois, jâans une manière pittoresque, malicieu-
sement naïve et souvent sarcastique. Clément
Marot, qui connut les œuvres de Baude,
comme il connaissait celles de Villon, se permit
de copier textuellement, à plus d'une reprise,
le poëte de Moulins; mais il se garda bien de
le nommer, ce qui ne contribua pas peu à
l'oubli qui enveloppa bientôt la mémoire de
Baude. Une moralité, qu'il fit jouer sur la ta-
ble de marbre du Palais-de-Justice, au début
du règne de Charles VIII, lui valut d'être jeté
en prison. Il y représentait le jeune roi sous la
figure d'une Fontaine d'eau vtve, image de la
pureté de ses intentions, gâtée et obstruée par
une multitude a d'herbes , racines*, roches,
pierres, boue et gravois, » désignant par là
tous ceux qui vivent aux dépens de la nation,
les courtisans, les parasites de cour, les pro-
cureurs, etc. Ceux qu'il avait mis en scène
furent très-irrités, ainsi que nous l'apprend
Baude dans une pièce de vers, où il dit aussi
ce qu'il lui en coûta :
Les uns se veulent appliquer
A herbes, autres à gravois;
Et disent que, pour les moquer,
On a ce fait Riens n'y congnois.
Sauf leur honneur. Mais, toutefois,
Baude n'a tant sceu buîssonner,
N'alléguer coutumes ne droiz
Qu'on ne l'ait fait emprisonner.
Baude, après brisement de portes,
En efFet, a mynuict fut pris
Et au petit Chastellet mis.
Fort heureusement pour le poëte, ir fut
élargi par ordre du parlement, après une cap-
tivité de trois mois. Les œuvres de Baude, qui
sont parvenues jusqu'à nous, grâce à Jacques
Robertet, consistent en épigrammes, ron-
deaux, ballades, pièces de vers, entre autres,
Dict moral sur Je maintien de la jxtstice,
adressé à Charles VII, et une moralité intitu-
lée Pragmatique entre gens de cour et la salle
du Palais. M. VaUet de VirWille lui attribue
un morceau de poésie intitulé Regrets et com-
plaintes de la mort de Charles VU, et un opus*
384
cule en prose, inséré par Godefrov en tête de
ses Historiens de Charles VII.
BAUDE (Jean-Jacques, baron), homme po-
litique et publiciste, né à Valence (Drôme)
en 1792, mort en 1862. II occupa diverses sous-
Préfectures à la fin de l'Empire, publia des
rochures politiques sous la Restauration,
collabora au Temps, signa, en 1S30, la protes-
tation des journalistes contre les ordonnances
de Juillet, et devint, après la révolution, se-
crétaire de la commission de l'Hôtel de ville,
préfet de la Manche, sous-secrétaire d'Etat,
enfin, préfet de police. C'est sous son adminis-
tration qu'eut lieu la cérémonie carliste de
Saint-Germain-l'Auxerrois (1831) et la dévas-
tation de l'archevêché par le peuple. Pendant
tout le règne de Louis-Philippe, il Ht partie de
la Chambre des députés et du conseil d'Etat.
Ses écrits l'ont fait admettre à l'Académie des
sciences morales et politiques, d'abord comme
membre libre, en 1856, puis comme titulaire,
trois ans après. Parmi les écrits de Baude,
nous citerons : ses Mémoires Sur la naviga-
tion de la Loire au-dessus de Briare (1826);
Sur les côtes de France de l'Océan et de la
Méditerranée ; Sur l'empoissonnement des eaux
douces ; Sur l'isthme de Suez et son percement ;
Sur la puissance de l'Autriche, etc., et d'eux
ouvrages : l'Algérie (1841 2 vol. h>8°), les
Côtes de la Manche (Cherbourg, 1859, in-8").

BAUDEAU
(Nicolas), économiste de l'école
physiocratique, né à Amboise en -1730, mort
en 1792. Destiné par sa famille à, l'état ecclé-
siastique, il se livra d'abord aux études qu'exige
cette carrière, et commença même à la par-
courir : de là le titre d'abbé qu'il conserva
toujours, ainsi que Morellet,Mably et d'autres
écrivains du xvme siècle, qui ne participaient
que par cette qualification au caractère de la
prêtrise. Devenu chanoine régulier de Chan-
celade et professeur de théologie dans cette
abbaye, .il s'y occupait d'une analyse de l'ou-
vrage de Benoît XIV sur les Béatifications,
quand il fut appelé à Paris par l'archevêque
de Beaumont. Ce voyage, auquel on ne saurait
assigner d'époque bien précise, décida Baudeau
à renoncer à la position qu'il occupait. Il fonda
à Paris, vers la tin de 1765, sous le titre
à* Ephémérides du citoyen ou Chronique de
l'esprit national, un recueil périodique, dans
lequel il combattit d'abord les principes de
l'école de Quesnay, dont il devait être ensuite
un des plus habiles et des plus enthousiastes
vulgarisateurs. La circonstance qui détermina
sa conversion nous est rapportée par M. Dairo
(Collection des principaux économistes) ; elle
fait le plus grand honneur au caractère de
l'abbé Baudeau ; elle offre un trait de bonne
foi dont les exemples ne sont pas et n'ont
jamais été très-communs dans les polémiques.
Le Journal de l'agriculture, du commerce et
des finances, dont la publication datait aussi
de 1765, et qui avait pour rédacteur en chef
Dupont de Nemours, servait de champ de ba-
taille aux adversaires et aux partisans du
système mercantile. Le Trosne, avocat du roi
au bailliage d'Orléans, qui s'était rallié de
très-bonne heure à la doctrine des écono-
mistes, s'y étant élevé contre quelques opi-
nions contraires, soutenues par l'abbé Baudeau
dans ses Ephémérides, celui-ci, pour les dé-
fendre, prépara une série de lettres, dont il fit
admettre la première dans le Journal de l'agri-
culture. Mais le rédacteur, en consentant à
cette insertion, s'était réservé le droit, àont il
usa, de joindre des observations au travail de
Baudeau, Or, il paraît que ces observations,
Quoique très-courtes, produisirent sur l'esprit
e ce dernier, qui cherchait la vérité de bonne
foi, une impression telle, qu'avouant s'être
engagé dans les voies de l'erreur, il déclara
aussitôt vouloir se rattacher à la doctrine de
Quesnay. En effet, dès 1767, lorsque le crédit
des partisans du système mercantile fut par-
venu à éloigner Dupont de Nemours de la
rédaction du Journal de l'agriculture, et à
fermer cette feuille aux doctrines physioera-
tiques, Baudeau, lié dès lors avec le marquis
de Mirabeau, leur offrit un refuge dans ses
Ephémérides du citoyen, qui changèrent leur
second titre en celui de Bibliothèque raisonnëe
des sciences morales et politiques
Au mois de mars 1708, l'abbé Baudeau
abandonna la direction des Ephémérides à
Dupont de Nemours, mais sans cesser d'y
écrire. Il fit paraître, en 1771, un ouvrage de
doctrine intitulé : Première introduction à la
philosophie économique, ou Analyse des Etats
policés. C'est le plus remarquable et le plus
important de ses écrits. Il contient une expo-
sition très-claire et très-méthodique de la
doctrine physiocratique. L'auteur distingue
d'abord deux grands agents économiques, la
nature et Vart. Il y a dans les Etats policés
trois espèces d'arts : l'art fécond ou productif,
l'art stérile ou non productif et l'art social.
L'art fécond ou productif travaille directement
et immédiatement à opérer la plus grande
fécondité de la nature, à tirer du sein de la
terre une plus abondante récolte de produc-
tions. Il s'exerce sur les trois règnes et peut,
par conséquent, être subdivisé en trois arts,
suivant ces trois règnes. La chasse et la pêche
plus ou moins raisonnées et préparées., l'édu-
cation et la multiplication des animaux plus
ou moins domestiques, est le premier. L'agri-
culture proprement dite forme le second. L'art
de tirer les minéraux du sein d'e ii«. terre con-
stitue le troisième. Toutes les richesses, c'est-
à-dire tous les biens susceptibles de s'échanger
contre d'autres biens ont leur origine dans
l'art productif. Saisies en quelque sorte dans
leur source, les richesses'se divisent en ri-
chesses de consommation subite ou subsis-
tances, et richesses de consommation lente ou
matières premières. L'art stérile s'empare des
subsistances et des matières premières, après
que la fécondité de la nature, sollicitée par
1 art productif, les a données, et il se propose
uniquement de les façonner, afin que la jouis-
sance en devienne plus utile et plus agréable.
Pour que l'art productif et l'art stérile, ou
industrie façonnante, fleurissent dans un Etat,
il faut que les hommes sachent, qu'ils veuillent,
qu'ils puissent se livrer aux travaux de ces
deux arts ; de la un troisième art, l'art social,
qui répond à ce triple besoin par l'instruction,
la protection et l'administration. L'instruction,
la protection et l'administration constituent
l'exercice de l'autorité. L'instruction (dont le
culte fait partie) est le moyen de former le
cœur, l'esprit et les organes des hommes,
suivant les talents et là condition de chacun,
en un mot de développer leurs facultés le plus
avantageusement possible. La protection em-
brasse les fonctions judiciaire, militaire, poli-
cière ; elle prévient et réprime les attentats
de la violence ou de la fraude privée par une
justice exacte ; elle contient ou repousse les
usurpateurs du dehors par la force militaire
de l'Etat et par l'efficacité de ses relations
politiques avec de bons et fidèles alliés. L'ad-
ministration forme les grandes propriétés pu-
bliques qui font valoir celles des particuliers :
chemins, canaux, rivières navigables, ponts,
ports, édifices publics, etc. A chacun des trois
arts se rapporte un certain nombre de caté-
gories ou classes sociales : à l'art productif,
les propriétaires fonciers, les directeurs des
exploitations agricoles et minérales, les ou-
vriers agricoles; à l'art stérile, les industriels,
les voituriers, les commerçants; à l'art social,
les magistrats, les militaires, etc. La prospé-
rité de Vart social et de l'art productif entraîne
nécessairement celle de l'art stérile; la pros-
périté de l'art stérile n'entraîne pas nécessai-
rement celle des deux autres. De là, la négation
de ces maximes : il faut favoriser le commerce ;
il faut développer le luxe; de là, la condam-
nation du système mercantile et du préjugé
qui fait considérer comme la richesse même
la monnaie, qui n'est qu'un moyen de distribuer
les substances et les matières premières^ soit
avant, soit après la façon qu'elles reçoivent
de l'art stérile. De là aussi, la substitution à
toutes les taxes indirectes d'un impôt unique
d'un tiers sur le revenu net des propriétés
foncières, substitution fondée sur le concours
nécessaire que l'art social apporte à l'art pro-
ductif par les trois fonctions d'instruction, de
protection et d'administration, et qui offre le
précieux avantage de lier d'une manière di-
recte et constante l'intérêt des dépositaires de
l'autorité au développement de l'art, qui est la
véritable source de la richesse publique. En
politique, Baudeau se soucie peu de la forme
et de l'origine du gouvernement ; il fait peu de
cas des divers systèmes de séparation et de
balance des pouvoirs. Son objectif n'est pas
dans les républiques de l'antiquité, mais dans
la Chine, telle qu'on se la représentait au
xvme siècle. Son idéal est une monarchie éco-
nomique, c'est-à-dire limitée uniquement par
la diffusion et la généralisation de l'instruction
économique.
L'abbé Baudeau mourut vers 1792. Les bio-
graphes s'accordent à dire que ses facultés
intellectuelles s'étaient altérées dans les der-
nières années de sa vie, jusqu'à le réduire à un
état de démence. Outre l'ouvrage que nous
venons d'analyser, et d'intéressants articles
insérés dans les Ephémérides, il a laissé :
Idées d'un citoyen sur l'administration des
finances du roi (1763); Idées d'un citoyen sur
les besoûis, les droits et les devoirs des vrais
pauvres (1765); Lettres sur les émeutes popu-
laires que cause la cherté des grains et sur les
précautions du moment (1768); Lettres d'un
citoyen sur les vingtièmes et autres impôts
(1768) ; Principes économiques de Louis XII et
du cardinal a"Amboise, de Henri IV et du duc
de Sully sur l'administration des finances, op-
posés aux systèmes des docteurs modernes
(1775); Charles V, LouisXIIet Henri IVaux
Français (1787). ^

BAUDELAIRE
s. m. (bô-de-lè-re). Blas.
V. BAPIiLAIRE.
BAUDELAIRE (Pierre-Charles), poète fran-
çais, né à Paris en 1821, mort eu 1867. Com-
bien ont écrit des volumes sans parvenir à
une renommée égale même à leur talent: un
seul livre a suffi a M. Baudelaire pour lui faire
acquérir une notoriété qui, bien qu'elle puisse
être discutée, n'en est pas moins réelle. Quel-
ques articles de critique artistique avaient à
peine révélé son nom a un petit nombre d'amis
ou d'hommes spéciaux, quand parut, en 1857,
son fameux et unique volume de poésies : les
Fleurs du mal. (V. FLEURS.) Cet immense pa-
radoxe lyrique, ces rêves d'halluciné, ce bon-
quet de fleurs nauséabondes, mais d'où s'é-
chappe parfois quelque suave parfum; cet
entassement de couleurs criardes et d'images
horribles, mais qu'un rayon de pure lumière
vient par moments éclairer; ces grimaces
sataniques entremêlées de sourires; tout cela
était bien fait pour étonner, et pendant un
instant, bien court à la vérité, on se demanda
si le xix= siècle allait être appelé à voir re-
naître la poésie dantesque. Mais on s'aperçut
bientôt que l'horrible, le hideux et l'ignoble
étaient un parti pris chez ce poëte, qui, dé- i
sespérant sans doute d'émouvoir ses lecteurs,
s'était imaginé de les épouvanter par ses
excentricités et ses contorsions. Nul, à notre
avis, n'a déterminé la mesure et le caractère
du talent de M. Baudelaire mieux que M. de
Pontmartin. u Voilà, dit-il, en parlant de l'au-
teur des Fleurs du mal, voilà une nature fine,
nerveuse, prédestinée à la poésie; viennent
des souffles vivifiants, une lumière bienfai-
sante, une forte culture : la moisson pourra
germer et mûrir. Par malheur, ce cerveau
Souffre d'une disposition particulière qui altère
et envenime, à mesure qu'ils s'y réfléchissent,
les sentiments et les images; cette coupe, af-
tistement ciselée, a cela de bizarre que la
liqueur fermente et s'aigrit en touchant au
fond. Pour tout dire, la poésie tourne dans
cette imagination poétique, comme ces vins
excelleifts, mais qui ne peuvent supporter cer-
taines conditions de localité ou d'atmosphère...
M. Baudelaire ne peut aspirer une gorgée de
poésie sans que cette gorgée s'imprègne de
venin ou d'amertume. Pour lui, les mond^
extérieurs ou invisibles sont hantés par le
mal comme par leur hôte naturel, infestés de
visions farouches, de laideurs gigantesques,
de corruptions étranges, de perversités inouïes,
de toutes les variétés de la souffrance, de la
scélératesse et du vice; les fleurs y sont vé-
néneuses et y exhalent un parfum pestilentiel ;
les sources y sont emprisonnées, et l'on ne
peut se pencher sur leur frais miroir sans y
voir la pâle figure d'un spectre ou d'un .con-
damné à mort; la nature est un tissu d'ironies
sanglantes ou funèbres, jetées à la face de
l'homme ; l'amour devient quelque chose d'in-
nommé, qui ne se plaît que dans le fumier et
dans le sang, un héritier des honteuses dé-
bauches de Lesbos ou de Caprée, cherchant
un assouvissement impossible dans ces vo-
luptés qui déshonorent le monde païen, et que
la civilisation moderne no devrait plus même
comprendre. Voilà jusqu'où peut arriver le
sens individuel quand il règne seul, quand ces
spécialistes de la poésie, livrés à tout le dé-
sordre de leur caprice, espèrent ramener la
foule, indifférente par ces friandises de haut
goût, et croient accentuer plus puissamment
leur physionomie de pogte en prenant le
contre-pied de tout ce qui est vrai, bon, bien-
faisant et beau, ou, en d'autres termes, de
tout ce qui est poétique. » Nous ne croyons
pas qu'on puisse rendre plus de justice au
talent de M. Baudelaire, en même temps que
le critiquer d'une façon plus ferme. Nous
n'entrerons,donc pas dans d'autres détails au
sujet des Fleurs du mal, que nous analyserons
à leur place. Contentons-nous de dire ici que,
si un tel volume a pu, par son étrangeté
même, valoir à son auteur une réputation si
grande, un second de même nature pourrait
bien la lui faire perdre : non bis in idem. Nous
avons omis de dire que les Fleurs du mal ont
été l'objet de poursuites judiciaires, et qu'un
jugement a condamné l'auteur à supprimer,
dans les nouvelles éditions, six pièces jugées
attentatoires à la morale publique. Une nou-
velle édition a paru en 1861, avec des poômes
inédits.
II serait injuste de ne pas rappeler que c'est
à M. Baudelaireque nous devons la meilleure
traduction des Œuvres de l'Américain Edgar
Poe, et qu'il en a fait précéder la publication
d'une étnde extrêmement remarquable sur
l'auteurD des Histoires extraordinaires ; des
Nouvelles histoires extraordinaires ; des Aven-
tures d'Arthur Gordon Pym, etc.
Que conclure de tout cela, sinon qu'il y a
un talent, peut-être un génie caché dans
M. Baudelaire? Mais ce génie a été visité de
bonne heure par le souffle du mal, et le fruit
a coulé dans sa fleur ; ajoutons que cette fleur
a aujourd'hui quarante-cinq ans sonnés, et
qu'il est bien rare de voir se redresser une
branche de neuf lustres. Toutefois, ne déses-
pérons pas encore, et attendons. Les épis cou-
chés par l'orage se relèvent quand ils sont
caressés du soleil ; pourquoi un de ces rayons
vivifiants ne percerait-il pas jusqu'à l'âme du
poëte? Les anciens parlent de certaine lance
qui guérissait les blessures qu'elle avait faites :
donc, espérons les Fleurs du bien.
Au moment où nous traçons ces lignes
(1er mai 1866), nous lisons dans les feuilles
publiques que M. Baudelaire est à l'agonie;
quelques-unes même, qui abusent d'un don de
prophétie qu'elles n'ont pas, assurent qu'elles
l'ont vu exhalant son dernier soupir; mais,
heureusement, des nouvelles plus rassurantes
nous arrivent. Espérons donc de nouveau que
le poète complétera, corrigera son œuvre : le
ciel n'a pas voulu qu'il meure, et le repentir
poétique est désormais pour lui une dette
d'honneur.

BAUDELOCQUE
(Jean-Louis), célèbre chi-
rurgien et professeur d'obstétrique àl 'Ecole
de médecine de Paris, né à Heilly (Picar-
die) en 1746, mort en 1810. Après avoir reçu
de son père, chirurgien à Amiens, les pre-
miers principes de l'art médical, Baude-
locque vint étudier à Paris l'anatomie et la
chirurgie. Bientôt les leçons éloquentes de
Solayrès le tournèrent vers la pratique spé-
ciale des accouchements, et quittant, malgré
ses succès, le collège royal de chirurgie, il fut
choisi comme suppléant de Solayrès, lorsque
ce professeur, en proie à l'affreuse maladie
dont il devait mourir, fut forcé d'interrompre
ses cours. Les qualités de Baudelocque l'avaient
fait promptement distinguer parmi ses col-
i lègues; son esprit facile et pratique avait
attiré l'attention de Solayrès, et ce fut là le
premier degré de sa réputation. Il avait à peine
trente ans, que déjà il possédait une riche et
nombreuse clientèle. L'Académie de chirurgie
le reçut parmi ses membres, ainsi que plusieurs
autres sociétés savantes. En même temps, on
traduisait ses ouvrages, et l'Europe les accep-
tait dans ses écoles. Sa réputation était telle,
qu'occupé continuellement par des accouche-
ments en ville, des consultations venues de la
"province et de l'étranger, il se vit bientôt
obligé d'abandonner ses cours. Ce n'est que
lors de la fondation de la faculté de médecine,
sous le nom d'Ecole de santé, qu'il fut appelé
à la place d'accoucheur de la Maternité, et
qu'il dut reprendre son glorieux enseignement.
Malheureusement, cette vie si utile à la science
et à l'humanité ne devait pas être longue.
L'envie s'attachait au célèbre praticien. Un
jeune rival, jaloux de ses succès, saisit le
prétexte de l'opération césarienne, dont le
public était peu partisan et que Baudelocque
soutenait et pratiquait avec talent, pour diri-
ger contre 1 accoucheur de la Maternité une
odieuse calomnie. Dans une couche laborieuse,
la mère et l'enfant étant morts entre les mains
de l'habile opérateur, le docteur Sacombe osa
soupçonner non-seulement son habileté, mais
ses intentions. Les tribunaux firent justice do
cette calomnie, et Marie-Louise le choisit pour
son accoucheur, fonctions que la mort ne lui
laissa pas le temps de remplir. Néanmoins, le
coup était porté : à partir de ce moment, Bau-
delocque fut en;proie à un chagrin mortel, qui
ne tarda pas à altérer profondément sa santé.
Le 2 mai 1810, il succombait à une affection
cérébrale.
Lorsque Baudelocque apparut, l'art des
accouchements était déjà fort avancé. Levrct,
Smellie, Solayrès, avaient considérablement
agrandi cette science, et il serait inexact de
dire que Baudelocque lui ait ouvert de nou-
veaux horizons. Si l'on recherche quelle est sa
véritable part dans l'art des accouchements,
on verra qu'il détermina les mouvements
du fœtus dans le passage à travers le bassin,
qu'il fixa les diamètres de cette cavité et leurs
rapports'avec ceux de la tête du fœtus. Ce
quon lui a reproché quelquefois, c'est d'avoir
reculé trop souvent devant la section de la
symphyse pubienne, dans les accouchements
laborieux. Doué d'un génie éminemment pra-
tique et vulgarisateur, le professeur de la
Maternité eut en quelque sorte le mérite,
exclusif entre ses collègues, de coordonner et
de répandre les principes des grands maîtres
qui l'avaient précédé. Sans être éloquente, sa
parole était claire, concise et facile. On a de
Baudelocque : An in partu propter angustiam
pelvis impossibili, symphysis ossium pitbis se-
canda. (En cas d'insuffisance des ouvertures
du bassin dans un accouchement, doit-on faire
la section de la symphyse pubienne?) (1776,
in-4<>) ; les Principes de l Art des accouchements,
par demandes et par réponses, en faveur des
élèves sages-femmes (1775, in-12), ouvrage qui
fut réimprimé aux frais du gouvernement, à
6,000,exemplaires; Moreau a donné, vers 1840,
une nouvelle édition de ce remarquable ou-
vrage; Y Art des accouchements (1781, in-so),
livre construit sur le même plan que le pré-
cédent, mais spécialement à l'usage des mé-
decins. On compte en outre, de Baudelocque,
quelques rapports et mémoires publiés pour
la plupart dans des revues et des encyclopé-
dies : Mémoire sur les hémorragies utérines
cachées; Rapport sur une observation de ren-
versement et d'amputation de la matrice (Re-
cueil de la Société de médecine de Paris,
t. IV) ; Rapport sur la rupture de la matrice
au terme de l'accouchement ; Réflexions sur
l'hydropisie de la matrice; Rapport sur l'opé-
ration césarienne.
BAUDELOCQUE (Louis-Auguste), neveu du
précédent, né vers la fin du siècle dernier. Il
termina en 1823 ses études de médecine à
Paris, et, comme son oncle, s'occupa surtout
de la pratique des accouchements. Il a inventé
un instrument appelé cêphalotribe (forceps
brise-tête), pour lequel l'Académie des sciences
lui a décerné un prix en 1833. On a de lui :
Compression de l'aorte vent raie(\$Zo); Elytro-
tomie ou Section du vagin (1844).

BAUDELOT
DE DA1RVAL (Charles-César),
littérateur et antiquaire, né à Paris en 1648,
mort en 1722. Il exerça d'abord la profession
d'avocat, puis se livra exclusivement à son-
goût pour l'étude des antiquités. Il a publié
un livre intitulé : De l'utilité des voyages, et de
l'avantage que la recherche des antiques pro-
cure aux savants (1686), livre qui lui ouvrit les
portes de l'Académie des inscriptions. A la
mort du célèbre voyageur Thévenot, il fit
l'acquisition des Marbres de Nointel, qui for-
ment aujourd'hui l'un des objets les plus pré-
cieux du musée du Louvre. On sait que l'un
de ces marbres, qui a plus de deux mille ans
d'existence, reproduit les noms des officiers et
de quelques-uns des soldats morts au service
d'Athènes dans le cours d'une seule année.
Les héritiers de Thévenot étaient très-embar-
rassés de ces énormes pierres, lorsque survint
Baudelot, qui les leur acheta ; et sa joie fut si
grande, qu'elle lui donna les forces suffisantes
pour les porter lui-même sur une petite char-
rette, à laquelle il s'attela, ne voulant pas
confier à d'autres son précieux fardeau. Dans
: l'impossibilité où il était de les ranger sur-le-
I champ, il se contenta de les déposer dans la
cour de la maison qu'il habitait, remettant ce
' travail au lendemain. Mais ayant appris qu«
385
le propriétaire de la maison avait donné des
ordres pour que ces décombres informes fus-
sent enlevés le lendemain matin par les
boueux, Baudelot se leva précipitamment et
passa toute la nuit à mettre en sûreté, sous
son propre toit, ces restes précienx de la
Grèce. C'était un homme doux, modeste, affa-
ble, et très-zélé, est-il besoin de le dire, pour
la science qu'il cultivait.

BAUBEMENT
adv. (bô-de-man — rad.
baud). Joyeuseirent, gaillardement.

BAUDEMENT
(Emile), naturaliste, né à'
Paris en 1810, mort en 1864. Après avoir oc-
cupé une chaire à l'institut agronomique de
Versailles, il fut nommé professeur de zoologie
agricole au Conservatoire des arts et métiers.
Il a fourni beaucoup d'articles et de mémoires
à la Revue horticole et à la Collection de la
Société d'agriculture,

BAUDENS
(Lucien-Jean-Baptiste), chirur-
gien français, né à Aire en 1804, mort en 1857.
Il fut aide-chirurgien dans divers hôpitaux
militaires, à partir de 1823; fit partie de 1 expé-
dition d'Alger; devint, en 1831, chirurgien-
major ; fonda dans cette ville un hôpital d'in-
struction, où, pendant neuf ans, if professa
l'anatomie et la chirurgie, et il imagina, pen-
dant l'expédition de Constantine, en 1836, l'in-
fénieux appareil à fractures auquel on a
onné son nom. Nommé, à son-retour en
France, successivement professeur de clinique
à Lille (1838), chirurgien des hôpitaux du
Gros-Caillou et du Val-de-Gràce (1838-42), il
fut mis à la tête du service" médical de l'armée
française à Constantinople et en Crimée (1854).
Il était, quand il mourut, chirurgien-inspec-
teur et membre du conseil de santé des armées.
On a de lui, outre plusieurs mémoires : Clinique
des plaies d'armes à feu (1836); Nouuelle mé-
thode des amputations (1842, in-8°) ; Efficacité
de la glace, combinée à la compression, pour
réduire les hernies étranglées (1854).

BAUDEQUIN
s. m. (bô-de-kain —corrupt.
de baldaquin). Métrol. Petite monnaie fran-
çaise de 5 à 6 deniers, qui avait cours au
xie siècle, et qui portait l'effigie du roi assis
sous un baldaquin.

BAUDER
v. n. ouintr. (bô-dé — rad. baud).
Chass. Aboyer : Les chiens BAUDENT sur la
bête, n On dit aussi BAUDIR.
BAUDER (Jean-Frédéric), industriel et pa-
léontologue allemand, né à Hersbruck en 1713,
mort en 1791. Il était marchand ambulant de
pain d'épice lorsque, dans une de ses excur-
sions, il découvrit les carrières de marbre
d'Altdorf, en Bavière. Bientôt après,*il se fixa
dans cette ville, fonda à Nuremberg une ma-
nufacture pour l'exploitation et le polissage
du marbre, perfectionnala culture du houblon,
et reçut de l'électeur de Bavière le titre de
conseiller de commune. Tout en se livrant à
ces travaux, Bauder s'occupa beaucoup de
recherchespaléontologiques, et il trouva, entre
autres fossiles, une tête d'alligator, déposée
au cabinet d'histoire naturelle de Manneim.
On a de Bauder quelques dissertations, no-
tamment : Relation des fossiles découverts de-
puis quelques années dans les environs d'Altdorf
(Altdorf, 1772, in-8°), traduite en français, et
un ouvrage Sur la meilleure manière de cul-
tiver le houblon, d'après les résultats de l'expé-
rience (Altdorf, 1776, in-4o).

BAUDERIE
s. f. (bô-de-rî — rad. baudir).
Joie, gaieté, il Vieux mot.

BAUDERON
(Brice), médecin français, né
vers 1540, à Paray, dans le Charolais, mort à
Màcon eïi 1623. Après avoir étudié lu méde-
cine à Montpellier, il vint se fixer à Màcon,
où il exerça sou art jusqu'à sa mort. Il a
laissé : Praxis medica in duos tractatus dis-
tincta (Paris, 1620, in-40), ouvrage qui a été
traduit en anglais, et une Pharmacopée (Lyon,
1588, in-8°), qui a eu de très-nombreuses édi-
tions, et qui, de son temps, était fort estimée;
— Gratien BAUDERON, fils du précédent, né
en 1583, mort en 1615, embrassa la profession
paternelle, écrivit quelques traités qui sont
restés manuscrits, et publia des Notes sur la
Pharmacopée de Brice Bauderon (Lyon, 1628);
— Brice BAUDERON, fils du précédent, né a
Màcon en 1613, mort en 1698, fut nommé lieu-
tenant général au présidial de sa ville natale,
épousa Claudine Quinv, qui s'adonnait à la
poésie, et consacra lui-même tous les loisirs
que lui laissait sa charge à des travaux litté-
raires. Parmi ses ouvrages, nous citerons : la
Givre mystérieuse, ou Explication de la famille
de M. Colbert (1680), et Apollon français, ou
Parallèle des vertus héroïques avec les pro-
priétés du soleil, etc. (1681); — Antoine BAU-
DERON, fils du précédent, né à Mâcon en 1643,
mort en 1737, devint premier valet de chambre
de Marie-Thérèse, eteomposa un grand nombre
de morceaux de poésie, qui sont loin d'être
sans mérite. Nous citerons, parmi ses recueils
de vers : Nouvelles en vers (Paris, 1695) ; Epi-
grammes, etc. (Paris, 1717) ; Satires nouvelles.
Ses œuvres complètes ont été publiées par
Auger (Paris, an XIII).

BAUDESSON
(Nicolas), peintre français, né
à Troyes en 1609, exécuta plusieurs tableaux
au palais de Versailles, fut nommé conseiller
du roi en son Académie de peinture et de
sculpture, se rendit ensuite à Rome et y
mourut en 1680, après y avoir fait un long
séjour chez MM. de Saint-Genys. C'est par
erreur ane Florent Lecomte a fixé la date de
sa mon «m 1682. La Biographie universelle a
a.
confondu cet artiste avec son fils François
BAUDESSON, qui fut aussi de l'Académie et qui
peignit les fleurs avec" succès. Le père de
Nicolas, menuisier et sculpteur en bois, à
Troyes, a été le premier maître du célèbre,
sculpteur Girardon.

BAUDET
s. m. -(bô-dè — le vieux fr. nous
donne bald, baud, baut, signifiant hardi, au-
dacieux, gaillard, dispos, éveillé; d'où vien-
nent nos vieux mots baldement, baudement,
hardiment, gaillardement, joyeusement; nous
avions même baldet, baudé, baldoirie^ har-
diesse, audace, gaillardise, gaieté. L'ital. a
trois mots pour ces trois sens : baldo, balda-
mente, baldanza. De baud, on a formé baudir
et s'ébaudir : le premier, qui est un terme de
chasse; le second,qui signifie se réjouir en
chantant et en dansant. Ces différents mots,
un peu défigurés, se retrouvent avec le même
sens général dans toutes les branches germa-
niques : tud. bald; goth. baltha; angl.-sax.
bald, baldice; island. baldur; allem. bald;
angl. bold; dan, balslyrig; holl. baldadig.
Dans nos vieux auteurs de fables, le bau-
det était appelé baudouin, d'où baudouiner,
employé par Rabelais dans le sens de saillir.
Il suit de cette explication que le radical
baud, qui veut dire gai, vif, content, hardi,
éveillé, a été appliqué comme diminutif au
jeune âne, dont tout le monde connaît la
gentillesse et la pétulance. Ménage trouve
un moyen beaucoup plus simple de se tirer
d'affaire. Selon lui, baudet vient de Daldus,
nom propre. Mais quel est ce Baldus? Les
dictionnaires biographiques n'enregistrent,
sous ce norn, qu'un jeune peintre contempo-
rain, qui déclinera certainement l'honneur
de cette antique origine). Ane : Me prend-il
pour un Lapon, de s'imaginer que je n'aie
jamais entendu braire un BAUDET? (G. Sand.)
Le baudet n'en peut plus, il mourra sous leurs coups.
LA FONTAINE.
A ces mots l'on cria haro! sur le baudet.
LA FONTAINE.
Maître baudet, ôtez-vous de l'esprit
Une vanité si folle. . LA FONTAINE-
Est-ce la mode
Que baudet aille à l'aise et meunier s.'incommode?
LA FONTAINE.
Ayant au dos sa rhétorique,
Et les oreilles d'un baudet. LA FONTAINE.
Pendant,ce beau discours,
Seigneur loup étrangla le baudet sans remède.
LA FONTAINE.
Un baudet chargé de reliques
S'imagina qu'on l'adorait;
Dans ce penser, il se carrait. LA FONTAINE.
il Se dit particulièrement de l'âne mâle, des-
tiné à la reproduction.
— Fig. et par iron. Homme sot, stupide :
Beau trio de baudets! Le meunier repartit :
Je suis ane, il est vrai
LA FONTAINE.
— Techn. Tréteau sur lequel les scieurs de
long établissent lés pièces à débiter. On dit
aussi CHKVALET. n Chevalet qu'enjambe le
'd rousseur.
— Syn. Baudet, bourrique, âne. C'est le
même animal que ces trois mots désignent;
mais ils ne le désignent pas sous le même
point de vue. l/àne, c'est 1 animal tel qu'il est
en lui-même, ou tel que nous l'avons rendu en
le plaçant parmi nos animaux domestiques, en
l'appliquant à tous les services auxquels ses
qualités naturelles le rendaient propre : c'est
la bête de somme qui porte sa charge; c'est
celle que le jardinier attelle à la petite voiture
sur laquelle il veut transporter ses légumes;
c'est la monture paisible des vieillards ou des
convalescents; c est l'animal utile, sobre, pa-
. tient, qui ne coûte presque rien à nourrir et
qui sert presque autant qu'un cheval; c'est*
aussi l'être stupide, opiniâtre, que, par mo-
ments, on ne peut faire marcher qu'à coups
de fouet ou de bâton. Ces défauts sont dans
sa nature, aussi bien que les qualités qui le
rendent précieux; à tous ces points de vue,
c'est toujours de l'âne qu'il s agit, et toute
autre expression serait impropre. Le baudet,
c'est l'animal considéré comme subissant les
conséquences de ses défauts, de sa stupidité
.et de sa laideur relative. On n'a qu'à se re-
porter à la préface du Grand Dictionnaire, on
y verra que notre bon La Fontaine ne s'y est
pas trompé, et qu'il a toujours remplacé âne
par baudet quand il a voulu peindre l'animal
comme servant de jouet, de risée, soit à
l'homme, soit aux autres animaux, quand il^
lui faisait jouer le rôle de victime. La bour- *
rique, c'est proprement la femelle de l'âne;
mais ce mot n'est pourtant pas un synonyme
parfait de âiiesse, et il emporte toujours une
idée de stupidité risible, qui le rend tout à fait
impropre aux descriptions de l'histoire natu-
relle. Toutes ces distinctions subsistent au
sens figuré, qui ne s'applique d'ailleurs qu'aux
défauts que nous attribuons à l'animal : on
appelled/'e l'homme qui réunit l'obstination à
la sottise, l'ignorant qui refuse de s'instruire;
bourrique éveille l'idée d'une stupidité com-
plète, mais sans y joindre celle d'obstination;
on plaint la bourrique, on se sent irrité contre
l'homme qu'on appelle âne; la dénomination
de baudet ne convient que lorsqu'on a en vue
une sottise dont les autres profitent pour s'a-
muser aux dépens de la victime, ou pour faire
retomber sur elle des maux qu'ils devraient
souffrir eux-mêmes.
— AïluS. Httér. Haro sur le baudet I Allu-
sion à un hémistiche de la fable des Animaux
malades de la peste. V. ANIMAL.
BAUDET (Gui), chancelier de France sous
Philippe de Valois. Né à Beaune, il professa
d'abord le droit canon, et fut ensuite doyen du
chapitre de Paris. Dans un voyage qu il fit à
Rome, le pape -Benoît XII l'accueillit avec une
grande distinction. Il mourut en 1339.
BAUDET (Etienne), dessinateur et graveur
français, né à Blois en 1643, mort en 1716,
vint très-jeune à Paris, et apprit le dessin de
Sébastien Bourdon, qui l'engagea ensuite à
s'adonner à la gravure, et lui enseigna aussi
les premiers principes de cet art. Après avoir
gravé quelques ouvrages de son maître, Baudet
se rendit à Rome, où il se perfectionna sous la
direction de Cornelis Bloemaert et de François
Spierre, qui travaillaient dans cette ville avec
un grand succès. Il se fit bientôt remarquer
lui-même par l'habileté avec laquelle il grava,
pour les seigneurs Falconieri, les Amours de
Vénus et d'Adonis, suite de quatre pièces,
d'après l'Albane. Revenu à Paris, il obtint un
logement au Louvre, et fut nommé graveur du
roi. Admis à l'Académie de peirit«re, sculpture
et gravure, en 1675, il en fut élu conseiller
en 1685. Etienne Baudet exécuta pour le roi
un grand nombre d'ouvrages, entre autres
-43 pièces destinées à compléter la collection
de Statues et bustes antiques, commencée par
Cl. Mellan. Ces ouvrages lui font honneur;
mais son talent apparaît principalement dans
les estampes qu'il a faites d'après huit des
plus beaux paysages historiques de Poussin :
Polyphème et Galatée', Diogène jetant son
écuelle, Eurydice piquée par un serpent, En-
lèvement du corps de Phocion, Femme recueil-
lant les cendres de Phocio)^ etc. Ces divers
sujets, a dit Mariette, sont rendus avec une
grandeur et une majesté dignes du peintre qui
en est l'auteur. Baudet a gravé aussi les ou-
vrages suivants : le Frappement du rocher,
Y Adoration du veau d'or, Moïse foulant aux
pieds la couronne de Pharaon, le Jugement de
Salomon, la Sainte Famille, Vénus sortant du
bain, {'Enlèvement des Sabines, Coriolan, etc.,
d'après Poussin; la Vierge, l'Enfant Jésus,
saint Joseph et saint Jean, l'Enfant Jésus adoré
par les anges et saint Jean, et les Œuvres de
miséricorde (suite de six pièces), d'après Séb.
- Bourdon ; l'Adoration des bergers, d'après
Gab. Blanchard ; la Sainte Famille, l'Appa-
rition de l'Ange à saint Joseph, d'après Mi-
gnard; Allégorie en l'honneur de Clément X,
d'après Ciro Ferri; les Chevaux du Soleil,
d'après le sculpteur Gilles Guérin ; le Martyre
de saint Etienne, d'après A. Carrache; Saint
Augustin et saint Guillaume invoq.uant la
Vierge, d'après Lanfranc; le portrait^ de
Ch. Perrault et le Plafond du grand escalier
de Versailles, d'après Ch. Le Brun; le Denier
de César, d'après Valentin; divers sujets
d'après l'Albane, E. Villequin, René Houasse,
Ch. de La Fosse, L. de Boullongne, etc.
BAUDET -DULARV, médecin et socialiste
français, né vers 1790. Nommé député en 1831,
il donna sa démission pour travailler active-
ment à la réalisation du système de Fourier,
dont il avait adopté les idées. Il fit même un
essai pratique sur ses propriétés; mais cet
essai ne fut, en réalité, qu'une exploitation
agricole, à laquelle il essaya d'appliquer quel-
ques-unes des idées du maître. Il a laissé
quelques écrits, entre autres : Crise sociale
(1834); Essai sur tes harmonies physiologiques
(1838-1845); Hygiène populaire (1856), etc.;
Principes et résumé de physionomie (1859).

BAUDET-LAFARGE
homme politique fran-
çais, né en 1765, mort vel-s 1840. Il avait, au
commencement de la Révolution, administré
le département du Puy-de-Dôme, qui l'envo^-a
au conseil des Cinq-Cents. Il y vota la dépor-
tation des émigrés naufragés à Calais, se pro-
nonça en faveur de la liberté de la presse, et
contribua à la chute des directeurs Merlin,
Treilhard et Laréveillère-Lepeaux. Lors du
coup d'Etat du 18 brumaire, Baudet-Lafarge
se trouvait en mission. Il déclara, à son retour,
qu'il éprouverait un regret éternel s'il avait la
certitude cjue l'émission de son vote eût manqué
pour empêcher le renversement de la consti-
tution et l'établissement du Consulat. Il fut
écarté en conséquence du Corps législatif, fut
nommé plus tard juge de paix et membre du
conseil de l'arrondissement de Thiers, et chargé
par le.collège électoral du Puy-de-Dôme,
en 1815, de présenter une adresse à Napoléon.
C'est à cette occasion qu'il porta ce toast, où
se montraient ses sentiments républicains :
« A la patrie I à la liberté ! puissent l'énergie
de la représentation nationale et l'union de
tous les Français en assurer le triomphe! n —
Son ûls, Jacques-Antoine BAUDET, né à Ma-
ringues en 1803, embrassa les opinions politi-
ques de son père, fut quelque temps sous-pré-
fet d'Ambert après 1830, fut élu membre du
conseil général du Puy-de-Dôme après la mort
de son père, et représentant du peuple à la
Constituante en 1848. Il vota avec les répu-
blicains du National, et ne fut pas réélu à la
Législative.
BAUD1ER (Dominique), poëte. V. BAUDIUS.
BAUD 1ER (Michel), historien français, né
en Languedoc vers 1589, mort en 1645. On .
sait peu de chose de la vie de ce laborieux
écrivain, qui reçut le titre de gentilhomme de
la maison du roi et d'historiographe de France.
Ami du grand sculpteur Jean de Bologne, il
aimait beaucoup les arts, collectionnait des
| médailles, et dépensait ses faibles revenus à
I acheter des livres et des manuscrits. Il a com-
posé un grand nombre d'ouvrages écrits d'un
style lourd, remplis de digressions, dépourvus
de sens critique, mais qui furent bien ac-
cueillis de ses contemporains, et dont quelques-
uns peuvent encore être consultés avec fruit.
Les principaux sont : Inventaire général de
l'histoire des Turcs (Paris, 1619); Histoire gé-
nérale de la religion des Turcs, avec la vie de
leur prophète, etc. (Paris, 1626); Histoire de
la cour du roi de Chine (Paris, 1626) ; Histoire
de Vadministration du cardinal d'Amboise, etc.
(1634); Histoire de l'incomparable adminis-
tration de liomieu, grand ministre d'Etat de
Raymond Réranger, comte de Provence (Paris,
1635), le plus curieux de ses ouvrages ; His-
toire de l'administration de l'abbé Suger (1645),
enfin Histoire de la vie du cardinal de Ximénès
(1635), qui est le plus intéressant et tout à la
fois le plus considérable de ses travaux histo-
riques. :

BAUDIN
DES ARDENNES (Pierre-Charles-
Louis), homme politique français, né à Sedan
en 1748, mort en 1799. Il fut d'abord directeur
des postes de sa ville natale (1786), maire en
. 1790, député à l'Assemblée législative l'année
suivante, puis élu à la Convention. Il s'y pro-
nonça pour le bannissement de Louis XVI,
remplit.une mission à l'armée du Nord, fut un
des rédacteurs de la constitution de l'an III,
présida la Convention pendantles journées de
vendémiaire, fit clore la session par le vote
d'une amnistje générale, et devint membre de
l'Institut et du Conseil des anciens. Il prit une
part active au coup d'Etat du 18 fructidor,
mais s'éleva ensuite contre l'incapacité du
Directoire, et mourut de joie en apprenant le
retour de Bonaparte d'Egypte, ce qui ferait
croire qu'il était initié au projet du 18 brumaire.
Dans sa vie politique, Baudin suivit en général
le fameux système de bascule, qui consistait à
comprimer tour à tour les royalistes et les
révolutionnaires ardents. Sa modération ne
fut pas toujours exempte de versatilité. On a
de lui quelques écrits politiques, notamment :
Anecdotes et réflexions générales sur la consti~
tution (1795) ; Du fanatisme et des cultes (1795).
BAUDIN (Nicolas), navigateur, né à l'île de
Ré vers 1750, mort en 1803. Nommé sous-
lieutenant de vaisseau en 1786, il commanda
deux expéditions scientifiques dans l'Inde et
aux Antilles, revint en France à l'époque du
Directoire,. rapportant de précieuses collec-
tions d'histoire naturelle, et reçut, en 1800,
comme capitaine de vaisseau, le commande-
ment de deux corvettes, le Géographe et le
Naturaliste, avec lesquelles il entreprit d'ex-
plorer les côtes de la Nouvelle-Hollande. Il
reconnut la baie des Chiens marins et les
terres voisines de la Nouvelle-Galles méridio-
nale; mais une grande partie des équipages
périt, et lui-même succomba à l'île de France.
Cette expédition, du moins, ne fut pas sans
utilité pour la science. Péron, qui en faisait
partie, en a publié les résultats sous ce titre :
Voyage aux Terres australes (1807,3 vol. în-4°).
Les frères Freycinet succédèrent à Baudin
dans le commandement de l'expédition.
BAUDIN (Charles), amiral, fils de BAUDIN DES
AHDHNNES, né ii Sedan en 1874, mort eu 1S55.
Il entra dans la inurine à quinze uns et jouit,
jusqu'au moment où il fut nommé enseigne do
vaisseau, d'une pension de 1,000 fr. accordée
paries consuls. Il eut ie bras droit emporté par
un boulet, dans un combat contre les Anglais
dans la mer des Indes (1808), devint lieutenant
en 1809, battit un brick anglais dans la Médi-
terranée en 1812, exploit qui lui valut le grade
de capitaine de frégate. Deux ans plus tard,
il était nommé capitaine de vaisseau; mais,
après les Cent-Jours, il donna sa démission,
ne voulant point servir le gouvernement des
Bourbons, et fonda au Havre une maison de
commerce. Des faillites considérables étant
venues jeter"la perturbation dans ses affaires,
après la révolution de 1830, Baudin sortit de
cette crise en sauvant son honneur commercial,
et reprit du service dans la marine. Il fut
chargé, en 1838, de transporter à Saint-
Domingue les commissaires de l'indemnité
haïtienne ; reçut, peu après, le grade de contre-
amiral, avec la mission de tirer vengeance
des mauvais traitements exercés par ' les
Mexicains sur les négociants français, et
s'empara, après un court et vigoureux bom-
bardement, de la forteresse de Saint-Jean-
d'Ulloa, le fait d'armes le plus éclatant de
notre marine à cette époque. Nommé succes-
sivement vice-amiral, a son retour, comman-
dant des forces navales de l'Amérique du
Sud (1840), préfet maritime de Toulon (1840-47),
et vice-président du bureau des longitudes
après 1848, il fut élevé à la dignité d amiral
peu de temps avant sa mort.
BAUDIN, vicaire épiscopal de l'évêque con-
stitutionnel de Paris, Gobeï, et membre influent
de la société des jacobins. En décembre 93, il
fut envoyé en Vendée comme commissaire du
pouvoir exécutif, voulut s'opposer aux me-
sures énergiques, et fut arrêté par les ordres
des représentants Francastel et Hentz. Après
quelques mois de détention, il revint à Paris,
abjura solennellement la prêtrise au sein (la
la Convention, et fut ensuite utilement employé
par Hoche à la pacification de la Vendée.
Commissaire du Directoire près le bureau
central de Paris, puis membre de l'adminis-
tration des hospices de Paris, il rentra dans
l'obscurité après le 18 brumaire.
49. ^
386

BAUD1N
(J.-B.-Àlph.-Vict.), médecin et
- homme politique, né a Nantua (Ain) en 1801,
mort en 1851. Il servit en Afrique comme
médecin militaire, s'occupa ensuite activement
de politique ou plutôt de réformes sociales, et
fut nommé représentant du peuple à l'Assem-
blée législative de 1849, où il siégea à la cime
de la montagne. Lors du coup d'Etat du 2 dé-
cembre, il se fit tuer sur une barricade du fau-
bourg Saint-Antoine, enveloppé de son écharpe
de représentant. Lorsque ce triste événement
arriva, celui qui écrit ces lignes — l'auteur
du Grand Dictionnaire — était à vingt pas de
la malheureuse victime de nos dissensions po-
litiques. Baudîn a publié, entre autres écrits
estimés, un travail Sur l'inflammation des
intestins.

BAUDINIE
s. f. (bô-di-nî — de Baudin,
marin français). Bot. Syn. de calothamne.

BAUDIOT
(Charles-Nicolas), violoncelliste
français, né à Nancy en 1773, mort en 1849.
Elève de Janson, il succéda à son maître, en
1802, comme professeur au Conservatoire, et
fut, peu de temps après son installation, chargé
avec Levasseur de rassembler les éléments
d'une méthode de violoncelle, qui fut rédigée
par Baillot. Baudiot fut un des professeurs
qui gardèrent leur emploi au Conservatoire,
lors de la réorganisation de cette institution
en 1816; il reçut, en outre, le titre de premier
violoncelle de la chapelle du roi. En 1822, il
demanda et obtint sa retraite avec une pension,
légitime récompense de ses services. Depuis
lors, il se mit à parcourir la France en donnant
des concerts. Les principales qualités du talent
de Baudiot consistaient dans la pureté du son,
la justesse d'attaque et la netteté des traits;
mais on pouvait lui reprocher la froideur, et
surtout la monotonie de son exécution. Baudiot
a laissé un assez grand nombre de compositions
pour violoncelle, une Méthode complète de cet
instrument, et une Instruction pour lescompo-
siteurs.

BAUDIR
v. a. ou tr. (bô-dir — de l'ancien
fr. baud, hardi). Fauconn. et véner. Encou-
rager de la voix : BAUDIR le faucon. BAUDIR
les chiens.
Se baudir, v. pr. Se réjouir, se donner du
plaisir.

BAUDIS
ou BAUDISSEN (Wolf- Heinrich
DE), général danois qui a joué un rôle impor-
tant dans la guerre de Trente ans, combattit
Wallenstein, commanda la cavalerie de Gus-
tave-Adolphe, prit part aux actions les plus
importantes, servit plus tard la Saxe contre
les Suédois, et mourut en 1650.

BAUDISSÉRITE
s. f. (bô-di-sé-ri-te). Miner.
Syn. de baldissérite.

BAUDISSIN
(Wolf-Henri-Frédéric-Charles,
comte DE), littérateur allemand, né en 1789 à
Rantzau. Fils d'un ambassadeur danois à la
cour de Berlin, il reçut une solide éducation,
u'il compléta dans les principales universités
e l'Allemagne, entra en 1810 dans la diplo-
matie danoise, fut quelque temps secrétaire
de légation à Vienne et à Paris, puis se retira
dans la vie privée, et vint habiter Dresde en
1827, après avoir parcouru l'Italie, la France
et la Grèce. M. Baudissin a traduit en alle-
mand, avec son ami le poëte Tieck, les œuvres
dramatiques de Shakspeare. Il a en outre,
exhumé et traduit en allemand moderne d'an-
ciennes épopées germaniques, ainsi que de
vieux drames anglais. Cet écrivain a publié,
de son chef, une étude en deux volumes sur
Ben Johnson et son école, avec des commen-
taires et un aperçu historique de la^scène
anglaise (Leipzig, 1836).
BAUDISSIN (Othon-Frédéric-Magnus DE),
frère du précédent, né à Rantzau en 1792,
embrassa la carrière militaire. Lorsque éclata,
en 1848, entre le Danemark et les duchés du
Sleswig et du Holstein, une guerre qui dura
jusqu'en 1851, M. Baudissin prit le comman-
dement d'une brigade de l'armée des duchés;
soutint avec son corps, au combat de Bau,
tout l'effort de l'armée ennemie, afin de faciliter
la retraite des Sleswi^-Holsteinois; ne se
montra pas moins intrépide à la bataille de
Holding (1849), où il fut dangereusement
blessé, et refusa de prendre le commandement
en chef de l'armée lorsque Willisen donna sa
démission, pensant que la nomination d'un
général étranger était préférable dans l'intérêt
des duchés. Après la dissolution de l'armée,
M. Baudissin quitta le pays, où il s'était acquis
une grande popularité, et vécut dans la
retraite.

BAUDIT
(Amédée), peintre suisse con-
temporain, né à Genève en 1829, élève de
M.Diday, de Genève, a débuté en exposant au
Salon de 1852 une Vue du Mont-Blanc, prise
du Jura, au soleil couchant, tableau dans
lequel il s'est montré fidèle à la manière cor-
recte, châtiée, mais un peu trop minutieuse
des paysagistes suisses. Il a adopté depuis un
style plus large, plus hardi, et a envoyé aux
diverses expositons qui ont eu lieu de 1853
à 1860, des tableaux d'une facture élégante
et d'un sentiment très-poétique. Ce sont, pour
îa plupart, des vues prises en Auvergne, en
Bretagne, dans les Pyrénées, aux environs de
Paris. Son tableau intitulé le Viatique en Bre-
tagne, a été très-remarque au Salon de 1859,
et lui a valu une médaille de 3e classe. Un
rappel de la même médaille lui a été décerné
en 1861, pour un Débarquement de fourrages
sur les bords du Ithin, En général, les paysages
BAU
de M. Baudit sont d'un caractère austère, mé-
lancolique : l'âme du poëte s'y fait sentir
autant que le talent du peintre.

BAUDIUS
ou BAUDIER (Dominique), poëte
et littérateur, ne à Lille en 1564, mort en 1613.
Issu d'une famille protestante, forcé. par les
rigueurs du duc d'Albe de se réfugier à Aix-
1 la-Chapelle, il acheva ses études à Genève,
! où il reçut les leçons de Bèze, prit le grade
de docteur en droit en 1585, fit partie, la même
année, de l'ambassade envoyée à la reine
Elisabeth par les états généraux, et, après
avoir été quelque temps avocat à La Haye, il
partit pour Paris, où il resta dix ans. 11 s'y
lia. avec les hommes les plus éminents du
temps, Sully, Mornay, de Thou, du Harlay,
et, grâce à l'amitié de ce dernier, il devint
avocat au parlement de Paris. Etant allô se
fixer à Leyde vers 1602, il y fut nommé suc-
cessivement professeur d'éloquence et d'his-
toire, et historiographe des états généraux,
conjointement avec Meursius. Doué d'une
brillante imagination, possédant une érudition
prodigieuse, à la fois éloquent et passionné,
' Baudius gâta ses belles qualités par les dé-
| sordres de sa vie privée, par son amour désor-
donné du vin et des femmes, et mourut dans
la misère. Ses ouvrages en proseetses poésies,
également en latin, ne sont pas seulement re-
marquables par la pureté du style;.ils sont
traversés par un souffle puissant de liberté,
par une chaleur communicative ; ses poésies
qui, ainsi que ses lettres, sont naturelles, élé-
gantes, pleines de sentiments élevés, portent
en même temps l'empreinte d'une misanthro-
pie un peu sauvage, qui fait songer a J.-J.
Rousseau. Ses principales œuvres sont : De
induciis belli Belgici; Epistolœ; Amores.

BAUDOBRIGA
BONTOBRICE ou BODO-
BRIA, ville de l'ancienne Germanie, au-
jourd'hui Boppart sur le Rhin, au S. de Con-
fiuentes (Coblentz).
BAUDOCI1E (LES), ancienne famille oui a
fourni quatorze maîtres échevins à la ville de
Metz, à l'époque où elle formait une république
indépendante. Le premier BAUDOCHE qui ar-
riva à cette fonction, la plus élevée de la cité,
est Nicole, élu en 1315; plusieurs Baudoche
furent réélus, par exemple Robert, qui con-
serva ses fonctions deux années de suite
(1449-1450), dérogation fort rare à l'habitude.
Un autre, Claude BAUDOCHE, fit construire à
ses frais, vers 152G, l'église Sainte-Barbe-lès-
Metz, dont il ne reste que le chœur et de ma-
gnifiques vitraux, sur l'un desquels on voit le
Fortrait du fondateur. François BAUDOCHE, qui
ut maître échevin en 1544, était un diplomate
habile, et fut sénéchal de Lorraine vers 1573.
Un autre, François BAUDOCHE, était, vers le
même temps, abbé de Saint-Symphorien de
Metz, et passait pour un des hommes les plus
érudits de son temps. C'est surtout dans les
.armes que les Baudoche se distinguèrent.. Ils
prirent part à un grand nombre des expédi-
tions militaires du moyen âge, commandèrent
l'armée messine, firent des sièges, et guer-
royèrent, pendant environ trois siècles, non-
seulement en France et en Allemagne, mais
jusqu'en Palestine. Lorsque la France s'em-
para de Metz, la famille des Baudoche fut
écartée des affaires, et depuis lors, elle s'est
entièrement éteinte.

BAUDOIN
ou BAUDUIN de Condé, poëte
français, né dans cette ville, mort vers 1260.
Doué d'une imagination riche et facile, il quitta
les Flandres pour venir à Paris, où il tint un
rang distingué parmi les poëtes les plus esti-
més du règne de saint Louis, notamment Jehan
de Condé, son compatriote, et le célèbre Ru-
tebœuf. On a de lui des Fabliaux, des Dits et
Contes moralises, qui se trouvent en manus-
crit à la Bibliothèque impériale, sous les nu-
méros 173, olim 256, fonds de Belgique; 2,736,
fonds La Vallière; 7,218 et 7,632, ancien fonds.
On cite surtout son dit moralisé, intitulé les
Trois morts et les Trois vivants, dont Van Praet
a indiqué le sujet en ces quelques mots :
« Trois jeunes seigneurs, riches et puissants,
reçoivent de trois corps morts rongés de vers,
dont ils font rencontre, des leçons terribles
sur la vanité des grandeurs humaines. » Cette
pièce eut, de son temps, une vogue extraordi-
naire.

BAUDOT
DE JUILLY (Nicolas), historien,
né à Paris en 1678, mort en 1750. Il est auteur
d'ouvrages historiques, dont les plus estimables
sont : Histoire de la Conquête de l'Angleterre
par Guillaume de Normandie (1701); Histoire
de Philippe - Auguste ( 1702 ) ; Histoire de
Charles VI (1753, 9 vol.), de Louis XI (1756,
6 vol.); ces deux derniers sous le nom de
Mlle de Lussan, etc.
BAUDOT (Marc-Antoine), conventionnel
montagnard, était médecin à Charolles au
moment de la Révolution, et fut nommé dé-
ftuté suppléant à l'Assemblée législative par
e département de Saône-et-Loire, puis député
à la Convention. Il prit place sur les bancs de
la montagne, vota la mort du roi et son exé-
cution dans les vingts-quatre heures, et montra
autant de capacité que d'énergie dans les mis-
sions dont il fut chargé à Montauban, à Tou-
louse, dans les Pyrénées-Orientales, où il fit
exécuter la loi contre les émigrés, les prêtres
rebelles et les fédéralistes. Ce fut lui qui fit
décréter que les cloches seraient converties
en canons. Envoyé à l'armée de Rhin-et-Mo-
selle, avec Elie Lacoste, il donna aux sol-
dats l'exemple du courage et de la sobriété,
BAU
contint les royalistes et les traîtres dans
Strasbourg et dans Metz, et déploya la plus
grande intrépidité au combat de Katserslautern
(10 frim. an II). Compagnon de Saint-Just aux
lignes de Wissembourg, il contribua à agrandir
la France' jusqu'au Rhin, devina le génie de
Hoche, et se porta comme son défenseur contre
Saint-Just. De retour à la Convention, il fut
nommé secrétaire, puis envoyé de nouveau en
mission, après le 9 thermidor, à l'armée des
Pyrénées-Orientales. Persécuté par la réaction
thermidorienne, il fut enfin décrété d'arresta-
tion, sous l'accusation banale de terrorisme.
Il eut le bonheur d'échapper, et demeura caché
jusqu'à l'amnistie de brumaire an IV. Employé
au département de la guerre pendant le mi-
nistère de Bernadotte, il reprit ensuite l'exer-
cice de sa profession, et ne sortit de sa retraite
qu'un instant, pendant-les Cent-Jours, pour
remplir une mission en Bretagne. En 1816, il
fut exilé, avec tous les conventionnels régi-
cides. Baudot a laissé des Mémoires, qu'il a
confiés en mourant à M. Edgar Quinet. L'il-
lustre publiciste s'en est beaucoup servi pour
son ouvrage lo^Bévolution, et il en annonce la
publication comme prochaine.
BAUDOT (Pierre-Louis), archéologue fran-
çais, né en 1760 à Dijon, mort en 1816. Il
succéda d'abord à son père dans la charge de
substitut du procureur général au parlement
de Bourgogne. Il vint ensuite à Paris, pour
s'y perfectionner dans la science du droit;
mais son goût l'entraîna surtout vers l'étude
\ de la numismatique. Lorsque la Révolution
eut dispersé ses meilleurs amis, il se retira
dans ses propriétés, à Pagny, et ne s'occupa
plus que d archéologie. Plusieurs dissertations,
qu'il publia dans le Magasin encyclopédique,
suscitèrent une discussion très-vi,ve entre lui
et Girault, son confrère, à l'académie de Di-
jon. Il a publié, en outre, de nombreux mé-
moires dans le même Magasin encyclopédique
et quelques opuscules, la plupart relatifs à sa
science favorite.

BAUDOUIN
ou BALDOIN, nom de neuf
comtes de Flandre, qui sont : BAUDOUIN IC^
surnommé Bras de fer, mort en 879. Il épousa
Judith, fille de Charles le Chauve, qui, a l'oc-
casion de ce mariage, érigea la Flandre en
comté, et en donna l'investiture à son gendre.
— BAUDOUIN II, le Chauve, fils et successeur
du précédent, fit assassiner Foulque, arche-
vêque de Reims, et mourut en 918. Il fit sou-
vent la guerre à son suzerain, le roi de
France. — BAUDOUIN III, dit le Jeune, petit-
fils du précédent, mourut en 962 de la petite
vérole. — BAUDOUIN IV, le Barbu, fi!s d'Ar-
nold If, mort à Gand en 1036, enleva plu-
sieurs places de la basse Lorraine, et institua
les foires de Flandre. Il se fit céder par
Henri II, roi de Germanie, et à titre de fief,
la ville de Valenciennes, le château de Gand,
et toute la Zélande en deçà de l'Escaut; ces-
sion d'où devaient naître entre la Flandre et
la Hollande d'interminables discussions. Il fut
chassé de ses Etats par son fils ; mais Robert,
duc de Normandie, le rétablit les armes à la
main. — BAUDOUIN V, dit le Débonnaire ou de
Lille à cause des nombreux travaux qu'il fit
exécuter dans cette ville, était fils du précé-
dent, et mourut en 1007. Il eut de sanglants
démêlés avec l'empereur Henri III, gendre du
roi Robert, dont il épousa la fille Adélaïde,
appelée la Comtesse reine. Il devint, en 1060,
régent de France pendant la minorité de Phi-
lippe Ier. Sa fille Mathilde épousa Guillaume
le Conquérant, dont il seconda l'expédition en
Angleterre en 1066. C'est lui qui ht creuser,
entre la Flandre et l'Artois, le canal connu
sous le nom de fossé neuf. — BAUDOUIN VI,
dit de Mons ou le Bon, fils du précédent, mort
en 1070, porta en Hainaut le nom de Bau-
douin Ier} in d'excellents règlements de po-
lice, et prit dans ses chartes le titre de Comte
palatin.— BAUDOUIN Vil, à la Haclie? ainsi
surnommé à cause de son extrême rigueur
dans l'application de la justice, fut l'allié fi-
dèle de Louis le Gros contre Henri 1er d'An-
gleterre, et périt frappé d'un coup de lance
au siège d'Eu en 1119. — BAUDOUIN VIII, dit
le Courageux, et appelé BAUDOUIN V en Hai-
naut, devint comte de Flandre en 1191, à la
mort de Philippe d'Alsace, dont il était beau-
frère. Il reconnut Philippe-Auguste pour su-
zerain, lui rendit hommage à Arras en 1192, et
mourut en 1195. — BAUDOUIN IX. V. BAU-
DOUIN Ier, empereur latin de Constantinople.
BAUDOUIN ou BALDUIN, nom de cinq
- rois de Jérusalem, appartenant à la famille
des comtes de Flandre. Le premier, qui des-
cendait du comte Baudouin V, est : BAU-
DOUIN Ier, roi de Jérusalem, mort en llis.
Fils d'Eustache, comte de Boulogne, il accom-
pagna, en 1095, son frère Godefroy de Bouil-
lon, beaucoup moins pour contribuer à la dé-
livrance du tombeau du Christ, que dans
l'espoir de conquérir quelque principauté.
Envoyé en Cîlicie avec Tancrède, prince de
Tarente, pour soumettre le pays, il eut avec
ce dernier de violents démêlés au sujet des
villes de Tarse et de Malmista, qui étaient
tombées en leur pouvoir; il fit enlever la
bannière de Tancrède pour y planter la sienne,
et les deux chefs, oubliant quels ennemis ils
étaient venus combattre, en^ vinrent aux
mains avec leurs troupes. Bientôt après, ap-
pelé par le prince d'Edesse, il franchit le
Taurus, passa l'Euphrate, entra dans cette
ville, dont il chassa la garnison mahométane,
et trempa, dit-on, dans une sédition, où le
BAU
i prince d'Edesse, qui l'avait adopté, perdit la
! vie. Devenu comte d'Edesse «par la grâce de
! son épée (1097) », il resta dans cette ville,
s'occupant de consolider son pouvoir, et fort
indifférent aux travaux des croisés, qui assié-
geaient et prenaient Jérusalem. Mais à la
mort de son frère Godefroy, il céda sa prin-
cipauté à son cousin Baudouin de Bourg, et
s'empressa de se rendre à Jérusalem pour y
recueillir l'héritage du chef de la croisade.
Moins scrupuleux que ce dernier, Baudouin
n'hésita pas à prendre le titre de roi de Jéru-
salem, recueillit les débris de l'armée croisée
conduite au secours des chrétiens de Pales-
tine par Hugues le Grand et Guillaume d'A-
quitaine en 1101, et les conduisit au combat
de Rama (27 mai 1102), où ils furent presque
tous massacrés. Assiégé dans Jaffa, le roi de
Jérusalem se dégagea et battit ses ennemis
dans une vigoureuse sortie; puis, profitant de
sa victoire, il s'empara de Saint-Jean-d'Acre
en 1104, de Beyrouth en 1109, et de Sidon en
1110. Après avoir vaincu les Sarrasins en
plusieurs rencontres et agrandi son royaume,
ce prince mourut de la dyssenterie à Lavis,
dans le désert, en revenant d'Egypte. Son
corps fut envoyé à Jérusalem, pour y être en-
terré près de celui de Godefroy de Bouillon,
pendant que ses entrailles étaient déposées
en un lieu, connu depuis lors sous le nom de
Hégiarat-Barduil, c est-à-dire le sépulcre ou
la pierre de Baudouin; — BAUDOUIN II, cou-
sin du précédent, lui succéda en lus sur le
trône de Jérusalem, comme il lut avait suc-
cédé, dix-huit ans auparavant, dans sa prin-
cipauté d'Edesse. Il s'était acquis, parmi ses
compagnons d'armes, une grande réputation
par son courage, ses talents militaires, sa
prudence, son désintéressement, sa piété; et
nui pius que lui n'était digne de prendre le
pouvoir en main. Un de ses premiers actes
rut d'aller délivrer Antioche, menacée par les
musulmans. A près les avoir battus en plusieurs
rencontres, il revint à Jérusalem, où il apprit
que le comte d'Edesse, Josselin de Courtenuy.
venait de tomber au pouvoir des Sarrasins. Il
partit aussitôt pour le délivrer; mais il tomba
dans une embuscade, et fut fait prisonnier par
Balak, en 1124. La régence du royaume fut
alors déférée par les principaux croisés à
Eustache Garnier, seigneur de Cèsarée et de
Sidon, qui eut à la fois à combattre les Turcs
de la Syrie et les Sarrasins d'Egypte, et qui,
cependant, grâce à des secours amenés par
les Vénitiens, put s'emparer de Tyr après un
siège de cinq mois. Bientôt après, Josselin do
Courtenay ayant pu s'échapper du château de
Khortobert, où il était prisonnier, rassembla
une armée, fondit sur les musulmans, et déli-
vra Baudouin (1125), qui revint à Jérusalem
pour guerroyer de nouveau. Après un règne
de douze ans, pendant lequel les ordres mili-
taires de Saint-Jean et du Temple avaient été
approuvés par le pape, Baudouin mourut en
1131, laissant son royaume très-agrandi à son
gendre Foulques d'Anjou ; — BAUDOUIN III,
petit-fils du précédent par sa mère Mélisande,
. succéda, en 1142, à son père Foulques d'An-
jou, et mourut en 1162. Zenghi, sultan d'Alep,
s'étant emparé de la principauté d'Edesse, les
chrétiens d'Orient jetèrent un cri d'alarme, qui
fut entendu en Occident. Une nouvelle croi-
sade, ayant à sa tête Conrad, empereur d'Al-
lemagne, et Louis VIII, roi de France, fut or-
ganisée; les deux souverains arrivèrent en
Palestine en 1148; Baudouin alla les rejoindre,
et leurs armées réunies firent le siège de Da-
mas. (V. DAMAS [Siège de.]) Mais les princes
croisés, n'ayant pu réussir à s'emparer do
cette ville, revinrent en Europe, laissant
Baudouin aux prises avec les ennemis les
plus redoutables. Le roi de Jérusalem ne so
découragea pas. Il accepta la lutte que lui
offrait Nour-Eddyn, fit relever et fortifier
Gaza (1149), s'empara d'Ascalon (U53) pour
son propre compte, et de Césarée (1159) pour
celui de Renaud, prince d'Antioche. Baudouin
mourut, âgé seulement de trente-trois ans,
empoisonné, dit-on, et sans laisser de posté-
rité. Il eut pour successeur Amaury ; — BAU-
DOUIN IV, né en nôO, mort en 1185, succéda,
en 1173, à son frère Amaury sur le trône de
Jérusalem. Mis, à cause de son jeune âge, sous
. la tutelle de Milon de Planci, puis du comte
de Tripoli, il était, de plus, accablé d'infirmi-
tés qui devaient le rendre à jamais incapable
de gouverner par lui-même. Baudouin vit son
règne troublé par les attaques continuelles
des musulmans d'Egypte et d'Asie, en même
temps que par les prétentions des nobles et
du clergé. Saladin, à la tète d'une puissante
armée, envahit la Palestine, battit les croisés
près de Sidon (1178), et les défit de nouveau
l'année suivante; mais en 1182, Baudouin',
devenu majeur, marcha contre le sultan, le
battit près d'Ascalon et le força à se retirer
en Egypte. Cette victoire, toutefois, ne put
amener Saladin à demander la paix, et bien-
tôt on le vit recommencer les hostilités. Bau-
douin, devenu aveugle, rongé par la lèpre,
laissa le commandement de son armée à Guy
de Lusignan, qu'il avait fait marier avec sa
sœur Sihylle et nommé régent du royaume.
Mais celui-ci, dépourvu de talents militaires,
ne sut pas profiter d'une circonstance favora-
ble qui s'offrait pour écraser l'ennemi, et dut
résigner le commandement devant les mur-
mures de l'armée. Saladin, avant consenti à
accorder une trêve, Bauclouin envoya, en
1184, le patriarche de Jérusalem en Occident,
pour implorer le secours des chrétiens et
prêcher -une nouvelle croisade. Mais il mourut
387
dans cet intervalle, désignant son neveu Bau-
douin pour lui succéder ; — BAUDOUIN V, ne-
veu du précédent, était fils de Sibylle et de
son premier époux. Guillaume de Montferrât.
Ce n était qu'un enfant, qui mourut au bout de
sept mois de règne, en 1185. Il fut empoi-
sonné, dit-on, par sa propre mère, qui espé-
rait, par ce crime, assurer le trône à son se-
cond mari, Guy de Lusignan. Un an après
(1186), Jérusalem tombait au pouvoir de Sa-
ladin,
BAUDOUIN Ier, empereur de Constantino-
ple, né à Valenciennes en 1171, mort vers
1206, était fils de Baudouin, comte de Hai-
naut, et de Marguerite, sœur de Philippe,
comte de Flandre. 11 épousa Marie de Cham-
pagne, nièce du roi de France. Par la mort
de son père et par celle de son oncle, le jeune
Baudouin réunit entre ses mains, en 1195, la
souveraineté des deux comtés de Flandre et
Hainaut. Réconcilié avec Philippe-Auguste,
après une courte guerre, il convoqua, en
1200, une grande assemblée de ses vassaux,
et promulgua un ensemble de lois qui, pen-
dant plusieurs siècles, ont été la législation
fondamentale des comtés. Cette année même,
il prit la croix dans l'église Saint-Donatien
de Bruges, avec sa femme, son neveuThierry,
son frère Henri, et partit pour Venise en
1202, après avoir laissé la régence de ses
Etats à son frère Philippe, à son oncle Guil-
laume et au sage Bouchard d'Avesnes. S'é-
tant embarqué avec Dandolo sur la flotte vé-
nitienne, il se dirigea, sur les instances
d'Alexis l'Ange, vers Constantinople, pour y
renverser l'usurpateur Murzulphe. Baudouin
s'empara de cette ville avec son armée de
croisés (1204), mit en fuite Murzulphe, et
Comme le trône se trouvait vacant par la
mort d'Alexis, les croisés élurent Baudouin
empereur de Constantinople ; il fut couronné
à Sainte-Sophie le 16 mai 1204. En même
temps, les principaux chefs croisés procédaient
au partage de ce qu'ils regardaient comme
leur conquête. Le marquis de Montferrat eutle
' royaume de Thessalomque; le comte deBlois,
le duché de Bithynie; le gentilhomme bour-
guignon la Roche, la seigneurie d'Athènes;
le Franc-Comtois Guillaume de Champlitte re-
çut le fief d'Achaïe, etc., enfin les Vénitiens
se firent céder les îles de l'Archipel, ainsi que
plusieurs faubourgs de Constantinople. Lors-
que les Grecs virent ce partage s effectuer,
ils se jetèrent dans les oras des Bulgares,
leurs anciens ennemis, et prirent parti pour
Murzulphe. Celui-ci, poursuivi par le frère de
Baudouin, se réfugia en Thrace ; mais il fut
pris à Lagos et conduit au nouvel empereur,
qui le fit précipiter du haut de la colonne de
Théodose. Cependant, les Latins devenant
de plus en plus insolents, traitaient en pays
conquis leurs nouvelles possessions, et affi-
chaient un souverain mépris pour les Grecs.
Ces derniers finirent par se révolter, chassè-
rent le comte de Saint-Pol de la ville de Di-
dymatique, les Vénitiens d'Andrinople, et ap-
pelèrent à leur secours Joannice , roi des
Bulgares, qui s'empressa d'attaquer Baudouin,
le vainquit et le fit prisonnier près d'Andrino-"
pie, le H avril 1205, après une sanglante
mêlée, où tombèrent un grand nombre de
chevaliers latins. Depuis lors, Baudouin ne
reparut plus. Selon les uns, il mourut des
suites de ses blessures; selon d'autres, il fut
enfermé par Joannice dans un cachot, où il
périt au bout d'un an. S'il faut en croire Nicé-
tas Choniates, Baudouin, qui était un des che-
valiers les plus beaux et les plus accomplis
de son temps, inspira à la reine des Bulgares
une passion à laquelle il ne répondit que par
le dédain. Celle-ci, pour se venger, le dénonça
a Joannice comme ayant voulu la séduire.
Joannice furieux fit couper à Baudouin les
bras et les jambes; et, ainsi mutilé, le mal-
heureux empereur fut exposé au milieu d'un
champ, où il fut dévoré par les oiseaux de
proie. Enfin, d'après une autre version, il re-
vint en Flandre; mais sa fille Jeanne refusa
de le reconnaître.
BAUDOUIN II, dernier empereur latin de
Constantinople; né en 1217, mort en 1273, était '
iils de Pierre de Courtenay et d'Yolande.
Ayant succédé, en 1228, à son frère Robert,
U associa à l'empire son beau-père, Jean de
3rienne, un des chefs les plus célèbres de la
cinquième croisade, et tenta de s'opposer aux
progrès de Vatace, empereur de Nicée, et
d'Azan,roi des Bulgares; il parvint à repous-
ser ses ennemis, qui l'assiégèrent deux fois
dans Constantinople, pendant que la flotte vé-
nitienne battait la flotte grecque (1234). Va-
tace et Azan cherchèrent de nouveau, en
1236, à s'emparer de la capitale de l'empire;
mais ils furent encore une fois repoussés,
grâce à la valeur de Jean de Brienne, de Geof-
froy de Villehardouin et des chevaliers fran-
çais. Ces victoires, en épuisant les vainqueurs,
portaient en elles-mêmes leur avertissement.
Baudouin résolut d'aller demander des secours
en Europe. Parfaitement accueilli par saint
Louis, à qui U fit cadeau de la couronne d'é-
pines, l'empereur de Constantinople rentra en
possession des biens patrimoniaux des Cour-
tenay, et obtint des secours. Jean de Brienne
étant mort à Constantinople, Baudouin avait
hâte de revenir dans ses Etats; mais les com-
pagnons d'armes qu'il avait si péniblement
recrutés (1239) le quittèrent en route et ga-
gnèrent la Palestine. Sans se décourager,
l'empereur revint en France, visita l'Angle-
terre et l'Italie, et, avec quelques soldat*-, il
regagna Constantinople. Ayant forcé Vatoce
à conclure une trêve de trois ans, Baudouin
se hâta de revenir en Occident, espérant y
organiser de nouveaux secours. En vain dé-
montra-t-il au concile de Lyon (1244) l'inté-
rêt qu'avait la France à soutenir l'empire
latin de Constantinople; l'expédition de saint
Louis en Egypte était résolue, et Baudouin
dut se résoudre à essayer de se défendre avec
ses seules forces; mais, en 1251, effrayé des
progrès toujours croissants de Vatace, il par-
courut de nouveau l'Europe, demandant par-
tout des secours, et ne trouvant partout qu'in-
différence. Sous le successeur de Vatace,
Lascaris, le dernier empereur latin, décou-
ragé, presque seul au milieu d'un pays en-
nemi, se retira au fond de son palais, atten-
dant les événements qu'il n'était plus en son
pouvoir de diriger. Michel Paléologue, cjui
s'était fait associer h. l'empire de Nicée, vint
mettre le siège devant Constantinople, y pé-
nétra par un souterrain, le 29 juillet 1261, et
força, sans combat, la faible garnison à se
rendre. De son palais, Baudouin put contem-
pler l'incendie de la ville; il se fit porter par
une barque à Négrepont, puis se retira en
Italie. En 1270, Baudouin fut sur le point de
conduire une- nouvelle croisade à Constanti-
nople; mais les désastres de saint Louis lui
enlevèrent sa dernière espérance, et il mou-
rut bientôt après.
BAUDOUIN (François), théologien et juris-
consulte, né à Arras en 1520, mort en 1573.
Après avoir achevé ses études à Paris, il
voyagea en Allemagne, et ensuite entra en
relation avec Bucer, Mêlanchthon et Calvin,
dont il fut quelque temps le secrétaire, puis il
enseigna successivement le droit à Bourges,
(1548), à Strasbourg et à Heidelberg (1558),
où il resta cinq ans. Dans ces diverses chai-
res, il s'acquit une grande réputation par sa
science profonde et son éloquence. Le chan-
celier de l'Hôpital, qui connaissait son extrême
modération, lui demanda de l'aider dans l'en-
treprise difficile qu'il avait formée de récon-
cilier les partis religieux, et d'éviter la guerre
civile. Dans ce but, Baudouin publia un ou-
vrage Sur les devoirs des vrais amis de la re-
ligion et de la patrie dans les troubles reli-
gieux, livre qui, loin d'amener le résultat
poursuivi, irrita les deux partis extrêmes.
Baudouin se vit de toutes parts accablé de
pamphlets et d'injures, et n'obtint pas plus
de succès en Flandre, où il tenta la même
œuvre de rapprochement. Antoine de Bour-
bon, roi de Navarre, le chargea de l'éduca-
tion d'un de ses fils naturels, et le nomma son
orateur au concile de Trente. Le roi de Na-
varre étant mort, Baudouin donna, avec le
plus grand succès, des.leçons publiques de
droit à Paris, puis à Angers, et fut nommé
conseiller du duc d'Anjou. Lorsque les ambas-
sadeurs polonais vinrent offrir la couronne à
ce dernier, Baudouin fut jugé seul capable de
leur répondre, de façon à faire honneur à l'é-
loquence française. Il était sur le point de se
rendre en Pologne, lorsqu'il fut emporté par
une fièvre chaude. Comme tous les hommes
de modération dans les temps de trouble,
Baudouin fut mal jugé par ses comtempo-
rains. On l'accusa d'être tantôt catholique,
tantôt calviniste; tandis qu'il ne-condamnait
que les abus et les excès qu'il voyait se pro-
duire de chaque côté. Le duc d'Anjou, depuis
Henri III, lui proposa une somme considéra-
ble pour écrire en faveur de la Saint-Barthé-
lémy : Baudouin refusa noblement. Savant du
premier ordre, il prétendait que, sans l'his-
toire, la jurisprudence n'est qu'une science
aveugle, idée qui fait l'objet de son traité de
l'Institution de l'histoire et de son union avec
la jurisprudence. Ses œuvres de jurispru-
dence , d'histoire, de théologie, de contro-
verse, etc., écrites en un excellent style, ont
été publiées par Heineccius dans le premier
volume de la Jurisprudentia attica et romana
(Leyde, 1778, in-fol.).
BAUDOUIN ou BAUDOIN (Jean), littérateur
français,né à Pradelle, dans le Vivarais,vers
1590, mort en 1650. Il se rendit h Paris, de-
vint lecteur de la reine Marguerite, et fut l'un
des premiers membres de l'Académie fran-
çaise. Doué d'une grande facilité naturelle, il
a laissé plus de soixante ouvrages, où l'on sent
beaucoup trop qu'il écrivait propter famem,
non famam. La plupart de ces productions sont
de médiocres traductions d'auteurs anciens.
Pourtant, on recherche encore son Iconologie
(Paris, 1636, in-fol.) et son Recueil d'Emblè-
mes (Paris, 1638, în-fol,).
BAUDOUIN, BAUDUIN, BAUDUINS ou

BOUDEWYNS
(Antoine ou Adrien-François),
peintre et graveur flamand, vivait dans la
seconde moitié du xvnc siècle. La plus grande
confusion règne dans la biographie de cet
artiste, qu'on fait naître tantôt à Bruxelles
en 1660, tantôt à Dixmude en 1640, ou même
en 1676. Descamps dit que le nom de son
maître est inconnu, et qu'il a eu deux fils pein-
tres, qui ne méritent pas de lui être comparés. -
M. Ch. Blanc pense qu'il travailla d'abord h
Anvers et qu'il fut élève d'Abraham Genoels.
Il fut ensuite amené à Paris par van der
Meulen, que quelques auteurs lui donnent
pour maître; il devint son beau-frère et grava
plusieurs de ses tableaux, entre autres : la
Vue de l'armée du roi campée devant Douai,
en 1667 ; la Prise de Dôle en 1668 ; une Marche
de troupes; deux Chasses au cerf, plusieurs
paysages, les Vues d'Ardres, de Béthune, de
Calais, de Courtray, de Salins, de Gray, des
châteaux de Fontainebleau, de Versailles, de
Joux, etc. - Baudouin était lui-même un fort
bon peintre de paysages, dit Mariette ; après la
mort de van der Meulen (1690), il retourna à
Anvers, où il s'associa avec Pierre Bout, et ils
faisaient ensemble des tableaux où l'un pei-
gnait les figures et l'autre le paysage. » Le
Louvre, la galerie des Offices à Florence, les
musées de Dresde, de Rotterdam, de Dijon, et
plusieurs galeries particulières renferment des
tableaux dus à cette collaboration. Nœgler
prétend, mais à tort, qu'il ne faut pas con-
fondre Baudouin, le graveur, avecBaudewyns,
le peintre. La plupart des biographes donnent
à cet artiste les prénoms d'Antoine-François,
quelques-uns l'appellent Nicolas ; il a signé
lui-même en toutes lettres une de ses estampes
(la Lisière de bois) : Adrien-François BATJ-
DUINS.
BAUDOUIN (l'abbé Gabriel), né à Avesnes
(Flandre) en 1689, mort en 1768, à Varsovie,
où il avait fondé l'hospice des Enfants trou-
vés, et où il s'illustra pendant un demi-siècle par
la pratique de toutes les vertus évangéliques.
Entré un soir dans une grande maison où Ton
jouait, il y sollicitait des secours pour ses
pauvres abandonnés, lorsqu'un des joueurs,
impatienté, lui donna un soufflet : Ceci est
pour moi, dit-il, avec une douceur sublime;
mais maintenant, qu'y aura-t-il pour mes pau-
vres orphelins?
BAUDOUIN (Pierre-Antoine), peintre fran-
çais, né à Paris en 1723, mort dans la même
ville, en 1769. Il eut pour maître Boucher,
dont U'épousa la fille cadette en 1758. L'in-
fluence de son beau-père le fit admettre à
l'Académie en 1763. Il présenta, pour son
morceau de réception, Phryné accusée d'im-
piété devant l'aréopage, miniature qui fait par-
tie de la collection de dessins du Louvre. Il
peignit -aussi des tableaux à l'huile, mais il
réussit particulièrement dans la gouache.
« Soit qu'il fût aidé par Boucher, a dit Ma-
riette, soit que ses compositions fussent entiè-
rement à lui, il y jetait un agrément qui les
faisait fort rechercher. Pour piquer davan-
tage de goût de certaines gens, il ne s'est
malheureusement que trop permis de trai-
ter des sujets licencieux. Il eût aussi bien
fait de se renfermer dans des sujets ga-
lants; il n'aurait peut-être pas tant gagné
d'argent, mais il aurait mis sa conscience à
couvert, et ne se serait pas préparé des re-
mords. » Grimm et Diderot ne se montraient
pas moins sévères, lorsqu'ils écrivaient, le
premier : o Baudouin s'est fait un petit genre
lascif et malhonnête, qui plaît fort à notre jeu-
nesse libertine ; » le second : « Toujours petits
tableaux, petites idées, compositions frivoles,
propres au boudoir d'une petite-maîtresse, h.
la petite maison d'un petit-maître, faites pour
de petits abbés, de petits robins, de gros finan-
ciers, ou autres personnages sans mœurs et
d'un petit goût. » Baudouin a exposé aux Sa-
lons de 1761, 1763, 1765, 1767 et 1769. Il y
avait dé lui, à cette dernière exposition, un
tableau intitulé le Modèle Jiqnnê te, quelques
gouaches, et, qui le croirait? une suite de
Feuillets d'un livre* d'épitres et tfévangiles,
pour la chapelle du roi. Nous ne pouvons
mieux faire que de citer encore Diderot, qui
s'est exprimé dans les termes suivants à pro-
pos de ces différents ouvrages : « L'ami Bau-
douin, vous regardez trop votre beau-père,
et ce beau-père est le plus dangereux des
modèles... A votre place, j'aimerais mieux
être un pauvre petit original qu'un grand co-
piste, maître dans ma chaumière qu'esclave
dans un palais. Vous n'êtes pas sans éclat,
vos Feuillets d'évangiles ne manquent pas de
couleur ; mais il n'y a dans vos figures ni en-
semble, ni dessin, pas une oui n'ait quelque
membre disloqué...; ce sont ici des têtes trop
grosses, là des cuisses trop courtes... Et puis,
votre couleur, qui appelle d'abord, paraît en-
suite dure et sèche. Ce Modèle honnête est
plus vôtre, il y a plus de correction ; mais la
couleur en est fade... Vous courez à toutes
jambes après l'expression, que vous n'attei-
gnez pas; vous êtes minaudier, maniéré, et
puis c'est tout I Pour s'allonger, on n'est pas
grand. » On ne peut que reconnaître la jus-
tesse de cette appréciation; ce qui n'empêche
pas que ces compositions graveleuses et ma-
niérées n'aient eu un succès extraordinaire,
et ne trouvent encore aujourd'hui de nom-
breux admirateurs. A la vérité, Baudouin a
beaucoup du peintre, comme le fait; obser-
ver M. Charles Blanc. « S'il manque souvent,
faute de mœurs, aux convenances morales,
en revanche, il n'oublie jamais les convenan-
ces pittoresques; il dispose ses tableaux à
merveille et les orne avec goût; toutes les
lignes s'y agencent et s'y rachètent; toutes
les masses s'y pondèrent pour l'agrément des
yeux, et cela naturellement, sans effort. Il
tient de Boucher ce fouillis charmant, cet
heureux désordre, qui ont ravi tout le
xvinc siècle. » Plusieurs de ses compositions
ont été gravées pa/ Nicolas Delaunay, Nico-
las Ponce, Choffard, Simonet, Moreau le
Jeune, etc. On remarque, dans le nombre,
Y Enlèvement, le Jardinier galant, la Fille sur-
prise et querellée par sa mère, le Carquois
épuisé, la Sentinelle en défaut, le Coucher de
la Mariée, les Amants éveillés, l'Epouse indis-
crète, le Confessionnal, etc. Cette dernière
composition, exposée en 1765, fut retirée du
Salon sur la demande de l'archevêque de
Paris. Baudouin ne pouvait suffire aux com-
mandes ; il mourut jeune encore, épuisé a, la
fois, dit-on, par le travail et par le plaisir.
BAUDOUIN (Simon-René), graveur fran-
çais, né en 1723, mort vers 1761. Il entra dans
la carrière militaire, fut nommé lieutenant
des gardes-françaises, puis colonel d'infante-
rie, et reçut la croix de Saint-Louis. Il avait
un goût prononcé pour les arts, et il réunit
une assez belle collection de tableaux. Il pu-
blia, en 1757, un recueil intitulé : Exercice de
l'infanterie française... dessiné d'après nature
dans toutes ses positions (64 pi. in-fol. et deux
culs-de-lampe). Il grava aussi : deux Batailles,
d'après Jos. Parrocel ; les Frileux, d'après
Téniers; le portrait du duc L. de Gontaut-
Biron; divers paysages d'après Molenaer,
Michault, "Wattelet, etc.
BAUDOUIN (François - Jean), imprimeur-
libraire, né à Paris en 1759, mort en 1838.
Elu député suppléant du tiers aux états gé-
néraux , il dut à cette circonstance d'être
nommé imprimeur de l'Assemblée nationale,
privilège qu'il conserva jusqu'en 1809. Il fut
aussi propriétaire du Logoyraphe, journal
dont il envoyait tous les jours le premier
exemplaire à Louis XVI. Il suivit, d'ailleurs,
avec souplesse, les fluctuations de l'opinion, et
s'avança même assez pour être emprisonné,
après le 9 thermidor, sous l'accusat^n de
terrorisme. Mais si sa position l'obligea de se
plier aux circonstances,-il n'en montra pas
moins le caractère le plus généreux, sauva
de la fureur du peuple l'archevêque de Paris,
en 17S9, et fut un des gardes nationaux qui
tentèrent vainement d'arracher Foulon à la
mort. Ayant été chargé, en 1805, de fonder
une imprimerie à Saint-Pétersbourg, il quitta
la Russie en 1809, lors de la rupture de cette
puissance avec la France. Il publia, en 1810,
son Projet de règlement pour l'imprimerie et
la librairie, et fut appelé à, exercer un poste
dans les droits réunis à Groningue, Sous la
Restauration, il obtint un emploi dans les
bureaux de 1 imprimerie et de la librairie, au
ministère de la police, et coopéra à la rédac-
tion des séances de la chambre, dans le Mo-
niteur. Ses fils exercèrent le commerce de la
librairie, et se sont fait connaître par de belles
publications, notamment la collection des mé-
moires sur la Révolution. On doit à Alexandre
Baudouin, qui fut secrétaire de la présidence
de la chambre pendant les Cent-Jours, un
livre intéressant, intitulé : Notice sur la police
de la presse et de ta librairie sous la monar~
chie, la république et l'empire (1852).

BÀUDOUINAGE
s. m. (bô-doui-na-je —
rad. baudouiner). Econ. agr. Accouplement
de baudets.

BAUDOUINER
v. n. ou intr. (bô-doui-né
— rad. baudet). Econ. agr. Se dit de l'âne
qui saillit l'ànesse.

BAUDRAIS
(Jean), littérateur et homme
politique, né à Tours en 1749, mort en 1832.
Etant venu se fixer à Paris en 1769, il fit re-
présenter divers ouvrages dramatiques, pu-
blia dans les recueils littéraires un grand
nombre de morceaux en prose ou en vers, et
fit paraître, en 1782, un poëme héroï-comique,
intitulé la Vanité banne à quelque chose. Par-
tisan zélé des idées glorifiées par la Révolu-
tion, il se jeta avec enthousiasme dans le
mouvement, remplit diverses fonctions, et
reçut, comme commissaire de la commune au
Temple, le testament de Louis XVI, qu'il con-
tre-signa. Envoyé comme juge à la Guade-
loupe en 1797, il se vit, a sa grande .surprise,
placé sur la liste des complices de la conspi-
ration de la machine infernale (1800), bien
qu'il habitât depuis trois ans à 1,500 lieues de
Paris, et fut déporté à Cayenne, où il obtint
cependant les emplois de greffier du tribunal
et de notaire chargé de 1 état civil. Destitué
pour refus de serment à l'empereur, il put se
rendre aux Etats-Unis, y vécut du travail de
ses mains pendant treize années, et revint en
France en 1817. Baudrais y revit d'anciens
collègues plus souples, et qui étaient parvenus
aux plus hautes dignités, et il se contenta de
solliciter son admission à Bicêtre. Il fut em-
porté parle choléra, à quatre-vingt-trois ans.
Après tant de malheurs et d'aventures, il était
resté constant dans ses opinions. Ses princi-
paux ouvrages sont : Etrennes de Polymnie ;
Choix de chansons, etc. (Paris, 1785-1789,
5 vol.) ; et Essai sur l'origine et lesprogrès de
l'art dramatique en France (Paris, 1791,3 vol.).
Il fut un des éditeurs de la Petite Bibliothèque
des théâtres, (1783-1790, 72 vol.).

BAUDRAN
(Barthélémy), jésuite, né vers
1730 à Vienne en Dauphiné, mort à Lyon vers
la fin du siècle. Il a composé un grand nombre
d'ouvrages de piété, qui, pour la plupart, ont
pour titre l'Ame avec diverses qualifications,
comme l'Ame contemplant les grandeurs de
Dieu, l'Ame élevée à Dieu, l'Ame affermie dans
la foi, etc. Il ne signait aucun de ses ouvrages,
qui se trouvaient entre les mains de toutes les
personnes pieuses, et dont plusieurs s'impri-
ment encore de nos jours.
BAUDRAN (Mathieu), homme politique fran-
çais, mort à Vienne en Dauphiné, en 1812.
Avocat à Vienne quand éclata la Révolution,
il fut nommé juge au tribunal de cette ville, et
env.-yé par le département de l'Isère à la
Convention nationale. Il y vota la mort du roi,
sans appel et sans sursis, se rangea, au 9 ther-
midor, parmi les adversaires de Robespierre,
et remplit ensuite une mission pacificatrice
dans l'Ouest. A la séance du 27 germinal,
388
an III, on lut une lettre de ce représentant, an-
nonçant que deux cents soldats de la Répu-
blique avaient mis en fuite quinze cents
chouans. Très-modéré, bien qu'ardent répu-
blicain, Baudran fut chargé d'instruire l'affaire
de Carrier, et il s'éleva avec énergie contre
les atrocités de ce scélérat. A l'expiration de
son mandat, il retourna siéger au tribunal de
Vienne; mais, quelque temps après, il reprit
sa profession d avocat, qu il exerça jusqu'à
sa mort.
BAUDRAN (Auguste-Alexandre), graveur
français contemporain, né à Paris. Il a exposé,
en 1859, plusieurs planches d'animaux d'après
Rosa Bonheur, MM. Mélin et Van.Marcke,
pour Y Atlas de l'histoire des races bovines, pu-
blié par le ministère de l'agriculture; en 1861,
dix gravures d'après les peintures murales
exécutées par M. Claudius Jacquand, dans la
chapelle de la Vierge, à Saint-Philippe-du-
Roule; en 1863, Judas rendant le prix du sang
et un Homme armé, fac-similé de dessins de
Rembrandt; en 1865, la Ronde, fac-similé de
Campagnola, et trois fac-similé d'études d'H.
Flandrin; en 1866, le Christ expirant, d'après
Michel-Ange.

BAUDRAND
(Michel-Antoine), géographe
français, né à Paris en 1633, mort en 17(70.
Elève du collège de Clermont, où il suivit les
leçons du père Briet, Baudrand devint secré-
taire des cardinaux Antoine Barberin et Le
Camus, ce qui lui permit d'assister aux con-
claves de 1655, 1667 et 1691, ou furent nom-
més les papes Alexandre VII, Clément IX et
Innocent XII. Il voyagea beaucoup, et laissa
plusieurs ouvrages de géographie, notamment :
Dictionnaire géographique et historique (Paris,
1705, 2 vol.) ; une édition augmentée de moitié
du Lexicon geographicum^ûe Ph. Ferrarius,
(1670, in-fo); une édition du livre de Papire
Massoa, DescriptiofluminumGalliœ (1688), etc.
BAUDRAND (Marie-Etienne-François-Henri,
comte), général, né à Besançon en 1774, mort
en 1848. Il fit avec distinction les guerres de
la République et de l'Empire, fut directeur des
fortifications de Corfou de 1808 à 1813, chef
de l'état-major du génie de l'armée du nord,
en 1815, avec le grade de colonel, et, après
s'être battu à Mont-Saint-Jean, il suivit l'ar-
mée de la Loire. Nommé général de brigade
en 1821, lieutenant général en 1830, il fut at-
taché à la personne au duc d'Orléans, prit part
avec lui au siège d'Anvers en 1832, fut élevé
à la pairie cette même année, et choisi, en 1838,
pour être le gouverneur du comte de Paris.
Le portrait de ce général, peint par Ary
Scheffer, a été offert au musée de Besancon
par sa veuve, qui s'était remariée avec ^il-
lustre artiste.
Le général est en uniforme, les bras croisés,
tourné à droite et vu à mi-corps. Suivant
M. Clément dé Ris, ce portrait est bien le plus
charmant et le meilleur qui soit jamais sorti
de la brosse d'Ary Scheffer. La tête est un
véritable chef-d'œuvre de vie, de solidité de
ton, de fermeté de touche.

BAUDRICOURT
(Robert DE), bailli de Chau-
mont et capitaine de Vaucouleurs. Ce fut lui
qui adressa Jeanne Darc à Charles VII.
BAUDRICOURT (Jean DE), maréchal de
France, mort à Blois en 1499, était fils du pré-
cédent. Après la mort du roi Charles VII, il
entra dans la ligue du Bien public, et prit
parti pour Charles le Téméraire ; mais il revint
par la suite au service de Louis XI, qui lui
donna le cordon de Saint-Michel, et le chargea,
en 1477, d'une mission diplomatique en Suisse,
où il obtint du gouvernement des cantons une
déclaration par laquelle défense expresse était
faite aux citoyens, sous peine de mort, de porter
les armes contre la France. Nommé, en 1481,
gouverneur de Besançon et de la Bourgogne,
U se rangea, après la mort du roi, dans le parti
de la régente, Anne de Beaujeu, reçut le bâton
de maréchal en i486, et contribua a la victoire
de Saint-Aubin-du-Cormier. Le maréchal de
Baudricourt suivit Charles VIII en Italie, en
1494, et mourut sans postérité.

BAUDRIER
s. m. (bo-dri-é — du v. fr.
baudre, morceau de cuir). Bande ordinaire-
ment do cuir, qui se porte on sautoir, et qui
soutient un sabre ou une ôpée : N'avez-vous un
si beau BAUDRIER d'or que pour y suspendre une
épée de paille? (Alex. Dum.)
Un baudrier noué d'un crêpe tortillé.
REGNARD.
— Astr. Baudrier d'Orion, Etoiles brillantes,
au nombre de trois, disposées en ligne à peu
près droite, dans la constellation d'Orion.
— Bot. Baudrier de Neptune, Nom vulgaire
de la laminaire sucrée, ainsi appelée à cause
de sa longueur et de sa forme aplatie.
— Encycl. L'usage duàaudrier remonte à une
haute antiquité. Virgile raconte qu'Euryale en-
leva h Rhamnès, pendant son sommeil, un
baudrier orné de clous dorés, et qu'Enée re-
connut sur l'épaule de Turnus le baudrier de
Pallas, fils d'Lvandre. On voit aussi des bau-
driers dans les bas-reliefs de la colonne An-
tonine et de la colonne Trajane. Au moyen
âge, les chevaliers en avaient pour soutenir
l'écu sur la cuisse gauche, et aussi quelquefois
Îioui* porter l'épée. L'habit que portaitTurenne,
es jours de combat, était ceint d'une écharpe,
et croisé d'un baudrier semblable à la bandou-
lière de nos suisses d'église. Une ordonnance
de 1676 donna a chaque fantassin un baudrier
ue cuir très-fort, et large de 0 m. 16 à 0 m. 18;
Louis XIV le supprima, mais une ordonnance
de 1779 le fit revivre, en réduisant sa largeur
à 0 m. 05 ; il se composait de trois parties : la
bande, le passant et les boucles. Nos officiers
ont longtemps porté le baudrier par-dessus
l'habit, et c'est pour le retenir sur l'épaule
qu'on a créé l'épaulette et la contre-épaulette.
Il en résultait que l'officier en marche pouvait
rejeter l'épée en arrière, afin qu'elle ne gènâf
pas ses mouvements, et que, lorsqu'il était de
garde, il pouvait se coucher sans quitter l'épée.
Plus tard, nos officiers ne portèrent plus que
des baudriers de dessous, qui ne présentent
aucun de ces avantages.

BAUDRILLART
(Jacques- Joseph), agro-
nome français, né a Givron en 1774, mort en
1832. Fils de simples cultivateurs, il fit partie,
en 1792, du bataillon des Ardennes; entra dans
l'administration de l'armée, qu'il quitta en 1801,
pour entrer l'année suivante dans l'adminis-
tration forestière, où il obtint, en 1819, le grade
de chef de division. On lui doit un grand
nombre d'ouvrages très-estimés, sur la cul-
ture des arbres,les matières forestières, etc.
Les principaux sont : Plantations des routes et
avenues (1809) ; Mémoires sur la pesanteur spé-
cifique des bois, etc. (1815) ; Dictionnaire de la
culture des arbres (1821); Code forestier, avec
un commentaire (1827); Code de la pêche flu-
viale, avec: un commentaire (1829, 2 vol.) ; et
surtout son Traité général des eaux et forêts,
chasses et pêches (1821-1834,10 vol. in-4°), avec
trois atlas, ouvrage qui fait encore aujourd'hui
autorité. On lui doit, en outre, les traductions
de l'allemand de l'Instruction sur la culture
des bois par Hartig, du Manuel forestier par
Burgsdorff, et la publication de deux recueils :
le Mémorial forestier (1801 à 1807, 6 vol.) ; et
le Mémorial forestier (1808-1816).
BAUDRILLART (Henri-Joseph-Léon), éco-
nomiste français, fils du précédent, né à Paris
en 1821, fit d'excellentes études au collège
Bourbon. Plusieurs fois lauréat du grand con-
cours, il préparait son agrégation de philoso-
phie, lorsque la révolution de Février éclata.
Initié aux études ardues, il s'appliqua à la
solution des questions sociales, dont 1848 ve-
nait de soulever le redoutable problème. Elles
ne lui étaient d'ailleurs pas complètement
étrangères, car il avait obtenu, en 1846, le prix
d'éloquence à l'Académie française pour son
Eloge de Turgot, ouvrage dans lequel la gra-
vité du fond était habilement voilée sous l'élé-
gance de la forme.*
Bien que doué d'un talent littéraire reconnu,
il sembla se trouver dans son élément dès qu'il
eut abordé les questions d'économie politique,
et Use distingua dans cette branche de connais-
sances d'une manière si spéciale, qu'en 1850
M. Michel Chevalier le désigna comme le plus
digne de le suppléer dans sa chaire au Collège
de France. Malgré le peu d'ornements que
comporte le développement de semblables ma-
tières , il sut rendre son enseignement at-
trayant, en le relevant par les grâces d'une
diction claire et élégante. Lorsqu'en 1855, le
départ de M. Joseph Garnier laissa vacante la
place de rédacteur en chef du Journal des
Economistes, elle lui fut offerte, et il s'y établit
assez solidement, pour qu'on ne regrettât pas
trop vivement son prédécesseur.
En 1856, M. Henri Baudrillart épousa la fille
de M. Silvestre de Sacy, et son beau-père,
heureux de pouvoir légitimer le népotisme par
le talent de son gendre, le fit admettre au
nombre des rédacteurs des Débats. Cette fa-
veur était méritée, car, depuis longtemps, le
nouveau venu avait fait ses preuves et terminé
son noviciat; il était passé maître.
Professeurau Collège de FVance, possesseur
de deux organes de publicité fort accrédités à
l'âge de trente-cinq ans, M. Baudrillart n'a
cessé depuis ce jour-d'augmenter par de re-
marquables travaux sa réputation d'habile
économiste, marchant sur les traces de
MM. Say et Edouard Laboulaye. Plusieurs^
fois, l'Académie a couronné ses œuvres. Son"
étude sur Jean Bodin et son temps (1853), ta-
bleau des théories politiques et des idées éco-
nomiques du xvic siècle, qui se recommande
far la solidité de l'érudition et l'exactitude do
analyse, lui valut le grand prix Montyon. La
même distinction fut accordée plus tard à son
Manuel d'économie politique (1857), ouvrage
très-estimé. M. Baudrillart a vu couronner suc-
cessivement, par l'Académie française et par
l'Académie des sciences morales et politiques,
se^s leçons du Collège de France, qu'il avait
reunies* sous le titre de : Rapports de la mo-
rale et de l'économie politique (1860), deux
sciences essentiellement et étroitement liées
l'une à l'autre.
Chargé de traiter, dans le Journal des Débats,
toutes les questions relatives à l'économie po-
litique, il s acquitte de cette tâche en homme
qui possède parfaitement son sujet. Nul écri-
vain n'a mieux apprécié la question du libre
échange, qu'il a puissamment contribué à po-
pulariser.
M. Baudrillart se délasse de ses graves et
sérieux travaux, par de fréquentes excursions
dans le champ de la littérature. Sous le titre de
Variétés, il a publié une série d'articles sur
MM. Royer-Collard, Cousin, Maine de Biran,
etc., études réunies en volume sous le titre de
Publicistes modernes (1862). Il a donné a la
Revue des Deux-Mondes' quelques comptes
rendus bibliographiques.
Comme écrivain, M. Henri Baudrillart se
distingue par la clarté qu'il a su répandre sur
les questions si obscures de l'économie poli-
tiques, par l'élégance et l'ampleur de son style.
On pourrait désirer de trouver dans ses articles
un peu plus d'abandon, une plus grande viva-
cité d'allure, surtout pour les sujets littéraires ;
mais il est naturel qu'un esprit toujours préoc-
cupé des problèmes les plus ardus ne puisse
pas revêtir subitement une physionomie riante
et badine. L'habitude de la réflexion commu-
nique une certaine lenteur au style; aussi,
M. Baudrillart sait mieux creuser un sillon"
qu'effleurer un sujet.
Depuis longtemps, dès la mort de M. de
Tocqueville, l'Académie des sciences morales
avait réclamé M. Baudrillart comme sien, se
distinguant de l'Académie française en ce point,
qu'en fait de titres, elle n'a d'égard qu'aux
titres scientifiques. Il était juste qu'un écrivain
accoutumé aux couronnes académiques fût
appelé à les décerner à son tour.

BAUDRIMONT
(Alexandre-Edouard), chi-
miste, né à Compiègne en 1806. Il est aujour-
d'hui professeur de chimie à la faculté des
sciences de Bordeaux. Ses principaux ou-
vrages sont : Introduction à l'étude de la chi-
mie par la théorie atomique (1834) ; Du sucre
et de sa fabrication (1841); Traité de chimie
générale et expérimentale (1845) ; De l'exis-
tence descourants interstitiels dans le sol arable
(1851) ; et une grande quantité d'articles dans
les recueils scientifiques, etc.

BAUDROIES
f. (bo-droî — dufr. baudrier).
Ichthyol. Genre de poissons acanthoptéry-
giens; à pectorales pédiculées, remarquable
Sar la grosseur de leur tête et la grandeur
e leur gueule.
— Encycl. La baudroie est un poisson de
grande taille, il atteint jusqu'à 1 m. 70 de lon-
gueur ; il est remarquable aussi par sa confor-
mation bizarre et par sa voracité. Il appartient
à l'ordre des acanthoptérygiens, famille des
pectorales pédiculées, et présente les carac-
tères suivants : tête énorme, déprimée, épi-
neuse ; gueule très-fondue, armée de dents sur
les mâchoires, les palatins et le vomer; ab-
sence de sous-orbitaire; six rayons à la mem-
brane branchiostége, recouvrant trois arceaux
branchiaux ; deux dorsales. Les branchies
n'ont que trois feuillets seulement de chaque
côté, tandis que les autres acanthoptérygiens
en ont quatre. La baudroie se tient ordinaire-
ment sur le sable, ou s'enfonce dans la vase, et
elle fait flotter au-dessus les longs filets armés
de pelotes charnues,qui garnissent sa tête ; ces
pelotes servent d'appât pour attirer les petits
poissons, qu'elle engloutit dans sa gueule. Elle
est douée d'une grande force et peut vivre
longtemps hors de l'eau. Rondelet affirme
qu'une baudroie, abandonnée pendant deux
jours dans les herbes du rivage, saisit la patte
d'un jeune renard, qui ne put se dégager
qu'avec beaucoup de peine. Parmi les espèces
qui habitent nos mers, nous citerons la bau-
droie commune, appelée aussi raie pécheresse
et diable de mer (lophiuspiscatorius de Linné),
et la baudroie a petites nageoires (lophius
paroipennis de Cuvier).

BAUDRON
(Antoine-Laurent), premier vio-
lon du Théâtre-Français, né à Amiens en
1743, mort en 1834. Elève de Gavinês pour le
violon, il fut admis à l'orchestre du Théâtre-
Français en 1763, et devint le chef de cet or-
chestre en 1766. C'est lui qui composa la
nouvelle musique du Pygmalioft de J.-J. Rous-
seau et les airs du Mariage de Figaro, à
l'exception du vaudeville final, qui est-de
Beaumarchais. Baudron écrivit, en outre, un
grand nombre de morceaux, et la musique du
troisième acte à'Athalie, remplacée tout ré-
cemment par la symphonie avec chœurs écrite
par M. Jules Cohen, pour ajouter à la pompe
de cette tragédie. Les ouvrages de Baudron
n'ont pas été publiés.

BAUDROYER
v. a. ou tr. (bô-droi-iô — du
v. fr. baudre, morceau de cuir). Corroyer,
li V. mot.

BAUDROYEUR
s. m. (bô-droi-ieur — rad.
baudroyer). Corroyeur. Il V. mot.

BAUDRUCHE
s. f. (bô-dru-che — du v. fr.
baudre, morceau de cuir). Pellicule mince et
légère, qu'on fabrique avec le cœcum du bœuf
et du mouton, et qui est spécialement em-
ployée par les batteurs d'or : Une feuille de
BAUDRUCHE. Un petit ballon en BAUDRUCHE. Il
On l'appelle peau divine, lorsqu'on l'emploie
pour la guérison des coupures.
— Encycl. V. BATTEUR D'OR.

BAUDRUCHEUR
s. m. (bô-dru-chour —
rad. baudruche). Techn. Ouvrier batteur d'or,
qui emploie la baudruche : Les ouvriers se
divisent en mouleurs, BAUDRUCHEURS et fon-
deurs. (Vinçard.)
BAUDRY. V. BALDÉRIC

BAUDRY
(Paul-Jacques- Aimé), peintre
français, né a Napoléon-Vendée en 1828, vint
étudier à Paris aux frais de sa ville natale,
entra dans l'atelier du classique Drolling, et
remporta, en 1850, le premier grand prix de
Rome : le sujet du concours était Zénobie re-
trouvée sur les bords de l'Araxe. Pendant son
séjour à la villa Médicis, le jeune artiste se
livra à l'étude approfondie des chefs-d'œuvre
de l'art italien. Parmi les envois qu'il fit de
Rome, on remarqua, en 1855, une excellente
copie de la Jurisprudence de Raphaël, et une
petite esquisse originale, pleine de promesses,
représentant César mort au pied de la statue
de Pompée. Mais ce fut par son envoi de der-
nière année (1857) que TvL Baudry commença
à attirer sérieusement l'attention du public;
cet envoi se composait de deux tableaux
le Supplice d'une vestale et la Fortune et te
jeune enfant, qui ont pris place l'un et l'autre
au musée du Luxembourg, après avoir été
exposés au Salon de 1857. Indépendamment
de ces deux ouvrages, qui furent très-applau-
dis, mais où la critique signala néanmoins des
imitations trop peu déguisées de certains
maîtres italiens, M. Baudry exposa une Léda,
inspiration gracieuse et originale, d'une cou-
leur très-séduisante; un Saint Jean-Baptiste
enfant, et un très-beau portrait de M. Beulé.
A propos de cette brillante exposition, qui
valut a l'artiste une médaille de lre classe,
M. Maxime du Camp écrivit les lignes sui-
vantes dans la Revue de Paris : « M. Baudry
a certaines vertus innées, qui font les bons
peintres et leur permettent, par le travail et
la réflexion, de devenir grands artistes. Mieux
que personne, il possède la valeur des tons,
1 harmonie générale, le charme des colora-
tions, et ce je ne sais quoi de doux et d'at-
trayant, qui est comme l'émanation spéciale
d'une âme s'interprétant elle-même. A côté de
ces qualités, qui, seules, suffiraient à le placer
hors du vulgaire, il a quelques défauts, que sa
jeunesse explique amplement. Le jour ou il se
sera complètement assimilé les maîtres, le
jour où l'étude sérieuse qu'il en a faite sera
en lui à l'état d'expérience, et non plus de ré-
miniscence, nous aurons un véritable artiste,
propre aux grandes conceptions de l'espvit et
aux exécutions savantes de la main. »
Au Salon de 1859, M. Baudry soutint faible-
ment sa réputation naissante : il exposa une
Madeleine pénitente, figure mollement peinte,
et d'un caractère plus mondain que religieux,
et une Toilette de Vénus, composition d'un
coloris agréable, mais d'une élégance mêlée
d'afféterie ; il fit preuve d'un talent plus ferme,
plus mâle dans ses portraits de M. le baron
Jard-Panvillier, de M. de Vilgruy, de Mme de
L.-B., et surtout dans une délicieuse tète
d'enfant, Guillemette, esquisse puissante, rap-
pelant, par le charme de la couleur et de
l'expression, la célèbre infante de Velasquez.
Pour répondre à ceux qui lui reprochaient de
ne pas avoir encore produit d œuvres bien
personnelles, M. Baudry peignit et exposa, en
1861, Charlotte Cordny venant de tuer Marat,
peinture fort discutée et très-diversement
appréciée par les critiques parisiens, mais qui
fut, sans contredit, le tableau le plus populaire
du Salon. Il envoya, en outre, deux tableautins
d'une grande finesse de coloris, Cybèle et
Amphiti'ite, esquisses des décorations exécu-
tées par lui dans le salon deM«ie la comtesse
de NadUlac; le portrait du Fils de madame la
comtesse Swieytowska en petit saint Jean, toile
des plus séduisantes; un portrait magistral de
M. Guizot, et trois autres portraits d'un mérite
secondaire, ceux de M. le baron Charles Du-
pin, de Mlle Madeleine Brohan et de M. le
marquis B.-C. delà F. M. Baudry obtint un
rappel de médaille de lrc classe et fut décoré
à la suite de cette exposition. Toutefois, loin
- de se faire illusion sur le succès de sa Char-
lotte Corday, il comprit qu'il ne possédait pas
les qualités requises pour l'expression des
hautes passions du drame, et il en revint aux
sujets de la Fable, dans lesquels il lui était
permis de déployer toutes les séductions de sa
brillante manière. Son principal tableau du
Salon de 1863, la Perle et la Vague, une femme
, nue couchée au bord de la mer, montra, sui-
vant un critique, « jusqu'où l'on peut arriver
lorsque, ne cherchant que la grâce, on ne sait
pas la contenir dans les limites au delà des--
quelles elle change de nom. » Cette Océanide,
aux yeux brillants et limpides, au torse vo-
luptueusement arrondi, obtint un grand succès
près de certains amateurs; mais des critiques
sévères blâmèrent, dans cette figure, le défaut
de style, la mollesse du modelé, la couleur
plâtreuse des carnations. On reconnut du moins
les qualités du coloriste, sa facilité étonnante,
son habileté, son esprit dans le portrait do
M. Giraud et dans celui de Mme E-
M. Baudry n'a pas exposé au Salon de 1864 ;
il a envoyé a celui de 1865 une Diane chassant
à coups de gaule un Amour, qui est venu es-
sayer contre elle la vigueur de ses traits,
composition d'une jolie couleur, mais d'une
élégance un peu affectée, et un excellent petit
portrait d'homme peint dans la manière d'Hol-
bein. Ces deux ouvrages, malgré leur mérite,
n'ont assurément rien ajouté à la réputation
de (M. Baudry ; on attend encore que cet ar-
tiste, qui s'est placé, dès son début, parmi le$
maîtres de notre école contemporaine, réalise
les grandes espérances qu'avaient fait conce-
voir la léda et la Fortune; il ne suffit pas, en
effet, qu'il se maintienne a la hauteur de ces
premières œuvres, auxquelles on a donné
d'autant plus d'éloges qu'on les savait être do
la main d'un élève; le public, qui lui a fait si
bon accueil, et les nombreux admirateurs de
son talent sont en droit de lui demander da-
vantage; il faut qu'il renonce aux puérilités
de la peinture erotique, dans lesquelles son
pinceau finirait par s'affadir et s'énerver, et
qu'il s'efforce d atteindre aux grandes con-
ceptions, au grand art : il est assez jeune
encore, et il a assez de qualités pour y pré-
tendre.
Au moment où nous écrivons ces lignes, le
Salon de 1866 est ouvert au public. C'est avec
le plus grand regret que nous y constatons
l'absence de M. Baudry. Les nombreux tra-
vaux décoratifs dont cet artiste a été chargé
389
dans ces derniers temps ne lui ont sans doute
pas laissé le temps de peindre pour l'exposi-
tion. C'est à lui qu'a été confiée la décoration
du foyer du nouvel Opéra. Parmi les peintures
décoratives qu'il a déjà exécutées, outre celles
du salon de Mme la comtesse de Nadillac, nous
citerons : les Douze dieux, avec des groupes
d'enfants portant leurs attributs; Venus et
Diane ( dessus de porte ), dans l'hôtel de
M. Achille Fould (1861); cinq tableaux pour
dessus de portes : Rome, Venise, Gênes, Na-
ît les et Florence, dans le grand salon de
l'hôtel du duc de Galliera (1802); cinq tableaux-
cartons pour tapisseries, représentant les cinq
sens, en voie d'exécution aux Gobelins, pour
le palais de l'Elysée, etc.
BAUDRY D'ASSON (Antoine), théologien
français, mortà Paris en 1668. Issu d'une très-
ancienne famille du Poitou, il y possédait
un prieuré, lorsque, entraîné par ses convic-
tions jansénistes, il vint se retirer, en 1647, à
Port-Royal-des-Champs. Après la suppression
de ce monastère, en 1662, il alla demeurer près
de Popincourt, où il termina sa vie. On lui attri-
bue divers écrits, notamment : Placet pour les
abbesse, prieure et religieuses de Port-Royal
(1664) ; Lettre à la mère Dorothée (1667) ; Let-
tre au P. Annat, jésuite, etc. ; et une part de
collaboration dans l'ouvrage intitulé Morale
pratique des jésuites.
.BAUDRY D'ASSON (Gabriel), chef vendéen,
né près de la Châtaigneraie vers 1755, mort
en 1793, appartenait à la famille du précédent.
Il avait quitté le service militaire avant la
Révolution, et vivait à sa terre de Brachain,
lorsqu'il fut nommé, en 1789, commandant de
la garde nationale de son canton. En 1792,
lors des premiers mouvements insurrection-
nels, il se mit à la tête des paysans, s'empara
de Châtillon, attaqua Mortagne, mais fut dé-
fait, et vécut six mois caché dans un souter-
rain. Lors de la grande explosion vendéenne,
en mars 1793, il reparut à la tête de nouvelles
bandes, commanda une division de l'armée du
centre, figura avec éclat dans plusieurs affai-
res, et fut tué à la bataille de Luçon. — Son
frère, Esprit BAUDRY, servait dans les rangs
républicains, et l'on prétend que les hasards
de la guerre les mirent souvent en présence.
Son fils fut tué à la bataille du Mans, et l'un
de ses parents signa le traité de paix de la
Jaunaye, en 1795.
BAUDRY DES LOZIERES (Louis-Narcisse),
voyageur et littérateur français, né à Paris en
1761, mort en 1841. Il fut successivement
avocat, colonel inspecteur des dragons à
Saint-Domingue, et conseiller au Port-au-
Prince. A son'retour en-France, il entra dans
les bureaux de la marine, et devint historio-
graphe de ce ministère. Il fut grand admira-
teur de Napoléon, et il a publié plusieurs ou-
vrages dont le but était surtout d affirmer son
admiration, notamment : Aithès ou le Héros
chéri des dieux, une des plus anciennes histoi-
res imitées des Grecs, contenant les hauts faits
d'un grand homme, son enfance, ses plaisirs, sa
politique, SOJI élévation et la récompense de ses
vertus (Paris, 1804, 2 vol. in-12). Ainsi qu'on
le devine, le héros de ce livre, était Napoléon.
Baudry des Lozières, malgré ses intentions
peu douteuses, fut moins heureux avec les
Soirées d'hiver du faubourg Saint-Germain
(Paris, 1809, in-S°), ouvrage qui fut saisi par
la police impériale, à cause de la préface, où
l'auteur n'avait pas craint de donner son opi-
nion sur la conscription. Il a écrit aussi la re-
lation de ses Voyages à la Louisiane. .
Baudry (JEAN), drame en quatre actes et en
prose, par M. Auguste Vacquerie, représenté
f>our la première fois sur le Théâtre-Français
e 19 octobre 1863. Jean Baudry, riche négo-
ciant du Havre, se trouvait un jour au milieu
d'une foule, quand, en se retournant, il saisit
une main qui laissa tomber son portefeuille.
C'était la main d'un enfant en guenilles, mai-
gre et chétif. Au lieu de livrer le voleur à la
justice, Baudry l'emmena chez lui et se voua
à la rédemption de cette âme si jeune et déjà
pervertie. Il la purifia par l'affection, et l'enno-
blit si bien par l'étude, que, onze ans après, le
jeune Olivier était devenu un homme, un être '
moral, et qu'il put entrer dans la vie, l'âme en-
tourée de cette triple armure qui s'appelle
l'instruction. C'est à ce moment que s'engage
l'action, et, dès le premier acte, qui se passe à
Paris, nous connaissons déjà 1 amour d'Oli-
vier pour Andrée, la fille d'un riche armateur
du Havre, M. Bruel, intime ami de Jean Bau-
dry. Mais Olivier s'irrite contre sa pauvreté,
qui ne lui permet pas d'être heureux en épou-
sant celle qu'il aime ; il lance des imprécations
contre l'or, son rival, et il se décide à deman-
der au jeu la fortune, que sa profession lui
ferait attendre trop longtemps. En vain, Jean
Baudry s'oppose de toutes les forces de son
affection à un projet aussi insensé; ni ten-
dresse ni sévérité n'obtiennent rien de cette
âme en proie à la tentation, et, le soir même,
le malheureux doit jeter sur une carte ou sur
un dé une somme de 20,000 francs qu'il a em-
pruntée à un usurier. Mais une fatale nou-
velle arrive à Bruel. Un sinistre maritime l'a
complètement ruiné; il faut qu'il-retourne en
toute hâte au Havre, car il ne s'agit de rien
, moins que d'une faillite. Heureusement, Jean
Baudry est là, et propose à Bruel de partager
sa fortune. Le négociant ne veut pas ac-
cepter un bienfait dont il ne peut espérer, dé-
sormais, de pouvoir jamais s'acquitter; alors,
Jean Baudry lui demande la raain d'Andrée.
Il a toujours aimé la fille de Bruel, mais il ne
s'était jamais déclaré, par une sorte de pudeur
naturelle à un homme de quarante-six ans en-
vers une jeune fille : ce mariage forcera Bruel
à accepter les moyens de parer aux désastres
qui le menacent. Celui-ci accueille avec re-
connaissance la demande que lui fait son ami ;
quant à Andrée, bien que, dans son cœur, ce
soit Olivier qu'elle aime, elle n'a pas le droit de
repousser l'offre généreuse que lui fait un
'homme loyal et sincère; et d'ailleurs, le salut
de son père en dépend; elle n'hésite donc pas
à accepter la main de Jean Baudry : « Il me
semble que tous les jeunes gens vont être
jaloux de moi, - s'écrie alors celui-ci, sans se
douter qu'en effet, il a déjà un rival auquel il
devra disputer son bonheur, et que ce rival
s'appelle Olivier. En effet, averti de la ruine
d'Andrée, Olivier^st venu en toute hâte au
Havre, sûr, désormais, d'obtenir ce que sa
pauvreté lui eût fait refuser auparavant. Mais
Andrée lui apprend ce qu'elle a fait au nom
du bonheur de son père; alors reparaît, dans
toute son âpreté sauvage, la nature ingrate et
encore mal redressée d'Olivier. Il s'indigne
contre son bienfaiteur; il le méconnaît, et ose
blasphémer contre son nom. Cependant, il
promet de se contenir; mais un quiproquo ré-
vèle bientôt à Jean Baudry la rivalité de son
fils adoptlf. Quoi 1 celui qu il a sauvé de l'ab-
jection- et de la honte, alors qu'il voulait lui
voler son or, a-t-il donc le droit de lui voler
son bonheur? Le pauvre homme se révolte à
cette pensée, et enjoint à Olivier de retourner
à Pans. « Ah ! l'on me chasse, » dit Olivier, en
qui le naturel revient alors plus brutal que
jamais! A l'instant même, son'parti est pris.
Il s'en ira ; mais auparavant il veut voir encore
Andrée et lui parler. Il lui ordonne de l'at-
tendre chez elle à minuit, et de lui ouvrir sa
porte; mais Andrée, effrayée, confie ses pres-
sentiments à Jean Baudry, et lorsque, la nuit
venue, Olivier arrive, comme un voleur, frap-
per à la porte d'Andrée et la sommer de lui
ouvrir, c'est Jean Baudry qui lui apparaît,
pour l'accabler du souvenir des bienfaits dont
il l'a comblé. Il lui reproche amèrement d'être
venu le dépouiller, la nuit, de la seule joie
qui souriait encore à son existence : « Misé-
rable, mi dit-il, tu viens lutter avec ton pro-
tecteur. Soit; luttons. Mais viens avec ta
jeunesse toute seule; commence par ôter cet
habit qui m'appartient et par remettre tes
guenilles ; et nous verrons si mes rides ne va-
lent pas tes haillons. » A cette insulte/Olivier
bondit sur son père adoptif : Jean Baudry,
impassible, croise les bras etle regarde. Alors,
cette nature abrupte se retourne brusquement
vers le bien et s'humilie. Olivier n'implore pas
son pardon; il n'en veut pas. Ce qu'il lui faut,
c'est une expiation, et il attend l'arrêt qui
décidera de son sort. Mais Baudry n'a pas été
sans s'apercevoir qu'Andrée aime Olivier,
bien qu'elle se le cache à elle-même; aussi
son sacrifice est-il résolu. Il quittera cette
maison, pour n'y plus rentrer jamais, et il ira
traîner son cœur vide "dans le monde désert.
Le paquebot va partir; le moment des adieux
est arrivé; il veut prendre la main d'Andrée
pour la mettre dans celle d'Olivier; mais Oli-
vier s'arrache par la fuite à un bienfait aussi
écrasant.
Jean Baudry est la première victoire que
M. Auguste Vacquerie ait remportée au théâ-
tre, victoire d'autant plus éclatante que les
précédents échecs avaient été plus bruyants.
Ses.caractères sont tracés de main de maître,
et l'écrivain a su les amener jusqu'à l'extrême
limite de l'idéal, sans les faire tomber dans
l'invraisemblance ou le surhumain. Certes,
les Jean Baudry sont rares; tant de vertu,
d'amour, de dévouement et d'abnégation sont
difficilement rassemblés dans un homme; mais
M. Vacquerie a eu soin de ne pas en faire un
modèle d'infaillibilité impossible ; Jean Baudry
n'est étranger à rien d'humain, et c'est préci-
sément ce qui nous le fait aimer. Quant à
Olivier, c'est le caractère le plus profondé-
ment fouillé qui soit dans la pièce. Il est vrai
de tous points, et il faut savoir gré à M. Vac-
querie d'un dénoûment qui laisse dans le
cœur plus de pitié que de haine pour cet être
sauvage, que l'éducation n'a pu amender
complètement. Andrée et son père sont des
ombres au tableau, qui le mettent en lumière"
et le font habilement ressortir II n'est pas
enfin jusqu'à la vieille tante, dont les inno-
centes manies ne nous intéressent, en nous
reposant des grandes passions qui agitent les
autres personnages.

BAUDUEN,
en latin Bauduenyium, village
et commune de France (Var), canton d'Aups,
arrond. et à 42 kil. N.-O. de Draguignan, sur
la rive gauche du Verdon; 772 hab. Ce vil-
lage, autrefois station romaine, porte encore
les traces de l'ancienne civilisation latine ; sur
le territoire de la commune, on trouve des
vestiges d'une voie romaine, qui allait de Fré-
jus à Riez. Près de Bauduen, le Verdon coule
dans une gorge étroite, coupée à pic, et sur
laquelle on voit les restes d'un pont romain;
à peu de distance de ces ruines, naît la fon-
taine de l'Evêque, dont les eaux abondantes
font mouvoir plusieurs moulins et vont se
perdre dans le Verdon. Cette source débite
près de 5 mètres cubes d'eau par seconde.

BAUDUER
(Gilles-Arnaud), théologien fran-
çais, né à Peyrusse-Massas, près d'Auch, en
1744, mort en 1787. Il étudia avec ardeur la
langue hébraïque, et donna une version fran-
çaise des Psaumes (Paris, 1783, 2 vol. in-12).
Ce théologien entreprit aussi la traduction du
Cantique des cantiques et de quelques autres
livres du Nouveau et de l'Ancien Testament,
travail qui resta inachevé. Il a laissé un cu-
rieux Traité, en forme de conférence, où l'on
discute si l'Église pourrait aujourd'hui, sans
inconvénient, faire l'office divin en langue vul-
gaire.

BAUDUIN
(Dominique), prêtre de l'Ora-
toire, né à Liège en 1742, mort en 1809. Il fut
longtemps professeur d'histoire à Maastricht.
Ses principaux ouvrages sont : Essai sur l'im-
mortalité de l'âme (Dijon, 1781), réimprimé en
1805, à Liège, sous ce titre : De l'immortalité
de l'homme, ou Essai'sur l'excellence de sa
nature (Liège, 1805, in-12); la Religion chré-
tienne justifiée au tribunal de la politique et
de la philosophie (Liège, 1788 et 1797, in-12);
Discours sur l'importance du ministère pasto-
ral, etc.

BAUDUINS
(Adrien-François).V. BAUDOUIN.

BAUDUS
(Jean-Louis-Amable DE), publi-
ciste français, né à Cahors en 1761, mort à
Paris en 1822. Avocat du roi au présidial de
Cahors, lors de la publication des fameuses
ordonnances de 1788, il se refusa à leur enregis-
trement et se prononça pour les parlements ;
cette conduite lui valut, malgré sa jeunesse,
dès les premiers jours de la Révolution, la
place de procureur général syndic du dépar-
tement du Lot. Mais, ayant refusé d'appuyer
l'obligation qu'on fit aux ecclésiastiques de
prêter serment à la constitution civile du
clergé, il donna sa démission et émigra en
1791. Baudus fit avec l'armée des princes la
campagne de 1792, se fixa à Hambourg et y
fonda le Spectateur du Nord, une des feuilles
les plus réactionnaires du temps. Cependant,
lorsque la puissance de Bonaparte sembla
définitivement assise, malgré les articles
plus que violents que Baudus avait écrits
contre le premier consul, il demanda à ren-
trer en France, ce qu'on ne lui accorda
3u'en 1802. Nommé archiviste du ministère
es affaires étrangères, il fut appelé, en ISOSj
à Naples, par. le roi Murât, qui voulait lui
confier l'éducation de son fils. On raconte, à
ce sujet, que l'empereur, dont l'excellente
mémoire conservait toujours le nom de ceux
qui l'avaient offensé, ne voulut y consentir
qu'à la condition expresse que Baudus ne
prendrait pas le titre de gouverneur des en-
fants du roi de Naples. En apprenant la pre-
mière abdication de Napoléon, en 1814, et le
retour des Bourbons à Paris, Baudus s'em-
pressa de s'y rendre. Lors de la seconde
restauration, bien que royaliste exalté, il prit
une part active à l'évasion de Lavalette, en-
fermé à la Conciergerie, en juillet 1815, et
avec lequel il s'était lié en Allemagne. Ce fut
lui qui, la veille du jour fixé pour l'exécution,
attendit le fugitif au moment où il s'échappait
de la prison, Te fit entrer dans sa chaise à por-
teurs, le conduisit jusqu'à un cabriolet, dont le
cocher était un ami déguisé, et le remit, après
une course rapide, entre les mains de Bresson,
chef de division au ministère des affaires
étrangères, qui le cacha dans le ministère
même jusqu'au 9 janvier 1816, c'est-à-dire
pendant dix-huit jours. Attaché quelque temps
*après à ce même ministère, Baudus fut chargé
d'une mission en Allemagne et en Suisse, puis
mis à la tête d'un bureau établi pour exercer
la censure sur les journaux étrangers et les
nouvelles politiques extérieures, afin d'exa-
miner s'il convenait de les laisser se répandre
en France. Lorsque le duc de Richelieu reprit
le ministère, après l'assassinat du duc de
Berri, Baudus accepta une part dans la cen-
sure des écrits périodiques à l'intérieur;
mais, dans cette fonction si profondément anti-
libérale, il ne tarda pas à être violemment
attaqué, et l'on prétend que les attaques dont
il devint l'objet abrégèrent sa vie.

BAUER
(Adolphe-Félix), général au service
de la Russie, né dans le Holstein vers 1667,
mort vers 1717. Il combattit d'abord avec dis-
tinction dans les rangs de l'armée suédoise,
puis passa en 1700 dans celle de Pierre le
Grand, à qui il rendit les plus signalés services
dans la guerre que ce prince soutint contre
Charles XII. Il contribua à la prise de Marien-
bourg, s'empara de Mittau en 1705, et, l'année
suivante, de concert avec Mentschikoff, vain-
quit les Suédois à Kalisch, en Pologne. A
Pultava (1709), il commanda l'aile gauche de
l'armée. Il apporta de grands perfectionne-
ments à la cavalerie russe.
BAUER (Chrysostome), habile facteur d'or-
gues, qui vivait dans le "Wurtemberg au com-
mencement du xvin« siècle. Il est connu par
le perfectionnement qu'il apporta dans le mé-
canisme de l'orgue. Aux petits soufflets qu'on
multipliait pour augmenter la sonorité, il sub-
stitua les grands soufflets. Son invention fut
mise en pratique, pour la première fois, lorsque
fut réparé l'orgue de la cathédrale d'Ulm, où
il remplaça par huit soufflets de grande force
les seize soufflets anciens, qui avaient tou-
jours été insuffisants.
BAUER (Jean-Jacob), libraire allemand, né
à Strasbourg en 1706, mort en 1772 à Nurem-
berg, ou il exerça sa profession. On lui doit
un ouvrage intéressant pour les bibliophiles :
Bibliotheca librorum rariorum universalis (Nu-
remberg, 1770-1772), auquel Will et Humell
ont ajouté deux 'volumes de supplément en
1778, augmentés d'un troisième en 1791.
BAUER (Charles-Louis), philologue alle-
mand, né à Leipzig en 1730, mort en 1799.
Elève du célèbre Ernesti, il étudia à fond les
langues anciennes, surtout le latin; professa
la littérature classiaue, et devint, en 1766,
recteur du gymnase de Hirschberg, en Silésie.
On a de lui, outre un grand nombre de disser-
tations, des ouvrages de philologie estimés :
Glossarium Theodoreteum (Halle, 1769); Ex-
cerpta Liviana,(1801) ; Dictionnaire allemand-
latin, etc.
BAUER (Ferdinand), peintre autrichien, \\à
à Feldsperg en 1744, mort en 18?G. Porté par
ses goûts vers l'étude de la nature, Bauer,
tout jeune encore, se mit à dessiner et à
peindre des fleurs et des plantes, dont l'en-
semble formait, en 1782, soixante volumes
in-folio, achetés par le prince de Lichtenstein.
Ayant accompagné en Grèce le docteur Sib-
thorp, en 1787, il y dessina les magnifiques
planches qui ornent la Flora grœca, publiée par
Smith; puis il fit partie de l'expédition en Aus*
tralie du capitaine Flinders, expédition à la-
quelle on doit-le plus bel ouvrage de Bauer :
lllustrationes florœ Novœ HollandiUb (Londres,
1813, in-fol.).
BAUER (Georges-Laurent), antiquaire alle-
mand, né à Heidelberg en 1754, mort en 1806.
Successivement professeur de morale et de
littérature orientale à Altdorf, en Bavière, et
de théologie à Heidelberg, Bauer se livra pen-
dant toute sa vie à l'étude des antiquités bi-
bliques. On a de cet infatigable travailleur un
grand nombre d'ouvrages d'exégèse, de théo-
logie, de grammaire, dont M. Mensel a donné
la longue liste dans son Gelchrte Teutschland.
BAUER (Antoine), jurisconsulte allemand,
né à Marbourg en 1772, mort en 1843. Après
avoir été professeur de droit à Goettingue, il
devint conseiller de justice. Après 1813, il fit
partie de la commission chargée de rédiger
les projets de code pénal et d'instruction cri-
minelle. Il est auteur de plusieurs ouvrages
de droit, et7 entre autres, d'un Manuel de droit
naturel, ou les principes sont traités d'une
manière toute philosophique.
BAUER (Bruno), critique, historien et philo-
sophe allemand, né à Eisenberg dans le duché
de Saxe-Altenbourg, le 6 septembre 1809.
Après avoir fait ses études à l'université de
Berlin, il fut reçu docteur en théologie en
1S34. Disciple de Hegel, il sembla d'abord
poursuivre la conciliation de la philosophie et
de la théologie. C'est la pensée qu'on voit
dominer dans ses premières œuvres : Critique
de la Vie de Jésus de Strauss, publiée dans les
Annales de critique scientifique de Berlin (1835-
1836) ; Journal de théologie spéculative (1838) ;
Exposé critique de la religion de l'Ancien Tes-
tament (1838). En 1839, il fut nommé profes-
seur à Bonn (Prusse Rhénane). Ses études
bibliques et la nature de ses doctrines et de
son esprit, en l'engageant de plus en plus dans
une voie qui aboutissait à la négation radicale
de tout christianisme et de toute théologie, ne
devaient pas tarder à amener la rupture de cette
attache officielle. Devenu un des chefs de la
jeune école hégélienne, il avaitfait paraître suc-
cessivement : le Docteur Hengstenberg (1839);
l'Eglise évangélique de la Prusse, et la science
(1840) ; Critique des faits contenus dans l'Evan-
gile de saint Jean (1840) ; Critique de l'histoire
évangélique des synoptiques (1841), lorsque
l'autorité, émue de la hardiesse de ses néga-
tions, lui interdit de faire son cours (1842). Il
se retira alors à Berlin, et rompit d'une ma-
nière éclatante avec l'Eglise de son pays, en
publiant: la Question de Ta liberté et ma propre
affaire (1843). Le gouvernement suisse fit
saisir,,avant l'impression, son Christianisme
dévoilé (Zurich, 1843), où il résumait ses opi-
nions sur la religion, et qu'il avait fait pré-
céder de deux pamphlets : Hegel l'athée et les
trompettes du Jugement dernier, et la Théorie
de Hegel sur l'art et la religion.
A partir de 1843, nous voyons M. Bruno
Bauer aborder la politique et 1 histoire, en une
suite d'ouvrages qui ne manquent ni de vi-
gueur ni d'originalité : la Question juive (1848),
brochure où, se séparant de ses amis, il sou-
tient que les juifs n'ont pas le droit de reven-
diquer leur émancipation politique s'ils ne
commencent par s'émanciper eux-mêmes de
leurs propres croyances ; Faits de l'histoire
des temps modernes depuis la Révolution fran-
çaise (1843-1844) ; Histoire de la politique, de
la civilisation et des lumières du xvme siècle
(1843-1845); Histoire de l'Allemagne pendant
la Révolution française et le règne de Napoléon
(1846); Histoire de la Révolution française
jusqu'à l'établissement de la République (1847);
Histoire complète des agitations politiques de
l'Allemagne de 1842 à 1845(1847) ; la Révolution
nationale en Allemagne (1849); la Chute du par-
lement de Francfort (1849) ; De la dictature
occidentale (1855): Situation actuelle de la
Russie (1855) ; Y Allemagne et la Russie (1855) ;
la. Russie et l'Angleterre (1855). De 1S50 à 1852,
M. Bauer est revenu à la critique théologique,
et a donné les ouvrages suivants, qui forment
une sorte de complément de ses premiers tra-
vaux : Critique des Evangiles et histoire de leur
origine (1850-1851) ; Histoire des apôtres (iSbO) ;
Critique desEpitres de saint Paul (1852).
Arrêtons-nous à examiner la situation par-
ticulière que M. Bruno Bauer a prise dans
l'exégèse allemande.
Strauss avait cherché à établir, d'abord, <,ue
la vie de Jésus-Christ, telle qu'elle est rappoi tée
dans les Evangiles, en sa plus grande partie
du moins, n'a rien d'historique, que c'est un
390 BATI. BATI
poème religieux; en second lieu, que ce pol'me
n'est pas un ouvrage entrepris à dessein par
un seul ou par plusieurs, mais un tissu de
mythes populaires, produits spontanés des
pensées, des sentiments, des préoccupations
de la communauté chrétienne des premiers
temps; enfin, que la direction de ces pensées,
de ces sentiments, de ces préoccupations a été
déterminée surtout par l'idéal que, selon la
croyance traditionnelle, on s'était faite du
Messie. En un mot, selon Strauss, Jésus ayant
inspiré pendant sa vie, et laissé après sa mort
la croyance qu'il était le Messie, et le type du
Messie existant déjà dans les livres sacrés, il
en résulta l'histoire évangélique de Jésus telle
que nous la possédons, histoire qui présente
les particularités de la doctrine et de la des-
tinée du Jésus réel combinées avec le type
messianique, transfigurées par ce type. Pres-
que toute cette histoire évangélique( est sortie
de ce syllogisme : Le Messie, d'après les
croyances et les espérances juives, doit accom-
plir telle œuvre; or, Jésus est le Messie; donc,
il a accompli telle œuore. Dans cette hypo-
thèse d'une christologie juive, d'un type mes-
sianique préexistant chez les Juifs, de l'action
lente et cachée d'une tradition non consciente
d'elle-même, la révélation ne doit plus être
considérée comme une inspiration du dehors,
comme un acte isolé. Elle apparaît comme le
produit de Y esprit humain, comme l'ouvrage
de la pensée universelle ; elle est une seule et
même chose avec le développement historique.
« L'apparition de Jésus-Christ, dit Strauss,
n'est plus l'implantation d'un principe nouveau
et divin; c'est un rejeton sorti de la moelle la
plus intime de l'humanité dotée divinement. »
Tel est le point où Strauss avait amené la
critique évangélique. Le caractère saillant de
l'exégèse du célèbre auteur de la Vie de Jésus,
c'est, comme on le voit, de sacrifier l'influence
fiersonnelle, l'action et l'invention particu-
ières, réfléchies, à la mystérieuse et féconde
spontanéité, au travail anonyme et collectif
du sentiment et de l'imagination populaire, au
développement inconscient de l'idée ; c'est de
substituer à la révélation divine miraculeuse
une sorte de révélation divine immanente. Ce
système de panthéisme réaliste, appliqué à
l'histoire des origines du christianisme, semble
effacer complètement le rôle de Jésus, celui
des apôtres, celui' des auteurs des Evangiles ;
les initiatives particulières disparaissent dans
le mouvement général et spontané des masses ;
les idées s'associent, se combinent, comme en
vertu d'affinités naturelles; elles se dévelop-
pent, tendent à se compléter et à prendre une
forme définitive, par une sorte de travail orga-
nique. « Au fond, dit M. Renan, l'hypothèse
de Strauss, qui se présentait d'abord comme
attentatoire aux dogmes les plus sacrés, lais-
sait une large part au mystère. L'école my-
thologique, tout en niant le miracle et l'ordre
surnaturel, conservait une sorte de miracle
psychologique. Au moins, le Dieu ne se pro-
duisait pas en plein jour, mais, comme Vin-
secte ailé, sou3 un tissu qui cachait sa lente
apparition. On savait que la nature seule avait
agi sous ce voile, mais on n'avait rien vu de
ses actes; l'imagination était libre d'entourer
de respect et d'admiration le berceau du Dieu
naissant. Il y avait là encore quelque chose
de divin, comme à l'origine de tous les grands
poèmes dont la génération est inconnue, et
qui, nés dans les profondeurs de l'humanité,
se montrent tout formés au grand jour. »
Tout autre est la critique de M. Bruno Bauer.
Ce miracle psychologique, ce berceau voilé,
cette mystérieuse intervention de Y esprit hu-
main, qui ressemble à l'inspiration du Saint-
Esprit, cette obscurité divine de l'inconscience,
qui laisse à l'adoration un refuge, cette région
souterraine où plongent, fuyant la lumière,
les racines de la plante-religion : M. Bruno
Bauer entend démolir tout cela, n L'hypothèse
de Strauss, dit-il, est tautologique. Expliquer
l'histoire évangélique par la tradition, c'est
s'obliger à expliquer la tradition elle-même
et à lui trouver une base antérieure. La mé-
thode de Strauss est embarrassée, et cela
devait être. La critique a, dans l'écrit de
Strauss, livré son dernier combat à la théo-
logie, tout en restant sur le terrain théologique.
Toutes les fois que deux adversaires sont aux
prises l'un avec l'autre, le vaincu fait toujours
un peu fléchir le vainqueur. Lorsque nous de-
mandons comment l'histoire évangélique s'est
produite, il revient au même de répondre que
les êvangélistes l'ont écrite par inspiration du
souffle de Dieu, ou de dire qu'elle s'est formée
par voie de tradition. Ces deux réponses
font également appel au mystère, au trans-
cendant, au surnaturel. Comme Weisse l'a
montré, on est fondé à nier cette tradition, gui
aurait porté dans ses flancs toute l'histoire
évangélique, renfermée dans un cadre déter-
miner II n'est pas vrai que le christianisme
ait trouvé dans la théologie juive un type
messianique sur lequel le caractère de Jésus
aurait été calqué. L'idée du Messie ne date
que de Jean-Baptiste, et elle n'a achevé de se
préciser que vers le temps de la composition
de nos Evangiles. Tous les actes par lesquels
on nous montre Jésus accomplissant l'idéal
messianique, et cet idéal lui-même, sont des
inventions de la première communauté chré-
tienne. En un mot, l'idée du Messie n'est pas
le ooyau primitif autour duquel s'est faite la
cri tallisation chrétienne; née dans le milieu
chrétien, cette idée a passé dans la théologie
juive par suite du contact et du conflit entre
l'Eglise et la Synagogue; elle est advenue le
centre des espérances et des aspirations juives ;
ce n'est pas la théologie juive, ce ne sont pas
les espérances juives qui l'ont fournie au
christianisme. Pas de christologie juive précé-
dant la christologie évangélique et lui servant
de modèle : voilà la proposition quij seule, est
capable d'émanciper la critique biblique. Cette
proposition coupe les ponts et brûle la flotte ;
cette proposition détruit à jamais toute com-
munication avec l'ancienne opinion orthodoxe.
Les Evangiles ne sont pas l'œuvre imperson-
nelle et anonyme de la foule ; chacun d'eux a
été composé par un seul homme, est une
œuvre d'art, une composition littéraire. Parmi
ces Evangiles, il y en a un qui a précédé les
autres, qui a servi, pour ainsi dire, de matière
première aux rédacteurs des autres. Weisse
et Wilke ont prouvé que cet Evangile primitif
était le deuxième, celui de Marc. C'est à cet
Evangile de Marc que la critique doit donc
désormais s'adresser. Quelle en est l'origiue?
Suivant Weisse, l'évangéliste Marc a composé
son écrit de oe qui lui fut raconté de temps à
autre par l'apôtre Pierre, qu'il avait accom-
pagné dans ses voyages. Voilà le rôle des per-
sonnes restitué ; nous sortons de l'anonyme,
du spontané, de l'abstraction, du nuage my-
thique. Mais en nous faisant remonter de Marc
à Pierre et de Pierre à Jésus, Weisse fait de
Marc un historien, et, en faisant de Marc un
historien, nous ramène à l'orthodoxie. La vé-
rité est que Marc est un artiste, un romancier,
et que son récit est, non-seulement pour la
forme, mais encore pour le contenu, un produit
purement littéraire. Avant l'Evangile écrit
de Marc, il n'y a pas d'Evangile transmis
oralement. Marc a trouvé quelques éléments
vagues, épars, flottant dans l'atmosphère spi-
rituelle de la jeune communauté chrétienne;
il s'est emparé de ces éléments, les a enrichis
largement du travail de son imagination, et,
les coordonnant, les combinant d'après ses
vues propres et sa libre inspiration, en a fait
l'œuvre qui s'appelle le deuxième Evangile. Il
est impossible, d'ailleurs, de voir une histoire
dans le récit de Marc, si l'on réfléchit à l'in-
compatibilité radicale qui existe entre l'esprit
théologique et l'esprit historique. L'esprit théo-
logique, égaré par la passion, marche à son
but sans souci de la réalité historique, et tout
moyen lui paraît bon pour atteindre ce but.
Ainsi, au delà de ce fait, Marc composant avec
réflexion, inventant en grande partie l'Evan-
gile primitif, il ne faut plus chercher d'action
personnelle sur laquelle l'histoire ait quelque
prise. Il n'y a pas d'histoire possible de Jésus.
Qui ne voit, en effet, que le Christ évangélique
appartient complètement à l'idéal, et n'a rien
à démêler avec le monde réel? S'il y a eu un
homme auquel on puisse attribuer la révolu-
tion extraordinaire qui a ébranlé le monde, il
y a dix-huit siècles, on peut affirmer au moins
qu'il n'a pas dû être enchaîné dans les formes
étroites du Christ évangélique. Le Christ évan-
gélique, considéré comme un phénomène .his-
torique, nous échappe. Il ne naît pas comme
un homme, il ne vit pas comme un homme, il
ne meurt pas comme un homme. «
Nous devons dire que les résultats auxquels
M. Bruno Bauer est arrivé sont contestés par
la plupart des critiques allemands et français.
Ce prétendu progrès sur Strauss a paru d'assez-
"màuvais aloi à bon nombre d'esprits. On a
vu généralement un excessif amour du para-
doxe dans cette négation de toute idée mes-
sianique antérieure a l'apparition du principe
chrétien, et dans cette large part faite à l'in-
vention individuelle, à Y œuvre d'art, tranchons
le mot, à l'imposture, pour expliquer les ori-
gines du christianisme. Quant à la forme, la
critique évangélique de M. Bauer encourt
le reproche de ne pas habiter la région calme
et élevée de la science, et d'apparaître trop
souvent comme une œuvre de polémique vio-
lente. « On chercherait vainement, dit M. Re-
nan, dans l'ouvrage de M. Bauer (l'ouvrage
dont M. Renan parle ici est la Critique de
l'histoire évangélique des synoptiques), ce çrand
caractère d'élévation et de calme qui tait la
beauté du livre de Strauss. Le blasphème se
comprend et s'excuse presque aux époques où,
la science n'étant pas libre, le penseur se
venge des entraves qu'il subit par de secrètes
colères. Mais nous ne croyons pas que M. Bauer
ait eu à souffrir assez de persécutions pour
avoir le droit d'être, dans la forme, aussi dé-
clamatoire qu'il l'est parfois. » « M. Bruno
Bauer, dit M. Saint-René Taillandier, retombe
dans le voltairianisme le plus vulgaire, dans
l'étroit point de vue aussi pardonnable, il y a
cent ans, que ridicule aujourd'hui; seulement,
le théologien de Bonn n'oublie pas d'envelop-
per ses doctrines dans la phraséologie hégé-
lienne, ce qui donne toujours un air de pro-
fondeur, et suppose je ne sais quelle supériorité
dont un écrivain français est incapable. Pour
nous, que l'exégèse allemande regarde de si
haut, pouvons-nous voir ici autre chose que
Voltaire, moins son esprit agile et son âme
ardente; Voltaire, affublé d'une perruque et
d'un gros bonnet? »
BAUER (Edgar), publiciste allemand, né à
Charlottenbourg en 1821. Versé dans la con-
naissance du droit et de la théologie, il dé-
fendit les écrits et les doctrines de son frère,
et fut condamné à quatre ans de prison pour
une brochure intitulée : la Querelle de ta cri-
tique avec l'Eglise et avec l'Etat (1843). On a
encore de lui beaucoup d'écrits purement po-
litiques dans le sens du nouveau libéralisme
allemand, qu'il publia, soit pendant, soit depuis
sa détention à Maçdebourg. Les principaux
sont : Histoire de laqitation constitutionnelle
dans l'Allemagne du Sud de 1831 à 1834 (Char-
lottenbourg, 1845-1846); les Tendances libé-
rales en Allemagne (Zurich, 1843); Histoire
du luthéranisme (Leipzig, 1845-1847);- De
l'art d'écrire l'histoire et de l'Histoire de la
Révolution française par Dallmann (1846);
Du mariage au point de vue du luthéranisme
(Leipzig, 1849). Cette même année, M. Bauer
fit paraître une revue politique, sous le titre
de Les Partis. Tous ces ouvrages sont écrits
en allemand.

BAUÉRACÉ,
ÉE adj. (bo-é-ra-sô — rad.
bauère). Bot. Semblable à la bauère.
— s. f. pi. Section de la famille des saxi-
fragées, d après les uns; famille particulière,
d'après les autres, ayant jaour type le genre
bauère. n On dit aussi BAUERÉES.

BAUÈRE
s. f. (bo-è-re — de Bauer, bota-
niste allemand). Bot. Genre de plantes dico-
tylédones, type de la famille des bauéracéos,
ou bien rangée parmi les saxifragées et com-
prenant cinq espèces d'arbrisseaux, qui crois-
sent en Australie.

BAUERLE
(Adolphe), auteur dramatique et
romancier allemand, né à Vienne en 1786. Il
commença, dès sa première jeunesse, à pro-
duire sur la scène des comédies pleines d'ani-
mation et d'entrain, mais péchant assez sou-
vent par le manque d'originalité, de bon goût,
et offrant d'une façon trop exclusive la repro-
duction de types grotesques particuliers a la
capitale de 1 Autriche. Quoi qu'il en soit, les
nombreuses pièces de M. Bauerle obtinrent,
pour la plupart, en Allemagne, une vogue
soutenue, notamment celles qui ont pour titre :
YHotellerie moderne, Léopola, la Fausse prima
donna, l'Ami dans l'embarras. En 1808, il fonda
le Journal théâtral de Vienne, qui ne fut pas
sans influence sur la littérature spéciale dont
il était l'organe. Enfin, en 1852, après une
longue éclipse, l'auteur comique reparut
comme romancier dans l'arène littéraire, et,
dans ce genre, il a fait également preuve de
fécondité. Publiés sous le pseudonyme d'Otto
Horn, ses deux premiers romans, Thérèse
Kroncs (1854), et Ferdinand Raimund (1855),
n'en réussirent pas moins; ces œuvres pré-
sentent de l'intérêt et de l'originalité , aussi
bien que les Notes secrètes d'un avocat vien-
nois (1854); le Directeur Charles (1856);
Zehlheim (1856), etc.

BAUERNFELD
(EdouardDE), poète comique
allemand, né à Vienne en 1804. Il s'est créé
un rang distingué dans la littérature drama-
tique et dans la société de la capitale autri-
chienne, par des comédies où l'on reconnaît
des qualités toutes françaises, l'esprit et l'en-
train, le dialogue facile et naturel, un heureux
choix de mots, et un intérêt soutenu dans l'en-
chaînement des scènes. Sa verve intarissable,
son aptitude à saisir les ridicules sans trop
creuser les caractères, enfin, sa fécondité, en
ont fait en quelque sorte le Scribe du théâtre
viennois. Par une innovation heureuse, il a
mis parfois, mais discrètement, la politique sur
la scène. Il a publié, sous le titre de Lusts-
pielen (Vienne, 1833), et deTheater (Manheim,
1836-1837), un choix de comédies, parmi les-
quelles nous citerons : les Confessions, Bour-
geoisie et romantisme, Industrie et cœur, etc.
i Parmi ses drames , nous mentionnerons un
| Guerrier allemand, Franz de Sickingen, etc.
Enfin, on doit à M. de Bauernfeld une traduc-
tion des Œuvres poétiques de Shakspeare
(Vienne, 1827), en collaboration avec Schu-
macher, et des Pensées fugitives sur le théâtre
allemand (Vienne, 1849).

BAUERWITZ
ville de Prusse, province de
Silésie, régence et à 25 kil. S. d'Oppeln, sur
le chemin de fer de Ratibor à Leobschùtz ;
2,275 hab. Filatures de lin; brasseries; fabri-
cation de chaussures.

BAUFFE
s. m. (bô-fe). Pèch. Longue et
grosso corde à laquelle on attache des hame-
çons, et qu'on enterre ensuite dans le sable,
ou qu'on maintient entre deux eaux.

BAUFFREMONT
, BEAUFFUEMONT ou

BEAUFREMONT
nom d'une ancienne famille
originaire de Lorraine, qui tire son nom du
bourg de Beaufremont (Vosges). Cette maison
acquit de grandes possessions en Bourgogne,
hérita successivement de la principauté de
Listenais, du duché de Pont-de-Vaux, du mar-
quisat de Mornay-la-Ville, et jouit d'une
grande considération, ainsi que le prouve cet
adage populaire : li Bauffremont li bons ba-
rons. Bien qu'elle n'ait produit ni grands poli-
tiques ni grands capitaines, cette famille joua
' néanmoins un assez grand rôle, soit par son
crédit, soit par ses alliances. Au milieu du
xve siècle, elle était représentée par Pierre
DE BAUFFREMONT,qui épousa, en 1448, une fille
naturelle légitimée du duc de Bourgogne,
Philippe le Bon. Guillaume DE BAUFFREMONT,
frère puîné du précédent, fut la souche des
différentes branches de cette maison qui se
sont illustrées pendant les quatre derniers
siècles. Il eut pour fils Pierre DE BAUFFRE-
MONT, baron de Senecey, de Scey, etc., père
de Nicolas DE BAUFFREMONT, bailli de Chalon
et gouverneur d'Auxonne, mort en 1582. Il
laissa deux fils : l'aîné, Claude, baron de Se-
necey, a continué la filiation directe de sa
branche, éteinte au milieu du xvn« siècle,
laissant pour héritière Marie-Claire DE BAUF-
FREMONT, marquise de Senecey, première dame
d'honneur de la reine Anne d Autriche, mariée
en 1637 à Jean-Baptiste Gaston de Foix. Le fils
puîné, Georges, est l'auteur de la branche colla-
térale des marquis de Scey, à laquelle apparte-
nait Claude DK BAUFFREMONT, gouverneur de la
Franche-Comté, marié à Antoinette de Vienne,
dame de Listenais, dont il eut, entre autres
enfants, Charles-Louis, qui a continué la ligne,
et Claude, évêque de Troyes. Charles-Louis
DE BAUFFREMONT , marquis de Messimieux,
grand d'Espagne, eut pour fils et successeur
Pierre DE BAUFFREMONT^ enfant d'honneur du
roi d'Espagne, colonel de dragons au service
de France, qui recueillit le titre de marquis de
Listenais, à la mort de son cousin, fils du frère
aîné de son père. Le fils aîné de Pierre, grand
bailli d'Aval, colonel de dragons, puis maré-
chal de camp, fut tué au siège d'Aire en 1710,
et ne laissa qu'une fille. Le fils cadet, Louis-
Bénigne, marquis DE BAUFFREMONT, puis mar-
quis de Listenais, après la mort de son aîné,
se distingua à la bataille de Malplaquet (1709).
Il eut pour successeur, Louis, marquis de Lis-
tenais, à qui l'empereur d'Allemagne Fran-
çois 1er conféra, en 1757, le titre de prince du
Saint-Empire. Le petit-fils du dernier, Alexan-
dre-Emmanuel-Louis , prince DE BAUFFRE-
MONT, fut fait pair de France, à la Restaura-
tion. Le fils de celui-ci, Alphonse, a servi avec
distinction dans l'armée française, pendant les
guerres de l'Empire.
Nous allons compléter la notice qui précède,
par la biographie des principaux membres de
cette famille, en faisant de chacun l'objet d'un
article spécial.
BAUFFREMONT (Nicolas DE, baron de SE-
NECEY), né en 1520, mort en 1582, fut nommé
par Charles IX grand prévôt de France. Il se
conduisit vaillamment à la bataille de Jarnac
(1569), où il fut laissé pour mort, et à. celle de
Moncontour, où il portait le guidon du duc de
Guise; mais pendant la Saint-Barthélémy, il
flétrit son nom en se conduisant en bourreau
plutôt qu'en soldat. C'est ainsi qu'à la tête
d'une bande de fanatiques, il alla s'emparer de
l'intègre La Place, premier président de la
cour des aides, et que, sous prétexte de le con-
duire au Louvre, il le remit entre les mains
des assassins. Député aux états généraux de
Blois (157G), Nicolas de Bauffremont harangua
le roi, en qualité d'orateur de la noblesse, et,
par une singulière contradiction avec sa con-
duite, se montra favorable à l'esprit de tolé-
rance. Sa mémoire est plus recommandable
comme savant que comme homme politique ;
il a laissé -- une traduction du traité lie Guber-
natione Dei, de Salvien (Lyon, 1573, in-s°);
Harangue pour la noblesse (i56i) ; Proposition
pour toute la noblesse de France, faite en 1577
aux états de Blois (Paris, 1577, in-s°).

BAUFFREMONNT
(Claude DE), fils du pré-
cédent, né en 1542, mort en 1596, fut, comme
son père, baron de Senecey, gouverneur
d'Auxonne et ardent catholique. Il prononça,
aux états de Blois, en 1588, une harangue
qu'on trouve dans le tome III des Mémoires
de la Ligue. On lui attribue les Miracles de la
Ligue, et le Recueil de ce qui s'est négocié en
la compagnie du tiers état aux états de Bloist
de 1576 à 1577.
BAUFFREMONT (Henri DE), fils du précé-
dent, mort en 1622, fut gouverneur d'Auxonne,
lieutenant du roi dans Te Maçonnais, et prési-
dent de la chambre de la noblesse aux états
généraux de Paris (1614). En cette qualité, il
demanda l'abolition de la paulette {vénalité
des charges), et s'opposa à la publication du
concile de Trente, soutenu du reste en cela par
le tiers état, désireux de s'opposer, autant
qu'il était en lui, aux prétentions de la cour
de Rome. On sait que ces. états, assemblés
pour le bien du royaume, se terminèrent sans
amener aucune réforme. Les harangues pro-
noncées par Henri de Bauffremont sont insé-
rées dans le Recueil général des états tenus en
France (Paris, 1651, in-40).
BAUFFREMONT ( Claude - Charles - Roger
DE) , frère du précédent, mort en 1593, entra
dans les ordres, et fut nommé, en 1562, évêque
de Troyes, en remplacement d'Antoine Carac-
. cioli, qui abandonna son siège pour embrasser
le protestantisme. Toutefois, Claude de Bauf-
fremont s'engagea à payer à ce dernier, sur
les revenus de son éveché, une pension de
4,500 livres.
BAUFFREMONT (Alexandre -Emmanuel-
Louis, prince DIS), duc et pair de France, na
à Paris en 1773, mort en 1833, était fils d«
prince de Listenais. Gendre du duc de La Vau
guyon, ambassadeur en Espagne, il émign
pendant la Révolution, prit part avec les
princes à l'invasion de la Champagne, se battit
en 1793 et 1794 contre la France, et n'en fut
pas moins rayé de la liste des émigrés en 1795.
Fait comte par Napoléon, et appelé par lui à
présider le collège électoral de la Haute-
Saône, il lui adressa une harangue (1812),
dans laquelle il proclamait les sentiments
d'amour, d'admiration et de respect, dont il
était animé pour sa personne, ainsi que tous
les habitants de son département. L'ordon-
nance de 1814, qui rétablissait l'ancienne no-
blesse, lui permit de reprendre son titre de
duc, et, après les Cent-Jours, il fut appelé à
la Chambre des pairs (1815).
BAUFFREMONT (Alphonse-Charles-Jean,
duc DE), fils aîné du précédent, né en 1792.
mort en 1860, fut. aide de camp de Munit
pendant la campagne de Russie. Il accom-
pagna, en 1814, le comte d'Artois, comme com-
BAtJ 391
mandant de la garde d'honneur de Vesoul;
mais bientôt se rendit à Naples, et, pendant les
Cent Jours, apporta à Napoléon des dépêches
confidentielles de Murât. A son. retour en
Italie, il fut arrêté par la police autrichienne
et envoyé à Paris. Mais le crédit de son père
assoupit cette fâcheuse affaire. Depuis, il
servit quelque temps en Russie. Napoléon III
lui donna, en 1852, un siège au sénat. Le chef
actuel de cette maison est Anne-Antoine Gon-
tran, prince DK BAUFFREMONT-COURTENAY, né
en 1822.

BAUPFRER,
BAUFFRERIE, BAUFFREUR,
Se disent pour BÂFRER, etc.

BAUGE
s. f. (bô-je — bas lat. baugium,
même sens). Véner. Lieu fangeux où le san-
glier se retire : Un sanglier dans sa BAUGE.
Ce sanglier était sale et couvert de la boue de
sa BAUGE, où il s'était vautré. (Fén.) Les bau-
dets, haletants comme fine meute qui force un
sanglier dans sa BAUGE, se pressaient en tu-
multe. (V. Hugo.) La comtesse gisait, le corps
affaissé^ les bras pendants, sur un fauteuil
sale, dans cette chambre qui ressemblait à la
BAUGE d'un sanglier. (Balz.) On lance le cerf
de la reposée, le loup du liteau, le lièvre du
gîte, les bêtes noires de la BAUGE. (E. Chapus.)
— Par ext. Loge de cochons domestiques :
Jamais de porc a porc on ne vit d'injustice;
Notre bauge est pour nous le temple de la paix.
VOLTAIRE.
— Par anal. Habitation sale et misérable :
La vieille sorcière se montra hors de sa BAUGE.
Le propriétaire enfoncé dans sa BAUGE campa-
gnarde... (Balz.) il V. Hugo a désigné sous ce
nom le château des comtes de Lamark, à
cause du surnom de Sanglier des Ardennes, qui
a été donné à l'un des membres de cette fa-
mille : Le déboisement, ce fils bâtard de la
civilisation, a fort tristement dévasté la vieille
BAUGE du Sanglier des Ardennes. (V. Hugo.)
— Nid de l'écureuil : Pour peu qu'on louche
au pied de l'arbre sur lequel il repose, l'ani-
mal sort de sa petite BAUGE, fuit sur un autre
arbre, ou se cache à l'abri d'une braiichc (Buïï.)
La BAUGE est une cabane artistement couvei'te
avec des branches d'arbres, et garnie à l'inté-
rieur d'un moelleux tapis d'herbes sèches.
(Toussenel.)
— Loc. fam. Avoir tout à bauge, Avoir tout
à profusion, jouir d'une abondance excessive.
— Constr. Mortier de terre grasse mêlée
de paille, qu'on emploie pour enduire les
murs, il Mortier terreux, employé dans les
constructions en pisé : Presque tous les vil-
lages et hameaux de la Beauce sont construits
en BAUGE, couverts en chaume et en paille.
(Guide pittoresque.)
— Agrio. Tas d'échalas debout et inclinés.
— Comm. Sorte de droguet de gros fil et
de laine grossière, qui-se fabriquait en Bour-
gogne.
— Econ. dom. Sac court et' large, en toile
grossière : BAUGE de sel, de farine.
— Encycl. Constr. On se sert de la bauge
pour lier les pierres d'un mur, pour enduire
des constructions en menu bois, en paille, en
roseaux, ou pour combler les intervalles entre
les pièces de bois qui forment la carcasse des
bâtiments. Toutes les terres grasses peuvent
servir à faire de la bauge; elles y sont d'au-
tant plus propres qu'elles sont plus homo-
gènes et qu'elles ont plus de ductilité et de
ûant. Ce mortier a le grand avantage d'être
économique-, malheureusement, l'humidité le
détruit très-vite, et, même lorsqu'il est sec,
il n'offre pas une grande résistance. Dans l'in-
térieur des maisons et des étables, ou peut
l'employer à construire des cloisons fort lé-
gères et d'une grande durée.
BAUGE, ÉE (bô-jé), part. pass. du v. Bau-
ger : Un sanglier BAUGE dans un bois.

BATJGÉ
(BALGIACUM), ville de France (Maine-
et-Loire), ch.-l. d'arrond., à 40 kil. N.-E.
d'Angers, 274 kil. S.-O. de Paris, sur la rive
droite du Couesnon ; pop. aggl. 3,104 hab. —
pop. tôt. 3,546 hab. L'arrond. comprend 6 can-
tons, 66 communes ; 78,041 hab. Tribunal de
ire instance et justice de paix ; collège libre,
hôpital. Fabriques d'étoffes de laine et de
toiles communes ; ouvrages en corne, huile-
rie, saboterie. Commerce de fruits cuits, porcs
gras, huiles de noix et de chènevis, toiles,
bois de charpente.
Cette petite ville, située dans une belle val-
lée arrosée par le Couesnon, que l'on y passe
sur un beau pont, est construite très-irrégu-
lièrement; elle possède néanmoins plusieurs
belles habitations et un château, oeuvre du .
Xvû siècle, occupé par la mairie actuelle. Ce
château, bâti par René d'Anjou, a perdu tout
son caractère, sauf un admirable escalier en
encorbellement, couronné par un palmier à.
nervures, aux écussons d'Anjou-Sicile. On voit
aussi à Bau^é le bel hospice de la Provi-
dence, dont 1 église prétend posséder un Van
Dyck et un Philippe de Champaigpe. Près de
cette petite ville, au lieu nommé Champ de
bataille, le maréchal de La Fayette vainquit
les Anglais en 1421.
* BAUGÉ (Sires, comtes et marquis DE). Ce
fut vers 830 que Louis le Débonnaire donna
la sirerie de Baugé à Hugues, qu'on croit être
un fils cadet d'un comte de Bresse. Les suc-
cesseurs de Hugues, parmi lesquels on re-
marque plusieurs évêques, acquirent la Bresse
au commencement du xic siècle, et conser-
vèrent la souveraineté jusqu'à l'extinction de
la famille dans les mâles, vers la seconde
moitié du xnie siècle. Sibylle, fille unique et
héritière de Gui, dernier sire de Baugé et de
Bresse, porta ces domaines dans la maison de
Savoie, en épousant, en 1272, Amédée V,
comte de Savoie. Louis, duc de Savoie, érigea
le Baugé en comté, en faveur de Philippe,
son cinquième fils, en 1460. Conquis par Fran-
çois 1er en 1535, il passa entre diverses mains,
jusqu'en 1559, époque où le duc de Savoie
rentra en possession de ses Etats. Dans la
suite, le Baugé devint un des apanages de la
maison d'Urfé, avec titre de marquisat, en
échange de certaines autres terres, cédées à
Emmanuel-Philibert, duc de Savoie, par Re-
née de Savoie, comtesse de Tende, veuve de
Jacques, marquis d'Urfé. 0

BAUGEAN
(Jean-Jérôme), graveur fran-
çais, né à Marseille en 1764, a travaillé en
Italie, b, Marseille et à Paris, où il a obtenu
le titre de graveur du roi, sous la Restaura-
tion. On a de lui près de trois cents vues de
différents ports et monuments de France, d'à- *
près Bourgeois, Michallon, Goblain, Rémond,
Aug. Aubert, Guyot, Délavai, d'Orchwiller,
Veyrenc, Chapuy, Leblanc, Bence, Fon-
taine, etc.; un Recueil de petites marines, re-
présentant des navires de diverses nations, in-
térieurs d'arsenaux, travaux des ports, cos-
tumes de pêcheurs, barques de rivière, etc.
(Paris, 1817, in-40, contenant 120 pièces nu-
mérotées). Baugean a gravé aussi quelques
sujets historiques, entre autres le Combat de
Navarin, Y Embarquement de Bonaparte à bord
du Bellérophon, le lîétablissement de la statue
de Henri IV sur le Pont-Neuf, etc. Ces di-
vers ouvrages sont exécutés à l'eau-forte.

BAUGER
v. n. ou intr. (bô-jé — rad. bauge).
Véner. Gîter, en parlant du sanglier : Ber-
nard savait, à cinquante pas près, où BAU-
GE AÏRNT tous les sangliers de sa garderie.
(Alex. Dum.)

BAUGES
(LES), contre-fort de la chaîne des
Alpes, qui couvre de ses ramifications le pays
compris entre l'Isère et le Rhône. On donne
aussi le nom de Bauges au pays sur lequel
s'étendent ces montagnes.

BAUGIN
(Lubin), peintre français, fut ad-
mis dans la'corporation des maîtres peintres
de Paris en 1645, reçu à l'Académie royale de
peinture le 4 août 1651, nommé ancien le
24 août de la même année, à la place de van
Opstal, et destitué le 2 janvier 1655. On n'a
pas d'autres renseignements sur sa vie. Il
avait fait une étude particulière des maîtres
italiens, principalement du Guide, dont il s'ef-
força de reproduire la manière, ce qui le fit
surnommer par ses contemporains le Petit
Guide. Il exécuta un grand nombre de des-
sins destinés à être reproduits en tapisserie.
Ses peintures sont .d'un style plus bizarre
qu'original ; les plus remarquables sont : une
Sainte Famille, au Louvre ; la Vierge et l'En-
fant, au musée de Rennes; le même sujet, au
musée de Nancy; le Martyre de saint Bar-
thélémy, au musée de Rouen; une Sainte Fa-
mille, au musée de Dijon.
BAUGIN (J.), graveur français, travaillait
vers 1660. M. Charles Blanc cite de lui la
Vue des arènes d'Orange, la Vue du grand
aqueduc romain, de la même ville, le portrait
de Henri de la Mothe-Houdancourt,'etc.

BAUGNIET
(Charles), peintre belge con-
temporain, né à Bruxelles, a travaillé pen-
dant quelque temps dans cette ville où il a ex-
posé, en 1860, une Jeune fille à sa toilette. Il
s'est fixé à Paris depuis plusieurs années, et
s'est fait remarquer aux dernières expositions
par des tableaux de genre consciencieusement
étudiés et soigneusement peints, parmi les-
quels nous citerons : la Fille ainée (Salon de
1803); le Retour de la fille ainée (1864); la
Conscience troublée et Visite à la Veuue(l865);
la Toilette de la Mariée et Visite de la Mar-
raine (1866).
BAUGUE. V. BAUQDE.

BAUGV
bourg de France (Cher), ch.-l. de
cant., arrond. et à 28 kil. E. de Bourges;
pop. aggl. 845 hab. — pop. tôt. 1,486 hab.
Commerce de chevaux, poulains, bœufs, etc.
Vestiges d'un ancien château fort, pris en
1412 par Charles VI. On a trouvé, aux environs,
un grand nombre d'antiquités gallo-romaines.
. BAUHIN s. m. (bo-ain — nom d'homme).
Anat. Usité seulement dans la locution val-
vule de Bauhin, Nom d'une valvule située
entre l'iléon et le cœcum.

BAUHIN
(Jean), médecin français, né à
Amiens en 1511, mort en 1582. Il exerça son
art avec distinction, se fit une grande réputa-
tion en France et à l'étranger, surtout dans
les Pays-Bas, et devint premier médecin de
Marguerite de Valois. S'étant converti au
protestantisme en 1582, il se vit contraint,
pour échapper aux persécutions, de se ré-
fugier h. Baie, où il mourut.
BAUHIN (Jean), médecin et naturaliste, né
à Bàle en 1541, mort en 1613, fils aîné du pré-
cédent. Il fut initié par son père à la connais-
sance de l'art médical, et s adonna avec une
ardeur passionnée à l'étude de la botanique,
sous la direction de Fuchs, à Tubingue. S'é-
tant rendu à Zurich, où se trouvait l'illustre
Conrad Gesner, celui-ci, frappé de sa science
précoce, en fit le compagnon de ses excur-
sions scientifiques à travers les Alpes et la
Suisse. Bientôt après, Bauhin parcourut l'Al-
sace, la Bourgogne, la Lombardie, en collec-
tionnant des plantes; suivit les cours d'Al-
drovande à Bologne, de Rondelet à Montpel-
lier, se lia .d'amitié avec Dalechamps à Lyon,
et, après avoir parcouru, en herborisant, l.e
Lyonnais et le Dauphiné, il alla s'établir dans
sa ville natale, où, tout en exerçant la mé-
decine, il professa la rhétorique (1566). Sa
grande renommée, comme praticien et comme
naturaliste, lui valut d'être appelé en 1570 à
Montbéliard, par le duc Ulrich de "Wurtem-
berg, qui en fit son médecin, et qui, grand
amateur des sciences naturelles, avait ras-
semblé dans ses jardins les plantes les plus
rares. Bauhin resta dans cette ville pendant
quarante-trois ans, c'est-à-dire jusquà la fin
de sa vie. Il composa plusieurs ouvrages qui
l'ont placé au premier rang des naturalistes
de son siècle. Les principaux sont les sui-
vants : Memorabilis historia luporum aliquot
rabidorum, etc. (l59l), histoire de la rage,
traduite en français en 1593 ; De plantis absin-
thiinomen habentibus (1593); Traité des ani-
mauls aians aisles, qui nuisent par leurs pi-
queures, etc. (1595); De aquis medicalis nova
methodus (1605); Historia? plantarum gênera-
lis novas et absolutœ prodromns (1619, in-40);
enfin, le plus considérable de ses ouvrages,
Historia universalis plantarum nova et abso-
lutissima (YVerdun, 1650-1651, 3 vol. in-fol.).
Cette vaste compilation, publiée après la mort
de Bauhin, contient la description d'environ
5,000 plantes, avec 3,577 figures, renferme
tout ce qui avait été dit antérieurement sûr
la matière, et coûta, pour frais de publica-
tion, 40,000 florins à François-Louis Graffen-
ried, patrice de Berne, qui avait entrepris de
faire paraître l'ouvrage, avec Chabrée, de Ge-
nève. Ce dernier "a publié, sous le titre de
Sciagraphia (Genève, I666),unabrégédecette
histoire des plantes, dans lequel il a réuni en
un volume toutes les figures, et donné tout ce
qu'il y a d'important sur la nomenclature et
le nombre des espèces, dans le grand ouvrage
de Bauhin.
BAUHIN (Gaspard),botaniste et anatomiste,
frère du précédent, né à Bâle en 1560, mort
en 1624. Doué, comme ce dernier, de remar-
quables aptitudes pour les sciences naturelles,
il commença ses études sous la direction de
son père, de Zwinger et de Félix Plater, fut
envoyé à Padoue en 1577, où il reçut les le-
çons d'anatomie d'Aquapendente, et de bota-
nique de Guilandini; puis il parcourut l'Italie
pour se former des herbiers, séjourna à Mont-
pellier (1579), visita Paris, ainsi que les prin-
cipales universités de l'Allemagne, et entra
partout en relation avec les savants les plus
distingués. De retour à Bâle en 1580, il se
maria, se fit recevoir docteur (1585), professa
tour à tour le grec, la botanique et l'anato-
mîe (1588); fut nommé, en 1596, médecin du
duc Frédéric de Wurtemberg, et enfin pre-
mier professeur de médecine et premier mé-
decin de la ville de Bâle, en remplacement de
Félix Plater, qui mourut en 1614. Anatomiste
distingué et botaniste éminent, Gaspard Bau-.
hin ne fut pas seulement un compilateur sa-
gace, comme son frère Jean, son collabora-
teur dans plusieurs ouvrages. Il tenta d'ap-
porter l'ordre dans ses deux sciences de
prédilection, en introduisant de nouvelles no-
menclatures, qui'ont fait longtemps autorité.
Comme son frère, il résolut de réunir en un -
seul ouvrage tout ce qui avait été écrit jus-
qu'alors sur les plantes, de faire concorder
les noms donnés a la même plante par les di-
vers auteurs, et il consacra à ce travail plus
de quarante ans. Bauhin a joui longtemps
d'une réputation considérable ; son nom a été
fréquemment cité près de ceux de Tournefort
et de Linné, et il a été rangé au premier rang
des botanistes de son siècle. Cette réputation
exagérée a beaucoup perdu aujourd'hui, et
Bauhin est considéré surtout comme un éru-
dit, dont le plus grand mérite est d'avoir su
fondre ensemble toutes les connaissances ac-
quises antérieurement en anatomie et en bo-
tanique. Bauhin a composé un nombre consi-
dérable d'ouvrages. Parmi ceux qui ont rap-
port à l'anatomie, nous citerons : Franc.
Rousseti de parla cœsareo (Bàle, 1582) ; De
humani corporis par tibus ext émis (Bâle, 15S8);
De corporis humani fabrica (Bâle, 1590); In-
stituiiones anatomicœ (1592), et Theatrum ana-
tomicum, infinitis locis auctum (Bâle, 1592).
C'est dans cet ouvrage que Bauhin s'attribue
la découverte de la valvule iléo-cœcale, qui
porte son nom et qui avait été antérieurement
signalée par Rondelet. Ses principaux ou-
vrages en botanique sont ; Phytopinax, seu
enumeratio plantarum, etc. (Bâle, 1596),
ouvrage où l'on trouve la description de
2,700 plantes, notamment de la-pomme de
terre, alors cultivée comme objet de curio-
sité par quelques amateurs, et qu'il rangea,
avec une rare sagacité, parmi les solanées ;
Pinax theatri botanici, etc. (Bâle, 1596, in-4°),
son œuvre capitale, qui a été longtemps clas-
sique, et où l'on trouve les premières tenta-
tives d'une classification naturelle des plantes ;
Animadversiones in historiam generalem plan-
tarum (Francfort, 1601); De compositione
medicamentorum (1610); De hermaphrodito-
rum monstrosorumque partuum natura (1614);
Prodromes theatri botanici, etc. (Francfort,
1620); Theatrum botanicum, sive historia plan-
tarum (Bâle, 1658, in-fol.), etc. — Son fils,
Jean-Gaspard, né à Bàle en 1606, mort en
1685, suivit la profession paternelle, enseigna
la botanique à l'université de sa ville natale,
et fut nommé, en 1656, médecin de Louis XIV,
qui lui donna une pension. Il publia divers
ouvrages de son père, entre autres le dernier
cité, et quelques-uns de lui, notamment une
Dissertation de la peste (Bàle, 1628) ; Disscr-
tatio de morborum differentiis et causis (1670).

BAUHINIE
s. f. (bo-i-nî — de Bauhin, nom
de-deux botanistes). Genre de plantes, do la
famille des légumineuses, tribu des césalpi-
* niées, comprenant une soixantaine d'espèces,
qui croissent dans les régions tropicales : Les

BAUHINIES
forment des arbrisseaux élégants. Il
On dit aussi BAUHINE.
— Encycl. Le genre bauhinie, dédié aux
frères Jean et Gaspard Bauh'm, célèbres bo-
tanistes du xvie siècle, est l'un des plus re-
marquables de la famille des légumineuses,
tribu des césalpiniées. Il renferme une soixan-
taine d'espèces, répandues dans les régions
tropicales des deux continents. Ce sont des
arbres ou des arbrisseaux, souvent grimpants,
dont la tige présente, dans certaines espèces,
une forme et une structure toutes particu-
lières. Dans les lianes du genre bauhinie, la
tige est, non plus cylindrique, mais compri-
mée de telle sorte, que sa coupe représente,
-non un cercle, mais un ovale plus ou moins
allongé. Le corps ligneux se développe seu-
lement dans deux directions diamétralement
opposées, où l'épaisseur est considérable, tan-
dis qu'elle est très-faible ou presque nulle
dans les autres directions. Cet aplatissement
n'est pas dû, comme on l'a cru d'abord, à
l'obstacle mécanique qu'oppose à l'accroisse-
ment de la tige, 1 arbre ou le corps étranger
contre lequel elle grimpe ; il tient à la nature
même du végétal, et persiste, soit dans les
parties qui sont pressées contre un autre corps,
soit dans celles qui végètent librement. Il est
même des espèces chez lesquelles la struc-
ture de la ttge devient des plus bizarres ;
ainsi, dans celle qui porte plus spécialement
le nom de bauhinie grimpante (bauhinia scan-
dens), la tige n'est pas seulement aplatie;
mais, par sa flexion alternative dans un sens,
puis dans l'autre, elle présente, une disposi-
tion en zigzag tout à fait étrange. On peut la
comparer à une immense lanière, ou bien à
deux engrenages accolés par le dos, de telle
sorte que les dents de l'un sont placées en
face des vides de l'autre. Les feuilles alternes
sont plus ou moins profondément bilobées au
sommet, ou, si l'on veut, elles se composent
de deux folioles opposées et soudées dans
leur partie inférieure. Plumier, qui a créé le
fenre bauhinie, a vu dans cette disposition
es feuilles une touchante allusion à l'étroite
et indissoluble amitié qui a uni les deux frères
Bauhin. Les fleurs des bauhinies sont grou-
pées en grappes terminales ; elles présentent
un calice caduc, fendu latéralement, à cinq
divisions ; une corolle à cinq pétales oblongs,
inégaux, onguiculés, étalés ; dix étamines
libres ou diadelphes, inégales, inclinées, dont
une beaucoup plus longue que les autres, et
quelquefois seule fertile ; un ovaire stipité, à
une seule loge pluriovulée. Le fruit est
une gousse allongée , très - aplatie , à une
seule loge, contenant plusieurs graines apla-
ties, ovalaires ou rénitormes. Toutes les bau-
hinies se font remarquer par l'élégance de
leur port ou par la beauté de leurs fleurs, et
quelques-unes par des propriétés médicales
souvent réelles, souvent aussi fort exagérées.
La bauhinie grimpante [bauhinia scandens) est
un grand arbrisseau sarmenteux, à tige et
à rameaux munis de vrilles préhensiles, por-
tant de petites grappes de fleurs jaunes. Cette
espèce croît aux Indes orientales et dans
quelques parties de l'Amérique du Sud. D'a-
près Rumphius, les habitants d'Amboine at-
tribuent a ses feuilles la propriété d'accélérer,
chez les enfants, l'usage de la parole, et, chose
plus merveilleuse encore, de faire parler les
muets. La bauhinie divariquée (bauhinia diva-
ricata) a des feuilles cordiformes, dont les deux
folioles aiguës sont à peine soudées à la base ;
ses grandes fleurs blanches se succèdent
toute l'année, et ne se montrent guère dans '
toute leur splendeur que par les temps de
, pluie. La bauhinie cotonneuse (tomentosa) a
des fleurs d'un blanc jaunâtre, dont les Indiens
se servent pour parer leurs idoles; toutes les
parties de cette plante, et particulièrement
ses racines, sont préconisées comme un ex-
cellent vermifuge. On distingue encore, parmi
les espèces ornementales, les bauhinies pour-
prée (purpurea), épineuse [aculeata), acu-
minée (acuminata). panachée (variegata),
à grappes (racemosa) et à petites fleurs (par-
viflora). Du reste, toutes les bauhinies sont
très-remarquables sous ce rapport; mais, sous
nos climats, on ne peut les élever qu'en serre
chaude. Elles exigent un sol substantiel, et
se multiplient de boutures, mais avec assez
de difficulté ; on a conseille de marcotter les
tiges. Quelques espèces se prêtent à la cul-
ture en pots.

BAUHUIS
(Bernard), jésuite, né à Anvers
en 1575, mort en 1629. Il professa les huma-
nités au collège de Bruges, et quitta ensuite
la carrière de l'enseignement pour se livrer à
la prédication. Mais ce qui l'a surtout rendu
célèbre, c'est un recueil d épigrammes latines,
ou plutôt un vers de l'une de ces épigrammes.
Ce vers est adressé à la Vierge et il est ainsi
conçu :
Tôt tibi sunt dotes, Virgo* quot sidéra cœlo.
On calcula que les mots de cet hexamètre,
un instant fameux, pouvaient être combinés
392
de mille vingt-deux manières, ce qui 'était
précisément le nombre des étoiles alors con-
nues. Plusieurs mathématiciens célèbres ne
dédaignèrent pas d'arrêter leur attention sur
cette étrange propriété, et Jacques Bernouilli
a prouvé que le nombre des combinaisons
possibles s'élevait à un chiffre beaucoup plus
considérable.

BAULACRE
(Léonard), littérateur et érudit,
néàGenèveen I670,morten 1761.11 devint pas- #
teur protestant dans sa ville natale, en 1704, fut
sur le point d'être nommé précepteur du prince
de Nassau, et obtint la place de bibliothécaire
de Genève en 1728. Profondément versé dans
la connaissance de l'histoire, de la théologie
et de l'antiquité, Baulacre a écrit un grand
nombre de dissertations, où se révèle le sa-
vant et le critique salace, notamment :
Eclaircissements sur l'histoire de Genève ;
Lettre sur l'histoire de Genève et sur les grands
hommes qu'elle a produits, etc.

BAULDRI
ou BAULDRY (Paul), érudit fran-
çais, né à Rouen en 1629, mort en 1716. Issu
d'une famille protestante, il abandonna la
France après la révocation de l'édit de Nantes,
s'établit en Hollande, où il épousa la fille du
célèbre Henri Basnage, et enseigna l'histoire,
sacrée, à l'université d'Utrecht. Ce savant
distingué a fait paraître une édition du traité
de Lactance, intitulé De Mortibus persecuto-
rum (Utrecht 1692), accompagné de notes
estimées ; des tablettes chronologiques, sous
le titre de Syntagma calendariorum (1706), un
éloge de Mathieu de Larroque, et de nom-
breuses dissertations.

BAULI
village ancien de l'Italie méridio-
nale, dans le voisinage de Baies, près du
cap Misène, dans la Campanie, célëore par
ses villas romaines. Néron y avait une mai-
son de campagne, qui avait appartenu à
Hortensius. C'est aujourd'hui le village de
Bacolo.

BAULITE
s. f. (bô-li-te — de Baula, nom
d'une montagne). Miner. Silicate naturel d'a-
lumine et de potasse, considéré par plusieurs
minéralogistes comme une variété du feld-
spathorthose.
— Encycl. La, baulite est intéressante à
cause de sa très-grande richesse en silice,
dont la proportion est double de celle qui
existe dans t'orthose. Mais il y a lieu de se
demander si toute cette silice est a l'état de
combinaison. M. Delafosse la regarde comme
de l'orthose renfermant des grains de quartz,
à l'état de liberté. La baulite se rencontre en'
masses cristallines grenues et en agrégats de
petits cristaux. Elle a été trouvée en Islande,
associée à l'oxyde magnétique de fer.
BAULME-SA1NT-AMOUR (Jean DE LA), sei-
gneur de Martorey, littérateur et philologue
français, né en Franche-Comté en 1539,
mort en 1578. Son étonnante précocité lui
assigne une place parmi les enfants célèbres.
Non-seulement, en effet, il savait, à douze
ans, le grec, le latin et l'italien, mais encore
il avait composé des poésies latines, qui pa-
rurent sous le titre de Primitiœ quœdam,
(1551). Deux ans plus tard, il publia un re-
cueil de morceaux divers, sous le titre de
Miscellanea (1553). Grappin lui attribue un
ouvrage intitulé Epicedia (1559), et Duverdier
deux traductions, celle du Polyhistor de Solin
et celle de la Vie de Charles-Quint, par Dolce.

BAULOT
ou BAULIEU (Jacques), plus con-
nu sous le nom de frère Jacques, lithotomiste
français, né en 1651 à l'Etendonne, petit vil-
lage de la Franche-Comté, mort en 1720. Fils
de pauvres cultivateurs, incapables de lui
donner aucune instruction, Baulot quitta ses
parents a seize ans et s'engagea dans un ré-
giment de cavalerie, où un opérateur ambu-
lant, nommé Pauloni, lui enseigna la saignée,
l'opération de la taillé par ,1e grand et le petit
appareil, et l'opération de la hernie, mais
avec la castration. Il suivit Pauloni pendant
cinq ou six ans, et apprit ainsi assez de con-
naissances anatomiques et chirurgicales pour
pratiquer les opérations qu'il lui avait vu
faire. Cependant, quand' Pauloni quitta la
France pour aller s'établir à Venise, Baulot
préféra rester dans son pays. Ce fut en Pro-
vence que Baulot commença à exercer, sous
le costume des frères du tiers ordre de Saint-
François, dans lequel il s'était fait recevoir.
Depuis lors, il prit le nom de frère Jacques,
qui lui est toujours resté. Voyageant dans la
Provence, le Languedoc, le Koussillon, il
augmentait chaque jour sa réputation par des
cures nouvelles. En 1697, poussé par un cha-
noine de la métropole de Besançon, qui lui
donna une lettre de recommandation pour un
chanoine de Notre-Dame, il vint à Paris. Là,
il fut présenté au premier président du parle-
ment, alors M. de Harlay, qui, après avoir
vu ses certificats, fit examiner son procédé
par les chirurgiens de l'Hôtel-Dieu. Un ma-
lade fut amené de la Bourgogne, et opéré en
présence de tous les gens de l'art. Le succès
fut complet; cependant les résultats ne pa-
rurent pas concluants. La Faculté, mettant
un peu de lenteur à terminer son enquête et
à faire son rapport, Baulot alla trouver Félix
et Fagon, médecins de Louis XIV, et se fit
recommander par eux à plusieurs personnes
de la cour, qui le soutinrent vigoureusement.
Une salle de quatre-vingt-deux calculeux lui
fut confiée; mais, d'après un écrit qui-parut
deux ans plus tard, les opérations qu'il prati-
qua furent moins heureuses, et le frère Jacques
perdit vingt-cinq malades. Craignant qu'un
séjour plus long et des expériences aussi dé-
sastreuses ne lui enlevassent sa réputation,
il résolut de retourner en province, et il alla
successivement à Orléans, Aix-la-Chapelle
et Cologne, où il fit de nombreuses cures. Il
revint ensuite à Paris, où, sur trente-huit cal-
culeux qu'il avait rassemblés à Versailles, il
n'eut pas un seul décès. Appelé auprès du
maréchal de Lorges pour l'opérer, il l'avait
guéri également, quand celui-ci succomba
aux suites d'une altération organique de la
vessie. Frappé par cette sorte de fatalité qui
semblait le poursuivre à Paris, frère Jacques
reprit sa course vagabonde à travers la Suisse,
la Hollande, la Bretagne, les Pays-Bas, l'Al-
lemagne et l'Italie. Il mourut à Besançon, où
il venait de se fixer depuis quelque temps. Il
était âgé de soixante-neuf ans. Si l'on recher-
che les perfectionnements que le frère Jacques
apporta dans l'opération de la taille, on s'a-
perçoit qu'ils étaient singulièrement élémen-
taires et prouvaient peu de connaissances
anatomiques. Il latéralisa l'incision, qu'il com-
mençait a la hauteur où finit celle qu'on pra-
tiquait par le grand appareil. Ce changement
avait l'avantage de faciliter l'extraction de la
pierre, l'ouverture correspondant à l'écarte-
ment le plus largo du détroit inférieur du
bassin. Ce fut donc, comme on le voit, un
habile praticien; mais il est difficile de lui ac-
corder aucun autre mérite scientifique, puis-
qu'il abandonna l'opération de la hernie, par
ignorance des régions. Il n'a laissé aucun ou-
vrage ou mémoire. Baulot avait autant de
désintéressement que de modestie, et, bien
qu'il eût gagné beaucoup d'argent, il mourut
dans un état voisin de l'indigence. Pendant
le séjour qu'il fit à-Amsterdam, le lithotomiste
Rau désapprouva publiquement sa méthode ,
tout en se l'appropriant. Cette méthode porte
encore aujourd'hui la désignation doublement
fausse de taille de Ilau ou taille anglaise.

BAULX
(CLARETTE et non CLAIRETTE, dame
DE) ou DE BALZ, du nom de l'ancienne maison
provençale à laquelle elle appartenait, ou en-
core DE BERRE, son père étant seigneur de ce
lieu. C'estNostradamus,le biographe des trou-
badours, l'historien naïf des tribunaux d'amour,
qui nous a conservé le nom de Clarette de
Baulx; il la cite quatrième dans la liste des
douze nobles dames tenant cour ouverte et
plénière au château de Romanin, près de
Saint-Remy, en Provence, et sous la prési-
dence d'Estéphanette de Gantelme, la tante
de la belle Laure de Nove, de la muse de
Pétrarque.
Quelques historiens ont prétendu que Cla-
rette avait elle-même présidé la cour de Ro-
manin ; mais on l'a confondue avec une autre
dame de Baulx, Jehanne, qui, durant quelque
temps, présida le célèbre tribunal d'Avignon.
Voici, du reste, les noms donnés par Nostra-
damus en son Almanach royal du Palais d'a-
mour : Phanette de Gantelme, présidente; la
marquise de Malesp'me;la marquise de Sa-
luées; Clarette, dame de Baulx; Laurette de
Saint-Laurens ; Cécile Rascasse ; Hugonne de
Sabran, fille du comte de Forcalquier ; Hélène,
dame de Mont-Pahon ; Isabelle de JBorrilhons,
dame d'Aix; Ursine des Ursières, dame de
Montpellier; Alaette de Meolhon, dame de
Curban ; Elys, dame de Meyragues. Les noms
de ces galantes conseillères, q\ii ont promulgué
lous arrêtes d'amour, sontseuls parvenus jus- *
qu'à nous ; nous ne savons rien ou presque rien
de leur vie. Le temps a, de son aile, effacé
ce gracieux pastel, et c'est dommage. Cla-
rette de Baulx, cependant, méritait d'être
un peu épargnée, non a cause de sa haute
naissance (elle était de la maison de Berre, et
avait des droits sur le comté de Provence et
la principauté d'Orange), non parce qu'elle
appartint au tribunal d'amour de Romanin,
mais au même titre qu'Estéphanette de Gan-
telme, au même titre que Laure de Nove.
Elle inspira un poète, Pierre d'Auvergne, dit
l'ancien ou le vieux à cause du grand âge
auquel il parvint. Or, « Pierre d'Auvergne,
dit son biographe, fut le premier bon trouba-
dour qu'il y eût 'outre-monts, et fut réputé,
presque aussitôt, le meilleur troubadour du
monde jusqu'à l'apparition de Giraud de Bor-
neil. D Pierre d Auvergne avait visité les
cours des rois de Castille, des ducs de Nor-
mandie, celles de Narbonne et de Melgueul;
partout il avait été fort applaudi et fêté, plus
encore pour ses poésies satiriques et reli-
gieuses que pour ses poésies amoureuses;ses
sirventes l'avaient rendu célèbre encore plus
que ses tensons, lorsqu'il vint à la cour des
comtes de Provence. A la vue de Clarette, il
s'écria :
o Puisque l'air se renouvelle et s'adoucit,
aussi faut-il que mon cœur se renouvelle et
s'adoucisse, et que ce qui a germé en lui
bourgeonne et fleurisse en dehors. »
Un de nos grands poêles contemporains,
qui en est aussi un des plus charmants, un
des plus fins, Alfred de Musset a dit :
Si vous croyez que je vais dire
Qui j'ose aimer,
Je ne saurais pour un empire
Vous la nommer.
Victor Hugo dit la même chose dans une
poésie intitulée Son nom. Les troubadours,
eux aussi, se faisaient une loi d'envelopper
de mystère leurs chevaleresques amours. Et
voilà pourquoi, si Pierre d'Auvergne nous a
: laissé doviner qui fut la dame de sa pensée,
sa muse, il ne nous a dit rien autre chose
d'elle.
Pierre d'Auvergne naquit vers 1125, et mou-
rut en 1214. Entre ces deux dates, nous de-
vons placer aussi la naissance et la mort de
celle qu'il aima, de Clarette de Baulx.
BAULX (Huguette DE), nommée encore
Baulzette, c'est-k-dire petite Baulx, de même
que Huguette veut dire petite Hugues. Elle
était fille, en effet, de Hugues de Baulx, et de
la même maison que Clarette, dont nous ve-
nons de parler. Huguette, toute jeune en-
core, fut placée en qualité de fille d'honneur
auprès de la vicomtesse Hermengarde de
Narbonne, femme du comte de Foix, et
qu'André nomme comme présidant une cour
d'amour. Huguette, non-seulement était belle,
mais avait de l'esprit aussi et faisait des vers
agréables ; ces qualités la firent bientôt dis-
tinguer et aimer du troubadour Pierre Roger,
qui, aimable et beau, ne soupira pas longtemps
en vain.
Mais les deux amoureux s'aperçurent bien-
, tôt qu'on avait deviné leur secret. Pour dé-
tourner les soupçons des jaloux, Huguette
écrivit alors une chanson ou celui qu'elle ai-
mait était moqué, raillé, et, h son tour, celui-
ci composa des vers dont le titre était Contra
la dama di mala merce (Contre la dame sans
merci).
On fit semblant de croire au dédain de la
demoiselle, à l'insuccès du poète. Au reste, ces
liaisons entre troubadours et dames de haut
rang étaient communes, tolérées, acceptées
même, parce que le plus souvent, elles étaient
toutes chevaleresques, platoniques ; c'était une
sorte de vasselage imploré par l'amoureux,
qui, pour toute faveur, ambitionnait de s'age-
nouiller au pied du lit de sa suzeraine, pour
« délier ses bien charmants souliers. »
Ainsi parle Bernard de Ventadour à Adé-
laïde, ainsi devait parler Bertrand d'Alamanon
à Estéphanette, ainsi Pierre d'Auvergne à
Clarette, ainsi Pétrarque à Laure.
Pierre Roger, moins discret, plus vaniteux,
voulut apprendre à tous que son amante n'a-
vait su rien lui refuser et il composa des vers
dont voici le sens : « Celui qui n'a point vu
mon amante ne concevra jamais qu'on puisse
trouver une femme aussi parfaite ; on ne la
voit point sans être ravi d'admiration; sa
beauté a un tel éclat, qu'autour d'elle la nuit
même s'embellit des brillantes couleurs du
jour. Heureux qui a des yeux dignes de dis-
cerner et d'apprécier tant d'attraits I «
. Pierre Roger avait, en son orgueil, oublié
cette loi du4ameux code d'amour, rédigé par
une main mystérieuse et découvert par un
chevalier errant dans le palais du roi Arthur :
« qui ne sait celer, ne peut aimer. » Il en fut
cruellement puni : à quelques jours de là, on
le trouva assassiné.
Huguette de Baulx se consola vite, du reste,
de la perte de son indiscret amant, et nous
la retrouvons, bientôt après, mariée à Blacasse
de Beaudiner, seigneur d'Aulps en Provence.

BAUMA
village de Suisse, cant. et à 2S kil.
E. de Zurich, district de Pfet'hkon, sur la
Tœss, 3,410 hab. protestants. Ruines du châ-
teau d'Alt-Landenberg.

BAUMAN
(ÎLES), groupe d'îles de la Poly-
nésie, dans le Pacifique, au N.-O. des îles de
la Société, par }57° 50' long. O. et 13° lat. S,
découvertes par Roggeween en 1722.

BAUMANN
(Nicolas), docteur en droit, se-
crétaire d'Etat du duché de Juliers et profes-
seur d'histoire à Rostock, né vers 1450 à Wis-
mar ou à Emdem, mort en 1526. Quelques
érudits lui ont attribué le poème satirique in-
titulé Jiainier le lienard; mais on s'accorde
plus généralement à dire que ce poëme a eu
pour auteur Henri d'Alkmaor ou d'Alkmar.
BAUMANN (Jean-Frédéric), peintre alle-
mand, né à Ghera en 1784, mort à Dresde en
1830. Fils d'un sculpteur, il fut élève de
Schoenau, et devint très-habile peintre de
portraits. Il fut professeur adjoint à l'Acadé-
mie de peinture de Dresde, et se fit aimer de
tous ses élèves, qui se disputèrent l'honneur
de porter ses dépouilles mortelles à sa der-
nière demeure.

BAUMANNIE
s. f. (bo-ma-nî — de Bau-
mann, nom d'homme). Bot. Syn. des genres
anogre et cassandre.

BAUMBACH
(Frédéric-Auguste), composi-
teur et théoricien allemand, né en 1753, morto
en 1813. Il était chef d'orchestre du théâtre
de Hambourg depuis 1778, lorsqu'il donna, en
1789, sa démission pour pouvoir se livrer plus
complètement à la composition. Parmi les
œuvres, en assez grand nombre, qu'il écrivit,
tant pour la voix que pour le piano, le violon
et même la guitare, on remarque les mor-
ceaux suivants : Complainte de Thérèse sur
la mort de sa mère infortunée, Marie-Antoi-
nette, cantate avec accompagnement de piano
(Leipzig, 1794); le Songe de La Fayette, pour
piano (Paris, 1795), et enfin Marie-Thérèse
quittant la France, rondeau pour piano.

BAUME
s. f. (bô-me). En Provence, Grotte,
caverne : On prétend que sainte Madeleine a
fini ses jours à la sainte BAUME en Provence.
Il On dit aussi BALME.
BAUME s. m. (bô-me — du gr. balsamon,
même sens). Nom commun à plusieurs ré-
sines odorantes, fournies par des végétaux :
Les chimistes extraient l'acide benzoïque de
l'espèce de BAUME appelé benjoin. (Acad.)
— Par ext. Parfum aromatique : Dans le
Nord, les fleurs sentent l'herbe; aux BAUMES,
comme aux vins, il faut un soleil qui brûle et
concentre. (Mme L. Collet.)
Le baume, heureux Jourdain, parfume tes rivages,
DELUXE.
Le vase d'or qui renferma le baume.
Apres qu'il s'est brisé, garde encor son arôme.
A. BARBIER.
— Fig. Consolation, adoucissement, douce
satisfaction : Vous croyez donc... qu'un royaume
est un remède naturel à tous les maux, un
BAUME qui les adoucit, un charme qui les en-
chante? (Boss.) La date de votre lettre me mit
du BAUME dans le sang. (Mme de Simiane.) Vos
lettres versent du BAUME sur mes blessures.
(Volt.) La tolérance sera regardée, dans quel-
ques années, comme un BAUME essentiel au
genre humain. (Volt.) Le pardon est un BAUMB
pour les blessures faites par la méchanceté,
tandis que la rancune ne sert qu'à les alimen-
ter. (Mme de Blessington.) Dormir la nuit et
rêver le jour est le BAUME des douleurs. (Mme
de Blessington.) L'espérance est un BAUME qui
rafraîchit le sang. (G. Droz.) Jamais une femme
ne m'a versé le BAUME de ses consolations.
(Balz.) Le christianisme est surtout un BAUME
pour les plaies du cœur. (Chatcaub.) L,a bonté
a des BAUMES salutaires pour toutes les peines
de l'âme. (De Gérando.) Ah! monsieur, vous
me mettez véritablement du BAUME dans le
sang. (Alex. Dum.) C'est tout au plus si les
discours de la morale et de la religion par-
viennent à égaler le BAUME à la blessure.
(Thiers.)
Partout je porte un peu de baume û. la souffrance.
LAMARTINE.
Ah! voila qui vous met du baume dans le sang.
C. DELAVIQNE.
Ainsi donc, comme un baume en notre affliction,
Le ciel nous envoya la consolation.
C. D'HARLEVILLE.
Un mot à travers ces barreaux
A versé quelque baume en mon ame flétrie.
A. CIJÉNIER.
Que sa liqueur soit un baume de plus
Versé sur nos blessures.
BÉRANOER.
J'adoucirai ta peine en écoutant ta plainte,
Et mon cœur versera du baume dans ton cœur.
LAMARTINE. -. Il est dans la nature, Dans les riches trésors de la création, II est des baumes sûrs a toute affliction.
BRIZEUX.
— Loc pop. Fleurer comme baume, Exhaler
une odeur suave : Ce bouquet FLEURE COMME
BAUME. Il Sa réputation fleure comme baume,
Il aune excellente réputation.
— Prov. Je n'ai pas foi dans son baume, Je
n'ai pas confiance en cet homme; il est pour
moi comme un charlatan dont le baume no
vaut rien.
— Pharm. Nom commun à plusieurs pré-
parations pharmaceutiques très - diverses :
On ne voit pas un charlatan qui n'ait un BAUME
pour toutes les maladies.
... Un frater s'écria: Place! place! J'ai pour ce mal un baume souverain.
J.-B. ROUSSEAU.
— On compte un assez grand nombre de
baumes : Baume copalme, copaline, baume
d'ambre, ambre liquide, liquidambar, Noms
différents sous lesquels on connaît une ma-
tière liquide ou semi-liquide qu'on obtient
par incision du liquidambar styracifiua. Elle
a une odeur forte et tend à cristalliser à zéro
et au-dessous. On y a découvert entro.autres
principes : i<> une huile volatile très-odo-
rante, composée en grande partie d'hydro-
gène et de carbone; 2° de l'acide benzoïque ;
30 une matière cristallisable; soluble dans
l'eau; 40 une espèce de sous-resine analogue
à la styracine. H Baume de Calaba ou de Ma-
rie, Suc résineux fourni par une plante do
la famille des guttifères, te calophyllum ca-
laba ou galba des Antilles; il est employé
comme vulnéraire. Il Baume de Tolu ou d'A-
mérique, Baume fourni par un myroxyle. On
l'appelle encore baume dur, de Saint-l'homaSj
de Carthagène. li Baume du Pérou, Baume qui
provient également d'un myroxyle, et qu'on
appelle aussi baume brun, en coque, d'incision.
Il Baume de Judée, ou de La Mecque, ou baume
blanc, de Syrie, de Constantinop\e,de Galéad,
du grand Caire, d'Egypte, Baume fourni par
un balsamier. Il Baume de copahu ou du Bré-
sil, Baume d'un grand usage en médecine. 11
Baume du Canada, Baume fourni par un sa-
pin. 11 Baume de Carpathie ou Baume de Hon-
grie, Baume fourni par le pin sylvestre. 11
Baume vulnéraire, Mélange do vin, d'huile et
d'eau-de-vie, dans lequel on fait macérer les
'plantes dites vulnéraires. Il Baume hystérique,
Mélange presque solide d'huiles essentielles
et de substances résineuses fétides, que l'on
faisait flairer ou qu'on appliquait sur l'ombi-
lic, dans les accès nystériquos. Il Baumenerval
ou nervin, baume anodin de Bath, Mélange
de plusieures huiles essentielles, de graisses
et d'huile fixe de muscade, que l'on emploie en
frictions contre les entorses et contre certaines
douleurs rhumatismales, il Baume tranquille,
Infusion de plantes narcotiques et d'un grand
nombre, de plantes aromatiques dans l'huile
d'olive, que l'on emploie en frictions comme
calmant. 11 Baume hypnotique, qui a beaucoup
d'analogie avec le précédent. 11 Baume de La-
borde ou de Fourcroy, employé contre les
393
gerçures, et pour hâter la cicatrisation des
plaies, ii Baume acétique, Solution de savon
dans l'éther acétique,, à laquelle on ajoute
souvent un peu de camphre, et que l'on em-
ploie en frictions contre les douleurs rhuma-
tismales. Il Baume apoplectique, Composé em-
plastique formé de baumes proprement dits,
de résines et d'huiles volatiles, il Baume vert
de Metz ou de Feuillet, Dissolution de vert-
de-gris, de sulfate de zinc, de térébenthine,
d'aloès, d'essence de çenièvre et do girofle,
dans un mélange d'huiles d'olive, de lin et de
laurier. Ce baume est liquide, d'un beau vert
et un peu phagédénique ; on l'emploie dans
le traitement des ulcères fongueux. Il Baume
de soufre, Dissolution de 1 gramme de fleurs
de soufre dans 4 parties d'une huile essen-
tielle. Cette dissolution prend différents noms
suivant l'espèce d'huile employée; c'est ainsi
que nous avons le baume de soufre anisé, le
baume de soufre térébenthine, etc. Il Baume
d'acier on d'aiguilles, Sorte d'onguent d'un
rouge brun, que l'on emploie quelquefois
dans les douleurs articulaires. Pour le com-
poser, on fait dissoudre à chaud 8 grammes
de ljmaîlle d'acier dans 32 grammes d'acide
azotique, puis on ajoute 32 grammes d'al-
cool rectifié et autant d'huile d'olive. Il On
désigne plaisamment par la même expres-
sion l'instrument de chirurgie qui sert à
l'extraction des dents-: Pour guérir le mal
de dents, je ne connais que le BAUME D'ACIER.
Il Baume d'Arcœus% Sorte d'onguent que l'on
emploie quelquefois dans le pansement des
ulcères atoniques, et qu'on obtient en liqué-
fiant, à une douce chaleur, 2 parties de suif de
mouton, 1 partie de graisse de porc, l partie
et demie de térébenthine pure, et autant de
résine élémi. il Baume de Geneviève et baume
de Lucatel, employés comme le précédent, il
Baume de Ckiron, Baume tonique et adou-
cissant, ainsi nommé du centaure Chiron. il
Baume Opodeldoch, employé contre les con-
tusions et les douleurs rhumatismales, il
Baume de Sanchez ou anti-arthritique, em-
ployé en frictions contre les douleurs articu-
laires. |] Baume saxon, employé contre la dys-
pepsie, il Baume de Fioracanti, Nom commun
a divers produits obtenus en distillant plu-
sieurs substances résineuses et balsamiques,
et un très-grand nombre de matières végé-
tales, préalablement macérées dans de l'al-
cool. On distingue le baume de Fioravanti
roprement dit, ou spiritueux, et les baumes
e Fioravanti noir et huileux. Le premier
est un stimulant très-énergique, c'est le seul
qu'on emploie aujourd'hui, les deux autres
n'étant nue la décomposition plus ou moins
grande des substances organiques sur les-
quelles agit l'alcool, il Baume de Lectoure, de
Condom ou de Vinceguère, Mélange stimulant
et sudorifique de camphre, de safran, de
musc et d'ambre gris, dissous dans des huiles
essentielles. On le prend par gouttes sur du
sucre, on le porte sur soi comme aromate,
ou on le brûle dans les appartements, n
Baume du Samaritain, Mélange de vin et
d'huile employé dans le traitement des plaies,
et qui est ainsi nommé à cause du Samari-
tain de l'Evangile, qui s'en servit pour gué-
rir un blessé (v. ci-après.) il Baume du com-
mandeur de Fermes, ou simplement baume du
commandeur. Alcool composé, dont l'oliban,
la myrrhe, le baume de Tolu et le benjoin
font la base; on y joint l'aloès, l'angélique,
le millepertuis, il Baume de vie d'Boffmann,
Teinture alcoolique et excitante, composée
d'ambre gris et de plusieurs huiles volatiles,
que l'on dissout dans l'alcool. Il Baume de vie
deZeftéu7-e.(V.ELixiRDEL0NGUE VIE.) Il Baume
acoustique, Composé d'huiles, d'essences et
de teintures, que l'on emploie dans certains
cas de surdités accidentelles et atoniques. n
Baume de fier-à-bras, Baume légendaire et
merveilleux, fameux dans les romances de
chevalerie, et qui avait la vertu de guérir
toutes les blessures. Don Quichotte l'invoque,
à chaque horion qu'il a reçu.
— Liturg. Saint baume, Baume que l'é-
vêque mêle à l'huile, pour la composition du
saint chrême : Le pape se sert encore du SAINT
BAUME pour bénir les Agnus Dei et la Rose
d'or.
— Alchim. Baume universel ou baume de vie,
Elixir composé par les alchimistes. De même
que la pierre philosophale devait changer tout
en or, le baume de me devait guérir toutes les
maladies, et même au besoin ressusciter les
morts.
— Miner. Baume des funérailles, de So-
dome, des momies, ou baume momie, Espèce de
bitume que les Egyptiens employaient dans
la préparation des momies.
— Bot. Baume des champs ou sauvage, Espèce
de menthe, d'un parfum très-agréable : Des ro-
ches tapissées de sauge et de BAUMES sauvages.
(Chateaub.) Il Baume des chasseurs, Le piper
rotundifolium. n Baume à cochon ou baume su-
crier, l'hedwigie. H Baume focot, baume vert
de Madagascar, le tacamaque. Il Baume de la
grande terre, la lantana involucrata. Il Baume
des jardins, la balsamite. il Baume de Marie,
baume vert, le calophylle. Il Petit baume, le
croton balsamifère.
— Encycl. Le nom de baume était donné
autrefois à des compositions onguentaires,
auxquelles on attribuait de merveilleuses pro-
priétés. Plus tard, ce nom fut étendu à des
préparations liquides, odorantes, générale-
ment alcooliques, et qui étaient quelquefois
fort différentes les unes des autres. Aujour-
d'hui, cette dénomination doit être restreinte
à des substances résineuses qui contiennent
de l'acide benzoïque ou de l'acide cinnamique
et une huile volatile. Les baumes découlent
naturellement de certains arbres, ou bien on
les obtient au moyen d'incisions; ils exhalent
tous une odeur agréable et pénélrante. D'une
consistance plus ou moins liquide, ils se dis-
solvent, comme les résines, dans l'alcool, les
huiles essentielles, l'éther, et ils sont complè-
tement insolubles dans l'eau. On peut les di-
viser en deux classes : ceux qui renferment
de l'acide benzoïcjue, et ceux qui renferment
de l'acide cinnamique. Le benjoin est au nom-
bre des premiers ; le styrax, le tolu, et le
baume du Pérou sont au nombre des seconds.
Quelques-uns, tels que le Hquidambar, con-
tiennent les deux acides. Les baumes de co-
pahu, du Canada, de La Mecque, etc., ne sont
que des résines liquides ou térébenthinées.
Outre ces baumes proprement dits ou natu-
rels, on a établi un ordre de baumes factices
ou pharmaceutiques ; ce sont des teintures
alcooliques, des huiles médicinales, des on-
guents, etc.
Nous ne reprendrons pas ici toute la série
des baumes dont nous avons déjà donné les
noms; nous nous arrêterons seulement à dire
quelques mots de ceux qui peuvent donner
heu à des développements scientifiques.
— Baume du Pérou. A la fin du xvinc siè-
cle, Hernandez reconnut que ce baume, dont
on doit la connaissance à Monard (1580), pro-
venait du myroxylum perniferum, grand arbre
de l'Amérique méridionale, qui croît principa-
lement au Guatemala, et qui appartient a la
famille naturelle des légumineuses.
On en connaît deux sortes dans le com-
merce : îo le baume du Pérou solide, demi-
fluide, transparent, d'un jaune pâle, d'une
odeur suave et d'une saveur acre et pi-
quante. Cette variété est aujourd'hui très-
rare ; 20 le baume du Pérou noir ou liquide,
qui serait contenu, d'après Salle, voyageur
français, dans le noyau du myroxylum perni-
ferum, de consistance sirupeuse, d'une odeur
forte, mais agréable, d'une saveur amère, on
l'obtiendrait, suivant quelques auteurs, par la
décoction de l'écorce et des racines de liane.
«Le baumedu Pérou se compose: « 1° de cin-
. naméine, corps liquide, volatil à une tempéra-
ture élevée, peu odorant; 2° de métacinna-
méine, corps cristallisable (Ci'H"0*); 3° d'un
acide cinnamique; 4° d'une partie résineuse
(çia»jj*oQuj qUj ne préexiste pas, selon toutes
probabilités, mais qui, au contact de l'air, se
produit aux dépens de la cinnaméine en ab-
sorbant de l'eau. La résine est d'autant plus
abondante que le baume a été plus longtemps
exposé à l'air. » (NYSTEN.) Le baume du Pérou
est un excitant, qui est surtout employé dans
les catarrhes chroniques ; il entre dans la com-
position de lathériaque et des pilules de Mor-
ton; on le dit diurétique, et quelques médecins
en ont recommandé 1 usage dans les maladies
des voies urinaires. Autrefois, il était très-
' fréquemment employé à la cicatrisation des
i plaies récentes.
— Baume de Tolu. Il provient du loluifera
- balsamum, arbre de la famille des légumineu-
ses, qui croît dans l'Amérique méridionale, et
notamment dans les environs de Tolu, non
loin de Carthagène, ce qui lui fait donner aussi
quelquefois le nom de baume de Carthagène.
Ce baume découle d'incisions faites au tronc
de l'arbre, et, ainsi obtenu, il est renfermé soit
dans de grandes bouteilles de terre cuite, ap-
pelées potiches, soit dans de petites cale-
basses. Ordinairement solide, sec et cassant,
il est d'un fauve clair, d'une odeur très-agréa-
ble et d'une saveur douce. Projeté sur des
charbons ardents, il brûle-en répandant des
vapeurs blanchâtres très-aromatiques. Cette
substance contient : 1° du tolène ; 2° de
la cinnaméine; 3° une petite quantité d'acide
cinnamique ; 4^ de l'acide benzoïque en grande
quantité; 5° une résine particulière.
Les propriétés médicales du baume de Tolu
sont identiques à celles du baume du Pérou ;
cependant, on le préfère généralement à ce
dernier, et il constitue plusieurs préparations
pharmaceutiques, un sirop, des pastilles et.
une teinture très-fréquemment employés.
— Baumes factices on pharmaceutiques. Ces
baumes sont extrêmement nombreux ; ils dif-
fèrent entre-eux, autant par leur composition
et leurs usages que par leurs propriétés médi-
cales et leur mode d emploi ; les uns ont pour
base l'alcool ou les huiles essentielles ; les au-
tres de la cire, des résines ou du savon. Nous
devons nous borner ici à indiquer les princi-
paux, parmi ceux qui sont encore en usage :
Baume acétique, Solution de savon dans l'é-
ther acétique, à laquelle on ajoute quelquefois
du camphre et de 1 huile volathe de thym; il
est employé en frictions dans les affections
rhumatismales. Baume d'Arcœi.s, composé de
I suif, de graisse et de térébenthine, que l'on
! fait fondre ensemble; préparation excitante,
qui produit de bons effets dans le pansement
des ulcères atoniques. Baume du commandeur.
. C'est une teinture alcoolique, très-chargée de
I substances résineuses et balsamiques , l'oli-
ban, le myrrhe, le tolu, le benjoin, auxquels
il faut ajouter de l'aloès, de l'angélique et du
millepertuis ; stimulant administré a l'inté-
rieur, à la dose de 10 à 40 gouttes, et qui, à
l'extérieur, s'emploie comme le baume a'Ar-
cœus. Baume de Fioravanti. Cette préparation
. est également appelée alcool de térébenthine
composée ; on l'obtient par la distillation, après
macération alcoolique, d'un très-grand nombre
de substances résineuses et aromatiques, telles
que la térébenthine , la myrrhe, la résine
élémi, le girofle, le gingembre, la cannelle, etc.
Le premier produit de la distillation est ce
que l'on nomme baume de Fioravanti spiri-
tueux. Le baume de Fioravanti huileux est une
huile citrhie, que l'on obtient en faisant dis-
tiller, dans une cucurbite de terre vernissée
ou de fer, le marc resté dans l'alambic; en
prolongeant cette opération et en augmentant
la chaleur, il se produit une liqueur noirâtre,
en partie huileuse et en partie aqueuse, que
l'on nomme baume de Fioravanti.noir. La pre-
mière de ces préparations est la seule aujour-
d'hui employée ; c'est un stimulant énergique,
qui produit de bons effets contre certaines
ophtnalmies; dans ce cas, on l'emploie sous
forme de vapeur, en en versant Quelques
gouttes dans le creux de la main, que 1 on rap-
proche du globe oculaire affecté. Baume ner-
val ou nervin, Préparation onguentaire, com-
posée d'huiles essentielles, de camphre, de
baume du Pérou, d'axonge et d'esprit-de-vin.
Autrefois, ce baume contenait de la moelle de
cerf et de bœuf, de la graisse de vipère, d'ours
et de blaireau. Il n'est employé qu'à l'exté-
rieur, dans le pansement des plaies et des ul-
cères. Baume Opodeldoch, Solution de savon
animal dans de l'alcool chargé de camphre et
d'huile volatile. A cette solution faite au bain-
marie, on ajoute, après le refroidissement, de
l'ammoniaque liquide, et on enferme le mé-
lange dans des flacons à large ouverture exac-
tement bouchée. Le baume Opodeldoch, en se
solidifiant, acquiert une transparence opaline,
très-souvent interrompue par des arborisa-
tions dues à la formation de stéarate de soude.
Cette préparation est un des baumes les plus
9 usités; il est stimulant et constitue un bon
remède contre les contusions, les entorses
et les douleurs rhumatismales. Baume tran^
quille, Infusion huileuse de belladone, de jus-
quiame, de morelle, de stramonium et d'un
grand nombre de- plantes aromatiques. On
l'obtient par macération, au soleil et en vais-
seau clos ; il est d'une couleur vert foncé et
exhale une odeur aromatique. Il est très-fré-
quemment conseillé comme calmant, ou seul,
ou uni à d'autres narcotiques.
Tels sont aujourd'hui les principaux baumes
employés par nos médecins et nos chirurgiens.
L'ancienne pharmacopée en avait beaucoup
d'autres, dont elle vantait les effets prodigieux.
Nous les avons nommés, et c'est tout ce qu'ils
méritent.
— Miner. Baume momie. C'est une sorte de
bitume liquide ou plutôt visqueux, devenant
presque solide dans les temps froids. Il est
noir, dégage l'odeur ordinaire des bitumes, et
brûle, comme eux, avec flamme et fumée
abondante. On le trouve en France, dans les
environs de Clermont-Ferrand. Il forme sur
le sol un vernis visqueux qui s'attache assez
fortement aux pieds des voyageurs. On le ren-
contre aussi en Perse, sur la route de Schi-
ras à Bender-Congo, dans une montagne ap-
pelée Darap ; il y est recueilli avec soin, et
envoyé au roi de Perse comme un baume effi-
cace pour la guérison des blessures. On l'em-
ploie, sous le nom de mallhe, pour enduire les
câbles et les bois qui servent dans l'eau ; aussi
l'appelle-t-on quelquefois goudron minéral. Il
est employé en Suisse pour enduire les bois
des maisons et des charrettes et il entre dans
la composition de certains vernis qui servent
à préserver le fer de la rouille, ainsi que dans
celle de la cire à cacheter noire.
— Liturg. Le saint baume est celui que l'E-
glise mêle à l'huile pour la composition du
saint chrême servant aux onctions, dans l'ad-
ministration de certains sacrements. Cet em-
ploi du baume dans les cérémonies religieuses
ne remonte pas au delà du vie siècle ; du moins
n'en trouve-t-on aucune trace avant cette
époque. Les Arméniens composaient autrefois
leur chrême avec du beurre plutôt qu'avec du
baume.* Les théologiens sont encore à se dis-
puter pour savoir si le mélange du baume avec
l'huile est nécessaire à la validité des sacre-
ments, pour l'administration desquels on em-
ploie le chrême. Ce n'est pas nous qui nous
chargerons de résoudre cette question. On
veut voir dans le baume, ainsi marié à l'huile,
le parfum de la grâce ou la bonne odeur que
doivent, pour ainsi dire, répandre les vertus
du chrétien qui a dignement reçu les sacre-
ments.
— AH US hist. Le baume du bon Samaritain.
Un docteur de la loi, qui voulait passer pour
juste, dit à Jésus : « Qui est mon prochain? o
Jésus répondit : « Un homme descendait de
Jérusalem à Jéricho ; il tomba entre les mains
des voleurs, qui le dépouillèrent et le laissè-
rent à demi mort. Un prêtre, qui suivait le
même chemin, vit cet homme et passa outre ;
un lévite, qui survint, le vit et passa de même.
Mais un Samaritain, qui suivait la même route,
fut ému de compassion, et, s'approchant, il
versa de l'huile et du vin sur ses plaies et les
banda; puis, le mettant sur son cheval, il le
conduisit dans une hôtellerie et en prit soin.
Le lendemain, il tira deux deniers de sa bourse
et, les donnant à l'hôte, il lui dit : « Ayez soin
- de cet homme, et tout ce que vous dépense-
» rez de plus, je vous le rendrai à mon re-
- tour. » Lequel des trois vous semble le pro-.
chain de celui qui tomba entre les mains des
voleurs? — C'est, répondit le docteur, celui
qui a usé de miséricorde envers lui. » Jésus
lui dit : « Allez donc, et faites de même. »
(Saint Luc, chap. x. ) Jamais le dogme de la
fraternité humaine n'a été enseigné aussi élo-
quemment que dans cette simple et touchante
Sarabole. La morale évangélique éclate ici
ans toute sa divine nouveauté; elle répudie
hardiment les traditions du monde ancien, cette
législation barbare qui établissait des degrés
infranchissables entre les différentes classes
de citoyens, et elle appelle au même titre
d'homme, de prochain, tous les déshérités de
la naissance ; elle relève tous ceux qui ont
vécu jusque-là courbés sous d'orgueilleux pré-
jugés, et leur restitue l'égalité, qu'ils ont reçue
en sortant des mains du Créateur. La para-
bole du Samaritain, c'est le préambule d'une
nouvelle constitution qui devra régir le monde :
faire jouir tous les hommes des mêmes droits,
et apporter à tous les peuples l'immense bien-
fait de la liberté.
Les écrivains font souvent allusion au baume,
à l'huile du bon Samaritain. Hégôsippc Moreau
le rappelle d'une manière touchante, dans les
vers suivants du Myosotis ;
Mon cœur, ivre à seize ans de volupté céleste,
S'emplit d'un chaste amour dont le parfum lui reste.
J'ai rêvé le bonheur, mais le rêve fut court
L'ange qui me berçait trouva le fardeau lourd,
Et, pour monter à Dieu dans son vol'Solitaire,
Me laissa retomber tout meurtri sur la terre.
Où, depuis, mon regard dans l'horizon lointain
Plongeait sans voir venir le bon Samaritain.
« On voit avec quelle délicatesse de senti-
ment et d'expression Pierre le Vénérable ra-
mène, jusque dans la mort, l'image de ces
noces éternelles, impérissable aspiration d'Hé-
loïse ! L'huile du Samaritain ne coulait pas
plus onctueusement sur les blessures du corps
que la parole de ce saint homme sur celles du
cœur. » LAMARTINE.
« Dans les premières années du xvnc siècle,
le cardinal Frédéric Borromée étant archevê-
que de Milan, deux" femmes assassinées et à
demi mortes furent trouvées sur la route de
Monza, en Milanais... Telle était, à cette épo-
que, la terreur causée dans ce pays et dans
toute l'Italie par la domination espagnole, que
les paysans n'osèrent d'abord recueillir les
infortunées. Deux bons Samaritains se pré-
sentèrent enfin. » ASSELINEAU.
« La douleur impitoyable qui brisait Mou-
geot n'éveillait plus en lui de jaloux ressenti-
ments; c'était un compagnon de misère qu'il
visitait. L'organisation du jeune homme, sa
nature modeste, candide, rencontraient dans
son cœur de merveilleuses sympathies. Au-
dessus de ces lois vulgaires de l'honneur, qui
entravent dans le monde l'élan des plus belles
âmes, il venait lui-même apporter le baume
du Samaritain aux blessures saignantes de
son ennemi. » ROGER DE BEAUVOIR.
« On force l'exilé à continuer sa route
vers de nouveaux déserts : le ban qui l'a mis
hors de son pays semble l'avoir mis hors du
monde. Il meurt, et il n'a personne pour l'en-
sevelir. Son corps gît délaissé sur un grabat,
d'où le juge est obligé de le faire enlever, non
comme le corps d'un homme, mais comme un
immondice dangereux aux vivants ! Ah ! plus
heureux lorsqu'il expire dans quelque fossé
au bord d'une grande route, et que la charité
du Samaritain jette en passant un peu de terre
étrangère sur ce cadavre. -
CHATEAUBRIAND.
BAUME (Nicolas-Auguste DE LA), marquis
de Montrevel, maréchal de France, né en
1646, mort en 1710. Ayant embrassé fort jeune
la carrière des armes, il arriva au premier
grade de l'armée, par une série d'actions d'é-
clat et par la valeur brillante dont il fit suc-
cessivement preuve au siège de Lille, au pas-
sage du Rhin, qu'il traversa un des premiers
en 1672, à Senef, à Namur, à Luxembourg, à
Cassel, à Fleurus. Nommé maréchal de France,
en 1703, et, bientôt après, gouverneur du
Languedoc, il fit la guerre aux camisards et
mourut à l'âge de soixante-dix ans. Beau,
bien fait, élégant, aimant le jeu et les femmes,
jouissant de toute la faveur de Louis XIV, le
brillant maréchal joignait à la plus grande
présomption l'ignorance la plus étonnante.
C'est au point que Saint-Simon, qui en a tracé
un piquant portrait, prétend, avec une exagé-
ration évidente, mais toutefois caractéristi-
que, que de La Baume était hors d'état de
distinguer sa main droite de sa main gauche.
La cause de sa mort donne, du reste, une idéo
de la faiblesse de son esprit. Se trouvant à
dîner chez le duc de Biron, une salière se ren-
versa sur lui. A cette vue, cet homme, qui
avait montré tant de courage devant l'ennemi,
se sentit saisi d'une superstitieuse frayeur. Il
Eâlit, en criant : « Je suis mort! » et, pris de
i fièvre en rentrant chez lui, il mourut au
bout de quatre jours. La maison de La Baume
s'est éteinte dans la personne de Franeois-
Antoine-Melchior DE LA BAUME , maréchal do
camp, qui fut député de la noblesse aux états
généraux de 1789, et qui périt sur l'échafaud,
en 1794.
BAUME (Edmond), avocat, publiciste et
homme politique, né à Toulon en 1803, mort
50
394
à Paris en 1863. Son père était simple com-
positeur d'imprimerie, et ne put lui donner
qu'une instruction très-bornée. A dix ans,
il entra dans la marine et servit comme
mousse. Il travailla ensuite comme char-
pentier dans le port de Toulon; mais il em-
ployait à lire toutes les heures de liberté
que lui laissait son pénible travail, et il eut le
jonheur de rencontrer un homme généreux
qui lui fournit les moyens de compléter son
instruction au collège de Toulon. Ses progrès
furent rapides ; il put ensuite faire son droit à
Paris, et, en 1829, il se fit inscrire au tableau
des avocats de cette ville. Après la révolu-
tion, il retourna à Toulon, où il fonda un jour-
nal d'opinions très-avancées : l'Aviso de la
Méditerranée, journal des patriotes de Toulon
et du Var. Pendant quatre ans, la vivacité de
ses attaques contre le gouvernement lui valut
un grand nombre de procès, et bientôt les lois
de septembre l'obligèrent à cesser d'écrire. Il
vint alors reprendre son rang parmi les avo-
cats de la capitale ; son talent, son zèle à dé-
fendre les intérêts de ses clients, ne tardèrent
pas à lui assurer une position très-honorable.
A la chute de Louis-Philippe et lorsque la
France se fut donné la forme de gouverne-
ment qui avait toujours été le rêve favori de
Baume, il se" présenta devant les électeurs de
Toulon et sollicita l'honneur de les représen-
ter à la Constituante. On n'avait pas oublié
les luttes qu'avait soutenues le jeune rédac-
teur du Journal des patriotes : il en recueillit
la récompense et fut élu. Il alla prendre place
sur les bancs d% l'extrême gauche, soutint de
sa parole et de ses votes toutes les mesures
libérales, et vota notamment pour le droit au
travail et pour l'amendement Grévy. Pendant
les néfastes journées de juin, il paya de sa
personne et s'exposa aux plus grands dangers,
pour montrer à tous que les vrais républicains
réprouvaient une insurrection qui portait un
coup funeste a la république. Non réélu à la
Législative, il reprit sa profession, d'avocat
jusqu'au jour de sa mort,«qui fut un jour de
deuil pour tous les amis de la liberté. Me Mou-
lin prononça sur sa tombe, en présence du
nombreux cortège d'hommes éminents qui
avait suivi sa dépouille mortelle, un discours
que tous les journaux démocratiques s'em-
pressèrent de reproduire.

BAUME-DESDOSSAT
(Jacques-François DE
LA), littérateur français, né à Carpentras en
1705, mort à Paris en 1750. Il fut chanoine de
la collégiale de Saint-Agricol d'Avignon, et
composa plusieurs ouvrages, notamment ;
Eloge de la paix (Paris, 1736) ; la Christiade
ou le Paradis reconquis (Paris, 1753, 6 vol.
in-12), ouvrage curieux, mais mal écrit, où l'on
voit la Madeleine essayant de séduire le Christ,
et qui valut à son auteur une amende intligée
par le parlement de Paris ; les Saturnales fran-
çaises (Paris, 1736, 2 vol. in-12), publiées sous
le nom de M. Croquet, et où se trouvent qua-
tre comédies en prose : le Médisant, les Effets
de la prévention, le Triomphe de l'amitié et
{Inégal.

BAUME-MONTREVEL
(Claude DE LA), prélat
français, né en 1521, mort en 1584. Choisi, à
l'âge de douze ans, comme coadjuteur par son
oncle, Pierre de La Baume, nommé par
Paul III cardinal-archevêque de Besançon,
Claude lui succéda sur ce siège en 1545, et
se signala par son ardeur intolérante contre
les protestants. Il fit nommer des commissions
chargées d'examiner la conduite de quiconque
paraîtrait plus ou moins entaché d'hérésie,
expulsa de Besançon un certain nombre de
citoyens, et prit contre les familles des bannis
des mesures rigoureuses. Trois cents de ces
derniers résolurent de revenir dans Besançon
et d'en chasser l'archevêque ; mais leur tenta-
tive échoua (1575), et quarante jeunes gens de
la ville, accusés de complicité dans le mouve-
ment, furent condamnés à périr dans les sup-
plices. En souvenir de son triomphe, l'arche-
vêque institua une fête commémorative qu'on
céiébre encore à Besançon, le 21 juin, et
reçut, peu de temps après, le chapeau de car-
dinal. Claude de La Baume avait pris pour vi-
caire général un parent du célèbre Raymond
Lulle, Antoine Lulle, professeur à Dôle, qui
réunit et publia les statuts synodaux du dio-
cèse, sous le titre de Statuta synodalia Bi-
sunt., etc. (Lyon, 1560, in-4<>).
BAUME (LA), petite rivière de France (Ar-
dèche), prend sa source près de Loubarès,
cant. de Valgorge, arrond. de Largentière,
passeàValgorge, Joyeuse, LaBaume, et tombe
dans l'Ardèche, au-dessous de ce dernier vil-
lage, après un cours de 40 k. du N.-O. au N.-E.
BAUME (LA SAINTE-), montagne de France
(Var), dans l'arrond. et à 24 kil. S.-D. de Bri-
gnolles, cant. de Saint-Maximin, à 35 kil. E.
de Marseille; altitude 870 m. Près du sommet,
grotte de Sainte:Madeleine, dans laquelle cette
sainte passa, dit-on, les trente dernières an-
nées de sa vie dans la pénitence et la prière ;
but d'un pèlerinage célèbre dans le pays.

BAUME-LES-DAMES
, ville de France
(Doubs), ch.-l. d'arrond., à 29 kil. N.-E. de
Besançon, 435 kil. S.-E. de Paris, sur le Doubs
et le canal du Rhône au Rhin: pop. aggl.
2,174 hab. — pop. tôt. 2,577 hab. L arrond.
comprend 7 cant., 187 comm. ; 64,834 hab.
Tribunal de ire instance et justice de paix;
collège communal, bibliothèque. Carrières
de £ypse et de marbre rouge -, moulins, tan-
neries; commerce de bestiaux. Baume-Ies-
Dames, dont on admire la belle église parois-
siale, possédait autrefois une abbaye de cha-
noinesses, dont l'église sert actuellement de
halle ; c'est à cette abbaye, enrichie par Char-
lemagne et Louis le Débonnaire, que fait allu-
sion la dénomination de Baume-les-Dames 'ou
les Nonnes. On y voit encore les ruines d'un
château fort, détruit par les Suisses en 1476,
à la suite des défaites qu'éprouva Charles le
Téméraire à Granson et à Morat.

BAUME-LES-MESSIEURS
, petite ville de
France (Jura), arrond. et à il kil. N.-E. de
Lons-le-Saunier; 950 hab. Doit son nom à une
ancienne abbaye de bénédictins de la congré-
gation de Cluny ; elle est bâtie au fond d^ine
tosse étroite, entre des montagnes immenses et
des rochers arides, qui s'élèvent à plus de
200 m. au-dessus des habitations, ne laissant
voir que le ciel. On arrive"dans ce lieu cu-
rieux et sauvage, par la charmante vallée de
la Seille.
BAUME (Antoine), chimiste français, né en
1728, mort en 1804. Fils d'un aubergiste de
Senlis, il n'eut d'autre instruction, pendant les
quinze premières années de sa vie, que celle
qu'il put puiser dans sa ville natale, au sein
de sa famille. Après deux ans d'apprentissage
chez un apothicaire de Compiègne, il vint à
Paris à l'âge de dix-sept ans, et entra dans la
pharmacie du célèbre Geoffroy. A vingt-quatre
ans (1752), il fut reçu maître apothicaire, avec
une grande distinction. - Peu de ses contem-
porains, dit M. Chevreul, ont autant écrit que
lui; peu ont autant travaillé dans le labora-
toire, et c'est grâce à ces travaux que plu-
sieurs de ses écrits ont une valeur réelle. »
De nombreux et intéressants mémoires sur la
cristallisation des sels, sur les phénomènes de
la congélation et de la fermentation, sur les
combinaisons et les préparations des corps-
^ras, du soufre, de l'opium, du mercure, de
l'acide borique, du platine, du quinquina, etc.,
lui ouvrirent les portes de 1 Académie des
sciences en 1773 ; et, lorsque le succès de l'En-
cyclopédie fit concevoir le plan du Dictionnaire
des arts et métiers, Baume se chargea d'écrire
plus de cent articles, qui font partie de cette
collection. Les divers mémoires qu'il avait
déjà fait paraître, avant de publier ces articles
technologiques, prouvent que les procédés des
manufactures lui étaient familiers. On lui de-
vait une méthode pour teindre les draps, un
procédé pour dorer les pièces d'horlogerie, des
moyens pour éteindre les incendies, d'autres
pour conserver le blé. Il avait aussi fait de
bonnes observations sur les constructions en
plâtre ou en ciment, sur les argiles et sur la
nature des terres arables. Avec Macquer, il fit
de nombreuses expériences pour élever la fa-
brication de notre porcelaine au niveau de celle
de la Chine. Le premier, il établît en France
une fabrique de sel ammoniac, et parvint à
blanchir les soies jaunes par un procédé chi-
mique. Il perfectionna la teinture écarlate des
Gobelins, et, indiqua un procédé économique
pour purifier le salpêtre. 11 se livra à un long
travail pour rendre les thermomètres compa-
rables et perfectionner l'aréomètre qui porte
son nom. Enfin, il enseigna les moyens de fa-
briquer avec le marron d'Inde une fécule
douce et propre à faire du pain.
Ruiné par la Révolution, il rentra dans la
carrière commerciale, qu'il avait abandonnée
en 1780 pour donner tout son temps aux re-
cherches de chimie appliquée. Il avait été pen-
sionnaire de l'Académie des sciences en 1785;
il fut élu associé à l'Institut en 1796.
Voici la liste des principaux ouvrages de
Baume : Dissertation sur l'éther, dans laquelle
on examine les différents produits du mélange
de l'esprit-de-vin avec les acides minéraux
(1 vol. in-12, 1787); Eléments de pharmacie
théorique et pratique (l vol. in-8°, 1762;
2e édit., 1769 ; 3« édit., 1773, etc.) ; Manuel de
chimie ou Exposé des opérations et des pro-
duits d'un cours de chimie (l vol. in-12,1765) ;
Mémoire sur les argiles ou Recherches et expé-
riences chimiques et physiques sur la valeur des
terres les plus propres à l'agriculture, et sur les
moyens de fertiliser celles qui sont stériles
(l vol. in-12, 1770); Chimie expérimentale et
raisonnée (3 vol. in-8°, 1773); Mémoire sur la
meilleure manière de construire les alambics et
fourneaux propres à la distillation des vins
(1778) ; Mémoire sur les marrons d'Inde (1797).
Des ouvrages que nous venons de citer, les
plus importants sont : les Eléments de phar-
macie et )a Chimie expérimentale et raisonnée.
Baume s'y montre attaché au phlogistique, et
repousse la nouvelle nomenclature chimique
et la théorie de la combustion de Lavoisier.
Les opinions qu'il émet s'éloignent notable-
ment de celles de Stahl. Il adopte la théorie
des quatre éléments : « Le feu, dit-ilj est une
matière essentiellement fluide, principe de la
fluidité des autres corps, et toujours en mou-
vement... Le phlogistique est ta principe des
odeurs, des couleurs et de l'opacité des corps...
Le phlogistique est de la plus grande fixité au
feu, tant qu'il n'a pas de contact avec l'air;...
lorsqu'il se combine avec les chaux métal-
liques, il les ressuscite en métal ;... il augmente
même leur pesanteur spécifique... Tout ceci
prouve, ajoute-t-il, que le phlogistique est fixe
quand il entre beaucoup de terre dans sa com-
position, et qu'il est au contraire très-volatil
quand c est le feu élémentaire qui prédomine
sur le principe terrestre. » Comme le fait re-
marquer M. Chevreul, Stahl admettait la fixité
absolue du phlogistique, et ne concevait la ma-
nifestation du feu que là où il y avait mouve-
ment. Dans la théorie du chimiste allemand, la
combustion consistait en un mouvement de
verticille communiqué par l'air aux particules
très-divisées du phlogistique, mouvement qui
séparait ce dernier du combustible, sous la
forme lumineuse.

BAUMÉE
s. f. (bo-mé — de Baume, chi-
miste français). Bot. Genre de plantes mono-
cotylédones, de la famille des cypéracées,
comprenant deux espèces herbacées, qui crois-
sent Tune aux Moluques, l'autre aux îles
Marianncs.

BAUMEISTER
(Frédéric-Chrétien), philo-
sophe allemand, l'un des disciples les plus dis-
tingués de Wolf, né à Grossenkœrner (Saxe-
Gotha) en 1709, mort en 1785. Il devint en 1736
recteur du gymnase de Goerlitz, et il a laissé
des ouvrages importants, dont les principaux
sont : Philosopkia definitiva (Wrttemberg,
1735, in-40); Institutions philosophiœ ratio-
nalis, methodo Wolfiana conscriptœ (Wittem-
berg, 1736) ; Institutiones metaphysicœ (Wit-
temberg, 1738) ; Elementa philosophiœ recen-
tioris (Leipzig, 1747), etc.
BAUMEISTER (Jean-Guillaume), vétérinaire
allemand, né en 1804, mort en 1846. Après
avoir étudié quelque temps lapeinture, et s être
essayé surtout avec succès dans la représen-
tation des animaux, il s'adonna à l'étude de
l'art vétérinaire, qu'il apprit à Stuttgard vers
1825, et qu'il enseigna successivement à Ho-
henheim et à Stuttgard. On a de lui quelques ou-
vrages estimés, parmi lesquels nous citerons :
Guide abrégé de l'élève du cheval (1843) ; Ma-
nuel général de l'art vétérinaire, en collabo-
ration avec Duttenhoser (1843-1844); Manuel
de l'élève et de la connaissance des animaux
(1843-1847). Tous en allemand.

BAUMER
(Jean-Guillaume), médecin alle-
mand, né à Rehweiler en 1719, mort en 1788.
D'abord pasteur protestant à Krautheim, il
abandonna, au bout de quatre ans, en 1746,
ses fonctions ainsi que la théologie, se livra
à l'étude de la médecine à Huile et professa
cette science successivement à Erfurt et a
Giessen, où il fut appelé en 1764. Ses princi-
paux ouvrages sont : Iraité des minéraux
(Gotha 1763-1764); Historia nafuralis lapi-
dwn pretiosonim omnium (Francfort. 1771);
Fundamenta géographie et hydrographie sub-
terraneœ (1779); Ilisioria naturalis reqni mi-
neralis (1780); Anthropologia anatonomico-
physica (1784), etc.

BAUMES
bourg de France (Vnnclu^e), ch.-l.
de canton, arrond. et à 20 kil- E. d'Orange;
pop. aggl., 1,089 hab. —pop. tôt., 1,774 hab.
Fabriques de plâtre. On y voit les ruines
d'un vieux château, dont quelques pans sont
encore debout. Près de ce bourg, à l'O., s'é-
lève la jolie chapelle romane de Notre-Dame
d'Aubaune.
BAUMES (Jean-Baptiste-Timothée), méde-
cin français, né àLunel en 1777, mort en 1828.
Il était médecin a Nîmes, lorsque sa réputa-
tion lui valut d'être appelé à une chaire de la
fiiculté de Montpellier. Doué d'une imagina-
tion vive et mobile, il se signala par son anti-
pathie contre la plupart des hommes et des
livres qui appartenaient a la faculté de Paris,
et par ses incessantes querelles doctrinales,
même avec ses collègues. Il est l'auteur d'une
théorie médicale qui fit du bruit, mais qui n'eut
à peu près quelui seul pour partisan. Dansson
système, il subordonne toute la médecine à
la chimie, et il y a tout lieu de s'étonner que
cettejdoctrine soit sortie de l'éco!e de Montpel-
lier, après les écrits de Bordeti et de Barthez,
qui avaient si vivement combattu les idées em-
pruntées par la médecine à la mécanique et à
la chimie, et qui avaient fait revivre la doctrine
primitivement établie par Hippocrate, renou-
velée depuis par Stahl. Praticien distingué et
observateur exact, Baumes a laissé un grand
nombre d'ouvrages, dont les principaux sont :
De l'usage du quinquina dans les fièvres rémit-
tentes (Paris, 1787) ; Traité des convulsions des
enfants (1789) ; Mémoire sur les maladies qui
résultent des émanations des eaux stagnantes
(1789); Traité de la phthisie pulmonaire (1789,
2 vol.); Fondement de la science méthodique
des maladies (1802, 4 vol.); Essai d'un système
chimique de la science de l'homme (1798);
Traité élémentaire de nosologie (1801, 4 vol.) ;
De l'instruction publique dans ses rapports avec
l'enseignement des sciences et arts, etc. (1814).
Ajoutons qu'aux yeux de Baumes les chirur-
giens ne devaient être que de simples ma-
nœuvres, et qu'il ne cessait de déclamer con-
tre la place importante que les chirurgiens
avaient prise dans l'art de guérir.

BAUMGARTEN
(Sigismond-Jacques), théo-
logien protestant, né à Wolmirstaedt en 170C,
mort en 1755, enseigna la théologie à Halle.
Ce fut lui qui commença, en 1744, la publica-
tion en langue allemande de la grande Histoire
universelle dite de Halle, d'abord traduite de
l'anglais, et à laquelle Semlev, Schoelzer,
Engel, etc., imprimèrent une direction nou-
velle. Entre autres ouvrages, on lui doit :
Notices sur la bibliothèque de Halle (1748-
1751 ) ; Renseignements sur des livres curieux;
Histoire d'Espagne, de Ferreras, avec les ad-
ditions de la traduction française (1753-1757) ;
des traités de morale religieuse, etc. Il ex-
cella surtout dans la dogmatique et dans la
morale religieuse.
BAUMGARTEN (Alexandre-Gottlieb), philo-
sophe allemand, né en 1714 k Berlin, mort à
Franefort-sur-1'Oder en 1762. Après avoir
étudié la théologie et la philosophie à Halle,
il obtint, en 1740. une chaire de philosophie à
Francfort-sur-1'Oder. Partisan de la monado-
logieet de l'harmonie préétablie, ilappariient
à l'école philosophique de Leibniz, et de Wolf.
Son principal titre est d'avoir, le premier, sé-
paré, sous le nom d'esthé.'ique, la science du
beau des sciences philosophiques, avec les-
quelles elle avait été confondue jusqu'alors, et
d'avoir tenté de la constituer à l'état de science
distincte. On peut dire, toutefois, qu'il a posé le
problème esthétique plutôt qu'il ne l'a résolu.
Baumgarten déiinit l'esthétique la science de
la connaissance sensible ou gnoséologie infé-
rieure. Qu'est-ce que c'est que cette connais-
sance sensible, cette connaissance inférieure ?
Il faut se rappeler que, d'après Wolf, nous
avons deux espèces de facultés de connaître,
les facultés supérieures, comprises sous le nom
d'entendement, et les facultés intérieures, qui
ne dépassent pas la sphère des sens. Les idées
claires, les idées logiques appartiennent aux
premières; les perceptions confuses, les re-
présentations qui n'arrivent jamais jusqu'il la
clarté distincte relèvent des secondes. Selon
Baumgarten, l'idée du beau doit être placée
dans cette seconde catégorie; ce sont les fa-
cultés inférieures qu'elle met en jeu.. Comme
il y a deux connaissances, une connaissance
sensible, obscure, confuse, inférieure ; une
connaissance rationnelle, claire et supérieure,
il y a aussi deux perfections, la perfection ra-
tionnelle, qui constitue le bien et qui est l'ob-
jet de la morale, et la perfection sensible, qui
constitue le beau et qui est l'objet de l'esthé-
tique. L'esihélique, on le voit, repose, comme
la morale, sur 1 idée de perfection; toute la
différence entre l'une et l'autre est dans l'or-
dre de représentations auxquelles cette idée
de perfection est appliquée. En quoi consiste
la perfection sensible? Elle consiste en un
triple accord : 10 accord entre les pensées et
les choses ; 2° accord entre les pensées et les
pensées; 3° accord entre les pensées et leurs
signes extérieurs. Cet ordre triple constitue
la perfection de la connaissance sensible,
c'est-à-dire la beauté; le contraire de cet or-
dre est l'imperfection, la laideur.
On doit remarquer les limites peu tranchées
qui séparent, dans la conception de Baumgar-
ten, l'esthétique des sciences philosophiques
voisines. Le beau, tel que Baumgarten 1 en-
tend, se rapproche singulièrement du bien et
du vrai, tellement (ju'il paraît les confondre
l'un avec l'autre. Où est la li^ne de démarca-
tion précise entre les facultés supérieures et
les facultés inférieures, entre la connaissance
rationnelle et la connaissance sensible, entre
la perfection saisie par l'entendement et celle
que perçoivent les sens? N'y a-t-il d'autre
beauté que celle qui est l'objet de la connais-
sance sensible? Le mot bien ne peut-il, ne
doit-il s'entendre que de la perfection ration-
nelle? En réalité, dans la théorie de Baum-
garten, le beau ne forme pas une catégorie
spéciale, distincte par sa nature de celle du
bien; le bien est le genre, l& beau est l'espèce,
et une espèce inférieure. D'autre part, les
conditions de la perfection sensible, telles que
nous les présente l'analyse de Baumgarten,
ne sont évidemment, comme l'a fait remarquer
M. Lévéque, que les conditions logiques do
la perception pur les sens. Que je perçoive
exactement un tas de boue, il y aura accord
entre ma connaissance et son objet; mais où
sera la beauté de ma connaissance? Ku se-
cond lieu,que les perceptionsdiverses que nie
fournit le spectacle d'un tas de boue soient
entre elles dans un parfait accord, la percep-
tion totale de cet objet deviendra-t-elle, grâce
à cet accord, digne d'être nommée belle? Eu
troisième lieu, que je sache exprimer lldèle-
ment la perception exacte que j'ai acquise du
même tas de boue, cet accord parfait entre
ma connaissance et son signe fera-t-il que ma
pensée soit belle? De ce triple accord, l'uni-
que conséquence sera la vérité, c'est-à-dire le
mérite logique, et nullement la valeur esthé-
tique de ma connaissance.
Baumgarten est conduit par sa théorie du
beau à définir le génie : l'élan de nos facultés
inférieures. L'inspiration, ou impetus zesthe-
ticus, lui paraît être la concentration et la
surexcitation de ces mêmes facultés, qu'il
nomme quelquefois d'un seul mot significatif,
caro (la chair).
« Au total, dit M. Lévéque, quoique Baum-
garten ait eu l'intention louable de donner à
lu science du beau une existence distincte;
quoiqu'il l'ait baptisée du nom d'esthétique,
qu'elle a gardé; quoique, enfin, il ait vague-
ment compris que l'ordre entre comme élé-
ment dans la nature essentielle du beau, c'est
à tort qu'on le regarderait comme le fon-
dateur de la science du beau. Le vrai père
de cette science, c'est Platon. Baumgarten
n'en a été que le parrain médiocrement in-
spiré, n
Outre l'ouvrage intitulé sEsthetica (1750),
où se trouvent ses vues sur la science du beau,
Baumgarten a laissé : Philosophia generalis
cum dissertatione pro&miati de dubitutioae et
certitudine(\130) ; Me,taphysica{lT3y) ; Ethica
phîlosophica (1740); Jus naturœ (1705); De
uonnulis ad Poema pertinentibus (1735).

BAUMGARTÉNIE
s. f. (bomm-gar-tê-nï —
de Baumgarten, bot. allem.). Bot. Syn. de
borye.

BAUMGARTIE
s. f. (boJïim-gar-tî—du nom
- 395
de Baumgarten). Bot. Genre réuni aujour-
d'hui aux cocculus.

BAUMGARTNER
{André, baron DE), savant
physicien et homme d'Ktut autrichien, né à
Friedberg (Bohème) en 1793. Sorti de l'Ecole
de Linz, il professa la physique à Olmutz en
1817, puis à Vienne en 1823, où il ouvrit des
cours de mécanique industrielle, à l'usage du
peuple. En 1826, il fonda le Journal de phy-
nique et de mathématiques, dont il dirigea les
quatorze premiers volumes. Placé ultérieure-
ment à la tête de diverses fabriques, il devint
en 1848, dans le cabinet Pillersdorf, ministre
des travaux publics, puis chef de division des
finances sous le ministère Dobbhof, commis-
saire du gouvernement dans le congrès doua-
nier réuni à Vienne en 1851, et fut appelé de
nouveau à prendre le portefeuille des travaux
publics en remplacement de M. de Bruck. Il
quitta le ministère en 1855 et alla siéger en
1861 dans la chambre haute. On doit à M. Baum-
gartner plusieurs ouvrages scientifiques dis-
tingués : Aréomélrie (l&20);h\Mécanique dans
ses applications aux avis et à l'industrie (1823);
Histoire naturelle (plus. édit.)j Guide du
chauffeur des machinesà vapeur (1841).
BAUMGARTNER (Gallus-Jacques), publi-
cîste suisse, né à Saint-Gall en 1797. Membre
du conseil de son canton- et représentant à la
diète, il se fit connaître par ses opinions dé-
mocratiques'dans la première partie de sa car-
rière, mais changea brusquement de drapeau
dans l'affaire des couvents d'Argovie. Il dut
se retirer du conseil en 1841 et fonda la Nou-
velle gazette suisse, où il ne tarda pas à ex-
primer ses sympathies pour les jésuites et le
Sonderbund. On a de lui : Evénements sur le
champ de bataille de la politique (1844), ou-
vrage dans lequel il cherche a justifier sa
conduite politique, et on lui attribue un écrit
intitulé la Suisse en 1852.

BAUMGAKTNER
(Charles-Henri), médecin
allemand, né à Pforzheim en 1798. Après avoir
exercé pendant quatre ans les fonctions de
chirurgien-major, il professa la clinique mé-
dicale à l'université de Fribourg, puis devint
conseiller intime du grand-duché de Bade.
M. Baumgartner est auteur de nombreuses
publications, toutes relatives à la médecine.
On cite surtout son Système dualistique de la
médecine (1835-1537), ouvrage important qui
a eu plusieurs éditions, et De la Physiologie
des malades (1839), avec atlas de 80 planches
coloriées. Bien que moins importants, nous
mentionnerons aussi les ouvrages suivants :
Des fièvres et de la manière de les traiter (1827);
Observations sur les nerfs et sur le sang (1830) ;
Instructions populaires sur le choléra (1832);
Nouvelles recherches de physiologie et de mé-
decine pratique (1845); enfin, Nouveau trai-
tement de la pneumonie et autres maladies de
poitrine (1850).
BAUM1AN. V. BAMIAN.

BAUMIER
s. m. (bo-mié — rad. baume).
Bot. Genre de plantes de la famille dos tére-
binthacé es, connu aussi sous le nom â'amyride
et de balsamier, renfermant un certain nom-
bre d'espèces d'arbres et d'arbrisseaux, qui
croissent dans les régions chaudes, et qui
fournissent des produits assez variés, confon-
dus dans le commerce sous le nom de baume.
— En général, Arbre à baume, it Baumier
du Canada. ( V. SAPIN BAUMIER.) [\ Baumier-
peuplier. (V. PEUPLIER-BAUMIER.) H Baumier
à cochons, Nom vulgaire de l'hedwigie.

BAUMSTARK
(Antoine), philologue alle-
mand, né en 1800 à Sinzheim, près de Bade, est
devenu en 1836 professeur de philologie à
l'université de Fribourg, et directeur du sémi-
naire philologique. Outre un grand nombre
d'articles et de dissertations, il a donné des
Commentaires sur les poésies d'Horace (2 vol.,
1841), et des Etudes sur l'antiquité pour servir
de commentaires aux poésies d'Horace (1841),
ainsi qu'une Anthologie grecque (1840, 6 vol.)
et une Anthologie romaine (184], 4 vol.). Il
a traduit en allemand les œuvres de César
(8 vol.). On lui doit également une édition de
Quinte-Curce (3 vol.).
BAUMSTARK (Edouard), économiste alle-
mand, frère du précédent, né en 1807, devint,
en 1838, professeur à. l'université de Greifswald,
et, en 1843, premier directeur de l'académie
des sciences économiques d'Eldena. Les évé-
nements de 1848 l'appelèrent sur la scène po-
litique. Membre de 1 Assemblée nationale de
Prusse, puis de la première chambre, il y ac-
quit une grande autorité, défendit les prin-
cipes constitutionnels, devint le chef de la
gauche, et attaqua la politique du cabinet
Manteuffel. Il a publié des Essais sur le cré-
dit national (1833)>; une Encyclopédie des
sciences économiques et administratives (1835) ;
les Académies d'économie politique et d'éco-
nomie rurale (1839); De la taxe sur les revenus
(1849); l'Histoire des classes ouvrières (1853),
qui est un de ses meilleurs ouvrages. On lui doit
également une traduction en allemand des
Principes d'économie politique de Ricardo
(J837).

BAUNE
(Jacques DE LA), littérateur, né à
Paris en 1649, mort en 1726. 11 entra dans
Tordre des jésuites, et professa les humanités
dans sa ville natale. On a de lui un recueil
des ouvrages latins du P. Sirmond (Paris, 1696,
5 vol.) ; Panegyrici veteres ad usum Delphini
(1676, in-4°), et des poésies et harangues en
latin (1682-1684). L'une de ses harangues est
un Eloge du. parlement de Paris (1684), qui
donna lieu, ainsi que nous l'apprend, dans ses
Mémoires, l'abbé d'Artigny, a l'anecdote que
voici : Jacques de la Baune lisait, en audience
publique du parlement, son Eloge sur cette
compagnie, et Boileau assistait à la lecture.
Ce dernier ne put s'empêcher de rire de la
singulière figure de tous ces graves person-
nages qui, leur mortier enfoncé sur les yeux,
écoutaient sans sourciller les belles choses
qu'on leur débitait sur leur propre compte. Le
malin potite fit part de sa gaieté au président
Talon, qui accueillit cette confidence en sou-
riant du bout des lèvres. Mais lorsque le dis-
cours du jésuite fut achevé, et que Boileau vit
messieurs du parlement entourer l'orateur et
le féliciter à son tour, il ne put y tenir plus
longtemps, et récita au président ces vers de
Furetière :
Comme un curé faisant sa ronde
Encense à vêpres tout le monde,
Puis se tient droit, ayant cessé,
Pour être à son tour encensé.
BAUNE (Eugène), homme politique, né à
Montbrison (Loire) en 1800. Fils d'un ancien
officier de la République, il se jeta de bonne
heure dans les agitations politiques, fut un
des chefs de la grande insurrection lyonnaise
de 1834, et fut condamné par la Cour des pairs
à la déportation, mais s'évada de Sainte-
Pélagie et vécut à l'étranger jusqu'à l'amnistie
de 1837. Il collabora ensuite à la Réforme,
combattit en février 1848, et fut nommé par
son département représentant du peuple à la
Constituante et à l'Assemblée législative. Il
siégea à la nouvelle montagne, fit partie du
comité des affaires étrangères, déploya beau-
coup d'activité, et fit une opposition énergique
au gouvernement de Louis-Napoléon, il fut
arrêté et expulsé de France après le coup
d'Etat du 2 décembre. — Son frère, Aimé
BAUNE, né à Montbrison vers 1800. figura aussi
dans les rangs du parti républicain dès 1830.
Il a rédigé plusieurs journaux de province, et
s'est occupé activement de l'organisation des
clubs en 1848. Compromis dans l'affaire du
13 juin 1849, il a été banni après le 2 décembre.
- BAUNY (Etienne), jésuite et théologien fran-
çais, né à Mouzon en 1564, mort à SaintJPol
de Léon en 1649. Il a laissé de nombreux ou-
vrages, les uns en français, les autres en la-
tin, où l'on .trouve tous les défauts que Pascal
reprochait aux jésuites dans ses Lettres pro-
vinciales. Au reste, les œuvres morales du
P. Bauny furent condamnées-à Rome par dé-
cret du 26 octobre 1640, et censurées par l'as-
semblée du clergé à Mantes, en 1642.

BAUQUE
s. f. (bô-ke). Bot. et agric. Nom
vulgaire de la zostère, plante marine em-
ployée comme engrais et comme matière
d'emballage, il Quelques-uns écrivent BAUGUE.

BAUQUIÈRE
s. f. (bo-ki-è-re — rad. bau).
Mar. Nom donné aux bordages d'épaisseur
qui supportent les baux et les barrots d'un
navire.

BAUQUIN
s. m. (bo-kain — corrup. de
bouquin, tuyau de pipe). Techn. Bout de la
canne à souffler le verre, celui sur lequel on
appuie les lèvres.

BAÙR,BAUER
ou BAWER (Jean-Guillaume),
peintre et graveur français, né à Strasbourg
en 1600, ou, suivant quelques auteurs, en 1610;
se forma sous la direction de son compatriote
Fréd. Brentel, et partit, fort jeune encore,
pour l'Italie. Il travailla pendant plusieurs an-
nées à Naples, à Venise.et à Rome, où il obtint
la protection des ducs deBraccianoetColonna.
Appelé ensuite à Vienne par l'empereur Fer-
dinand, qui le nomma peintre de la cour, il
s'établit dans cette ville, et y mourut en 1640.
Baur excella à peindre à la gouache, sur
vélin, des paysages, des vues architecturales,
des cavalcades, des marches de troupes, des
processions, etc. Suivant l'abbé de Fontenay,
« ses compositions sont d'une beauté qui va
souvent jusqu'au sublime; sa touche est lé-
gère et très-spirituelle ; ses figures sont petites
et un peu lourdes, mais elles paraissent être
en mouvement et ont une grande expression. »
L'éloge paraît fort exagéré, A dire vrai, les
peintures de Baùr sont assez rares, et cet ar-
tiste est surtout connu comme graveur. Il a
laissé environ 270 estampes à l'eau-forte, dont
quelques-unes sont signées de son mono-
gramme, et d'autres de ses initiales : Io. \V. B.
(Johann-Wilhelm Baùr). Nous citerons , dans
le nombre : le Baptême de Jésus; la Gwérison
de V aveugle-né ; Saint Jean prêchant dans le
désert ; le Jugement de Midas ; les Divinités du
Ciel, des Eaux, de la Terre et des Enfers
(4 pièces) ; une Assemblée de philosophes ; les
Habillements des différentes nations du monde
(suite de 16 pièces); diverses Vues de Borne;
une trentaine de Batailles; le portrait de l'au-
teur, celui du duc de Bracciano ; 20 planches
pour l'ouvrage de Strada, De bello Belgico
(Rome, in-fol., 1632-1647); 150 vignettes pour
une édition allemande des Métamorphoses
d'Ovide (Vienne, in-fol., 1641). Melchior-Ky-
sell a gravé d'après Baur une suite d'estampes
intitulée : Iconographia complectens vitam
Christi, etc. (Augsbourg, in-fol., 1670 et 1682,
4 part.). Baur a été le maître de Fr. Gouban.-
BAUR (Frédéric-Guillaume), général alle-
mand, né à Bieber(Hesse électorale) en 1735,
mort a Saint-Pétersbourg en 1783. Il se dis-
tingua pendant la guerre de Sept ans, sous les
ordres du duc de Brunswick. Il entra ensuite
au service de la Russie, et fut nommé lieute-
nant général en 1773. L'impératrice Catherine
lui confia le soin de plusieurs entreprises im-
portantes, telles .que les mesures a prendre
pour distribuer l'eau dans tous les quartiers de
Moscou, la construction d'un arsenal, le curage
du port de Cronstadt. Baur avait pour secré-
taire le célèbre auteur dramatique Kotzebue,
3ui dirigeait en son nom le théâtre allemand
e Saint-Pétersbourg.

BAÙR
ou BAUER (Nicolas), peintre hollan-
dais, né à Harlingen en 1767, mort dans la
même ville en 1845; Il a peint avec talent la
marine et le paysage. On cite, comme son
meilleur ouvrage, le Bombardement d'Alger.
Le musée de Rotterdam a de lui une Mer agi-
tée. — Son fils, J.-A. BAUR, né à Harlingen,'
s'est distingué comme portraitiste : le musée
de Rotterdam possède le portrait qu'il a fait
de M. Boymans, amateur qui a légué à ce
musée une riche collection de tableaux.

BAUR
(Samuel), publiciste allemand, né à
Ulm en 1768, mort en 1832. Après avoir étudié,
à Iéna et à Tubingen, la théologie, l'histoire et
les belles-lettres, il entra dans le ministère
ecclésiastique et devint pasteur à Burlenberg,
à Gcettingue et à Alpek. Les principaux ou-
vrages de Baur, un des écrivains les plus fé-
conds de l'Allemagne, sont les suivants, qui
appartiennent à la classe des compilations :
Archives d'esquisses relatives aux principes de
la religion (1790) ; Tableaux intéressants de la
vie des personnages mémorables du xvm« siècle
(1803-1821, 7 vol.) ; Nouveau dictionnaire ma-
nuel historique, biographique et littéraire (1807-
1816, 7 vol.), ouvrage estimé; Tableaux des
révolutions, soulèvements, etc. (1810-1818,
10 vol.); Faits mémorables de l'histoire des
hommes, des peuples, etc. (1819-1829) ; Cabinet
historique de raretés (1826-1831, 6 vol.), etc.,
et plusieurs traductions. Tous ces ouvrages
sont écrits en allemand.
BAUR (Ferdinand - Chrétien DE), célèbre
théologien et critique allemand, né le 21 juin
1792, mortle 2 décembre 1860. D'abord profes-
seur au séminaire de Bla'-.beuren, il occupa,
depuis 1826 jusqu'à sa mort, une chaire de
théologie évangélique à l'université de Tu-
bingue. « Par l'étendue de sa science, par
l'alliance peu commune de la pensée spécu-
lative et d'une érudition universelle, par un
instinct merveilleux de divination qui, de
données isolées, obscures et jusqu'alors ina-
perçues, parvient à tirer les résultats les plus
considérables,' Baur, dit le docteur Schv/arz,
se place incontestablement, depuis la mort de
Schleiermacher, à la tête des théologiens et
des critiques allemands. » Il est le chef d'une
école théologique très-importante, dite école
de Tubingue, dont l'originalité consiste à ap-
pliquer à l'histoire des trois premiers siècles
de l'Eglise le principe de l'autonomie de la
critique, à déterminer, d'après ce principe,
c'est-à-dire indépendamment de toute consi-
dération subjective et apriorique, religieuse
ou philosophique, le caractère, la tendance et
l'âge de chacun des écrits qui composent le
Nouveau Testament, en un mot, à faire ren-
trer tous ces livres dans le cours général de
l'histoire, en replaçant, en quelque sorte, cha-
cun d'eux dans le milieu qui l'a produit et qui
l'explique. Cette qualification (l'école de lu-
bingue a besoin de quelque explication. Elle
désigne un mouvement scientifique plutôt
qu'un enseignement déterminé. Comme le fait
très-bien remarquer M. Stap, les écrivains
qui, en Allemagne, partagent les vues histo-
riques de Baur, MM. Zeller, Schwegler, Kœst-
lin, Planck', Schnitzer, Georgii, Hilgenfeld,
etc., ne sont pas ses disciples dans le sens ri-
goureux du mot, c'est-à-dire qu'ils ne prennent
point pour règle de suivre ou de développer
ses opinions particulières. Fidèles à leur tache
d'historiens critiques, ils remontent directe-
ment aux sources, et se préoccupent généra-
lement assez peu de savoir si les résultats
auxquels ils arrivent s'accordent ou non avec
ceux que Baur a obtenus lui-même. A propre-
ment parler, ils constituent moins une école
qu'un groupe de travailleurs indépendants, qui
reconnaissent pour point de départ le même
principe, la liberté absolue de la critique, et
qui, employant la même méthode, sont con-
duits à un ensemble d'idées à peu près con-
cordantes sur l'histoire des premiers âges de
l'Eglise. Baur n'en a pas moins droit au titre
de maître, parce qu'il est le génie créateur qui
a ouvert la voie et donné l'impulsion générale.
Les ouvrages de Baur forment deux séries
distinctes : les uns s'occupent du dogme chré-
tien, de son développement et de son histoire ;
les autres concernent la critique. Enumérons-
les, en cbmmençant par la série des ouvrages
dogmatiques. La première œuvre importante
du célèbre théologien est Symbolique et my-
thologie ou la religion naturelle de l'antiquité
(1824-1825, 3 vol.), qu'il écrivit sous l'inspi-
ration de Schleiermacher. La seconde, qui a
pour titre Différence entre le catholicisme et le
protestantisme (1833), est une réfutation de la
Symbolique du théologien catholique Mœhler.
Nous passons ensuite à de remarquables mo-
nographies sur l'histoire des dogmes. Le livre
intitulé Gnosis chrétienne ou Philosophie de la
religion chrétienne, parut d'aoord (1835). L'au-
teur y suit la filiation des doctrines gnos-
tiques à travers les siècles, et rattache ces
doctrines, par une suite d'anneaux intermé-
diaires, au panthéisme de Schelling, de Hegel
et de Schleiermacher. Bientôt après, parut
l'ouvrage sur la Bédemption (1838), puis les
trois énormes volumes de l'Histoire de la doc-
trine chrétienne, de la Trinité et de l'Incarna
tion divine (1841-1843). Si.à ces monographies,
nous ajoutons le Traité d'histoire dogmatique
chrétienne (1847), qui embrasse l'ensemble de
l'histoire des dogmes, et l'écrit sur l'Eglise
chrétienne des trois premiers siècles (1853),
nous aurons nommé les principaux ouvrages
dogmatiques de Baur. Baur voulait publier
toute l'histoire de l'Eglise chrétienne, d'après
le point de vue philosophique et critique qu'il
avait déjà appliqué aux premiers siècles. Mais
il ne put voir que la publication du second vo-
lume, l'Eglise chrétienne depuis le commen-
cement du ive jusqu'à la fin du vie siècle
(1859). Les trois derniers volumes qui com-
plètent l'ouvrage ont été publiés d'après les
manuscrits de Baur par son gendre, M. Zel-
ler, professeur à Heidelberg, et son fils,
M. F.-J. Baur. En voici les titres : l'Eglise
chrétienne au moyen âge (1861); Histoire ec-
clésiastique des temps modernes, depuis la
Déforme jusqu'à la fin du xvme siècle (1863) ;
Histoire ecclésiastique du xixe siècle (1SG2).
Le dernier volume, un des chefs-d'œuvre de
Baur, fit une immense sensation.
Le caractère distinctif de tous ces travaux
consiste en ce que le développement du dogme
chrétien y est présenté comme une évolution
nécessaire de )a pensée, et que les particula-
rités réelles de ce développement, si nom-
I breuses qu'elles soient, y apparaissent sou-
i mises à une loi rationnelle, engendrées par
' une loi rationnelle. On reconnaît ici la philo-
, sophie hégélienne. Pour Baur, qui professe les
j principes de cette philosophie, le divin s'iden-
! tifie avec le nécessaire et le général; c'est le
j fond d'où sort le particulier, le réel. Ainsi,
Î>lus d'antinomie entre le divin et le naturel;
e surnaturel n'a pas de sens : rien ne peut
- venir, ne peut tomber tout à coup du dehors
dans la nature, dans le monde, dans l'histoire,
par une raison bien simple, c'est qu'il n'y a
pas de dehors quant à la nature, au monde et
a l'histoire. Considéré à ce point de vue pan-
théiste, le christianisme cesse d'être surnaturel^
sans cesser d'être divin. L'idée chrétienne a
subi la loi commune des idées en voie de réa-
j lisation ; elle a germé, s'est développée et s'est
; diversifiée, et la tâche de l'histoire est de la
' suivre dans ses phases successives. Mais voief
l'écueil de cette philosophie dans l'histoire. Si
la logique, comme le veut Hegel, donne le
général, et si le général engendre le particu-
lier, l'histoire peut se déduire, se deviner; on
peut la tirer, avec tous ses détails, de quelques
1 concepts : de là, une tendance à tourmenter
les faits, à les appauvrir, à les amaigrir en
quelque sorte, pour les enfermer dans le cadre
théorique, et pour faire mieux éclater l'idée
dont ils sont 1 expression. Malgré l'étendue de
ses connaissances positives, Baur ne paraît
pas avoir échappé à cet écueil. « On ne peut
s'empêcher de retrouver aussi chez lui, dit le
docteur Schwarz, un certain dualisme, un
manque de fusion entre le général et le parti-
culier, l'un n'étant trop souvent qu'une caté-
gorie logique disposée d'avance, sous laquelle
1 autre est rangé par force et dont on lui im-
pose simplement l'étiquette.
Entre les travaux de Baur sur le dogme et
ses travaux concernant la critique, il y a un
lien très-naturel. Ces derniers ne sont, en
réalité, que l'application au canon de l'Ecri-
ture de ses recherches sur les progrès de la
conscience chrétienne pendant les premiers
siècles. Le point de départ de la critique de
Baur n'est point dans les Evangiles, mais dans
les écrits de Paul. En 1831, nous le voyons dé-
buter par deux dissertations, l'une Sur les ori-
gines de Vébionitisme et sur sa dérivation de la
secte essénienne; l'autrej Sur le parti du Christ
à Corinthe. Cette dernière est la plus impor- _
tante ; elle offre un intérêt tout particulier, en *
ce qu elle exprime déjà clairement, au moins
dans leurs lignes fondamentales, les vues de
Baur sur le christianisme primitif. Déjà ici,
l'opposition entre l'ébionitisme ou pétrinisme
et le paulinisme est envisagée commr le trait
dominant de la physionomie des temj apos-
toliques. En 1835, parut l'écrit Sur les reten-
dues Epitr.es pastorales de l'apôtre Paul. Baur
ne se contente pas d'y affirmer l'inauthenticité
de ces Epîtres, comme l'avait fait Eichhorn ; il
s'efforce de déterminer les idées qui les ont
inspirées, et par là même le temps de leur
rédaction, qu'il fait descendre jusqu'au milieu
du ne siècle ; il y découvre une opposition in-
tentionnelle contre la Gnose, ainsi que le des-
sein formel de favoriser le régime épiscopal, qui
prenait alors naissance au sein de l'Eglise. On
vit paraître ensuite la dissertation Sur le but
et loccasionde l'Epitre aux Bomains (1836),
et un écrit Sur l'origine de l'épiscopat (1838),
dirigé surtout contre les Origines de l'Eglise
chrétienne, de Rothe, et contre l'authenticité
des épîtres d'Ignace, qui y était défendue. Mais
les deux principales œuvres critiques de Baur,
celles où bien des points, qui n'avaient été
qu'indiqués ou effleurés ailleurs, se trouvèrent
groupés et mis en pleine lumière, furent : Paul,
l'apôtre de Jésus-Christ, sa vie et ses œuvres,
ses Epitres et sa doctrine, étude critique-histo-
rique du christianisme primitif (1845); et
Recherches critiques sur les Evangiles cano-
niques, leurs rapports, leur origine et leurs
caractères (1847). Citons encore 1 ouvrage sur
les Evangiles de Marc et de Màrcion (1851),
la'brochure remarquable intitulée L'Ecole de
Tidrhiyue et sa situation présente (1859), dans
laquelle Baur répond à ses adversaires de
toutes nuances, et les Leçons sur la théologie
du Nouveau Testament qui ont paru après sa
mort (1864).
398 BAtî BAtl
Baur repose dans le cimetière de Tubingue,
non loin du poète Uhland. Le promeneur s'ar-
rête involontairement devant un bloc de ro-
cher, irrégulier, entouré de lierre et portant
sur une de ses faces cette simple inscription:
K.-C. BAUR, THÉOLOGIEN.
21 juin 1792. — 2 décembre 1860.
Il nous reste à faire connaître la méthode
de Baur, et les résultats auxquels cette mé-
thode l'a conduit.
Nous avons vu que Baur est un discip.e de
Hegel; c'est à la lumière de la philosophie
hégélienne qu'il- étudie l'histoire du christia-
nisme. C'est en vertu des principes de cette
philosophie, qu'au li.eu de voir dans le fait un
agrégat fortuit de circonstances simplement
réunies dans le temps, juxtaposées dans l'es-
pace, il s'applique avant tout a saisir les causes
intérieures, le général d'où procède le parti-
culier, les idées qui dominent le tout. Au re-
proche fait à ce point de vue d'exalter l'idée
aux dépens du fait, le général aux dépens de
l'individuel et du personnel, il répond qu'il
n'est jamais possible de séparer les deux fac-
teurs, a De même, dit-il, que le particulier
sans le général, le fait sans l'idée qu'il mani-
feste, serait un corps sans âme; de même l'i-
dée n'arrive à l'existence réelle, à la vie con-
crète que dans l'individualité des personnages
historiques. Ce qui donne à ceux-ci leur signi-
fication, c'est l'énergie avec laquelle, repré-
sentants de leur temps, expression-vivante de
la conscience de leur époque, ils saisissent et
incarnent les idées générales du moment.
Quels noms vides seraient pour nous tous les
grands hommes de l'histoire, s'ils ne nous ap-
paraissaient comme animés d'une idée qui
domine leur individualité, et dans laquelle ils
trouvent précisément le point d'appui de leur
existence historique! Aussi peu on s'explique,
il est vrai, pourquoi ce sont justement tels et
tels individus qui dépassent de si haut tous
leurs contemporains, autant il est nécessaire,
d'un autre côté, l'esprit général du temps une
fois donné, que ce soit telle idée et non telle
autre qui entre par eux dans l'histoire. Mais
c'est là la différence et le rapport entre le
Îiarticulier et le général, entre 1 accidentel et
e nécessaire. S'il est vrai que le général ne
F eut se réaliser que dans le particulier et dans
individuel, il n'est pas moins vrai que si un
Charlemagne, un Grégoire VII n'eussent pas
existé, d'autres eussent accompli leur œuvre
avec cette libre détermination où se confondent
la liberté et la nécessité dans le grand enchaî-
nement de l'histoire; ils l'eussent fait sous
d'autres noms et à leur manière, dans la me-
sure de leur individualité, mais finalement avec
le même résultat. »Baur, on le voit, est nette-
ment déterministe en histoire, ou plutôt l'idée
d'histoire se confond, à ses yeux, avec celle
même de déterminisme. De la, la négation du
libre arbitre en Dieu comme en l'homme ; de
là, l'incompatibilité essentielle de la méthode
historique, telle qu'il la comprend, avec le mi-
racle, cette manifestation du libre arbitre de
Dieu. «Laméthode historique, dit-il,cherche la
relation naturelle des causes et des effets ; le
miracle, au contraire, pris dans son sens absolu,
supprime cette relation, et suppose un point
où il serait impossible de la saisir, non pas
faute d'informations suffisantes, mais parce
qu'elle aurait cessé d'exister. Mais comment
prouver une telle suspension, si ce n'est histo-
riquement? Or, pour la méthode historique, ce
serait une pétition de principe d'admettre un
fait qui serait en contradiction avec les ana-
logies générales de l'histoire. L'existence d'un
tel fait ne peut pas fournir la matière d'un
débat historique ; elle ne peut être que l'objet
d'une controverse dogmatique sur la notion
du miracle, et sur la question de savoir si, en
dépit de toutes les analogies de l'histoire, c'est
un besoin absolu de la conscience religieuse
de considérer certains faits comme des mi-
racles, au sens absolu du mot. »
Comment Baur a-t-il appliqué ces principes
généraux de la méthode historique à la cri-
tique des écrits du Nouveau Testament, et
?uels résultats en a-t-il obtenus? 11 part de ce
ait, que l'enseignement chrétien général se
donnait, à l'origine du christianisme, par la
prédication ; que les livres du Nouveau Tes-
tament ont été composés, non pour un public
indéterminé et plus ou moins inconnu, dans
un but d'instruction générale, mais en vue de
certains besoins du moment et dans une in-
tention toute spéciale; qu'il n'est aucun d'eux
qui ne soit un écrit de circonstance. De là
cette conclusion, que ces livres portent l'em-
preinte des événements en vue desquels ils
ont été mis au jour ; qu'ils rendent témoignage
de l'état des esprits, soit de ceux qui les ont
écrits, soit de ceux auxquels ils ont été adres-
sés, et qu'ils peuvent ainsi nous faire connaître
eux-mêmes à quel moment, dans quel but, et
par quels auteurs ils ont été composés. Autre
conséquence : si chacun des écrits du Nouveau
Testament est un écrit de circonstance, il
faut réduire considérablement le rôle que fait
jouer Strauss, dans la formation des récits
évangéliques , à l'action spontanée et incon-
sciente de la première communauté chrétienne.
Aussi Baur, sans exclure absolument le mythe
de l'histoire évangélique, repousse-t-il l'ex-
tension donnée à la théorie mythique, et rem-
place-t-il cette théorie par celle des tendances,
qui fait une grande part à la fiction voulue et
réfléchie, et qui refuse de voir dans les évan-
eélistes des poètes naïfs recueillant sans but
déterminé les produits de l'imagination et du
sentiment populaires. La théorie du mythe n'a-
boutissait qu'à démolir l'historicité des Evan-
giles, sans rien nous apprendre sur l'origine
et l'âge de ces mêmes Evangiles. La théorie
des tendances ne se borne pas à ce résultat
négatif; elle permet de déterminer l'ordre
d'apparition des divers écrits qui composent
la littérature primitive de l'Eglise, d'après l'or-
dre de succession logique et nécessaire des ten-
dances qui se sont manifestées par ces écrits.
Pour procéder à cette détermination, il im-
portait d'avoir un point de repère bien fixé.
Baur le trouva dans quatre Epîtres de saint
Paul dont l'authenticité n'est pas contestée :
. l'Epître aux Romains, les deux aux Corinthiens,
et celle aux Galates. Ces écrits nous font pé-
nétrer dans les temps apostoliques. Ils nous
révèlent un fait bien remarquable : c'est que
les premiers prédicateurs de l'Evangile étaient
loin de s'entendre sur le caractère même du
christianisme. Pierre, Jacques, Jean, et en
général avec eux les apôtres qui avaient vécu
auprès de Jésus-Christ, ne voyaient dans la
foi nouvelle qu'un judaïsme spiritualisé et ac-
compli. Ils conservaient les cérémonies juives,
et n'ajoutaient guère à l'ancienne loi que cet
article de foi : Jésus est le Messie, l'accom-
plissement de la parole des prophètes. Aux
yeux de Paul, au contraire, le christianisme
était autre chose qu'un judaïsme modifié ou
complété ; c'était une religion nouvelle, une
religion universelle, appelant à elle tous les
hommes sans distinction de nationalité. La
lutte entre le judéo-christianisme des apôtres
de la circoncision et le christianisme univer-
saliste de l'apôtre des Gentils fut bien plus
vive et plus longue que la tradition subsé-
quente de l'Eglise , et notamment les Actes
des apôtres, se plurent à la représenter. Elle
survécut à Paul; elle ne cessa pas avec la
ruine de Jérusalem ; elle se prolongea jusqu'au
milieu du ne siècle. Tous les écrits contem-
porains en portent la trace et ne s'expliquent
que par elle. En un mot, elle nous donne la
clef de la littérature des deux premiers siècles,
et, par suite, le véritable moyen de comprendre
les livres canoniques, d'en déterminer l'âge et
l'origine. Ces écrits se divisent en deux caté-
gories principales : ou ils participent de la
première ardeur d'une hostilité directe et im-
médiate, comme les Epîtres de Paul d'une part,
et l'Apocalypse, de l'autre ; ou ils s'inspirent
de la disposition ultérieure qui consistait à
calmer cette irritation même, a en effacer les
motifs, et à la recouvrir du voile de l'oubli,
tels que le troisième Evangile et les Actes des
apôtres. On ne peut douter que les plus an-
ciens Evangiles n'aient été empreints d'une
couleur judaïsante bien prononcée. Ces Evan-
giles n'ont pas pris place dans le canon; ils
ont disparu depuis longtemps; quelques-uns
d'entre eux nous sont connus uniquement par
leurs titres; mais leur tendance générale se
' retrouve, à un certain degré, dans celui de
Matthieu. L'Evangile de Luc vit le jour indé-
pendamment de celui de Matthieu, et à une
époque plus récente ; il est l'Evangile du pau-
linisme, mais d'un paulinisme adouci et con-
ciliant. L'Evangile de Marc est plus jeune
encore, aux yeux de Baur, que celui de Luc. Il
appartient aux derniers temps de la lutte entre
l'ébionitisme et le paulinisme, à l'époque où
cette lutte était h peu près éteinte. Le livre
des Actes des apôtres a très-probablement le
même auteur que l'Evangile canonique de Luc.
Il est l'œuvre d'un adhérentdupaulinisme,qui,
pour rapprocher et réunir les deux partis op-
posés, s'efforce de faire ressembler autant que
possible Paul à Pierre et Pierre à Paul, et de
substituer à l'image de leurs différences réelles
I celle d'un accord idéal. Parmi les Epîtres de
! Paul, il n'y a d'authentiques, selon Baur, que
les grandes Epîtres (Epîtres aux Romains, aux
I Galates, aux Corinthiens); toutes les autres
1 doivent être rejetées dans le ne siècle. L'Apo-
calypse et le quatrième Evangile ne sauraient
appartenir au même auteur. L'Apocalypse est
un écrit judaïsant, qu'il est très-naturel d'attri-
buer à l'apôtre Jean. Mais le quatrième Evan-
gile ne saurait être l'œuvre de cet apôtre. Le
caractère infiniment plus dogmatique qu'histo-
rique de cet Evangile, le développement qu'y
reçoit la christologie, les expressions gnos-
tiques dont elle s'y revêt ne permettent pas de
le faire remonter au delà du milieu du ne siècle.
« On a comparé, et non sans raison, dit le
docteur Schwarz, l'importance de Baur pour
la critique du Nouveau Testament à celle de
Niebuhr et de Wolf sur le terrain de la litté-
rature classique. De même que Niebuhr ruina
de sa critique impitoyable les récits de Tite-
Live sur les origines de Rome, pour en re-
construire ensuite lui-même, au moyen d'ingé-
nieuses combinaisons, la véritable histoire; de
même que Wolf montre les chants homériques
naissant progressivement et naturellement de
la vie et de la poésie de la Grèce ; ainsi Baur,
de son côté, essaya le premier de comprendre
la genèse historique des livres canoniques de
l'Eglise, et de leur assigner une place dans le
développement du christianisme. »
BAUR (Wilhelm DE), ecclésiastique allemand
contemporain, est l'auteur d'une biographie du
baron Frédéric de Stein, travail qui est un
abrégé de la volumineuse biographie écrite
sur le célèbre et énergique adversaire de
l'empereur Napoléon 1er. Les circonstances
au milieu desquelles cette petite biographie
fut publiée sont dignes d'être remarquées.
Ce fut pendant la guerre d'Italie de 1859 ;
au moment où bon nombre de gens pen-
saient que la guerre allait devenir générale,
M. de Baur ne trouva rien de mieux, pour
réveiller la haine de ses compatriotes contre
les Français, que de faire une édition popu-
laire de la vie de l'homme d'Etat qui, sous le
premier empire, avait été la personnification la
plus forte de cette haine.
BAURACHS.s. m. (bô-rakss). Miner. Nom
que les mineurs arabes donnent au tinckal;
ils réservent ce dernier nom pour désigner
une matière grasse qui enduit toujours le
baurachs.

BAURANS,
littérateur et musicien français,
né à Toulouse en 1710, mort en 1764. Doué
d'un goût très-vif pour les arts, et surtout pour
la musique, il s'adonna à l'étude de la juris-
prudence pour complaire à sa famille, devint
substitut du procureur général au parlement
de Toulouse, puis se rendit à Paris et y vécut
d'une pension de 1,200 livres que lui fit M. de
la Porte, conseiller d'Etat. Baurans avait fait
d'excellentes études musicales, et était un ad-
mirateur passionné des belles compositions de
Pergolèse. Il résolut de populariser en France
la musique de ce maître. Dans ce but, il com-
posa des paroles françaises sur lamusique de la
Serva padrona, et fit représenter sur le théâtre
italien, en 1754, la Servante maîtresse, opéra-
comique en deux actes, qui eut cent cinquante
représentations consécutives. En dépit des pré-
jugés qu'on avait alors contre la musique ita-
lienne, les cinq airs de Pergolèse furent
chantés à la cour et à la ville; et, si quelque
chose a jamais dû nous faire croire au délire
des Abdérites après la représentation de YAn-
dromaque d'Euripide, c'est l'enthousiasme qui
s'empara des Français pour la musique de la
Servante maîtresse. Baurans dédia son œuvre
à M"ie Favart, qui avait interprété le principal
rôle, par un quatrain resté célèbre :
Nature, un jour, épousa l'art;
De leurs amours naquit Favart,
Qui semble tenir de sa mère
Tout ce qu'elle doit *» son père.
Après ce chef-d'œuvre, qui est resté depuis
lors au répertoire, Baurans rit représenter, en
1755, le Maître de musique, comédie en deux
actes, mêlée d'ariettes prises dans la musique
italienne ; mais cette pièce eut peu de succès»
A la suite d'une attaque d'apoplexie, Baurans
resta paralysé de la moitié du corps. Il quitta
alors Paris, pour retourner dans sa ville natale,
où il s'éteignit philosophiquement, regretté des
siens. Un poëte de ses amis lui a consacré le
quatrain suivant :
Amateur éclairé des muses d'Ausonie,
Plaidant en leur faveur, Baurans, pour arguments,
Sut nous faire écouter leurs sublimes accents;
Et, sûr de son triomphe, abandonna la vie.
Baurans a publié des Lettres sur l'électricité
médicale, traduites de l'italien.

BAURD
MANETJES s. m. Mamm. V. TA-
LAPOIN.
BAUREINFE1ND (Georges-Guillaume), des-
sinateur et graveur danois, né à Nyrnberg,
mort en 1763. Elève de Preisler, il remporta
en 1759 le grand prix de gravure à l'académie
de peinture de Copenhague, et fut désigné
l'année suivante, par Frédéric V, pour faire
partie de l'expédition organisée, en 1760, par la
Société littéraire pour parcourir l'Arabie. Il
mourut en mer, après avoir exécuté plusieurs
dessins de cette partie de l'Asie, d'après les-
quels on a gravé les planches de la description
de l'Arabie de Niebuhr. On a également de lui
les dessins des Icônes rerum naturalium de
Farskal.

BAURES
riv ière de l'Amérique du Sud, dans
la république de la Bolivie, prend sa source
aux monts Guarayos, dans le pays des Chi-
quitos, reçoit le Rio Blanco et se jette dans le
Guapore, après un cours de 590 li.il.
BAURSCHE1T {I. P. VAN), sculpteur fla-
mand, né à Anvers, florissait dans cette ville
au commencement du xvmc siècle. Il vivait
encore en 1741, et il fut au nombre des artistes
qui s'engagèrent alors à donner des leçons
gratuites à l'académie. Le musée d'Anvers a
de lui le buste en marbre d'un chevalier de la
Toison d'or, ouvrage signé et daté de 1700.

BAUSAN
(Jean), marin célèbre, né à Gaëte
en 1757, mort en 1821. Il servit d'abord dans
la marine anglaise, et fut blessé dans divers
combats contre les corsaires africains. Devenu
capitaine de frégate en 1806, il coopéra au
siège .de Gaëte, sous les ordres de Masséna.
En 18*08, il dégagea la frégate la Cerere en
perçant les lignes anglaises, et le roi Murât
monta lui-même à bord de la frégate, embrassa
le brave commandant sur le pont, au milieu
des morts et des blessés, le nomma capitaine
de vaisseau et commandeur de l'ordre des
Deux-Siciles. Ce fut Bausan qui, en 1820, diri-
gea l'expédition maritime chargée de tenir en
respect la population de Palerme.

BAUSCH
(Jean-Laurent), médecin allemand,
né à Schweinfurt en 1605, mort en 1665. Il vi-
sita l'Allemagne et l'Italie pour compléter ses
études, se fit recevoir docteur à Altorf en 1630,
et, dans le but de donner une plus vive impul-
sion aux recherches médicales et scientifiques,
il fonda en 1652 Y Académie des curieux de la
nature, dont il devint le président, sous le nom
de Jason. On a de lui quelques écrits, notam-
ment : Schediasmata bina curiosa de lapide
hœmatite et œtite ( 1665 ) ; Schediasma curiosum
de unicorni fossili ( 1666 ) ; Schediasma poslhu-
mum de cœruleo et chrysocolla ( 1668 ). Quant à
l'académie fondée par lui, elle fut approuvée
par l'empereur d'Allemagne et, sous le nom
d'Académie impériale, elle rendit de très-
grands services à la science. Wolkamer, Dil-
len, Trew en firent partie, et Buchner, mé-
decin du roi de Prusse, et l'un des présidents
de l'Académie des curieux, en a écrit Vflis-
toire (Halle, 1756, in-S°).
BAU SE (Jean-Frédéric), dessinateur et gra-
veur allemand, né à Halle en 1738, travailla
dans sa ville natale, à Paris, à Augsbourg, à
Leipzig, et moiyut à Weimar, en 1814. Il a
"exécuté, à l'eau-forte, au burin, au pointillé, à
la manière du crayon et à la manière noire,
environ 265 pièces, parmi lesquelles nous ci-
terons : Noé et ses trois fils, Isaac et Esaû, le
bon Samaritain, etc., d'après Frédéric Oeser;
samt Pierre en prison, d'après Bloemaert-, les
Trois Apôtres, d'après le Caravage; Vénus.et
l'Amour, d'après Carlo Cignani; Y Amour, d'a-
près Mengs ; Artémise, d après le Guide; la
Guerre de Sept ans, allégorie d'après Nilson ;
les Musiciens ambulants, YJJomme à.laperle,
YOriental, etc., d'après Dietrich ; la Petite
rusée, la Petite fille au chien endormi^ d'après
Reynolds; Serena (tête déjeune fille), d'après
Greuze; un Vieillard (buste), une Vieille
femme (buste), d'après Rembrandt: Rosetta,
d'après Netscher; des paysages, d après G.
Wagner, Samuel Bach, Frédéric Reclam ; des
vignettes pour différents ouvrages, entre
autres pour les œuvres de Wieland (Leipzig,
1794), d'après Ramberg, Oeser, Bach, Meil,
Gravelot, etc., et plus de cent trente portraits
de personnages du temps., souverains, princes,
princesses, jurisconsultes, philosophes, poëtes,
archéologues, artistes, savants, négociants,
banquiers, d'Autriche, de Prusse, de Saxe, de
Danemark, de Suède, de Pologne, de Russie,
d'Angleterre, etc. — Julienne-Wilhelmine

BAUSE
fille et élève du précédent, née vers
1770, a publié à Leipzig, en 1791, une suite de
dix paysages, d'après J. Both, A. Waterlo,
H. Saftloven, S. Bach, Ferdinand Kobell,
W. Honges et George Wagner.

BAUSKE
ville de la Russie d'Europe, gou-
vernement de Courlande, à 42 kil, S.-E. de
Mîttau, sur l'Aa. 2,000 hab. Ancien château
bâti par les chevaliers teutoniques en 1442.
HAUSSE, ERESSE s. (bo-se, e-rè-se). Argot.
Patron et patronne de la plus haute volée, de
première distinction, au marché du Temple,
a Paris.

BAUSSET
- ROQUEFORT (Pierre-Franç.-
Gabr.-Raymond DE), archevêque d'Aix, né à
Béziers en 1757, mort en 1829, était cousin
du cardinal de Bausset. Il fut successivement
grand vicaire d'Aix et d'Orléans; il émigra
en 1791 pour ne pas prêter serment à la con-
stitution civile du clergé, revint en France
après le concordat, et fut nommé évêque de
Vannes en 1808, puis archevêque d'Aix en Pro-
vence en 1817, et pair de France en 1825.
— Son frère, le chevalier DE BAUSSET, fut,
en 1790, massacré par le peuple de Marseille,
à qui il ne voulait pas rendre le fort Saint-
Jean, qu'il commandait.
BAUSSET (Louis-François DE), cardinal
français, né à Pondichéry en 1748, mort à
Paris en 1824. Envoyé à l'âge de douze ans
en France par son père, qui occupait un poste
important dans les Indes françaises, le jeune
de Bausset fut élevé par les jésuites du col-
lège de La Flèche, d'où il passa au séminaire
de Saint-Sulpice pour y recevoir les ordres.
En sortant du séminaire, il obtint dans le dio-
cèse de Fréjus un bénéfice, qui lui valut d'être
député à l'assemblée du clergé en 1770, et il
connut, cette année même, M. de Boisgelin,
archevêque d'Aix, qui le nomma aussitôt son
grand vicaire. Après s'être formé à l'école de
cetéminent prélat, il fut sacré, en 1784, évêque
d'Alais, fit partie, en 1787 et 1788, des deux
assemblées des notables du Languedoc, et fut
chargé par le duc de Bourbon , lors de la se-
conde, d'en rédiger les délibérations; mais il
ne fut point nommé membre des états géné-
raux. Lorsque ceux-ci, devenus l'Assemblée
constituante, supprimèrent le siège d'Alais et
imposèrent le serment de fidélité au clergé,
Bausset protesta, adhéra à Y Exposition de
principes sur la constitution civile du clergé,
rédigée par M. de Boisgelin, et émigra en 1791 ;
mais, dès l'année suivante, il revenait en
France. Arrêté bientôt après, il fut enfermé
dans l'ancien couvent de Port-Royal, où il
resta jusqu'à la chute de Robespierre. Rendu
alors à la liberté, il se retira à Villemaison,
près de Mme de Bassompierre, sa parente,
consacrant son temps à l'étude et visitant de
temps à autre ses amis de Paris, au nombre
desquels se trouvait le supérieur de Saint-
Sulpice, l'abbé Emery. Lorsque, à l'époque du
concordat, Pie VII demanda à tous les anciens
évoques de France leur démission, de Bausset
s'empressa de lui envoyer la sienne, et, en 1806,
Napoléon le nomma chanoine de Saint-Denis
et conseiller titulaire de l'Université. C'est
vers cette époque que l'abbé Emery, posses
seur des manuscrits de Fénelon, engagea de
Bausset à écrire l'histoire de l'illustre arche-
vêque de Cambrai. Bien qu'atteint de violentes
douleurs causées par la goutte, Bausset suivit
son conseil et fit paraître son Histoire de Féne-
lon (1808-1809, 3vol.). Cetouvrage, quieut un
grand succès, fut désigné par l'Institut, en 1810,
comme digne du second grand prix décennal
de deuxième classe pour le meilleur livre bio-
graphique. « L'ouvrage, disait le jury, est
écrit partout avec le ton de noblesse et de
dignité propre à l'histoire. On y désirerai!
seulecrî'iît i'r. peu plus de cette onction douce

et pénétrante qui convient à l'histoire de Fé-
nelon; le style en est pur, correct, élégant,
quoiqu'on puisse y remarquer quelques taches;
la narration manque quelquefois de rapidité,
mais jamais de clarté, rarement d'intérêt; elle
est semée de réflexions toujours justes, et
jamais ambitieuses, qui servent à relever les
détails et à jeter du jour sur les faits. » En-
couragé par ce succès, de Bausset entreprit
d'élever a l'aigle de Meaux un monument
pareil à celui de Fénelon ; mais son Histoire
de Dossuet, qui parut en 1814, 4 vol., ne reçut
point un aussi favorable accueil que la pré-
cédente. Moins travaillée, elle contient plus
de longueurs, l'intérêt y est moins soutenu, et
quelques-unes des opinions que l'auteur avait
puisées à Saint - Sulpice devinrent l'objet
d'assez vives attaques, auxquelles de Bausset
ne répondit point. Lors de la première res-
tauration, il fut nommé président du conseil
royal de 1 instruction publique. Napoléon, pen-
dant les Cent-Jours, le mit sur Ja liste des
conseillers titulaires; mais il se retira à la
campagne, pour ne pas en exercer les fonc-
tions. Après le retour de Louis XVIII, de
Bausset reprit la présidence du conseil de
l'Université, fut appelé, au mois d'août 1815,
à siéger dans la Chambre des pairs, admis
par ordre k l'Académie française en 1816, et
reçut le chapeau de cardinal en 1817; enfin, le
roi le nomma duc, commandeur de l'ordre du
Saint-Esprit, ministre d'Etat après la mort
du cardinal de la Luzerne, et membre du con-
seil privé. Outre les ouvrages précités, le
cardinal de Bausset a publié diverses bro-
chures et des notices : Réflexions sur la dé-
claration exigée des ministres du culte, etc.
(Paris, 1796), en collaboration avec l'abbé
Emery ; des notices sur le cardinal de Boisge-
lin (1804); sur l'abbé Legris-Duval et sur
Talleyrand, archevêque de Paris (1821), etc.
Il s'occupa, pendant ses dernières années,
d'écrire une histoire du cardinal de Fleury ;
mais ses accès de goutte, devenus de plus en
plus fréquents, lui enlevèrent l'usage de ses
mains et l'obligèrent de renoncer à ce travail.
BAUSSET (Louis-François-Joseph DE), neveu
du précédent, né à Béziers en 1770, mort vers
1835. Entraîné par goût vers l'art dramatique,
il lit jouer à Lyon, en 1803, une comédie
intitulée les Projets de sagesse ou le Memnon
de Valatri, qui lui valut d'être élu membre de
l'académie de cette ville en 1804.- Nommé,
l'année suivante, préfet du palais et cham-
bellan de Napoléon, il suivit l'empereur dans
ses expéditions d'Espagne, d'Allemagne, de
Russie, fut appelé à la surintendance du
Théâtre-Français en 1812 et en 1813, et, après
la seconde abdication de Napoléon, il suivit à
Vienne l'impératrice Marie-Louise, près de
laquelle il remplit, jusqu'en I8i6,les fonctions
de grand maître de sa maison. Depuis cette
époque, M. de Bausset se retira dans sa terre
de Sauvian dans l'Hérault, où il acheva sa
vie, à peu près exclusivement occupé de tra-
vaux agricoles. Il s'était marié avec une Irlan-
daise, dont la mère, M|ne Lawless, vint habiter
près de lui et rendit d'éminents services à la
contrée, en faisant dessécher et rendre à l'agri-
culture l'étang de Marseillette, marais infect
qui, par ses exhalaisons contagieuses, rendait
- toute la contrée extrêmement insalubre. M. de
Bausset a laissé des Mémoires sur la cour de
Napoléon.

BAUSSONNET
(Guillaume), dessinateur et
poëte français, né à Reims vers 1580, d'une
lamille notable de la bourgeoisie. En 1602, il
dessina la porte Basée de Reims, que grava
Edme Moreau, et depuis cette époque com-
posa de nombreux travaux, dont les deux plus
remarquables sont le frontispice du grand
ouvrage de Nicolas Bergier, les Grands che-
mins de l'empire romain, et le Tombeau de
saint Remy, gravé également par Moreau. La
bibliothèque municipale de Reims possède un
volume in-folio de dessins originaux de tous
les genres, portant ce titre : Dessins de pein-
ture, gravure, orfèvrerie, maçonnerie, menui-
serie, tourmrie, ferrure et autres arts, de la
main et invention de G. Baussonnet, de Reims.
On trouve dans ce précieux recueil de nom-
breux motifs exécutés depuis, et qui existent
encore dans quelques édifices rémois, et la
suite des décorations employées à l'occasion
du sacre de Louis XIII. baussonnet était à la
fois un dessinateur distingué et un bel esprit
émérite. On lui demandait aussi bien de se
charger des vers et des compliments à adresser
aux princes, que d'inventer les ornements des
fêtes qu'on leur donnait. Parmi les vers de ce
genre, produits par Baussonnet, nous cite-
rons les suivants, qui attirèrent l'attention de
Louis XIII et de sa cour, à l'occasion du sacre
de ce prince. Un arbuste avait poussé entre
les pierres du pilastre de la porte de Paris,
n'ayant pour toute nourriture que l'eau du
ciel et le peu de ciment qui reliait ces pierres
entre elles. Lors de l'entrée du roi, on lut sur
l'arbre cette inscription de Baussonnet :
Assis sur cette pierre dure,
Je vis de la fraîcheur de l'eau,
Et Phébus nuit à ma verdure.
Quand il prend son plus chaud flambeau.
Mais aujourd'hui j'ai d'aventure
Un heureux change en ma nature;
Car si la trop cruelle ardeur
De Phébus me tue et m'offense,
Je revis, voyant la splendeur
De Louis, soleil de la France.
On a ae lui d'autres inscriptions de la même
BAU
nature courtisanesque, et des sonnets publiés
sous le titre de Sylvie.
BAUSSONNET (Jean-Baptiste, dom), savant
bénédictin, né à Reims en 1700, mort en 1780.
Il fit ses vœux dans l'abbaye de Saint-Remy
dans sa ville natale, professa les humanités,
et s'occupa à réunir un nombre considérable
de matériaux destinés à la composition d'une
Histoire générale de Champagne et de Brie.
Mais, le plan seul de cet" ouvrage a été im-
primé à Reims en 1738. Baussonnet a collaboré
avec dom Tassin au nouveau Traité de diplo-
matique, dit des bénédictins.
BAUT-âS, nom latin d'Annecy-le-Vieux.

BAUTAIN
(l'abbé Louis-Eugène-Marie),
philosophe et théolopien français, né à Paris
le 17 février 1796. IT entra en 1813 à l'Ecole
normale, où il se distingua par son aptitude
pour les sciences philosophiques ; il y eut pour
maître M. Cousin, et pour condisciple Jouftroy.
En 1816, il fut nommé professeur de philoso-
phie au collège de Strasbourg, et chargé,
en 1817, du même cours à la faculté des lettres
de cette ville. Ne trouvant pas dans les doc-
trines philosophiques du temps, condillacisme,
philosophie écossaise, éclectisme, la satisfac-
tion de ses aspirations religieuses ; dégoûté,
selon son expression, du vague, de l'incerti-
tude et de l'incohérence des théories humaines ;
avide de solutions définitives et de convictions
fixes et absolues, il se jeta dans les bras du
catholicisme, à peu près à la même époque où
Jouifroy voyait mélancoliquement se briser
dans son âme les derniers liens qui le ratta-
chaient à, la religion de son berceau. Ordonné
prêtre en 1828, M. Bautain devint successive-
ment chanoine de la cathédrale, directeur 'du
petit séminaire de Strasbourg, supérieur de la
maison de Juilly. En 1838, il fut nommé doyen
de la faculté des lettres de Strasbourg, et garda
ce titre jusqu'en 1849, époque à laquelle l'ar-
chevêque Sibour l'appela à Paris et le nomma
vicaire général et promoteur de son diocèse.
Il fut chargé, en 1854, de professer le cours de
théologie morale, à la faculté de théologie de
Paris. M. Bautain a cultivé presque toutes les
branches des connaissances humaines; il pos-
sède les cinq diplômes de docteur en méde-
cine, docteur es lettres, docteur es sciences,
docteur en droit, docteur en théologie. Il a été
décoré de la Légion d'honneur en 1840.
L'enseignement philosophique de l'abbé
Bautain à la faculté de Strasbourg lui suscita,
en 1834, des démêlés avec son évêque, M. Le-
gappe de Trévern, sur la question des limites
de la raison et de la foi. L'ancien disciple de
M. Cousin, qui avait passé des agitations de la
libre pensée à la tranquillité de l'obéissance
intellectuelle, paraissait condamner .la raison
à une impuissance essentielle, à un scepti-
cisme incurable, et placer dans la révélation
seule le critérium de la certitude. L'autorité
dut ramener à la raison ce croyant trop zélé
qui compromettait l'édifice de la foi, en lui
enlevant toute base naturelle et en le suspen-
dant, pour ainsi dire, en l'air. L'abbé Bautain
consentit en 1840 à reconnaître : Que le rai-.
sonnement peut prouver avec certitude l'exis-
tence de Dieu et l'infinité de ses perfections ;
Que la divinité de la révélation mosaïque se
prouve avec certitude par la tradition orale et
écrite de la synagogue et du christianisme;
Que nous n'avons pas le droit de demander a
un incïédule d'admettre la résurrection de
notre divin Sauveur avant que des preuves
certaines lui en aient été données, et que ces
preuves sont déduites parle raisonnement;
Que l'usage de la raison précède" la foi, et y
conduit l'homme, avec le secours de la révé-
lation et de la grâce; Qu'il reste encore à la
raison, malgré l'affaiblissement de la dé-
chéance, assez de clarté et de force pour nous
guider avec certitude à l'existence de Dieu, à
la révélation faite aux Juifs par Moïse et aux
chrétiens par Jésus-Christ.
M. Bautain a écrit un assez grand nombre
d'ouvrages. Les plus importants sont :
1» Psychologie expérimentale (1839). C'est
une étude de l'esprit humain et de ses facultés,
où la philosophie prétend s'éclairer des scien-
ces positives et surtout de la physiologie, et
ne leur demande le plus souvent que des
analogies bizarres et puériles. L'auteur nous
apprend, par exemple, que nous ne devons
pas confondre l'âme avec l'esprit: Car, dit-il,
l'aine appartient à l'une des deux natures, des
deux substances qui composent l'univers;
tandis que l'esprit rayonne de toute nature,
de toute substance, aussi bien de la substance
physique que de la substance psychique.
L'esprit est le premier produit de la nature,
le résultat immédiat de l'action par laquelle
elle se pose au dehors. Le produit de la na-
ture céleste, de l'âme, est un esprit céleste,
une intelligence pure, qui se connaît elle-
même, qui a la conscience de son existence
personnelle et de ce qui agit sur elle ; et le
produit de la nature terrestre est un esprit
terrestre, animal, végétal, minéral, un esprit *
physique tendant à se développer, à se mani-
fester, mais ne pouvant jamais revenir sur
lui-même, et ainsi n'ayant ni la conscience du
moi, ni l'intelligence du non-moi. L'esprit,
considéré en lui-même, est quelque chose de
mobile, de vif, de pénétrant, de volatil. Il ne'
peut trouver de repos et de fixité qu'en s'atta-
chant à une base, où il s'organise et prend
forme. Il en est de même, sous ce rapport, de
l'esprit physique et de l'esprit intelligent.
L'esprit, en chimie, s'appelle gaz ; les acides ne
BAU
sont que de l'esprit dilué et étendu. Si l'esprit
a besoin de la base et s'agite pour la trouver,,
s'y fixant partout où il la rencontre, la base
n a pas moins besoin de l'esprit, et elle l'attire
d'autant plus puissamment qu'elle est plus
vide, plus desséchée et plus ardente. (Quelle
chimie I ) Cette conception de l'esprit et de la
base explique les sexes chez les végétaux,
chez les animaux et dans l'esprit humain.
L'homme est esprit, la femme est base : c'est
pour cela que l'homme cherche la femme, a
besoin de la femme pour avoir un centre au-
tour duquel il gravite; que la femme attire
l'homme, l'absorbe, maintient son expansion,
règle son mouvement et le force de s exercer
d'une manière régulière et vers un but mar-
qué : de là, nécessité du mariage. L'indissolu-
bilité de l'union conjugale est la conséquence
nécessaire de la nature même du mariage;
« car, dit M. Bautain, si un esprit nouveau
vient s'attacher à une base qui a déjà le sien,
il y aura lutte et désordre ; ou si l'esprit qui
appartient à une base s'en détache pour en
chercher une autre, il reprend sa vie inquiète
et agitée, et laisse sa base vide et en souf-
france. » (Quelle psychologie!) On voit que
M. Bautain est doué d'un esprit foncièrement
raisonneur, qu'il a passé par l'école, et qu'il
aurait été volontiers le créateur de cette mé-
taphysique' qu'a définie si spirituellement
Voltaire.
2« La Religion et la Liberté (1848, 2c édit,
1862). C'est la reproduction de conférences
faites en 1848 à Notre-Dame. M. Bautain
s'efforce d'y démontrer que,- non-seulement
la religion catholique n'est pas hostile à la
* liberté des peuples, mais qu'au contraire
l'institution de l'Eglise a été l'institution même
de la liberté moderne, que son dogme en est
le véritable principe, sa morale la plus sûre
garantie, et qu'elle en a toujours favorisé le
développement par sa constitution et sa disci-
pline. Un article spécial sera consacré à cet
ouvrage dans le Grand Dictionnaire. V. RELI-
GION ET LA LIBERTÉ (la).
3° La Morale de l'Evangile comparée aux
divers' systèmes de morale (1855). C'est la
reproduction des leçons faites en 1854 à la
Sorbonne ( faculté de théologie, cours de
théologie morale). L'auteur y met en face les
uns des autres les divers systèmes de morale,
morale du sensualisme, morale du sentiment,
morale de l'intérêt, morale du rationalisme,
morale du platonisme, morale chrétienne, et il
s'attache à faire ressortir de cet examen com-
paratif la prééminence de cette dernière. Cette
prééminence de la morale évangélique, il" la
reconnaît aux quatre caractères qui sont,
dit-il, les conditions de la morale véritable et
qu'elle seule présente : lo elle nous donne une
connaissance exacte, claire et précise de ce
qui est bien ou mal, juste ou injuste, et nous
enseigne nos obligations et nos devoirs par
des commandements nettement formulés et
suffisamment autorisés ; 2<> elle nous fournit
le vrai motif, le motif sûr, constant et indé-
fectible de vouloir le bien ; 3° elle nous assiste
efficacement dans la pratique, en nous donnant
la force nécessaire pour effectuer le bien
reconnu et voulu; 4° elle est à la portée de
tous les hommes, des ignorants comme des
savants, des faibles comme des forts; elle se
fait toute à tous pour les diriger, pour les amé-
liorer tous.
4° Philosophie des lois au point de vue
chrétien (1860). Cet ouvrage, résumé d'un
cours fait à la Sorbonne, traite successive-
ment de la loi naturelle, de la loi révélée, des
lois faites par les hommes, du pouvoir légis-
latif dans l'Eglise, des conditions du pacte
social, de la promulgation des lois, de la cou-
tume et de l'usage dans la législation, de
l'obligation des lois humaines, des qualités de
la loi civile, de l'objet et de l'observation de
la loi, de la cessation des lois. La véritable
notion du droit, telle que la Révolution l'a
fait entrer dans la conscience moderne, est
complètement absente de cette philosophie
chrétienne des lois. Nous remarquons un pas-
sage où M. Bautain reconnaît le droit du
maître sur l'esclave. « Je sais bien, dit-il, qu'à
ce mot esclavage, nos cœurs émus sont portés
à se révolter. Des hommes esclaves! Et s'ils
y consentent, voulez - vous contrarier leur
liberté? Si un homme, par exemple, veut en-
gager sa vie entière au service d'un autre par
un contrat? o Nous répondons-, nous, sans hé-
siter, que ce contrat, radicalement immoral,
ne saurait jamais être valide devant la con-
science. Ce n'est pas l'avis de M. Bautain.
«Les faits sont les faits, dit-ilj l'esclavage
existe encore, et puisque l'Eglise l'a toléré ou
ne l'a jamais combattu que d'une manière
indirecte, il faut bien qu'il y ait là uîi droit. »
Admirez ce syllogisme ; Majeure : L'Eglise
ne peut se tromper sur ce qui est essentielle-
ment, radicalement injuste et illégitime. Mi-
neure : Or, elle n'a jamais traité l'esclavage
comme tel. Conclusion : Ergo, il faut recon-
naître un droit dans l'esclavage. Ohl Monsieur
Bautain, ne craignez-vous pas que la conclusion
ne fasse tort à la majeure? M. Bautain, qui
admet Valiénabilité de la liberté de l'individu,
professe également celle de la souveraineté
nationale. Les droits de liberté et de souve-
raineté se confondent, dans son esprit, avec
celui de propriété ; nulle différence, à ses
yeux, entre les contrats personnels et les con-
trats qui portent sur les choses. « En certains
cas, dit-il, la souveraineté d'un peuple peut
être aliénée entre les mains d'un homme, qui
alors devient le maître de ce peuple par son
BAU 397
consentement. C'est ce qui se voit après les ré-
volutions entreprises pour conquérir la liberté,
et qui amènent la servitude par l'anarchie.
Quand la société a été violemment troublée et
désorganisée, il lui faut une tête forte et un
bras de fer pour la reconstituer et la remettre
en ordre. Dans ce cas, le peuple aliène sa
souveraineté pour retrouver l'orjjre. o Inutile
d'insister sur fa distance qui sépare la Philo-
sophie des lots au point de vue chrétien des
principes de 1789.
Tout bien examiné, nous croyons que
M. Bautain a peut-être eu tort de déserter le
champ clos de la philosophie laïque. Dans les
thèses qu'il soutient, sa plume ou son élo-
quence perd toute chance de succès si elle n'a
pas, à une forte dose, le bon droit de son côté.
Le célèbre professeur catholique tient par
quelque endroit de l'abbé Maury : « Quand j'ai
raison, disait Mirabeau, je le bats ; quand il a
raison, nous nous battons. » M. Bautain s'est
fait une philosophie religieuse qui se claque-
mure et voit le monde a travers une fissure.
Alors il s'écrie douloureusement : Que de té-
nèbres là-bas dans la vallée 1 Et il termine en
formant le souhait de Goethe mourant.
Les autres ouvrages de M. Bautain sont :
Réponse d'un chrétien aux Paroles d'un croyant
(1834); Philosophie du christiariisme (1835) ;
Philosophie morale (1842); la Belle saison à
la campagne (1858) ; la Chrétienne de nos jours
(1859); la Conscience, ou la Règle des actions
humaines (1861); Manuel de philosophie mo-
rale (1866).

BAUTE
s. f. (bô-te). Ancien mantelet de
femme : Bile se tenait enveloppée de la BAUTB
vénitienne, espèce de mantelet qui revenait à la
mode. (Balz.)

BAUTES
(Charles), poëte dramatique fran-
çais, né à Paris vers 1580, mort vers 1630. Il
s'adonna de bonne heure à la poésie, et se fit
connaître pour la première fois en 1600, par
une pièce de vers sur le mariage d'Henri IV
et de Marie de Médicis; puis, devenu amou-
reux d'une belle fille de Bayeux, Catherine
Scelles, il célébra ses charmes dans des poé-
sies qu'il publia sous le titre des Amours de
Catherine (Paris, 1605, in-s°) , en joignant à
ce recueil deux tragédies tirées de l'Arioste :
la Rodomontade et la Mort de Roger. Bautes
publia ce volume sous le pseudonyme de Me-
uglasse (langue de miel), qui semble assez
mal choisi quand on connaît la rudesse de ses
vers.
BAUTES, BAUTIS ou BAUTISUS, nom an-
cien du fleuve Hoang-Ho, dans la Sérique.
BAUTOIS. V. BAUPTOIS.

BAUTRU
(Guillaume DE), comte de Serrant,
conseiller d'Etat, chancelier de Gaston, duc
d'Orléans, poëte et membre de l'Académie
française, né en 1588, mort à Paris le 7 mai
1665. Arrivé à la cour d'Anne d'Autriche avec
800 livres de rente, il en laissa 50,000 à ses
héritiers. Il s'était démis de sa charge au
grand conseil pour suivre la cour, et avait
joué, auprès de Richelieu, le rôle de L'Angely,
mais d'un L'Angely déridé. Personne n'a com-
mis plus de bons mots, en revanche, personne
n'a plus reçu de coups de bâton. Marigny
disait de lui : « Il a été baptisé avec du faux sel,
il ne loge jamais que dans des faubourgs, il
passe toujours par de fausses portes, il cherche
toujours les faux-fuyants et ne chante jamais
qu'en faux-bourdon. » Il dirait à Mlle d'Au-
chy, fille d'honneur de la reine mère : « Vous
n'êtes pas trop mal fine, avec votre sévérité ;
vous avez si bien fait que vous pourrez,
quand vous voudrez, vous divertir deux ans
sans qu'on vous soupçonne. » Nous ne parle-
rons pas ici des désagréments que causa à
Bautru son esprit critique, c'est une odyssée
que nous avons racontée au mot BÂTON. Con-
tentons-nous de citer quelques-unes de ses
saillies. Il ne se piquait pas de dévotion.
Comme on le voyait ôter son chapeau de-
vant un crucifix qui précédait un enterre-
ment : « Ah! lui dit-on, voilà qui est de
bon exemple 1 — Nous nous saluons, répon-
dit-il , mais nous ne nous parlons pas. » Il
disait que Rome était une chimère aposto-
lique ; et, le pape Urbain ayant fait une pro-
motion de dix cardinaux qui sentaient plus ou
moins la roture, il dit, lorsqu'on les énuméra
en sa présence : « Je n'en ai compté que neuf.
— Eh! vous oubliez Sacripanti, lui objecta-
t-on. — Excusez, répondit-il, je pensais que
c'était le titre. » Il réjouissait Mazarin par ses
saillies, comme il avait réjoui Richelieu. Il
avait licence de se jouer de tout. Lorsque nos
plénipotentiaires, à Munster, prirent fa qua-
lité de comtes : - Je me doutais bien, dit-il,
que cette assemblée-là nous ferait des comtes
borgnes. » Abel Servien, qui était de ce con-
grès, n'avait qu'un œil. Bautru remplit lui-
même les fonctions de ministre plénipoten-
tiaire en Flandre, en Espagne et en Angleterre,
et, de plus, celle d'introducteur des ambassa-
deurs. On voit qu'il ne perdait pas son temps à
blasonner les gens. Mais s'il dépensait beau-
coup d'esprit en reparties, il en était avare
dans ses vers. Les bibliographes ne citent de
lui qu'une pièce, qui est d'une platitude remar-
quable : VOnosa?idre, ou la Croyance du gros-
sier. Cette pièce, qui parut d'abord en 7 pages
in-8°, sans date, fut ensuite insérée dans le
second volume du Cabinet satyr-ique. C'est une
satire contre le duc de Montbazon. « La meil-
leure chose qu'il ait faite, dit Tallcmant des
Réaux, c'est un impromptu pour répondre à
398
un autre, que lui avait envoyé M. Le Clerc,
intendant des finances, qui était de Montreuil-
Bellay. Or, on dit en proverbe : Les clercs de
M'ontreuil-Bellay, qui boivent mieux qu'ils ne
avent écrire* Voici cet impromptu :
Une autre fois prenez plus de délai ;
Votre impromptu n'a pas le mot pour rire.
Vous êtes clerc et de Montreuil-Bellay,
Qui buvez mieux que ne savez écrire.
Bautru n'a été qu'un bouffon lettré ; il lui a
toujours manqué ce qui distingue- si éminem-
ment aujourd'hui l'écrivain et l'homme d'es-
prit : la dignité du caractère. Mais il faut être
indulgent pour ce L'Angely académicien : il
vivait à une époque où une vieille épée rouillée
exerçait une plus grande fascination que la
plume la plus brillante. De nos jours peut-être,
il eût fait un Méry. Citons encore quelques
traits de cette originale individualité. Bautru
disait qu'au cabaret on vendait la folie par
bouteilles. Présentant un poëte au surinten-
dant des finances d'Emery : « Voilà, lui dit-il,
un homme qui vous donnera l'immortalité;
mais il faut que vou3 lui donniez de quoi
vivre. » Sa maxime favorite était qu'il ne
fallait point s'abandonner aux plaisirs, mais
seulement les côtoyer. Considérant un jour
un morceau de sculpture représentant la Jus-
tice et la Paix qui s'embrassaient : « Voyez-
vous, dit-il, elles s'embrassent et se disent
adieu pour ne se revoir jamais. » Nous venons
de parler de L'Angely. Cet illustre fou se trou-
vant dans une compagnie, où il commençait
à se lasser de son rôle de bouffon, vit tout à
coup entrer Bautru : « Ah ! lui dit-il, vous
venez bien à propos pour me seconder, je me
lassais d'être seul. » Le Dictionnaire des grands
hommes fait de ce personnage une espèce de
Gorgibus, soignant avec une égale sollicitude
sa cave et sa bibliothèque. Mais l'influence de
celle-ci neutralisait l'épicurisme produit par
l'autre. Visitant un iour la bibliothèque de
l'Escurial, dont le bibliothécaire était fort
ignorant, il dit au roi d'Espagne: o Vous
devriez plutôt, Sire, lui donner l'administra-
tion de vos finances; c'est un homme qui ne
touche pas au dépôt qui lui est confié. »
Saint-Amand à dit de lui :
Si vous oyez une équivoque,
Vous jetez d'aise votre toque,
Et prenez son sens malotru
Pour un des beaux mots de Bautru.

BAUTZEN
ou BUDISSIN, ville du royaume
de Saxe, ch.-l. du cercle de son nom, sur la
Sprée, à 50 kil. N.-E. de Dresde, dans une
belle et fertile contrée; 12,950 hab. Consis-
toire apostolique, cour d'appel, belle cathé-
drale de Saint-Pierre, fondée en 927 par
Henri II; château royal d'Ortenbourg. C'est une
des villes les plus industrieuses du royaume :
fabrication de bas, de draps, de toiles ; pape-
teries, blanchisseries et impressions de tissus ;
poudre, tabacs, etc. Victoire de Napoléon 1er
sur les Prussiens et les Russes, le 20 et le
21 mai 1813; mort du général Duroc.
Bnutien (BATAILLE DE). Le 2 mai 1813, Na-
poléon venait de remporter sur les souve-
rains alliés la victoire de Lutzen; il avait été
rendu aussitôt qu'eux sur le champ de ba-
taille, et ils purent s'apercevoir que, si le lion
était blessé, il était imprudent néanmoins de
venir braver de si près ses redoutables at-
teintes. Et cependant le désastre de Moscou
commençait a porter ses fruits : faute de ca-
valerie, Napoléon ne put poursuivre l'armée
vaincue et la désorganiser; de plus, le senti-
ment national, surexcité au plus haut point
chez nos ennemis, rendait la lutte plus san-
glante, plus opiniâtre. Suivant la poétique
expression de Lacordaire, « nos aigles, ra-
menés à plein vol des bords de la Vistule,
s'étonnaient de ne plus ramasser dans leurs
serres puissantes que des victoires blessées à
mort. » Cependant, les Russes et les Prus-
siens précipitaient leur fuite vers l'Elbe, -et
peut-être jusqu'à l'Oder, tandis que le vain-
queur s'élançait sur leurs traces en trois co-
lonnes : la principale, composée de Marmont,
de Macdonald, de la garde, et dirigée par le
prince Eugène en personne; la seconde, com-
posée de Bertrand et d'Oudinot; la troisième,
formée du corps de Lauriston seulement.
Cette dernière devait relier Napoléon avec le
maréchal Ney, qui, à la tête d'un corps de
60,000 hommes, avait ordre de manœuvrer de
manière à prendre les alliés en flanc s'ils
affrontaient les chances d'une seconde ba-
taille, ou à prendre possession de Berlin si les
circonstances se prêtaient a cette occupation.
Après avoir porté au delà de l'Elbe le corps
du prince Eugène, l'empereur reçut des rap-
ports précis sur la position qu'occupaient les
ennemis entre ce dernier fleuve et 1 Oder. Ils
s'étaient arrêtés au pied des montagnes de la
Bohême, à Bautzen, ville arrosée par la Sprée,
et qui leur offrait deux champs de bataille des
plus avantageux, l'un en avant de cette ri-
vière, l'autre en arrière, à Hochkirch, position
rendue célèbre par le grand Frédéric pendant
la guerre de Sept ans. 100,000 Prussiens et
Russes s'étaient donc rassemblés autour de
Bautzen, le long de la Sprée, sous la protec-
tion de vastes abatis et de puissantes redoutes.
Mais Napoléon allait dissiper une fois encore
les fumées dont s'enivrait l'orgueil des coali-
sés. Déjà le maréchal Macdonald était en vue
de Bautzen, appuyé, à droite et le long des mon-
tag-nes, par le maréchal Oudinot, avec deux
divisions françaises et une bavaroise; à gau-
che parle maréchal Marmont, avec deux divi-
BAU
sions françaises et une allemande; et plus à
gauche encore, par le général Bertrand, avec
une division française, une italienne et une
wurtembergeoise. En avant de l'Elbe se te-
naient le maréchal Ney et le général Lau-
riston, prêts à se porter au secours de la
grande armée par la droite, ou sur Berlin par
la gauche. Ces deux derniers reçurent en
même temps l'ordre de manœuvrer de ma-
nière à déboucher sur le flanc et les derrières
de la position de Bautzen, afin de tourner les
ennemis. Cette manœuvre valait toutes les
positions du monde, et, quelque redoutable que
fût celle des coalises, Napoléon, avec 160 ou
170,000 hommes, ne conservait aucun doute
sur le résultat.
Le 19 mai, il arriva devant Bautzen, où ses
troupes et sa garde l'attendaient avec impa-
tience. Il monta aussitôt à cheval, et opéra la
reconnaissance des lieux où il allait se ren-
contrer de nouveau avec l'Europe coalisée. Il
résolut de forcer, dès le lendemain 20 mai, la
première ligne, celle de la Sprée, défendue
Sar des troupes nombreuses et habilement
isposées, puis de livrer une autre bataille
pour forcer la seconde ligne, qui s'apercevait
derrière la première, et qui paraissait formi-
dable. Dans la journée et vers le soir du 19,
on entendit au loin une vive canonnade sur la
gauche. Les ennemis ayant appris qu'un
corps assez considérable arrivait sur eux par
Hoyerswerda? se doutèrent que le dessein de
Napoléon était de tourner les positions par la
droite, de changer le champ de bataille et de
faire tomber ainsi tous ces retranchements
élevés avec tant de peines, et l'objet de tant
d'espérances ; mais tandis que le pressentiment *
du danger leur faisait entrevoir la vérité, ils
prêtaient à Napoléon des fautes qu'il n'avait
pas l'habitude de commettre. Supposant donc
que Ney s'avançait à la tête de 25,000 hom-
mes seulement, ils détachèrent à sa rencontre
le général russe Barclay de Tolly, avec 23 ou
24,000 combattants. Celui-ci surprit une divi-
sion italienne et lui fit essuyer une perte assez
considérable ; mais au même instant, le géné-
ral prussien d'York, qui cherchait le corps de
Ney avec 8,000 hommes, faisait la fâcheuse
rencontre de son lieutenant Lauriston, qui
s'avançait à la tête de 20,000, et qui le rejeta
en désordre sur la.Sprée après lui avoir tué
2,000 combattants. Le soir du 19, chacun était
revenu à son poste. Le lendemain, Napoléon
mesurant ce qu'il lui fallait de temps pour for-
cer la première ligne, résolut de ne commen-
cer l'action qu'à midi, afin que la nuit fût une
limite obligée entre les deux actions. Placé de
sa personne en face de Bautzen, il donna le
signal de l'attaque à l'heure a,u'il avait fixée.
A droite, le maréchal Oudinot franchit la
Sprée vers le village de Sinkwitz, malgré les
efforts du général russe Miloradovitch, et
s'avança pour gravir les montagnes,aux-
quelles s'appuyait la gauche des alliés. Au
centre, Macdonald abordait de front la ville
de Bautzen, qui avait été fortifiée et crénelée,
et l'enveloppait après avoir traversé la Sprée
sur un pont de pierre et sur quelques cheva-
lets. Un peu au-dessus de Bautzen, Marmont
avait également exécuté le passage de la ri-
vière, et s'était porté entre le centre et la
gauche de la position générale, après avoir
fait enlever par les divisions Bonnet et Com-
pahs le village de Burk, défendu par le g.i;ié-
ral prussien Kleist. Au delà commençait, la
seconde position des coalisés, dont un ruisseau
fangeux et profond formait la première dé-
fense , ainsi que les trois villages de Na-
delwitz, de Nieder-Kayne et de Bakanwitz,
qui en occupaient le bord. Marmont se main-
tint énergiquement dans cette position, malgré
tous les efforts des généraux Kleist et d'York
pour l'en chasser, et ceux de Blùcher lui-
même, qui, établi avec 20,000 hommes sur
quelques mamelons boisés, détacha sa cava-
lerie pour la lancer au secours de ses lieute-
nants. Marmont put même porter la division
Compans sur Bautzen, dont cette intrépide
division escalada les murs, et dont elle ouvrit
les portes aux troupes de Macdonald. Pendant
ce temps-là, le général Bertrand, au-dessous
du maréchal Marmont, franchissait la Sprée
au pied des mamelons où étaitcampé Blùcher,
ce qui complétait, avec le plus heureux succès,
la série des opérations ordonnées par Napo-
léon. Au même moment, Ney arrivait à Klix,
position qui lui avait été désignée, et nous
pûmes, dès lors, concevoir pour le lendemain
les plus brillantes et les plus légitimes espé-
rances.
Napoléon entra dans Bautzen à huit heures
du soir, et prit toutes ses dispositions pour le
lendemain 21. Les coalisés présentaient un
ensemble formidable de positions à enlever.
La gauche des Russes s'était repliée sur une
haute montagne, du pied de laquelle sortait le
Bloesaer-Wasser, ordinairement appelé Ruis-
seau du Moulin, qui allait se jeter dans la
Sprée après de longues sinuosités à travers la
plaine. Le centre, composé des gardes et des
réserves russes, s était placé en arrière de ce
ruisseau, sous la protection de plusieurs re-
doutes et d'une forte artillerie, présentant un
amphithéâtre hérissé de canons. Vers leur
droite, les coalisés s'étaient postés en avant
du Bloesaer-Wasser. C'est là, sur des mame-
lons boisés, que s'était établi Blùcher avec
20,000 Prussiens. Il avait juré que, grâce à
eux, ces mamelons deviendraient les Thermo-
pyles de l'Allemagne. Enfin, dans la plaine
qui s'étendait au delà, sur une légère émi-
nence. se tenait Barclay de Tollv avec ses
BAU
15,000 Russes; il devait s'opposer aux tenta-
tives de Ney, dont les ennemis n'avaient pu
apprécier encore la véritable force. De notre
coté, la droite, sous le maréchal Oudinot, de-
vait se maintenir sur les hauteurs du Tron-
berg, qu'elle avait conquis la veille; notre
centre, sous Macdonald et Marmont, appuyé
par la garde, avait ordre de franchir le
Bloesaer-Wasser et d'enlever les redoutes du
centre russe, tandis que notre gauche, sous
le général Bertrand, avait la tâche difficile de
gravir les mamelons occupés par Blùcher et
de les lui arracher. Attaquer ainsi de front
100,000 Russes et Prussiens presque fanatisés
et admirablement retranchés, était une tenta-
tive hasardeuse ; mais Ney était arrivé dans
la soirée même a Klix, avec ses 60,000 hom-
mes, et allait prendre Blùcher à revers, ce
uî changeait complètement la physionomie
e l'attaque. Dès que le jour parut (21 mai),
chacun se rendit à son poste; Napoléon, en
effet, y appelait tout le monde, et était lui-
même au sien de grand matin. De la position
où se trouvaient Tes souverains alliés, on le
voyait, sur le plateau de Bautzen, à cheval,
donnant des ordres et tout à fait à portée du
canon ennemi. L'ambassadeur britannique,
lord Cathcart, ayant une excellente lunette
anglaise, avec laquelle on apercevait tous les
mouvements de Napoléon, chacun l'emprun-
tait pour voir ce terrible adversaire, et aurait
voulu deviner se qtfi se passait dans son es--
prit, comme on discernait ce qui se passait
autour de sa personne.
Mais déjà une effroyable canonnade rem-
plissait de ses retentissements la vaste éten-
due de ce champ de bataille. Le maréchal Ou-
dinot disputait les hauteurs du Tronberg aux
Russes, qu'ils s'efforçaient de lui reprendre.
Au centre, Macdonald et Marmont, immobiles,
ayant entre eux les carrés de la garde, et
derrière eux la cavalerie de Latour-Maubourg,
attendaient les ordres de Napoléon, qui atten-
dait lui-même impatiemment le succès de la
manœuvre confiée au maréchal Ney. A gau-
che, le général Bertrand, après avoir achevé
le passage de la Sprée, gravissait avec se3
trois divisions l'escarpement de la rive droite.
Mais c'était à Klix, à deux lieues au-dessous,
que se passait l'événement décisif de la jour-
née. Le maréchal Ney venait de franchir la
Sprée sur ce point, et de refouler les avant-
postes de Barclay de Tolly. Il eut alors à
droite le revers des mamelons occupés par les
20,000 Prussiens de Blùcher, devant lui Bar-
clay de Tolly posté près d'un moulin à vent,
et a sa gauche les bords marécageux du Bloe-
saer-Wasser. Il manœuvra aussitôt pour dé-
border la position de l'ennemi, et fit attaquer
résolument Barclay, qui déchaîna sur lui un vé-
ritable ouragan de boulets. Mais, ditM. Thiers,
des boulets n'arrêtaient pas le maréchal Ney:
il continua son mouvement, culbuta le général
russe, remonta un peu k droite pour prendre à
revers les mamelons où il avai t aperçu la masse
des troupes prussiennes, et se- trouva devant
le village de Preititz, qu'il fit emporter par la
division Souham. Apercevant alors devant lui
des masses profondes de cavalerie, ayant à sa
f auche Barclay et à sa droite Blùcher, ce
éros, qui éprouvait quelquefois des hésita-
tions d'esprit, jamais de "cœur, s'arrêta pour
écouter le canon du reste de l'armée et ne pas
s'engager définitivement.
Pendant ce temps-là, Blùcher débitait des
harangues patriotiques à ses Prussiens, refu-
sant d'ajouter foi au récit de ceux qui accou-
raient le prévenir du danger d'être pris à re-
vers, dont il était menacé. Il dut bientôt,
néanmoins, se rendre à l'évidence, et il déta-
cha à Barclay un secours au moyen duquel ce
général put inquiéter Ney pendant quelque
temps. Mais déjà celui-ci en avait fait assez
pour que la position ne fût plus tenable. Dès
que son canon avait retenti sur les derrières
de Blùcher, Napoléon avait donné le signal
de l'attaque. Aussitôt, Marmont avait ouvert
un feu épouvantable sur les redoutes du cen-
tre, tandis que le général Bertrand s'était mis
en mouvement pour aborder la ligne prus-
sienne. Blùcher fit demander du renfort; mats
on lui répondit que les troupes qu'il appelait
à son secours étaient occupées à disputer
Preititz sur ses derrières, et que, s'il ne bat-
tait bien vite en retraite, il allait être pris
avec son corps d'armée par le maréchal Ney.
Le désespoir au cœur, Blùcher descendit de
ces mamelons qu'il venait d'appeler les Ther-
mopyles de l'Allemagne, et où il avait promis
de résister à tous les efforts des Français,
tandis que Ney les gravissait d'un autre côté.
Il put donc opérer sa retraite sans rencontre
fâcheuse, en traversant les lignes de la ca-
valerie russe et prussienne. Déjà la vic-
toire était assurée; Bertrand se lança à la
poursuite du général prussien, et Marmont,
avec son corps, Mortier, avec la jeune garde,
se jetèrent en avant du Bloesaer-Wasser.
Bientôt le mouvement de retraite imprimé à
la droite des coalisés se communiqua au reste
de leur armée, et Oudinot, qui s'était vu
pressé, reprit vivement l'offensive contre les
Russes, Sur une étendue de 12 kil., on se
mit alors à poursuivre les alliés; mais faute
de cavalerie, on ne put recueillir, en prison-
niers et en canons, que des trophées incom-
plets. Si l'heureuse audace des temps passés
eût animé le maréchal Ney, s'il avait été cette
fois aussi téméraire qu'il était intrépide, la
journée de Bautzen eût été aussi brillante que
celle d'Austerlitz, d'Iéna et de Friedland ; car
on aurait pris toute la droite de l'armée enne-
BAU
mie, et notamment Blùcher, notre adversaire
le plus fanatique. Néanmoins, la victoire sem-
blait ramener les beaux jours de la grande
armée; elle renversait unepositionformidable,
défendue par près de 100,000 hommes, le der-
nier espoir des coalisés, du moins pour cette
partie de la campagne. Quant aux pertes mu-
tuelles, quoi qu'en aient dit les écrivains alle-
mands, elles étaient, de notre côté, inférieures
à celles des ennemis. Ceux-ci ont avoué, pour
les deux journées, 15,000 hommes en morts el
blessés, quoique leur perte ait été beaucoup
plus considérable; la nôtre, au contraire,
d'après des états fort précis, ne peut pas être
évaluée à plus de 13,000 hommes, tant morts
que blessés, bien que nous fussions les assail-
lants et que notre tâche fût la plus meurtrière.
SAUVAIS (Louis-Jacques), général haïtien,
né à la Crolx-des-Bouquets en 1759, mort en
1800. Homme de couleur, il fit ses études en
France, à l'école militaire de La Flèche, et se
mit le premier a la tête des esclaves soulevés
à Saint-Domingue en 1790. Fidèle à la mère
patrie, il refusa de prendre part au mouve-
ment séparatiste de 1799, partit pour la France
et mourut en mer.

BAUVIN
(Jean-Grégoire), littérateur fran-
çais, né à Arras en 1714, mort en 1776. Il
exerça la profession d'avocat dans sa ville na-
tale , où il fut nommé professeur à l'Ecole
militaire, devint un des collaborateurs du
Mercure et du Journal encyclopédique, et fit
paraître, en 1779, une tragédie intitulée Armi-
nius, représentée sans succès à Paris sous le
titre des Chérusques, en 1772. On a également
de lui une traduction en vers des Sentences de
Publius Syrus.

BAUWENS
(Liéven), industriel belge, qui a
puissamment contribné à introduire la fila-
ture de coton en France, né à Gand eh 1769,
mort en 1822. Fils d'un tanneur, il suivit la
profession de son père, qui l'envoya, à l'âge
de dix-sept ans, en Angleterre, pour y étu-
dier les perfectionnements introduits dans
cette industrie. De retour dans sa ville natale
en 1789, le jeune Bauwens y fonda un établis-
sement qui ne contenait pas moins de cinq
cent cinquante cuves énormes, et bientôt il
put expédier sur le marché de Londres d'im-
menses quantités de cuirs, qui s'y vendaient
plus cher que les meilleurs cuirs anglais. A
vingt-six ans, Bauwens se trouvait, par suite
de la mort de son père, à la tête de la tanne-
rie de Nieuwland,et possesseur d'une fortune
déjà considérable, lorsqu'il songea à doter la
France d'une industrie dont l'état florissant
l'avait frappé lorsqu'il se trouvait, en Angle-
terre, nous voulons parler de la filature de
coton. Cette industrie, dans l'enfance sous
Louis XVI, où elle ne comptait pas plus de
six cent vingt broche? sur tout notre terri-
, toire, avait été complètement anéantie pen-
dant les troubles de la Révolution. Malgré les
dangers et les difficultés de tout genre qui se
dressaient devant lui, Bauwens se rendit en
Angleterre en 1790, pour y prendre des ou-
vriers et des machines ; mais, comme la sortie
des ustensiles et çles mécaniques était prohi-
bée sous les peines les plus sévères, il se fit
négociant en denrées coloniales, afin de pou-
voir loger des parties de machines dans des
balles de café et des caisses de sucre. Grâce
à ce stratagème, il parvint à réaliser son en-
treprise. Toutefois, dans une de ses dernières
expéditions, il faillit être pris; une grande
quantité de machines furent saisies ; il fut
condamné à mort par contumace, et son agent
en Angleterre garda une somme considérable
3u*il avait entre ses mains. Bien qu'il eût perdu,
ans cette tentative, une grande partie de sa
fortune, Bauwens établit à Passy, en 1798,
une filature de coton, dans laquelle il em-
ploya l'appareil dit mull Jenny, une autre
a Gand l'année suivante, et une troisième
à Tronchiennes en 1804. Loin de garder pour
lui les procédés qui lui avaient coûté si cher,
il ouvrit ses ateliers à qui voulut y chercher
les connaissances nécessaires à la formation
de nouveaux établissements de ce genre. Bien-
tôt on y accourut de tous les points de la
France, de la Suisse et de l'Allemagne, et,
grâce à lui, cette industrie nouvelle se pro-
pagea avec une rapidité prodigieuse sur le
continent. En même temps, Bauwens intro-
duisait le blanchiment des toiles de coton par
la méthode de Berthollet, et plus tard il fut
le premier en Belgique qui adopta l'emploi
des machines à vapeur appliquées aux ma-
nufactures. Nommé maire de sa ville natale,
décoré de la Légion d'honneur, Bauwens était
à la tête d'une fortune immense, lorsque les
événements de 1814 ébranlèrent sa prospérité,
qui fut détruite tout à coup par les secousses
les plus violentes et les plus imprévues. Ses
manufactures et ses biens furent vendus poui
le dixième de leur valeur. Dépouillé de tout
mais encore plein d'énergie, il parvint, après
cinq ans d'efforts, à établir à Paris la pre-
mière filature de bourre de soie gui ait été
fondée en France ; mais les chagrins causés
par son désastre, les nombreux travaux qu'i
avait entrepris, sans parler de ses trente-deux
voyages en Angleterre, avaient profondément
altère sa santé. Il mourut tout à coup, à l'âge
de cinquante - trois ans, d'un anévrisme
Bauwens ne fut pas seulement un grand in-
dustriel, quo la réputation de Richard Lenoir
a fait injustement oublier^ il fut^ comrao
homme, bon, généreux, toujours prêt à obli-
ger, et ne cessa de faire le plus rûble usa^e
de sa fortune.

BAUX,
nom d'une des plus anciennes fa-
milles de Provence, connue depuis Hugues,
baron de BAUX, qui vivait au milieu du xiu siè-
cle. Raymond de BAUX, son fils, épousa, vers
1110, Etiennette de Provence, ce qui déter-
mina ses successeurs à revendiquer ce comté
et" à faire valoir leurs prétentions par les
armes. Renaud de. BAUX , petit-fils de Ray-
mond, devint coseigneur de Marseille par
son mariage avec Alix, dans la seconde moi-
tié du xn«*siècle. Bertrand de BAUX, troi-
sième fils de Raymond, devint prince d'Orange
par son mariage avec Tiburge, héritière de
cette principauté, et mourut assassiné en 1181.
II laissa trois fils, dont l'aîné, GUILLAUME II,
prit, en 1214, le titre de roi d'Arles, que lui
avait octroyé l'empereur Frédéric II. Le se-
cond fils fut l'auteur d'une branche qui, dans
la suite, passa en Italie. La postérité de Guil-
laume forma un rameau qui s'établit à Naples
et qui porta les titres de ducs d'Andrie, de
princes de Tarente, etc. Ce rameau a produit
Jacques de BAUX, prince de Tarente et d'A-
chaïe, qui, en 1382, épousa Agnès de Duras,
petite-fille de Jean de Sicile, et qui prit le
titre d'empereur de Constantinople et de des-
pote de Roumanie. La ligne des barons de
Baux, restée en France, eut pour dernier re-
présentant mâle Raymond IV de BAUX, prince
d'Orange, qui mourut vers 1393, ne laissant
que deux filles. Marie, l'aînée, porta la prin-
cipauté d'Orange dans la maison de Châlons,
d'où elle pa^ssa par la suite dans celle de
Nassau ; la cadette, Alix, n'ayant pas de pos-
térité, légua, en 1426, la baronnie de Baux à
ses parents, établis dans le royaume de Naples.
Ce legs n'ayant pas été reconnu valable, la
baronnie de Baux fut réunie au domaine com-
tal de Louis III de Provence. En 1641, elle
en fut détachée, érigée en marquisat et don-
née avec la ville de Saint-Remi à Honoré
Grimaldi, prince de Monaco, qui venait de se
mettre sous la protection de la France.
BAUX (Guillaume II DE), de la famille des
seigneurs de Baux, succéda, en 1182, à son
père Bertrand 1er, comme prince d'Orange, et
reçut de l'empereur Frédéric II, en 1214, le
titre de roi d'Arles et de Vienne. Il prit rang
parmi les poëtes troubadours du temps, mais
il s'est surtout fait connaître par son extrême
vanité, par ses rapines et ses exactions. Un
marchand français, qui traversait ses Etats,
ayant été rançonné et dépouillé par lui, de-
manda justice à son souverain, Philippe-Au-
guste. Celui-ci ne pouvant la lui faire rendre,
l'autorisa à se la faire lui-même. Fort de cette
autorisation, le marchand contrefit le sceau
de Philippe et invita, au nom du roi, Guil-
laume de Baux à visiter la cour de France.
Guillaume de Baux s'empressa de partir sur
cette invitation; mais en traversant la ville
où résidait le marchand, il fut à son tour saisi
par celui-ci avec l'aide de ses amis, dépouillé et
renvoyé dans ses terres, honteux et humilié.
Guillaume étant allé quelque temps après
piller une propriété du comte de Valentinois,
fut pris par des pêcheurs, dépouillé selon l'u-
sage, et de plus rançonné. Ces mésaventures
firent la joie des troubadours du temps, et
deux d'entre eux, Gui de Cavaillon et Ram-
baud de Vaqueiras, les mirent en vers, qu'on
chanta dans toute la Provence. Guillaume
leur répondit, également en vers. Sa réponse,
où il se désigne sous le nom d'Inglès, est par-
venue jusqu'à nous. Ce prince eut une fin
terrible, vers 1218. Il s'était montré un des
ennemis les plus implacables des Albigeois,
lorsque, dans une embuscade, il fut pris par
les Avignonnais. Ceux-ci l'écorchèrent vif, et
coupèrent son corps en morceaux. Le pape
Honorius saisit ce prétexte pour exciter les
croisés à la vengeance, et ce fut une des rai-
sons pour lesquelles Louis VIII vint mettre le
siège devant Avignon en 1226.
BAUX (Clarette et Huguette DE). V. BAULX.
BAUX (Pierre), médecin français, né à
Nîmes en 1679, mort en 1732. Membre d'une
famille qui exerça la médecine pendant plu-
sieurs générations, il étudia à Montpellier, à
Orange etàParis, puis il vint se fixer à Nîmes,
et fit preuve d'autant de science que de dé-
vouement lorsque la peste vint ravager la
Provence et une partie du Languedoc. C'est
à ce' sujet qu'il composa son Traité de la
peste, etc. (Toulouse, L722). On a également
de lui divers articles publiés dans le Journal
des savants, et un ouvrage, fruit de longues
études, mais resté manuscrit, sous le titre de
Observations sur divers points de la médecine
théorique et pratique.
BAUX (LES) Baucium, bourg, autrefois ville
assez importante de France (Bouches-du-
Rhône), arrond. et à 15 kil. N.-E. d'Arles,
bâti sur un rocher escarpé, accessible d'un
seul côté et dominé par les ruines imposantes
d'un ancien château fort qui formait, au moyen
âge, une seigneurie libre très - importante ;
404 hab. Récolte et commerce de grains, huile
et vin. Les remparts du bourg, les maisons,
le château ont été en grande partie taillés
dans une pierre calcaire, d'une nature friable,
qui présente aujourd'hui les ruines les plus
étranges. Beaucoup de maisons ont des fa-
çades élégantes dans le dtyle de la Renais-
sance ou du xve siècle. Le bourg entier, mu-
railles , château, maisons particulières, est
classé parmi les monuments historiques. M. J.
Canonge, de Nîmes, a publié, il y a quelques
années, une très-intéressante notice sur les
Baux.
BAV

BADXIB
s. f. (bok-sî). Bot. Syn. de cipure.

BAUZA
(DON Filipo), géographe espagnol,
né vers le milieu du xvme siècle, mort en
Angleterre en 1833. Dès l'âge de vingt ans,
il accompagna Malaspina dans ses inspections
navales. A son retour, il fut nommé directeur
du dépôt hydrographique à Madrid. Les belles
cartes de l'Amérique méridionale, qui furent
tracées sous sa surveillance et par ses soins,
sont supérieures à toutes celles qui avaient
,été tracées jusque-là. En 1823, les événe-
ments politiques le forcèrent à quitter l'Es-
pagne et à se retirer en Angleterre.

BAUZANUM
ville de l'ancienne Rhétie, au-
jourd'hui Botzen, dans le Tyrol.

BAUZILLE
DU PUTOIS (SAINT-), bourg de
France (Hérault),, arrond. et à 32 kil. N.-O.
de Montpellier, sur l'Hérault j 2,027 hab. Dans
le voisinage, à l'entrée d'un bois qui couronne
le rocher de Thourac, se trouve une grotte
appelée Baouma de las Doumaïsellas, ou grotte
des fées, remplie de curiosités naturelles et
digne de l'attention du touriste et du géo-
logue.

BAVA
(Gaëtan-Emmanuel), comte de San-
Paolo, savant piémontais, né à Fossano en
1737, mort en 1829- Après avoir servi parmi
les pages du roi Charles-Emmanuel 111, il en-
tra dans l'armée avec le grade de capitaine.
Mais il quitta bientôt la profession des armes,
pour se livrer tout entier à la culture des
lettres et des sciences. Il fut un des fonda-
teurs de l'académie Fossanèse, et dut surtout
sa célébrité à la publication de son Tableau
historique et philosophique des vicissitudes et
des progrès des sciences, des arts et des mœurs,
depuis le xie jusqu'au xvme siècle (Turin,
1816, 5 vol. in-S<>).
BAVA (Jean-Baptiste-Eusèbe, baron), gé-
néral italien, né à Verceil en 1790, mort en
1855. Ancien élève du Prytanée militaire de
Saint-Cyr, il fit les dernières campagnes de
l'Empire avec la grande armée, et se retira
en Piémont après 1814, avec le grade de ca-
pitaine. Nommé lieutenant général et créé
baron en 1840, il fut appelé au commande-
ment de la place et de la province d'Alexan-
drie en 1847. Placé, en 1848, à la tête d'un
corps d'armée qui entra en ligne contre les
Autrichiens, il fit une heureuse diversion qui
ne fut pas sans influence sur le gain de la ba-
taille de Goïto, et fut promu au rang de gé-
néral d'armée (maréchal). En 1849, il dirigea
quelque temps le ministère de la guerre, et
contribua beaucoup en 1855, comme inspec-
teur général d'infanterie, à l'organisation de
la petite armée envoyée en Crimée par le Pié-
mont, qui retira de cette coopération un grand
résultat, politique. Il mourut la même année,
et sa statue en marbre blanc a été érigée de-
puis lors au Jardin public, à Turin.

BAVALITE
s. f. £ba-va-li-te — de Bavalon,
nom de lieu). MinèV. Substance ferrugineuse,
à structure oolitique, qui a été ainsi appelée
parce qu'on la trouve à Bavalon, en Bre-
tagne. C'est une variété de silicate de fer,
analogue à la chamoisite, mais d'une couleur
un peu plus foncée.

BAVANG
s. m. (ba-vangh). Bot. Grand
arbre' des Moluques, .très-remarquable par
l'odeur d'ail qu'exhalent presque toutes ses
parties j et dont les fruits étaient autrefois
employés comme condiment : Le BAVANG.sem-
ble avoir des rapports avec les crotons. (En-
cycl. méth.)

BAVANT
(ba-van), part. prés, du v. Ba-
ver : Un vieillard toussant, crachant, BAVANT.

BAVARD
ARDE adj. (ba-var7 ar-de — rad.
bave). Qui parle beaucoup, qui aime à par-
ler : Une femme BAVARDE. Un avocat BAVARD.
N'es-tu pas grande menteuse, fort avare, très-
BAVARDE, jalouse à l'excès, même sans te sou-
cier de moi? (Piron.)
— Qui est relatif aux bavards ou au bavar-
dage : Cette agitation se traduisait, comme c'est
la coutume en ces pays BAVARDS et bruyants,
par un besoin désordonné de mouvement, (p.
Fcval.)
— Par ext. Indiscret, qui ne peut garder
aucun, secret : Une femme BAVARDE n'a aucun
droit à notre confiance. Il faut se défier d'une
voisine trop BAVARDE. Il Qui trahit certaines
pensées qu'il faudrait cacher : Mathéo avait
une fille, une brune sémillante, aux yeux BA-
VARDS, que son père tenait cloîtrée. (Ad. Paul.)
— Par anal. Qui fait un bruit continuel :
Le sentier que je suivais était côtoyé d'un ruis-
seau BAVARD, qui sautait dans les cailloux, (A.
Vacquerie.) Les Romains appelaient les eaux
thermales de Baden les eaux BAVARDES. (V.
Hugo.)
— Fig. Qui aime à s'épancher : Je vous
écrirais bien au long,si j'en croyais mon cœur,
qui est BAVARD de son naturel. (Volt.) Les
vieilles amitiés so7it BAVARDES. (V. Hugo.)
Vous en ai-je assez conté, vous ai-je assez en-
nuyé, suis-je assez BAVARD? (Volt.)
— Chass. Chien bavard, Celui qui crie d'ar-
deur, le nez en l'air et hors la voie. H On dit
plutôt BABILLARD.
— Substaniiv. Personne qui narle beau-
coup : Les BAVARDS sont toujours bonnes gens.
(Gresset.) Madame Geoffrin disait des BA-
VARDS : Je m'en accommode assez, pourvu que
ce soient des BAVARDS tout court, qui ne veulent
que parler et qui ne demandent pas qu'on leur
réponde. (Micnelet.) Le nez d'un BAVARD res-
BAV
semble ordinairement à un bec. (Thoré.) Le
BAVARD n'est pas celui qui vense et parle beau-
coup, mais celui qui parle plus qu'il ne pense.
(Joubert.) Ces BAVARDES de femmes, que l'on
entend caqueter à travers les portes, ne fini-
ront-elles pas par se taire? {G. Sand.) Les BA-
VARDS sont les plus discrets des hommes : ils
parlent pour ne rien dire. (A. d'Houdetot.)
Monsieur l'auteur, cjue Dieu confonde,
Vous êtes un maudit bavard.
J.-B. ROUSSEAU.
Gardons-nous des bavards qui, parlant sans ver-
gogne,
Font plus de bruit que de besogne.
VlENNET.
. . . Au bal il faut bien qu'on babille;
Je fis donc de mon mieux le métier de bavard.
A. DE MUSSET.
Il Personne indiscrète : Les BAVARDES 1 dès
qu'on leur a dit un mot à l'oreille, elles ont une
furieuse démangeaison de parler; elles étouffent,
elles crèvent si elles ne parlent pas. (Bouhours.)
Le BAVARD n'est pas seulement indiscret, il est
presque toujours méchant. (Mariés.) C'est un
BAVARD qui m'a défloré le plaisir de vous ap-
prendre une grande nouvelle. (E. Augier.)
— s. f. Argot. Langue, bouche : 5e mordre
la BAVARDE.
— Syn. Bavard, babillard. V. BABILLARD.
— Antonymes. Discret, muet, silencieux,
sobre de paroles, taciturne.
Bavard* (LES), opéra bouffe en deux actes,
paroles de M. Nuitter, musique de M. Ofien-
bach, représenté à Paris sur le théâtre des
Bouffes-Parisiens, le 20 février l§63.
Le poëme des Bavards est tiré d'un inter-
mède de Michel Cervantes, pétillant de sel et
d'esprit local. La griffe du maître sillonne
cette pochade lestement troussée, sur laquelle
M. Nuitter a brodé habilement. Au lever du
rideau, nous sommes dans le pays des coups
de soleil et des coups de rapière. Les bret-
teurs poussent çà et là comme des grenades,
et, pour peu que vous regardiez un peu trop
la lune à l'heure où ronfle l'alcade, il vous
pleut toutes sortes d'estafilades fort mal-
saines. Un certain seigneur Sarmiento est
condamné à 200 ducats d'amende, pour une
écorchure faite à un voisin, et le juge qui
a prononcé la sentence nous offre un type
parfait de sagacité et de discernement, a Vous
avez agi en gentilhomme, en donnant cette
estafilade à votre voisin , dit-il à Sarmiento ;
en la payant, vous agissez en chrétien; moi,
en prenant cet argent, je suis satisfait, et
vous hors de peine. » Quant au battu, qu'il
s'arrange 1 Un Dachelier sans sou ni maille,
appelé Roland, entend sonner les ducats que
l'homme de loi fourre en son escarcelle, et il
accourt a ce tintement alléchant, comme un -
parasite au bruit des plats. Il s'enquiert de ce
qui se passe, puis, s'approchant de Sarmiento,
il lui propose, en tendant sa joue, une estafi-
lade au rabais. « Monseigneur, je suis un
pauvre hidalgo, quoique j.aie vu des temps
meilleurs, je suis nécessiteux, et j'ai vu que
Votre Grâce a donné 200 ducats à un homme
qu'elle avait blessé; si c'est pour vous un di-
vertissement je viens me mettre à votre dis-
position, et je demanderai pour cela 50 du-
cats de moins que l'autre. » Notre gentilhomme
s'imagine que le pauvre diable a perdu la
tête, il veut reconduire, mais autant vaudrait
chasser une mouche qui s'obstine à s'abattre
sur le nez d'un honnête homme. S'il lui parle
de sa balafre, le bachelier, aussi tenace qu'é-
rudit, s'écrie aussitôt que « c'est ce que donna
Caïn à son frère Abel, quoique, à cette épo-
que, on ne connût pas les épées;que cest
aussi ce que donna Alexandre le Grand à la
reine Penthésilée, en lui enlevant Amora, la
ville bien murée; et Jules César au comte don
Pedro Anzuces, en jouant aux dames avec
Gaiferos, entre Cavanas et Olias. » Sarmiento,
que ce bourdonnement agace, déclare que le
pauvre hidalgo a quelque démon dans la bou-
che, sur quoi Roland reprend que « Qui a le
démon en bouche va à Rome, et qu'il a été à
Rome, dans la Manche, en Transylvanie et
dans la ville de Montauban; que Montauban
est un château dont Renaud était le seigneur;
que Renaud était un des douze pairs de
France, de ceux qui mangeaient avec l'em-
pereur Charlemagne, autour de la table ronde,
laquelle n'était pas carrée ni octogone. » N'y
tenant plus, Sarmiento envoie au diable l'en-
ragé bavard ; mais aussitôt ce dernier lui fait
savoir que « le diable a plusieurs manières de
nous buter; que la plus dangereuse est celle
de la chair ; que chair n'est pas poisson ; que
le poisson est flegmoneux ; que les flegmati-
ques ne sont pas adonnés à la colère ; que
l homme se compose de quatre éléments : de
colère, de sang, de flegme, de méchanceté;
que la mélancolie n'est pas la joie, parce que
la joie consiste à avoir de l'argent, que l'ar-
gent fait l'homme, que les hommes ne sont
pas des bêtes, que les bêtes pâturent, etc. »
L'idée vient au seigneur Sarmiento d'utiliser
cette langue infatigable. Sa femme, Béatrix,
est bavarde comme une paire de castagnettes
entre les mains d'une danseuse; Roland est
le perroquet qui fera taire cette pie borgne;
il va mettre aux prises ces deux animaux do-
mestiques, et, d'avance, il parie pour le ba-
chelier. C'est en effet le preux Roland qui
l'emporte dans le duel singulier qu'il engage
avec dame Béatrix. Il parle, il parle, il parle
encore ; et lorsque la femme de Sarmiento
veut répliquer, il élève le ton, il gesticule.
BAV 399
Pas une pause et pas un silence ; un quart de
mot ne passerait pas entre les intervalles de
ses phrases effrénées. « Il enchaîne, dit M. P.
de Saint-Victor, des kyrielles de lazzis à des
chaoelets de proverbes, des ribambelles de
coq-à-l'âne à des festons de billevesées. Cest
le salmigondis faisant le bruit d'un charivari. »
Béatrix tient bon d'abord ; à la fin, elle tombe
stupéfiée, paralysée, inerte, sous cette douche
de paroles qui ne tarit pas. Lorsqu'elle se re-
lève, elle est guérie à jamais de l'intempé-
rance de sa glotte. A bavarde, bavard et demi.
Au scénario de Michel Cervantes, M. Nuitter
a ajouté un alcade à grandes manches et à
grande baguette, avec une perruque qui tombe
ébouriffée sur ses gros yeux écarquillés, un
de ces alcades qui, ainsi que le fait spirituel-
lement remarquer le critique de la Presse7
perchent sur leurs fauteuils comme les épou-
vantails sur les cerisiers, et qui se passent,
de pièce en pièce, les dés du Bridoye de Ra-
belais, et le bégayement du Brid'oison de Beau-
marchais. Cet alcade fait l'amusement de la
pièce, car si le type n'est pas neuf,;il est du
moins de ceux qui sont toujours applaudis.
Dans les Bavards, il est complété par la lon-
gue et blême figure d'un grefiier qui suit à
pas comptés son doux maître, comme le spec-
tre de la maigreur talonnant le dieu de l'obé-
sité. Sarmiento a de plus une pupille dont
Roland est amoureux, et que le oavard finit
par épouser à force de ruses et de strata-
gèmes. Une scène délicieuse, et qui appartient
aussi au librettiste français, est celle où dame
Béatrix feint d'être muette pour se venger du
complot ourdi contre son babil. Son mari l'in-
terroge sur un cas urgent; point de réponse,
mais en revanche une pantomime animée et
vive : « Il pleut des soufflets, Sarmiento! »
Ses valets et ses servantes, l'alcade et le gref-
fier « imitent son silence autour d'elle ran-
gés, » et le bonhomme se débat, stupéfait et
hagard, au milieu de ces statues vivantes, qui
grimacent et qui gesticulent. « Sur ce joli
poëme, dit M. P. de Saint-Victor, M. Offen-
bach a jeté des airs à faire damner l'alcade
de la pièce et à défrayer toutes les sérénades
de Paris. Ce n'est plus de la caricature mu-
sicale, mais un tableau de genre plein de cou-
leur et d'esprit. La bouffonnerie en est élé-
gante ; le musicien reste léger dans sa charge ;
ses coq-à-l'âne même ont des ailes. Le verre
d'Offenbach n'est pas grand, mais il boit tou-
jours dans son verre, et la liqueur qu'il y
verse gagne et s'épure tous les jours. » Parmi
les airs que l'on a le plus applaudis dans les
Bavards, nous citerons le chœur de créan-
ciers et le petit trio bouffe du premier acte,
qui trotte si joliment sur sa mesure syllabi-
que. Le second acte contient un charmant
quintette, une valse - entraînante et des cou-
plets de table qui feraient mousser le Cham-
pagne dans les coupes. Les Bavards, avant
de paraître aux Bouffes - Parisiens, avaient
fait les délices de la belle compagnie à Bade,
pendant la saison de 1863. Ils ont fourni à
Mme Ugalde un des triomphes de sa carrière
artistique, et ont été repris avec beaucoup de
succès.

BAVARDAGE
s. m. (ba-var-da-je — rad.
bavarder). Action, habitude de bavarder, fa-
cilité à bavarder : Le silence d'un homme
connu pour bien parler impose beaucoup plus
que le BAVARDAGE d'un homme qui ne parle
pas mal: (Chamf.) La sottise et la fatuité qui
ne doutent de rien produisent le BAVARDAGE.
(Latena.) Il avait une cravate irréprochable,
une tournure exquise, et cette espèce de BA-
VARDAGE insignifiant, qui rend un homme ado-
rable dans le monde. (G. Sand.) Or ça, petit
drôle, où as-tu pris cette facilité de BAVAR-
DAGE et cette assurance que rien ne trouble?
(Laboulaye.) \\ Discours, propos de bavards*.
Puisque mes amis ont curiosité de moi, Usez-
leur ce BAVARDAGE. (Mme d'Epînay.) Là, les

BAVARDAGES
deviennent souvent de solennels
arrêts. (Balz.) Bans cette sombre cour se croise
et se. mêle perpétuellement ta double et inta-
rissable parole de l'avocat et de la commère,
le BAVARDAGE et le babil. (Y. Hugo.)
Peste soit du faquin et de son bavardage.
C. BONJOUR.
— Par anal. Discours prolixes et superfi-
ciels : Voilà bien du BAVARDAGE sur la bota-
nique , dont je vois, avec grand regret, que
vous avez tout à fait perdu le goilt. (J.-J.
Rouss.)
— Par ext. Caquet des oiseaux : Partout
le BAVARDAGE impertinent des merles, qui se
réjouissent de voir pousser la vigne. (E. About.)
— Syn. Bavardage, loquacité. Il y a de
l'indiscrétion dans le bavardage; le bavard
dit tout ce qu'il sait, et, quand il ne sait rien,
il invente ; Vhomme sensé n'attache aucune
importance au bavardage des gen.s oisifs. La
loquacité consiste à dire beaucoup de mots
lorsqu'un petit nombre pourrait suffire; c'est
souvent le défaut des avocats dans leurs plai-
doyers, ils fatiguent les juges par l'abon-
dance excessive de leurs paroles, mais ils plai-
sent aux clients dont l'amour-propre est fiatté
de voir qu'on trouve tant de choses à dire
sur l'affaire qui les concerne.
— Antonymes. Discrétion, mutisme, silence,
taciturnité.
— Anecdotes. Quelqu'un, a qui l'on avait
demandé quel était le mois pendant lequel les
femmes bavardent le moins, répondit : « C'est
le mois de février, parce qu'il est plus court
que les autres. -
400
Un célibataire conçut le dessein de se ma-
rier, parce qu'il s'ennuyait le soir; quelqu'un
lui amena une femme en lui disant : « Tenez,
monsieur, vous trouverez à qui parler. »
Un bavard désirait apprendre la rhétorique
sous Socrate ; ce philosophe exigea le double
de ce qu'il prenait aux autres. Le babillard
lui en demanda la raison, a C'est répondit So-
crate, qu'il faut que je vous apprenne à par-
ler et à vous taire. »
Un bavard, après s'être épuisé en vains
propos, voyant qu'Aristote ne lui répondait
rien : « Je vous incommode peut-être, lui dit-
il, ces bagatelles vous détournent de quel-
ques pensées plus sérieuses? — Non, répondit
Aristote, vous pouvez continuer; je n'écoute
pas. »
«Savez-vous pourquoi, demandait quel-
3u'un, Notre Seigneur Jésus-Christ apparut
'abord à des femmes après sa résurrection?
C'est que, sachant la pente naturelle qu'elles
ont à bavarder, il .ne pouvait faire mieux que
de leur apprendre promptement un mystère
qu'il voulait rendre public.
Une jeune fille étant sur le point de se ma-
rier, le notaire lui lut le contrat : tout était à
son gré; mais à la fin, lorsque le notaire,
arrivant à une dernière clause où se trou-
vaient encore une fois tous les noms et titres
de la jeune fille, dit : « Ladite demoiselle une
telle,et cœtera, <» la future ne voulut plus se
marier, croyant qu'on avait fait entrer dans
les clauses et se taira.
Dans certaines églises de campagne, un
côté est réservé aux hommes, et un autre aux
femmes. Un bon curé était monté en chaire ;
il s'interrompit tout à coup pour se plaindre
qu'on bavardait trop haut : a Pour le coup,
Monsieur le curé, vous ne direz pas que c'est
de notre côté. — Tant mieux , ma bonne, tant
mieux ; comme cela, ce sera plus tôt fini. »
Mme de Sévigné était fort liée avec Mme de
Lavardin, un peu encline au bavardage. Elle
appelait aller chez cette dame aller en Bavar-
dinerie, au lieu de Lavardinerie. o J'ai diné
en Bavardin, écrivait-elle à sa tille, mais si
purement, que j'en ai pensé mourir. Tous nos
commensaux nous ont fait faux bond; nous
n'avons fait que bavardiner, et nous n'avons
point causé comme les autres jours. »
On sait que Mme du Deffant, devenue aveu-
le sur la fin de sa vie, tenait chez elle un
ureau d'esprit, où les absents n'étaient pas
toujours ménagés. Un jour que quelques ba-
vards ennuyeux avaient accaparé la conver-
sation : « Quel est donc, demanda-elle tout a
coup, le mauvais livre qu'on lit ici? » C'était
abuser trop spirituellement de son infirmité.
Qu'une femme parle sans langue
Et fasse môme une harangue,
Je le crois bien.
Qu'ayant une langue, au contraire,
Une femme puisse se taire,
Je n'en crois rien.
Eh mais! je crois que notre ami sommeille !
Disait devant Damon, voulant le persifler.
Certain bavard qui lui choquait l'oreille :
- Quand voulez-vous, monsieur, qu'on vous
[éveille?
— Quand vous cesserez de parler. -

BAVARDASSER
v. a. ou tr. (ba-var-da-sê
— fréquent, de bavarder). Pop. Bavarder
beaucoup : Faites-moi le plaisir d'aller mettre
la batterie en ordre, au lieu de venir BAVAR-
DASSKR ici. (E. Sue.)

BAVARDER
v. n. ou intr. (ba-var-dé —
rad. bavard). Parler beaucoup, faire des ba-
vardages : Cette petite BAVARDE du matin jus-
qu'au soir. Dans le pays où l'on fait les choses,
il ne reste point de temps pour en BAVARDER.
(Grimm.) Plutôt que d'écouter et de se taire,
chacun BAVARDE de ce qu'il ignore. (Dider.)
Je veux, moi, qu'en aimant l'on bavarde, l'on rie.
DORÂT. Nous autres, gens de cour, on nous croit têtes folles, Médisants, curieux, indiscrets, brouillons, mais Nous bavardons toujours, et ne parlons jamais.
V. Huao.
— Parler indiscrètement : // aurait bien
pu retenir sa langue, et ne pas perdre une
payse comme moi, pour le plaisir de BAVARDER.
(Lamart.)
— Activ. Dire en bavardant : Le dvc de
Béthune BAVARDAIT des misères. (St.-Sim.)
C'est le portier qui m'A BAVARDÉ cela. (Dider.)
On n'est pas religieux parce qu'on BAVARDE
religion. (S. de Sacy.)
— Syn. Bavarder, babiller, caqueter, ja-
boter, jaser. V. BABILLER.

BAVARDERIE
s. f. (ba-var-de-rî — rad.
bavarder). Passion pour le bavardage : Vous
y verrez souvent une philosophie qui semble
hardie, mais non cette BAVARDERIE atroce et
extravagante^ que deux ou trois fous ont ap-
pelée philosophie. (Volt.) En vérité, j'abuse de
votre patience; je me laisse aller à une BAVAR-
DERIE très-propre à vous ennuyer. .(Mme du
Deff.) Il Propos de bavard : Je n'ai jamais rien
écrit de particulier sur la Bretagne, dans mes

BAVARDERIES
historiques. (Volt.) Que Votre
Majesté Impériale daigne agréer les BAVAR-
DERIES de l'ermite du mont Jura. (Volt.)

BAVARDIN
INE S.; BAVARDINAGE S. m.;

BAVARDINER
v. n. Mots dont M"»! de Sé-
vigné se servait en plaisantant, pour expri-
mer l'action de bavarder. Elle dérivait ces
diverses formes du nom des Lavardin, fa-
mille de bavards, avec laquelle elle avait de
fréquents rapports. C'est ainsi qu'elle disait:
J'ai diné en BAVARDIN, pour dire chez les La-
vardin. Nous n'avons fait que BAVARDINER,
pour dire bavarder comme les Lavardin. Ces
mois avaient un sens trop spécial pour passer
dans la langue ; ils n'ont pas été adoptés.

BAVARDISE
s. f. (ba-var-di-ze — rad. ba-
varder). Bavardage, discours, propos de ba-
vard : Si Votre Majesté était curieuse de voir
le commencement de ma BAVAROISE historique,
j'aurais l'honneur de la lui envoyer. (Volt.)
Echauffez votre zèle et travaillez, vous aurez
bientôt oublié ces BAVAROISES de société. (J.-J.
Rouss.) Le conseil n'était plus qu'un café où
l'on s'amusait à des BAVAROISES. (Mme Roland.)

BAVAROIS
OISE s. et adj. (ba-va-roi, oi-
ze). Qui est né, qui habite en Bavière; qui a
rapport à ce pays ou à ses habitants : Un
BAVAROIS. Une BAVAROISE. La constitution
BAVAROISE. L'armée BAVAROISE. Les chemins de
fer BAVAROIS. Le dialecte BAVAROIS.
— Encycl. Dialecte bavarois. Le dialecte
bavarois (baïerisch) est un dialecte allemand,
qui fait partie des idiomes danubiens. La pro-
nonciation du bavarois consiste dans la sup-
pression de certaines voyelles et la transfor-
mation de certaines autres en diphthongues.
Le bavarois se subdivise lui-même en diffé-
rents patois, tels que ceux de Munich,.de
Hohenschwangen et de Saltzbourg. Plus on
avance vers les régions montagneuses du Tyr
roi, plus la prononciation prend un accent
rauque et bref; c'est ainsi qu'au lieu de dire
gefragt (interrogé), l'on dit gfrak; au lieu de
gehabl, eu, gehab, etc.. En même temps, on
remarque un certain nasillement et une cer-
taine cadence monotone, qui rappellent les
patois des bords du Rhin. Conrad Wake, qui
voulait à toute force voir dans les langues
germaniques des filles du chaldaïque, s'obsti-
nait à considérer le bavarois comme du sy-
riaque presque pur. Inutile d'ajouter que cette
hypothèse n'a pas le moindre fondement sé-
rieux. Dans les ouvrages imprimés en bava-
rois, il faut observer que h, que l'on trouve
souvent intercalé après une voyelle, est une
simple marque de prolongation, que le son de
a est intermédiaire entre a et o, comme en
suédois et dans certains mots anglais, et que
l doit être extrêmement mouillé et souvent
même presque insensible, comme dans Schul-
diger, prononcez *a peu près Schuidiger, et
dans afin, prononcez oin.

BAVAROISE
S. f. (ba-va-roi-ze — rad. ba-
varois. Pendant un séjour que les princes de
Bavière firent à Paris, au commencement du
siècle dernier, ils allaient souvent prendre
du thé au café Procope. Leurs Altesses avaient
demandé qu'on le leur servît dans des ca-
rafes de cristal, et, au lieu de sucre, elles y
faisaient mettre du sirop de capillaire. Cette
boisson nouvelle fut appelée bavaroise, du
nom des princes). Boisson faite d'une infu-
sion de thé, à laquelle on ajoute du sirop de
capillaire, et du lait qu'on peut supprimer
ou remplacer par du chocolat ou du café :
BAVAROISE à l'eau, au lait, au café, au choco-
lat. Il entra dans un café pour prendre une
BAVAROISE. (Kessler. ) Le prince Eugène de
Bcauharnais, qui avait épousé une princesse de
Bavière, était un des plus beaux hommes de
l'armée. « C'est dommage qu'il n'ait plus de
dents, disait un jour un vieux grognard à un
camarade. —Farceur! répondit celui-ci, lu
sais bien qu'on n'a pas besoin de dents pour
prendre une BAVAROISE. »
— Bavaroise de gelée. Entremets sucré qui
se prépare avec du lait, du sucre, des jaunes
d'œufs, etc., et que l'on fait cuire jusqu'à
consistance de gelée.

BAVASSE
S. f. (ba-va-se). Bavarde im-
modérée.

BAVAS
SE R v. n. ou intr. (ba-va-sé — rad.
bave). Bavarder : 77 semble que la coutume
concède à la vieillesse plus de liberté de
VASSER et d'indiscrétion à parler de soi. (Mon-
taigne.) il V. mot.

BAVASSON
s. m. (ba-va-son — rad. ba-
vasser). Petit bavard, dans quelques patois
de la France.

BAVAY
s. m. (ba-vè — nom de lieu). Mi-
ner. Nom d'un marbre qui se tire des envi-
rons de Bavay, et qui est un calcaire noirâtre,
moucheté de blanc, traversé quelquefois par
des veines blanches. On lui reproche de pren-
dre difficilement le poli ; aussi ne l'emploie-
t-on que pour des ouvrages communs.
BAVAY, en latin Bagacum, bourg de France
(Nord), ch.-l. de cant., arrond. et à 21 kil.
N.-O. d'Avesnes, près de l'Hognieau; pop.
aggl. 1,575 hab. — pop. tôt. 1,646 hab. Bras-
series, salines, tanneries, corroieries, cloute-
rie, platinerie, peignage de laines, fabrique
de sucre. Bavay"'est une ville très-ancienne,
oui commença, sous Auguste, à prendre de i
1 importance; mais, détruite par les Vandales
en 451, elle ne se releva jamais complètement. -
Elle rit longtemps paitie des Pays-Bas, et fut ]
définitivement cédée à la France par le traité
de Nimègue, en 1678. I/armée française y
campa après la bataille indécise de Malpla-
guet, en 1709. Louis XIV en fit démolir les
fortin" cation s.
— Antiq. Jacques de Guyse, dans ses Chro-
niques et annales de Haynnau, attribue'la fon-
dation de Bavay à un roi de Phrygie, con-
temporain et parent de Priam ; il ajoute qu'elle
fut d'abord nommée Belgis et gouvernée par
des princes qui avaient le titre d archidruides ;
que, plus tard, à l'époque de la domination ro-
maine; elle fut appelée Octavie, et qu'elle ren-
fermait alors, dans une enceinte immense, un
magnifique palais et une foule de temples et
d'autres édifices. Aucun document ne justifie
les assertions du vieil historien touchant ces
origines légendaires. Il est bien possible que
Bavay existât avant l'occupation romaine ;
mais César n'en fait pas mention dans ses
Commentaires. Cette ville se développa rapi-
dement après la conquête et devint la capi-
tale des Nerviens : elle est nommée Baganum
Nerviorum par Ptolémée, Bagacum dans l'Iti-
néraire d'Antonin, Bagaco Nerviorum dans
la table Théodosienne. Elle avait déjà assez
d'importance sous Auguste, pour que Tibère
y fît une entrée solennelle, lorsque, après son
adoption, il se porta vers le Rhin. La quantité
vraiment extraordinaire de débris d'antiquités
qui ont été trouvés dans cette ville et aux en-
virons atteste la pospérité dont Bavay jouis-
sait pendant les premiers siècles de notre ère.
Mais cette prospérité a été singulièrement
exagérée par quelques auteurs. Aubert Le-
mire, dans ses Annales de la Belgique (Re-
r'um Belgicarum annales), appelle Bavay la
Home des Belges. On a été jusqu'à prétendre
que Posthume forma le projet d'établir dans
cette ville le siège de l'empire. Ce qui est cer-
tain, c'est que, d'après les ruines considéra-
bles qui ont été explorées, on a reconnu que
Bavay avait eu un forum, un cirque, des
théâtres, des thermes, des temples, des basi-
liques, etc. Tous ces monuments périrent,
croit-on, à l'époque de la grande invasion des
Vandales, sous le règne d'Honorius. Ruinée
de fond en comble par les barbares, Bavay
paraît avoir repris quelque importance au
moyen âge. En 1301, elle fut entourée de rem-
parts; mais ces remparts ne suffirent pas pour
la protéger contre les Normands, qui l'incen-
dièrent en 1340. Saccagée par Louis XI} brûlée
par Henri II en 1554, brûlée de nouveau en
1572, occupée par Turenne en 1654, et l'année
suivante par le mestre de camp Espance, ce
n'était plus qu'un village désolé quand elle fut
cédée à la France en 1678, par le traité de Ni-
mègue. On n'y comptait que cent dix feux au
commencement du xvme siècle.
On a peine à concevoir qu'après avoir subi
d'aussi cruelles vicissitudes, Bavay ait con-
servé des restes aussi nombreux d'antiquités.
L'emplacement du forum, auquel venaient
aboutir sept voies militaires, est encore parfai-
tement reconnaissable. Il est marqué par une
large pierre, dite la pierre aux sept coins, qui
fut substituée, au xme siècle, à une autre
beaucoup plus ancienne. Les habitants de
Bavay donnent le nom de mur des Aldus aux
restes d'un aqueduc qui allait prendre l'eau
à 20 kil. de distance, du côté de Floursie et
d'Avesnes. A l'endroit où cet aqueduc débou-
chait dans la ville, on a reconnu les vestiges
de bâtiments spacieux qui formaient les ther-
mes. Les ruines du cirque sont fort remar-
quables. Cet édifice, converti en forteresse
au moyen âge, et désigné encore aujourd'hui
sous le nom de château, mesurait, suivant le
calcul de M. Isidore Beau, 277 m. de long sur
92 m. 33 de large, l'enceinte étant disposée
en forme d'hémicycle. L'arène, de forme rec-
tangulaire, avait une longueur de 180 m. et
une largeur de 86; elle était bordée à l'E. par
un bâtiment formant le derrière du frontis-
pice, et, sur les trois autres côtés, par une
galerie double dont la voûte était soutenue
par des piliers carrés. Les murs du cirque
étaient doubles jusqu'à une certaine hauteur:
l'entre-deux était assez large pour qu'on pût
y circuler. Tout près de cet édifice, on a dé-
couvert, en 1716, une plaque de marbre de
couleur cendrée, provenant d'un arc de triom-
phe élevé en l'honneur de Tibère par un cer-
tain Ch. Licinius, comme l'atteste l'inscription
latine que çorte ce précieux débris. On a
trouvé en même temps des statues que quel-
ques auteurs croient être celles de Tibère et
de Livie, et qui, suivant d'autres, seraient des
figures de divinités. De nombreux tombeaux
ont été explorés à Bavay et dans les envi-
rons : on en a retiré beaucoup d'objets anti-
ques, tels que médailles, anneaux, fers de
lance, dards, clefs, styles, fibules. Plusieurs
de ces objets figurent au musée de Douai.
BAVAY (Charles-Victor DE), magistrat belge,
né à Bruxelles en 1801, occupe, depuis 1844, le
poste de procureur général près de la cour
d'appel de sa ville natale. Il a publié plusieurs
mémoires intéressants et curieux.
BAVAY (Georges DE), homme politique,
frère du précédent, né vers 1802, reçut en
1846 le portefeuille des travaux publics dans
le ministère catholique, formé à cette époque
par M. de Theux, et s'appliqua au développe-
ment de la prospérité matérielle du pays, sur-
tout à celui des chemins de fer et des canaux
| belges. Le cabinet dont il faisait partie resta
J au pouvoir jusqu'aux élections de 1S47, époque
- où les libéraux obtinrent une telle majorité,
; que le ministère dut se retirer. M. de Bavay,
qui est un homme pratique beaucoup plus
qu'un homme de parti, quitta cependant le
pouvoir avec ses collègues, remit son porte-
feuille à M. Arban-Frère, et fut nommé direc-
teur du trésor public à Hasselt.
.BAVE s. f. fba-ve— mot qui peut être
une onomatopée pour exprimer îà salive qui
accompagne le premier babil des petits en-
fants). Salive visqueuse, mais non écumeuse :
Essuyer la BAVE d'un enfant, n Salive écu-
meuse, sécrétée par la bouche de certains
animaux : La BAVE d'un cheval, d'un chien en-
ragé, d'un crapaud.
Cerbère l'a versé: jadis ce monstre esclave Fit écuraer sur lui sa venimeuse bave.
ROTROU.
— Par anal. Liquide lubrifiantqucsécrctent
les hélices terrestres, et qui les aide à se glis-
ser pour avancer : La BAVE des limaçons, des
escargots.
— Fig. Venin : La calomnie dénature les
plus belles actions, en les infectant de sa BAVE.
— Techn. Fil très-délié que le ver à soie
dispose d'abord autour de 1 endroit où il va
faire son .cocon, il On dit aussi ARAIGNÉE,

BOURRETTE
FRISON.

BAVENT
(Magdeleine), née à Rouen en
1607; religieuse au couvent deLouviers, et la
triste héroïne de la tragi-comédie dont ce cou-
vent fut le théâtre au xvne siècle. Cette tra-
gi-comédie, avec celle d'Aix et de Loudun,
forme une sorte de trilogie monstrueusement
diabolique, mettant en pleine lumière l'inté-
rieur mystérieux des cloîtres, la vie scanda-
leuse des religieuses et des religieux au xve
et au xvie siècle.
Pour l'affaire de Louviers, plus encore que
pour celles d'Aix et de Loudun, et, en dépit de
Richelieu, qui avait refusé l'enquête deman-
dée par le P. Joseph, les documents abondent.
Le plus instructif, le plus important entro
tous, c'est, à coup sûr, VHistoire de Magde-
leine Bavent {1652, in-4Q, Rouen, Biblioth.
imp., ancien 1016). On peut consulter encoro
les deux pamphlets du chirurgien Yvelin :
l'Examen et l'Apologie (Biblioth. Sainte-Ge-
neviève, sous le titre impropre de Eloges de
Richelieu, lettre X, 550) ; enfin, la Piété affli-
gée du capucin Esprit de Bosroger, livre im-
mortel, dit Michelet dans les Annales de la
bêtise humaine.
L'éminent historien moraliste que nous ve-
nons de nommer a écrit l'histoire de Magde-
leine de Bavent ; cette histoire fait partie
des pièces justificatives, placées à la tin du
deuxième volume que l'auteur a consacré au
siècle de Louis XIV ; elle se retrouve aussi
au huitième chapitre de son livre intitulé : la
Sorcière.
A notre tour, nous allons esquisser la vie
singulière et folle de cette religieuse, mais à
grands traits, renvoyant, pour les détails, à
Michelet lui-même et aux documents que nous
venons d'indiquer.
Orpheline, lorsqu'elle était tout enfant en-
core, a neuf ans, Magdeleine fut recueillie par
une lingère qui fabriquait, des vêtements de
religieuses, et, conséquemment, dépendait do
l'Eglise. Un moine surtout, un franciscain du
nom de David, régnait dans la maison en con-
fesseur, en maître absolu. - Ce moine, dit
Michelet, faisait croire aux jeunes apprenties
(enivrées sans doute par la belladone et au-
tres breuvages de sorciers), qu'il les menait
au sabbat et les mariait au diable Dagon. Il
en possédait trois, et Magdeleine, à quatorze
ans, fut la quatrième. »
Cette pauvre enfant, subjuguée bientôt,
fascinée, se laissa entraîner et enfermer dans
le couvent que dirigeait le prêtre. Ce couvent
avait été fondé par la veuve d'un procureur
nommé Hennequin, pendu comme escroc, et
pour reprendre au démon l'âme du criminel.
Ce prêtre était réputé saint, et il avait même,
par un livre intitulé le Fouet des paillards,
fustigé la luxure des moines de son temps. La
pure jeune fille croyait entrer dans un asile
de pureté... Elle fut tout à coup bien étonnée,
effrayée.
En ce monastère se passaient de bien sin-
gulières choses, -se pratiquait une singulière
religion, l'illuminisme. « Le corps ne peut
souiller l'âme, prêchait le vieux moine David.
Il faut, par le péché qui rend humble et gué-
rit de l'orgueil, tuer le péché... » Et les reli-
fieuses, dociles à ses leçons, s'abandonnaient
la plus monstrueuse dépravation, allaient
nues par les jardins, qui étaient entourés de
hautes murailles, s'aimaient entre elles, fai-
saient l'amour à la façon des Lesbiennes.
Cette vie étrange révolta d'abord l'inno-
cente novice, souleva de dégoût son cœur
pur. A. la communion, où l'on se présentait
dans l'état de nudité, elle essaya de cacher
son sein avec la nappe de l'autel ; on la gronda
fort, elle ne voulut pas se confier à la supé-
rieure, on la punit; elle laissa voir sa répu-
gnance pour les vices étalés sans vergogne
par ses compagnes, on la gronda de nouveau,
on la punit. Alors, le vieux David, qui, sans
doute, voulait la dompter, la garder pour lui
seul, l'éloigna un peu et la fit tourière du
couvent.
Sur ces entrefaites, le prêtre David mourut.
« Son grand âge ne lui avait guère permis

d'aller loin avec Magdeleine.» Il fut remplacé
par un nommé Picart; celui-ci, jeune, ardent,
amoureux, poursuivit à son tour la jeune fille,
l'attaqua par tous les moyens : par la peur, en
lui faisant croire que David lui avait transmis
son pouvoir diabolique; par la pitié, en se di-
sant malade et ne voulant être soigné que par
elle; il la fît sacristine pour la voir seule et
plus souvent ; au confessionnal, il ne lui parla
que d'amour.
La pauvre enfant succomba. Elle devint
enceinte. Elle avorta, plusieurs fois même,
avouait-elle dans son interrogatoire (p. 13).
Dès lors, Magdeleine ne fut plus qu'une vic-
time , un instrument inconscient, un jouet
entre les mains de l'exécrable prêtre qui usait
d'elle, en abusait, la brisait. Un jour, il-lui rit
faire un testament par lequel elle promettait
de mourir quand son amant mourrait, d'être
où il serait. Grande terreur pour ce pauvre
esprit. Devait-il, avec lui, l'entraîner dans sa
fosse? Devait-il la mettre en enfer? elle se
crut à jamais perdue. » Un autre jour, « il la
prostitua dans un sabbat à quatre, avec son
vicaire Boullé et une autre femme. - Il alla
plus loin encore, ce fils de l'Eglise; il se ser-
vit de Magdeleine, devenue son âme damnée,
pour gagner les autres religieuses.
Or, en ce temps-là, se déroulait le terrible
drame de Loudun; en cette même année avait
été brûlé le héros de cette abominable tragé-
die. On ne parlait dans toute la France, dans
les couvents surtout, que d'Urbain Grandier,
que de charmes, de magie, de diables. Il n'en
lallait pas davantage pour porter le dernier
coup à la raison chancelante de la pauvre
.fille dont nous rapportons ici la triste vie.
Tout à coup « Magdeleine se sentit, possédée
des diables ; un chat aux yeux de feu la pour-
suivait d'amour. Peu à peu d'autres religieu-
ses, par un mouvement contagieux, éprou-
vèrent des agitations bizarres, surnaturelles. »
lia diablerie avait donné de la gloire et ap-
porté des richesses aux couvents d'Aix et de
Loudun; ce fut avec joie que la supérieure
de Louviers se vit en possession de cet élé-
ment de renommée et de fortune. Mais, en ce
temps-là, Richelieu tentait une réforme des
cloîtres, dont son œil perçant avait deviné
toutes les horreurs : il iallutattendre.
Six ans après était mort le ministre Riche-
lieu ; alors tut reprise la guerre avec le dia-
ble, n Pour combattre les visions de Magde-
leine, on chercha, on trouva une visionnaire :
on fit entrer au couvent une certaine sœur
Anne de la Nativité, sanguine et hystérique,
/au besoin furieuse et folle, jusqu'à croire ses
propres mensonges. Le duel fut organisé
comme entre dogues. Elles se lardaient de
calomnies. Anne voyait le diable tout nu à
côté de Magdeleine {le curé Picart était mort).
Magdeleine jurait qu'elle avait vu Anne au
sabbat, avec la supérieure, la mère vicaire et
la mère des novices." Rien de nouveau, du
reste, dit Michelet, c'était un réchauffé des
deux grands procès d'Aix et de Loudun. Elles
avaient et suivaient les relations imprimées.
Nul esprit, nulle invention. »
Aussi ne raconterons-nous pas, dans tous
ses détails, ce drame dont les héros étaient,
d'un côté, l'évêque d'Evreux, le pénitencier, la
supéi^eure du couvent; de l'autre, la pauvre
jeune fille devenue épileptique, folle; d'un
côté des bourreaux, de l'autre une victime.
Magdeleine fut mise toute nue, visitée, piquée
d'aiguilles ; nulle part on ne trouva l'insensi-
bilité qui aurait dépoté en elle la présence du
diable. Elle n'en fut pas moins condamnée et
jetée dans un éternel in-pace.
Alors entre en scène un nouvel acteur, le
chirurgien Yvelin. Homme savant et clair-
voyant, il devina vite la vérité dans toute
cette affaire; homme honnête, intrépide, il osa
la dire à la face du peuple assemblé en foule,
pendant la nuit, dans les jardins du couvent,
pour assister aux diableries des possédées, à
la face des prêtres et des capucins confus.
Ainsi se résume son pamphlet. « Sur cin-
quante-deux religieuses, il y en avait six pos-
sédées, qui eussent mérité correction ; dix-sept
autres, les charmées, étaient des victimes, un
troupeau de filles agitées du mal du cloître;
elles sont réglées, mais hystériques, gonflées
d'orages à la matrice, lunatiques surtout et
déréglées d'esprit. La contagion nerveuse les
a perdues. La première chose à faire est de
les séparer. »
Longue fut la lutte entre le courageux chi-
rurgien et les moines, entre le mensonge et
la vérité. Celle-ci succomba. Mais revenons
à Magdeleine, qui, pendant ce temps, crou-
pissait au fond d'une fosse, dans Y in-pace du
palais épiscopal d'Evreux, On pensait qu'elle
allait mourir là, étant sans air, sans lumière,
et on oubliait de lui donner des vêtements
pour la couvrir; souvent on oubliait de lui
descendre sa cruche d'eau, de lui jeter son
morceau de pain noir. Couchée sur la terre hu-
mide, dans son ordure, elle fut bientôt cou-
verte d'ulcères que, faute d'un peu de linge,
elle ne pouvait panser. Désespérée, folle,
la misérable jeune fille voulut mourir : elle
avala des araignées, elle avala du verre pilé ;
tout cela en vain ; elle essaya de se couper la
gorge avec un morceau de fer qu'elle avait
trouve sous sa main, et ne put pas y réussir;
plus elle désirait mourir, plus semblait s'atta-
cher à elle la vie horrible. Suprême honte I
les geôliers de la prison s'amusaient d'elle
comme d'un jouet, se croyaient tout permis sur
la malheureuse, tout, même le crime qui l'a-
BAV
vait conduite où elle était. Puis, c'était le pé-
nitencier qui, à son tour, venait tourmenter
sa victime, la confesser malgré elle, la faire
mentir. Lâche, vile, abêtie, stupide, elle ser-
vait de faux témoin. Toutes les fois qu'on
voulait perdre un homme, on la traînait à
Louviers, à Evreux; ombre maudite d'une
morte, qui ne vivait plus que pour faire des
morts. On l'amena ainsi pour tuer de sa lan-
gue un pauvre homme nommé Duval. Le pé-
nitencier lui dicta sa leçon- elle la répéta
docilement; il lui dit à quel signe elle recon-
naîtrait Duval, qu'elle n'avait-jamats vu : elle
le reconnut et dit l'avoir vu au sabbat. Par
elle, ce malheureux fut brûlé vif!
Bientôt survint la révolution, « premier
souffle de liberté », qu'on nomma la 7parlement prit en main toutes ces affaires
diaboliques et y mit bon ordre, ordonnant :
1° qu'on détruisît la Sodome de Louviers;
20 que les filles fussent rendues à leurs pa-
rents; 3° que désormais les évêques de la
province envoyassent quatre fois par an des
confesseurs extraordinaires aux maisons reli-
gieuses, pour rechercher si ces abus immondes
ne se renouvelaient point (1647).
Cependant, et ce fut peut-être le coup le plus
sensible qu'on porta au clergé, confus et
vaincu, le corps de Picart fut déterré et brûlé :
son successeur Boullé fit amende honorable,
puis fut traîné sur la claie, enfin, monta sui-
te bûcher (21 août 1647).
Magdeleine, elle, resta ensevelie au fond
de son cachot, n'osant plus en sortir. Dans les
derniers jours de sa vie misérable, un moment
de repentir descendit au fond de son cœur,
une lueur de raison éclaira son esprit; elle
dicta le livre, horrible à lire, d'après lequel
nous avons écrit cette courte biographie, et
auquel nous renvoyons le lecteur. Il a pour
titre, nous l'-avons dit en commençant, Ilis-
toire de Magdeleine Bavent, religieuse de
Louviers, avec son interrogatoire, etc. (1652,
in-4«, Rouen), et il se trouve à la Bibliothèque
impériale (Z, ancien 1016).
Et voilà comment, avant 1789, était mis en
pratique, dans certains lieux réputés saints,
l'Evangile du Christ, ce sublime sursum corda.
De pareilles abominations, et il faut en re-
mercier Dieu, n'existent plus au sein de. l'E-
glise ; aujourd'hui et depuis longtemps, le
clergé catholique donne le précepte et l'exem-
ple des plus admirables vertus. A quoi de-
vons-nous cette réforme d'un mal qui, alors
qu'il n'aurait empesté que quelques membres
du nombreux troupeau, n'en eût pas moins
été abominable; à quoi devons-nous ces heu-
reuses réformes? A la Révolution de 1789
(et, en disant cela, nous ne fermons pas les
yeux sur de déplorables excès) ; aux cris,
quelquefois sauvages ; aux attaques , quel-
quefois brutales, des philosophes. Mais,,nous
1 avons déjà dit avec Chamfort, et c'est ici le
cas de le répéter, on ne nettoie pas les écu-
ries d'Augias avec un plumeau.

BAVÉOLE
s. f. (ba-vé-o-le). Bot. Nom vul-
gaire de la centaurée-ttluet.

BAVÈQUE
s. f. (ba-vô-ko — rad. bave).
Ichthyol. Syn. de blennie : La couleur de la
bavègue varie beaucoup. (V. de Bomare.) il On
dit aussi BAVEUSE U Nom commun à plusieurs
espèces du genre gobie.

BAVER
v. n. ou intr. (ba-vé — rad. bave).
Laisser couler do la bave par la bouche :
Cet enfant ne cesse de BAVER. Le chien en-
ragé BAVE beaucoup. Les escargots ne peuvent
se manger que lorsqu'ils ONT BAVÉ. Si jamais
on vit un spectacle indécent, odieux,, risible,
c'est un corps de magistrats — le parlement,
— le chef en tète, en habits de cérémonie, pros-
ternés devant un enfant au maillot — le dau-
phin nouveau-né, — qu'ils haranguent en ter-
mes pompeux, et qui, pour toute réponse, crie
et BAVE. (J. J. Rouss.)
— Par anal. Couler en souillant, au lieu de
jaillir à distance' : Ce sang ne jaillit pas, IL
-BAVE.
— Fig. Baver sur, Infecter, souiller, calom-
nier : Il se plaît à BAVER SUR les talents et
SUR les caractères chez lesquels il pressent de
la force et de la sève. (Balz.)
Rentre dans l'ombre où sont tous les monstres flétris Qui, depuis quarante ans, bavent sur nos débris.
V. HUGO.
— Activ. Souiller de bave : Votre fille est
une petite beauté brune fort jolie : la voilà,
elle me baise et me BAVE. tM^c'de Sév.) ||
Inusité.

BAVEREL
(Jean-Pierre), littérateur fran-
çais, né à Paris en 1744, mort en 1822, Il fit
ses études à Besançon, où il se fixa, après
être entré dans les ordres, et put se livrer à
ses goûts littéraires, grâce à un modeste béné-
fice qui lui fut conféré. Baverel, fort instruit,
et doué surtout de l'esprit le plus caustique et
le plus mordant, se fit connaître à propos d'un
prix proposé en 1777 par l'académie de Be-
sançon, sur cette question : Déterminer la
cause d'une maladie qui menace de détruire les
vignobles de la Franche-Comté. Le prix fut dé-
cerné au P. capucin Prudent. L'abbé Baverel
fit aussitôt paraître, sous le titre de lié flexion
d'un vigneron de Besançon, etc. (1778), une
brochure anonyme des plus mordantes, dans
laquelle, après avoir signalé plusieurs erreurs
commises par le P. Prudent, il se moquait
spirituellement de l'académie de Besançon, et
surtout de la crasse ignorance des capucins.
Cette brochure rit le plus grand bruit; le nom
BAV
de son auteur ne fut bientôt plus un secret
pour personne, et le pamphlet fut dénoncé au
parlement, qui eut le bon sens de décliner sa
compétence. Se voyant découvert, Baverel,
qui était irrité de la dénonciation du P. Pru-
dent, écrivit contre le capucin et son ordre
une seconde brochure, dont le retentissement
fut extrême et qui lui valut les félicitations
de l'abbé Raynal et de Mercier, l'auteur du
Tableau de Paris, qui se trouvait alors à
Neuchâtel. Baverel s'occupait d'écrire une
histoire de la Franche-Comté lorsque la Révo-
lution éclata. Il en adopta avec ardeur les prin-
cipes, prêta le serment exigé des ecclésiasti-
ques, et se fit affilier à la Société populaire.
Cependant il fut un des fondateurs d'un jour-
nal réactionnaire, qui n'eut que vingt-huit
numéros, la Feuille hebdomadaire ; il se ren-
dit ainsi suspect, et fut enfermé au château de
Dijon en 1793. Baverel fut ensuite chargé, en
1807, delà description des anciens châteaux
et des monuments debout dans la province de
Franche-Comté, et il obtint de nombreuses
gratifications du ministère. Il allait partir pour
Paris, avec une grande quantité de manuscrits,
lorsqu'il mourut subitement. La ville de Be-
sançon a acheté ses manuscrits, où sont réu-
nis une masse de documents très-intéressants
sur la Franche-Comté. On a publié de lui :
Observations sur l'ouvrage du P. Prudent tou-
chant les maladies de la vigne (1770); Coup
d'œil philosophique et politique sur la main-
morte (1785); Notice sur les graveurs qui nous
ont laissé des estampes marquées de mono-
grammes, chiffres, etc. (1808, 2 vol.)

BAVERETTE
s. f. (ba-ve-rè-te — dim. de
bavette). Partio d'un tablier qui couvre la
poitrine : Cette BAVERETTE nie produisait
l'effet que le mouchoir brodé produit sur les
nerfs de M. Alph. Kart (Pontmartin.)

BAVEROLLE
s. f. (ba-ve-ro-le — rad. ba-
ver). Autref. Mentonnière de casque, n Pièce
d'étoffe attachée à une trompette de guerre.

BAVETTE
s. f. (ba-vè-te~— rad. baver).
Pièce du vêtement des petits enfants, que
l'on attache sous leur menton, pour les em-
pêcher de se salir en bavant : BAVETTE en pi-
qué. BAVETTE de toile cirée. Porter encore la
BAVETTE.
Les enfants de votre pays Ont, ce me semble, des bavettes Que je trouve plaisamment faites.
LA FONTAINE.
— Par anal. Linge dont se servent des per-
sonnes de tout âge, pour ne pas salir leurs
vêtements sur le devant de la poitrine : La
sœur de madame de Montespan avait les yeux
fort chassieux, avec du taffetas vert dessus, et
une grande bavette de linge qui lui prenait
sous le menton. (St-Sim.) Il Baverette : Elle
portait un tablier de soie violet-pensée, avec la
BAVETTE, que nos villageoises ont eu le tort de
supprimer, et qui donnait tant d'élégance et de
modestie à la poitrine. (Gr. Sand.) Un ample
fichu de mousseline blanche se croisait sur son
sein, et disparaissait à demi sous la haute BA-
VETTE carrée d'un petit tablier de taffetas
changeant. (E. Sue.)
— Etre à la bavette, Etre en âge de porter
la bavette : Cet enfant EST encore A LA BA-
VETTE. 11 Par ext. Etre très-jeune :
Le temps coule : on n'es/ pas sitôt à la bavette. Qu'on trotte, qu'on raisonne ; on devient grandelette, Puis grande tout à fait.
LA FONTAINE.
— Fam. Tailler des bavettes, Bavarder :
Après une si longue absence, j'éprouve le be-
soin de TAILLER UNE BAVETTE. (Mélesv.)
— Archit. Lame de plomb dont on couvre
les bords des chéneaux établis sur les cou-
vertures d^ardoises.
— Tcchn. Plastron de boyaudier.
— Pêch. Construction en terre, pour don-
ner issue à la fumée dans la préparation des
harengs.
— Art culin. Bavette d'aloyau, Partie du
bœuf comprise entre l'aloyau et le pis.

BAVEULE
s. f. (ba-veu-le). Bot. Nom vul-
gaire de la centaurée-bluet.

BAVEUX
EUSE, adj. : Qui laisse couler de
la bave : Un enfant BAVEUX. Une bouche BA-
VEUSE. Une limace BAVEUSE. Il est facile de
reconnaître les fumeurs, à leur air hébété, à
leurs lèvres BAVEUSES. (Blanqui.)
La limace baveuse argenté la muraille,
Dont la pierre se gerce et dont l'enduit s'éraille.
THÉOPHILE GAUTIER.
— Chairs baveuses, Bords d'une plaie hu-
mectés d'un liquide séreux, ce qui empêche
la cicatrisation.
— Art culin. Omelette baveuse, Omelette peu
cuite, do consistanco assez molle,, et qui
suinte.
— Typogr. Lettre baveuse-, Lettre dont l'en-
cre a maculé les bords.

BAVIÈRE
s. f. (ba-viè-re —rad. baver). Art
milit. Pièce d'armure qui servait à défendre
la partie inférieure du visage, et qui tantôt
se vissait au plastron de la cuirasse, tantôt
faisait partie du casque et se levait ou s'a-
baissait au moyen de deux pivots placés à
gauche et à droite du timbre, il On l'appelait
aussi MENTONNIÈRE. .,
— Encycl. La plaque de fer ou d'acier qui
se trouvait vissée à la partie supérieure du
BAV 401
plastron de la cuirasse était le complément
nécessaire de l'armure de tête connue autre-
fois sous le nom de salade. Elle couvrait le
cou et le menton et se terminait au-dessus de
la bouche. - Elle était arrondie, dit M. Belle-
val, et se modelait sur la Corme du visage.
Lorsqu'on la portait avec la salade, elle était
vissée à la cuirasse, comme on vient de le
dire ; lorsque, au contraire, on la portait avec
un chapeau de Montauban, elle était accom-
pagnée d'un colletin forgé d'une seule pièce,
qui couvrait le cou aussi bien par devant que
par derrière, et venait sur les épaules recou-
vrir la jointure de l'épaulière.
Il y avait encore des bavières faites de deux;
lames réunies, et dont l'une, celle du haut,
pouvait se baisser sur celle du bas, pour lais-
ser respirer plus facilement. Olivier de la
Manche rapporte qu'il n'était pas rare de
voir, dans les tournois, des chevaliers faire
déclouer la visière- de leurs bassinets ou sala-
des, et ils prenaient aussitôt une grande ba-
vière. « Etoit armé d'un armet à la façon d'I-
talie et de sa grande bavière... Avoit un cape!
de fer et une haute bavière, tellement que de
son visage il n'apparaissoit que les yeux, »
lisons-nous dans la chronique de J. de Lalain.
La bavière a été aussi appelée quelquefois
barbute ou barbuce, et Ducange a commis une
erreur en pensant que la barbute était une es-
pèce de casque ; ce n'était que la bavière, et
rien de plus.
BAVIÈRE (ROYAUME DE), en allem. Baiem,
Etat de l'Europe centrale, faisant partie de la
Confédération germanique. Cap. Munich. Ce
royaume se compose de deux parties de terri-
toire situées l'une en deçà, l'autre au delà du
Rhin, et séparées par une distance de 55 kil.,
qu'occupent le Wurtemberg et le grand-duché
de Bade. La plus considérable de ces deux
parties, à l'E. du Rhin, comprise entre 47° 20'
et 50o 41f de lut. N. et entre 6<» 31' et 11© 24' .
de long. E., est bornée au N. par le royaume
de Saxe'les principautés de Reuss, les duchés
de Saxe-Gotha et Saxe-Meiningen, le grand-
duché de Saxe-Weimar et la- Hesse-Cassel;
à l'O. par la ville de Francfort-sur-le-Mein,
les grands-duchés de Hesse-Darmstadt, de
Bade et le royaume de Wurtemberg; au S.
par la Suisse et les Etats autrichiens et h l'E.
par l'empire d'Autriche. L'autre partie, à l'O.
du Rhin et sur ce fleuve, forme la Bavière
Rhénane ou le Palatinat, comprise entre 4 8° 57'
et 490 50' de lat. N. et entre 40 45'et6<> 11'de
long. E. ; elle est limitée au N. par la Hesse
et la Prusse Rhénane, à l'E. par le Rhin, qui
la sépare du grand-duché de Bade; au S. par
la France, et à l'O. par la Prusse Rhénane et
la seigneurie de Meisenheim,qui appartient à.
Hcsse-Hombourg. Superficie totale, 76,000 k.
carrés, dont 540 pour le Palatinat; pop. d'a-
près la statistique dernière, 4,559,452 h., dont
3,176,338 catholiques, 1,233,894 protestants et
50,033 israélites, répandus dans 222 villes,
401 bourgs, 94 terres nobles et 11,075 villages.
La Bavière est divisée en huit cercles ou
provinces (en allem. kreis), savoir :
Cercles Chefs-lieux.
Bavière (Haute) Munich.
Bavière (Basse) Passau.
Franconie (Haute). . . Bayreuth.
Franconie (Basse). . . Wurtzbourg.
Franconie (Moyenne). . Anspach.
Palatinat Spire.
Palatinat (Haut) Ratisbonne.
SouabeetNeubourg. . . Augsbourg.
— Orogr. et hydrogr. La Bavière est un
pays élevé et montagneux, appuyé au S.
aux Alpes 'Noriques ou Bavaroises, à l'E.
au Bœhmerwald, au N.-E. à l'Erzgebirge et
au Fichtelberg, et sillonné dans une partie de
sa région centrale par les Alpes de la Souabe.
La Bavière Rhénane est traversée dans son
milieu par la chaîne du Hardt, dépendance
des Vosges, et dont le point culminant est le
Donnersberg. Toutes ces montagnes ne dé-
passent pas une altitude moyenne : le Hoch-
kampen, dans les Alpes Bavaroises, ne s'élève
pas au-dessus de 3,125 m., et le Rachel, dans
le Boehmerwald, n'atteint que 1,390 m. Les
différents cours d'eau qui descendent de ces
montagnes, ou qui traversent le pays, appar-
tiennent au bassin du Rhin et au bassin du
Danube. Le Palatinat tout entier fait partie
du bassin du Rhin, et est arrosé par ce fleuve,
par la Lauter, la Queich, la Blies, la Nahe et
son affluent la Glan. Le massif oriental du
territoire est situé dans le bassin du Rhin et
dans le bassin du Danube. Ce dernier traverse
la Bavière sur une longueur de 430 kil., et y
reçoit, à droite: l'Iller, le Lech, l'Iser et l'Inn,
avec leurs nombreux affluents; à gauche, la
Wornitz, l'Altmulol, la Naab, la Regen et
l'Ilz. Le Rhin, au S.-O., par le lac de Con-
stance, marque une petite étendue de la fron-
tière ; mais au N. toutes les eaux de son bas-
sin affluent dans le Mein, qui a sa source en
Bavière et y reçoit la Taulier, la Rodach, la
Saale de Franconie et la Regnitz. Les lacs
sont communs, surtout dans la partie méridio-
nale; les plus importants sont : le Chiem, le
Starnberg et l'Ammer, dans le lit de la ri-
vière du même nom. Mais tous ces nombreux
cours d'eau serpentent dans des vallées étroi-
tes et tortueuses; les seules plaines considé-
rables sont celles que forme la vallée du Lech,
au-dessus et au-dessous d'Aug"sbourg, et celle
de la vallée de l'Isar, entre Munich et Frei-
sing.
— Climat, productions. Le climat est sain ;
51
402
mais en raïson de l'élévation du plateau ba-
varois (la plus grande dépression du sol étant
de 108 m. au-dessus du niveau de la mer), il
est froid comparativement à celui des autres
parties de l'Allemagne. Sol fertile, industrie
agricole très-développée; houblon et céréales
en abondance ; vins très-estimés, et en parti-
culier ceux du Rhin , de Franconie , de la
vallée du Mein, de la Saale et de la Tauber.
Prairies très-vastes, qui donnent des fourrages
de qualité supérieure, et permettent en grand
l'élève du gros bétail, des moutons et des
chèvres ; volaille ; arbres fruitiers ; près de
250,000 ruches d'abeilles, qui produisent un
miel très-recherché; dans les étants, les lacs
et les rivières, pêche abondante de poissons
et d'écrevisses.
Les grandes forêts qui couvrent le versant
des montagnes fournissent de beaux bois de
construction ; elles occupent le tiers de la su-
perficie totale du royaume ; les plus importan-
tes sont celles de Kempt et de Mittenwald,
dans la Bavière supérieure; celles do Rotz et
de Laurenzi, dans la Franconie centrale ; celle
de Kulmen, dans la Franconie supérieure. Le
gibier y est abondant; on y trouve beaucoup
de loups, de chamois et de marmottes. Les
richesses minérales de la Bavière sont un peu
abandonnées ; on n'en a recherché jusqu'à pré-
sent que le sel et le fer; cependant, on y a
découvert des mines de plomb argentifère
et des houillères; l'Inn et l'Iser charrient
des paillettes d'or. Nombreuses et belles es-
pèces de marbre, albâtre, gypse, calcaires à
chaux et h bâtir, ardoises, graphites, terre à
porcelaine réputée la meilleure d'Europe,
serpentine et grenats; plusieurs sources mi-
nérales avec établissements de bains, dont les
plus fréquentés sont ceux de Kissingen, de
Brukenau et de Rosheneim. L'industrie manu-
facturière est peu développée en Bavière : par
suite, malgré la grande quantité de voies de
communication, en mauvais état, il est vrai;
malgré les nombreuses rivières navigables et
le canal Louis, qui joint le Mein au Danube ;
malgré un réseau de chemins de fer qui fait
communiquer les grands centres de population
avec le reste de l'Europe, le commerce est
très-res(reinfc, à l'exception, cependant, de ce-
lui de transit. Les deux places d'Augsbourg
et de Nuremberg le résument tout entier, et
sont célèbres par la beauté et la qualité de
quelques-uns des produits de leur industrie,
tels que la joaillerie et la bijouterie de la pre-
mière, les jouets et le tabac de la seconde,
qui sont exportés dans toute l'Europe; ajou-
tons que la bière de Bavière, dont il se fabri-
que annuellement 8 millions de tonneaux dans
6,000 brasseries, est la plus recherchée d'Alle-
magne.
— Gouvernement, admin., budget, etc. Le
gouvernement bavarois est une monarchie
constitutionnelle ; le trône est héréditaire par
ordre de primogéniture dans la ligne mascu-
line, et, à défaut d'héritiers mâles, dans la
ligne féminine. Le pouvoir exécutif appartient
au roi; les ministres sont responsables. Le
pouvoir législatif, quoique exercé concurrem-
ment par le roi et les deux chambres, la pre-
mière, le sénat, composée de membres héré-
ditaires ou viagers; la seconde, celle des
députés, formée par cinq catégories de mem-
bres élus par le suffrage restreint, se mani-
feste souvent par des ordonnances royales,
dont le domaine est assez étendu. Le Palatinat
est régi par le code Napoléon ; les autres
cercles, par le code de Bavière. La cour su-
prême de justice du royaume est la haute
cour d'appel civile et criminelle siégeant à
Munich; chaque cercle possède une cour cri-
minelle et d'appel civil, et est administré par
une régence composée d'un président et de
conseillers ; en outre, un conseil provincial
électif, de 24 membres, s'y assemble une fois
par an pour délibérer sur les affaires qui l'in-
téressent et pour répartir l'impôt. Les subdi-
visions administratives des régences, à la fois
civiles et judiciaires, sont les arrondissements
des justices royales et des justices seigneu-
riales. La Bavière possède deux archevêchés
et six évêchés catholiques; ces diocèses se di-
visent en ni doyennés et comprennent 2,756
fiaroisses; les luthériens et les réformés, sous
a direction d'un consistoire général, forment
ensemble 920 paroisses, et, bien que l'exercice
des cultes soit libre, les confessions chrétien-
nes seules jouissent de tous les droits civils et
politiques. Le clergé bavarois possède une
juridiction privilégiée. Le ministre de l'inté-
rieur dirige l'instruction publique; chaque
ftaroisse possède une école élémentaire, dont
a fréquentation est obligatoire pour tous les
enfants jusqu'à l'âge de H ans ; l'ensei-
gnement secondaire comprend les gymnases,
les lycées, les écoles industrielles et techni-
ques, et trois universités, dont deux catholi-
ques, Munich et Wurtzbourg, et une protes-
tante à Erlangen. D'après la loi de finances
adoptée par la Chambre des députés pour
1855, les dépenses se sont élevées a 37,325,510
florins ou S0,349,859 francs, et les recettes à
34,785,685 florins ou 74,789,222 fr. Le déficit
doit être couvert par le produit de la loterie
et par une augmentation des impôts directs.
La dette publique est de 130,995,620 florins ou
294,640,683 fr.
La force armée de la Bavière comprend
l'armée permanente, l'armée de réserve et
la landwehr : l'armée permanente se compose
de 172,571 hommes.infanterie;22,874 hommes,
cavalerie, et 18,079 artilleurs pouvant des-
BAV
servir 1,628 bouches à feu ; l'armée de réserve
se compose des troupes sortant du service
actif, la durée du service y est de deux ans ;
la landwehr comprend tous les habitants de 17
à 60 ans propres au service militaire, et est te-
nue, en temps de guerre, au service militaire
dans l'intérieur du royaume. L'armée active se
recrute par conscription, le service dure 4 ans,
le remplacement est permis. La Bavière a
1 voix dans les assemblées ordinaires de la
Diète, et 4 voix dans les assemblées plénières ;
son contingent fédéral est de 53,400 hommes,
et sa contribution fédérale de 195,996 florins
ou 411,391 fr.
— Histoire. Les Bavarois sont généralement
regardés comme les descendants des anciens
Boïens, peuple celte établi en Germanie, et
auquel la Bohème (Boeheim, demeure des
Boïens) doit son nom. Cependant Lang, Man-
nert et d'autres historiens bavarois nient ce
mélange des Celtes et des Germains; une
circonstance importante parle en faveur de
cette dernière opinion : la langue bavaroise,
dialecte particulier de l'allemand? ne renferme
rien qui trahisse une origine celtique. Ce qu'il
y a de certain, c'est que la Vindélicie, le No-
ricum, provinces romaines correspondant à
la Bavière méridionale d'aujourd'hui, étaient
habitées, vers la fin du ve siècle, par la fédé-
ration des Boïoares ou Bavarois, qui tiraient
leur origine des Suèves, des Rugiens, des
Thuringiens, des Hérules et d'autres tribus
germaniques, et qu'elles prirent, dès lors, le
nom de Boïoaria, transformé plus tard en
Baïern, Bauaria. Après la destruction de l'em-
pire romain, les Bavarois se trouvèrent en
partie sous la domination des Ostrogoths, et
plus tard sous celle des Francs Austrasiens;
ils conservèrent cependant jusqu'à lu fin du
vme siècle leurs ducs héréditaires, appelés
Agilolfingiens, parce que le premier d'entre
eux portait le nom d'Agilulpne (vers 530).
L'histoire mentionne, vers l'an 556, cette fa-
mille, qui se maintint dans cette dignité jus-
qu'au règne de Charlemagne. Le règne de
Thassilon 1er (590) est mémorable par le
commencement de la guerre contre les tribus
slaves et leurs alliés, les Avares. Sous Gari-
bald TE, les Bavarois reçurent, vers 630, du
roi franc Dagobert leurs premières lois écri-
tes. A peu près vers la même époque, des
missionnaires francs introduisirent le chris-
tianisme dans cette contrée, saint Emmerond
à Ratisbonne, et Rupert à Salzbourg. Sous le
règne d'Odilon, cendre de Charles Martel,
l'archevêque Boniface divisa l'église de Ba-
vière en quatre évêchés : Salzbourg, Passau,
Ratisbonne et Freisingen. En 743, Odilon
prit le titre de roi et tenta de se soustraire a
la suzeraineté des Francs ; mais il fut vaincu
par ses beaux-frères Carloman et Pépin, et
contraint de subir le joug qu'il avait voulu
secouer. Thassilon II, successeur d'Odilon,
dut venir, en 748 , à la diète de Compiègne,
prêter, comme vassal, serment de fidélité au
roi Pépin le Bref; plus tard, il déclara son
serment nul et se ligua avec son beau-père
Desiderius (Didier), roi des Lombards, etavec
les ducs d'Aquitaine. Après la chute de la dy-
nastie des Lombards, préparant sa perte et
celle de sa famille, il fit alliance avec les
Avares contre le nouvel empereur d'Occident.
Vaincu par Charlemagne, Thassilon et tous les
siens furent enfermés dans des monastères, où
ils moururent ignorés. A la diète convoquée à
Ratisbonne en 788, Charlemagne abolit la di-
gnité de duc de Bavière, quoique ce pays con-
servât toujours la dénomination de duché;
il nomma gouverneur de cette contrée son
gendre, le comte Gérold de Souabe, et y intro-
duisit l'administration franque. Vers 799, l'em-
bouchure de la Naab dans le Danube forma la
limite de la Bavière, qui comprenait alors,
indépendamment de la Bavière proprement
dite, le Tyrol, le pays de Salzbourg, la plus
grande partie de 1 Autriche, le haut Palatinat,
les villes de Neubourg, Anspach, Bayreuth,
Bamberg, Nuremberg, Weissembourg et Din-
kelsbourg.
A la mort de Charlemagne, Louis le Débon-
naire fit donde laBavièreàLothaire,et quand
celui-ci eut été associé par son père à l'empire,
Louis l'Allemand prit le titre de Rex Boloario-
rum, en 817. Louis le Débonnaire étant mort
(840), son fils Carloman fut couronné roi de
Bavière, royaume qui comprenait en outre la
Carinthie, la Carniole, l'Istrie, le Frioul, la
Pannonie, la Bohême et la Moravie. Après ce
prince, et jusqu'au commencement du xe siè-
cle, la couronne de Bavière passa successive-
ment à Louis III, Charles le Gros, Arnould et
Louis IV, en la personne duquel s'éteignit la
racecarlovingienne (DU). Arnould le Mauvais,
fils, du Bavarois Luitpold, célèbre chef d'ar-
mée, s'arrogea, avec le consentement du peu-
ple, l'autorité suprême, et la Bavière devint
de nouveau un duché distinct ; c'est de cette
époque que date proprement son existence,
comme Etat souverain. Cinq ans après sa
mort (939), le duché sortit de sa maison, de-
vint le théâtre de guerres continuelles, tant
intérieures qu'avec l'étranger, et fut gouverné
par les ducs des maisons de Saxe et de Fran-
conie jusqu'en 1180, où, après la proscription
du guelfe Henri le Lion, de la maison d'Esté,
l'empereur Frédéric 1er le conféra, en H80,à
Othon, comte de Wittelsbach, descendant
d'Arnoulf et souche de la maison qui règne
actuellement en Bavière. Ce prince et son
entreprenant successeur Louis Ier accrurent
considérablement leurs domaines héréditaires.
BAV
Ce dernier obtint même de l'empereur Frédé-
ric II (1215) le Palatinat du Rhin à titre de
fief. Il périt assassiné en 1231, et eut pour suc-
cesseur Othon II l'Illustre, son fils, comte
palatin du Rhin. Sous le règne d'Othon II,
que le pape excommunia à cause de l'attache-
ment de ce prince aux intérêts de l'empereur,
la Bavière reçut encore de notables accrois-
sements ; mais ces vastes possessions ne
restèrent pas longtemps dans les mêmes
mains. Othon mourut en 1253, et ses fils Louis
et Henri, qui régnèrent collectivement pen-
dant deux années, opérèrent le partage des
Etats de Bavière. Louis eut pour sa part la
haute Bavière, le Palatinat et le titre d'élec-
teur, et Henri, dont la postérité ne tarda pas
à s'éteindre, la basse Bavière. C'est à ces
deux princes qu'échut l'héritage du malheu-
reux Conradïn de Hohenstaufen. L'un des
deux fils de Louis, qui portait le même nom
que lui, fut élu empereur en 1314, sous le nom
de Louis IV ou de Louis le Bavarois. En 1329,
celui-ci fit, à Pavie, avec les fils de son frère
Rodolphe, un traité par lequel on régla défi-
nitivement, entre autres choses, le droit de
succession à défaut d'héritier mâle dans
l'une des deux lignes. Ce traité devint la loi
fondamentale des deux familles et fut renou-
velé en 1490, en 1524, et cinq fois dans le
xvme siècle. Cependant, de nombreuses sub-
divisions de ces deux lignes arrivèrent encore
dans la suite; de nouveaux partages empê-
chèrent la Bavière de se maintenir au rang
qu'elle avait occupé. Pendant le xivc et le
xve siècle, il y avait la haute Bavière , la
Bavière-Straubingen, la Bavière-Ingolstadt,
la Bavière-Landshut, la Bavière-Munich. Le
duc de cette dernière branche, Albert II le
Sage, réussit enfin, au commencement du
xvie siècle, à réunir tous ces Etats et à éta-
blir la primogéniture comme loi de succession
dans sa famille. Maximilien Ier*( un des plus
f rands princes qui aient gouverne la Bavière,
ut élevé en 1623, par l'empereur Ferdi-
nand II, à la dignité d'électeur. Le traité de
Westphalie la lui confirma, ainsi que la pos-
session de tout le Palatinat, en créant en
même temps un huitième électorat en faveur
de la ligne palatine, à laquelle fut assuré le
droit de succession, en cas d'extinction de la
branche régnante de Bavière. Après nn règne
de cinquante-cinq ans, Maximilien mourut eh
1651. Son petit-nls, Maxlmilien-Emmannel
(1679-1726), se prononça pour la France, 'ors
de la guerre pour la succession d'Espagne,
fut mis au ban de l'empire après la défaite de
Hochstedt (1704), et ne recouvra ses Etats
qu'après la paix conclue à Bade en 1714. Sqn
fils Charles-Albert, électeur de Bavière, sou-
mit l'Autriche après la mort de l'empereur
Charles VI, prit le titre d'archiduc en 1741, se
fit proclamer roi de Bohême, et bientôt après
(1742) fut élu empereur à Francfort, sous le
nom de Charles VIL Ce prince ambitieux, à
qui la fortune n'avait jusqu'alors cessé d'être
favorable, trouva dans Marie-Thérèse un ad-
versaire plus que redoutable, qui fit tourner la
fortune de son côté. Bien qu'il eût attaché à
sa cause, par l'union de 1744, le roi de Prusse
Frédéric II, et le landgrave de Hesse-Cassel,
et malgré les succès du premier, Charles VII
se vît contraint d'abandonner la Bavière, oc-
cupée par une armée autrichienne sous le
commandement de l'habile Charles de Lor-
raine, et il mouput accablé de chagrin par
l'issue de la guerre (1745). Son fils, Maxiini-
lien-Joseph, qui avait pris le titre d'archiduc,
s'empressa de faire la paix (1745), et, pour
recouvrer ses Etats héréditaires, il donna son
suffrage pour l'élection impériale à François
de Lorraine, époux de Marie-Thérèse. Ce
prince s'efforça alors de faire fleurir dans ses
Etats épuisés l'industrie et l'agriculture. Il
mourut en 1777, et avec lui s'éteignit la des-
cendance de Louis de Bavière. Il ne restait
alors de la ligne Rodolphienne que la branche
de Neubourg et Sulzbach, devenue électorale
et palatine depuis 1685, et' celle de Deux-
Ponts-Birkenfeld. Le chef de la première^,
Charles-Théodore, monta sur le trône de Ba-
vière, et s'y maintint malgré les intrigues et
les convoitises de l'empereur d'Autriche Jo-
seph II. A sa mort, arrivée en 1799, la cou-
ronne de Bavière passa à la branche de
Birkenfeld, dans la personne de Maxiinilien-
Joseph IV. Sous le règne précédent, le Pala-
tinat avait eu beaucoup à souffrir de la guerre
provoquée par la Révolution française, et la
Bavière elle-même servit de théâtre aux opé-
rations militaires. L'alliance de Maximilien-
Joseph IV avec la France valut à la Bavière
une augmentation de territoire et le titre de
royaume. Mais quand, en 1813, déclina la for-
tune de l'empire, le roi de Bavière rompit
cette alliance^ qui n'offrait plus que des périls
et tourna subitement ses armes contre Napo-
léon. Par cette conduite habile, mais peu hon-
nête, Maximilien-Joseph put conserver sa cou-
ronne après les traités de 1815; au surplus, le
contact prolongé des Français avait imbu ce
prince de quelques idées libérales, et, mieux
que les autres souverains allemands, il tint la
promesse d'institutions représentatives formel-
lement contenue à l'article 13 du pacte fédéral.
Réorganisation des communes, rédaction et
signature du concordat de 1817, conflit pro-
longé entre la Chambre des députés et celle
des pairs, tels furent les principaux événe-
ments qui signalèrent les dernières années
du règne de Maximilien-Joseph IV, qui eut
pour successeur son fils Louis Iur (1825).
Les commencements du nouveau règne, au
BAV
milieu de la réaction générale qui s'opérait
alors en Europe, semblèrent devoir réaliser
les plus brillantes espérances. Mais bientôt
les tendances du pouvoir, les empiétements
successifs du parti prêtre firent prévaloir les
idées réactionnaires qui soufflaient sur l'Eu-
rope entière. Le coup de tonnerre de 1830
n'amena point en Bavière de perturbations sé-
rieuses, mais provoqua seulement une sur-
excitation plus générale des esprits. Cette sur-
excitation n'eut d'autres résultats que l'élection
d'une chambre de députés bi-en intentionnés,
sans doute, mais impuissants à réaliser les as-
pirations du peuple bavarois. Plusieurs des
membres de cette chambre libérale durent
prendre la fuite, ou expièrent par une déten-
tion plus ou moins longue les faits mis à leur
charge. Ce ne fut qu'en 1848 que le gouver-
nement se décida à accorder une amnistie gé-
nérale applicable à tous les délits politiques.
Le 20 mars 1848, le roi Louis abdiqua en fa-
veur de son fils, qui monta sur le trône, sous
te nom de Maximilien II. Le moment était
favorable pour les promesses libérales ; sem-
blables aux matelots qui, au milieu d'une tem-
pête, deviennent pieux et promettent tout à
Dieu et à ses saints, les rois, au milieu de
l'ébranlement révolutionnaire de 1848, pacti-
sèrent tous avec les peuples, devinrent libé-
raux, démocrates même en promesses; mais
quand le calme se fut un peu rétabli, quand
le lion rugissant eut été encore endormi, en-
gourdi par de trompeuses paroles, alors on
l'enlaça partout d'un réseau dont les mailles
fragiles ne résisteront pas à son premier ré-
veil. Le règne de Maximilien II, qui se ter-
mina en 1864, peut se résumer en deux mots:
opposition constante à l'hégémonie prussienne;
obstacle "à l'ambition autrichienne. Le roi
Louis II, qui a succédé à son père, semble
vouloir continuer sa politique.
TABLE CHRONOLOGIQUE
des souverains de la Bavière.
NOTA. — La liste des ducs de Bavière de la
race des Agilolfingiens n'est point à l'abri de
toute contestation ; nous la donnons néan-
moins, en prévenant nos lecteurs que cette
table chronologique présente toute certitude
à partir de l'extinction des Carlovingiens, ou
de l'érection de la Bavière en duché souverain,
sous Arnould le Mauvais.
I. — Ducs agilolfingiens.
Agilulphe VP:*S 530
Garibaldier 554
Thassilon 1er 593
Garibald II 610
Théodore 1er 640
Théodore II. , 080 «
Théodehertï
Théodoald j en commun .... 700
Grimoald )
Hugibcrt 728
Odilon 737
Thassilon II 748
II. — Jiois francs.
Charlemagne 7SS
Louis le Débonnaire et Lothaire 814
Louis II le Germanique 817
Carloman 876
L.ouis III 880
Charles le Gros 882
Arnould 1er de Carinthie - - . . 8SS
Louis IV l'Enfant 900
III. — Ducs bavarois.
Arnould II le Mauvais 911
Eberhard 937
Bertholdlcr 938
IV. — Ducs de Saxe et de Franconie.
Henri 1er 9.(3
Henri II le Querelleur 955
Othon 1er de Souabe 974
Henri III ( élevé plus tard au
trône impérial sous le nom de
Henri II) 983
Henri IV 985
Henri V 1004
Henri VI 1026
Henri VII 1039
Conrad 1er ]049
Henri VIII 1053
Conrad II 1056
Agnès 1057 -
Othon II 1061
V. — Ducs guelfes ou wclfs.
Welf 1er 1070
Welf II 1101
Henri IX 1120
Henri X 1126
VI. — Ducs autrichiens (maison de Babenberg).
Léopold 1er 1139
Henri XI 1141
Henri XII 1156
VII. — Maison de V/ittesbach (ducs).
Othon 1er 118O
Louis 1er 1183
Othon II l'Illustre 1231
Henri XIII et Louis II 1253
Louis III 1294
Etienne 1er 1347
Jean de Munich 1378
Ernest et Guillaume 1er 1397
Albert 1er 1433
Jean et Sigismond 1460
Albert II 1467
Guillaume II et Louis 1508
Albert III 1550
Guillaume III 1579
- 403
Electeurs.
MaximUien 1er, duc 1598
— électeur .... 1623
Ferdinand-Marie 1651
MaximUien II Emmanuel. . . . -1679
Charles-Albert 172G
MaximUien III Joseph 1745
Branche palatine.
Charles-Théodore 1777
Maximilien-Joseph IV, électeur 1799
Maximilien-Joseph Ier, roi. . . . 1806
Louis 1er ; . ig25
Maximilien II 1848
Louis II 1864
— B.-arts. La Bavière a été, de tout temps,
le principal foyer artistique de l'Allemagne.
Au moven âge, ses nombreux monastères
possédaient d'habiles miniaturistes, dont il
existe encore aujourd'hui d'intéressantes pro-
ductions dans les bibliothèques publiques de
Munich, de Bamberg, de Nuremberg, d'Augs-
bourg, etc. A l'époque de la renaissance de
l'art, cette même contrée donna à l'école alle-
mande ses maîtres les plus illustres : Wohl-
gemuth, Albert Durer, les Beham, Georges
Pencz, Amberger, naquirent à Nuremberg;
les HoVbein et les Burgkmaïer, à Augsbourg-;
Albert Altdorfer, né à Altdorf, près de Land-
shut, se fixa à Ratisbonne, où il eut pour imi-
tateur Michel Ostendorfer; Hans Muelich, de
Munich, fit de nombreux portraits pour le duc
Albert V, etc. De notre temps, c'est encore la
Bavièrequi a eu l'honneur de donnerle signal
du mouvement de rénovation artistique qui
s'est propagé depuis dans toute l'Allemagne.
C'est à l'initiative du roi Louis qu'est due
cette renaissance de l'école bavaroise. Ce
prince, amateur passionné des beaux-arts,
s'était lié à Rome avec cette pléiade de jeunes
artistes allemands qui, à la suite d'Overbeck,
avaient quitté leur patrie, agitée par la guerre,
et étaient venus chercher au delà des Alpes
le repos si nécessaire à, l'étude et l'inspira-
tion que donne la vue des chefs-d'œuvre des
anciens maîtres. Ces jeunes gens, qui recon-
naissaient Overbeek pour chef, étaient Guil-
laume de Schadow, Philippe Veit, beau-frère
de Schlégel, Jules Schnorr, Henri Hess,
Pierre Cornélius. Une fois monté sur le trône,
le prince Louis s'empressa de réaliser les pro-
jets qu'il avait formés avec ses amis de Rome
pour ranimer le culte des arts dans la patrie
allemande. Et d'abord, il entreprit de doter sa
capitale de monuments magnifiques, construits
d'après les modèles les plus remarquables de
l'architecture de tous les temps et de tous les
pays. Les architectes à qui ces travaux furent
confiés ont fait preuve, en général, d'autant
de goût que d'érudition. M. Léon de Klenzc,
intendant des bâtiments royaux, a construit
en style grec la Glyptothèque (musée de sculp-
ture), la Pinacothèque {musée de peinture), et
un délicieux monument appelé Bavaria, dans le-
quel, suivant l'expression de M. Th. Gautier, se
trouvent fondus le Parthénon et les Propylées.
Le même artiste a élevé, sur le modèle du
palais Pitti, la Nouvelle-Résidence, dont l'une
des faces est occupée par une chapelle bysan-
tine, dédiée à tous les saints. M. Ziebland est
l'auteur d'un édifice d'ordre corinthien, destiné
aux expositions de l'industrie, et d'une très-
belle basilique dédiée à saint Boniface et rap-
pelant, dans ses principales dispositions, celle
de Saint-Paul hors des murs. L'église ogivale
d-3 Sainte-Marie-du-Secours, dans le faubourg
de l'Au, fait, le plus grand honneur à son ar-
chitecte, M. Ohmuller. M. Gaertner a construit
plusieurs édifices importants : l'église de
Saint-Louis, ïmitattQn libre de l'architecture
romane ; l'Université, dans le même style ; un
portique à trois arcades, placé en face de la
rue Louise, reproduction nabile de celui dont
Orcagna a décoré la place du Grand-Duc à
Florence; l'Isar-Thor, restitution d'une an-
cienne porte de la ville, faite dans le style de
l'architecture militaire du moyen âge. Pour
que rien ne manquât à la beauté de ces divers
monuments, le roi Louis en confia la décora-
tion aux peintres et aux sculpteurs les plus
habiles de l'Allemagne. Il songea tout natu-
rellement aux jeunes maîtres, ses compa-
triotes, qu'il avait connus à Rome. Cornélius,
qu'il affectionnait particulièrement, reçut la
commande de travaux considérables pour la
Glyptothèque et pour l'église Saint-Louis.
Après un séjour de dix ans à Rome, et quelque
temps passé à Dusseldorf, où il avait été
thai'gé par le roi de Prusse d'organiser l'école
ïe peinture, le célèbre artiste vint à Munich
pour exécuter les fresques dont il avait déjà
fait en partie les cartons. Il fut suivi de plu-
sieurs de ses élèves, .qui furent employés, soit
à peindre d'après les dessins du maître, soit à
des ouvrages originaux. Bientôt une brillante
école de peinture se forma dans la capitale de
la Bavière. Sous l'influence de. Cornélius,
cette école rompit avec les traditions du
classicisme académique, et, comme elle aspi-
rait à être essentiellement nationale, elle
s'efforça de remonter le cours des âges et
demanda un enseignement aux vieux maîtres
allemands. Dédaignant la couleur et, en géné-
ral, tout ce qui tient aux procédés d'exécution
matérielle, elle crut devoir se borner à com-
poser de vastes scènes qui fussent irrépro-
chables au point de vue de l'histoire, de la
philosophie et de l'esthétique. On ne peut nier
que Cornélius et quelques-uns de ses disciples
ne soient parvenus a produire des œuvres
vraiment remarquables, quant à la conception
et même quant a l'ordonnance générale d? la
composition; mais il est à regretter que ces
mêmes ouvrages offrent, pour la plupart, des
lignes heurtées et confuses, un manque pres-
que absolu de perspective aérienne, un coloris
froid et dur, défauts si saillants, qu'ils parais-
sent systématiques.
Nous n'avons pas l'intention de passer ici
en revue les travaux considérables que cette
école a exécutés à Munich, dans l'espace d'une
vingtaine d'années. Il nous suffira d'en avoir
indiqué les caractères généraux. Disons main-
tenant quelques mots des maîtres qui, après
Cornélius, ont jeté le plus d'éclat sur l'art
moderne bavarois. M. Henri Iless appartient
au groupe de peintres catholiques dont Over-
beck est le chef; il ne possède peut-être pas
le sentiment mystique et la grâce naïve de ce
dernier, mais il a un style plus large, plus
" souple et plus ferme. Il fut appelé de Rome
par le roi Louis, pour décorer la chapelle de
Tous-les-Saints et la basilique de Saint-Boni-
face. Les vingt-deux fresques qu'il a exécu-
tées dans ce dernier édifice sont d'une com-
position ingénieuse et savante, et, ce qui est
beaucoup plus rare dans les œuvres des ar-
tistes bavarois, la couleur en est assez agréa-
ble. M. Hess a fait, en outre, un certain nombre
de bons portraits et des cartons de vitraux
dans lesquels il n'a pas craint de répudier le
style archaïque, qui a généralement prévalu,
même en France, pour les ouvrages de ce
genre. M. Jules Schnorr, de Carolsfeld, quitta
aussi Rome pour Munich, sur les instances du
roi Louis. Il fut chargé de peindre à fresque,
dans les salles de la Nouvelle-Résidence, les
principaux épisodes des Niebelungen, et il a
consacré une partie de sa vie à cette grande
œuvre, qui a un caractère, un accent ger-
manique irrécusables. Il a attaché aussi son
nom aux illustrations d'une Bible protestante,
dans lesquelles il a fait preuve d'une har-
diesse, d'une énergie, d'une lucidité, qui con-
trastent avec le tendre mysticisme des Evan-
giles d'Overbeck. MM. Clément de Zimmer-
mann et Schlotthauer, fidèles disciples de
Cornélius, ont travaillé aux fresques de la
Glyptothèque et de la Pinacothèque. Le pre-
mier, qui est aujourd'hui directeur de la galerie
royale de peinture, est l'auteur de plusieurs
tableaux intéressants, parmi lesquels nous
citerons : Çimabue et Giotto, et des Paysans
des environs de Home se rendant en -pèlerinage
à Notre-Dame de Lorette. M. Schraudolph a
fait preuve d'une grande habileté dans 1 imi-
tation des anciens maîtres; ses compositions
reUgieuses sur fond d'or se font remarquer
par le beau style des draperies, par la gravité
et la naïveté de l'expression. Des fresques
ont été peintes dans divers monuments par
MM. C. Hermann, Sturmer, Kranzberger,
Helhveger, Schabet, Heiler, Kock, Mùller,
Hiltensperger et Nilson. M. Cari Schorn, de
Dusseldorf, mort à Munich en 1850, a exécuté
dans cette dernière ville plusieurs œuvres
importantes, entre autres un tableau repré-
sentant le Déluge, que possède la nouvelle
Pinacothèque. Les fresques dont M. Rottmann
a décoré la galerie dite des Arcades, attenante
au palais du roi, et qui représentent diverses
vues de l'Italie et du Tyrol, se distinguent
par l'élégance des lignes et l'entente de la
perspective aérienne. Les tableaux de genre
de M. Geyer offrent des expressions assez
piquantes, mais le coloris n'a pas toute la vé-
rité désirable. Nommons enfin M. Guillaume
Kaulbach, le plus illustre des disciples de
Cornélius. Placé à la tète de l'académie de
peinture de Munich après le départ de son
maître pour Berlin, lors de l'avènement de
Frédéric-Guillaume IV au trône, M. Kaulbach
s'est fait novateur à son tour. Tout en restant
idéaliste comme Cornélius, il s'est appliqué à
traduire ses idées par des formes expressives
et correctes, à donner un corps à ses abstrac-
tions philosophiques et symboliques; il s'est
montré par là plus véritablement artiste que
ses devanciers. S'il lui est arrivé parfois de
pousser la recherche du grandiose jusqu'à
l'exagération, on ne peut lui refuser, du
moins, une imagination habile à saisir les élé-
ments dramatiques d'un sujet. A son exemple,
beaucoup d'artistes bavarois se sont séparés
des doctrines de Cornélius et d'Overbeck, et
se sont efforcés d'acquérir les qualités d'exé-
cution que ces maîtres avaient dédaignées.
A mesure que la nouvelle réaction a fait
des progrès, l'école de Munich a perdu de son
unité et de son autorité ; d'école nationale
qu'elle fut un instant, elle est devenue,
comme les écoles de Dusseldorf, de Berlin, de
Vienne, de Dresde, une académie particulière
où tous les systèmes ont des adhérents, où
toutes les opinions ont le champ libre. « L'école
de Munich a fait son temps, a dit M. Charles
Perrier (1858); après avoir fourni une glo-
rieuse carrière, elle n'existe plus guère que
dans la personne de ses fondateurs. Son grand
mérite est d'avoir relevé le niveau de l'art, à
une époque où l'art avait véritablement besoin
d'une réforme radicale et complète; mais elle
a dépassé le but et signé l'arrêt de sa propre
condamnation. L'idéalisme évidemment exa-
géré de Cornélius et d'Overbeck leur a fait,
à tout moment et à tout propos, déserter le
monde des faits pour le monde invisible où
règne l'idée pure. Volontiers, à l'instar des
Eléates, ils auraient nié la réalité des choses
sensibles et ne leur auraient permis, comme
Fichte, d'exister que dans notre esprit. Le but
constant de leurs efforts était d'arriver, pres-
que sans intermédiaire apparent, par une
sorte d'intuition mystique, à la contemplation
de l'absolu. Malheureusement, l'absolu n'est
pas de ce monde. Ces peintres sont moins des
artistes et des poètes, que des philosophes
qui, en se promenant au milieu des abstrac-
tions, ont contracté un certain goût pour la
poésie et pour les arts. »
Aujourd'hui, la Bavière compte un certain
nombre d'artistes qui font preuve d'habileté
dans la peinture des sujets de genre, des
paysages, des animaux; quelques-uns compo-
sent avec talent de petites scènes historiques;
en revanche, la grande peinture est à peu
près complètement délaissée. Voici les noms
des peintres de ce pays qui ont pris part aux
expositions universelles de Paris (1855) et de
Londres (1862) : Frédéric Mùller, Ch.-G.
Mùller, Léop. Weinmayer, Otto "Wustlich,
peintres de sujets religieux; Hermann Col-
lischon, Herm. Sagstaetter, Ch. Piloty, Ch.
Adamo, Aug. Hovemayer, peintres d'histoire;
F. Kaulbach fils, peintre de portraits; Maurice
Schwind, Ch. Spitzweg, Fr. Woltz, Louis de
Hagn, Aug. Niedmann, Pierre Martin, pein-
tres de genre; Fréd. Durck, peintre de sujets
mythologiques; Knude Baade, Chrétien Mor-
genstern, Jos. Ostermayer,Guill. Scheuchzer,
Ed. Schleich, Bern. Stange, Fréd. Hohe, T.-
M. Bernatz, Eug. Neureuther, Richard et
Albert Zimmermann, paysagistes; B. Adamo,
François Adam, Jos. Werberger, Ant. Zwen-
gauer, peintres d'animaux; Chrétien Jank,
Michel Neher, F.-C. Meyer, Léo von Klenze
et Jul. Lange, peintres de vues architectu-
rales, etc.
- La sculpture prit en Bavière, sous le règne
du roi Louis, le même essor que l'architecture
et la peinture. Un artiste émment, le premier
sculpteur de l'Allemagne contemporaine après
Rauch, L. Schwanthaler, a exécuté dans di-
vers monuments, notamment dans la Nou-
velle-Résidence et dans la Glyptothèque, des
œuvres remarquables par l'harmonie des li-
gnes et par la hardiesse du mouvement.
Stilgmaier s'est fait connaître, à la même
époque, par des ouvrages d'un véritable mé-
rite. Les seuls sculpteurs bavarois qui aient
pris part à l'Exposition universelle de Paris,
en 1S55, sont MM. Jean Breunig et François
Prinoth. A la même exposition figuraient des
médailles gravées par M. Charles - Fréd.
Voigt; des lithographies dues à M. François
Hanfstang, qui a reproduit avec talent les
principaux tableaux de la Pinacothèque; des
gravures de MM. Schaffer, H. Merz et Ch.
Waagen. Parmi les graveurs bavarois, nous
citerons encore MM. Petrak et Ernst, qui ont
exposé à .Londres, en 1862, et M. Samuel
Amsler, professeur à l'académie, qui a gravé
d'après Overbeck, Cornélius, Schwantha-
ler, etc., des planches d'une finesse et d'une
limpidité peu communes.
BAVIÈRE (SOUVERAINS DE). En esquissant à
larges traits l'histoire de la Bavière, nous avons
parlé des princes qui ont joué un rôle domi-
nant dans les annales de ce peuple. Cependant,
comme un certain nombre d entre eux méritent
d'arrêter l'attention, soit par leurs qualités
personnelles, soit par l'importance des événe-
ments auxquels ils ont été mêlés, nous croyons
intéressant pour le lecteur d'accentuer d'une
façon plus nette leur physionomie. Nous grou-
perons donc ici, en suivant l'ordre chronolo-
gique, les biographies des ducs, des élec-
teurs et des rois de Bavière qui nous paraissent
avoir une certaine valeur historique. — AR-
NOULD ou ARNULF, dit le Mauvais, mort en 966,
était fils de Léopold ou Luitpold, tué en com-
battant contre les Hongrois en 907. Il succéda
à son père, margrave de Bavière, au moment
même où, avec Louis IV dit l'Enfant, s'étei-
gnait en Allemagne la race carlovingienne. Il
s'attribua l'autorité suprême et le titre de duc,
du consentement du peuple, car la théorie du
droit divin n'était pas alors inventée, et n'hé-
sita point à se ranger parmi les compétiteurs
à l'empire. Conrad de Franconie ayant été élu,
il se ligua contre lui avec Henri de Saxe et
Gilbert de Lorraine, fut battu, forcé de fuir
ses Etats, où il ne revint qu'à la mort de
Conrad, et, pour la seconde fois, il tenta de
mettre sur sa tête la couronne impériale. Henri
de Saxe l'emporta sur lui. Pour éviter une
guerre imminente, l'empereur consentit à con-
céder à Arnould un droit d'entière souveraineté
sur son clergé. « Non-seulement, dit l'empe-
reur dans une clause de ce traité, je vous laisse
en possession du domaine de Bavière et de
toute la Norique,mais je consens à ce que les
évêques, les prêtres, les moines et tous les
ecclésiastiques de vos Etats vous soient sou-
mis... Pourvu que vous abandonniez levain
nom de roi, je vous laisse tout le reste. Que de-
mandez-vous davantage, et que pouvez-vous
désirer de plus?» Arnould se contenta en effet
de ce droit, et il en usa largement. Aussi le
clergé donna-t-il à Arnould le surnom de Mau-
vais, qui lui est resté, mais qui paraît aussi
peu justifié que le surnom d Excellent, dont
certains historiens le gratifient. Une guerre
qu'il fit en 937 à Hugues, roi d'Italie, lui fut
fatale : il perdit la vie dans une bataille qu'il
livra près de Vérone. Arnould avait trois fils,
dont aucun ne lui succéda. L'aîné, Evrard, %
chassé de Bavière par l'empereur Othon, qui
transporta la souveraineté-de ce pays à Ber-
thold, frère d'Arnold, mourut en Souabe en
966 ; le second, Arnould, devint palatin du Rhin,
et le troisième, Herman, mourut sans enfants.
— HENRI ler( dit le Querelleur, gendre d'Ar-
nould, dont il avait épousé la fille Judith, prit t
le titre de duc de Bavière en 942, à la mort de '
Berthold, Il était frère de l'empereur Othon,
avec lequel il combattit en Italie, et qui l'aida
à chasser de la Bavière son neveu Ludolphe,
lequel ravageait le pays après être entré en
révolte ouverte contre son père Othon. C'est
également avec l'aide de ce dernier qu'il par-
vint à repousser et à vaincre une invasion de
Hongrois. Il mourut en 955, laissant pour suc-
cesseur son fils Henri. — HENRI II, surnommé
Hérillon ou le Jeune, prit la couronne ducale
de Bavière, à la mort de son père, en 955. Tout
confit en dévotion dans sa jeunesse, il ne fut
pas plus tôt au pouvoir qu'il abandonna ses
Euénles pratiques pour songer à s'emparer de
i couronne impériale à la mort d'Othon Ier.
Son heureux rival, Othon II, l'expulsa de la
Bavière, où il ne rentra qu'après la mort de
celui-ci et l'élection du jeune Othon III. De-
venu tuteur de ce dernier, il nourrissait encore
ses projets ambitieux, lorsqu'une dernière dé-
ception le conduisit à finir comme il avait
commencé. Il ne songea plus qu'aux exercices
religieux, à la création et à l'embellissement
des églises et des couvents, et mourut en 991
dans ce monastère de Gandersheim, devenu
célèbre par la belle et savante abbesse Hros-
witha, qui y fit jouer ses compositions drama-
tiques. Il eut pour successeur Henri le Saint,
son fils, qui, après sa promotion à l'empire,
laissa, en 1004, le duché de Bavière à Henri
de Luxembourg. — OTHON DE NORDTHEIM, d'o-
rigine saxonne, reçut le duché de Bavière, en
1061, de l'impératrice Agnès, régente pendant
la minorité de l'empereur Henri IV. Loin de
se montrer reconnaissant de ce qu'elle avait
fait pour lui, il contribua à, l'éloigner du pou-
voir. Lorsque Henri IV eut atteint sa majorité,
il résolut de se venger des humiliations qu'O-
thon lui avait fait subir, l'accusa, en 1070,
d'avoir voulu attenter à sa vie, le fit con-
damner par la diète de Mayence à prouver par
champ clos qu'il était innocent, et, sur son
refus, il investit (1071) Guelfe 1er, dit le Grand,
du duché de Bavière, qui était un fief de J'em-
pire. Othon se ligua alors'avec Rodolphe, duc
de Souabe, pour renverser Henri IV, tut battu
avec les Saxons en Thuringe, et finit cepen-
dant par se réconcilier avec l'empereur, à la
diète de Goslar, en,1075. Comme gage de paix,
Henri IV le nomma son lieutenant général en
Saxe, mais l'ambitieux Grégoire VÏ1 eut bientôt
ravivé en Allemagne, par ses intrigues pas-
sionnées, des troubles dont il voulait profiter
pour renverser Henri IV, son intraitable ad-
versaire , et Othon s'empressa d'entrer dans
ses projets. Il devint un des principaux agents
de la rébellion qui déposa Henri IV a Forcheim,
pour nommer empereur Rodolphe de Souabe -
mais bientôt après, il était défait avec son parti
à la bataille de Wolksheim, où il fut mortelle-
ment blessé, après avoir déployé une intrépi-
dité sans égale. — GUELFE OU WELF Ier} Qit le
Grand, fils d'Azzon, marquis d'Esté, descen-*
dant des Welfs d'Altdorf, et chef de cette mai-
son des "Welfs ou Guelfes, qui eut, au moyen
âge, une si grande célébrité, reçut, en 1071,
l'investiture du duché de Bavière, qu'Henri IV
venait d'enlever à Othon. Lorsque celui-ci se
réconcilia avec l'empereur, il recouvra une
partie de ses Etats héréditaires, et Guelfe,
irrité de ce partage,entraaussitôt dans ialigue
formée contre Henri IV par le pape Gré-
goire VIL Guelfe se signala dans cette guerre
par sa rare bravoure et par ses succès. II-
s'empara successivement de Ratisbonne, de
Salzbourg, de Wurtzbourg, où il vainquit
Henri IV, d'Augsbourg, et entraîna la Souabe
dans son parti. Fort heureusement pour l'em-
pereur, Guelfe rompit brusquement'avec le
pape Urbain II, dont il ne voulut pas subir les
exigences, et se raprocha d'Henri IV, avec
lequeL il fit la paix en 1097. Après une vie si
pleine d'agitations, le repos semblait devoir
sourire au duc de Bavière; mais, en ce mo-
ment même, retentit la voix de Pierre l'Er-
mite ; l'Occident se rua sur l'Orient, et les croi-
sades commencèrent. Guelfe reprit son épée
et partit pour la Palestine avec Guillaume de
Poitiers. Après avoir subi un échec en Asie
Mineure, il arriva enfin à Jérusalem, quelque
temps après la mort de Godefroy de Bouillon.
En regagnant ses Etats, il fut pris, dans l'île
de Chypre, d'une fièvre maligne qui l'emporta
en quelques jours. Son corps, amené en Eu-
rope par les soins de son fils, fut enterré à
Altdorf, berceau de sa famille. Disons en pas-
sant que Guelfe fut le chef de la maison de
Brunswick, de laquelle est issue la famille ré-
gnante d'Angleterre. — GUELFE H, son fils,
devint duc de Bavière en noi, et mourut vers
1120. Il avait épousé la riche comtesse Ma-
thilde, veuve de Godefroy le Bossu, qui, cir-
convenue par les prêtres, et surtout par Gré-
goire VII, désireux de s'emparer des grands
biens qu'elle possédait en Italie, ne voulut pas
consentir à la consommation de ce mariage, et
divorça avec lui en 1097. Guelfe s'était battu
avec son père contre Henri IV; en 1105, il se
prononça pour Henri V, et, lorsque celui-ci
arriva à l'empire, il se rendit à Rome pour
négocier en son nom. Il mourut peu de temps
après sans enfants. — Son frère, HENRI le
Noir, ne gouverna la Bavière que cinq ou six
ans, et laissa le duché à son fils, Henri le Su-
perbe. — HENRI, dit te Superbe, prit la cou-
ronne ducale en 1126 et mourut en 1139. Il
épousa la fille unique de l'empereur Lothâire II;
dont il avait su gagner la faveur, et qui lui
donna pour dot le duché de Saxe. Devenu un
des vassaux les plus puissants de l'empire, il
seconda dans toutes ses entreprises son bien-
faiteur, pacifia son duché, et fut chargé par
404
l'empereur d'aller au secours d'Innocent II,
menacé par l'antipape Anaclet et par Roger
de Sicile. En peu de temps, il soumit la Cam-
panie et la Pouille, prit Capoue et Bônévent,
et reçut, en récompense de ses services, la Tos-
cane et les Etats de la comtesse Mathilde.
Lorsque Lothaire It mourut, en 1137, nul pré-
tendant ne semblait pouvoir entrer en lutte
avec Henri de Bavière, et celui-ci ne douta
pas un instant que la couronne impériale ne
tût mise sur sa tête ; mais les électeurs, blessés
de son attitude orgueilleuse, et redoutant sa
puissance, élurent en 1138 Conrad de Hohen-
staufen, qui fut sacré empereur a Aix-la-
Chapelle peu de jours après. Profondément
déçu dans ses espérances, Henri attaqua cette
élection comme entachée d'illégalité; mais le
ape se prononça en faveur de Conrad, et
Allemagne se rangea à son avis. Cité, comme
feudataire, à faire acte de soumission au
nouvel empereur, Henri le Superbe se borna
à lui renvoyer les ornements impériaux dont
il était détenteur-, mais il refusa de venir lui
rendre hommage. Mis au ban de l'empire par
la diète de Wurtzbourg. dépouillé de ses du-
chés par celle de Gosiar, il vit la Bavière
donnée au margrave d'Autriche Léopold, et
la Saxe au margrave de Brandebourg Albert
l'Ours. Pendant que la Bavière se soumettait,
la Saxe résistait aux volontés de la dicte, et
aidait Henri à en chasser Albert. L'empereur
accourut pour secourir ce dernier, et les deux
armées se trouvèrent en présence à Creutz-
bourg : mais, au lieu d'en venir aux mains,
Conrad et Henri signèrent une trêve, et,
bientôt après, la paix, par laquelle celui-ci était
reconnu légitime souverain de la Saxe. Henri
se disposait a reconquérir la Bavière, lorsqu'il
mourut tout à coup à Quedlindbourg. — GUELFE
ou WELFON, frère du précédent, fut chargé, à
sa mort ( 1130), de la tutelle de son neveu Henri
le Lion. Il s'allia avec Roger, roi de Sicile,
afin de reconquérir la Bavière, et força Léo-
pold ii regagner l'Autriche ; mais mis au ban
de l'empire par la diète de Worms (l 140), il
eut à se défendre contre l'empereur en per-
sonne, qu'il rencontra sous les murs de Weins-
berg. Dans la sanglante bataille qui eut lieu et
où Guelfe fut vaincu, celui-ci donna à son
armée son nom pour cri de guerre, pendant
que Conrad"donnait aux impériaux celui de
Waiblingen, petite ville appartenant à son
frère, Frédéric de Hohenstaufen. C'est à partir
de ce moment que les dénominations de Guelfes
et de Gibelins servirent à désigner les deux par-
tis ennemis qui devaient jouer un si grand rôle
en Italie pendant le moyen âge. Malgré sa dé-
faite, Guelfe ne cessa pas de faire la guerre.
Cependant, au bout de quelques années, il se
rapprocha de Conrad, se rendit avec lui en
Palestine et s'attacha au successeur de ce
prince, Frédéric Barberousse, qui rendit a
-Henri le Lion la Bavière. Les dernières années
de sa-vie furent remplies par la guerre qu'il lit
à Hugues de Tubingen. — HENRI, dit le Lion,
fils de Henri le Superbe et neveu du précé-
dent, était encore enfant quand l'empereur
Conrad lui donna, en 1142, l'investiture du
duché de Saxe, à la condition qu'il renoncerait
à la Bavière, dont son oncle essayait de faire
la conquête. Cette renonciation fut faite a
l'instigation de sa mère, qui épousa le duc de
Bavière, Henri d'Autriche. Lorsqu'il futdevenu
en âge de comprendre ce qu'on lui avait fait
faire, Henri, accompagné d'un corps de Saxons,
réclama la Bavière devant la diète de Franc-
fort, et Conrad, pour éviter un conflit, fit
ajourner après la croisade la solution de sa
demande. A peine l'empereur fut-il de retour
delà Palestine, que Henri fit de nouveau valoir
ses droits; mais, au lieu de trouver un appui
dans les Saxons, indisposés par son humeur
altière, il se vit abandonné par eux, au mo-
ment où il était allé soulever la Bavière. Sa
position était des plus critiques, lorsque Conrad
mourut (1152). L'empire fut alors dévolu h
Frédéric 1er Barberousse, qui rendit la Ba-
vière a Henri le Lion ; celui-ci, devenu enfin
tranquille possesseur de ses deux duchés, les
habita tour a tour, consacra tous ses soins à
faire renaître leur prospérité, à réparer les
maux de la guerre, contint (et soumit les
Slaves, qui habitaient ses frontières, puis se
rendit dans la Palestine, menacée par le sul-
tan d'Egypte Noureddim De retour de cette
expédition, Henri fonda la ville de Munich.
Peu de temps après, l'empereur invoqua son
secours pour comprimer la révolte qui venait
d'éclater contre lui en Italie ; mais le puissant
vassal resta muet à cet appel, malgré les plus
pressantes instances. Frédéric I«f, profondé-
ment blessé de cet abandon, et appuyé par les
nombreux ennemis que la puissance et l'orgueil
d'Henri lui avaient créés en Allemagne, ne vit
pas plus tôt ses alfa ires rétablies qu'il en tira
une vengeance éclatante. Privé de la Saxe et
de la Bavière (1180), Henri chercha vainement
à rentrer en grâce. Il dut se retirer en Angle-
terre, où régnait son beau-père, ne conservant
de ses vastes possessions qiie-îo Lunebourg et
le Brunswick, ses domaines héréditaires. Lors-
que Henri VI succéda à Frédéric 1er en 1190,
Henri le Lion revint en Allemagne ; mais le
temps n'avait point apaisé ses ennemis. Il se
vit contraint a conclure la paix pour ne point
erdre jusqu'à ses derniers domaines, et mourut
Brunswick en 1195. — OTHON DE WILTELS-
BACii, dit le Grand, descendant d'Arnould le
Mauvais, reçut en 1180 le duché de Bavière
de Frédéric Barberousse, et mourut en 1183. Il
s'était acquis une grande réputation de bra-
voure en Italie, où H avait combattu près de
Barberousse, et son titre de comte palatin de
Bavière semblait le désigner au choix de l'em-
pereur, lorsqu'Henri le Lion fut chassé de ses
Etats. Bien que les possessions bavaroises
fussent diminuées du Tyrol, de la Styrie, des
terres domaniales appartenant à la maison des
Guelfes, de nombreux districts abandonnés
aux prélats, et de Ratisbonne, érigée en ville
libre, il n'assit pas moins fortement son pou-
voir, resta fidèle à l'empereur, qui s'en servit
dans plusieurs négociations importantes, et
laissa le duché à, son fils Louis. Othon est le
fondateur de la maison de Bavière encore au-
jourd'hui régnante. — Louis, dit le Sévère, né
en 1229, mort en 1294, succéda en 1253 à son
père Othon l'Illustre, qui avait agrandi consi-
dérablement ses Etats, et qui lui transmit avec
le duché de Bavière, le titre de comte palatin
du Rhin. Il régna d'abord conjointement avec
son frère Henri; puis ils se partagèrent la
Bavière, dont la partie supérieure échut à
Louis, qui devint, deux ans plus tard, posses-
seur de tout le duché par suite de la mort de son
frère. La grande part qu'il prit à l'élection de
l'empereur Rodolphe lui attira la faveur de ce
prince. Celui-ci le nomma son vicaire général
et son lieutenant pour les duchés de Styrie et
d'Autriche, donna aux comtes palatins du Rhin
la garde des domaines impériaux pendant les
vacances de l'empire, et lui laissa recueillir
l'héritage de l'intortuné Conradhi de Ho-
henstaufen. Sous le successeur de Rodolphe,
Adolphe de Nassau, la haute faveur dont le
duc de Bavière avait joui rit place à de violents
démêlés. L'empereur ayant été attaqué avec
sa suite, au moment où il traversait le Rhin,
accusa Louis de ce guet-apens et le déclara
coupable du crime de lèse-majesté. Le duc de
Bavière se justifia de cette accusation, et con-
quit les bonnes grâces de son ancien ennemi.
Il mourut à Heidelberg, regretté de son peuple,
qu'il avait gouverné avec sagesse. Il doit son
surnom à un accès de folle et cruelle jalousie.
Une lettre, que la duchesse Marie, sa femme,
envoyait à un seigneur de Bavière, lui étant
par hasard tombée entre les mains, il crut y
voir une preuve d'infidélité. Dans sa fureur, il
fit mettre à mort celui qui la lui avait remise,
courut à Donawerth, où se trouvait la duchesse,
poignarda une de ses filles d'honneur, perça de
son épée le gouverneur du château, jeta par
une des fenêtres la femme de ce dernier, et fit
périr Marie par la main du bourreau. Lorsqu'il
eut acquis la preuve de son innocence, il tomba
dans le plus sombre désespoir. Alexandre IV
consentit à l'absoudre de ces meurtres, à la
condition qu'il fonderait un couvent. Telle est
l'origine de l'abbaye de Furstenfeld, habitée par
des moines cisterciens. Louis laissait en mou-
rant deux fils, entre lesquels il partagea ses
Etats : Rodolphe, dit le Bègue, souche de la
branche rodolphienne ou palatine, eut le Pala-
tînat, pendant que la Bavière passait dans les
mains de Louis, qui fut élu empereur, sous le
nom de Louis V. — Louis, fils du précédent,
lui succéda en 1294 sur le trône ducal de Ba-
vière, et fut élu empereur en 1314.D'après le
vœu des Etats, et malgré l'opposition du. duc
d'Autriche et du comte palatin du Rhin, il joignit
la basse Bavière à la haute Bavière, qu'il possé-
dait déjà, agrandit ainsi ses domaines aux dé-
pens de la branche palatine, et se trouva pos-
sesseur, outre ce duché, du Brandebourg, de
la Hollande, de la Zélande, du Tyrol, etc. Sous
le gouvernement de ce prince, la Bavière jouit
de la paix et fut dotée d'un grand nombre d'in-
stitutions utiles, parmi lesquelles nous citerons
la création d'un code de procédure civile, la
réglementation du mode d'administration, 1 in-
troduction du régime municipal à Munich, etc.
— MAXIMILIEN ler^ dit le Grand, né à Landshut
en 1573, mort en 1651, succéda, en 1596, à son
père le duc Guillaume V, qui se retira dans un
couvent. Doué d'une vive intelligence, qu'il
avait cultivée à l'université d'Ingolstadt, il
avait, avant d'arriver au pouvoir, visité l'Italie,
habité quelque temps à la cour de l'empereur
Rodolphe II, et représenté son père à la diète de
Ratisbonne en 1594. Devenu duc de Bavière,
il fut l'âme de la ligue formée contre les pro-
testants d'Allemagne, et mis à sa tête en 1610.
Il ajouta à ses Etats Mindelheim etSalzbourg,
et fut un des prétendants à l'empire en 1619;
mais, sur les conseils de la France et de l'Es-
pagne, il s'effaça pour laisser élire Ferdi-
nand II. Cette élection ne fut point reconnue
par la haute Autriche, la Bohême, la Silésie et
laLusace, qui proclamèrent Frédéric V. Maxi-
milien soumit les Etats révoltés, et, pour re-
connaître ses éminents services, l'empereur
Ferdinand l'éleva à la dignité d'électeur, au
préjudice do la maison palatine, ainsi qu'à
celle de sénéchal de l'empire, qu'il déclara hé-
réditaire dans sa famille, et lui concéda le
haut ainsi qu'une partie du bas Palatinat. Ar-
rivé au but de son ambition, il se laissa em-
porter à l'ardeur de ses convictions catholiques,
s'occupa, à la façon des souverains, de la con-
version de ses nouveaux sujets; puis, jaloux
de la réputation que venait de conquérir Wal-
lenstein, il voulut diriger lui-même la guerre
contre les protestants. Mais, malheureusement
pour lui, il eut pour adversaire le célèbre
Gustave-Adolphe, qui avait pris en main la
cause des protestants. Défait par le roi de
Suède, il vit Munich et Donawerth tomber en
son pouvoir, et la Bavière ravagée. Wallen-
stein ayant repris le commandement s'occupa
médiocrement de défendre la Bavière, atta-
quée en même temps par les Français. Dans
cette situation critique, Maximilien conclut une
trêve avec la Suède et la France. Gustave étant
mort, Maximilien reprit les armes ; mais le gé-
néral \Vrange], à la tête des Suédois, entra en
Bavière et remporta, avec Turenne, la victoire
de Summerhausen. Le traité de Westphalie tira
Maximilien de cette situation périlleuse (1648).
A partir de ce moment, il ne s'occupa plus, jus-
qu'à sa mort, que de réparer les calamités et
les ravages dont ses Etats avaient tant souffert.
Devenu de plus en plus dévot, il fonda un grand
nombre d'églises et de monastères, et peupla
son duché de jésuites, de franciscains, de ca-
pucins, etc., qu'il combla de richesses. —
MAXIMILIEN-EMMANUEL, petit-fils du précé-
dent, né en 1662, mort en 1726, succéda comme
duc et comme électeur à son père Ferdinand-
Marie, en 1679. Gendre de 1 empereur Léo-
pold Iei-j dont il avait épousé la fille Marie-
Antoinette, il le secourut avec une armée de
11,000 hommes lorsque les Turcs firent le
siège de Vienne, se signala par sa bravoure,
et reçut en 1691, en dédommagement des
énormes dépenses qu'il avait faites dans cette
guerre, le gouvernement des Pays-Bas. S'é-
tant allié à la France, lors de la guerre de la
succession d'Espagne, il prit Ulm, Neubourg,
Ratisbonne, fut mis au ban de l'empire, battu
à deux reprises par Joseph Ier, et obligé de
chercher un refuge dans les Pays-Bas. Remis
en possession de la Bavière par le traité de
Bade (1714), il se réconcilia avec l'empereur, lui
envoya un corps de troupes pour combattre les
Turcs, et laissa son duché à son fils CHARLES-
ALBERT, qui prit le titre d'archiduc en 1741, et
fut élu empereur en 1742, sous le nom de
Charles VII (v. ce nom). —MAXIMILIEN-JO-
SEPII, fils du duc électeur Charles-Albert, dont
nous venons de parler, né en 1727, mort en
1777, doit être rangé au nombre des princes
les meilleurs et les plus éclairés delà Bavière.
Agé de treize ans à la mort de son père, qui
était en guerre avec Marie-Thérèse, il fit la
paix en 1745, après avoir été battu à Pfaffen-
hofen et forcé de se réfugier à Augsbourg.
Revenu dans ses Etats, Maximilien, qui avait
reçu une instruction remarquable, ne s'occupa
plus, jusqu'à sa mort, qu'à gouverner sagement
et à rétablir la prospérité' dans l'électorat.
Après avoir réduit l'effectif de l'armée, di-
minué les dépenses de la cour, avisé aux
moyens d'éteindre la dette publique, réformé -
la justice et la police, il s'enorça par tous les
moyens de faire refleurir l'agriculture, de dé-
velopper l'industrie et d'étendre l'exploitation
des mines. Protecteur éclairé des sciences,
des lettres et des arts, il fonda l'académie des
sciences de Munich, établit la liberté de con-
science, diminua le nombre des couvents, et
expulsa les jésuites. Comme on lui demandait
un jour de bannir un certain nombre de libres
penseurs, dont on lui signala les noms : « Mais
ce sont précisément les meilleures têtes de
mes Etats » répondit-il. En lui s'éteignit la
ligne directe des Wittelsbach, car il mourut
sans postérité, laissant'son duché à Charles-
Théodore, prince de Sultzbach, représentant
de la branche palatine. — CHARLES-THÉODORE,
né en 1724, mort en 1799, était, depuis 1742, en
possession des duchés de Juliers et de Berg,
et, comme le précédent, il n'avait cessé de
s'occuper de l'amélioration matérielle et in-
tellectuelle de ces duchés. C'est lui qui fonda
à Manheim une académie de dessin et de
sculpture en 1757, une académie des sciences
et un cabinet d'antiquités en 1763, et qui em-
bellit le palais de cette ville. Appelé, en vertu
du traité de Westphalie, à succéder à Maxi-
milien-Joseph, il fut proclamé duc et électeur
de Bavière en 1777. Cependant l'Autriche pré-
tendit avoir des droits sur la basse Bavière, et
se prépara à envahir l'électorat. Le roi de
Prusse Frédéric II se déclara pour l'électeur.
La guerre allait éclater, quand la paix fut si-
gnée à Teschen, en 1779. Charles-Théodore
garda la Bavière et l'électorat du Rhin, pen-
dant que l'Autriche entrait en possession d'une
partie de la basse Bavière. Comme Charles
était sans enfants, l'empereur Joseph II, qui
désirait agrandir ses Etats de la Bavière, lui
proposa d échanger ce duché contre les Pays-
Bas autrichiens, avec le titre de roi de Bour-
gogne ; mais le duc de Deux-Ponts, l'héritier
présomptif de l'électeur, s'opposa à cet arran-
gement et obtint, grâce h l'intervention de la
Prusse, qu'il n'aurait pas lieu. Le duc Charles-
Théodore, habilement secondé par le comte
de Rumford, administra ses Etats avec sagesse,
s'occupa de l'amélioration du sort du peuple,
et des indigents, en faveur desquels il fonda
plusieurs établissements philanthropiques ;
mais il poursuivit avec une certaine rigueur
l'ordre des illuminés, qui venait de prendre
naissance en Bavière, et suspendit presque
entièrement la liberté de la presse. Les der-
nières années de son règne furent troublées
par la guerre qui éclata en 1793. Etant entré
dans la coalition contre la France, Charles-
Théodore vit le Palatinat envahi et ravagé par
une armée de la République, et mourut sans
postérité au milieu de cette crise. En lui s'é-
teignit la ligne de Sulzbach, de la maison pa-
latine, et il eut pour successeur Maximilien-
Joseph, duc de Deux-Ponts. — MAXIMILIEN-
JOSEPH, mort en 1S25, et le premier roi de
Bavière, était duc de Deux-Ponts lorsqu'il
succéda au précédent en 1799. Il prit le titre
d'électeur au moment où ses Etats étaient le
théâtre de la guerre qui se termina le 9 février
1801 par la paix de Luné ville. Par cette paix, la
Bavière perdit toute la rive gauche du Rhin,
dont s'empara la France, ainsi que le Palatinat,
situé sur la rive droite, qui agrandit les do-
maines de l'électeur de Bade; mais, en com-
pensation de ces pertes, elle s'agrandit d'un
territoire d'environ 100 myriamètres carrés,
comprenant 21,600 hab., détaché de l'empire
allemand. La situation de l'électorat entre l'Au-
triche et Ja France donnaà son alliance une im-
portance réelle dans la guerre qui éclata entra
les deux pays. Lors de la guerre de 1805, l'Au-
triche entama des négociations avec la Bavière,
afin qu'elle lui apportât l'appoint de ses forces.
Mais l'électeur, voyant de quel côté penchait
la fortune, s'empressa de grossir l'armée fran-
çaise d'un contingent de 30,000 hommes. Cette
conduite eut pour résultat, quand la paix fut
conclue à Presbonrg, de faire concéder à la
Bavière un territoire de 500 milles carrés géo-
graphiques, et, pour s'attacher définitivement
son allié, Napoléon donna à Maximilien-Joseph
le titre de roi. Cette alliance fut resserrée da-
vantage encore, peu de temps après, par le
mariage du prince Eugène, nommé vice-roi
d'Italie, avec la fille de Maximilien. A l'occa-
sion de ce mariage, le roi de Bavière échangea
avec la France la principauté de Berg contre
le territoire d'Anspach , et entra le G juil-
let 1806 dans la Confédération du Rhin, en
prenant l'engagement de fournir pour la dé-
fense commune un contingent de 30,000 hom-
mes. Après avoir soumis les possessions de la
noblesse immédiate de l'empire enclavées dans
ses Etats, la Bavière se battit avec la France
contre la Prusse (1806) et contre l'Autriche
(1809), et reçut encore un agrandissement de
territoire , principalement aux dépens de
cette dernière puissance. L'année précédente
(ier mai 1808), une constitution qui, du reste
ne fut jamais qu'une lettre morte, avait été
promulguée, dans le but d'unifier sous un ré-
gime commun l'ancien électorat, les évêchés
soumis à la sécularisation et les Etats annexés.
D'après cette constitution, la diète devait se
former dû députés, élus dans chaque cercle
pou* six ans par les deux cents plus forts im-
posés, système qui créait une représentation
nationale purement chimérique. Quand, après
avoir fourni un corps d'armée à Napoléon pour
la désastreuse campagne de Russie, Maximi-
lien comprit que c'en était fait de la fortune de
l'empire, il se rapprocha de l'Autriche, rompit
avec la Confédération du Rhin, se fit assurer
par le traité de Reid toutes ses possessions
(8 octobre 1813), et mit son armée à la dispo-
sition des souverains coalisés. Le général ba-
varois Wrède, réunissant ses troupes à un
corps autrichien, se battit àllanau contre les
Français. Pendant les Cent-Jours, le prince
Louis, depuis roi de Bavière, se mit en per-
sonne à la tête des Bavarois. Par ses évolu-
tions habiles, Maximilien-Joseph sut conserver
son titre de roi, sa souveraineté indépendante
et l'intégrité de son territoire, sauf quelques
modifications. Ainsi, par le traité de Paris
(30 mai 1814), il céda a l'Autriche le Tyrol et
le Voralberg, et reçut en échange les duchés
de Wurtzbourg et d'Aschaffenbourg; par le
traité du 14 avril 1816, il abandonna à l'Au-
triche le Hausrucks-Viertel, l'Inn-Viertel, la
principauté de Salzbourg, sauf quelques bail-
liages et, entre autres, le bailliage de Vils,
moyennant le cercle actuel du Rhin, la prin-
cipauté de Fulde et divers bailliages, avec la
possession du palatinat du Rhin en cas d'ex-
tinction de la ligne mâle des grands-ducs de
Bade. Après avoir passé, en 1817, un concor-
dat avec le pape, le roi de Bavière accorda à
ses Etats (26 mai 1818) une constitution qui
ouvrit une ère nouvelle dans la vie politique
de ce pays. Pendant que la chambre élective
se signalait par ses idées libérales et par son
sincère désir de fonder des institutions con-
stitutionnelles sérieuses, la chambre haute
s'efforçait de paralyser " toute tentative de
réforme, en agitant l'éternel fantôme de la
révolution. Quoi qu'il en soit, la discussion
dans les chambres amena le gouvernement
à équilibrer le budget, à s'occuper de l'amor-
tissement de la dette, des intérêts de l'agri-
culture, et à préparer une réforme dans la
procédure et dans l'organisation judiciaire.
C'est au moment de cette réaction dans Je sens
des idées libérales, dont le souffie traversait
alors l'Europe (1825), que mourut le roi Maxi-
milien-Joseph, et que son fils Louis 1er monta
sur le trône. — Louis 1er (Charles-Auguste),
roi de Bavière, né à Strasbourg en 1780, mort
en 1868, est le fils du précédent. Il eut pour
parrain le roi Louis XVI, qui lui fit pré-
sent d'une charge de colonel et d'une pen-
sion de 12,000 livres. Lorsque éclata la Révo-
lution, son père Maximilien-Joseph, comto
palatin de Deux-Ponts et colonel au service
de la France, se rendit en Allemagne avec sa
famille. Le jeune Louis fut mis entre les mains
d'un prêtre, chargé de commencer son éduca-
tion, et compléta ses études en suivant les
cours des universités de Landshut et de Gœt-
tingue (1803), où il eut, entre autres profes-
seurs, les célèbres Blumenbach et Martcns. Il
s'y fit remarquer nar son application, par son
goût pour la poésie et par l'affabilité de ses
manières. Un voyage qu'il fit en Italie, de
1S04 à 1805, lui inspira pour les arts une pas-
sion qui ne le quitta plus. Lorsque son père,
électeur de Bavière depuis 1799, eut reçu de
Napoléon, en 1806, le titre de roi, Louis, devenu
prince royal héréditaire, fut nommé général
de division. Il prit part dans l'armée bavaroiso
à la guerre de 1806, se distingua, l'année sui-
vante, dans les combats qui eurent lieu près do
Pultusk, se battit en 1809, sous les ordres du
maréchal Lefebvre, contre l'Autriche, et reçut,
après la bataille d'Abensberg, les félicitations
de Napoléon. Cette même année, il se maria
405
avec Thérèse deSaxe-Hildburghausen, reçut
le gouvernement des cercles de la Salzach et
de l'Inn. et resta à Salzbourg pendant la cam-
pagne de Russie. Bien que la Bavière dût à
son alliance avec la France son érection en
royaume et un accroissement énorme de ter-
ritoire, et bien que Napoléon se fût toujours
montré d'une bienveillance extrême envers le
prince Louis, celui-ci dissimulait avec peine
son ardent désir de voir briser le joug étranger
qui pesait sur l'Allemagne. Lorsque la grande
armée fut presque anéantie dans la désastreuse
campagne de Russie, et que la fortune parut
enfin délaisser l'empereur jusqu'alors victo-
rieux, le gouvernement bavarois abandonna'
l'alliance de la France pour celle de l'Autriche,
avec laquelle elle passa le traité de Reid (1813).
Le prince Louis se chargea d'organiser la ré-
serve bavaroise, appela, dans une proclama-
tion, le peuple à se lever contre Napoléon, se
rendit à Paris en 1814, assista au congrès de
Vienne, demanda en vain, pendant les Cent-
Jours, un commandement dans l'armée, et
après avoir une seconde fois visité Paris avec
les alliés, il retourna en Bavière, où son père
le tint en quelque sorte à l'écart des affaires.
De 1S15 à 1825, le prince royal s'adonna entiè-
rement k. son goût pour les arts. Il jeta, en
1816, à Munich les fondements de la Glypto-
thèque, chargea, deux ans plus tard, le grand
peintre Cornélius de l'orner de fresques, et
acheta, dans les fréquents voyages qu il fit en
Italie; la plupart des tableaux et des statues
qui sont aujourd'hui le plus bel ornement des
musées de Munich. Appelé a. succéder à son
père le 12 octobre 1825, sous le nom de Louis Ier,
le nouveau souverain fit naître, au début de son
règne, les plus belles espérances. Il abolit la
censure pour toutes les feuilles non politiques,
supprima les jeux de hasard et la loterie, opéra
des réformes et des économies dans l'admi-
nistration civile et militaire, diminua les droits
de douane et de péage, augmenta, le traite-
ment des instituteurs, ordonna la suppression
de la juridiction militaire en matière civile,,
créa une école polytechnique, transféra à Mu-
nich l'université de Landshut, et se prononça
pour l'indépendance des Grecs, auxquels il
envoya plus de 100,000 florins (1826). C'est
également dans ces premières années que le
roi Louis, voulant faire de Munich l'Athènes
moderne, chargeait Ohmùller, Gaertner,
Klenze, etc., d'élever dans cette ville des mo-
numents, dont il confiait la décoration aux plus
grands artistes de l'Allemagne moderne, ayant
à leur tête le peintre Cornélius et le sculpteur
Schwanthaler. Parmi ces monuments, nous
citerons la Glyptothèque, la Pinacothèque,
l'Odéon, le Palais-Royal, l'Université, la Bi-
bliothèque, les Arcades, l'Obélisque éTigé en
mémoire des Bavarois morts en 1813, la porte
de la Victoire, enfin de nombreuses églises,
notamment la basilique de Saint-Bonifàce. On
lui doit également le Valhalla, sorte de pan-
théon construit près de Ratisbcnne, en l'hon-
neur de tous les héros de la Germanie. Enfin,
c'est grâce à lui que se forma cette école ar-
tistique de Munich, qui tient un rang si élevé
dans l'art moderne. Tout en se livrant, en fa-
veur des beaux-arts, à ces intelligentes prodi-
galités, le roi Louis ne né'gligea point ce qui
pouvait être utile k la prospérité matérielle de
son royaume. C'est lui (jui lança le premier
bateau à vapeur qui ait sillonné le lac do
Constance; qui fit construire le canal de Lud-
wig (1833-1847), qui met en communication le
Mein et le Danube, c'est-à-dire la mer du/
Nord et la mer Noire ; qui établit le premier
chemin de fer qu'ait possédé l'Allemagne, celui
de Nuremberg à Furth (1835). On lui doit éga-
lement le traité de commerce avec la princi-
pauté de Hohenzollern et le Wurtemberg, l'en-
trée de la Bavière dans le Zollverein (1833),
la création d'une banque hypothécaire, la
fondation de la ville de Ludwigshafen, etc. Si,
comme on le voit, il y a beaucoup à louer dans
les mesures adoptées par le roi Louis, il n'en
saurait être ainsi lorsqu'on examine la ligne
qu'il a suivie en politique, et qui devait amener
sa chute*Très-attaché par son éducation pre-
mière au catholicisme, il ne tarda pas à se
laisser dominer complètement par le parti ul-
tramontain. Il favorisa a tel point l'établisse-
ment des ordres religieux et des couvents en
Bavière, que leur nombre doubla en peu d'an-
nées et que l'influence cléricale ne tarda pas
à devenir prépondérante dans l'Etat. La révo-
lution qui éclata à Paris en 1830 n'exerça
d'influence en Bavière qu'en éveillant dans
les esprits un plus grand désir de liberté. To-
talement dominé par les prêtres, le roi Louis,
loin de consulter l'opinion et de satisfaire aux
légitimes exigences de la nation, devint le
champion de toutes les idées réactionnaires.
Esprit à courtes vues, nature essentiellement
impressionnable, caractère incertain et, par
suite, toujours dominé, le roi usa d'abord de
tempéraments; mais lorsqu'il crut pouvoir
sans péril recourir à des mesures compres-
sées, il sévit contre la presse, dont la liberté
effrayait le clergé, et, sortant de toute léga-
lité, il força les orateurs les plus hardis du
Jiarti libéral, dans la chambre élective, à quit-
ter le pays, jeta en prison un certain nombre
d'entre eux, notamment Volkhardt, Behr, Ei-
senmann, et contraignit quelques autres à faire
amende honorable devant son portrait. Après
le sanglant conflit qui éclata a Neustadt entre
l'armée et les citoyens, à l'occasion de l'anni-
versaire de la fête de Hambachjil se produisit
dans l'esprit public comme une sorte de lassi-
tude, et la réaction parut définitivement triom-
pher. Le parti ultramontain, devenu complè-
tement maître de la situation, s'empara
ouvertement des affaires en 18?7. M. d'Abel,
transfuge du parti libéral, sans appui dans le
pays, mais soutenu par les jésuites, dont il
était devenu l'instrument docile, fut mis, à cette
époque, à la tête du pouvoir comme premier
ministre. C'est alors que parut une ordonnance
astreignant les protestants à s'agenouiller sur
le passage du saint-sacrement ; que l'on vit les
principes et les»idées les plus extravagantes
du moyen âge préconisées, non-seulement
dans le clergé, mais encore à l'université de
Munich ; que l'on rétablit l'ordre des bénédic-
tins dans le but de leur livrer peu à peu l'in-
struction de toute la jeunesse ; et bientôt l'on
put constater que, de 1831 à 1840, le nombre
des couvents s'était élevé de quarante-deux à
cent cinq. L'oppression morale qui pesa sur le
pays fut des plus lourdes, et dura dix ans. La
chambre haute elle-même, jusqu'alors opposée
à toutes les mesures libérales, sentit qu if était
temps de secouer ce joug écrasant. Un de ses
membres les plus influents, le prince de Wal-
lerstein, proposa de mettre le ministre d'Abel
en accusation, et une proposition du même
genre fut présentée à la chambre élective
(1847). Cependant le ministre semblait devoir
résister k toutes les attaques, quand la cir-
constance la plus frivole vint le renverser du
pouvoir. Pendant l'automne de 1846, une dan-
seuse des plus médiocres, Lola Montés, avait
fait ses débuts sur le théâtre de Munich. Le
monarque sexagénaire s'éprit d'une passion si
vive pour la ballerine, qu'il devint l'esclave
soumis de toutes ses volontés. Le parti ultra-
montain essaya, dit-on, de gagner à sa cause
Lola Montés ; mais celle-ci, qui voulait do-
miner et qui n'avait nul goût, à cette époque,
pour les intrigues de sacristie, repoussa ces
offres, se fît nommer comtesse de Lansfeld par
son royal amant, et se prononça contre le mi-
nistre d'Abel, qui se vit forcé de donner sa
démission (13 février 1847). L'avènement du
cabinet Berks-Wallerstein rendit la danseuse
souveraine absolue de la Bavière, et la favo-
rite ne mit plus de bornes ni à ses exigences,
ni à ses excentricités publiques*. Une répro-
bation universelle contre un pareil état de
choses ne tarda pas à se manifester. Ultra-
montains et libéraux, noblesse et bourgeoisie,
pour la première fois sans doute, se mon-
trèrent réunis dans une opinion commune. On
vit se produire alors des manifestations pu-
bliques, auxquelles les étudiants de l'université
de Munich prirent une large part. Le roi, ou
plutôt Lola Montés, suspendit les cours par un
décret du 9 février 1848. Ce décret porta à
son comble l'effervescence populaire, et des
manifestations d'un caractère beaucoup plus
grave se produisirent, non-seulement a Mu-
nich , mais dans les principales villes du
royaume. Effrayé de ce soulèvement, le roi se
vit contraint de rapporter son décret le 11 fé-
vrier, et sa maîtresse, ne pouvant plus tenir
tête à l'orage, quitta le royaume. Sur ces entre-
faites, la révolution de Février éclata k Paris. Le
ministère, pour conjurer ledangerde lasitua-
tion, fit paraître, le 16 mars, un manifeste pro-
mettant les réformes réclamées 'par le parti
libéral. Ces réformes parurent alors-insuffisan-
tes à l'opinion publique, et Louis, découragé,
se retira de la lutte en abdiquant, le 20 mars
1848, en faveur de son fils Maximilien. Depuis
cette époque, le roi Louis a vécu dans la re-
traite, soit en Italie, soit dans ses résidences
de Bavière, consacrant ses dernières années
à la culture des lettres et de la poésie, qui
avait été la première passion de sa jeunesse.
Il a publié, sous le titre de Gedichte, poésies,
(Munich, 1829 et 1839), quatre volumes de
vers qui, lors de leur apparition, ont été beau-
coup trop vantés, a Ces vers ne donnent prise
ni a la critique, ni à l'élog'e, dit M. Louis
Spach. La pensée y est a peu près sans éclat,
comme sans fraîcheur. De loin en loin, parmi
les souvenirs d'Italie, on découvre quelque
perle mal enchâssée ; dans les vers didactiques,
on trouve la marque d'un bon naturel qui veut
sincèrement le bien et qui cherche, â sa ma-
nière, h répandre autour de lui une atmosphère
de bonheur; mais, en général, dans les pro-
duits de la muse royale, il n'y s point d'origi- -
nalité réelle : ce sont des réminiscences ou
des lieux communs. » M. Ducket a traduit en
français le premier recueil de ces poésies
(Paris, 1829-1830, 2 vol.). En J843, l'ex-roi a
fait paraître un ouvrage en prose, sous le titre
de Walhalla's Genossen (les Compagnons de
Walhalla.). — MAXIMILIEN II (Joseph), roi de
Bavière, né en 1811, mort en 1864. Il eut pour
maître le célèbre philosophe Schelling, et, après
avoir passé trois ans à l'université de Gcet-
tingue (1829-1831), il compléta son éducation
par des voyages, notamment en Italie, qu'il
visita à plusieurs reprises, et en Grèce, où il
se rendit lorsque son frère Othon fut appelé
à gouverner ce pays. Nommé major-général
en 1830, il épousa, en 1842, Frédérique-Fran-
çoise, princesse de Prusse; mais il resta à* l'é-
cart des affaires publiques jusqu'au 21 mars
1848. Appelé alors à monter sur le trône, par
suite de l'abdication de son père, Maximilien,
comme tous les nouveaux souverains, inaugura
son règne par quelques mesures libérales, dont
l'état des esprits, du reste, lui faisait une né-
cessité. En ouvrant les chambres, le lende-
main de son avènement, il proclama une am-
nistie générale pour tous les crimes et délits
politiques, et annonça une extension dans le
droit de suffrage. La chambre élective, d'ac-
cord avec le pouvoir exécutif, vota une série
de lois modifiant la législation générale, abo-
lissant les corvées et les fiefs, introduisant la
procédure orale et publique dans les affaires cri-
minelles, établissant la responsabilité ministé-
rielle et l'initiative parlementaire, déterminant
et assurant la liberté de la presse, etc. Quel-
ques-unes de ces lois furent aussitôt mises en
vigueur; mais, dès 1849, après la répression
des troubles qui éclatèrent dans le Palatinat,
la réaction reprit le dessus, et le ministre Pford-
ten s'empara de la direction des affaires. Le
pouvoir commença par demander l'expulsion
d'un certain nombre de députés libéraux, et
prononça la dissolution de la chambre. La
nouvelle diète s'empressa de s'associer aux
idées rétrogrades du ministère. Elle restreignit,
ou plutôt annihila la liberté de la presse et la
liberté d'association, vota des lois de haute
police, qui mettaient entre les mains du gou-
vernement des pouvoirs exorbitants et lais-
saient libre carrière k tous les genres d'arbi-
traire; elle acclama une amnistie dérisoire,
tant elle était restrictive, pour les crimes et
délits politiques commis depuis 1848. De son
côté, la chambre haute, plus rétrograde encore
Sue la chambre élective, repoussa un projet
e loi pour l'émancipation des juifs. En même
temps, les professeurs ultramontains Stepp ,
Lassaulx, Hoefler, etc., remontaient dans leurs
chaires à Munich; une assemblée d'évêques,
réunie à Freiseignen (1850), étalait au grand
jour toutes les exigences cléricales; les fonc-
tionnaires suspectés d'attachement à la liberté
étaient révoqués; les écrivains libéraux se
voyaient contraints à quitter le pays; enfin,des
procès multipliés venaient frapper et réduire
au silence les feuilles indépendantes. Cepen-
dant le roi Maximilien, qui, par sa nature, était
porté vers la modération, et pour qui sans doute
la chute de son père n'avait pas été une leçon
inutile, crut prudent de s'arrêter dans cette
vqie déplorable. Il proposa et fit voter aux
chambres, en 1855, deux projets de lois qui re-
posaient depuis 1848 dans les cartons du mi-
nistère , l'un qui soumettait indistinctement
toutes les professions à l'impôt, l'autre qui
établissait un impôt progressif sur le revenu.
Tout en favorisant les intérêts catholiques, il
se dégagea ouvertement de l'influence ultra-
montaine ; enfin, grâce à une longue paix, l'a-
griculture, le commerce et l'industrie prirent
sous son règne un puissant essor. En ce qui
concerne les affaires étrangères, la politique
de la Bavière présente également peu d'unité
et d'ampleur de vues. Après avoir été, en
1848, partisan du pouvoir central allemand, le
gouvernement de Maximilien déclara tout à
coup s'en référer k l'état de choses établi par
les traités de 1815, chercha à jouer un rôle
de médiateur entre la Prusse et l'Autriche,
puis il éleva ses prétentions plus haut et rêva
de. constituer une sorte de triade chargée de
gouverner l'Allemagne, et dont, naturellement,
*il voulait faire partie. Il entama dans ce but
des négociations avec la Prusse et l'Autriche,
son alliée naturelle. De ces négociations labo-
rieuses naquit, le 27 février 1850, le projet dit
des trots rois, qui proposait d'établir un pou-
voir central, composé de trois puissances et
d'une représentation nationale des plus limi-
tées. Ce projet mort-né excita, dans toute l'Al-
lemagne, une réprobation générale, qui se ma-
nifesta énergiquement même en Bavière. Le
roi Maximilien se décida alors à demander le
rétablissement pur et simple de l'ancienne
diète fédérale. Lors de la guerre d'Orient, il
cruî prudent de ne point se prononcer, dans
l'intérêt de son frère Othon, roi de Grèce ;
mais il n'en fut point ainsi quand éclata la
guerre d'Italie, en 1859. Lorsque l'Autriche eut
été battue et chassée de la Lombardie par les
armées de la France et du Piémont, Maximi-
lien de Bavière fut un des premiers, en Alle-
magne, à se déclarer contre la France, et il fit
tous ses efforts pour amener les puissances
allemandes à se réunir à l'Autriche et à mar-
cher contre nous. Depuis cette époque, le gou-
vernement de Maximilien n'a donné signe de
vie, du moins à l'extérieur, qu'en protestant
contre la formation du royaume d'Italie.
Comme son père, le roi Maximilien s'est at-
taché à protéger les lettres et les arts. Il attira
et sut fixer à Munich des hommes éminents,
parmi lesquels il suffit de citer le poète Giebel,
le grand chimiste Liebiç, Siebold, Pfeufer,
Carrière, etc. Initié depuis sa jeunesse, par
Schelling, k la connaissance de la philosophie
moderne, le roi de Bavière entreprit de réfuter
le système de Hegel. Intrépide chasseur de
chamois et grand amateur de voyages, il vi-
sita Naples et la Sicile en 1853, Paris et les
grandes villes de France en 1857, l'Espagne
en 1860, et mourut le il mars 1364, laissant le
trône à son fils Louis II, né en 1845. Aucun
événement important n'est venu signaler en-
core le règne de ce jeune souverain, qui,
comme son père et son grand-père, professe,
dit-on, le goût le plus vif pour les lettres et
les beaux-arts.
BAVIÈRE (BASSE), province administrative
de Bavière, dont le ch.-l. est Pa-^au; superfi-
cie 10,690 kil. carr. ; 54^,556 hab.; entre le
haut Palatinat au N.-O., le cercle de haute
Bavière k l'O. et l'empire d'Autriche au S. et
au S.-E. Le sol de ce cercle est montagneux
au N., et renferme les points culminants du
Bœhmerwald-, ailleurs, le territoire est fertile
en grains de toute espèce et arrosé parle Da-
nube, l'Iser et la Vils. Après l'agriculture, la
principale richesse de ce cercle consiste dans
le tissage des toiles, la fabrication des pote-
ries et des cuirs, l'exploitation des mines de
fer des environs de Passau. Il est divisé en
vingt et un gouvernements administratifs et
deux justices seigneuriales.
BAVIÈRE (HAUTE), province administrative
de Bavière, ch.-l. Munich, superficie 16,940 k.
carr. ; 738,851 hab. Ce cercle, compris entre
celui du haut Palatinat au N., celui de Souabe-
et-Neubourg k l'O., l'empire d'Autriche au S.,
le cercle de basse Bavière et l'Autriche à l'E.,
est couvert par les montagnes les plus éle-
vées du royaume; l'élève de bétail et de che-
vaux, la culture des grains, en sont la princi-
pale richesse. On y trouve des mines de sel et
de fer, des carrières de marbre, d'albâtre, de
pierres meulières et à aiguiser. Cette province
est divisée en trente-sept gouvernements ad-
ministratifs et une justice seigneuriale.
BÀVIÈRE-RHÉNAIVE. V. PAI,ATLVAT.
BAVIÈRE (Jean DE), dit Sans-Pitié, évêque
de Liège au xve siècle. Né avec des passions
violentes, que l'exercice du pouvoir ne fit que
surexciter, cet indigne prélat commit de tels
excès et de tels scandales, que les Liégeois,
poussés à bout, se révoltèrent et le remplacè-
rent par Thierry de Hornes. Jean de Bavière
attaqua alors les Liégeois, les battit à la bataille
d'Othée et se vengea en leur enlevant leurs
libertés et leurs antiques privilèges. Quelque
temps après, il voulut épouser sa nièce, Jac-
queline de Bavière, qui repoussa avec indi-
gnation ce projet et ne tarda pas à subir les
effets de son ressentiment. Jean de Bavière
se fit céder pour douze ans la Hollande par le
duc Jean, qui épousa Jacqueline, puis il quitta
son évêché de Liège et se maria avec la veuve
du duc Antoine de Bourgogne, son ancien
allié contre la France. On doit dire, k l'hon-
neur do Jean de Bavière, qu'il encouragea
Jean Van Dyck a ses débuts et le nomma son
« premier painctre et varlet de chambre. »
C'est une heureuse et importante trouvaille
faite récemment par M. de Laborde dans les
archives de Bruges.

BAVION
s. m. (foa-vi-on). Mamm. Syn. dje
babouin.

BÀVIUS
versificateur latin, qui s'acharnait
à critiquer toutes les productions de Virgile,
comme Mœvius à critiquer les poésies d'Ho-
race. Leurs noms seraient complètement in-
connus, si Virgile lui-même ne les avait cités
dans ce vers d'une de ses églogues :
Qui Bavium non odit amet tua carmina, Alœvi.
On croit que Bavius mourut dans la Cappa-
doce, vers l'an 34 av. J.-C.

BAVO
nom ancien d'une petite lie de l'A-
driatique, sur la côte de Dalmatie, auj. Bua.
Cette île fut un lieu de détention sous les em-
pereurs romains.

BAVOCHÉ
ÉE. (ba-vo-ché) part. pass. du
v. Bavocher : Planche BAVOCHÉE. Contour BA-
VOCHÉ. Epreuve BAVOCHÉE.

BAVOCHER
v. a. ou tr. (ba-vo-ché — rad.
baver.) Grav. ettypogr. Imprimer d'une façon
peu nette, maculer le contour des lettres ou
du dessin : BAVOCHER une estampe, une feuille
d'impression.
— Absol. Donner des épreuves bavochées :
La planche BAVOCHE.
— Techn. Salir, tacher de jaune^ tacher le
blanc destiné à recevoir l'or, ce qui laisse une
tache par transparence : BAVOCHER un cadre.
— Peint. Produire des contours indécis et
sans fermeté : Quel moment douloureux que
celui où le pinceau incertain BAVOCHE sur la
toile.' (Th. Gaut.)
— Rem. Tous les dictionnaires, à l'exemple
de celui de l'Académie, font ce verbe essen-
tiellement neutre; mais, par une double.con-
tradiction, ils en donnent une définition ac-
tive et admettent l'emploi du participe passé
comme adjectif; or, si l'on peut avoir des
feuilles bavochées, il faut nécessairement que
l'on puisse bavocher des feuilles.

BAVOCHEUX
EUSE adj. (ba-vo-cheu, eu-
ze — rad. bavocher). Néol. Qui a des bavo-
chures ; dont le contour est peu net, maculé :
Aimes-tu mieux les amateurs gui se donnent
des airs artistes en n'adorant que les peintures

BAVOCHEUSES?
(Jam. Rouss.)

BAVOCHURE
s. f. ( ba-vo-chu-re — rad.
bavocher). Défaut d'un ouvrage bavoche : Les

BAVOCHURES
d'une estampe, d'une page d'im-
primerie.
— Peint. Défaut de précision, de netteté
- dans les contours d'une peinture : Cette cer-
titude de main lui permettait de peindre très-
vite, sans tomber dans le désordre, les BAVO-
CHURES, le gâchis et le tumulte de l'esquisse.
(Th. Gaut.)

BAVOIR
s. m. (ba-voar— rad. baver). Ba-
vette pour les tout petits enfants : Elle avait
toujours soin de garantir le tablier de ses en-
fants par un BAVOIR épais. (L.-J. Larcher.) Les

BAVOIRS
doivent être en étoffe douce. (L.-J.
Larcher.)

BAVOIS
s. m. (ba-voa — de baviardus, se-
lon Du Cange). Féod. Ancien terme de mon-
naie \ c'était la feuille de compte où l'on
inscrivait l'évaluation des droits do seigneu-
riage, brassage; faiblage, etc., selon le prix
courant, prescrit par le prince, pour l'or, l'ar-
gent, le billon en œuvre ou hors d'œuvre. II
On dit aussi BAVOUER.

BAVOLER
v. n. ou intr. (ba-vo-lé — rad.
bas et voler). Fauconn, Voler bas. Il Vieux mot.
406

BAVOLET
s. m. (ha-vo-lô — rad. bavoler,
qui a signifié voltiger). Petite coiffe de pay-
sanne : Laissez-moi mon BAVOLET, avec mon
teint fleuri; je vous laisserai vos cent ans avec
la mort qui vous talonne. (Fén.) Nous nous
plaisions à voir ces femmes du peuple, coquettes
et coquettement vêtues, qui se promènent, le BA-
VOLET au vent. (A. Jal.j
— Par ext. Paysanne :
Loin de la cour, je me contente D'aimer un petit bavotet. BOISROBERT.
— Par anal. Pièce d'étoffe ou ruban qu'on
fixe derrière un chapeau ou à.un bonnet de
dame, et qui couvre la nuque.

BAVOLETTE
s. f. (ba-vo-lô-te — rad. bavo-
let). Fam. Paysanne : Elle a l'air d'une BAVO-
LETTB bien gentille, là-dessous. (P. de Muss.)

BAVON
ou (saint), né près de Liège,
en Brabant, vers 589, mort en 657, apparte-
nait à une noble, et riche famille, et avait pour
véritable nom Allowyn. Doué d'une imagina-
tion vive et de passions ardentes, il se maria
de bonne heure, se livra à la débauche et à
toutes sortes de déportements, et causa à sa
femme de tels chagrins, qu'elle en mourut.
Cette mort, jointe a l'impression produite sur
lui par un sermon de saint Amand, lui fit chan-
ger subitement de conduite. Tombant dans
l'excès opposé, il s'enferma dans une retraite
profonde, se choisit pour asile un tronc d'ar-
bre creux, puis se fit une cellule dans la forêt
de Malmedon, et, après avoir ainsi vécu quel-
que temps, n'ayant pour nourriture que des
Herbes sauvages, il se rendit au monastère de
Saint-Pierre de Gand, où il se faisait par pé-
nitence, déchirer les épaules à coups de fouet.
Saint Floribert, abbé de ce monastère, l'auto-
risa à vivre dans un bois voisin. Il s'y bâtît
une cellule, et imagina de réciter ses prières
debout, en portant, attachée sur, son épaule,
une pierre énorme, en sorte qu'il ne pouvait
ni s'appuyer ni se pencher d'aucun côté. Il
termina sa vie dans cette solitude. Soixante
gentilshommes, entraînés par son exemple,
se consacrèrent aux exercices de la péni-
tence, firent bâtir a Gand l'église qui porte son
nom et qui fut desservie par des chanoines.
Saint Bavou, dont la fête se célèbre le 1er oc-
tobre, est devenu le patron de Gand et celui
de Harlem, en Hollande.
BAVOUER. "V. BAVOIS.

BAVOUX
(François-Nicolas), jurisconsulte
et homme politique français, né à Saint-Claude
en 1774, mort en 1848. Professeur suppléant
de droit et juge au tribunal de la Seine sous
l'Empire, il devint, en 1819, professeur titulaire
do droit criminel. Des leçons qu'il fit à cette
époque sur la mort civile des émigrés et sur
la confiscation de leurs biens donnèrent lieu,
entre les étudiants libéraux et les étudiants
royalistes, à des diseussions qui prirent bien-
tôt les proportions les plus graves, et faillirent,
grâce a l'intervention des gardes du corps, dé-
générer en conflits sanglants. Le cours de
Bavoux fut suspendu, et le professeur pour-
suivi criminellement pour la tournure qu'il
avait donnée à ses leçons; mais, défendu par
Persil etDupln, il fut acquitté et vit l'accusa-
tion se changer pour lui en triomphe. Elu,
quelque temps après, député de la Seine, il fit
partie de l'opposition, accueillit la révolution
de 1830 comme une ère libératrice, fut nommé
préfet de police, le 29 juillet, puis conseiller à
la cour des comptes; mais, dès qu'il vit le
nouveau gouvernement entrer dans la voie de
la réaction, il reprit sa place dans l'opposition
et combattit, comme député du Jura, les me-
sures proposées par le pouvoir contre la li-
berté. On a de Nicolas Bavoux plusieurs ou-
vrages, notamment : Leçons préliminaires sur
le code pénal (Paris, 1821); Des Conflits ou
empiétements de l'autorité administrative (Pa-
ris, 1S29) ; Conseil d'Etat, conseil royal, cham-
bre des pairs (Paris, 1838). Il a publié, avec
Loiseau : Jurisprudence du code civil, recueil
des arrêts, etc. (Paris, 1803-1814, 22 vol.); le
Praticien français (1805-1812, 8 vol.); Juris-
prudence des cours de cassation et d'appel sur'
la procédure civile et commerciale (1808-1809,
3 VOl..).
BAVOUX (Kvariste), homme politique, fils
du précédent, né à Paris en 1809, étudia le
droit, et se fit inscrire au barreau de Paris en
1834. Après la révolution de Février, les élec-
teurs de Seine-et-Marne le nommèrent repré-
sentant à la Constituante, puis à la Législa-
tive, où il vota généralement avec la droite;
enfin, an Corps législatif, après le coup d'Etat.
Il a été appelé, depuis lors, à faire partie du
conseil d'Etat. On a de lui : Philosophie poli-
tique (1840); Alger, voyage politique et des-
criptif (1841 et 1843); Études diverses de lé-
gislation, de politique et de morale (1843); Du
Communisme en Allemagne et du radicalisme
en Suisse (1851).

BAVURE
s. f. (ba-vu-re — rad. baver). Par-
tie saillante laissée sur une pièce moulée, à
l'endroit des joints du moule : Enlever les

BAVURKS
au ciseau.

BAWR
(Alexand .-Sophie COURY DE CHAMP-
GRAND, M"ic PE), auteur dramatique et roman-
cière, née àStuttgard (Wurtemberg) en 1773,
morte a Paris a la fin de décembre 1860. Issue
d'une famille française, cette dame, après
avoir fait de sérieuses études sous la direc-
tion de l'abbé Rose, devint l'élève favo-
rite de Grétry, qui remarqua'en elle une vé-
ritable organisation musicale. Mlle Coury de
Champgrand publia des recueils de romances
qui obtinrent du succès, puis elle épousa le
comte Henri de Rouvroy Saint-Simon, le cé-
lèbre philosophe, qui, pour essayer de réaliser
de séduisantes utopies, dissipa non-seulement
sa fortune personnelle, mais encore celle de
sa compagne. Ce fou sublime divorça avec
elle, en 1801, malgré un amour véritable,
parce que, lui écrivit-il, « les idées étroites et
vulgaires dans lesquelles elle avait été élevée
ne lui permettaient pas de s'élancer avec lui
au-dessus de toutes les lignes connues, et que
le premier homme de ce monde ne devait avoir
pour épouse que la première femme » ; et il
pleurait en déraisonnant ainsi. La comtesse de-
Saint-Simon, douée d'un caractère énergique,
demanda alors au. travail l'oubli de ses rêves
déjeune fille et le pain quotidien, n Son pre-
mier ouvrage, dit Rabbe, devait être un opéra-
comique, dont elle avait fait les paroles^et la
musique ; mais, ne pouvant se résoudre, pour
faire recevoir sa pièce au théâtre Feydeau, à
des démarches qui doivent répugner surtout
à la fierté et à la délicatesse d une femme,
elle préféra l'arranger en comédie, sous le
titre de : Un Petit Mensonge, et le donner au
théâtre Louvois , dirigé depuis peu par Pi-
card, dont elle connaissait l'obligeance et la
bonhomie. » La première représentation de
cette pièce eut lieu le 8 avril 1802 (19 ger-
minal an X). Le Courrier des spectacles en
rendait compte de la façon suivante : « Si
nous proclamions cette petite comédie un chef-
d'œuvre, nous ferions un petit mensonge; si
nous disions qu'elle n'offre rien d'agréable,
nous ferions encore un petit mensonge.La
vérité est qu'il y a des invraisemblances, un
motif forcé de scène ; mais qu'il résulte de là
du comique de situation, qui a forcé d'applau-
dir même ceux que des tirades froides, des
réminiscences et un dénoûraent très-ordinaire
pouvaient le plus indisposer contre l'ouvrage.
Le dialogue offre souvent des traits spirituels
et délicats. Les scènes sont bien filées ; bref,
c'est un début encourageant pour le jeune au-
teur dont cette pièce est le premier ouvrage.
Il a gardé l'anonyme. » Une Matinée du jour,
comédie en deux actes et en prose, représen-
tée la même année, sur la même scène, in-
spira à un journal de théâtres la charmante
boutade suivante : « Traitez un sujet léger,
lisez-le dans les boudoirs, vous obtenez mille
bravos ; votre ouvrage y paraît merveilleux et
à l'instant vous l'apportez au directeur. «Qui
» êtes-vous? je n'ai pas l'honneur de vous
n connaître. —Je suis l'auteur de telle pièce. »
A l'instant, ayez ou non le sens commun, vous
êtes admis presque sur parole. Mais cette ad- !
mission ne suffit pas; il faut encore l'aveu du j
parterre, et, c'est cette sanction surtout qui est l
difficile à obtenir. Hier, il l'a refusée à la pièce i
nouvelle... Le premier acte est tout entier en
conversations futiles;* aussi, l'auteur en a-t-il
fait lui-même la critique, dans cette phrase*
qui est à la fin : « Est-ce qu'on y a parlé de
» quelque chose?... » On ne peut nier, néan-
moins, que cet ouvrage n'annonce de l'esprit :
il y a quelques traits qui ont été applaudis,
mais ils sont noyés dans des conversations qui
n'en finissent plus, et qui répandent sur toute
la pièce un froid qui nuit a son succès. » Le
mélodrame des Chevaliers du lion, repré-
senté'à l'Ambigu-Coniique, en 1804, obtint un
immense succès. L'intérêt était réel, et les
coups de théâtre habilement ménagés.
La comtesse de Saint-Simon se remaria, en
1806, avec le comte de Bawr, jeune seigneur
russe naturalisé en France, et fils du général
de Bawr. Le comte avait un cœur généreux.
Il était candide comme un enfant, et se laissa
exploiter par de soi-disant amis : toute sa
fortune y passa. Il allait obtenir un emploi
lucratif dans l'administration des droits réu-
nis, lorsqu'il fut écrasé, le 9 février 1810, sur
le Pont-Neuf, par une charrette. Mme de
Bawr, qui avait pu espérer un moment que
ses épreuves étaient terminées, reprit la plume
et écrivit la Suite d'un bal masqué, comédie en
un acte et en prose, jouée a la Comédie-Fran-
çaise, en 1813, avec un succès éclatant, dû en
partie au talent de M'le Mars, dont la diction
magique éleva cette humble prose à la hau-.
teur de la poésie. La vogue de cette pièce
s'est prolongée, à Paris et dans les provinces,
pendant plus de trente ans. On a essayé, il y
a quelques années, de reprendre la Suite d'un
bal masqué ; mais la tombe avait fait taire la
voix éloquente de la muse comique. 11 ne res-
tait qu'une œuvre agréable, mais puérile, qui
disparut de l'affiche sans exciter un regret.
La Méprise, comédie en un acte et en prose,
représentée à la Comédie-Française, le 22 no-
vembre 1815, se traîna à grand'peine jusqu'à
la cinquième représentation. « Dès la seconde
scène, observait un contemporain, on voit se
dénouer les deux fils légers de l'intrigue, qui
n'étaient noués qu'en apparence. On retrouve,
dans les détails, la touche délicate de l'au-
teur. 11 y a des scènes agréables, mais point
d'intérêt ni de gaieté. Cependant, le public
s'est montré galant; il n'a pas cru devoir être
sévère pour l'auteur ; il savait que la pièce
était d'une dame, et, s'iln'apas trouvé l'oc-
casion d'applaudir, du moins, il n'a donné au-
cune marque d'improbation. » Mme de Bawr,
découragée, aborda le roman. Auguste et Fré-
déric, publié en 1817, réussit auprès des gens
de goût par un certain mérite de stvle, et in-
téressa le vulgaire, ce qui était le point essen-
tiel pour l'auteur, qui demandait à sa plume le
pain quotidien. Louis XVIII accorda une pen-
sion à la courageuse femme, qui, jusqu'à nos
jours et avec des chances diverses, continua
de tracer modestement son implacable sillon.
Mme de Bawr n'accusa jamais le ciel ni la so-
ciété des angoisses qu'éprouvèrent son âme
et son corps. Elle vieillit obscurément, sans
jalouser les rivales vulgaires qui, trop sou-
vent, lui volèrent, à l'aide de certains moyens,
la faveur des lecteurs. N'ayant jamais eu le
ridicule de se mêler de politique, Ml»e de
Bawr ne chérissait qu'une Altesse au monde...
le travail! Voici la liste des couvres de cette
femme honorable. LITTÉRATURE : Auguste et
Frédéric (1817, 2 vol. in-12); Cours de littéra-
ture ancienne, extrait de La Harpe et dégagé
des parties les plus* abstraites (Paris, 1821,
2 vol. in-18 [Encyclopédie des Dames'X) ; His-
toire de Charlemagne, commençant h. ravène-
ment de Pépin au trône (Paris, 1821, in-18
[Encyclopédie des Dames]); Histoire de la
musique (1823, in-12 [Encyclopédie des Da-
mes]); le Novice (1829, 4 vol. in-12); Raoul ou
l'Enéide (1832, in-8<*) ; Histoires fausses et
vraies (1834, in-8°); Les Flavy, roman du
xve siècle (1838, 2 vol. in-8«); la Fille d'hon-
neur (1841, 2 vol. in-8o) ; Robertine (1842,
in-82 vol. in-8°); le Petit faiseur de tours (1846,
in-32); VEnfant paresseux (1846, ïn-32) ; Un
Mariage de finance, roman du xvnic siècle
(1847, 2 vol. in-8°) ; la Famille Récour, roman
du xixe siècle (1849, 2 vol. in-8°) ; Mes Souve-
nirs (1852, in-12); Mémoires d'une héritière,
imité de l'anglais de miss Burney (1852, 5 vol.
in-8o) ; Nouvelles (1853) ;Nouveaux contes pour
les enfants (1855, in-16, Bibliothèque des che- I
mins de fer), traduits en espagnol par Gabrîelle
Valdès (1859); Une Existence parisienne (1859,
3 vol. in-8°); Donato et sa lanterne magique
(1859, in-18). — THÉÂTRE. M111* de Bawr a
donné ses trois premières comédies sous le
pseudonyme de François. Un Petit Mensonge,
comédie en un acte et en prose (théâtre Lou-
vois, 9 avril 1802, reprise à l'Ambigu, sous le
titre de Argent et Adresse, le 12 mars 1819);
Une Matinée du jour, comédie en deux actes
et en prose (théâtre Louvois, 19 mai 1802,
remise en un acte à la seconde et dernière
représentation, le 22 mai 1802); le Rival obli-
geant 7 comédie en un acte et en prose (Am-
bigu, 5 juillet 1803); les Chevaliers du lion,
mélodrame en trois actes, paroles et musique
(Ambigu, 3 juin 1804); le Revenant de Béré-
zule. mélodrame en trois actes {Ambigu, juin
1805) ; le Double 'stratagème, comédie en un
acte et en prose (Ambigu, 23 juillet lSil);
Léon ou le Château de Montaldi, mélodrame
en trois actes (Ambigu, 22 octobre 1811); la
Méprise, comédie en un acte et en prose (Co-
médie-Française, 22 novembre 1815); la Cor-
respondance , comédie en un acte et en prose
(Comédie-Française, 16 janvier 1825), une re-
présentation ; l'Ami de tout le monde, comédie
en trois actes et en prose (Comédie-Française,
6 octobre 182"), retirée après la seconde re-
présentation, o Cette pièce, dit Rabbe, eût pu
rester au théâtre, moyennant quelques cor-
rections, » Charlotte Rrowny comédie en un
acte et en prose (Comédie-Française, 7 avril
1835) : Mlle Mars était chargée du rôle prin-
cipal et aida a la réussite d'une œuvre esti-
mable, mais froide; le Petit commissionnaire,
comédie en un acte et en prose, non repré-
sentée; elle fut publiée dans le journal inti-
tulé : les Jours de congés (1838, Paris, Postel).
Mme de -Bawr, qui avait traversé, dans les
premières années de ce siècle, tous les salons
en renom, aimait à conter une foule d'anec-
dotes sur l'ancienne société, et elle le faisait
d'ailleurs avec un esprit rare, un tact infini et
ce goût parfait, dont le secret semble aujour-
d'hui perdu. Ses écrits révèlent une plume
élégante. Mme Ancelot, dans son intéressant
ouvrage, Un Salon de Paris (1866), nous donne
des détails fort "piquants sur la vie de cette
féconde romancière, détails qu'elle tenait de
l'héroïne elle-même, et que nous résumerons
ici, au risque de quelques répétitions.
Emprisonnée à l'âge de vingt ans, a l'épo-
que de la Révolution, elle plut à un grand
seigneur de la famille de Rohan, enfermé dans
la même prison. On sait quelles étaient les fa-
cilités laissées alors aux prisonniers, dans ces
maisons d'arrêt, dont beaucoup, d'ailleurs,
étaient d'anciens couvents, d'anciens hôtels,
qui n'étaient pas appropriés à cette destina-
tion. Un prêtre se hâta de bénir cette union,
sans doute pouc la légitimer. Or, ce mariage
n'était point valable suivant les lois nouvelles ;
mais la loi divine parut suffisante à ces amants
pressés, qu'un appel du soir pouvait séparer.
Hélas 1 la lune de miel fut courte et l'ivresse
dura peu. Appelé au tribunal révolutionnaire,
le jeune époux fut condamné à mort. Sa veuve
fut naturellement inconsolable pendant un cer-
tain temps ; mais tout s'apaise à la fin, même
et peut-être surtout les douleurs du veuvage.
Mise en liberté, M™e de Bawr chercha, après
la tourmente révolutionnaire, à se rapprocher
de la famille de Rohan, qui l'accueillit avec
bienveillance, mais ne reconnut pas, comme
on le pense bien, son mariage improvisé. Les
besoins de la vie lui firent chercher des res-
sources dans la littérature. Plus tard, elle
épousa Saint-Simon, le célèbre réformateur,
et ce mariage fut encore plus singulier que le
premier. C'était vers la fin du Directoire.
Saint-Simon voulant étudier la société sous
toutes ses faces et commencer la diffusion ,
de ses idées, avait résolu de consacrer sa for-
tune à la formation d'un centre intellectuel et
mondain tout à la fois. Il lui fallait une femme
pour tenir sa maison sur un pied respectable.
et, d'un autre côté, il ne voulait point se lier
irrévocablement, afin de n'être point entravé
dans sa mission d'apôtre. Son ami, le grand
géomètre Poisson, lui donna le conseil d^pou-
ser une femme d'esprit et bien élevée, avec la
singulière convention de divorcer au bout de
trois ans. Mme de Bawr vivait fort maigre-
ment de ses productions littéraires. Elle ac-
cepta cet arrangement, qui fut, à ce qu'il pa-
raît, négocié par Poisson. Après trois années
d'une vie princière, la séparation légale s'ef-
fectua loyalement. L'ex-duchesse ue Rohan
et marquise de Saint-Simon, après'ses deux
mariages provisoires, finit par épouser pour
tout de bon un étranger, M. de Bawr, qui pé-
rit "de mort violente, écrasé sur le Pont-Neuf
par la chute d'une voiture de pierres.

BAXA
s. f. (ba-ksa). Antiq. rom. Sorte do
sandale en petites lanières d'osier tressées.

BAXAS
(CAP DES), autrefois, Noti cornu, c;ip
de l'Afrique orientale, sur la côté d'Aian, par
50 laf. N. et 46° long. E.

BAXTER
(Richard), théologien anglais, non
conformiste, né à Rowdon en 1615, mort en
1691. Etant entré dans les ordres, en 1638, il
fut nommé, deux ans après, ministre a Kid-
derminster, se déclara, à l'époque de l'a guerre,
pour le parlement, devint chapelain d'un régi-
ment de parlementaires, et ne cessa de' se si-
gnaler par son extrême modération. De retour
a Kiddemunster, il se prononça vivement
contre l'acte d'uniformité, ce qui devint pour
lui la source de longues persécutions. Baxter
ne craignit point de reprocher à Cromwell lui-
même sa tyrannie, et contribua, par ses prédi-
cations, au rappel de Charles II, qui lui offrit
le siège épiscopal de Hereford. Il retusa, pour
ne pas se soumettre à l'acte d'uniformité et
pour garder intacte sa liberté de conscience.
Sous le règne de Jacques II, il fut emprisonné
plusieurs fois, dépouillé de ses biens, et il n'en
continua pas moins de prêcher sa doctrine
jusqu'à sa mort. Ce théologien a laissé d'im-
menses travaux répartis dans quatre in-folio,
soixante-treize in-4° et une foule de petits
écrits. Nous citerons : le Repos éternel des
saints ; Appel aux non-convertis, ouvrage qui
eut un succès énorme ; le Livre de famille des
pauvres; la Concorde universelle, projet d'u-
nion entre toutes les Eglises chrétiennes.
BAXTER (Guillaume), philologue et anti-
quaire anglais} neveu du précédent, né à Lan -
luganen 1650, mort en 1723. Ce ne fut que fort
tard et grâce à l'héritage de SOJI oncle, qu'il
put s'instruire; mais, en peu de temps, il ré-
para le temps perdu, étudia les langues an-
ciennes et modernes et devint successivement
recteur au collège deTottenham et professeur
à l'Ecole des marchands, à Londres. Ses prin-
cipaux ouvrages sont : Glossarium antiquita-
tum britannicarum (Londres, 1719) ; une gram-
maire, intitulée De Analogia, seu arte latinœ
linguœ commentariolus (1694), et des éditions
des Œuvres d'Horace et d'Anacréon. Dans la
préface de cette dernière, il traite Tannegui-
Lefèvre, autre éditeur de ce poëte, d'imbécile
et de sot personnage. Il est bon de faire re-
marquer qu'un troisième éditeur d'Anacréon,
Cornélius de Pa\v, renvoie à Baxter les épi-
thètes dont il avait lui-même gratifié Tanne-
gui-Lefèvre.
BAXTER (André), écrivain écossais, né h
Aberdeen en 168G ou 1687, mort en 1750. Il fit
d'abord l'éducation de quelques jeunes gens
appartenant à de riches familles, et voyagea
avec eux sur le continent. Il publia ensuite un
ouvrage qui eut beaucoup de succès et qui
avait vour titre : Recherches sur la nature de
l'âme humaine, où l'immatérialité de l'âme est
démontrée par les principes de la raison et de
la philosophie (2 vol. in-8°). Plus tard, il com-
posa en latin, pour l'usage de ses élèves etde
son fils, le traité : Matho, sive cosmo-theoria,
puerilis dialogus, in quo prima elementa de
mundi ordine et ornatu proponuntur.
BAXTER (William-Edward), voyageur et
homme politique écossais, né en 1825 à Dun-
dee. Après avoir fait ses études au collège de
sa ville natale et à l'université d'Edimbourg,
il voyagea assez longtemps, devint l'associé
de son père, chef d'une maison d'exportation,
et fut envoyé à la Chambre des communes par
le district de Montrose, en 1855. Au parle-
ment, il s'est montré libéral et réformateur.
Il a publié les relations de ses voyages :
l'Orient central et méridional; le Tage et le
Tibre (1848); l'Amérique et les Américains
(1850), etc.

BAXTÈRE
s. f. (ba-kstè-re — de Baxter,
botaniste allemand). Bot. Genre de plantes
de la -famille des asclépiadées, comprenant
une seule espèce, qui est un arbuste du Brésil.
BAY (Alexandre, marquis DE), général es-
pagnol, né à Salins, dans la Franche-Comté,
en 1650, mort à Badajoz en 1715. Nommé
vice-roi de l'Estramadure, en 1705, il défen-
dit vaillamment cette province contre les An*
glais et les Portugais, à l'époque de la guerre
de la succession. Il battit plusieurs fois Gallo-
v/ay, général anglais, faillit même le pren-
dre et fit un moment trembler Lisbonne. En
1710, il passa en Catalogne, fut battu à Aime-
nera et a Saragosse, prit une part brillante à
la victoire de "Villa-Vieiosa, entra en Portugal
en 1712, s'empara d'Elvas, mit le siège devant
Campo-Mayor et, lorsque la paix fut conclue,
il se retira dans son gouvernement, où il
mourut.

£ÀY (DE) :om de plusieurs artistes français
;ontempora.ns. V. DEBAY.
BAYA s. m. (ba-ia). Ornith. Nom vulgaire
d'une espèce de gros-bec.
BAY AD s. m. (ba-iadj. Ichthyol. Nom vul-
gaire d'un bagre, que 1 on trouve dans le Nil.

BAYADE
s. f. (ba-ia-de). Agric Variété
d'orge tardive.

BAYADÈRE
s. f. (ba-ia-dè-re — du portug.
bailadeira, danseuse). Danseuse indienne : II
y a dix ans, le Caire avait des BAYADÈRES pu-
bliques comme l'Inde, et des courtisanes comme
l'antiquité. (Gér. de Nerv.). Les'danses des

BAYADÈRES
étaient, à l'origine, et sont encore
des danses sacrées, étroitement Liées aux anti-
? ues idées théologiques et cosmogoniques de
Inde. (Lamenn.) La danse des BAYADÈRES PSÉ
acconipagnée par des talus, espèces de petits
cylindres qui rendent un son argentin très-
aigu. (Baenelet.)
Viens, nous verrons danser les jeunes bayadères.
V. HUGO.
— Par ext. Danseuse de théâtre : Il lor-
gnait, l'une après l'autre , toutes ces jeunes
BAYADÈRES en sous-ordre, gue l'on nomme figu-
rantes de la danse. (Scribe.) il Personne qui
se livre à la danse : Pour eux, les femmes sont
des BAYADÈRES malfaisantes qu'il faut laisser
danser, chanter et rire. (Balz.)
— Encycl. La bayadère, que l'on s'est habi-
tué à considérer de loin comme un personnage
tenant de la sirène et de l'enchanteresse, est
loin de répondre toujours à la séduisante
image qu'on s'en forme. Les jeunes filles
qu'on désigne sous ce nom générique forment
trois classes distinctes de prêtresses du plai-
sir ; la première seule, qui se recrute dans les
familles distinguées du pays, jouit d'une con-
sidération toute particulière ; elle se compose
de jeunes filles vouées le plus ordinairement,
avant leur naissance, par leurs parents, au
service de la divinité, ou qu'une vocation,
qu'on ne contrarie guère, pousse à devenir
davadasis, c'est-à-dire servantes des dieux;
fiarmi ces devadasis, il en est de deux sortes ;
es unes et les autres doivent être nubiles et
exemptes de tout vice de conformation physi-
que, c'est là le point important; elles sont
chargées de chanter les louanges de la divi-
nité, de tresser les couronnes destinées à
l'ornementation des statues, de danser dans
les processions devant l'image de leur dieu,
et généralement de remplir dans les temples
toutes les fonctions extérieures et inférieures,
à l'exclusion des cérémonies religieuses tou-
chant au rite, qui sont du domaine des prê-
tres ; en un mot, elles sont la partie accessoire,
destinée à embellir les pratiques de la reli-
gion, et non à les exécuter. Les devadasis de
la première catégorie habitent l'intérieur de
l'enceinte circulaire du temple, et ne peuvent \
la franchir sans une autorisation expresse du
grand-prêtre; mais, pour ne pas condamner
au célibat forcé celles à qui ce genre de vie
ne conviendrait pas, il leur est facultatif de
se choisir un amant, qui vient les trouver dans
le temple, et elles obtiennent d'ailleurs facile-
ment du grand-prêtre la permission d'aller
auprès de lui, et cette intrigue n'ôte rien à la
considération dont elles jouissent, pourvu
toutefois que l'homme qu'elles ont choisi ap-
partienne, par sa naissance, aux classes éle-
vées de la société. Si elles ont des enfants,
les filles sont de droit devadasis et les gar-
çons musiciens ; puis tout est dit.
La pudeur et la chasteté ne sont pas précisé-
ment les vertus des devadasis de la seconde
catégorie, qui, adonnées, comme leurs supé-
rieures , au culte de la déesse Rambha, la
Vénus du paradis d'Indra, ne manquent jamais
de faire des sacrifices au dieu de l'Amour;
celles-ci jouissent d'une plus grande somme
de liberté ; elles habitent en ville et partagent
leur temps^entre les exercices de leur culte
et ceux qu'elles accomplissent partout où l'on
désire avoir de belles filles peu vêtues, élé-
gamment parées et sachant charmer les yeux
par des danses animées et des poses volup-
tueuses. On les paye généreusement, et elles
sont plus recherchées chez les grands que les
natschès (bayadères libres), qui, sans être at-
tachées spécialement à aucun temple et sans
recevoir, comme leurs sœurs les devadasis,
d'appointements fixes pris sur le budget des
pagodes, ne se tiennent pas moins à la dis-
position des prêtres, pour paraître dans les
grandes cérémonies, quand il est nécessaire,
en raison de l'importance de la solennité, de
déployer tout le faste et toute la magnificence
possibles; les natschès partagent avec les
bayadères de premier ordre le droit de danser
dans toutes les cérémonies publiques ou par-
ticulières.
Enfin, la troisième classe de bayadères com-
prend les soutradharis, les vestiatris et les
kouttanis, qui errent librement dans le pays,
cherchant çà et là l'occasion de gagner quel-
que argent en dansant; celles-ci servent sur-
tout à l'amusement des étrangers, qui sont
certains d'en rencontrer dans toutes les au-
berges ; d'autres, c'est là le plus grand nom-
bre, s'assemblent par troupes et s'en vont,
oiseaux voyageurs, chercher fortune tantôt
dans une ville, tantôt dans une autre. Sou-
vent la fortune est rebelle, et les pauvres
kouttanis courraient parfois le risque de dan-
ser à jeun, si elles n'appelaient au secoure
de l'art de la danse la ressource beap-
BAY
coup plus productive de plaire aux. riches
Indiens, dont elles refusent rarement de con-
tenter les désirs, le trafic de leurs charmes
n'ayant, d'ailleurs, rien de répréhensible aux
yeux de leurs concitoyens. Enfin, des bayadè-
res plus audacieuses ne craignent pas de pas-
ser les mers pour aller faire admirer en Eu-
rope leur beauté et leurs talents. En 1839,
une troupe de bayadères vint à Paris ; elle se
composait de Tillé-Ammalle, âgée de trente
ans ; de Ammany-Ammalle, âgée de dix-huit
ans ; de Ranga-Ammalle, âgée de quatorze
ans ; et de Soundra-Ammalle, âgée de treize
ans. Elles étaient accompagnées de quatre
joyeux compagnons. Cette troupe avait été
formée par un entrepreneur de spectacles,
dans le Dut d'exploiter tous les théâtres de
l'étranger. Elle eut grand succès à Paris, et
la curiosité publique amena nombre de spec-
tateurs aux danses étranges et poétiques de
ces filles de l'Inde. Déjà, en 1768, une baya-
dère avait émerveillé toute la ville et toute la
cour, et produit, par son costume singulier,
' par ses gestes étranges et par sa légèreté
de gazelle une sensation toute nouvelle :
c'était la jeune Bebaiourn, qui devint l'amie
de Louise de France et se fit religieuse. Mais
la Révolution de 1789 ayant ouvert les cloî-
tres, la bayadère sortit du couvent pour se
faire institutrice. Voilà certainement une
maîtresse de pension qui devait pouvoir se
passer d'un maître de danse.
Bayadère (LA), une de ces légères compo-
sitions qui achèvent de caractériser le génie
de Gœthe. La Bayadère et la Fiancée de
Corinthe ne sont pas plus belles que ses au-
tres poésies secondaires; mais ce sont les
plus connues depuis que Mme de Staël les a
révélées à la France. Rappelons ses paroles :
- Après s'être fait grec dans Pausias
(idylle des plus gracieuses), Gœthe nous con-
duit en Asie, par une romance pleine de char-
mes, la Bayadère. Un dieu de l'Inde (Maha-
doch) se revêt de la forme mortelle, pour
juger des peines et des plaisirs des hommes,
après les avoir éprouvés. Il voyage à travers
l'Asie, observe les grands et le peuple; et
comme, un soir, au sortir d'une ville, il se
promène sur les bords du Gange, une baya-
dère l'arrête et l'engage à se reposer dans sa.
demeure. Il y a tant de poésie, une couleur si
orientale dans la peinture des danses de cette
bayadère, des parfums et des fleurs dont elle
s'entoure, qu'on ne peut juger d'après nos
mœurs un tableau qui leur est tout à fait
étranger. Le dieu de l'Inde inspire un amour
véritable à cette femme égarée, et, touché du
retour vers le bien qu'une affection sincère
doit toujours inspirer, il veut épurer l'âme
de la bayadère par l'épreuve du malheur.
» A son réveil, elle trouve son amant mort
à ses côtés : les prêtres de Brahma emportent
le corps sans vie que le bûcher doit consumer;
la bayadère veut s'y précipiter avec celui
quelle aime; mais les prêtres la repoussent,
parce que, n'étant pas son épouse, elle n'a
pas le droit de mourir avec lui. La bayadère,
après avoir ressenti toutes les douleurs de
l'amour et de la honte, se précipite dans le
bûcher malgré les brahmes. Le dieu la reçoit
dans ses bras ; il s'élance hors des flammes et
porte au ciel l'objet de sa tendresse, qu'il a
rendu digne de son choix.
H Zelter, un musicien original, a mis sur
cette romance tin air tour à tour voluptueux
et solennel, qui s'accorde singulièrement bien
avec les paroles. Quand on l'entend, on se
croit au milieu de l'Inde et de ses merveilles ;
et qu'on ne dise pas qu'une romance est un
poème trop court pour produire un tel effet...»
Bayadère» (LES), opéra en trois actes, pa-
roles de Jouy, musique de Catel, représenté
pour la première fois à l'Opéra le 7 août 1810.
Nous laissons volontiers la parole à l'auteur
du poème, qui explique habilement les raisons
qui l'ont inspiré, a La considération dont jouit,
dans l'Indoustan, cette classe de femmes con-
nues en Europe sous le nom de bayadères,
repose sur une opinion religieuse, présentée
dans les livres indiens comme un fait histori-
que. Le récit très-succinct que je vais en faire
paraîtra d'autant moins déplacé, qu'on y re-
connaîtra la source où j'ai puisé le déhoûment
et quelques-unes des situations du drame que
le lecteur a sous les yeux. On lit, dans un des
pouranas (pottmes historiques et sacrés), que
Schirven, l'une des trois personnes de la divi-
nité des Indes orientales, habita quelque temps
la terre, sous la figure d'un rajah célèbre,
nommé Devendren. En prenant les traits d'un
homme, le dieu ne dédaigna pas d'en prendre
les passions, et il fit de l'amour la plus douce
occupation de sa vie. Son peuple, dont il n'était
pas moins adoré pour ses défauts que pour ses
vertus, le sollicitait en vain de donner un suc-
cesseur à l'empire, en choisissant du moins une
épouse légitime dans le grand nombre de fem-
mes de toutes les classes qu'il avait rassemblées
autour de lui. Devendren différait toujours,
parce qu'il ne voulait épouser que celle dont
il était aimé le plus tendrement, et que, tout
dieu qu'il était, il avait peine à lire, dans les
cœurs ; à la fin cependant, le rajah s'avisa,
pour éclaircir ses doutes, d'un stratagème qui
réussit au delà de ses espérances. Il feignit
de toucher à sa dernière heure, rassembla
toutes ses maîtresses autour de son lit de
mort, et déclara qu'il prenait pour épouse
celle qui l'aimait assez pour n'être pas effrayée
de l'obligation terrible qu'elle contracterait
en acceptant sa foi. Cette proposition ne tenta
BAY
personne ; le bûcher de la veuve se montrait
trop voisin du trâne et du lit conjugal : douze
cents femmes gardaient un silence impertur-
bable, lorsqu'une jeune bayadère dont le rajah
avait été quelque temps épris, instruite de
son état et de sa position, se présenta au
milieu de l'assemblée muette, s'approcha du
lit du prince et déclara qu'elle était prête à
payer de sa vie l'insigne faveur de porter un
seul moment le nom de son épouse. On célébra
leur hymen à l'instant même, et quelques
heures après, Devendren mourut ou du moins
feignit de mourir. Fidèle à sa promesse, la
bayadère fit aussitôt les apprêts de sa mort.
On éleva, par son ordre, un bûcher de bois
odorant sur les bords du Gange ; elle y plaça
le corps de son époux, l'alluma de sa propre
main et s'élança dans les flammes ; mais au
même instant le feu s'éteignit; Devendren,
debout sur le bûcher, tenant entre ses bras
sa fidèle épouse, se fit connaître au peuple, et
ublia sur la terre l'hymen qu'il accomplit
ans les cieux. Avant de quitter le séjour des
mortels, il voulut, pour y perpétuer le souve-
nir de son amour et de sa reconnaissance,
qu'à l'avenir les bayadères fussent attachées
au service de ses autels, que leur profession
fût honorée et qu'elles portassent le nom de
devadasis (favorites de la divinité). »
Cet opéra obtint un succès très-marqué.
Nourrit père, Dérivis et Mme Branchu, char-
gés des rôles principaux, s'en acquittèrent
avec un incomparable talent. La partition,
constamment poétique et mélodique, n'a rien
de commun avec cette musique de nos jours,
qui se croit populaire parce qu'elle est vuN
gaire.
Un premier opéra de Catel, Sémiramis,
donné en 1802, n'avait obtenu qu'un succès
d'estime, quoiqu'il surpassât en mérite les
Bayadères ; mais le théâtre est une loterie, dit
M. Castil-Blaze, et un premier ouvrage est
toujours accueilli du public avec défiance. Le
succès des Bayadères engagea l'administration
à remettre en scène Sémiramis. L'infortunée
reine de Babylone se montra deux fois seule-
ment, et rentra dans le tombeau deNinus pour
n'en plus sortir. Les paroles et la musique
des Bayadères sont depuis longtemps oubliées ;
mais il se rattache à la représentation de cet
opéra une anecdote assez curieuse, que nous
allons conter ici : Napoléon aimait la musique,
mais il n'aimait qu'une musique douce et
terne, digne pendant de la plate et ridicule
poésie de la plupart des rimeurs de son règne.
« N'est-il pas singulier,,écrit M. de Ponté-
coulant, que lui, aux oreilles duquel le bruit
des canons et de la chute des empires avait
si souvent retenti, n'aimât, en fait de musique,
qu'une harmonie faible et pour ainsi dire mo-
notone? Au théâtre de la cour et dans les
concerts des Tuileries, tous les instruments
étaient pourvus de sourdines. Ce goût de pia-
nissimo était bien étonnant chez l'homme du
monde qui faisait le plus de fracas et qui le
redoutait le moins. » On avait donc persuadé
à l'empereur que la musique du.nouvel opéra
en vogue, les Bayadères, lui siérait à mer-
veille. Un jour, l'auteur et le compositeur
sont avertis que Napoléon veut entendre leur
ouvrage, et qu'il se rendra le soir même à
l'Opéra. Catel est heureux...; mais à la re-
présentation, il reste anéanti; il croit à une
cabale, il ne reconnaît plus sa partition...
C'est que l'on n'avait pas prévenu le malheu-
reux compositeur que Persuis, chef d'orches-
tre, exécutait,par ordre, la partition des Baya-
dères à la sourdine. L'empereur fut servi à
souhait. « On exécuta, lisons-nous dans l'Art
musical, la belle musique de ce charmant
opéra avec la plus parfaite monotonie, sans
crescendo ni forte, et ce fut à un tel point,
que le public, étonné, montra par instants
des velléités d'impatience, que le respect im-
. posé par la présence du chef de l'Etat put
seul comprimer. » Napoléon avait, on le voit,
une façon toute particulière de comprendre
l'art musical, et en cela il n'est pas le seul,
n'y eût-il de son avis que cet homme de
beaucoup d'esprit qui définissait la musique
- le plus désagréable de tous les bruits, n

BAYAMO
(SAN-SALVADOR DE), ville des
Antilles, dans l'île de Cuba, sur la côte E",au
N.-O. et à 50 kil. de Santiago, non loin du
Cauto, petit fleuve qui se jette dans le canal
auquel Bayamo adonné son nom; 14,000 h.
Grande récolte de tabac dans les environs de
la ville.

BAYÀNE
ou BAYANNE (Alphonse-Hubert
DE LATTIER, duc DE), cardinal et pair de France,
né à Valence (Dauphiné) en 1739, mort à
Paris en 1818. Après avoir été reçu docteur
de Sorbonne, il fut nommé auditeur de rote
près la cour de Rome, puis cardinal en 1802.
Chargé d'une mission de la cour de Rome, il
revint en France après une absence de près
de trente ans, et il y fut parfaitement accueilli
par le gouvernement impérial. Nommé séna-
teur en 1813, il vota, en cette qualité, la dé-
chéance de Napoléon. Sous la Restauration,
il fut créé pair de France. Etant auditeur de
rote à Rome, il avait publié, en italien, un ou-
vrage sur la Mal'aria ; cet ouvrage est au-
jourd'hui fort rare.

BAYAN-KABA
chaîne de montagnes de la
Chine, attenant, d'un côté, aux montagnes nei-
geuses, et de l'autre, au Thibet oriental; elle
fait partie du massif de Kuen-Lun et sépare
les sources du Hoang-Ho et celles du Mou-
roui-Ousson.
BAY 407

BAYAN-OULA
montagnes du Turkestan,qui
sont une ramification des monts Oulou^-Dagh
et couvrent le pays des Kirghiz-Kaïsaks.

BAYANT
(bè-ian) part. prés, du v. Bayer :
Montaigne dit que les hommes vont BAYANT
aux choses futures : j'ai la manie de BAYER
aux choses passées. (Chateaub.)
BAYAB.DE s.(ba-iar-de). Vieuxmot cité par
Nicot, qui s'employait dans le sens de badaud,
Celui qui regarde, bouche béante, les moin-
dres accidents de la rue.

BAYABD
(vieux mot français qui signifiait
bai). Nom du cheval des quatre fils Aymon.
Ce fameux cheval, dont la renommée a tra-
versé les siècles, joue un rôle important dans
l'histoire romanesque de notre vieille cheva-
lerie. D'après la légende, il tira ses maîtres
d'une foule de situations périlleuses, et c'est
avec le secours de ce noble animal qu'ils
échappèrent à la vengeance du roi de France.
Boiléau, dans la V"e satire, adressée au
marquis de Dangeau, sur la noblesse, le men-
tionne, ainsi quAlfane, cheval du roi Gra-
dasse dans YArioste, de la façon suivante, qui
revient à dire qu'on ne vaut que par soi-
même :
On fait cas d'un coursier qui, fier et plein de cœur,
Fait paraître en courant sa bouillante vigueur,
Qui jamais ne se lasse et qui, dans la carrière.
S'est couvert mille fois d'une noble poussière;
Mais la postérité d'Alfane et de Bayard,
Quand ce n'est qu'une rosse, est vendue au hasard,
Sans respect des aïeux dont elle est descendue,
Et va porter la malle ou tirer la charrue.
BOILEAU.
Le cheval des quatre fils Aymon a servi
d'enseigne à un grand nombre de magasins
à Paris et surtout dans les Flandres, où la
renommée de ce vigoureux coursier paraît
avoir survécu plus que partout ailleurs. A
Louvain et'à Malines, il est de toutes les fêtes,
et au jubilé de cette dernière ville, en 1825,
il figura dans les réjouissances publiques.
A Berthem, village situé près de Louvain, on
montre encore la mangeoire de Bayard et
l'empreinte de son pied. Un vieil auteur pré-
tend même que Berthem ne signifie pas autre
chose que la demeure du cheval.

BAYARD
et plus exactement BAYART
(Pierre nu TERRAIL, seigneur DE), dit le Che-
valier sans peur et sans reproche, né en 1473 au
château de Bayard, dans la vallée de Grési-
vaudan, près de Grenoble, mort en 1524. Son.
père Aymon Terrail, seigneur de Bayard,
descendait d'une famille où le patriostime et
le courage étaient héréditaires; Philippe du
Terrail avait reçu la mort à la bataille de
Poitiers, en défendant le roi Jean ; Pierre et
Jean du Terrail, ses fils, s'étaient fait tuer,
l'un à Crécy, 1 autre à Verneuil; un autre
Pierre du Terrail, la terreur des Anglais, qui
l'appelaient YEpée-Terraille, avait pris part à
toutes les guerres de Charles VII, et avait
reçu la mort à Montlhéry, sous les yeux de
Louis XI. Prouesse de Terrai/, disait-on pro-
verbialement en Dauphiné, et le père du che-
valier sans peur n'aurait eu garde de faire
mentir l'adage ; mais, mutilé d'un bras à la
première journée de Guinegate, il avait été
forcé de se retirer au château de Bayard, où
il épousa Hélène des Alleman-Laval, sœur de
Laurent des AUeman, évéque de Grenoble.
Piepre du Terrail, dont nous allons esquisser
la vie, fut l'aîné des enfants issus de cette
union. Son éducation se fit à Grenoble, sous
les yeux de son oncle l'évêque, et elle était
complète à l'âge de douze ans, c'est-à-dire
que l'enfant savait lire et signer son nom,
science suffisante pour un gentilhomme du
temps. Présenté à treize ans au duc Charles
de Savoie , il séduisit ce prince par sa
bonne mine et son adresse à manier un che-
val, prit rang parmi ses pages, et, lorsque le
duc de Savoie se rencontra à Lyon avec
Charles VIII, il sut se faire remarquer du roi.
Charles VIII, grand connaisseur en tournois
et faits d'armes, fut émerveillé du sang-froid
et de la grâce du jeune cavalier, le demanda
au duc de Savoie, qui s'empressa de le lui cé-
der, et pria Louis de Luxembourg, comte de
Ligny,- son favori, de le mettre au nombre de
ses pages. On raconte même, à ce sujet, que
le roi prenait un tel plaisir à voir cavalcader
le jeune Bayard, qu'il s'écriait : « Piquez, pi-
quez toujours, mon beau page ; » d'où le.nom
de Piquet, sous lequel Charles VIII et Louis
de Ligny le désignèrent ordinairement dans
la suite. Bayard, alors âgé de seize ans, brû-
lait de faire ses premières armes ; l'occasion
s'en présenta bientôt. Un noble chevalier
lyonnais, une des meilleurs lances de l'époque,
le sire de Vaudrey, donna un tournoi en l'hon-
neur du roi ; le page résolut d'y paraître. Il ne
lui manquait, pour cela, qu'un cheval et des
armes, ou de l'argent pour se les procurer;
un de ses amis, Bellabre, le fit songer à son
oncle, l'évêque : *Pardieu, s'écria Bayard, tu
dis bien; l'oncle est octroyé par nature thréso-
rier à nepveu, et ce qu'on prend à moine est bien
pris. » L oncle, après s'être un peu fait prier,
envoya les jeunes gens à son fournisseur; lui
ordonnant de les équiper de ce qu'ils deman-
deraient. Qu'on juge si Bellabre et Bayard fi-
rent bien les choses! ils dépensèrent 400 écus
chacun ; mais aussi quel triomphe, lorsque,
après avoir vaincu le sire de Vaudrey avec la
lance, l'épée et la hache d'armes, Bayard passa
devant les dames, la visière levée, suivant
l'usage, et qu'elles témoignèrent de leur sur-
408
prise et do leur enthousiasme, à l'aspect de
cette figure si jeune et si pâle ! Le roi seul
avait été mis dans le secret, et n'avait pas
tremblé un seul instant : Piquet, dit-il au
vainqueur, Dieu veuille continuer en vous ce
que j ai vu de commencement, vous serez pru-
d'homme. Le comte de Ligny mit Bayard au
nombre de ses hommes d'armes, et l'envoya
rejoindre sa compagnie a Aire, en Artois,
avec son inséparable Bellabre, et les deux
jeunes gens se lièrent bientôt de la plus étroite
amitié avec leur capitaine Louis d'Ars. A la
grande joie des trois compagnons d'armes,
Charles VIII, en 1493, passa les monts pour
descendre en Italie, et les emmena à la conquête
du royaume de Naples, une véritable prome-
nade militaire, qui ne fut troublée quau re-
tour. A la bataille de Fornoue (U95), Bayard
fit merveille, eut deux chevaux tués sous lui,
et conquit un étendard ennemi, dont il fit
hommage au roi. Quand Louis XII voulut
faire valoir ses droits sur le Milanais, Bayard
rejoignit sa compagnie (H90), et chargea un
jour les ennemis avec tant de fureur, qu'il
entra avec eux dans Milan. Fait prisonnier,
et conduit devant le duc, qui lui demanda en
riant s'il espérait prendre la ville à lui seul,
il répondit sur le même ton qu'il s'était cru
suivi d'une cinquantaine de compagnons. Le
duc se montra généreux, et lui rit rendre la li-
berté. Bayard suivit le roi à la conquête du
royaume de Naples, soumit la Pouille en com-
pagnie de Bellabre et de Louis d'Ars, à qui il
sauva la vie, combattit avec eux contre Gon-
zalve de Cordouc, et leur conduite au siège
de Canosa (1502) força les Espagnols à l'atl-
miration. Bayard y reçut plusieurs coups de
lance, Bellabre eut le visage brûlé; mais le
lendemain la ville était prise. Nommé gou-
verneur de Minervino, dans la Capitanate, le
chevalier sans peur rôdait continuellement
autour de la ville, espérant trouver quelque
aventure. Dans une de ces sorties, il fit la
rencontre d'une troupe commandée par le ca-
pitaine espagnol Soto-Mayor; les Espagnols
sont mis en ïuite, et leur chef est fait prison-
nier de la main même de Bayard, qui le traite
généreusement et ne lui demande d'autre
garantie que sa parole de ne pas fuir. Mais
l'Espagnol, ayant corrompu un soldat, parvint
à s'échapper, fut repris par les gens de
Bayard, et, cette fois, retenu quinze jours
en prison, d'où il ne sortit qu'en payant ran-
çon. Devenu libre, Soto-Mayor se plaignit
hautement des mauvais traitements qu il avait
endurés; Bayard, indigné, le défia en cojnbat
singulier et le tua. Contre l'habitude des gens
de guerre de son temps, le bon chevalier ne se
montra jamais avide de pillage; on cite au
contraire de lui mille traits de générosité et
de désintéressement. Un jour, il enleva un
convoi qui portait 15,000 ducats aux ennemis.
Un officier gascon en réclamait la moitié,
comme ayant contribué à la prise; mais le
conseil de guerre se prononça pour Bayard.
Voyant le dépit et la douleur de son adver-
saire, et l'entendant regretter une fortune qui,
prétendait-il, lui eût permis de finir sa vie ho-
norablement, Bayard lui dit : « Ne faut-il que
cela pour" vous rendre vertu et honnêteté ?
Voilà de belles dragées, continua-t-il gaiement
en montrant les 15,000 ducats ; je vois qu'elles
vous tentent : puisqu'il vous plaît si fort d'en
manger, recevez-en la moitié des mains de
votre ami ; » et il lui compta la moitié de la
somme, dont il distribua le reste aux soldats.
Cependant l'expédition française tournait à
mal; la bataille du Garigliano était perdue, il
fallut songer au retour. C'est dans cette re-
traite de l'armée française que Bayard se
couvrit de gloire. On a contesté le fait héroï-
que de sa défense du pont de Garigliano, et
nous en cherchons vainement la raison. Pour-
quoi mettre en doute ce fait, que tous les
biographes de Bayard et quelques-uns de ses
contemporains ont raconté et affirmé ? Voici
la version de l'un d'eux :« Un jour, arrivé sur
les bords du Garigliano, le bon chevalier s'é-
tait un peu écarté avec Pierre de Tardes, dit
Basco, gentilhomme du roi. Tout k coup, il
aperçoit une troupe de cavaliers ennemis qui
menace, en passant un pont, de cerner l'ar-
mée prise au dépourvu. Tandis que Basco va
prévenir les Français, Bayard court à la tête
du pont. Les quatre premiers cavaliers qui
avancent mordent la poussière. Le capitaine
espagnol marche l'épée levée sur Bayard, qui
le frappe sous l'aisselle et le jette roide mort
uses pieds. — Comme un tigre échappé, dit
Théodore de Godefroy, il s'accula à la bar-
rière du pont, et, à coups d'épée, se défendit
si bien, que les ennemis ne savoient que dire
et ne cuidoient pas que ce fust un homme-, mais
un diable. » Par ce trait de bravoure, renou-
velé d'Horatius Coclès, il empêcha les enne-
mis de traverser le pont avant l'arrivée des
Français. Ceux-ci, fondant sur les Espagnols,
les forcèrent à prendre la fuite. C'est à cette
conduite héroïque qu'il dut de pouvoir mettre
sur son écusson un porc-épie, avec cette
devise : Vires agminis unus habet. Après s'être
constamment signalé dans la retraite de l'ar-
mée jusqu'à Gaëte, il revint dans le royaume
de Naples, où Louis d'Ars tenait toujours, en
dépit de toutes les forces de Venise. Déses-
pérant de vaincre Bayard, le pape Jules II lui
offrit la charge de généralissime. «Je n'aurai
oneques que deux maîtres, lui répondit-il,
Dieu dans le ciel et le roi de France sur
terre, jamais autre ne servirai. » Il fallut
pourtant céder à la mauvaise fortune ; Louis
d'Ars et Bayard rentrèrent en France. Nommé
écuyer du roi, ce dernier fut envoyé en 1507
à Gênes, qui avait proclamé Maximilien, et il
obtint bientôt la soumission d ^ cette ville. « Ores,
marchands, dit-il aux Génois, défendez-vous
avec vos aulnes, et laissez les piques et
lances, desquelles vous n'avez accoutumé. »
Propos de noble et de chevalier de l'époque.
Bayard combattit ensuite sous La Palisse et
décida le gain de la bataille d'Agnadel {1509),
par une vigoureuse charge, qu'il exécuta à
la tête de cinq cents cavaliers. Il ne se dis-
tingua pas moins au siège de Padoue. Le bon
chevalier, au milieu de ces guerres sanglantes,
ne cessait de donner des preuves d'humanité.
Quelques malheureux s'étaient réfugiés dans
une grotte près de Masano : des soldats, ne
pouvant arriver jusqu'à eux, eurent la cruelle
idée de brûler de la paille à l'ouverture de
cette grotte et étouffèrent ainsi les infortunés.
Bayard, indigné de cet acte de barbarie, sai-
sit quelques-uns des coupables, les fit pendre
à l'entrée de la grotte, ordonna de rechercher
ce qu'avait produit le pillage, et en gratina un
jeune homme de seize ans, le seul qui eût
échappé à la mort. Lorsque, en 1510, le pape
Jules II, voulant réunir aux possessions de
l'Eglise le duché de Ferrare, leva une armée
dans le Bolonais et la conduisit entre la Mi-
randole et Concordia, Bayard, qui avait été
envoyé au secours du duc de Ferrare, résolut
d'enlever le pape, et le hasard seul fit échouer
son entreprise. Bientôt après, il battit les
troupes pontificales, occupées à faire le siège
de Bastia di Genivolo. A quelques jours de
distance, le duc de Ferrare, lui ayant confié
-le projet qu'il avait conçu de faire-empoison-
ner Jules II, Bayard, indigné, lui déclara
qu'il avertirait aussitôt le pape s'il ne re-
nonçait à une action si lâche. Après avoir
décidé, de l'aveu même de Trivulce, la prise
de Bologne, Bavard partit avec Gaston de
Foix pour faire le siège de Brescia, ou s'é-
taient enfermés les Vénitiens. Chargé de don-
ner l'assaut, le chevalier sans peur fut blessé
gravement, en franchissant le rempart, d'un
coup de pique, au haut de la cuisse. Quand
la ville fut prise, et pendant qu'elle était
livrée au pillage, il se fit transporter dans la
maison d un gentilhomme qui s'était enfui,
abandonnant sa femme et ses filles aux vio-
lences des vainqueurs. C'est à cette circon-
stance que se rapporte un des traits caracté-
ristiques de la vie de l'illustre chevalier, car
il met en pleine lumière sa générosité et la
haute noblesse de ses sentiments. Il s'em-
pressa de rassurer la femme du gentilhomme,
qui le suppliait de sauver l'honneur de ses
filles, et, par mesure de précaution, fit placer
à la porte de la maison deux archers, aux-
quels il donna une somme de 500 écus pour
les dédommager du sacrifice qu'ils lui fai-
saient en ne pulant point. Au bout de quelques
jours, son impatience de rejoindre l'armée,
plutôt que sa guérison, qui n'était qu'impar-
faite, l'ayant déterminé a partir, la maîtresse
de la maison courut se jeter à ses genoux. « Le
droit de guerre, lui dit-elle, vous.rend le
maître de nos biens et de nos vies, et vous
nous avez sauvé l'honneur. Nous espérons
cependant de votre générosité que vous no
nous traiterez pas avec rigueur, et que vous
voudrez bien vous contenter d'un présent
plus proportionné jà notre fortune qu à notre
reconnaissance. « Elle lui présenta en même
temps un petit coffre rempli de ducats d'or.
Bayard se mit à sourire, et lui demanda com-
bien il y en avait. La dame, croyant qu'il
trouvait le présent trop modique, lui répondit
en tremblant : « Deux mille cinq cents, mon-
seigneur ; mais si vous n'êtes pas content,
nous ferons nos efforts pour en trouver da-
vantage. — Non, madame, dit le chevalier, je
ne veux point d'argent : les soins que vous
avez pris de moi sont bien au-dessus des
services que j'ai pu vous rendre. Je vous de-
mande votre amitié, et vous conjure d'accep-
ter la mienne. » La dame, surprise d'une
modération si rare, se jeta de nouveau aux
pieds de son bienfaiteur, et lui dit cju'elle ne
se relèverait point qu'il n'eût accepté cette
marque de sa gratitude. « Puisque vous le
voulez, reprit Bayard, je ne vous refuserai
point; mais ne pourrai-je avoir l'honneur de
prendre congé de mesdemoiselles vos filles?»
Dès qu'elles furent arrivées, il les remercia
de leurs bons offices et de leur attention à
lui tenir compagnie. « Je voudrais bien, ajou-
ta-t-il, vous témoigner ma reconnaissance;
mais les gens de g'uerre ont rarement des bi-
joux convenables aux personnes de . votre
sexe. Madame votre mère m'a fait présent de
2,500 ducats; je vous en donne a chacune
1,000 pour vous aider à vous marier; je des-
tine les cinq cents autres aux couvents de
cette ville qui ont été pillés, et je vous prie
d'en faire la distribution. »
Ayant gagné le camp de Ravenne, Bayard
continua à montrer le même courage, la
même présence d'esprit, la même fécondité
de ressources pour les stratagèmes et les
ruses de guerre. Il prit une part glorieuse à
la sanglante bataille de Ravenne, où Gaston
de Foix périt pour n'avoir pas écouté ses
avis, et au sujet de laquelle il écrivait à son
oncle, l'évêque de Grenoble : a Si le roi l'a
gagnée, les pauvres gentilshommes l'ont bien
perdue. » Bientôt après, l'armée française,
épuisée et menacée par les forces supérieures
des Vénitiens et des Suisses, se replia sur
Pavie, et, malgré les efforts de Bayard et de
Louis d'Ars, se vit contrainte d'évacuer cette
ville. Dans cette situation critique, le cheva-
, lier sans peur, renouvelant un de ses exploits
i passés, parvint, avec trente-six hommes, à ar-
rêter pendant deux heures l'armée ennemie,
et reçut une grave blessure à l'épaule. Pen-
dant que les Français abandonnaient la Lom-
bardie, à l'exception de quelques places (1512),
Bayard alla chercher a Grenoble des soins
et du repos. Cette année même, il se ren-
dit dans la Navarre, que Louis XII voulait
reprendre au roi d'Aragon, et^ après l'issue
malheureuse de cette guerre, ou il sauva une
partie de l'armée, il fut appelé dans l'Artois
envahi par les Anglais. Henri VIII, après
s'être ligué contre la France avec Ferdinand
le Catholique et l'empereur Maximilien, était
venu assiéger Térouane, à la tête de forces
imposantes. Placé sous les ordres du seigneur
de Piennes, Bayard s'avança pour ravitailler
cette place réduite à la dernière extrémité.
A la tête de douze cents hommes, il rencontra
Henri VIII avec un corps de douze mille fan-
tassins. Sans les ordres formels de de Piennes,
il eût livré bataille, afin de s'emparer du roi ;
il dut se borner à harceler son arrière-garde*
et à lui enlever un de.ses douze énormes ca-
nons de bronze, qu'il appelait les douze
apôtres. Peu de temps après, les Français
ayant été coupés par les Impériaux et les
Anglais près de Guinegate, furent saisis
d'une terreur panique et s'enfuirent. Entraîné
par la déroute, Bayard parvint à grouper
quelques hommes, et tint bon pendant quelque
temps; mais, cerné de tous cotés et ne pou-
vant se faire une trouée, il conseilla à ses
compagnons de se rendre. Avisant un homme
d'armes qui se reposait'à l'écart, sous un
arbre, Bayard courut sur lui et lui mit
l'épée sur la gorge, en criant : « Rends-toi,
ou tu es mort. » Celui-ci se rendit sans résis-
tance; puis, lui ayant demandé son nom : « Je
suis, répondit le chevalier, le capitaine Bayard,
qui maintenant se reconnaît votre prisonnier. »
Bayard fut traité avec les plus grands égards
par Maximilien et par Henri VIII. « Le roi
mon frère, lui dit le premier, est bien heureux
d'avoir un chevalier tel que vous, et je don-
nerais 100,000 florins par an pour une douzaine
de vos pareils, » et le second ajouta : « Je
crois que si tous les gentilshommes français
étaient comme vous, le siège que j'ai mis de-
vant Térouane serait bientôt levé. » Lorsque,
quelques jours après cette malheureuse jour-
née des Éperons, le chevalier voulut s'en aller,
l'homme d'armes demanda qu'il lui payât sa
rançon- à quoi Bayard lui répondit : «Vous me
devez la vôtre avant de pouvoir exiger la
mienne. » L'empereur et 1P. roi d'Angleterre,
devant qui cette contestation fut portée, dé-
cidèrent que les deux prisonniers étaient
quittes l'un envers l'autre, et Bayard futrendu
a la liberté, sous la seule condition de ne pas
reprendre les armes avant six mois.
Lorsque François Ier monta sur le trône, il
nomma Bayard lieutenant général du Dau-
phiné (1515). Quelques mois après, ayant ré-
solu de conquérir le Milanais ", il chargea
Bayard d'ouvrir le passage en franchissant
les Alpes par le marquisat de Saluées, à la
tête de trois mille fantassins. A la bataille de
Marignan (1515), Bayard combattit à côté de
François Ier et, selon son habitude, fit des
merveilles. Son cheval fut tué sous lui. En
ayant pris un autre, un coup d'épée trancha
les rênes, et l'animal emporta son cavalier au
milieu des bataillons suisses. Tout autre à sa
place eût été tué cent fois. Mais lui, frappant
de droite et de gauche, profitant de la confu-
sion, qui était à son comble, parvint à fran-
chir les lignes ennemies, se laissa glisser à
terre, puis, moitié rampant, moitié combat-
tant, tuant ici, contrefaisant le mort un peu
plus loin, il parvint à regagner les gens du
connétable de Bourbon. A la fin de la bataille,
le roi voulut être armé chevalier de la main
de Bayard, et, comme celui-ci s'en défendait,
François 1er ]ui en donna l'ordre. Alors, frap-
pant sur l'épaule du monarque à genoux de-
vant lui : « Sire, dit le chevalier sans peur,
autant vaille que si c'était Roland ou Olivier,
Godefroi ou Baudouin son frère, vous êtes che-
valier. » Puis, regardant son épée et la baisant
avec naïveté : « Tu es bien heureuse, mon
épée, d'avoir, à un si vertueux et si puissant
roi, donné.l'ordre de la chevalerie! ma bonne
épée, tu seras moult bien comme relique gar-
dée et sur toutes autres honorée. >» Cependant,
Charles-Quint avait envahi la Champagne et
mis le siège devant Mézières. La place était
faible, et, néanmoins, constituait la seule dé-
fense de Paris; quelques-uns voulaient brû-
ler Mézières et ravager le pays pour arrêter
l'ennemi. Bayard déclara « qu'il n'y avait pas
de places faibles où il y a des gens de cœur
pour les défendre, » et courut se jeter dans la
ville. Le bon chevalier fit des prodiges de va-
leur. Sans vivres, avec une faible garnison, il
'tint tête à toute l'armée impériale, forte d'en-
viron 100,000 hommes. « Si les vivres nous
| manquent, dit-il paiement aux assiégés, à qui
il fit jurer de ne jamais se rendre, nous man-
gerons d'abord nos chevaux, puis nous sale-
rons et mangerons nos varlets. » Quelque
temps après, des hommes de la garnison
s'étant'enfuis par une brèche : « Us ont moult
; raison, fit Bayard, puisqu'ils méritaient si peu
' d'acquérir gloire et los avec nous, » Cepen-
, dant la situation était devenue telle, que tout
! espoir d'une plus longue résistance semblait
j perdu. Bayard eut alors recours à la ruse,
i Grâce à des lettres, qu'il a le soin de faire
tomber entre les mains des ennemis, il per-
I suade aux Impériaux que la ville est parfai-
tement approvisionnée, et qu'un secours con-
sidérable est prochainement attendu. Les
assiégeants, découragés, se retirèrent en-
fin (1521). D'une voix unanime, Bayard fut
alors proclamé le sauveur de la France. Son
entrée à Paris fut un véritable triomphe : le
parlement en corps alla à sa rencontre, et le
roi lui donna, outre le cordon de Saint-Michel,
une compagnie de cent hommes d'armes à
commander, honneur jusqu'alors réservé aux
seuls princes du sang. Le chevalier sans peur
se distingua encore a Grenoble, où la peste
et les brigands faisaient d'horribles rava-
ges (1523); puis, François Ier ayant résolu de
reconquérir le Milanais, il repassa en Italie .
pour servir dans l'armée commandée par l'a-
miral Bonnivet, dont l'incapacité reconnue
devait avoir des résultats si désastreux.
Bayard s'était emparé de Lodi et avait assiégé
Crémone, lorsque l'amiral lui ordonna d'aller
occuper, près de Milan, le village de Rebecco,
position stratégique détestable. Malgré les
représentations de Bayard, il lui fallut obéir.
Vainement il fit la plus vigoureuse résistance,
sa troupe fut forcée à la retraite. Bonnivet
arriva à son secours; mais, blessé grièvement
lui-même, il dut remettre le commandement
à Bayard, qui fit tout pour sauver l'armée. Le
30 avril 1524, il traversait la Ses'ia en opé-
rant son mouvement rétrograde, lorsqu'il fut
atteint, dans le côté, d'une pierre lancée par
une arquebuse à croc, qui lui brisa l'épine
dorsale. « Ah ! Jésus, mon Dieu 1 je suis
mortl » s'écria-t-il en tombant. Lorsqu'il s'a-
perçut que le coup était mortel, il se fit cou-
cher sous un arbre, le visage tourné contre
les Impériaux : « car, disait-il, n'ayantjamais
tourné le dos devant l'ennemi, je neveux pas
commencer à la fin de ma vie. » A défaut de
prêtre, il se confessa à son écuyer Jofïrey,
chargea d'Allègre de recevoir son testament
militaire et de porter au roi le regret qu'il
avait de mourir sans avoir mieux fait; puis,
comme l'ennemi approchait, il ordonna à ceux
qui l'entouraient de rejoindre l'année pour ne
fias être faits prisonniers, et il attendit la mort,
es yeux fixés sur la poignée de son épée, re-
présentant une croix. Le marquis de Pescairè,
étant arrivé au lieu où il se trouvait, le fit
mettre sur un lit de camp, et fit dresser une
tente au-dessus de lui. Peu d'instants avant sa
mort, le connétable de Bourbon, qui poursui-
vait les Français, passa devant lui, s'arrêta, et
le plaignit de mourir dans des souffrances
aussi cruelles. <- Ahl messire Bayard, lui dit-
il, après tant de bons et loyaux services, dans
quel piteux état je vous voisl — Je ne suis
point à plaindre, monseigneur, répondit Bayard
avec une noble fierté; je meurs en faisant mon
devoir. C'est de vous qu'il faut avoir pitié,
vous qui portez les armes contre votre prince,
votre patrie et vos serments, -> II expira
presque aussitôt, âgé de quarante-huit ans.
Le marquis de Pescairè lui fit rendre les
honneurs funèbres, et, selon ses vœux, son
corps fut transporté h Grenoble. Il laissait
une fille naturelle, Jeanne, dont la mère était
italienne, et qui se maria avec François de
Chastelar (1525). La perte de Bayard fut en
France l'objet d'un deuil universel, et on la
considéra comme une calamité publique. Fran-
çois Ier en manifesta les plus vifs regrets, et,
plus tard, après le désastre de Pavie, on l'en-
tendit s'écrier : « Ahl chevalier Bayard, que
vous me faites grande faute ! ah I je ne serais
pas ici si vous viviez ! »
Bayard est resté, dans la tradition et dans
l'histoire, le type le plus accompli et le plus
jur du chevalier français, tel que l'a conçu
'idéal poétique. Peut-être quelques historiens
ont-ils donné à sa physionomie une solennité
un peu affectée. Simple et naturel, autant que
loyal et grand, le bon chevalier était un véri-
table héros, et n'avait aucun des traits de cetto
grandeur étudiée, que les modernes donnent à
leurs créations. Comme homme de guerre, ses
contemporains disaient de lui qu'il avait trois
excellentes qualités d'un grand général : as-
saut de bélier^ défense de sanglier et fuite de
loup. Au physique, Bayard était de haute sta-
ture, droit et grêle, d'un visage doux et gra-
cieux, l'œil noir, les traits tristes, le nez ti-
rant sur l'aquilin ; il portait la barbe rase, ses
cheveux étaient châtains. Il avait la charnure
fort blanche et fort délicate. La vie de Bayard
a été écrite par son écuyer, Jacques Joii'rey,
sous ce titre : La très-joyeuse et très-plaisante
histoire, composée par le loyal serviteur, des
faits et gestes du bon chevalier sans paour
et sans reproche, le chevalier Bayart... etc.;
(Paris; Galiot du Pré 1527, in-4u). (V. ci-
après.) Citons aussi les biographies de Sympho-
rien Champier (1525), de Guyard de Berville
(1760), de Cohen (1821), etc. M. de Terre-Basse,
député de l'Isère, a publié : Bayart à Lyon
(1829, in-8o.) Il existe aussi une tragédie de
Du Belloy, Gaston et Bayart. Une très-belle
statue de ce héros de la chevalerie, repré-
senté par Raggi au moment où il est frappé à
mort, a été érigée à Grenoble en 1823.
Bayard (LA TRES-JOYEUSE , PLAISANTE ET
RECREATIVE HISTOIRE DU CHEVALIER SANS
TAOUR ET SANS REPROCHE, GENTIL SEIGNEUR
DE), composée par le Loyal Serviteur (1527).
Cet ouvrage fait partie du recueil des Mé-
moires relatifs à l'histoire de France. C'est une
des narrations les plus intéressantes de nos
vieux chroniqueurs. 11 est distribué en soixante-
six chapitres, qui nous retracent les faits, gestes^
triomphes et prouesses de celui qui donna au roi
de France 1 accolade de chevalier. Ces rnô--
409
moires offrent d'abord des détails sur l'enfance
et l'éducation de Bayard. On le voit quitter la
maison paternelle, brûlant d'imiter ses aïeux
morts sur le champ de bataille; on Ht avec un
attendrissement mêlé d'admiration les con-
seils que lui donne sa mère, au moment où il
va la quitter peut-être pour toujours. De tels
préceptes sont faits pour tremper un jeune
cœur dans l'héroïsme. Les grandes qualités
de Bayard s'annoncent dès sa première jeu-
nesse. Sa conduite envers les femmes peut
servir de modèle à l'homme de tous les temps
et de toutes les conditions : galanterie, respect
et dévouement, mais obéissance absolue au
devoir. Il veille sur l'honneur de celles qu'il
aime. Dans les désordres de la guerre, il met
les femmes à l'abri de toute insulte. N'étant
pas un saint, il forme quelquefois des liaisons
où le plaisir a plus de part que l'amour ; un
jour, il remarque, au trouble d'une jeune fille,
qu'elle est vertueuse ; il devient son bienfai-
teur et la marie honorablement. Sa libéralité
à l'égard de ses compagnons d'armes est sans
égale. Dans toutes ses expéditions, il ne prend
aucune part du butinj il distribue toutes les
dénouilles de l'ennemi à ceux qui ont contri-
bué à la victoire, ce qui fait dire à l'un des
Plus grands généraux de ce temps : - Si Dieu
eût fait roi de quelque puissant royaume, il
aurait .acquis tout le monde à lui par sa
grâce. - A sa mort; il laisse pour toute for-
tune quatre cents livres de rente. Ses exploits
paraissent romanesques dans un temps où la
valeur personnelle est commune. Deux fois,
on le voit renouveler un fait d'armes peut-être
fabuleux de l'antiquité ; deux fois, il défend
seul un pont contre toute une armée. Souvent
il fait plus de prisonniers qu'il n'a de sol-
dats. Cette vaillance n'a rien dé téméraire ;
elle se fonde sur l'expérience, et se déploie se-
lon les principes de l'art militaire. Bayard est
un tacticien ; les généraux qui réclament ses
conseils l'appellent un vrai registre de ba-
tailles. S'il n'est jamais chargé du comman-
dement en chef d'une armée, la faute en est à
l'ingratitude des cours.
La belle et admirable mort de Bayard est re-
tracée de la façon la plus touchante par le Loyal
Serviteur. Il est impossible de trouver une
plus attachante lecture que celle de cet ou-
vrage. L'inimitable simplicité du style s'y
mêle à l'intérêt des faits; intérêt toujours vif,
toujours soutenu, et qui repose sur tout ce
qu'il y a de bon, de noble, d'élevé dans les sen-
timents humains. La narration est pleine de
précision et de clarté ; le narrateur partage
tous les sentiments du héros, son maître. Ce
rapport de caractère entre le peintre et le
modèle donne au récit un charme et un intérêt
qui frappèrent les contemporains eux-mêmes.
C'est la qu'on apprend à connaître ce type de
perfection chevaleresque, dont les modestes
vertus- détient les prouesses imaginaires des
Amadis et des Roland, furieux ou amoureux.
Au xvue siècle, un père écrivait à son (ils :
- Je veux que ce soit la première histoire
que tu lises et que tu me racontes. » Les mé-
moires du Loyal Serviteur sont le monument
le plus durable de la gloire de Bayard. Le
narrateur pense comme Joinville, et écrit
presque comme Amyot ; c'est le plus bel éloge
qu'on puisse faire d'un historien.
Boyard à la Ferté, opéra-comique en trois
actes, paroles de Désaugiers et de Gentil,
musique de Plantade, représenté au théâtre
Feydeau le 3 octobre 1811. Bayard a fait le-
ver le siège de Mézières : au lieu d'aller por-
ter à son roi la nouvelle de ce haut fait^ il se
rend en secret au château de la Ferté, ou l'at-
tire l'amour qu'A ressent pour MQie de Ran-
dan; il y rencontre le roi, que les mêmes mo-
tifs avaient amené. Au moment où Mmc de
Randan vient de déclarer franchement au roi
ses sentiments pour Bayard, surviennent deux
seigneurs qui ont conspiré la perte du héros.
Us apportent une lettre écrite au gouverneur
de Mézières , offrant toutes les apparences
de la trahison, et accusent d'intelligence avec
les ennemis le chevalier sans peur et sans re-
proche. Le roi, quoique irrité du succès ob-
tenu par son rival en amour, ne suspecte pas
un seul instant la loyauté de Bayard, qui ne
tarde pas à se justifier. La levée du siège
de Mézières prouve que la fameuse let-
tre n'est qu'une ruse de guerre ; de plus,
Mme de Randan apprend au roi que Bayard
est non pas son amant, mais son époux ; car
elle l'a épousé il y a peu de temps.
Cet opéra, qui avait d'abord trois actes, fut '
ensuite réduit à deux. La musique de Plan-
tade obtint quelque succès ; on applaudit
surtout plusieurs morceaux d'ensemble trai-
tés avec une certaine ampleur. Gavaudan,
Moi** Gavaudan et M'ae Moreau remplissaient
les principaux rôles dans cet ouvrage, où se
retrouvent la grâce, la mélodie facile .et le
tour gracieux qui distinguent les produc-
tions de l'auteur de la romance si justement
populaire : Te bien aimer, 6 ma chère Zélie.
Bayard et la jeune fille, par Joseph Ser-
vières.Cette romance est un des types de la ro-
mance troubadour et chevaleresque du pre-
mier empire : Mars et Vénus, la beauté et les
guerriers, l'amour et les armes, tel est l'ac-
couplement immuable ou l'immuable antithèse
qui marque les inspirations de cette époque,
La vogue, pour nous inexpliquée, dont a joui
cette, composition, nous oblige seule à lui don-
ner dans ces colonnes une place que ne mé-
ritent ni l'air ni les vers.
Baynrd et l« jeune fille.
Chcv- - lier ii vous j'ai re-enurs!
Dai-gnez me yrc-ter as - sis - tan-cc ;
Dieu vous en voie a mon se cours,
Pro-té-gez, sau-ves l'in-no - cen
Char-me le hé-ros qu'elle im-plo - - re.
2« Couplet.
- D'où vient le trouble où je vous voi '
- Calmez-vous, gente bachelette!
- Je suis Bayard, comptez sur moi;
- A vous servir ma lance est prête. -
- — Ah! contre un lâche ravisseur
- Soyez mon appui tutélaire;
- Chevalier, sauvez-moi l'honneur,
- Rendez une fille à sa mère ! -
3* Couplet
- Du traître l'espoir est détruit, -
Dit le guerrier, l'âme attendrie.;
« Ne craignez rien, s'il vous poursuit
« Je punirai sa félonie. -
Il ramène vers son séjour
Cette beauté que rien n'efface;
Et, dans son cœur, sent que l'amour
Près de l'honneur vient prendre place.
*e Couplet.
Isaure n'a plus de frayeur ;
Isaure à sa mère est rendue,
Et, près de son libérateur.
Sent en secret son Âme émue
De Bayard la noble action
Méritait une récompense,
Et c'est l'amour qui fit, dit-on,
Les frais de la reconnaissance.
BAYARD (Château de). Cet antique manoir,
qui a appartenu à la famille des seigneurs du
Terrail, et où le chevalier sans peur et sans
reproche naquit en 1473, s'élève, à 40 kîl. de
Grenoble, dans la commune de Pontcharra,
sur un mamelon isolé qui domine la vallée de
l'Isère. Au temps de sa splendeur, il avait
pour entrée une arcade, ouverte dans une cour-
tine flanquée de deux tours rondes, dont l'une
servait de chapelle et l'autre de colombier.
La cour d'entrée était entourée de murs cré-
nelés, qui subsistent encore ; au centre de cette
cour s'élevait une fontaine, dont les eaux ar-
rosaient les jardins disposés en terrasses de-
vant la façade du corps de logis. Des trois
étages dont se composait le château, il ne
reste que le premier, où l'on voit encore le
cabinet de Bayard et la chambre où il vint au
monde : les peintures des plafonds et des tru-
meaux sont assez bien conservées. Au rez-
de-chaussée se trouvent les écuries, la cave
et la cuisine, qui a encore sa vaste cheminée,
soutenue par deux colonnes de granit. Le
grand pavillon du sud, jadis flanqué de tours,
avait des fenêtres ornées de moulures, et fer-
mées de grillages, qui ont presque entièrement
disparu.
BAYARD (James-A.), légiste 'et homme
d'Etat américain, né à Philadelphie en 1767,
mort en 1815. Elevé au collège de Princeton,
il devint membre du congrès, et s'y fit remar-
quer par son ardent patriotisme et par la
puissance de sa dialectique. En 1813, il fut
envoyé en Europe, comme commissaire, aux
conférences de Gand, réunies pour terminer
le différend entre l'Angleterre et les Etats-
Unis; mais l'état de sa santé le força d'abré-
ger son séjour dans l'ancien monde, et de re-
tourner daus sa patrie, où il mourut presque
aussitôt.
BAYARD (Jean-François-Alfred), auteur
dramatique français, né a Charolles (Saône-
et-Loire) en 1796, mort à Paris en 1853.
Après avoir fait de bonnes études au collège
Sainte-Barbe, où il se lia d'étroite amitié avec
Scribe, Bayard suivit les cours de l'Ecole de
droit. Sa famille le destinait au barreau, et il
fut quelque temps clerc d'avoué. La vocation
irrésistible de Bayard pour le théâtre l'em-
portant sur son désir d'obéir a la volonté
fiaternelle, il donna au Vaudeville, le 12 juil-
et 1821, une Promenade à Vaucluse. Le suc-
cès de cette bluette décida de l'avenir du
jeune homme, en l'affermissant dans sa réso-
lution de devenir auteur dramatique. Bayard
épousa, en 1827, la nièce de Scribe. Il colla-
borait depuis plusieurs années avec le fécond
vaudevilliste, dont il partagea souvent depuis
les triomphes, sans préjudice de ceux qu'il dut
à son mérite personnel. Ma place et ma femme,
Un ménage parisien, le Mari à la campagne,
Un château de cartes, sont des comédies bien
| faites, où le comique s'allie dans une juste
mesure à l'idée morale, toujours présentée
de manière à séduire toutes les classes de
j spectateurs, c'est-à-dire sans sécheresse ni
\ prétention. La Reine de seize ans, le Gamin
! de Paris, les Premières armes de Richelieu,
] Un fils de famille, et quantité d'autres vau-
I devilles, n'ont rien à envier aux chefs-d'œu-
vre du genre. Bayard a aussi publié des ar-
ticles littéraires dans divers journaux, et des
pièces de vers dans différents recueils. Nous
citerons, parmi ces dernières : Louis XVIau
salut et les Trois ministres, par un Indépen-
dant. Il a composé encore un grand nombre
de chansons, et a été le commentateur des
théâtres d'Albert Nota et du comte Giraud.
Chevalier de la Légion d'honneur en 1837,
Bayard se trouvait arrivé à une position qui
répondait à ses rêves les plus ambitieux. Les
joies du foyer domestique, les succès de l'au-
teur, il les possédait et ne désirait rien au
delà. Le 19 février 1853, Bayard donnait une
soirée, à laquelle assistaient un grand nombre
de ses amis. Etant déjà souffrant depuis deux
jours, il ne voulut pas prendre part au souper,
se retira dans sa chambre à coucher vers
trois heures du matin, et se fit apporter une
tasse de thé. A trois heures et demie, le fils
d'Adolphe Nourrit (le célèbre chanteur) cau-
sait encore avec lui... Bayard se mit au lit,
prit un demi-verre d'eau sucrée, et, un in-
stant après, il rendait le dernier soupir.
Le théâtre de Bayard a été publié par Ha-
chette, en 12 vol. in-12 (1855-1858). Il est pré-
cédé d'une notice par Scribe. « On cherche
souvent dans de longues préfaces, dit le fé-
cond vaudevilliste, à apprécier, à définir,- à
analyser la manière d'un auteur.
Tous les genres sont bons, hors le genre ennuyeux.
Ce vers résume à merveille le genre de
Bayard ; c'était la gaieté, la verve, Iarapidité,
l'entrain dramatique. L'action une fois enga-
gée ne languissait pas; le spectateur, entraîné
et, pour ainsi dire, emporté par ce mouvement
de la scène, arrivait joyeusement, et comme
en chemin de fer, au but indiqué par l'auteur,
sans qu'il lui fût permis de s'arrêter pour ré-
fléchir ou pour critiquer. Il était de l'école de
Dancourt et de Picard, école qui, par mal-
heur, se perd tous les jours. Le faux et le
larmoyant sont faciles ; c'est avec cela que
l'on fabrique du drame ; voilà pourquoi nous
en voyons tant. La vérité et la gaieté sont
choses rares. La comédie en est faite, voilà
pourquoi nous en voyons si peu. Bayard en
avait l'instinct et le talent; la muse comique
lui prodiguait volontiers ses trésors, qu'il dé-
pensait gaiement et sans compter ; souvent, il
est vrai, en petite monnaie qui n'en était pas
moins de bon aloi... Nul doute que si une
mort, aussi fatale qu'imprévue, ne fut venue
arrêter Bayard au milieu d'une carrière déjà
si glorieuse, ses idées ne se fussent dirigées
vers un but plus sérieux, vers des œuvres de
haute portée, où il lui eut été permis de dé-
velopper toutes les merveilleuses qualités
qu'il avait acquises par de longs travaux et
par l'étude constante de son art ; et le fauteuil
académique eût été certainement la juste ré-
compense d'une carrière si bien remplie. De
nos jours, je le sais, il semble à certains es-
prits que l'art est inutile, que le caprice et la
fantaisie tiennent lieu de tout; qu'ils appren-
nent à se passer des règles du coût et de l'é-
tude, et qu'en un mot, il suffit d'ignorer pour
savoir. Système commode, que la médiocrité
devait accueillir avec enthousiasme, et c'est
ce qu'elle n'a pas manqué de faire. Bayard ne
pensait pas ainsi. Peu d'auteurs ont possédé,
a un degré aussi élevé que lui, l'entente du
théâtre, la connaissance de la scène et toutes
les ressources de l'art dramatique : sujet pré-
senté et développé avec adresse, action serrée
et rapide, péripéties soudaines, obstacles
créés et franchis avec bonheur, dénoûment
inattendu, 'quoique savamment préparé, tout
ce que l'expérience et l'étude peuvent donner
venait en aide chez lui à ce qui vient de Dieu
seul et de la nature, l'inspiration, l'esprit,'la
verve^ et cette qualité, la plus rare de toutes
au théâtre, l'imagination, qui invente sans
cesse da nouveau ou qui crée encore, même
en imitant... La fécondité de Bayard lui fut
quelquefois reprochée par des critiques sévè-
res... qui ne faisaient rien.
Nous avons trop d'auteurs qui n'ont fait
qu'un ouvrage! disait Casimir Delavigne; de
nos jours, nous en avons qui se reposent avant
d'avoir produit. Nous en avons d'autres qui
n'ont qu une idée, toujours la même, et, après
l'avoir retournée de trois ou quatre manières
différentes, leur génie impuissant ou épujsé
s'arrête. Le vrai talent, au contraire, ne s'ar-
rête pas ; il a besoin de se produire, de se ré-
pandre, il lui faut de la vie et du jour'..
Voyez les grands auteurs dramatiques, ShfÏK-
speare, Voltaire, Molière, Caldéron : tous
ont créé beaucoup, et leurs rivaux, qui ne pou-
vaient les suivre dans la carrière, trouvaient
F lus facile de décrier leur fécondité que de
imiter. Un autre reproche encore, qu'on a
quelquefois adressé à Bayard, était celui que
les marquis du siècle de Louis XIV adressaient
aussi à Molière quand ils s'écriaient : tarte à
la crème! et qu'ils ne sortaient pas de là; on
lui faisait un crime de la hardiesse, ou plutôt
de la franchise avec laquelle il abordait cer-
tains sujets. Il faut se reporter au temps où
il écrivait. C'était aune époque de décadence
et de mauvais goût, où une école, qui se disait;
celle de la renaissance, éteignait le flambeau
et ramenait les ténèbres, transportait le Par-
nasse à Toulon et la scène de Racine à la cour
d'assises. Bayard luttait vaillamment contre
l'invasion des barbares, et, comme seqle digue
capable de l'arrêter, appelant à son aide l'an-
cienne joyeuse té française, opposait à l'école
romantique l'école de Rabelais, et plaçait en
regard de tableaux sanglants et lugubres des
esquisses d'une gaieté quelquefois un peu
vive. A qui la faute? Les exagérations en tous
genres en amènent d'autres; mais le détrac-
teur, même le plus sévère, quand il avait vu
Frétillon, les Gants jaunes, le Mari de la
dame de Chœurs, la Marquise de Pretintaille,
Indiana et Charlemagne, etc., était obligé de
s'écrier :
- J'ai ri, me voila désarma. -
Voici la liste exacte des pièces de Bayard :
Une promenade à Vaucluse, vaudeville en un
acte (Vaudeville, 12 juillet 1821) ; Mon ami
LU trac y comédie en trois actes et en prose,
avec M. Dufau (Odéon, l^r mars 1823); Guil-
laume et Marianne, drame en un acte et en
prose (Odéon, 25 novembre 1823); Molière au
théâtre, comédie en un acte et en vers libres,
avec Romieu (Odéon, 15 janvier 1824); Ro-
man à vendre ou les Deux libraires, comédie
en trois.actes et en vers (Odéon, 10 février
1825); la Porte secrète, comédie-vaudeville
en un acte, avec Désaugiers (Gymnase, 7 mai
1825) ; Un dernier jour de folies, comédie en
trois actes et en prose, avec Romieu (Odéon,
19 mai 1825); le Veuvage interrompu, comédie
en un acte et en prose (Comédie-Française,
17 octobre 1825); la Belle-Mère, comédie-vau-
deville en un acte, avec Scribe (Gymnase,
1er mars 1826) ; les Comptes de tutelle, comé-
die-vaudeville en un acte, avec Merville
(Gymnase, 15 juin 1826) ; le Neveu de monsei-
gneur, opéra-bouffe en deux actes, avec Tho-
mas Sauvage et Romieu, musique de Rossin:
et Paccini, arrangée pour la scène française
par Guénée (Odéon, 7 août 1826) ; YOncie Phi-
libert, comédie en un acte et en prose, aveu
Gustave, de Wailly (Odéon, 30 avril 1827);
John Bull au Louvre, vaudeville en trois ta-
bleaux, avec Théaulon et Saint-Laurent (Va-
riétés, 13 septembre 1827) ; Une soirée à la ,
mode, comédie-vaudeville en un acte avec
Varner et H. Leroux (Gymnase, 17 septem-
bre 1827); Anglais et Français, à-propos
en un acte et en prose , avec Gustave de
Wailly (joué à la salle Favart par les co-
médiens réunis de l'Odéon et du Théâtre-An-
glais, le 22 octobre 1827); la Reine de seize
ans, comédie-vaudeville en deux actes (Gym-
nase, 30 janvier 1828); la Manie des places
ou la Folie du siècle, comédie-vaudeville en
un acte avec Scribe (Gymnase, "19 juin 1828) ;
la Jeune Fille et la Veuve, comédie-vaudeville
.en un acte, avec Chabot de Bouin (Vaudeville,
20 décembre 1S28); Marino Fatiero à Paris,
folie-à-propos-vaudeville en un acte, avec
Varner (Vaudeville, 7 mai 1829); YIncendie,
comédie-vaudeville en trois actes, avec Paul
Duport (Vaudeville, 27 juin 1829); le Vieux
Pensionnaire, comédie-vaudeville en un acte,
avec H. Leroux (Vaudeville, 17 septembre
1829) ; Marie Mignot, comédie historique, mê-
lée de couplets, en trois époques, avec Pauî
Duport (Vaudeville, 17 octobre 1829); les Ac-
tionnaires , comédie-vaudeville en un acte,
avec Scribe (Gymnase, 22 octobre 1S29);
Louise ou la Réparation, comédie-vaudeville
en deux actes, avec Scribe et Mélesville
(Gymnase, 16 novembre 1829); les Oubliettes
ou le Retour de Pontoise, pochade du xinc siè-
cle, en deux actes, mêlée de couplets, avec
Michel Masson (Vaudeville, 6 mars 1S30);
Philippe, comédie-vaudeville en un acte, avec
Scribe et Mélesville (Gymnase, 19 avril 1830);
Ma Place et ma Femme, comédie en trois actes
et en prose, avec Gustave de Wailly (Odéoi:,
30 avril 1830), reprise à la .Comédie-Fran-
çaise, le 2 novembre 1832 ; le Foyer du Gym-
nase, prologue mêlé de couplets, avec Scribe
et Mélesville (Gymnase, 17 août 1830); la
Foire aux places, comédie-vaudeville en un
acte (Vaudeville, 25 septembre 1830); Jeune
et Vieille on le Premier et le dernier Chapitre,
comédie-vaudeville en deux actes, avec Scribo
et Mélesville (Gymnase, novembre 1830);
Claire d'Albe, drame en trois actes, mêlé de
couplets, avec Paul Duport (Vaudeville, 25 dé-
cembre 1830) ; les Trois Maîtresses ou. une
Cour d'Allemagne, comédie-vaudeville en
deux actes, avec Scribe (Gymnase, 24 jan-
vier 1831); le Budget d'un jeune ménage, co-
médie-vaudeville en un acte, avec Scribe
(Gymnase, 4 mars 1831); Ils n ouvriront pas,
prologue-vaudeville pour l'ouverture du théâ-
tre du Palais-Royal, avec Mélesville et Bra-
zier (6 juin 1831) ; le Frotleury comédie-vau-
deville en un acte, avec Paul Duport (théâtre,
du Palais-Royal, 6 juin 1831); la Perle des
Maris, comédie-vaudeville en un acte,,, avec
Dumanoir et Julien \Gymnase, 30 juin*183i) ;
le Salon de 1831, à-propos-vaudeyiHe en un
acte, avec Varner et Brazier (Palais-Royal,
30 juin 1831): la Grande Dame,-drame en deux
actes, mêlé de couplets (Gymnase, 24 octobre
52
410
1831); les Deux Novices, comédie-vaudeville
en trois époques, avec Varner (Palais-Royal,
24 novembre 1831); le Luthier de Lisbonne,
tirscdote contemporaine en deux actes, mêlée
iio couplets, avec Scribe (Gymnase, 7 décem-
bre 1831); la Foire de Londonderry, tableau
vaudeville en un acte, avec Mélesville (Pa-
lais-Royal, 4 février 1832); le Serrurier,
comédie-vaudeville en un acte, avec Emile
Yanderburch^et Alexis Decomberousse (Gym-
nase, 2 avril 1832); Une bonne fortune, comé-
die-vaudeville en un acte, avec Alexis De-
comberousse (Gymnase, 1" juin 1832); les
Deux font la paire, comédie-vaudeville en un
acte, avec Varin (Variétés, 30 juin 1832) ; Don
Juan ou Un Orphelin, comédie historique en
deux actes, mêlée de couplets (Gymnase,
5 octobre 1832); la Médecine sans médecin,
opéra-comique en un acte, avec Scribe, mu-
sique d'Hérold (Opéra-Comique, 15 octobre
1832); Camilla ou la Sœur et le Frère, comé-
die-vaudeville en un acte, avec Scribe (Gym-
nase, 12 décembre 1832) ; Parismala.de, revue
mêlée de couplets, en un acte, avec Varner
(Palais-Royal, 31 décembre 1832); le Gardien,
comédie-vaudeville en deux actes, avec Scribe
(Gymnase, 11 mars 1832); la Chipie, comédie-
vaudeville en un acte, avec Varner (Palais-
Royal , 30 mai 1833); la Chambre ardente,
drame en cinq actes et en neuf tableaux, avec
Mélesville (Porte-Saint-Martin, 4 août 1833) ;
les Roués, drame historique en trois actes,
mêlé de couplets, avec Thomas Sauvage (Am-
bigu, 10 septembre 1833); Une Mère, drame
en deux actes, mêlé de couplets (Gymnase,
23 novembre 1833) ; le Mari d'une Muse, co-
médie-vaudeville en un acte, avec Varner
(Gymnase, 6février 1834); les Charmettes ou
Une Page des Confessions, comédie-vaudeville
en un acte, avec Emile Vanderburch et Des-
forges (Palais-Royal, 5 avril 1834); Un pre-
mier Amour, comédie-vaudeville en.trois actes,
avec Vanderburch (Vaudeville, 14 mai 1834);
Une Fille à établir, comédie-vaudeville en deux
actes, avec H. Leroux (Gymnase, 16 mai
1834); Un Ménage d'ouvrier, comédie-vaude-
ville en un acte, avec Varner (Palais-Royal,
7 juin 1834); Vingt ans plus tard, comédie-
vaudeville en un acte, avec Laurencin (Vau-
deville, 26 juin 1334) ; la Frontière de Savoie,
comédie-vaudeville en un acte, avec Scribe
(Gymnase, 20 août 1834) ; la Lectrice, comé-
die - vaudeville en deux actes (Gymnase,
16 septembre 1834) ; la Vieille Fille, comédie-
vaudeville en un acte, avec Chabot de Bouin
(Vaudeville, 10 novembre 1834) ; Frétillon ou
la Bonne Fille, vaudeville en cinq actes,
avec Alexis Decomberousse (Palais-Royal,
13 décembre 1834); VU. Fille de l'Avare, comé-
die-vaudeville en deux actes, avec Paul Du-
port (Gymnase, 7 janvier 1835); les Deux
Nourrices, vaudeville en un acte, avec Alexis
Decomberousse (Palais-Royal, 3 février 1835);
les Gants jaunes, comédie-vaudeville en un
acte (Vaudeville, 6 mars 1835); Manette, co-
médie-vaudeville en un acte, avec Gabriel
(Palais-Royal, 28 avril 1835); Mathilde ou la
Jalousie, comédie-vaudeville en trois actes,
avec Laurencin ^Vaudeville, 3 juin 1835):
Aida, opéra-comique en un acte, avec Paul
Duport, musique de Thys (Opéra-Comique,
8 juillet 1835); les Deux Créoles, comédie-
vaudeville en deux actes, avec Vanderburch
(Gymnase, 9 septembre 1835); Y Octogénaire,
ou Adèle de Senanges, comédie-vaudeville en
un acte (Vaudeville, 6 octobre 1835); le Pol-
tron , comédie-vaudeville en un acte avec
Charles Potron et Alphonse ( Vaudeville,
9 octobre 1835); André, comédie-vaudeville,
en deux actes, avec Gustave Lemoine (Vau-
deville, 27 novembre 1837) ; En attendant, co-
médie-vaudeville en deux actes, avec Félix
Arvers et Paul Foucher (Gymnase, 30 no-
vembre 1835); le Gamin de Paris, comédie-
vaudeville en deux actes, avec Vanderburch
{Gymnase, 30 janvier 1836); Madeline laSa-
hotière, comédie-vaudeville en deux actes,
avec Lafitte et Charles Desnoyers (Vaude-
ville, 23 février 1836); la Marquise de Pré-
tintaille, comédie-vaudeville en un acte, avec
Dumanoir (Palais-Royal, 23 avril 1836); Moi-
roud et compagnie, comédie-vaudeville en
un acte, avec de Wailly (Gymnase, 4 mai
1836); le Démon delà nuit, comédie-vaude-
ville en deux actes avec Etienne Arago (Vau-
deville, 18 mai 1836); l'Oiseau bleu, comédie-
vaudeville en trois actes, avec Varner
(Palais-Royal, 8 juin 18361; Sir Hugues de
Gui/fort, comédie-vaudeville en deux actes,
avec Scribe (Gymnase, 5 octobre 1836) ; Théo-
dore ou Heureux quand même, comédie-vau-
deville en un acte, avec Paulin Deslandes
(Palais-Royal, 17 octobre 1836); Marion Car-
mélite, comédie-vaudeville en un acte, avec
Dumanoir (Palais-Royal, 19 octobre 1836); le
Muet d'Ingouville, comédie-vaudeville en
deux actes, avec Bouffé et Davesne (Gym-
nase, 26 novembre 1836); le Mari de la dame
de Chœurs, vaudeville en deux actes, avec
Duvert (Vaudeville, 12 décembre 1836); les
Deux Manières, comédie-vaudeville en m*eux
actes, avec Mathon (Gymnase, 17 décembre
1836); VAnnée sur la Sellette, revue mêlée de
couplets, en un acte, avec Théaulon et Fré-
déric de Courcy (Palais-Royal, 1er janvier
1837); le Chevalier d'Eon, comédie-vaude-
ville en trois actes, avec Dumanoir (Variétés,
25 janvier 1837); Paul et Jean, comédie-vau-
deville eu deux actes (Variétés, 13 mai 1837);
Judith, comédie-vaudeville en deux actes, avec
Dumanoir (Variétés, 3 juin 1837); Un Retour
de jeunesse, vaudeville fantastique en un acte,
avec Anicet Bourgeois (Variétés, 20 juillet
1837); Résignée ou Deux Ménages, comédie-
vaudeville en, deux actes (Variétés, 20 sep-
tembre 1837) ; le Père de la débutante, comé-
die-vaudeville en cinq actes, avec Théaulon
(Variétés, 28 octobre 1837) ; De l'Or ou le Rêve
d'un savant, comédie-vaudeville en un acte,
avec de Biéville (Gymnase, 11 novembre 1837) ;
Suzette, comédie-vaudeville en deux actes,
avec Dumanoir et Dennery (Variétés, 18 dé-
cembre 1837) ; Madame et monsieur Pinchon,
comédie-vaudeville en un acte, avec Dumanoir
et Dennery (Variétés, 5 avril 1838) ; Monsieur
Gogo à ta Bourse, vaudeville en un acte et un
tableau (Variétés, 16 mai 1838); Mathias l'in-
valide, comédie-vaudeville en deux actes, avec
Léon Picard, pseudonyme d'Antoine Bayard
(Variétés, 5 juin 1838) ; Léonce ou Propos de
jeune homme, comédie-vaudeville en trois ac-
tes, avec Camille Doucet (Variétés, 4 août
1838) ; C'est monsieur qui paye, vaudeville en
un acte, avec Varner (Variétés, 12 novembre
1838); les Trois Sœurs, drame en un acte,
mêlé de couplets (Variétés, 26 novembre 1838);
les Trois bals, vaudeville en trois actes (Va-
riétés, G février 1839); Phœbus ou Y Ecrivain'
public, comédie-vaudeville en deux actes,
avec de Biéville (Variétés, 21 mars 1839);
Geneviève la Blonde, comédie-vaudeville en
deux actes, avec de Biéville (Variétés, 22 mai
1839); Emile ou Six Têtes dans un chapeau,
comédie-vaudeville en un acte, avec Duma-
noir (Variétés, 18 juin 1839) ; les Trois Beaux-
Frères, comédie-vaudeville en un acte, avec
Thomas Sauvage (Palais-Royal, 16 septembre
1839); les Avoués en vacances, coméaie-vau-
deville en deux actes, avec Dumanoir (Palais-
Royal, 9 novembre 1839); Fragoletta, comé-
die-vaudeville en deux actes, avec Vander-
burch (Variétés, il novembre 1839); les Pre-
mières armes de Richelieu, comédie-vaudeville
en deux actes, avec Dumanoir (Palais-Royal,
3 décembre 1839) ; les Enfants de troupe, co-
médie-vaudeville en deux actes, avec de Bié-
ville (Gymnase, 16 janvier 1840); la Fille du
régiment, opéra-comique en deux actes, avec
de Saint-Georges, musique de Donizetti
(Opéra-Comique, 11 février 1840); Indiana et
Charlemagne, vaudeville en un acte, avec
Dumanoir (Palais-Royal, 26 février 1840); la
Marchande à la toilette, comédie-vaudeviMe
en deux actes, avec Léon Picard, pseudonyme
d'Antoine Bayard (Variétés, 13 mai 1840); la
Servante du Curé, comédie-vaudeville en un
acte, avec Xavier Saintine et Michel Masson
(Palais-Royal, 23 mai 1840); Marcelin, drame
en trois actes, mêlé de chant, avec Dumanoir
(Vaudeville, 30 mai 1840); Mon gendre, co-
médie-vaudeville en un acte, avec Laurencin
(Gymnase, il juillet 1840); 2Yianon,comédie-
vaudeviile en deux actes, avec Léon Picard
(Palais-Royal, 8 octobre 1840); les Guêpes,
revue'mêlée de couplets, avec Dumanoir
(Palais-Royal, 30 novembre 1840) ; Made-
moiselle Montansier, comédie-vaudeville en
deux actes, avec Gabriel (Palais - Royal,
29 janvier 1841); les Bombés, folie-vaudeville
en un acte, avec Vanderburch (Variétés, 19 fé-
vrier 1841); la Belle Tourneuse, vaudev'lle
historique en trois actes, avec Rochefort
(Vaudeville, 7 mars I84lh le Tyran d'une
Femme, comédie-vaudeville en un acte, avec
Ch, Potron (Gymnase, 9 mars 1841); les Trois
Lionnes, comédie-vaudeville en deux actes ,
avec Dumanoir (Gymnase, 19 mars 1841); le
Conscrit de l'an VIII, comédie-vaudeville en
deux actes, avec Gabriel (Gymnase, 6 mai
1841); Mademoiselle Salle, coinédie-vaude-
deville en deux actes, avec Saintine et Du-
manoir (Palais-Royal, 29 juin 1841); le Vi-
comte de Lêtorières, comédie-vaudeville en
trois actes, avec Dumanoir (Palais-Royal,
1er décembre 1841); les Fées de Paris, comé-
die-vaudeville en deux actes (Gymnase, 3 dé-
cembre 1841); Pour mon fils^ comédie-vaude-
ville en deux actes, avec Jaune (Vaudeville,
9 décembre 1841); la Tante malgardée, comé-
die-vaudeville en un acte, avec Mathon (Pa-
lais-Royal (18 janvier 1842); Une Femme sous
les scellés, monologue, avec Saintine (Palais-
Royal, 26 mars 1842); les Aides de camp,
comédie-vaudeville en un acte, avec Duma-
noir (Gymnase, 1" avril 1842); le Mari à
l'essai, comédie-vaudeville en un acte, avec
Jules Cordier, pseudonyme d'Eléonor de Vau-
labelle (Palais-Royal, 4 mai 1842).; Chez un
garçon, comédie-vaudeville en un acte, avec
Saintine (Gymnase, 10 mai 1842); Mérovée
ou Brune et Blonde, comédie-vaudeville en un
acte, avec de Biéville (Vaudeville, 17 mai
1842); les Deux couronnes, comédie-vaude-
ville en trois actes, avec Dumanoir.(Palais-
Royal, 8 juin 1842); le Capitaine Charlotte,
comédie-vaudeville en deux actes, avec Du-
manoir (Palais-Royal, 3 décembre 1842); le
Magasin de la graine de lin, vaudeville en un
acte, avec Potron (Vaudeville, 8 décembre
1842); Derrière l'alcôve. monologue, avec
Saintine (Vaudeville, 25 décembre 1842); Pé-
roline ou la Visite de noce, comédie-vaude-
ville en un acte, avec Dupin (Palais-Royal,
5 janvier 1843) ; Mademoiselle Déjazet au
sérail ou le Palais-Royal en 1872, vaudeville
en un acte (Palais-Royal, 28 mars 1843); Mé-
tier et Quenouille, comédie-vaudeville en deux
actes, avec Dumanoir (Variétés, 7 juin 1843);
la Salle d'à. ..tes, comédie-vaudeville en un
acte, avec Gabriel (Palais-Royal. 4 août 1843);
Parts, Orléans et Rouen, comédie-vaudeville
en trois actes, avec Varin (Palais-Royal,
1er septembre 1843) ; la Marquise de Carabas,
comédie-vaudeville en un acte, avec Duma-
noir (Palais-Royal, 21 novembre 1843); Un
Ménage parisien, comédie en cinq actes et en
vers (Comédie-Française, 23 janvier 1844) ;
Frère Galfatre, comédie-vaudeville en deux
actes, avec Saintine (Palais-Royal, 18 mai
1844); le Chevalier de Grignon, comédie-vau-
deville en deux actes, avec Mélesville (Varié-
tés, 28 mai 1844); le Mari à la campagne,
comédie en trois actes et en prose, avec Jules
de Wailly (Comédie-.Française, 3 juin 1844);
Niçoise à Paris, vaudeville en un acte, avec
Dumanoir (Variétés, 6 juin 1844); le Billet de
faire part, comédie-vaudeville en deux actes
(Palais-Royal, 12 juillet 1844); YEtourneau,
comédie-vaudeville en trois actes, avec Léon
Laya (Palais-Royal, 7 septembre 1844), re-
pris au Gymnase; le Roman' de la pension,
comédie-vaudeville en un acte, avec Saint-
Laurent (Palais-Royal, 15 novembre 1844);
Madame de Cérigny, comédie-vaudeville en
un acte, avec Ch. Potron (Gymnase, 30 dé-
cembre 1844); Boqaillon à la recherche d'un
père, comédie-vaudeville en trois actes, avec
Dumanoir (Variétés, 15 janvier 1845); Mimi
Pinson, vaudeville en un acte, avec Dumanoir
(Variétés, 26 janvier 1845); les Deux Pierrots,
vaudeville en un acte (Variétés, 13 mars 1845) ;
le Petit Homme gris, comédie^vaudeville en
un acte, avec Simonin (Gymnase, 15 mars
1845; la Belle et la Bête, comédie-vaudeville
en deux actes, avec Varner (Gymnase, 22 mars
1845) ; le Lansquenet et les Chemins.de fer, co-
médie-vaudeville en un acte, avec Dumanoir
(Gymnase, 18 mai 1845) ; Une Voix, opéra-
comique en un acte, avec Potron, musique
d'Ernest Boulanger (Opéra-Comique, 28 mai
1845); la Pêche aux Beaux-Pères, comédie-
vaudeville en deux actes, avec Thomas Sau-
vage (Palais-Royal, 16 juin 1845); Un Change-
ment de main , comédie-vaudeville en deux
actes, avec Charles Lafont (Gymnase, 28 juin
1845); les Couleurs de Marguerite, comédie-
vaudeville en deux actes, avec de Biéville
(Gymnase, 4 octobre 1845); la Gloire et te Pot-
au-Feu, comédie-vaudeville en un acte, avec
Frédéric de Courcy (Palais-Royal, 1er dé-
cembre 1845); Un Nuageau ciel,comédie-vau-
deville en un acte, avec Paul Mercier (Gym-
nase, 15 janvier 1846); George et Maurice,
comédie-vaudeville en deux actes, avec Léon
Lava (Gymnase, 21 février 1846); le Petit-
Fils, comédie-vaudeville en un acte, avec
Varner (Gymnase, 8 mai 1846); Juanita ou
Volte-face, comédie-vaudeville en deux actes.
f avec Alexis Decomberousse (Gymnase, 26 mai
1846); le Gant et l'Eventail, comédie-vaude-
ville en trois actes, avec Thomas Sauvage
(Vaudeville, 6 juin 1846); les Demoiselles de
noce, comédie-vaudeville en deux actes, avec
Léon Laya (Gymnase, 31 octobre 1846); le
Fantôme, comédie-vaudeville en un acte, avec
Thomas Sauvage (Vaudeville, 19 février 1847);
YEnfant de l'amour ou les Deux marquis de
Saint-Jacques, comédie-vaudeville en trois
actes, avec Paul Vermont (Variétés, 20 mars
1S47); Père et Portier, vaudeville en deux
actes, avec Varner (Palais-Royal, 8 mai 1847);
la Vicomtesse Lolotte, comédie-vaudeville en
trois actes, avec Dumanoir (Vaudeville, 12 mai
1847) ; les Nuits blanches, comédie-vaudeville
en deux actes, avec de Biéville (Gymnase,
20 mai 1847); les Chiffonniers, pièce en cinq
actes, mêlée de couplets, avec Th. Sauvage
et Fr. de Courcy (Palais-Royal, 4 août 1847);
le Réveil du lion, comédie-vaudeville en deux
actes, avec Jaime (Gymnase, 2 octobre 1847);
Jérôme le Maçon, comédie-vaudeville en deux
actes, avec de" Biéville (Variétés, 19 novem-
bre 1847); Un Château de cartes, comédie en
trois actes et en vers (Comédie-Française,
13 décembre 1847); Une Poule, comédie-vau-
deville en deux actes, avec Léon Marcel,
pseudonyme d'Antoine Bayard (Variétés,
10 mai 1848); .Horace et Caroline, comédie-
vaudeville en deux actes, avec de Biéville
(Gymnase, 19 mai 1848); la Niaise de Saint-
Flour, comédie-vaudeville en un acte, avec
Gustave Lemoine (Gymnase, 19 juin 1848) ; la
Comtesse de Sennecey, drame en trois actes,
mêlé de chant, avec Dennery (Gymnase,
11 septembre 1848); Rage a'amour ou la
Femme d'un ami, comédie-vaudeville en un
acte, avec Léon Laya (Gymnase, 22 décem-
bre 1848); le Berger de Souvigny, comédie-
vaudeville en deux actes, avec de Biéville
(Variétés, 6 février 1849); le Curé de Pom-
ponne, comédie-vaudeville en deux actes (Pa-
lais-Royal, 24 mars 1849); Gardée à vue,
comédie-vaudeville en un acte, avec de Bié-
ville (30 mars 1849); les Prétendants, comé-
die mêlée de couplets, en un acte (Vaudeville,
25 avril 1849); la Grosse caisse ouïes Elections
dans un trou, pochade électorale eu deux ac-
tes, mêlée de couplets, avec Varner (Palais-
Royal, 19 mai 1849); la 'Conspiration de Mal-
let ou Une nuit de l empire, drame historique
en cinq actes, mêlé de chant, avec Varner
(Vaudeville. 1er juin 1849) ; Un oiseau de pas-
sage, comédie-vaudeville en un acte, avec
Emile Vanderburch (Palais-Royal, 4 août 1849) ;
le Groom, comédie-vaudeville en un acte, avec
Léon Laya (Palais-Royal, 21 août 1849) ; Pas
de fumée sans feu, comédie-proverbe en un
acte, mêlée de couplets (Vaudeville, 7 sep-
tembre 1849) ; l'Impertinent, comédie-vau-
deville en deux actes, avec Paulin Des-
landes (Vaudeville, 6 novembre, 1849);
Y Année prochaine ou Qui vivra verra, comé-
die-vaudeville en un acte, avec de Biéville
(Gymnase, 18 décembre 1849); la Bossue, co-
médie-vaudeville en un acte, avec Dumanoir.
1 (Gymnase, 29 décembre 1849) ; les Bijoux
. indiscrets, comédie-vaudeville en deux actes,
j avec Mélesville (Gymnase, 8 février 1850) ;
1 Princesse et charbonnière^ comédie-vaudeville
en un acte, avec Dumanoir (Gymnase, 13 avril
1850) ; le Sous-préfet s'amuse, comédie-vaude-
ville en deux actes, avec Varner ( Palais-
Royal, 16 avril 1850); Quand on attend sa
belle, vaudeville en un acte, avec Théodore
Barrière (Palais-Royal, 29 septembre 1850);
Un divorce sous l'empire, comédie-vaudeville
en deux actes, avec de Corval (Gymnase,
4 octobre 1850) ; les Deux aigles, comédie-vau-
deville en deux actes, avec de Biéville (Pa-
lais-Royal, 17 octobre 1850); la Douairière de
Brienne, comédie-vaudeville en un acte, avec
Dumanoir (Vaudeville, 5 novembre 1850); le
Canotier, comédie-vaudeville en un acte, avec
Thomas Sauvage (Gymnase, 28 décembre
1850) ; Tout vient à point à qui sait attendre,
comédie-proverbe en un acte (Gymnase,
22 janvier I85l)j le Vol à la fleur d oranger,
comédie-vaudeville en deux actes, avec Var-
ner (Palais-Royal, 28 janvier 1851) ; le Démon
de la nuit, opéra en deux actes,iavec Etienne
Arago, musique de Rosenhain (Opéra, 17 mars
1851) ; Si Dieu le veut, comédie-vaudeville en
trois actes, avec de Biéville (Gymnase, 1er juil-
let 1851); Laure et Delphine, comédie-vaude-
ville en deux actes, avec Charles Potron
(Gymnase, 21 octobre 1851); Hortense de
Ceriiy, comédie-vaudeville en deux actes,
avec Arthur de Beauplan (Vaudeville, 24 no-
vembre 1851); Monsieur Barbe-Bleue, comé-
die-vaudeville en un acte (Gymnase, 13 jan-
vier 1852); les Danseurs espagnols, vaudeville
en un acte, avec de Biéville (Palais-Royal,
3 février 1852); les Enfants de la balle, co-
médie-vaudeville en un acte, avec de Biéville
(Palais-Royal, 21 février 1852); lu Fille d'Hoff-
mann, draine en un acte, mêlé de couplets,
avec Varner (Gymnase , 15 mai 1852) ; Un
soufflet n'est jamais perdu, comédie-vaude-
ville en un acte (Gymnase, 1" juin 1852); les
Echelons du mari, comédie-vaudeville en trois
actes, avec Varner (Gymnase, 15 juin 1852);
Thérèse ou Ange et Démon, comédie-vaude-
ville en deux actes, avec Arthur de Beauplan
(Gymnase, 29 octobre 1852) ; Une poule mouil-
lée, comédie-vaudeville en un acte, avec de
Biéville (Palais-Royal, 9 novembre 1852) ; Un
Fils de famille, comédie-vaudeville en trois
actes, avec de Biéville (Gymnase, 25 novem-
bre 1852); Alexandre chez Apelle, comédie-
vaudeville en un acte, avec H. Dupin (Vau-
deville, 27 décembre 1852) ; Habitez donc votre
immeuble ! comédie-vaudeville en un acte,
avec Varner (Palais-Royal, 28 décembre 1852);
le Miroir, opéra-comique en un acte, avec
Davrigny, musique de Gastinel (Opéra-Comi-
que, 19 janvier 1853); Bocace ou le Décamé-
ron, comédie en cinq actes, mêlée de chants,
avec de Leuven et Arthur de Beauplan (Vau-
deville, 23 février 1853); Y Ombre d'Argentine,
opéra-comique en un acte, avec de Biéville,
musique de Montfort (Opéra-Comique, 28 avril
1853) ; Un moyen dangereux, comédie-vaude-
ville en un acte, avec Michel Delaporte (Gym-
* nase, 22 juin 1854).
Bayard est encore auteur de deux comédies-
vaudevilles, arrêtées par la censure au mo-
ment de la représentation, les Trois époques,
en trois actes, et lés Martyrs, en un acte, en
société avec Varner. — Son frère, Antoine
BAYARD, né à Paris en 1807, a collaboré, sous
divers pseudonymes, à plusieurs de ses pièces.

BAYART
s. m. (ha-iar). Grosse civière,
particulièrement en usage dans les ports.
Il On écrit aussi BAÏ'ART.

BAYATTE
s. f. (ba-ia-te). Ichth. Espèce de
très-grand poisson, qui paraît appartenir
au genre silure, et qui vit sur les côtes
d'Afrique.

BAYAVDIER
s. m. (ba-io-dic). Syn. de
bajoyer.

BAYAZED
ÀNCARI, fondateur de la secte
des roschanis ou illuminés. Né dans le Penjab
vers 1524, il a exposé ses doctrines en trois
langues : en hindi, en persan et en pouchtou.

BAYAZID
ville forte de la Turquie d'Asie,
sur les frontières de l'Arménie, pachalik et à
70 kil. S.-E. de Kars, h 30 kil. S. du mont
Ararat; 12,000 hab. Au milieu des misérables
masures en terre, où vivent les habitants,
s'élève, sur un rocher le palais du pacha,
véritable chef-d'œuvre d'architecture arabe,
construit il y a environ un siècle. Ce monu-
ment, qui offre un mélange des styles armé-
nien, turc et persan, se aistingue des autres
édifices élevés par les musulmans, en ce que,
selon M. Texier, sa solidité égale la richesse
de sa décoration intérieure. L'avant-cour,
destinée aux cawas et aux gardes du gouver-
neur, est entourée de colonnes arabesques
soutenant des arcades en ogive. La grande
cour communique, d'un côté, avec la salle
(selamnick) où le pacha donne ses audiences ;
de l'autre, avec les appartements secrets ou
harem, dont les hautes fenêtres dominent une
plaine immense. Le tombeau du fondateur du
palais, construit dans un angle de la grande
cour, se trouve au milieu d'une enceinte qui
en défend les approches; il est attenant a une
mosquée, dont le dôme, tout en pierres de taille,
couronne l'ensemble de l'édifice. « Le salon de
réception, dit M. Texier, est décoré dans un
goût qui rappelle plus le goût persan que le
goût turc ; on y voit des corniches en émail,
des fleurs peintes sur des glaces, des arceaux
à la forme oizarre et contournée, un plafond
dans lequel se jouent mille oiseaux fantasti-
411
ques, tout cela d'une conservation et d'un ;
brillant parfaits. - j
Bayazid possède encore un ancien château, '
forteresse appuyée à une crête de rochers' !
presque perpendiculaire, qui pouvait servir de '
défense dans le temps où 1 on ne possédait pas -
d'artillerie, mais qui de nos jours rend la -
place facile à réduire, comme les Russes l'ont !
prouvé en 1828. La construction paraît re- [
monter au xne ou au xme siècle ; mais elle a j
été renforcée postérieurement par des ou- j
vrages qui semblent plutôt dirigés contre la
ville que contre les ennemis du dehors. Cette
forteresse offre un aspect des plus pittores-
ques; les murailles suivent les caprices de la
montagne et vont, en serpentant, se rattacher
à de petits forts situés sur le sommet. C'est
dans ce château que M. Amédée Jaubert,
savant orientaliste, chargé par Napoléon d'une
mission en Perse, fut arrêté et détenu plu-
sieurs mois au fond d'une citerne éclairée
seulement par la partie supérieure. En sor-
tant de cette prison, dans un couloir étroit
formé par la muraille et le flanc de la mon-
tagne, on remarque deux figures sculptées
dans le roc, qui paraissent remonter à une
très-haute antiquité. « Elles sont d'un dessin
lourd et incorrect, dit M. Texier, mais on
retrouve dans leur ensemble les rudiments de
cette sculpture asiatique, dont il reste " des
types dans certains rochers de la Médie et de
1 Assyrie. L'une de ces flgures est coiffée
d'une espèce de casque, qui n'est.pas sans
analogie avec la coiffure phrygienne; elle est
imberbe, vêtue d'une ample robe, et tient à la
main gauche un bâton noueux. Le person-
nage qui vient derrière le précédent est un
vieillard, coiffé d'un casque à peu près sem-
blable, et relevant sur son bras un pan de son
manteau.

BAYDAR
s. m. (bè-dar). Navig. Barque en
usage en Sibérie. Il On dit aussi BAYDAR-
GUB s. f.

BAYE
s. f. (ba-ie). Autref. sorte de cou-
telas de guerre.
BAYEMON. Démonol. Diable que l'on consi-
dérait comme roi de l'Occident infernal. Le
grimoire du pape Honorius l'invoque en ces
termes : 0 roi Bayemon très-fort, qui règnes
aux parties occidentales, je t'appelle et invo-
que au nom de la divinité ; je te commande, en
vertu du Très-Haut, de m envoyer présente-
ment devant ce cercle N...j si tu ne le fais,
je te tourmenterai du glaive du feu divin,
j'augmenterai tes peines et te brûlerai. Obéis,
roi Bayemon 1

BAYEN
(Pierre), pharmacien chimiste, né
à Châlons-sur-Marne en 1725, mort en 1798. Il
vint à Paris en 1749, et fut l'élève de Rouelle.
Il travailla quelque temps dans le laboratoire
de Chamousset,ou il montra une si remarqua-
ble aptitude pour la chimie, que le gouverne-
ment le chargea d'analyser toutes les eaux mi-
nérales de la France. Ce travail importantfut
interrompu par l'ordre qu'il reçut, en 1756, de
suivre, comme pharmacien en chef, l'expédition
de Minorque. Il passa, au même titre, à l'armée
d'Allemagne pendant la guerre de Sept ans,
et y rendit les plus grands services. A la paix,
il reprit son travail sur les eaux minérales, et
publia, en 1765, Y Analyse des eaux de Bagn ères-
ae-Luchon. Il s'occupa ensuite, pendant plus
de douze ans, de l'analyse des minéraux, et fit
de nombreux mémoires sur les marbres, ser-
pentines, porphyres, jaspes, granits, schistes
argileux, etc., mémoires qui furent insérés-
dans le Recueil des savants étrangers. Ces re-
cherches firent connaître la présence de la
magnésie dans les schistes, et la possibilité
de la faire servir en France à des fabriques
de sel d'Epsom ou de Sedlitz. En 1781, il pu-
blia, en commun avec Charlard,un grand tra-
vail sur l'étain, où il montra que la petite
quantité d'arsenic que l'on trouve unie à ce
métal ne peut être nuisible dans les usages
domestiques, comme l'avaient cru Margraff
et Henkel.
Mais le principal titre de Bayen dans les
sciences chimiques est d'avoir, par des expé-
riences qui précédèrent celles de Lavoisier,
ruiné de fond en comble la théorie du phlo-
gistique. On sait que, d'après cette théorie
célèbre, tous les corps combustibles étaient
formés de la combinaison d'un radical incom-
bustible avec un principe inflammable; que ce
principe nommé phlogistique était la matière
même du feu et produisait la chaleur et la
lumière, en se dégageant des corps combusti-
bles dans le phénomène de combustion. En un
mot, ce phénomène de la combustion, où la
chimie moderne voit une combinaison, une
synthèse j l'absorption d'un principe pondé-
rable et matériel, la théorie de Stahl y voyait
une réduction, une analyse, le dégagement d'un
principe subtil et insaisissable. On comprend
que la théorie du phlogistique était menacée
et par le développement de la chimie pneuma-
tique, qui ne pouvait manquer de substituer
bientôt la réalité à la fiction, et par l'intro-
duction dans les analyses des pesées compa-
ratives. Déjà en 1630, Jean Rey avait trouvé
que l'étain augmentait de poids par sa trans-
formation en chaux (oxyde) ; Bayen ^vérifia
ce fait, le tira de l'oubli où il était reste ense-
veli, et montra par des expériences décisives
que tous les corps désignés sous le nom de
chaux métalliques doivent leur excès de poids,
et tous les caractères qui les distinguent des
métaux qu'ils contiennent, & l'absorption d'un
des éléments de l'air atmosphérique. Lavoi-
sier venait de reconnaître qu'en réduisant la
chaux de plomb en vase" clos, au contact du
charbon, il se dégageait une substance ga-
zeuse, semblable a celle que les pierres cal-
caires laissent dégager par la calcination.
Bayen eut l'heureuse idée de répéter cette
-expérience sur la chaux de mercure, et par-f
vint à la réduire en mercure liquide, en la
chauffant en vase clos sans le contact du
charbon. Il prouva que, dans cette opération,
il se dégageait une matière gazeuse dont le
oids était exactement en rapport avec celui
u métal revivifié. Il en tira la double conclu-
sion que les métaux pouvaient se régénérer
sans le contact d'un corps combustible qui pût
leur fournir du phlogistique, et que la com-
bustion des métaux n'était autre chose que le
résultat de la combinaison de ceux-ci avec le
rlncipe gazeux qui se dégageait dans la ré-
uction du mercure. Bayen publia ces décou-
vertes en 1774, dans le Journal de physique de
l'abbé Rozier, sous ce titre : Essais chimiques
ou Expériences faites sur quelques précipités
de mercure, dans la vue d'en découvrir la vraie
nature. On voit qu'il peut revendiquer une
part sérieuse dans la gloire de la révolution
chimique à laquelle Lavoisier a attaché son
nom,

BAYER
v. n. ou intr. (bè-ié — du v. fr.
béer, être ouvert. — Je baye, tu bayes, il baye
ou il baie, nous bayons, vous bayez, ils bayent
ou ils baient ; je bayais, nous bayions, vous
bayiez, Us bayaient; je bayai, nous bayâmes;
je bayerai, je baierai on je boirai; je bayerais,
je baierais ou je bairais; baye, bayons, bayez;
gué je baye, que nous bayions, que vous bayiez,
qu'ils bayent; que je bayasse, que nous bayas-
sions; bayer, bayant, bayé). Ouvrir la bou-
che en regardant : Il trouva sous sa main le
comte de La Tour, parmi une foule d'officiers
qui étaient venus BAYER là. (St-Sim.) Il y a
autre chose à faire que de poétiser et BAYER à
la grisette; (Proudh.)
N'est sens ne courtoisie De bayer en autrui maison. xin« siècle.
_ — Loc. fam. Bayer aux corneilles, Regarder
oiseuscment, niaisement : Les nombreux do-
mestiques, hommes et femmes, du palais Tor-
lonia semblaient passer leur temps à BAYER
AUX CORNEILLES. (Mme L. Colet.)
. . ' Je gage mes oreilles
Qu'il est dans quelque allée, à bayer aux corneilles.
PIRON.
Allons donc, vous rêvez et bayez aux corneilles;
Jour de Dieu ! je saurai vous frotter les oreilles.
MOLIÈRE.
Il Bayer aux chimères, Rêver à des chimères :
Que de gens bayent aux chimères, Cependant qu'ils sont en danger, Soit pour eux, soient pour leurs affaires?
LA FONTAINE.
II Bayer après, Soupirer après, désirer ar-
demment :
Il baye après un bien qui sottement lui plaît.
RÉUNIER.
Le nouveau roi baye après la finance.
LA FONTAINE.
— Rem. D'excellents écrivains ont confondu
bayer et bâiller; mnis la distinction est préfé-
rable, bienguecesdeux mots aient une racine
commune. Quelques autres ont conservé ou
tentéde rajeunirl'ancienneorthographe béer:
Je voulus aller dans la cour pour BÉER comme
les autres. (Mme de Sév.) Je n'étais pas seul à

BÉERJ
les femmes en faisaient autant, à toutes
les fenêtres dé leurs maisons. (Chateaub.)
BAYER (Jean), astronome allemand, né à
Augsbourg, mort en 1660. Il se consacra
d'abord au ministère évangélique, dans lequel
il se signala par son zèle et surtout par son
éloquence, qui lui fit donner le surnom d'Os
protestantium, puis il employa la plus grande
partie de son temps à l'étude de l'astronomie.
Ses travaux sur cette science lui valurent
d'être anobli par l'empereur Léopold, en 1669.
Son ouvrage le plus important, intitulé Ura-
nometria (Augsbourg, 1603, in-fol.), renferme
les premières cartes célestes complètes, du
moins pour le temps, qui aient été publiées. .
Dans sa description des constellations, au lieu
de donner à chaque étoile un nom différent, il
eut l'idée, adoptée depuis lors, de désigner les
étoiles de chaque constellation par des lettres
de l'alphabet grec, en les appelant a, p, ^, S, etc.,
d'après l'ordre de leur grandeur.
BAYER (Théophile-Sigefroi), petit-fils du
précédent, orientaliste, né à Kœnigsberg en
1694, mort h Saint-Pétersbourg en 1738. Il
s'appliqua avec tant d'ardeur à l'étude des
langues orientales, que sa santé en fut altérée,
et qu'il fut obligé de voyager pour la rétablir.
II revint à Kœnigsberg en 1717, et fut nommé
bibliothécaire. Puis il alla à SaintrPétersbourg,
où il occupa une chaire d'antiquités grecques
et romaines. Ses principaux ouvrages sont
Musœum sinicum (Z vol. in-8°); Historia
Osrhoena et Edessena nummis iltustrata (in-4«) ;
une traduction du livre de Tchoun-tsieou, ou
Chronique du royaume de Lu, par Confu-
cius, etc.
BAYER (Franç.-Perez), antiquaire espagnol,
né en 1711 à Valence, mort en 1794. Il rut pro-
fesseur d'hébreu à Salamanque, chanoine de
la cathédrale de Tolède,nommé par Charles III
Sercepteur des infants, enfin, appelé au poste
e conservateur de la bibliothèque de Madrid
et à celui de conseiller de la chambre du roi.
Très-versé dans la connaissance des langues
et des antiquités orientales, il ne cessa de
chercher des manuscrits, tant dans les prin-
cipales villes d'Espagne, qu'en Portugal et en
Italie, où il se lia avec les hommes les plus
savants de l'époque. On a de ce savant des
ouvrages imprimés et manuscrits. Parmi les
premiers, nous citerons : sa dissertation Sur,
les rois de Vile de Tarse (Barcelone, 1753,
in - fol.) ; les Catalogues des bibliothèques
de l'Escurial et de Tolède (1760-1763, 4 vol.
in - fol.) j Damasus et Laurcntins Ilispanis
adserti, etc., Rome, 1756); Del alfabeto y
lingua de los Fenicesy de sus colonias(Madrid,
1772, in-fol.) ; De Nummis hebrœo-samari-
tanis (Valence, 1780, petit in-fol. avec figures),
œuvre d'un profond érudit, qu'il défendit contre
quelques attaques dans Nummorum hebrœo-
samaritanarum vindiciœ (1790). Il eut une
grande part à la traduction de Salluste en
-espagnol par son élève, l'infant don Gabriel
(1772, in-fol.), traduction excellente, qui est
à la fois un chef-d'œuvre typographique
espagnol.
BAYER (Jérôme-Jean-Paul), jurisconsulte
allemand, né en 1792 à Salzbourg (Autriche).
Reçu docteur en droit en 1805, à la faculté de
Landshut, il fut agrégé en 1808, et nommé
professeur ordinaire en 1822, à la même faculté.
Depuis 1826, il est attaché à la faculté de Mu-
nich. Il a publié sur les principes et les règles
de la procédure plusieurs traités estimés,
parmi lesquels nous citerons : Leçons de pro-
cédure civile ordinaire d'après le manuel de
Martin, etc. ;. Théorie de la procédure som-
maire; Théorie de laprocédure de concours, etc.
Ces ouvrages, écrits en allemand, ont eu de
nombreuses éditions.
BAYER DE BOPPART (Thierry) évêque de
Metz, mort en 1384. Il laissa, en 1365, le siège
épiscopal de Worms pour prendre celui de
Metz, s'efforça, dès' son arrivée, de faire dis-
paraître toutes causes de trouble dans son
diocèse, mit fin à une querelle qui s'était
élevée entre les bourgeois de Metz et son
prédécesseur, fit alliance avec les ducs de
Lorraine et de Bar, puis combattit avec
Charles IV contre le duc de Milan. Son expé-
rience des affaires, sa connaissance de plu-
sieurs langues et ses qualités extérieures le
firent choisir par le roi pour être-son ambas-
sadeur à Rome. De retour dans son évêché,
Bayer entra, en 1373, en conflit avec la bour-
geoisie de Metz, qu'il excommunia. Deux ans
après, il consentit à lever l'interdit, moyennant
une somme de 5,000 livres en'or; puis, pressé
par le besoin d'argent, il vendit a la ville son
droit de battre monnaie , essaya de réformer
les mœurs du clergé et ne réussit qu'à le sou-
lever contre lui; enfin, il eut à soutenir une
guerre ruineuse pour lui-même contre les
ducs de Lorraine et de Bar, et mourut las
d'une vie si pleine de troubles et d'agitations.
BAYER DE BOPPART (Conrad), évêque de
Metz, mort en 1459, appartenait à la famille
du précédent. Entré dans les ordres, et devenu
primicier de la cathédrale de Metz, il at-
tira, au concile de Constance, l'attention de
Jean XXIII, qui lui donna le siège épiscopal
de Metz en 1405. Il s'occupa d'abord de paci-
fier la province en exterminant les brigands
qui la ravageaient, et en mettant fin à l'état
d'hostilité des Messins et du duc de Lorraine,
puis il se rendit à Rome, afin d'obtenir l'arche-
vêché de Trêves pour son neveu Jacques de
Sterck. A cette époque, René d'Anjou dispu-
tait à Antoine de Vaudemont le duché de Lor-
raine. Bayer ne se borna pas à se prononcer
en faveur du premier ; il lui amena des troupes,
combattit à ses côtés à Bulgnéville, fut fait
avec lui prisonnier, et dut payer, pour recou-
vrer sa liberté, une rançon de 10,000 livres.
Lorsque René fut revenu dans ses Etats, il
prit pour conseiller l'évêque de Metz, auquel
il laissa l'administration de ses deux duchés,
en partant pour l'Italie (1438). Pour repousser
les incessantes incursions du comte de Vaude-
mont et des écor'cheurs, Bayer se vit con-
traint de frapper d'impôts extraordinaires les
Etats de René. Aussitôt le curé dé Çondé-sur-
Moselle, nommé Vautrin Hazard, partit pour
l'Italie, et fit à René un tel tableau de la situa-
tion, que celui-ci le chargea d'arrêter Bayer.
L'évêque de Metz, saisi, battu de verges,
conduit en chemise jusqu'à Condé-sur-Moselle,
ne reconquit sa liberté qu'en passant par les
plus dures conditions. 11 regagna sa ville
épiscopale, où il fut reçu en triomphe. Les
habitants voulurent contribuer au payement
de ses dettes ; mais il fut loin de trouver la
même bienveillance dans son clergé, qu'il
irrita profondément en voulant réformer ses
mœurs, et qui refusa de lui donner le subside
décrété par le concile de Bâle. Bayer, dont
l'intelligence était peu commune, passa les
dernières années de sa vie à protéger les arts,
à embellir sa ville épiscopale et à administrer
son diocèse, dont il avait trop négligé jus-
qu'alors les intérêts spirituels.

BAYETTE
s. f. (ba-iè-te — holland. baey,
même sens). Comm. Sorte de lainage non
croisé.
BAYEtJR, EUSE s. (bè-ieur, eusc — rad.
bayer). Celui, celle qui regarde niaisement,
bêtement ; badaud : La fête attirera beaucoup
de SAVEURS et de BA YEUSES. (Acad.) Les gra-
dins les plus proches du trône étaient pour les
dames de la cour, les autres pour les hommes
et pour les BAYEUSES. (St-Sim.)

BAYEUSAIN
AINE adj. et s. (ba-icu-
zain, è-ne — rad. Bayeux). Géogr. Habitant
do Bayeux, qui appartient à Bayeux ou à ses
habitants : Les BAYEUSAINS. La population
BAYEUSAINK.

BAYEUX
en lat. Baiocassis, ville de France
(Calvados), ch.-l. d'arrond., à 2S kil. N.-O. de
Caen et 251 kil. de Paris, sur l'Aure ; pop. aggl.
8,501 hab. — pop. tôt. 9,483 hab. Larrond. a
6 cant., 137 comm. et 79,064 hab. Tribunaux
de lre instance et de commerce, bibliothèque,
collège, évêché suffragant de Rouen. Fabri-
ques (le dentelles et de porcelaines; poteries
réfractaires ; tanneries ; filatures de coton ;
commerce de bétail et de chevaux.
Bayeux, située à 12 kil. de la mer, dans uno
plaine très-fertile, se compose de la cité pro-
prement dite et de quatre faubourgs ; les rues
sont étroites et mal percées, à l'exception
d'une seule, qui traverse la ville dans toute sa
longueur. Les places publiques sont vastes,
mais irrégulières; les promenades bien plan-
tées et fort agréables. C'est une des plus an-
ciennes villes de France; dès le temps du
poëte Ausone (ive siècle), on avait perdu le
souvenir de l'époque de sa fondation; mais la
tradition rattachait son origine aux Druides :
Tttque Baiocassis, stirpe Dntîdantm sains.
Si fama non failli fidem.
Cette ville a joué un rôle important dans l'his-
toire de la Normandie. Dévastée à plusieurs
reprises par les pirates du Nord au ixc et au
xe siècle, elle se releva de ses ruines après
la conversion de Rollon. Guillaume le Bâtard
la donna à l'évêque Odon, son frère utérin;
mais Henri Ier, fils et successeur du Conqué-
rant, la reprit en 1106 et la livra aux flammes.
Elle fut de nouveau brûlée en 1356 par Phi-
lippe de Navarre, frère de Charles le Mauvais.
En 1450, elle se rendit aux Anglais, mais
ceux-ci l'évacuèrent, la même année, à la suite
du combat de Fourmigny,où ils furent battus
par le connétable de Richemont. Tombée au
pouvoir des calvinistes en 1562 et en 1563, elle
fut reprise par les ligueurs en 1589, et ouvrit
ses portes au duc de Montpensier l'année sui-
vante.
La cathédrale de Bayeux, Notre-Dame, est
un des plus beaux édifices de la Normandie. Si
l'on en croit la tradition, saint Exupère, pre-
mier évêque de Bayeux, fit bâtir, au nie siècle,
un oratoire qu'il consacra à la Vierge ; son
successeur, saint Régnobert, éleva à la place
une église plus spacieuse, qui, après des agran-
dissements successifs, fut détruite au ixe siècle
par les Normands. Rebâtie en 912, après la
conversion de Rollon, elle fut encore détruite
en 1046 par un incendie qui dévora la ville
entière. Hugues, prélat riche et puisssant, qui
occupait alors le siège de Bayeux, entreprit
aussitôt une nouvelle construction, qu'acheva
son successeur, Odon ou Eudes de Coteville,
frère de Guillaume le Conquérant. La dédi-
cace en fut faite solennellement en 1077 ou
1078, en présence du duc, par Jean, arche-
vêque de Rouen. L'incendie, allumé en 110G
par Henri le, entraîna la ruine d'une partie
du nouvel édifice : il ne resta debout que le
massif des tours et la grande nef, jusqu'à la
hauteur de la galerie. Les travaux de recon-
struction, commencés en 1159 par l'évêque
Philippe de Harcourt, se prolongèrent jusqu'à
la fin du xvc siècle : l'abside fut achevée vers
1221, sous Tépiscopat de Robert des Ablèches ;
le grand portail appartient au xive siècle et
le transsept à la fin du même siècle ou au
'commencement du suivant. Une coupole, com-
mencée en 1477, sous l'épiscopat de Louis do
Harcourt, fut détruite en 1676; rebâtie en 1714
et 1715 par l'évêque François de Nesmond,
elle a été abattue récemment (1861), comme
surchargeant trop les piliers du transsept, et
on l'a remplacée par une flèche plus légère et
plus en harmonie avec le reste de l'édifice.
Bien qu'elle porte l'empreinte de différents
styles, Notre-Dame de Bayeux n'offre pas
de disparates choquantes. - Ses proportions
graves et son ordonnance majestueuse, dit
M. l'abbé Bourassé, produisent un saisisse-
ment involontaire sur l'esprit de celui qui y
entre pour la première foi*. Le style romano-
byzantin (xie siècle) y prend une expression
qu'on lui croirait étrangère ; la phase de tran-
sition y est toute parée des grâces du style
ogival, sous la gravité de ses formes latines;
l'architecture gothique, appuyée sur ses deux
sœurs aînées, ajoute à leur sévérité les orne-
nements les plus pompeux et les plus élé-
gants. » Voici les dimensions de l'édifice :
longueur totale, 102 m. ; largeur totale, 20 m.,
dont 10 m. pour la grande nef, 5 m. pour les
collatéraux et 5 m. pour les chapelles des bas
côtés ; longueur du transsept, 37 m. 60 ; hau-
teur de la voûte, 23 m. 30. La grande nef est
remarquable par ses vastes proportions, et
surtout par son architecture mélangée. Les
arcades romano-byzantines qui donnent accès
dans les bas côtés ont leur archivolte décorée
de billettes, de chevrons brisés et de feuillages
d'une exécution élégante et soignée. Les sta-
tuettes placées entre ces arcades, au-dessus
des piliers, dans des espèces de niches à som-
met angulaire, trahissent l'imperfection de la
statuaire au XIe siècle et contrastent avec les
ornements variés (nattes, fleurons, écailles im-
briquées) sculptés dans l'intervalle compris
entre les arcades. Au-dessus, une gracieuse
guirlande de quatre-feuilles, incrustée dans
la muraille, court tout autour de la nef et
\
412 .
forme une sorte de frise du meilleur effet. Les
galeries qui s'étendent dans la partie supé- j
rieure de la nef accusent nettement les carac- i
tères de l'architecture du xn« siècle. Le trans- j
sept est large, majestueux : il est éclairé par '
de magnifiques fenêtres, que divisent un grand *
nombre de meneaux formant dans le tympan '
des trèfles, des quatre-feuilles et des. roses de '
la plus exquise légèreté. Un jubé, construit
de 1698 à 1700, a l'entrée du chœur, vient d'être
démoli : remarquable peut-être comme ou- \
vrage isolé, il coupait la perspective et brisait '
l'harmonie des lignes architecturales. En en-
trant dans le chœur, on est ébloui de la mer- ;
veilleuse élégance de l'abside : « Nulle part, -
dit encore M. Bourassé, on ne voit d'aussi ,
belles galeries que celles qui forment la cou- j
ronne du rond-point. Elles sont dessinées avec !
la plus irréprochable pureté. Une grande ar- -
cade ogivale en renferme d'autres plus petites, ;
pressées comme des soeurs sous les bras de !
leurs mères. Les colonnettes qui les soutien- !
nent, surmontées de bouquets de feuillages, j
unissent encore leurs fûts capricieusement :
effilés, pour compléter cet ensemble ravissant, i
A notre sens, la galerie de l'abside de Bayeux '
est le chef-d'œuvre des constructions de i
ce genre. » Il est juste d'ajouter que le déve- j
loppement donné aux arcades a nui à celui des »
fenêtres placées au-dessus de la galerie; mais, '
vues de loin, ces fenêtres, malgré leurs petites j
dimensions, donnent à la partie qu'elles éclai- I
rent une simplicité qui n'est pas sans noblesse. ,
Les voûtes du chœur et du sanctuaire sont !
ornées de peintures très-anciennes, représen- !
tant les premiers évêques de Bayeux, les uns ;
en pied, les autres en buste. On compte au- ,
tour de la cathédrale vingt et une chapelles,
non compris celle de la Vierge, qui est au fond
de l'abside, et que l'on croit avoir été con-
struite sous Vèpiscopat de Philippe de Har-
court ou de Henri II, son successeur;, cette
chapelle, éclairée par cinq fenêtres, a sa voûte
appuyée sur des piliers isolés d'une grande
délicatesse. Plusieurs chapelles des collaté-
raux ont des fenêtres flamboyantes, qui déno-
tent des reconstructions ou réparations effec-
tuées au xvc siècle ou dans les premières
années du xvie. L'extérieur de la cathédrale
de Bayeux offre un aspect imposant et des plus !
variés. La façade principale, à l'ouest, est !
flanquée de deux tours carrées, terminées par j
des flèches qui atteignent 76 m. 60 de hauteur : i
la tour du nord date de la première période de j
la construction ; celle du midi a été bâtie en ]
M24 par l'évêque Nicolas Habard, et restaurée ,
en 1741, après avoir été détruite en partie par ,
la foudre. Entre ces deux tours, la façade est
percée de cinq porches décorés de sujets de
î'Ancien.et du Nouveau Testament : le porche
central, qui correspond à la grande nef, est
orné de la statue de la Vierge et de celles des
apôtres ; le Jugement dernier est figuré dans
le tympan de la porte de droite. L'entrée laté-
rale, du côté de l'évêché, présente de nom-
breux ornements, mieux conservés que ceux
du portail principal. Des arcades ogivales si-
mulées décorent les parois extérieures de
l'édifice, surtout autour de l'abside. Notre-
Dame de Bayeux ne renferme ni tableaux, ni
objets d'art dignes d'être cités. Son trésor, qui
était fort riche autrefois, fut pillé en 1562 par
les calvinistes. Avant la Révolution, on admi-
rait dans cette église la célèbre tapisserie, dite
de Bayeux {v. l'article suivant), que l'on ex-
posait dans la nef à certains jours de fête.
Les autres édifices remarquables de Bayeux
sont les églises de Saïnt-Exupère et de Saint-
Patrice, et l'hôtel de ville, jadis palais épis-
copal.
Bayeux (TAPISSERIE DE). Cette tapisserie,
.brodée à l'aiguille, n'a pas moins de 74 m. 34
de long, sur une hauteur de 0 m. 50, C'est le
plus ancien ouvrage de ce genre que l'on
connaisse. Elle représente l'histoire de la con-
quête de l'Angleterre par Guillaume de Nor-
mandie, en une série de scènes dont chaque
sujet est indiqué par une inscription latine.
La série commence au départ d'Harold de la
cour d'Edouard, et se termine à la bataille de
Hastings. Les figures, d'un dessin rude et bar-
bare, mais pleines d'expression dans les atti-
tudes, sont orodées sur une toile de lin, avec
des laines de huit couleurs différentes : bleu lé-
ger et bleu foncé, rougel jaune, vert foncé et
vert léger, noir, couleur Isabelle. Ces couleurs
sont loin d'être exactement réparties selon la
nature des objets. A l'intérieur des figures, la
laine est posée à plat, et reprise ensuite par
des points de chaînettes; les contours, les ar-
ticulations, les plis des vêtements sont arrêtés
par une espèce de cordonnet; les contours des
chairs sont simplement indiqués par un trait
bleu, rouge, jaune ou vert. Les scènes histo-
riques n'occupent qu'une hauteur de 0 m. 33,
et sont comprises entre deux bordures, où sont
figurés des animaux réels ou fabuleux, des
chasses, des épisodes de la vie rustique, etc.
Pour faciliter sans doute l'exposition de cette
-longue frise brodée, on a ajouté dans le haut,
- au moyen d'une couture, une tapisserie éga-
lement fort ancienne, mais moins belle, de
0 m. 20 de hauteur, ou sont représentés, à
défaut de figures, des croix simples, doubles,
triples, au-devant d'une espèce d'autel, une
échelle dont les montants sont terminés par
une croix, et son petit étendard rayé, dont la
hampe est surmontée d'une croix.
Suivant une ancienne tradition, ce fut la
reine Mathilde, femme de Guillaume le Con-
quérant, qui broda la tapisserie de Bayeux.
BAY
Quelques savants supposent, d'après le carac-
tère des inscriptions, le style de l'architec-
ture, les détails de costumes et d'ameuble-
ment, que cet ouvrage fut exécuté immédia-
tement après la conquête, c'est-à-dire dans la
seconde moitié du xic siècle, et qu'il fut donné
à la cathédrale de Bayeux par Odon, frère
utérin de Guillaume, qui l'avait peut-être reçu
en cadeau de sa belle-sœur Mathilde, ou qui
l'avait fait exécuter lui-même pour perpétuer
le souvenir des exploits de son frère. D'autres
prétendent que 1 auteur de cette immense
broderie fut Mathilde, fille de Henri 1er, La
première fois qu'il est fait mention de la ta-
pisserie de Bayeux, c'est dans un inventaire
de 1476, où elle est désignée sous le titre de
toilette du duc Guillaume, et où il est dit
qu'elle ornait la nef de la cathédrale. Elle
appartenait encore à cette église vers la fin
du siècle dernier et elle faillit, dit-on, être
détruite, sous la Révolution, par des soldats
du train,qui voulaient la couper pour emballer
des effets militaires. Transportée à Paris par
ordre de Napoléon l^t elfe fut rendue plus
tard à la ville de Bayeux; qui vota, en 1839,
la construction de la galerie de l'hôtel de ville
où elle est maintenant exposée. Elle a été
plusieurs fois dessinée et reproduite, notam-
ment dans les Monuments de la monarchie
française, de Montfancon; dans les Antiquités
anglo-normandes, de Ducarel;dans les An-
ciennes tapisseries historiées, de M. A. Ju-
binal, etc.
BAYEUX (COLLÈGE DE), fondé à Paris, ruo
de La Harpe, en 1309, par Guillaume Bonnet,
évêque de Bayeux, et annexé au collège
Louis-le-Grand en 1763.
BAYEUX (Georges), littérateur, avocat re-
nommé, né à Caen vers 1752. Son travail le
plus important est une élégante traduction en
prose des Fastes d'Ovide (1783-178S, 4 vol.
in-8°), accompagnée de notes érudites sur les
traditions obscures qui servaient de base aux
usages civils et religieux des Romains. On a
aussi de lui des Essais académiques (1785), des
Réflexions sur le règne de Trajan (1787), où
abondent les allusions adulatrices, et des ex-
traits d'un ouvrage intitulé : VAntiquité pitto-
resque, ainsi que quelques autres ouvrages et
traductions. En 1787, Necker l'appela auprès
de lui et lui confia l'emploi de premier com-
mis des finances. Nommé, au début de la Ré-
volution, commissaire du roi, il devînt ensuite
procureur général syndic du Calvados, et se
fit détester de la population de Caen par ses
sentiments bien connus en faveur de 1 ancien
régime. Attaqué par Fauchet et par plusieurs
députés du Calvados, comme contre-révolu-
tionnairej il fut emprisonné, sous l'accusation
de complicité avec les ministres Delessert et
Montmorin, alors décrétés d'accusation, et
périt après le 10 août, tué par le peuple et la
garde nationale, dans uneémeute.àla suite des
massacres de septembre de Paris (6 sept. 1792).
Le tambour-major de la garde nationale tran-
cha la tête à son cadavre et la promena au
bout d'une pique dans les rues de Caen.

BAYEIJ
Y SUBIAS (François), peintre espa-
gnol, né à Saragosse en 1734, mort en 1795. Il
eut pour maîtres Luxan, Velasquez et Mengs.
Il fut peintre du roi et directeur de l'Académie
de Madrid. Ses plus belles fresques se trouvent
dans le cloître de la cathédrale de Tolède. On
cite aussi parmi ses tableaux : la Prise de
Grenade; la Chute des Géants; l'Apothéose
d'Hercule; un Christ mort, etc.

BAYHOFFER
(Charles-Théodore), philoso-
phe et publiciste allemand, né à Marbourg en
1812. Nommé professeur de philosophie dans sa
ville natale en 1838 il fut suspendu eu 1846, pour
s'être déclaré partisan du néo-catholicisme alle-
mand. Tournant alors son activité vers la poli-
tique, il se signala parmi les membres avancés
du parti radical. Les événements de 1848 le
firent entrer à la chambre hessoise,dont il fut
quelque temps le président, du 26 août au
15 septembre. Ne se trouvant plus en sûreté
dans l'électoral après le triomphe de l'absolu-
tisme, il chercha un refuge en France, puis il
passa en Amérique. Catholique et démocrate, il
a laissé des écrits dans ces deux ordres d'idées,
ainsi que des travaux de philosophie où il se
montre disciple de Hegel, dont il a cherché a
vulgariser les idées. Ses principaux ouvrages
de philosophie et de controverse religieuse
sont : Proolèmes fondamentaux de la méta-
Î ihysique (1835) ; Idée du christianisme (1836) ;
a Guérison organique de l'homme, etc. (1837) ;
Idée et histoire de la philosophie (1838); Des
véritables rapports entre le libre état chrétien,
la religion et l'Eglise chrétienne (1838); De la
philosophie naturelle (1839-1840); Du catho-
licisme allemand (1845); le Véritable état de
la réforme religieuse actuelle en Allemagne
(1846): le Bon sens pratique et les hommes
éclaires de Marbourg (1847) ; enfin ses Recher-
ches sur l'essence, l'histoire et la critique de la
religion (1849), ouvrage qui est la synthèse
des théories religieuses de l'auteur.

BAYLE
s. m. (bé-le). Fortif. Nom donné,
au moyen âge, au terrain enclos par le mur
d'enceinte d'un château. Se dit aussi pour
baile, chef d'un troupeau, bailli, etc. if Bayle
extérieur, Terrain compris entre l'enceinte
extérieure et l'enceinto intérieure, il Bayle
intérieur, Celui qui se trouvait renfermé
entre l'enceinte intérieure et le donjon, il On
disait aussi BASSE-COUR,, parce que le niveau
du bayle était inférieur à celui du donjon.
BAY
! BAYLE (François); médecin français, né a
j Saint-Bertrand de Commines en 1622, mort à
! Toulouse en 1709. Il devint professeur de mé-
; decine a la faculté de cette ville, et, adoptant
- les idées de Boerhaave, de Baglivi, etc., il
1 tenta de substituer à la simple observation des
faits les calculs, les applications exagérées de
, la mécanique et les lois encore mal établies de
: la physique et de la chimie. On a de lui un
; assez grand nombre d'ouvrages, où Von trouve
i parfois des observations intéressantes, et qui
ont été réunis sous le titre de Opéra omnia
(1701,4 vol. in-4o). Nous nous bornerons à citer:
Histoire anatomique d'une grossesse de vingt-
cinq ans (1678) ; Relation de l'étal de quelques
personnes prétendues possédées faite d'autorité
du parlement de Toulouse (1G82) ; Dissertations
sur quelques questions de physique et méde-
cine (1GS8), etc.
BAYLE (Pierre), célèbre philosophe et criti-
, que français, né au Cariât, dans le comté de
| Foix, le 18 novembre 1647, mort à Rotterdam
j en 1706. Son père, ministre de la religion -ré-
I formée, fut son premier maître et lui apprit de
| bonne heure le latin et le grec; sa mère était
d'une famille noble du pays. Si la santé du
i jeune Bayle avait été aussi robuste que son
j intelligence était vive et précoce, les leçons
} de son père auraient suffi pour lui donner
. l'instruction classique qui, alors surtout, était
la base de toutes les études ; mais l'enfant
I était souvent malade, ce qui forçait à inter-
i rompre les leçons, et, à dix-neuf ans, il fut
; placé au collège de Pnylaurens pour y termi-
ner ses humanités. Là, il se livra à l'étude
avec .tant d'ardeur, qu une nouvelle maladie
vint l'atteindre; on l'envoya chez un ministre
des environs, qui possédait une bibliothèque
assez nombreuse, et, dès que le jeune élève
entra en convalescence, il se mit à lire toute
sorte de livres avec une application exces-
sive, qui n'était guère propre à lui rendre la
santé du corps. Il retourna ensuite au collège,
j et continua de se livrer à son goût pour la
i lecture ; mais les livres qu'il préférait à tous
j les autres étaient ceux qui traitaient des ob-
J jets les plus sérieux ; il n'avait pas les goûts
ordinaires de son âge, il voulait des lectures
qui exerçassent son esprit plutôt que son ima-
gination; il se plaisait surtout aux discussions
philosophiques ou théologiques. Les Essais de
Montaigne étaient son livre favori; il aimait
aussi Plutarque, parce que cet historien lui
montrait les hommes tels qu'ils sont dans leur
for intérieur, et non tels qu'une renommée,
souvent aveugle, les pose sur un piédestal
our y recevoir les hommages de la foule ;vces
eux auteurs ont exercé sur le génie de Bayle
une influence manifeste, le premier surtout,
qu'il a imité non-seulement dans sa tendance
à ne rien affirmer sans avoir pesé toutes les
raisons pour et contre, et à trouver ces raisons
presque toujours aussi solides les unes que les
autres, mais encore dans son penchant à se
laisser entraîner d'un sujet à un autre, selon
le caprice de sa pensée, et jusque dans cer-
taines tournures de style familières et quel-
quefois un peu vieillies.
Quelques années plus tard, le père de Bayle
voulut qu'il allât faire sa philosophie chez les
jésuites, à Toulouse; il savait bien qu'il met-
tait ainsi son fils entre les mains des ennemis
de sa religion, mais il ne voulut pas le priver
des avantages qu'il pouvait retirer des leçons
distribuées par ceux qu'on regardait alors
comme les plus habiles instituteurs de la jeu-
nesse. Cependant, le résultat fut loin de ré-
pondre à son attente ; car le jeune Bayle, en-
traîné par son goût pour la discussion, voulut
connaître les raisons qu'opposaient les catho-
liques aux protestants, et il trouva un prêtre
fort habile, aux arguments duquel il se vit
bientôt dans l'impossibilité de répondre. Il en
conclut que les réformés s'étaient trompés en
se séparant de l'Eglise romaine, et, comme il
cherchait de bonne foi la vérité, il abjura le
protestantisme, un mois après son arrivée à
Toulouse. L'évêque de Rieux, enchanté de
cette conversion éclatante, qui frappait l'héré-
sie dans un de ses ministres, s'engagea à faire
terminer l'éducation de Pierre Bayle à ses
frais. On lui fit soutenir plusieurs thèses avec
une grande solennité ; on l'excita à faire tous
ses efforts pour ramener à la vraie religion
son père, sa mère, ses frères, toute sa fa-
mille; on se promit, enfin, de tirer tout le
parti possible de la conquête qu'on venait de
faire. Mais le zèle du jeune néophyte ne tarda
pas à se refroidir ; il vit dans les pratiques du
culte catholique des choses qui ranimèrent ses
doutes, et, son frère étant venu le voir à. Tou-
louse, il résolut de retourner avec lui près de
son père et de rentrer dans la religion qu'on
lui avait appris à pratiquer depuis sa nais-
sance. Il devenait ainsi relaps, et s'exposait
aux peines sévères portées contre ceux à qui
on donnait ce nom, par l'ordonnance de 1665
et par celle de 1669. Ses parents, effrayés des
dangers de sa position, le firent partir secrè-
tement pour Genève, où il se consacra à l'in-
struction des fils d'un syndic de la république ;
un peu plus tard, il entra, toujours à. titre de
précepteur, chez un seigneur de Coppet. Le
désir de rentrer en. France le porta bientôt à
quitter cette position ; on lui trouva une autre
place de précepteur à Rouen, et, enfin, il entra
dans la maison du comte de Beringhen, à
Paris ; mais, pour détourner les persécutions
aa'il voyait toujours suspendues sur sa tête,
changea l'orthographe de son nom, et tous
ceux qui correspondaient avec lui, ses amis
BAY
comme ses parents, lui adressaient leurs let-
tres sous le pseudonyme de Bêle.
Cependant, la ville de Sedan possédait une
académie protestante, et, la chaire de philoso-
phie étant devenue vacante dans cette acadé-
mie, Bayle se mit sur les rangs et l'obtint au
concours. Là, il connut le célèbre Jurieu, qui
professait la théologie et qui était l'un des
modérateurs de l'académie. Les deux profes-
seurs s'attachèrent l'un à l'autre par les liens
d'une étroite amitié, qui ne devait pas être
durable, au moins du côté de Jurieu, comme
nous le verrons bientôt. Pendant cinq ans,
Bayle se livra tout entier aux devoirs de l'en-
seignement public; il préparait ses leçons
avec un soin extrême, etdierchw.it à dégager
la philosophie de tout le fatras scolasttquo
dont les ténèbres du moyen âge l'avaient en-
combrée. Ces occupations ne l'empêchèrent
pas toutefois d'écrire une sorte de plaidoyer
pour défendre, au nom de la raison outragée,
le duc de Luxembourg, qu'on avait accusé
d'entretenir des relations avec le diable, ainsi
qu'un traité intitulé : Cogitationes rationales
de Deo, anima et malo, pour réfuter les mys-
tiques rêveries de M'le Bourignon et de
Mme Guyon.
En 1681, l'Académie de Sedan'ayant été
supprimée, Bayle fut appelé a- Rotterdam pour
y occuper une nouvelle chaire de philosophie
et d'histoire, avec 500 florins de pension an-
nuelle. Jurieu, qui était encore son ami, fut
aussi chargé d'enseigner la théologie dans la
même ville. L'aunée suivante, Bayle publia
ses Pensées diverses sur la comète de 1680, et,
tout en s'élevant avec force contre les préju-
gés qui attribuent aux comètes une puissance
mystérieuse sur les événements de la terre, il
passait en revue, dans cet ouvrage, tous les
excès produits dans tous les temps par la su-
perstition, et il en concluait que 1 athéisme est
peut-être moins funeste dans ses effets que
l'idolâtrie. Les ennemis de Bayle , par une
exagération que ne peut excuser le zèle reli-
gieux, crièrent partout qu'il s'était fait le cham-
pion avoué des athées; l'entrée du livre en
France fut interdite, ce qui ne l'empêcha pas
d'y pénétrer et ne, servit peut-être qu'à lui
assurer un plus grand nombre de lecteurs.
Peu de temps après, Bayle fit paraître la
Critique de l'Histoire du calvinisme par le
P. Maimbourg. Ce nouvel ouvrage eut plus de
succès encore que le précédent; les adver-
saires de la réforme y étaient attaqués avec
esprit; on y trouvait un badinage ingénieux,
auquel il était plus difficile de répondre qu'à
des arguments en forme. La colère du P. Maim-
bourg et des jésuites fut extrême: ils obtin-
rent du roi un ordre pour faire brûler le livre
par la main du bourreau ; et, ce qui. dut affec-
ter l'auteur d'une manière bien plus sensible,
ils exercèrent leur vengeance contre son frère
aîné, qui était alors ministre protestant au
Cariât, le firent arrêter, jeter dans les prisons
de Pamiers, puis transférer au Château-Trom-
pette, à Bordeaux, où il mourut après cinq
mois de captivité. Ce fut alors que Bayle, sor-
tant un peu de la réserve qu'il s'était toujours
imposée jusque-là, écrivit trois lettres, où il
exposa, dans tout leur jour, les fureurs do
l'intolérance, et qu'il publia sous ce titre : Ce
que c'est que la France toute catholique sous le
règne de Louis le Grand.
.Outre ces publications, qui étaient en quel-
que sorte appelées par les événements, Bayle
travaillait depuis quelque temps à une espèce
de journal ou revue périodique, qui avait pour
titre : Nouvelles de la république des lettres.
On y lisait des analyses très-exactes des ou-
vrages nouveaux de théologie, de philosophie,
d'histoire et de littérature, le tout égayé par
des traits vifs, ingénieux, et assaisonné de di-
gressions intéressantes. Les Nouvelles paru-
rent pendant trois ans, de 1684 à 1687, et con-
tribuèrent à répandre au loin la réputation du
critique philosophe.
Cependant Bayle, qui n'eut jamais qu'une
seule passion, celle de la tolérance,'était sou-
vent blessé de la conduite qu'il voyait tenir
aux protestants, au milieu desquels il passait
sa vie. Si les dragonnades de Louis XIV l'in-
dignaient, les violences de Calvin faisant pé-
rir Servet dans les flammes ne l'indignaient
pas moins, et il désapprouvait hautement l'a-
charnement avec lequel les diverses sectes
protestantes se persécutaient les unes les au-
tres. Il entreprit donc de formuler les prin-
cipes généraux de la tolérance, dans un ou-
vrage qui s'élèverait au-dessus de toutes les
querelles particulières de secte et de doctrine,
et c'est dans ce but qu'il publia son Commen-
taire philosophique sur ces paroles de l'Évan-
gile de saint Luc : « Contrains-les d'entrer. »
Là, Bayle se montra sous un aspect tout nou-
veau ; ce ne fut plus ce disciple de Montaigne
qui, comme son maître, résumait volontiers
toutes les discussions par la question toujours
renaissante : Que sais-je? Ce fut l'apôtre qui
parle au nom de la raison humaine et qui ré-
clame hautement les droits de la pensée et de
la conscience. Il veut que chacun soit entiè-
rement libre de professer la religion qu'il croit
vraie; il prouve que la diversité des religions,
loin' d'être nuisible aux Etats, ne peut que
firoduire une noble émulation à se surpasser
es uns les autres par la pratique de toutes les
vertus. Mais ces idées, qui aujourd'hui nous
paraissent si naturelles et si peu contestables,
étaient beaucoup trop avancées pour le siècle
de Bayle; elles lui suscitèrent des ennemis
parmi les protestants eux-mêmes, qui ne vi-
413
rent dans cette tolérance si chaudement dé-
fendue qu'une indifférence à peine dissimulée
nour la religion en elle-même, et un premier pas
tait dans la voie de l'incrédulité. Jurieu fut un
des plus ardents à attaquer ce livre de celui qui
avait été longtemps son ami; il était de bonne
foi peut-être, mais il ne garda pas les ména-
gements qu'une ancienne amitié aurait dû lui
commander. Bayle, que l'excès du travail"
avait rendu malade, resta quelque temps sans
répondre; il n'est pas même certain qu'il ait
jamais répondu directement à ces attaques de
Jurieu, puisqu'il ne s'est jamais reconnu l'au-
teur du livre intitulé : Avis important aux ré-
fugiés sur leur prochain retour en France, qui
fut publié à Amsterdam sans nom d'auteur.
Nous en avons rendu compte dans ce diction-
naire, et nous ne répéterons pas ici ce que
nous en avons dit. Ce qu'il y a de certain, c'est
Cjue Jurieu fut convaincu que Bayle en était
I auteur, et que cette conviction l'irrita profon-
dément. Son zèle fanatique lui fit croire à
l'existence d'un vaste complot contre les pro-
testants, qui s'étendait à la fois en Hollande,
en Angleterre et en Allemagne, était soutenu
secrètement par la France et comptait Bayle
au nombre de ses principaux agents. Il osa
dénoncer ce complot aux magistrats d'Amster-
dam, qui privèrent Bayle de sa chaire, de sa
pension et du droit même d'enseigner publi-
quement, quoiqu'il eût essayé de se défendre
cette fois par deux écrits intitulés : la Cabale
- chimérique et la Chimère de la cabale de Rot-
terdam. Notre philosophe s'émut peu de cette
mesure rigoureuse : il n'était pas riche, mais
il avait des goûts si simples, si peu dispen-
dieux, qu'il ne douta pas un instant de pouvoir
se suffire avec le travail de sa plume. Il avait,
depuis longtemps déjà, conçu le plan de son
Dictionnaire historique et critique; il résolut
dès Jors de consacrer tous les loisirs forcés
qu'on venait de lui faire à cette œuvre impor-
tante, qui devait rendre son nom immortel, et
sur laquelle on trouvera tous les éléments
d'une appréciation juste et motivée, non-seu-
lement au mot Dictionnaire historique et cri-
tique, mais encore dans la préface de notre
Grand Dictionnaire.
-* Travailleur infatigable, Bayle s'est dépeint
lui-même dans la préface de la première édi-
tion de son Dictionnaire : « Je connais comme
un autre, dit-il, le vers de Caton :
Intcrpone tuis intcrdum gaudia curis;
mais je m'en sers peu. Divertissements, par-
ties de plaisir, jeux, collations, voyages à la
campagne, visites et telles autres récréations
nécessaires à quantité de gens d'étude, à ce
qu'ils disent, ne sont pas de mon fait; je n'y
perds pas de temps. Je n'en perds pas aux
soins domestiques, ni à briguer quoi que ce
soit, ni à des sollicitations, ni à telles autres
affaires. J'ai été heureusement délivré de plu-
sieurs occupations qui ne m'étaient guère
agréables, et j'ai eu le plus grand et le plus
charmant loisir qu'un homme de lettres puisse
souhaiter. Avec cela, un auteur va loin en peu
d'années ; son ouvrage peut croître notable-
ment de jour en jour, sans qu'on s'y comporte
négligemment. » Il est inutile de dire qu avec
de tels goûts Bayle menait une conduite telle-
ment régulière, que ses plus grands ennemis
ne purent jamais l'attaquer dans sa moralité.
Quelques-uns ont avancé timidement que ses
relations avec M"10 Jurieu pourraient-donner
lieu à quelques soupçons; mais rien ne jus-
tifie une pareille accusation, qui est démentie
par sa vie tout entière, comme par le carac-
tère général de ses écrits. On y trouve bien,
ça et là, quelques expressions un peu libres,
parce que Bayle avait l'habitude de nommer
les choses par leur nom, habitude qui était,
d'ailleurs, très-générale dans son temps. Mais
la froideur de son tempérament se peint par-
tout dans son style ; nul homme ne fut moins
que lui dominé par ses sens, et il était trop
honnête pour manquer froidement aux devoirs
d'une ancienne amitié. Nous avons dit que,
sans afficher l'irréligion, il ne montra jamais
beaucoup de zèle pour la religion même qu'il
faisait profession de suivre. A l'appui de cette
assertion, nous rapporterons le fait suivant :
II se trouva un jour en présence du cardinal
de Polignac, et celui-ci lui ayant demandé
quelle était, parmi toutes les sectes de la
Hollande, celle à laquelle il était le plus atta-
ché, Bayle lui répondit : a Je suis protestant.
— Je le sais, reprit le cardinal; mais étes-
vous luthérien, calviniste ou anglican? — Non,
répliqua-t-il ; je suis protestant, car je pro-
teste contre tout ce qui se dit et tout ce qui se
fait, quand cela me paraît déraisonnable. »
L'amour du travail ne s'éteignit chez lui
qu'avec la vie j on peut dire quil mourut la
plume à la main. Le soir qui précéda sa mort,
il écrivit jusqu'à minuit; lorsque l'imprimeur
vint, dans la matinée , pour chercher une
épreuve, il le trouva étendu tout habillé sur
son lit et près d'expirer. Leibnitz lui rendit,
après sa mort, cet hommage touchant : « On
doit croire que Bayle est maintenant éclairé
de cette lumière qui est refusée à la terre,
puisque, selon toute apparence, il a toujours
été un homme de bonne volonté, o
La tolérance, l'établissementde la tolérance,
telte fut la pensée, la foi, la vie, la gloire de
Bayle. Précurseur du xvine siècle, il se donna
pour mission d'assembler des nuages (Je ne
suis, disait-il, que Jupiter assemble-nues) sur
toutes les affirmations de la théologie et de la
métaphysique, afin d'ôter aux hommes le dé-
sir de dominer et le pouvoir de faire du mal I
au nom de l'inaccessible et de l'incompréhen-
sible. Il- faut bien comprendre que le scepti-
cisme de Bayle ne s'étend pas à la morale, à
la distinction du bien et du mal, du juste et de
l'injuste. La morale, il la conçoit pleinement
autonome, pleinement indépendante de toute
croyance religieuse ou philosophique sur l'ori-
gine des choses et le gouvernement du monde,-
sur le principe pensant, sa nature et ses des-
tinées. « Les chrétiens, dit-il, n'empruntent
pas à l'Evangile les idées d'honneur et de
gloire qui régnent parmi eux ; donc, un homme
peut avoir de ces idées indépendamment de la
croyance qu'il y ait un Dieu : il peut, par
exemple, connaître qu'un ingrat est digne de
blâme, qu'un fils est louable lorsqu'il a au res-
pect pour son père, comme il connaît, indépen-
damment de la religion, que te tout est plus
grand que sa partie. Du reste, la vie réglée et
honnête d'Epicure, de Pline et de quelques
autres athées dont l'histoire fait mention, ne
permet point de dire qu'ignorer une Provi-
dence soit une cause nécessaire du dérègle-
ment des mœurs, à moins qu'on ne veuille
soutenir cette absurdité qu'une chose dont on
a vu des exemples est impossible. » Le doute
de Montaigne est son but à lui-même, c'est un
repos, une volupté, une souveraineté de l'es-
prit, qui est ainsi dispensé de prendre un parti,
de se mouvoir en tel ou tel sens, et qui peut, à
son aise, caresser toutes les idées sans s'atta-
cher à aucune. Le doute de Descartes est une
méthode; c'est l'esprit qui se prépare, par une
sorte de purification, à la recherche, à la con-
quête personnelle des certitudes scientifiques,
philosophiques. Le doute de Pascal est le dé-
sespoir de la raison, qui se confesse impuis-
sante et se prosterne devant la foi. Le doute
de Bayle, c'est l'humiliation de la foi devant
la raison, c'est la déroute du surnaturel, des
Écritures sacrées et des Eglises infaillibles ;
c'est aussi la réduction, à l'état de simples
hypothèses, de tous les principes métaphysi-
ques regardés de tout temps comme les fon-
dements de l'ordre moral et de l'ordre social.
Que sais-je ? se dit Montaigne, avec un joyeux
sourire, en se fermant avec soin toute issue
pour sortir de l'incertitude où se complaît sa
firudence égoïste. Que pouvons-nous savoir par
es lumières naturelles? se dit Pascal avec
angoisse. Pour sortir des contradictions de la
raison , agenouillons-nous , abêtissons-nous.
Que savez-vous? répond Bayle à tous les sec-
taires, à tous les intolérants de ia religion et
de la philosophie. Voyez sur quels misérables
fondements repose le droit que vous prenez,
avec une si orgueilleuse sécurité de conscience,
de persécuter ceux qui ne pensent pas comme
vous! Que savez-vous de Dieu? Jamais les
hommes ne parviendront à s'entendre sur sa
nature; jamais ils ne pourront accorder son
immutabilité avec sa liberté, son immatéria-
lité avec son immensité. Son unité est loin
d'être démontrée. Sa prescience et sa bonté
ne se concilient pas aisément, l'une avec les
actes libres de l'homme, l'autre avec le mal
physique et moral qui règne sur la terre ni avec
les peines éternelles dont l'enfer menace le
péché. Nous n'avons que des idées purement
négatives de ses diverses perfections. Bien
plus, les preuves mêmes sur lesquelles on a
coutume de s'appuyer pour "établir son exis-
tence soulèvent mille objections. Que savez-
vous de l'âme? On établit également, avec des
arguments qui se valent, sa matérialité et son
immatérialité , sa mortalité et son immor-
talité. Vous vous réfugiez dans la croyance,
vous appelez la révélation au secours de la
raison défaillante; mais ne voyez-vous pas
que ce support se brise, lui aussi, sous vos
pieds? « On ne peat plus dire que la théologie
est une reine dont la philosophie n'est que la
servante; car les théologiens eux-mêmes té-
moignent, en défendant leurs dogmes par le
raisonnement, qu'ils regardent la philosophie
comme la reine et la théologie comme la ser-
vante; ils reconnaissent ainsi que tout dogme
qui n'est point homologué, pour ainsi dire, vé-
rifié et enregistré au parlement suprême de la
raison et de la lumière naturelle, ne peut
être que d'une autorité chancelante et fragile
comme du verre. »
Bayle était l'auteur de prédilection de Vol-
taire, qui '.* dit :
J'abandonne Platon, je rejette Epicure.
Bayle' en sait plus qu'eux tous ; je vais le consulter :
La balance à la main, Bayle enseigne à douter;
Assez sage, assez grand pour être sans système,
Il les a tous détruits, et se combat lui-même, .
Semblable à cet aveugle, en butte au* Philistins,
Qui tomba sous les murs abattus par ses mains.
Outre le3 ouvrages que nous avons eu l'oc-
casion de citer en racontant sa vie, Bayle a
encore laissé : Avis au petit auteur des petits
livrets; Nouvel avis au même; Janua cœlorum
reserata cunctis religionibus a celebri admodum
viro domino Petro Jurieu; Réponse aux ques-
tions d'un provincial; Entretiens de Maxime
et de Thémiste ou Réponse à M. Leclerc ;
Cours de philosophie, en latin; Discours histo-
rique sur la vie de Gustave-Adolphe ; Opuscules
et Lettres à sa famille et à ses amis.
BAYLE ou BAILLE (Pierre), conventionnel,
né à Marseille, mort a la fin de 1793. Il avait
été, au commencement de la Révolution, ad-
ministrateur des Bouches-du-Rhône. A l'As-
semblée, il siégea avec les montagnards, vota
la mort du roi, et fut envoyé en mission dans
le Midi. Il était à Toulon, avec son collègue
Beauvais, lorsque cette ville fut livrée aux
Anglais. Jeté dans un cachot, il refusa de
crier Vive Louis XVII! et fut massacré, ou,
suivant une autre version, se tua pour échap-
per à ses bourreaux.
BAYLE (Moïse), conventionnel, né dans le
Languedoc vers 17G0, mort vers 1815. Il sié-
gea à la montagne, vota la mort du roi, fut
envoyé en mission àMarseille pour y compri-
mer le fédéralisme, entra au comité de sûreté
générale, et fut persécuté par les réacteurs
thermidoriens. Après le 18 brumaire, il fut
relégué dans une commune, loin de'Paris, et y
vécut dans un profond dénûment.
BAYLE (Gaspard-Laurent), médecin et pa-
thologiste très-distingué, né au Vernet, vil-
lage de Provence, en 1774, mort en 1816. H
fut élevé dans un collège de jésuites, et, après
avoir étudié quelque temps la théologie d'a-
bord, puis la jurisprudence, il se décida à em-
brasser la carrière de la médecine. Il fit à
Montpellier une partie de son éducation mé-
dicale, et fut envoyé aux armées. Il vint en-
suite à Paris, en 1798, suivit les cours de
l'Ecole de médecine, eut un prix à l'Ecole
pratique et obtint la place d'aide d'anatomie.
En 1801, il fut reçu docteur en médecine et
nommé, au concours, élève interne à l'hôpital
de la Charité. En 1805, il fut chargé de faire
provisoirement le service de médecin dans cet
hôpital, et, en 1807, il y fut nommé médecin sup-
pléant. En 1808, il reçut "le titre de médecin
par quartier de l'empereur Napoléon, et i! con-
serva le même titre près de Louis XVIII.
- Bayle, dit M. Dezeimeris, était généralement
considéré comme un des plus habiles prati-
ciens de la capitale, et ses confrères s'accor-
daient à lui reconnaître ce tact précieux qu'il est
si important et si difficile d'acquérir. Il se fai-
saitremarquer par la promptitude'et la sûreté
de son diagnostic; et, lorsque les malades de-
vaient succomber, il annonçait d'une manière
presque certaine le genre et jusqu'au degré
d'altération de leurs organes. »
j Bayle paraît être le premier qui, dans cer-
tains cas de maladies du cœur, ait employé
l'auscultation immédiate comme méthode "de
diagnostic; mais il ne sut point tirer parti de
cette méthode, et il laissa à Laènnec la gloire
de créer la séméiologie stéthoscopique.
Les principaux ouvrages de Bayle sont :
îo Considérations sur la nosologie, la méde-
cine d'observation et la médecine pratique, sui-
vies de l'histoire d'une maladie gangreneuse
non décrite jusqu'à ce jour. (Thèse in-8°, Paris,
1801.) On trouve* dans cette thèse des vues
remarquables sur les espèces morbides, les
classifications nosologiques, les moyens de
perfectionner l'art de l'observateur, le coup
d'ceil du praticien, les rapports et les diffé-
rences qui existent entre la nosologie, la mê-
decine d'observation et la médecine pratique.
Bayle définit la médecine : « cette science qui
embrasse la connaissance de la structure des
différentes parties du corps, des lois et des
fonctions de l'économie animale, des objets
3ui exercent une influence sur ces fonctions,
es désordres qui les troublent et des procé-
dés par lesquels, dans ce dernier cas, l'art
tend à les rétablir dans leur exercice libre,
facile et complet. » Il la divise en quatre bran-
ches, la zoonomie (anatomie et pnysiologie),
l'hygiène, lapathologie et la thérapeutique, les-
quelles, en raison de leurs connexions et de
I impossibilité de leur assigner des limites pré-
cises, ne peuvent guère être considérées iso-
lément. Un point de philosophie médicale qui,
dans l'ouvrage dont nous parlons, nous pa-
raît traité d'une manière spécialement digne
d'attention, est la question de l'espèce en mé-
decine. Bayle montre très-bien la différence
qui sépare les espèces morbides des espèces
de l'histoire naturelle. Les premières n exis-
tent pas dans la nature; elles ne sont vérita-
blement que des abstractions. La détermina-
tion qu'on en a faite a été jusqu'à présent
arbitraire, et l*on a toujours vu le même au-
teur en augmenter ou en diminuer le nombre,
à chaque nouvelle édition de ses ouvrages.
Bayle se demande la cause de cette discor-
dance et de cet arbitraire dans la spécification
nosologique. Il la trouve dans la manière de
procéder à l'établissement des espèces. « L'ob-
servateur, dit-il, ne pouvant jamais distinguer
tous les changements produits par la maladie,
ni même noter tout ce qu'il aperçoit, l'histoire
d'une maladie individuelle est toujours une
première abstraction; la formation des varié-
tés est une seconde abstraction ; celle des es-
pèces en est une troisième. Chez les natura-
listes, au contraire, la description dé l'individu
convenant ordinairement à toute l'espèce, la
détermination de celle-ci est la première ab-
straction; la formation du genre la seconde;
celle de l'ordre la troisième. Ainsi, l'espèce,
en médecine, doit être souvent aussi peu so-
lide que l'ordre en botanique et en zoologie...
II est à remarquer que les naturalistes sont
d'accord sur les espèces et disputent sur les
genres et sur les ordres, tandis que les méde-
cins sont plutôt d'accord sur les genres et les
ordres que sur les espèces. Cela tient à ce
qu'en médecine les espèces sont comme les
genres et les ordres artificiels des naturalistes ;
les maladies individuelles, comme les espèces
de ceux-ci ; tandis que certains ordres, tels
que les phlegmasies, les hydropisies, etc.-, sont
analogues aux familles naturelles. »
2o Idée générale de la thérapeutique (dans
la Bibliothèque 'nédicalet tome X). Nous y re-
marquons les aphorismes suivants : La guéri-
son ne peut survenir lorsque la nature s'y
oppose; il faut donc voir si la maladie est cu-
rable avant d'entreprendre de la guérir. — Il
n'est pas toujours prudent de guérir la mala-
die existante. — Il est inutile de recourir aux
médicaments dans les maladies légères. — Les
médicaments ne guérissent pas toujours les
maladies ; ils nuisent toujours à ceux qui les
prennent sans en avoir besoin. — On doit pro-
céder à la guérison par le traitement qui opère
la cure la plus prompte, avec le moins de dé-
sagrément et sans exposer à aucun résultat
fâcheux. — Il faut se hâter lentement et lais-
ser faire quelque chose à la nature. — Il con-
vient d'aider la nature et de favoriser ses
efforts lorsqu'elle tend à produire des chan-
gements avantageux, qui surviennent ordinai-
rement par les excrétions qu'elle opère, soit
d'elle-même, soit à l'aide des médicaments. — '
Dans les conjonctures difficiles, il faut tenter
un traitement, et prendre les indications dans
ce qui soulage et dans ce qui nuit. — Les mé-
dicaments puissants entre les mains d'un igno-
rant peuvent être comparés à un glaive dans
les mains d'un furieux. — Il vaut mieux tenter
un remède dont le succès est douteux que
d'attendre une mort certaine. — La témérité
a quelquefois guéri ceux qu'une trop grande
circonspection laissait mourir.
3° Recherches sur la phthisie pulmonaire
(Paris, 1810). Cet ouvrage renferme un très-
grand nombre d'observations particulières, la
plupart recueillies à l'hôpital de la Charité de
Paris. L'auteur expose d'abord le caractère
essentiel de la phthisie pulmonaire. On doit
nommer phthisie pulmmaire, dit-fl, «toute
lésion du poumon qui, livrée à elle-même, pro-
duit une désorganisation progressive de ce
viscère, à la suite de laquelle surviennent son
ulcération et enfin la mort. -> Il décrit ensuite
les lésions qu'on observe à la suite de quel-
ques maladies qui ont été confondues avec la
phthisie (catarrhe pulmonaire chronique, pé-
ripneumonie chronique, pleurésie chronique),
et montre en quoi elles en diffèrent. Il admet .'
six espèces de phthisies pulmonaires, qu'il fait
connaître successivement, en indiquant les lé-
sions qu'elles déterminent dans les poumons
et les symptômes gui les accompagnent. CeS
six espèces de phthisies sont : la phthisie tuber-
culeuse, la phthisie granuleuse, la phthisie
avec mélanose,la phthisie ulcéreuse, la phthi-
sie calculeuse et la phthisie cancéreuse. On
remarquera ici l'innovation nosologique qui,
après Bayle, tendra de plus-en plus à faire loi,
et à laquelle l'anatomie pathologique devait
naturellement conduire : c'est sur les lésions,
non sur les symptômes, que sont établies ces
six espèces de phthisie. - Dans l'état actuel
de la science, dit Bayle, il me paraît plus con-
venable de distinguer les espèces de phthisie .
d'après les divers caractères de la lésion du
poumpn que d'après la seule différence des '
symptômes. Jusqu'ici, presque tous les méde-
cins qui se sont occupés de la phthisie ont
suivi une marche contraire : de là une multi-
plication étonnante des espèces; mais de là
aussi leur peu de stabilité. En effet, Morton
en admet seize, Sauvage vingt, M. Portai
quatorze, M. Baumes trois, d'autres auteurs
un plus grand ou un plus petit nombre. Cette '.
distribution des cas particuliers de phthisie
. sous divers titres est très-convenable quand
on écrit spécialement dans des vues prati-
ques. Mais, sous le rapport nosographique, on
ne peut établir des espèces pareilles ; c'est
comme si l'on rangeait sous la même espèco
les oiseaux qui vivent de la même nourri- -
ture. » Il suffit de lire la description des symp-
tômes de la phthisie pulmonaire dans l'ouvrage
dont nous parlons, pour apprécier l'importance
des méthodes positives de diagnostic dues à
Laennec et à M. Piorry. Bayle ne nous parle
que de toux, de fièvre hectique, d'expectora-
tion, de sueurs nocturnes, de dévoiement, etc.
Enfin, nous signalerons, en terminant, l'opi-
nion de Bayle sur la nature de la phthisie;
selon lui, elle est bien rarement déterminée
par des affections inflammatoires. « C'est tou-
jours, dit-il, la phthisie tuberculeuse que l'on
rencontre dans les exemples qui sembleraient
militer en faveur de l'origine phlegmasique de
la phthisie ; or, la phthisie tuberculeuse est
très - probablement de nature scrofuleuse ,
comme M. Portai me semble l'avoir prouvé ;
et le vice scrofule.ux est une lésion spéciale,
qui n'est pas l'effet des affections inflamma-
toires, même chroniques. »
BAYLE (Antohie-Laurent-Jessé), médecin,
neveu de Gaspard-Laurent, né au Vernet
en 1799. Elève de Laënnec et adversaire de
la doctrine physiologique, il fonda, pour la
combattre, la Revue médicale (1824), et fut
nommé professeur à la Faculté de Paris. Il a "
dirigé le vaste recueil de Y Encyclopédie des
sciences médicales, et publié, entre autres
ouvrages remarquables, un Traité des mala-
dies du cerveau et de ses membranes, couronné
par l'Institut, et un Traité d'anatomie, plu-
sieurs fois réimprimé.

BAYLEN,
petite ville d'Espagne, prov. et à .
30 kil. N. de Jaen, capitainerie générale de
Grenade; 6,500 hab. Grand commerce d'huile
d'olive. Cette petite ville, entourée de vieilles
murailles, domine la route qui conduit de Cas-
tille en Andalousie ; elle a donné son nom à la
désastreuse capitulation du général Dupont,
surpris près de Baylen par les troupes espa-
gnoles (22 juillet 1808). La ville est située au
milieu de vastes plantations d'oliviers : le vert
sombre des feuillages de cet arbre donne un
414
aspect lugubre à toute la contrée. L'huile est
le principal commerce du pays, qui produit
j>eu de vin ; mais, chaque année, de longues
nies de mulets traversent la Sierra, pesam-
ment chargés d'outrés, et viennent apporter
à Baylen, ainsi que dans une grande partie de
l'Andalousie, les produits superflus des vignes
de la Manche; Us remportent, en échange,
ceux des oliviers, moins communs en deçà des
montagnes.
Baylen (CAPITULATION DE). Ce fut le cré-
mier échec qu'eurent à subir les armes, jus-
ue-là victorieuses, de Napoléon Ier; échec
ont l'humiliation doit moins retomber sur
ceux qui en furent les victimes directes, que
sur l'homme dont l'ambition insensée le pré-
para. A la première nouvelle de la double ab-
dication de Bayonne, obtenue on sait par quels
moyens, une formidable insurrection souleva
toute l'Espagne comme un seul homme (mai,
1808), et les échos d'une haine implacable ar-
rivèrent bientôt jusqu'aux oreilles de celui qui
en était devenu tout à coup l'objet, par une
duplicité indigne de son génie. La population
de Madrid s'insurgea la première, et fut sa-
brée par Murât; mais elle avait donné un
exemple que suivirent aussitôt les villes où
nos soldats n'étaient pas assez nombreux pour
faire respecter l'autorité française. Madrid,
Burgos, Barcelone, conservèrent une appa-
rente tranquillité devant nos baïonnettes et
nos canons; mais à Saràgosse, a Valence, a
Carthagène, à Grenade, à Séville, à Badajoz,
s'établirent des juntes pour organiser le mou-
vement insurrectionnel. Les provinces des
Asturies, de la Galice, de l'Aragon, de l'Es-
tramadure, de la Manche, de l'Andalousie,
n'étaient contenues que par les autorités es-
pagnoles, qui désiraient sans doute le main-
tien de l'ordre, mais qui furent entraînées
dans le mouvement par des populations ivres
de colère et de haine. Pour contenir tout
un pays fanatisé par les moines et par un
patriotisme impitoyable, nous n'avions tout
au plus que 80,000 nommes déjeunes troupes,
tandis qu'il nous eût fallu au moins 150,000
des vieux soldats de la grande armée. C'est
surtout vers l'Andalousie que se portèrent les
regards de Napoléon ; dès les premiers mo-
ments, il dirigea le général Dupont sur ce
point, où l'on avait laissé s'accumuler trop de
troupes espagnoles, et où l'on redoutait quel-
que tentative de la part des Anglais sur Ca-
dix. Napoléon comptait beaucoup sur le gé-
néral Dupont, qui, jusque-là, avait toujours
été brave, brillant et heureux: il lui destinait
même le bâton de maréchal à la première oc-
casion éclatante, et le général comptait bien
qu'elle se présenterait en Espagne; le mal-
heureux ne devait y trouver que la honte.
Vers la lin de mai, il reçut l'ordre de se por-
ter vers la Sierra Morena, et de là sur Cadix,
où la flotte de l'amiral Rosily, retenue dans
la rade, était menacée d'un désastre complet.
Parti de Tolède, il fut rejoint en route par les
dragons du général Pryvé, par les marins de
la garde impériale et par deux régiments
suisses. Il avait, en tout, de 12 à 13 mille hommes
présents sous les drapeaux. Après avoir tra-
versé la Manche sans difficulté, quoiqu'il aper-
çût partout les signes d'une haine violente,
mais contenue, il Tranchit heureusement les
défilés de la Sierra-Morena, et arriva le 3 juin
à Baylen, qui allait bientôt devenir pour nous
le théâtre d'un événement de sinistre mé-
moire.-Après avoir débouché de Baylen, il se
trouva dans la vallée du Guadalquivir, et mar-
cha aussitôt sur Cordoue, afin de frapper un
coup décisif sur l'avant-garde de l'insurrec-
tion. Il emporta cette ville malgré la résis-
tance acharnée de3 insurgés, et, pendant tout
le reste du jour, cette belle et intéressante
cité fut pillée par nos soldats, que les effroya-
bles cruautés des Espagnols avaient exas-
pérés. Les insurgés, trappes un moment de
terreur, eurent bientôt retrouvé leur initiative
sous les inspirations ardentes de la haine qui
les animait contre nous, et ils formèrent le
projet de se réunir en masse pour accabler le
général Dupont : un effroyable cri de colère
avait retenti dans toute l'Andalousie, à la nou-
velle de ce qu'on appela le sac de Cordoue, et
les Espagnols jurèrent de massacrer les Fran-
çais jusqu'au dernier, serment qu'ils ne rem-
plirent que trop, autant du moins que cela fut
en leur pouvoir. Le récit de leurs cruautés
n'appartient pas à l'histoire des nations civi-
lisées, et il n'y a que le mot de patriotisme
qui puisse en atténuer l'horreur. On enterrait
des soldats français vivants, on les sciait en-
tre deux planches, on en pendait d'autres en
allumant du feu sous leurs pieds. La barbarie
la plus infâme, la plus inouïe, n'épargna au-
cune souffrance à «es infortunées victimes de
la guerre.
Le soulèvement de l'Andalousie ne tarda
pas à se généraliser; il était impossible au
général Dupont de recevoir ou d'expédier des
courriers; ils étaient infailliblement massa-
crés en route. Etabli à Cordoue, il attendit
vainement la jonction des divisions Vedel et
Frère, qui avaient ordre d'aller le rejoindre,
ce qui eut porté son corps à 22 mille hommes au
moins, et lui eût permis d'exécuter en Anda-
lousie l&promenaae conquérante qu'il avait an-
noncée au quartier général. Mais bientôt des
nouvelles menaçantes vinrent changer ses es-
pérances en de sombres inquiétudes. En même
temps qu'il apprenait le désastre de notre
flotte à Cadix, il était informé que le général
espagnol Castanos, qu'il avait espéré gagner
à la cause française, était irrévocablement
engagé dans l'insurrection ; il allait voir arri-
ver sur lui, d'une part, à droite et par Sé-
ville, l'armée de l'Andalousie ; de l'autre, à
gauche et par Jaen, l'armée de Grenade, la
plus dangereuse pour le moment, car elle n'a-
vait qu'un pas à faire pour occuper Baylen,
; tète des défilés de la Sierra Morena, que le
, général Dupont devait traverser pour opérer
! sa retraite, et dont il se trouvait alors à
j plus de 80 kil. Le 17 juin au soir, il com-
I mença son mouvement rétrograde, et le len-
demain il arriva à Andujar, traînant à sa
suite une immense quantité de voitures char-
gées de malades et de blessés, qu'on eût
voués à une mort certaine en les abandon-
nant à la férocité des Espagnols. Le général
Dupont s'établit à Andujar, distribua habile-
ment ses troupes dans cette position, et se
berça de l'espoir d'y attendre en sécurité les
renforts qu'il avait demandés à Madrid. Nous
n'étions plus qu'à 28 kil. de Baylen; mais il
était à craindre que l'ennemi ne s'y portât à
l'improviste, ou bien qu'il n'occupât la route
de BaeA et d'Ubeda, donnant sur la Caro-
line, point où commencent véritablement les
défilés de la Sierra'Morena. Le général Du-
pont aurait donc dû se diriger en toute hâte
sur Baylen, d'où il eût pu dominer tout le
cours du Guadalquivir et tomber sur l'ennemi
qui essayerait de le franchir ; mais il y a des
moments où les intelligences les plus lucides
semblent frappées d'aveuglement, et ne pas
apercevoir les dangers qui éclatent aux yeux
des moins clairvoyants. Il resta à Andujar,
sans être inquiété, pendant toute la fin de
juin et toute la première moitié de juillet,
parce que les insurgés de l'Andalousie et de
Grenade avaient besoin de ce délai pour s'or-
ganiser, se concerter et opérer leur' jonction
entre Cordoue et Jaen. Sur ces entrefaites,
l'arrivée de la division Vedel vint ranimer la
confiance de nos jeunes soldats, dont la plu-
part avaient à peine vingt ans, et qui com-
mençaient à s'inquiéter de leur position isolée
au milieu d'insurgés féroces. Cette division
s'établit à Baylen.même, et le péril parut con-
juré. Le corps de Dupont s'élevait alors à en-
viron 16 mille combattants, y compris les ré-
giments suisses, qui s'étaient fort affaiblis par
la désertion. Enfin, la jonction de la division
Gobert, forte de 4,700 nommes, porta le total
de nos forces à 20 mille hommes, ce qui n'é-
tait pas trop au moment môme où les insur-
és se préparaient à prendre l'offensive. Ceux
e Grenade, sous le général Reding, s'étaient
rendus à Jaen, au nombre de* 12 a 15 mille,
partie Suisses, partie Espagnols ; ceux d'An-
dalousie, commandés par Castanos, avaient
remonté le Guadalquivir et étaient arrivés de-
vant Bujalance, au nombre de 20 et quelques
mille. Bien que l'espionnage fût impossible en
Espagne, il était néanmoins facile, à l'aide de
certains indices, de se rendre un compte assez
exact de cette double marche. Ne comprenant
rien, cependant, aux dangers qui s'accumu-
laient autour de lui, le général Dupont resta
immobile en face des Espagnols. Dès le 15 juillet
au matin, ceux-ci se présentèrent en masses
et forcèrent nos avant-postes à leur aban-
donner les" hauteurs qui dominent le Guadal-
quivir ; mais ils n'étaient pas capables de pas-
ser le fleuve sous les yeux de l'armée fran-
çaise, et, après une tentative infructueuse,
ils parurent se disperser dans les montagnes.
Toutefois, Dupont, alarmé de cette démons-
tration, envoya au général Vedel, posté à
Baylen, l'ordre de lui expédier du renfort. De
ce côté, les insurgés de Grenade avaient aussi
cherché à franchir le fleuve et s'étaient vus
également repoussés. En ce moment arriva
auprès du général Vedel l'aide de camp de
Dupont, dont le rapport lui fit croire que le
gros des forces ennemies était à Andujar. Cé-
dant à un entraînement irréfléchi, il crut de
son devoir de se porter au secours de son gé-
néral en chef, et il marcha sur Andujar après
avoir fait dire au général Gobert, posté à la
Caroline, de venir occuper Baylen à sa place.
Mais le général Reding ne se fut pas plus tôt
aperçu de ce mouvement, qu'il se porta de
nouveau, avec plusieurs mille hommes, sur
cette position importante, que ne gardait plus
que le général Liger-Belair avec un batail-
lon et quelques compagnies d'élite. En ce mo-
ment arrivait le général Gobert avec la tête
de sa colonne. Ce jeune et brillant officier ar-
rêta court les Espagnols, malgré l'infériorité
du nombre ; mais tandis qu'il dirigeait lui-
même les mouvements, il tomba, mortellement
frappé au front d'une balle partie d'un buis-
son où se tenait embusqué un tirailleur espa-
gnol (c'est ainsi qu'il est représenté sur [son
tombeau au Père-Lachaise). Le général Du-
four prit aussitôt son commandement, et, le
soir même, ayant reçu du général Dupont les
renseignements sur la traverse de Baeza à
Linarès, il ne se crut plus en sûreté, et partit
de Baylen pour se porter à la Caroline, pen-
sant qu'il allait y préserver l'armée du mal-
heur d'être tournée. A la nouvelle des graves
événements qui venaient de se passer à Bay-
len, Dupont se hâta d'y renvoyer la division
Vedel, qui atteignit de nouveau cette posi-
tion le matin du 17 juillet, à huit heures, par
une chaleur déjà étouffante. N'apercevant
Elus l'ennemi, le général Vedel ajouta foi au
mit répandu partout qu'un corps d'armée
espagnol avait passé par Baeza et Linarès
pour occuper les défilés, et, dès le soir de ce
même jour, il quitta de nouveau Baylen pour
se diriger vers la Caroline, à la suite du gé-
néral Dufour. On a réellement peine à conce-
voir ces tâtonnements multipliés. « Les géné-
raux en chef, dans leurs jours heureux, dit
judicieusement M. Thiers, trouvent des lieu-
tenants qui corrigent leurs fautes; le général
Dupont en trouva cette fois qui aggravèrent
cruellement les siennes... N'accusons point la
Providence^ après Bayonne, nous ne méri-
tions pas d'être heureux. -
Les généraux espagnols, qui jusque-là
avaient agi avec hésitation, avec timidité
. même, s'aperçurent enfin du trouble qui sem-
blait peser fatalement sur l'esprit de nos gé-
néraux, et les fautes de ces derniers leur fixè-
rent le point sur lequel ils devaient concentrer
leurs efforts. A la suite d'un conseil de guerre
tenu entre les principaux chefs espagnols, les
généraux Reding et Coupigny marchèrent
chacun de leur côté sur Baylen, présentant
ensemble un effectif de 18 mille hommes, tan-
dis que Castanos restait avec 15 mille devant
Andujar, afin de faire illusion aux Français
sur le véritable point d'attaque. Dans la jour-
née du 17 juillet, le général Dupont fut in-
formé que ie général Vedel était parti pour la
Caroline, laissant encore une fois Baylen à la
merci des Espagnols. S'il avait ordonné le dé-
part sur-le-champ, il eût prévenu ces derniers ;
malheureusement, il ne quitta Andujar que le
lendemain au soir, entre huit et neuf heures.
Il traînait à sa suite une immense quantité de
bagages et de voitures chargées de malades,
réduits en cet état par la mauvaise nourriture
et par une chaleur accablante qui dépassait
quarante degrés Réaumur. La moitié de son
corps d'armée était atteint de la dyssenterie.
Il n avait pas alors plus de 7,800 Français et
1,600 Suisses, en tout 9,400 hommes. Après
avoir franchi le lit desséché du Rumblar, on
aperçut les avant-postes espagnols, qui nous
accueillirent par une décharge de mousquete-
rie. C'était lavant-garde des généraux Re-
ding et Coupigny, qui venaient de s'établir à
Baylen. Nos troupes chargèrent à fond les
Espagnols et les obligèrent à se replier sur
leur corps de bataille. Mais à peine avions-
nous forcé le passage et débouché dans la
plaine, que l'artillerie ennemie Vomit sur nous
une grêle de boulets et de mitraille. Le géné-
ral Chabert, qui n'avait que six pièces de 4,
les fit mettre aussitôt en batterie ; mais les
Espagnols, qui avaient vingt-quatre pièces
de 12 bien servies, les eurent bientôt démon-
tées et mises hors de service. A mesure qu'elles
arrivaient sur le champ de bataille, nos trou-
pes essayèrent en vain, avec des pièces de 4
et de 8, de faire taire cette redoutable batte-
rie de 12; elles lançaient des projectiles qui
causaient de profonds ravages dans les rangs
espagnols, où ils emportaient des files entières,
mais «ans parvenir a réduire leur artillerie au
silence. Le général Dupont fait 'charger les
Espagnols successivement à droite età gau-
che, puis sur le centre; nos cavaliers s'élan-
cent avec une héroïque intrépidité, et for-
cent les tirailleurs ennemis à se replier; mais
ils'ne peuvent entamer le corps de bataille.
De quelque côté-qu'on pousse les ennemis, à
coups de sabre ou de baïonnette, ils revie^
nent en arrière se reformer sur deux-lignes
immobiles, qu'on aperçoit au fond du champ
de bataille comme un impénétrable mur d'ai-
rain. Outre leur nombre, trois ou quatre fois
supérieur à celui de nos soldats, ils sont ap-
puyés en arrière au bourg de Baylen, proté-
gés sur leurs ailes par des hauteurs boisées,
et couverts sur leur front par une artillerie
formidable. Il est dix heures du matin; la cha-
leur est étouffante, hommes et chevaux sont
haletants, et sur ce champ de bataille, dévoré
par le soleil, pas une goutte d'eau, pas le
moindre espace d'ombre, qui puisse rafraîchir
nos jeunes soldats pendant les intervalles de
cette horrible lutte. Dans cette effroyable si-
tuation, le général Dupont se demande ce
qu'est devenu le général Vedel, si prompt à
se déplacer les jours précédents; il l'attend
avec une impatience qui lui fait croire à sa
prochaine arrivée ; il l'annonce même à ses
soldats, et, voyant leur courage réveillé à
cette nouvelle, il se décide à tenter un mou-
vement général pour enlever d'assaut la po-
sition. Quelques officiers, inspirés par leur
expérience de la guerre et par un noble dés-
espoir, conseillent' alors de se former en co-
lonne serrée sur la gauche et de charger sur
un seul point, celui qui peut donner passade
vers la route de Baylen a la Caroline, c'est-à-
dire vers la division Vedel; on pouvait ainsi
s'échapper en creusant une trouée sanglante
à travers les rangs ennemis, mais en se ré-
signant à un sacrifice douloureux, celui des
bagages remplis de nos malades. Toujours
aveugle dans ces fatales journées, le général
Dupont ne voit pas la porte de salut ouverte
par ce conseil, et il s'obstine à charger l'ar-
mée espagnole tout entière, comme s'il avait
espéré l'enlever d'un seul coup. Nos jeunes
soldats s'élancent avec une héroïque intré-
pidité , et se précipitent en masse sur l'en-
nemi; mais ils sont accueillis par d'horribles
décharges de mitraille, sous lesquelles ils sont
forcés de plier. Leurs officiers les ramènent
en avant, l'épée à la main; le général Dupré
charge lui-même à la tête de ses chasseurs à
cheval ; il fait des brèches dans la ligne espa-
gnole, il y prend même des canons, qu'il ne
peut ramener; mais toutes les fois qu il veut
aller au delà, il est arrêté par une autre ligne
de fer, impossible à enfoncer. Le malheu-
reux général tombe enfin frappé d'un biscaïen
au bas-ventre. Le général Dupont veut ten-
ter un dernier effort; il reporto en ligne ses
soldats et les lance sur les Espagnols; hé-
roïsme inutile, la mousqueterie et la mitraille
les repoussent de nouveau à l'entrée de cette
triste et fatale plaine qu'ils n'ont pu franchir.
Et comme si tout se fût réuni pour rendre
notre position désespérée, l'inhabileté d'une
part et la trahison de l'autre, les Suisses qui
combattaient de notre côté, las de tirer sur
les Suisses qui étaient dans les rangs espa-
gnols, désertent au nombre de 1,600; il ne
nous reste alors pas plus de 3 mille hommes
debout sur le champ de bataille, de 9 mille
qu'on y voyait le matin. 1,800 hommes ont été
tués ou blessés, 1,600 ont passé à l'ennemi,
2 ou 3 mille autres, abattus par le décourage-
ment, la chaleur et la dyssenterie, se sont
étendus à terre en y jetant leurs armes. En ce
moment, cruel et dernier coup de la fortune,
le canon gronde sur nos derrières, au pont du
Rumblar, c'est-à-dire par le chemin que nous
avons suivi. Le général Castanos, averti de
l'évacuation d'Andujar par les Français, a
lancé à leur poursuite tout ce qui lui res-
tait de troupes, sous les ordres du général
de la Pena, et celui-ci vient d'annoncer son
approche au général Reding par quelques dé-
charges d'artillerie. Dès lors^ tout est perdu :
la faible armée française, déjà si cruellement
éprouvée, va se trouver broyée entre les deux
armées espagnoles comme entre les branches
d'un étau; 30 mille hommes l'environnent, et
ne lui laissent aucun espoir de salut. Au com-
ble de la douleur, dans cette position désespé-
rée, le généra] Dupont ne voit plus d'autre
ressource que celle de traiter avec l'ennemi.
Il charge donc un officier d'aller proposer une
suspension d'armes au général Reding, qui
s'empresse d'adhérer à la trêve; mais à con-
dition qu'elle sera ratifiée par le général en
chef Castanos. Le même officier se porte en-
suite au pont du Rumblar, auprès du général
de la Pena, qui, tout plein des passions espa-
gnoles, déclare que les Français n'obtiendront
quartier qu'en se rendant à discrétion. En at-
tendant, le feu cesse momentanément de part
et d'autre. L'envoyé du général Dupont court
enfin au-devant du général Castanos pour lui
faire ratifier la trêve consentie par ses lieu- „
tenants.
Pendant ce temps-là, le général Vedel, dont
la présence eût infailliblement changé notro
désastre en triomphe, poursuivait au hasard,
avec deux divisions, un ennemi insaisissable,
dont il n'avait pu pénétrer les desseins. Quel-
ques indices, recueillis auprès des prisonniers
et des paysans, lui firent enfin, ainsi qu'au gé-
néral Dufour, entrevoir la vérité. Bientôt lo
canon qu'ils entendent retentir dans la direc-
tion de Baylen ne leur laisse plus do doute, et
cependant le général Vedel met à revenir sur
ses pas une indécision inexplicable. Tous,
dans cette fatale circonstance, semblaient
frappés de vertige. Les deux généraux so
mettent cependant en marche, lentement, sans
but déterminé. A midi (19 juillet), le canon
cesse de gronder à Baylen, car la bataille est
finie, et ce silence de la défaite et du déses-
poir ne fait que confirmer le général Vedel
dans la crainte de s'être trompé, et d'avoir
pris une simple fusillade d'avant-postes pour
une action générale. A cinq heures, il débou-
che enfin sur Baylen et aperçoit devant lui
les Espagnols. Sans se rendre compte encoro
de la situation, il veut leur passer sur le corps
pour rejoindre son général en chef, et, mat-
gré l'arrivée d'un parlementaire espagnol qui
vient lui annoncer la trêve, il ordonne l'atta-
que et fait charger vigoureusement l'ennemi
par ses cuirassiers. Mais alors un groupe d'of-
ficiers espagnols, dans lequel se trouvait un
aide de camp du général Dupont, vint lui
prescrire de cesser le feu. 11 dut s'arrêter de-
vant cet ordre formel de son général en chef,
mais sans se douter encore de l'étendue de
notre malheur. Et cependant, un effort éner-
gique pouvait encore nous arracher à l'humi-
liation qui nous attendait. En voyant la rage
et l'épouvante des Espagnols à l'arrivée du
général Vedel, plusieurs officiers supérieurs
f ressèrent le général Dupont de renouveler
attaque, en lui montrant même les hauteurs"
par lesquelles on pouvait rejoindre les deux
divisions françaises. Mais ce malheureux gé-
néral , atteint lui-même de la dyssenterie,
souffrant cruellement de deux blessures qu'il
avait reçues dans cette journée, succombant
sous l'abattement qui avait envahi son armée,
semblait être complètement absorbé dans sa
douleur et ne plus comprendre même, dans
l'excès de son désespoir, les paroles qu'on
lui adressait.
Nos soldats passèrent la nuit sur le champ
de bataille, sans vivres, sans eau et sans vin,
après une si terrible journée, tandis que les
Espagnols étaient dans l'abondance. Le len-
demain matin (20 juillet), le général Dupont
envoya à Castanos le célèbre général du gé-
nie Marescot, qui était de passage dans sa di-
vision avec une mission pour Gibraltar, et le
chargea d'obtenir les meilleures conditions
possibles du général espagnol, qu'il avait
beaucoup connu en 1795. Malgré sa répu-
gnance a servir d'intermédiaire dans de si
tristes circonstances, Marescot consentit à se
rendre auprès de Castanos; mais au pont du
Rumblar, il trouva le général de la Pena,
courroucé, menaçant, disant qu'il avait des
Jiouvoirs pour traiter. Il exigeait que toutes
es divisions françaises se rendissent immé-
diatement et à discrétion, sans quoi, disait-il,
il allait attaquer et anéantir la division Bar-
415
bou. cette malheureuse division qui venait de
combattre sous les ordres .du général en chef.
En apprenant ces conditions humiliantes, Du-
pont sentit se réveiller son énergie et sa fierté,
et il s'écria qn'il aimait mieux se faire tuer
avec le dernier de ses soldats que de se ren-
dre a discrétion. Mais alors tous ses lieute-
nants lui représentèrent à l'envi que le cas
était désespéré, qu'il n'y avait plus aucun ef-
fort *à attendre d'enfants accablés par une
chaleur excessive, malades pour la plupart,
n'ayant ni mangé ni bu depuis trente-six
heures, et tous s'accordèrent a dire qu'il n'^
avait aucun déshonneur à traiter après avoir
si vaillamment combattu. Entraîné par la dé-
moralisation générale, l'infortuné céda enfin
et donna ses pleins pouvoirs au général Cha-
bert, pour aller traiter avec Castanos. Chabert
et Marescot se rendirent immédiatement au-
près du général en chef espagnol, qu'ils ren-
contrèrent à moitié chemin de Bayien et d'An-
dujar, accompagné du capitaine général de
Grenade, Escalante, et du comte de Tilly, l'un
des membres les plus influents de la junte de
Séville. Castanos, homme doux, humain, sage,
reçut les officiers français avec des égards
qu ils ne trouvèrent pas auprès des deux au-
tres personnages. Les chefs espagnols exigè-
rent d'abord que les divisions Vedel et Dufour,
qui étaient intactes, et la division Barbou, qui
venait de combattre et qui était cernée, fus-
sent comprises dans la même capitulation, en
accordant toutefois à ces mêmes divisions un
traitement conforme à leur situation actuelle.
Ainsi la division Barbou devait rester prison-
nière de guerre, tandis que les divisions Vedel
et Dufour seraient ramenées par mer en
France. Ces prétentions soulevèrent une vive
résistance chez les négociateurs français ; en-
fin, après de longs débats, il fut convenu :
premièrement, que les trois divisions pour-
raient se retirer sur Madrid ; secondement,
que les divisions Vedel et Dufour opéreraient
leur retraite sans remettre leurs armes, tan-
dis que la division Barbou déposerait les
siennes. On allait procéder à la rédaction de
ces conditions, qui sauvaient du moins les
trois divisions françaises, lorsqu'on remit à
Castanos une lettre enlevée sur un jeune offi-
cier français que le général Savary expédiait
de Madrid au général Dupont. Cette lettre
contenait des instructions et l'expression des
inquiétudes que l'état actuel de l'Espagne in-
spirait â notre état-major de Madrid. Une
concentration générale des troupes du midi
venait d'être ordonnée et il fallait que le gé-
néral Dupont rentrât au plus vite dans la
Manche.
« A la lecture de cette précieuse dépêche,
dit justement M. Thiers, le général Castanos
comprit fort bien qu'accorder le retour sur
Madrid, c'était, non pas obtenir l'évacuation
volontaire de l'Andalousie par les Français,
mais tout simplement se prêter à leur projet
de concentration ; que, même sans les événe-
ments de Bayien, ils se seraient retirés; que,
dès lors, on ne gagnait rien à cette capitula-
tion que le stérile honneur de prendre à la
division Barbou ses canons et ses fusils, qui
lui seraient bientôt rendus à Madrid ; qu'il fal-
lait donc empêcher le retour de ces 20 mille
hommes dans le nord de l'Espagne, où, par
leur présence, ils ne manqueraient pas de ré-
tablir les affaires du nouveau roi. » Après un
incident qui jetait une si vive lueur sur notre
situation en Espagne, nos négociateurs con-
sternés durent se résigner à traiter sur de
nouvelles bases. Il fut donc stipulé que la di-
vision Barbou resterait prisonnière de guerre,
et que les divisions Vedel et Dufour évacue-
raient l'Espagne par mer, après avoir toute-
fois déposé leurs armes, qu on leur rendrait
au lieu de l'embarquement.
Pendant que l'on discutait ces tristes condi-
tions, le général Vedel fit offrir au général
Dupont, dont il avait enfin appris le malheur,
de recommencer l'attaque dans la nuit du len-
demain (du 20 au 2l), promettant de se faire
jour à travers le corps du général Reding et
de le rejoindre, s'il tentait le moindre effort
de son côté. Dupont, toujours accablé, refusa,
alléguant le découragement profond de son
armée, et un traité presque terminé, peut-être
même signé sur la route d'Andujar. Mais lors-
que cet infortuné, qui ne connaissait pas en-
core l'étendue de son désastre, apprit que les
deux divisions du général Vedel étaient com-
prises dans la capitulation, il lui fit trans-
mettre aussitôt le conseil de repartir sur-le-
champ pour la Caroline et de s échapper en
toute hâte vers Madrid. Vedel, qui venait
d'être informé en même temps du tnste résul-
tat des conférences d'Andujar, mit immédiate-
ment à profit l'autorisation de son général en
chef pour se retirer avec le général Dufour.
L'avis du départ de cette colonne arriva quel-
ques heures après aux généraux Reding et de
la Pena. Ce furent alors des cris de canni-
bales chez les Espagnols, en voyant s'échap-
per ainsi la plus belle partie de leur proie.
Ces vainqueurs de hasard, exaspérés par leurs
bas instincts de haine et de vengeance, me-
naçaient de massacrer la division Barbou tout
entière, oubliant que 6 mille Français, arra-
chés à leur abattement momentané par un
noble désespoir, pouvaient faire une trouée
sanglante dans leurs rangs et échapper à. leur
fureur. Les négociateurs espagnols eux-
mêmes, se faisant les organes d'une ignoble
soldatesque ivre de sang, s'oublièrent jus-
qu'à confirmer, par rapport à la division Bar-
bou, les cris de rage qui retentissaient autour
, d'eux. C'étaient des cris d'assassins, auxquels
on n'eût dû répondre qu'avec mépris. Cepen-
! dant, le général Dupont, accablé de nouvelles
instances, céda encore une fois et envoya au
général Vedel l'ordre formel de revenir occu-
per la position qu'il venait de quitter. A cette
nouvelle, un noble élan de colère souleva
toute la division Vedel; les soldats allèrent
jusqu'à refuser de marcher, et, dans tout autre
pays, ils eussent déserté jusqu'au dernier plu-
tôt que de se soumettre à l'humiliation qui les
attendait. Mais il fallut enfin obéir, et tous,
généraux, officiers et soldats, rétrogradèrent,
tristement sur Bayien.
Le 22 juillet 1808, date à jamais funeste
dans nos fastes militaires, la fatale capitula-
tion fut apportée au général Dupont, d'Andu-
jar à Bayien. « Plusieurs fois il hésita avant
de la signer. Le malheureux se frappait le
front, rejetait la plume; puis, pressé par ces
hommes qui avaient tous été si braves au feu
et qui étaient si faibles hors du feu, il inscri-
vit son nom, naguère si glorieux, au bas de cet
acte, qui devait être pour lui l'éternel sup-
plice de sa vie. » (THIERS.) Le lendemain, nos
soldats, le cœur navré, défilèrent devant l'ar-
mée espagnole. Ils étaient tous trop jeunes
1 pour pouvoir comparer leur abaissement ac-
tuel à nos triomphes passés ; mais, parmi eux,
se trouvaient beaucoup d'officiers qui avaient
vu dénier devant eux les Autrichiens de Mê-
las et ce Mack, les Prussiens de Hohenlohe et
de Bliicher, et ils étouffaient de rage et de
honte. Les divisions Vedel et Dufour ne dé-
posèrent leurs armes que plus tard ; mais la
division Barbou subit cette'numUiation à Bay-
ien, regrettant alors de ne s'être pas fait tuer
jusqu'au dernier homme.
Les troupes françaises furent aussitôt ache-
minées en deux colonnes sur San-Lucar et
Rota, où elles devaient être embarquées pour
la France sur des bâtiments espagnols. Il est
impossible d'exprimer à quelles basses et igno-
bles insultes elles furent en butte dans, le tra-
jet de Bayien à ces deux destinations, La
conduite du peuple à leur égard fut atroce, et
inexplicable de la part d'une nation autrefois
si grande et si généreuse. Le patriotisme, à
quelque degré d'exaltation qu'il soit parvenu,
n'a pas le droit de transformer en betes sau-
vages, devant de malheureux soldats abattus,
vaincus et désarmés, d'autres hommes dans
le cœur desquels le succès n'eût plus dû lais-
ser place qu aux sentiments d'humanité. « Ces
malheureux Français, dit encore l'illustre his-
torien que nous avons déjà cité, qui s'étaient,
comportés en braves gens, qui avaient fait la
guerre sans cruauté, qui avaient souffert sans
se venger le massacre de leurs malades et de
leurs blessés, étaient poursuivis à coups de
pierres, souvent à coups de couteau, par les
hommes, les femmes et les enfants. A. Car-
mona, à Ecija, les femmes leur crachaient à
la figure, les enfants leur jetaient de la boue. -
A ces vilenies de la multitude, les grands per-
sonnages joignirent leurs propres bassesses.
L'embarquement de nos troupes ayant été re-
tardé sous divers prétextes, plus ridicules et
plus insolents les uns que les autres, nos gé-
néraux s'adressèrent à la junte de Séville, qui,
levant enfin le masque de la lâcheté et de la
mauvaise foi, refusa de reconnaître la capi-
tulation de Bayien, et déclara que tous les
Français seraient retenus prisonniers de
guerre. Le capitaine général, Thomas de
Morla, eut l'indignité de répondre qu'une ar-
mée qui avait violé toutes les lois divines et
humaines avait perdu le droit d'invoquer la
justice de la nation espagnole.
Nous nous arrêtons sur cette dernière iro-
nie de la fortune ; mais l'impudent langage de
ce Thomas de Morla méritait une leçon qui ne
tarda pas à lui être infligée d'assez haut, et
dans une circonstance assez différente, pour
qu'il n'eût qu'à se courber à son tour sous
1 humiliation qui l'atteignait. Après les tristes
événements que nous venons de retracer,
nous ne résistons pas au plaisir de la rappor-
ter ici.
Lorsque Napoléon apprit la capitulation de
Bayien, il se livra à des éclats de colère qu'il
nous faut renoncer à décrire. Il entrevit aus-
sitôt la conséquence de cet événement, l'ex-
tension de l'insurrection à toute l'Espagne et
l'abandon forcé de Madrid par notre état-ma-
jor. Il dut, néanmoins, ajourner jusqu'à l'hiver
le dessein de se porter en personne sur le
théâtre de la guerre. Au mois de décembre
(1808), il entra en Espagne et marcha direc-
tement sur Madrid, écrasant tous les corps
qui essayaient de l'arrêter. En quelques heures,
les troupes invincibles qu'il amenait avec lui,
les vieux soldats d'Austerlitz et de Friedïand,
eurent forcé les portes de l'est et du nord de
la capitale, qu'il menaça alors d'une prise
d'assaut si elle ne faisait immédiatement sa
soumission. Ce même Thomas de Morla, dont
nous venons de parler, avait été chargé de la
défense de Madrid, et ce fut lui que la junte
eut la maladresse d envoyer à Napoléon, avec
don Bernardo Iriarte, pour traiter de la red-
dition de la capitale. Ici, nous citerons encore
l'historien de l'Empire, dont nous ne pour-
rions qu'affaiblir le récit en en modifiant les
expressions. - Napoléon les reçut à la tête de
son état-major et leur montra un visage froid
et sévère. Il savait que don Thomas de, Morla
était ce gouverneur d'Andalousie sous le com-
mandement duquel avait été violée la capitu-
lation de Bayien. Il se promettait de lui adres-
ser un langage qui retentit dans l'Europe
entière. Thomas de Morla, intimidé par la
ftrésence de l'homme extraordinaire devant
equeï il paraissait, et par le courroux visible;
quoique contenu, qui se révélait sur ses traits,
lui dit que tous les hommes sages, dans Ma-
drid, étaient convaincus de la nécessité de se
rendre, mais qu'il fallait faire retirer les trou-
pes françaises, et laisser à la junte le temps
de calmer le peuple et de l'amener à déposer
les armes. « Vous employez en vain le nom
du peuple, lui répondit Napoléon d'une voix
courroucée. Si vous ne pouvez parvenir à le
calmer, c'est parce que vous-même vous l'a-
vez excité et égaré par des mensonges. Ras-
semblez les curés, les chefs des couvents, les
alcades, les principaux propriétaires, et que
d'ici à six heures du matin la ville se rende,
ou elle aura cessé d'exister. Je ne veux ni ne
dois retirer mes troupes. Vous avez massacré
les malheureux prisonniers français qui étaient
tombés entre vos mains. Vous avez, il y a peu
de jours encore, laissé traîner et mettre à
mort dans les rues deux domestiques de l'am-
bassadeur de Russie, parce qu'ils étaient nés
Français. L'inhabileté et la lâcheté d'un gé-
néral avaient mis en vos mains des troupes
qui avaient capitulé sur le champ de bataille
de Bayien, et la capitulation a été violée.
Vous, monsieur de Morla, quelle lettre avez-
vous écrite à ce général? 11 vous convenait
bien de parler de pillage, vous qui, entré en
1795 en Roussillon, avez enlevé toutes les
femmes et les avez partagées comme un bu-
tin entre vos -soldats. Quel droit aviez-vous,
d'ailleurs, de tenir un pareil langage? La ca-
pitulation de Bayien vous l'interdisait. Voyez
quelle a été la conduite des Anglais, qui sont
bien loin de se piquer d'être rigides observa-
teurs du droit des nations I Ils se sont plaints
de la convention de Cintra, mais ils l'ont exé-
cutée. Violer les traités militaires, c'est re-
noncer à toute civilisation, c'est se mettre sur
la même ligne que les Bédouins du désert.
Comment donc osez-vous demander une ca-
pitulation, vous qui avez violé celle de Bay-
ien? Voilà comment l'injustice et la mauvaise
foi tournent toujours au préjudice de ceux
qui s'en sont rendus coupables... Retournez à
Madrid. Je vous donne jusqu'à demain six
heures du matin. Revenez alors, si vous n'a-
vez à me parler du peuple que pour réap-
prendre qu il s'est soumis. Sinon, vous et vos
troupes, vous serez tous passés parles armes. »
Ces redoutables paroles épouvantèrent tel-
lement Thomas de Morla, que, revenu auprès
de la junte, il ne put rendre compte du résul-
tat de sa mission; ce fut don Iriarte qui s'en
acquitta pour lui. Il est inutile d'ajouter aue
Madrid ouvrit aussitôt ses portes au vain-
queur. Les conséquences de Bayien allaient
être anéanties, mais rien ne pouvait en effa-
cer le triste souvenir.

BAYLY,
BAILEY ou BAILE (Louis), prélat
anglais, né à Caermarthen, dans le pays de
Galles, mort en 1632. Elève de l'université
d'Oxford, il fut d'abord ministre protestant à
Evesham, puis fut nommé chapelain de Jac-
ques 1er vers 1611, et évêque de Bangor en
1616. En 1621, il subit une courte détention
pour un motif qu'on ignore. Prédicateur émi-
nent, il a acquis une renommée populaire en
Angleterre par son livre intitulé la Pratique
de piété, qui a eu un nombre prodigieux d'é-
ditions, et qui, dans le peuple, a joui long-
temps d'une autorité presque aussi grande
que celle de la Bible.
BAYLY (Thomas), publiciste anglais, fils du
précédent, mort à Ferrare vers 1657. Après
avoir fait ses études à Cambridge, il devint
sous-doyen de Well. Zélé partisan de la cause
royale, il suivit Charles Ier à l'armée. Lorsque
ce prince fut reçu au château de Ragland,
après la bataille de Naseby, ce fut Thomas
Bayly qui dressa les articles de la capitula-
tion. Il voyagea ensuite en Flandre et en
France, et finit par se convertir au catholi-
cisme. Sous le protectorat de Cromwell, il
composa des pamphlets intitulés Ribliotheca
regia, qui firent beaucoup de sensation et qui
le firent enfermer dans la prison de Newgate.
Pendant sa détention, il n'en publia pas moins
, une espèce de roman, où il trouva le moyen
de glisser des traits piquants sur les affaires
politiques. Il parvint ensuite à s'évader, se re-
tira en Italie et s'attacha au cardinal Otto-
boni, nonce à Ferrare. Ses autres écrits sont :
le Certamen religiosum ou Conférence entre
le roi Charles Ier et le marquis de Worcester
(1649) ; la Fin des controverses entre les reli-
gions catholique et protestante (1654) ; De ta
Rébellion des sujets envers leurs rois (Paris,
1655), ouvrage composé et publié en français.
BAYLY (John), graveur anglais, travaillait '
à Londres en 1767. Il a gravé au burin divers
portraits, entre autres celui du médecin John
Thorpe, d'après "Woollaston," et 19 planches
d'après Noël, pour les Antiquités anglo-nor-
mandes^ du docteur Ducarel (Anglo- Norman
Antiquities, etc. (Londres, in-fol., 1767).
BAYLY (Guillaume), astronome anglais,
mort en 1810. Chargé, en 1769, par la Société
royale de Londres, d'aller observer au cap
Nord le passage de Vénus, il s'acquitta habi-
lement de cette mission, et il prit part, depuis
lors, à d'importantes explorations scientifiques,
dont la plus célèbre est le voyage que Cook
fit dans les terres australes en 1772. Bayly y
fut chargé, concurremment avec Wales, de
tout ce qui touchait l'astronomie, et leurs ob-
servations furent publiées à Londres en 1744.
Bayly devint membre de l'académie de Ports-
mouth en'1785.

BAYMAN
s. f. (bè-man). Chronol. L'un
des mois du calendrier persan.

BAYOA
ville de l'Océanie (Malaisie), dans
l'île Célèbes, capitale et royaume de Boni;
10,000 hab.

BAYON
bourg de France (Meurthe), ch.-l.
de cant., arrond. et à 22 kil. S.-O. de Luné-
ville, sur l'Euron; pop. aggl. 902 hab. — pop.
tôt. 956 hab. Fabriques de plâtre, chaux et
tuiles. Bayon était jadis une ville fermée de
murs, qui fut enlevée en 1475 par le duc de
Bourgogne, et reprise par escalade l'année
suivante. On a trouvé, aux environs, des mé-
dailles romaines, de grandes tuiles antiques
et des restes de murailles de construction ro-
maine.

BAYONA
petite ville maritime d'Espngne,
prov. et à 50 kil. S.-E. de Pontevedra, capi-
tainerie générale de la Corogne, avec un port
fortifié sur l'océan Atlantique; 2,350 hab. Il
Nom d'un petit groupe d'îles sur les côtes
d'Espagne. V. CIKS (îles).

BAYONNAIS
AISE adj. et s. (ba-io-nè;
è-zo — rad. Rayonne). Qui est né, domicilie
à Bayonne; qui a rapport à cette ville ou à
ses habitants : Un BAYONNAIS. Une BAYON-
NAISE. Les usages SAVONNAIS. La population .
BAYONNAISE.

BAYONNAISE
s. f. (ba-io-nc-zc). Art. cu-
-lin. Syn. de Mayonnaise.

BAYONNE
ville de France (Basses-Pyré-
nées), ch.-l. d'arrond. et de deux cant., à
107 kil. O. de Pau, à 789 kil. S.-O. de Paris,
sur l'Adour et la Nive, qui y forment un port
à 5 kil. de l'Océan ; pop. aggl., 19,062 hab.,
— pop. tôt. 25,611 hab. L'arrond. comprend
8 cant., 53 communes, 95,237 hab. Evcché
suffragant d'Auch, grand séminaire, tribu-
naux de lr-e instance, de commerce, justice
de paix, collège communal, école d'hydrogra-
phie, bibliothèque; place de guerre de lre
classe, ch.-l. de la 13e division militaire; con-
sulats étrangers, hôpitaux civils et militaires;
construction de navires du commerce, prépa-
ration de cuirs, jambons, fabriques de choco-
lat, sel, savons, bouchons, draperies gros-
sières. C'estdans l'arrondissement de Bayonne,
à Hendaye, que se fabrique, avec "les perfec-
tionnements de l'art moderne, l'excellente li-
queur qui a fait les délices de nos pèves et
qui est connue universellement sous le nom
impropre d'eau-de-vie d'Bendaye; MM. p. et
A. Barbier frères ont, seuls, le privilège de
cette fabrication, qui se fait actuellement pour
le compte de la maison Varnier-Daupn'm, de
Paris. Le port, d'un accès difficile, à cause de
la barre formée à l'embouchure de l'Adour,
peut recevoir des navires de 4 à 5 mètres de
tirant d'eau ; on s'occupe de le creuser. Le
mouvement de la navigation a été en 1SG1,
de 1,788 navires, jaugeant 92,882 tonneaux;
le cabotage a donné 552 navires et 39,345 ton-
nes. Les principales denrées à l'importation
sont : les grains et les farines, légumes secs,
pommes de terre, sel, vin, pierre, pois-
son, etc.; à l'exportation, les résines, bois
communs, fonte, cordages, bitume, engrais.
Le commerce par terre avec l'Espagne s'é-
lève, en moyenne, à 40,000 tonnes.
Située à peu de distance de l'Océan et sur
deux rivières, Bayonne est divisée en trois
quartiers : le grand Bayonne, qui se déve-
loppe sur la rive gauche de la Nive, renferme
le vieux château ; le petit Bavpnne s'étend
sur la rive droite de la Nive et Ta rive gauche
de l'Adour, et contient le château neuf, flan-
qué de quatre tours ; Saint-Esprit, le troi-
sième quartier, a été détaché du département-
des Landes et annexé à Bayonne par la loi
du 9 mai 1857. Au haut de ce quartier se
dresse la citadelle qui commande la ville et le
port. Bayonne offre un aspect pittoresque, sur-
tout à cause de ses constructions dans le style
espagnol; on n'y entre que par quatre portes;
cependant, les travaux de défense n'enlèvent
rien à la beauté du panorama. La ville est
généralement bien bâtie. On remarque prin-
cipalement la grande rue \ la place Grammont,
qui regarde d'un côté la Nive et de l'autre l'A-
dour et le port ; c'estle vrai centre du commerce
et des plaisirs de la ville. Parmi les édifices,
nous citerons la cathédrale (v. ci-dessous) ;
l'église Saint- André, surmontée de deux
flèches et construite en 1861 et 1862; l'église
du Saint-Esprit, construction assez originale
du xve siècle; le vieux château, qui date de
la même époque et qui fut témoin du paye-
ment de la rançon de François 1er en 1529; le
nouveau château, ou château de Marrac, cons-
truit par la reine douairière d'Espagne Marie-
Anne de Neubourg, et célèbre par l'acte
d'abdication du roi d'Espagne Charles IV, en
faveur de Napoléon Ier, l'arsenal, l'hôpital
militaire, le théâtre et les ponts jetés sur l'A-
dour et la Nive.
Près de Bayonne, et non loin de la mer, à
Anglet, se trouve, au milieu des dunes, le Re-
fuge, établissement pour les filles repenties,
fondé et dirigé par M. l'abbé Cestac. Les filles
infortunées, méprisées ou repoussées du
monde, mais accueillies au Refuge par la
charité, sont, pour la plupart, employées aux
travaux des champs et, grâce à cette utile et
belle institution, la où, naguère encore, on
ne voyait qu'une lande stérile, on admire au-
jourd'hui des fleurs, des fruits, des légumes,
du maïs, des plantes de toutes sortes....
416
« Il n est question de cette ville dans aucun
monument romain. La Notice de l'Empire,
dit Walckenaer {Géographie des Gaules) t in-
dique une ville nommée Lapurdum, mot basque
qui signifie la ville aux voleurs, et qui adonné
son nom au pays de Labour, dont Bayonne
était la capitale. Rien ne démontre d'une
manière bien certaine, que Lapurdum occu-
pait le même emplacement que Bayonne,
quoique cela soit probable, vu la grande an-
tiquité de cette ville. - Grégoire de Tours en
parle dans l'accord fait entre le roi Childebert
et Gontran. Quant à l'étymologie du nom de
Bayonne, on la trouve dans ces deux mots
basques baya — ona (bonne, baie). On ne
commence à trouver le nom de cette ville
qu'au xe siècle ; on la voit alors possédant un
évêché et gouvernée par des vicomtes par-
ticuliers jusqu'en U93. Jean-sans-Terre s'en
empara en 1199, et les Anglais la réunirent
au duché de Guienne sous Edouard II. Lors
de la reddition à la France de toutes les villes
de Guienne, en M51, vingt ans après 'l'hé-
roïque martyre de Jeanne Darc, Bayonne
seule voulut rester aux Anglais, et Charles VII
dut la faire investir par Dunois. Vivement
pressée par l'énergie valeureuse des Fran-
çais, elle ouvrit ses portes le samedi 21 août
1451, et subît les plus dures conditions. Les
Espagnols tentèrent deux fois de s'en empa-
rer par surprise, en 1595 et 1651. C'est à
Bayonne qu'eut lieu l'entrevue entre le duc
d'Albe, envoyé de Philippe II, Catherine de
Médicis et Charles IX, roi de France, dan^
laquelle, d'après l'historien de Thou, fut pré-
méditée la Saint-Barthélémy. On sait que le
vicomte d'Orthez, qui commandait Bayonne,
refusa d'accomplir dans cette ville les ordres
sanguinaires de la cour. C'est à Bayonne que,
en l'nnnée 1523 , fut inventée la baïon-
nette, arme qui a pris son nom do la ville.
En 1815, les Espagnols, au nombre de
.15,000, essayèrent une démonstration sur
cette ville, dégarnie de troupes; mais l'iitti-
. tude ferme de la population fit reculer l'en-
nemi, et Bayonne, qui se glorifie de n'avoir
. jamais été prise depuis Dunois, put conserver
sa devise nunquam polluta (jamais souillée).
On parle, à Bayonne, le gascon, le béarnais,
le français et l'espagnol. « Le langage des
. Bayonnais est fort singulier, et les habits des
femmes ne le sont pas moins. Les filles, les fem-
mes mariées, les veuves, les jeunes et les vieil-
les portent des habits différents, soit dans les
cérémonies funèbres, soit dans celle des noces,
soit aux processions ; leurs tailleurs ne sont que
pour leur usage et pour celui du pays de La-
bour. Si l'on voyait ailleurs des gens vêtus à
leur manière, on croirait qu'ils se sont déguisés
exprès pour faire rire sur un théâtre, ou pour
aller en masque. » Ces paroles, vraies au
xvie siècle, ne sont plus de nos jours qu'un
souvenir historique ; Bayonne, comme les
autres villes de France, a subi les modifica-
tions de la civilisation moderne. Les coutu-
mes locales s'effacent tous les jours, et ce
n'est guère que dans les campagnes environ-
nantes qu'on trouve encore, dans sa grotes-
que originalité, le costume du siècle passé.
Bayonne est la patrie de l'abbé de Saint-Cy-
ran, fondateur de la secte des jansénistes ; du
chimiste Pelletier, de Jacques I.affitte, etc.
La Cathédrale (Notre-Dame) est le seul mo-
nument du moyen âge que possède encore
Bayonne. Elle fut commencée en 1142, sous
l'épiscopat d'Arnaud-Loup Dessabatj la po-
pulation tout entière voulut s'associer, par
des contributions personnelles, aux frais de
la construction. L'édifice, agrandi au xive et
au xve siècle, appartient, dans ses parties les
plus importantes, à la belle époque du style
ogival. Son plan, qui est celui de la croix la-
tine, comprend trois nefs; la nef centrale est
séparée des bus-côtés ou basses-nefs par
douze piliers détachés et quatre piliers enga-
gés, qui supportent les retombées des arceaux
en ogive de la voûte. Les piliers détachés, de
forme quadrangulaire, n ont pas moins de
2 m. sur chaque face ; ils sont entourés de
colonnettes surmontées de chapiteaux variés.
La nef latérale de gauche est bordée de cha-
pelles qui font partie du système de contre-
forts destinés à soutenir l'édifice. La nef laté-
rale de droite, appuyée sur un cloître dont
nous reparlerons, n'a pas de chapelles inté-
rieures. Les trois nefs, commencées vers 1335,
sous l'épiscopat du cardinal Guillaume Gau-
din, ne furent terminées qu'un siècle plus
tard, comme l'annonce le caractère de l'ar-
chitecture ogivale prismatique, qui est celle
des dernières travées, et comme l'attestent
plus clairement encore les armoiries d'Angle-
N terre sculptées dans les clefs de voûte : on
sait que ce fut en 1430 que le faible Char-
les VI confirma les prétendus droits du roi
d'Angleterre sur Bayonne. Les transsepts ne
sont indiqués que par l'espacement des tra-
vées k la naissance du chœur ; ils sont éclai-
rés par des roses de la plus grande élégance.
Le chœur et l'abside appartiennent à la cons-
truction primitive (xive siècle). L'abside a la
forme d'un hémicycle et est entourée de cinq
chapelles demi-circulaires. Une galerie {trifo-
n«m), percée d'arceaux en ogive et décorée
de colonnettes et de trèfles, règne autour de
la nef et du chœur, a la hauteur de la nais-
sance des grandes arcades, marquée par les
chapiteaux qui couronnent les piliers. Au-
dessus de cette galerie se déroulent deux
lignes de larges vitraux de couleur, dont quel-
ques-uns remontent au xme siècle. « L'inté-
rieur de la cathédrale de Bayonne,dit M. Bou-
BAZ
rassé, est remarquable par la grandeur do ses
I dimensions et la parfaite harmonie de ses
formes ; mais ses dispositions essentielles sont
moins légères et moins hardies que dans quel-
ques autres monuments du même style et de
la même époque. » La plus grande longueur
de l'édifice est de 78 m.; sa largeur, non
compris les chapelles, est de 23 m. Le maître-
autel, isolé au milieu du chœur et élevé de
cinq marches, est d'un goût simple et pur.
Les stalles du chapitre, disposées circulaire-
ment derrière cet autel, sont sculptées avec
beaucoup d'habileté. Un cloître, dont Yarea
servait autrefois de cimetière aux chanoines,
est placé à la droite de l'église : cette con-
struction accessoire, qui date du milieu du
xive siècle, est des plus remarquables; elle a
été restaurée, il y a quelques années, sous la
direction intelligente du colonel Gleizes. Les
arcades des galeries sont à ogive et à trèfle,
et reposent sur des piliers décorés de colon-
nettes engagées. La cathédrale de Bayonne,
bâtie sur une éminence comme la plupart des
églises du moyen âge, présente à l'intérieur
! un aspect sombre, austère. La façade du côté
j de l'évèchè n'a jamais été terminée. L'entrée
| latérale, sur la place publique, est précédée
j d'un narthex élevé de plusieurs degrés, es-
I pèce de dais ou de pavillon formé d'arcades
j ogivales, qui s'appuient sur deux pilastres
! cannelés et décorés de niches d'un travail dé-
I licat. Le clocher, commencé en 1501, contt-
I nué de 1515 à 1544, a été recouvert en 1605
! d'un pavillon de forme peu gracieuse.
j BAYONNETTE S. f. V. BAÏONNETTE.
! BAYOU s. m. (ba-iou). Géoçr. Nom que
! l'on donne, dans la Louisiane, a des canaux
naturels dont certains marais sont coupés.

BAYPOUR,
ville de l'Indoustan anglais, pré-
sidence de Madras, district de Malabar, à
12 kil. S. de Calicut, sur la côte de Malabar.
9,700 hab. Excellent port; construction de
navires de commerce.

BAYR
(Georges), flûtiste allemand, né en
1773, mort en 1833. Il était,.en 1803, attaché
a l'orchestre d'un théâtre de Vienne, qu'il
abandonna pour tenter une excursion en Rus-
sie. Après un séjour de quelques années dans
ce pays, il revint à Vienne, et c'est à partir
de cette époque que date sa réputation. En
eifet, Bayr était parvenu à produire des sons
doubles sur son instrument, et à jouer des
morceaux à deux parties parfaitement dis-
tinctes, en soutenant un son à l'aigu pendant
qu'il exécutait des traits dans le grave, soit
gammes, soit intervalles, forte ou piano, cou-
lés ou détachés. Cet artifice de Bayr parut si
extraordinaire, que des commissaires furent
nommés à Vienne pour vérifier la réalité do
ce tour de force musical.'Bayr a laissé, entre
autres œuvres gravées, 101 exercices sur la
gamme, et une volumineuse méthode de flûte.
BÀYREUTH. V. BAIREUTH.
BAYSE. V. BAISE.
BAZA. Dans ïa mythol. j)arse, on appelle
ainsi un certain poids de péchés, qui ne peu-
vent être rachetés que. par un poids égal de
pénitences et de purifications.

BAZA
s. m. (ba-za —du çv.baûzo, j'aboie).
Ornith. Genre d'oiseaux de proie diurnes, de
la famille des faucons, plus connu sous le
nom de LOPHOTE.
BAZA, anciennement Basti, v. d'Espagne,
prov., capitainerie générale et à 100 kil. N.-E.
de Grenade, ch.-l. de juridiction civile, près
du Guadalquiton ; 13,600 hab. Enlevée aux
Maures après un long siège, en 1489 ; une
division de l'armée française y battit les
Anglo-Espagnols le 3 novembre 1S10. —
Grand commerce de chanvre.

BAZAC
s. m. (ba-zak). Comm. Coton filé
très-fin, qui vient de Jérusalem.

BAZADAIS
ou BAZAD01S,en latin Vasaten-
sis Ager,anc. petit pays de France,qui dépen-
dait autref. de la ci-devant prov. de Guienne;
il.est maintenant compris dans les départ, de
la Gironde et de Lot-et-Garonne. On divisait
ce pays en deux parties séparées par la Ga-
ronne : le Bazadois méridional, capitale Bazas,
et ayant pour principale ville Langon, le
Mas-d'Agénois, Castel-Jaloux , etc. ; le Baza-
dois septentrional, capitale La Réole.
BAZADAis, AlSEadj. et s. (ba-za-dè, è-ze).
Gébgr. Habitant de Bazas ou du Bazadais ;
oui appartient à ce pays ou à ses habitants :
Les BAZADAIS. La population BAZADAISE. Bœuf
BAZADAIS. La race BAZADAISE.
— Encycl. La race bovine bazadaise, qui
tire son nom de la jolie petite ville de Bazas,
située a la limite du département des Landes,
est éminemment propre au travail. Non-seu-
lement elle est .seule chargée dans ce pays
des travaux agricoles, mais encore elle y tient
lieu de cheval de roulage.. - Ce sont des bœufs
bazadais, dit M. le marquis de Dampierre,
qui transportent à Lauzun, sur d'énormes
- charrettes à deux roues et sur une route cons-
tamment pavée, tous les produits des Landes,
qui viennent se réunir h Dax, à Mont-de-
Marsan et à Roquefort, sur un parcours de
139 kil. La vigueur de ces bœufs est mise aux
plus rudes épreuves par les poids énormes
dont on les charge. Sous un soleil souvent
ardent, et au milieu d'une poussière de sable
fort incommode, ils marchent sous le joug,
e*.*"rtés, à une grande distance l'un de l'autre
et de façon à ne pas se gêner, à des charrettes
BAZ!
I à deux mues d'une construction fort lourde. »
i Avec cette aptitude remarquable pour le tra-
vail, le bœut bazadais est encore un excel-
lent animal de boucherie. Il acquiert par l'en-
graissement un poids élevé, et son rendement
en viande nette dépasse ordinairement 60
pour 100. Malheureusement, les forces et l'é-
nergie de ce brave animal s'épuisent le plus
souvent dans le roulage. Il serait à désirer
qu'on lui substituât, dans cette fonction, le
gros cheval de trait. Nous empruntons à
M. Eug. Gayot le portrait suivant du bœuf
bazadais : « Avec ses aptitudes, le bœuf ba-
* zadais est, dit-il, aux antipodes du Durham,
par exemple, de la tête aux pieds et des pieds
a la queue. La tête et le cou, fortement et
puissamment formés, sont énormes ; là surtout
sont la force, la prépondérance organique ; le
cornage est solide; toute la physionomie de
l'animal respire la vigueur, une mâle énergie.
D'ailleurs les diverses parties du corps sont
bien liées entre elles, soutenues, anguleuses
et accentuées, non fondues et harmonisées,
non symétriques, comme dans les races rema-
niées pour la boucherie. La membrure est
constituée pour la fatigue et la résistance :
les os sont volumineux, les muscles se ter-
[ minent par de grosses cordes tendineuses;
les articulations sont larges, nettes, parfaite-
j ment accusées ; la corne des onglons est de
j bonne nature. Les cavités splanchniques sont
| spacieuses à leur manière, qui n'est plus celle
I du bœuf d'engrais. La poitrine, par exemple,
j est cylindrique chez le bœuf de travail; elle
! est cubique dans l'autre ; la croupe et les
I hanches, comme le dos, ne s'élargissent chez
| la bête à viande que pour offrir au système
i musculaire des espaces plus étendus pour
I son expansion. Chez le bœuf qui travaille,
l le squelette ne tend toujours qu'à la solidité
de la charpente, et les muscles ne se déve-
loppent jamais assez pour faire disparaître
les saillies et les angles, qui sont autant d'in-
dices de force et de véritable puissance. La
race bazadaise a la croupe bien formée, et le
gigot assez descendu : ce sont là des condi-
tions de force indispensables pour un travail
soutenu. Mais qu'il y a loin des formes de
son arrière-main à la structure épaisse, large.,
étoffée du bœuf d'engrais, aussi carré, aussi
cubique à l'arrière que devant ! La queue de
ce dernier reste mince et comme noyée dans
les parties avoisinantes ; chez l'autre, elle est
haute, forte, saillante, et termine l'animal
comme la tête le commence. Il y a loin aussi
de cette partie, chez le bœuf bazadais, à cette
- petite tête qui sort du tronc du bœuf durham,
comme de la carapace d'une tortue. Quelle
différence encore dans les ligaments ! la peau
fine, moelleuse, élastique, le poil soyeux et
rare qu'on recherche dans le bœuf d engrais
ne résisteraient pas assez chez l'autre, et
ne le protégeraient pas suffisamment contre
les fatigues qu'il doit subir. Aussi a-t-il la
peau quelque peu épaisse, d'un tissu plus serré
et recouverte d'un poil plus rude. La couleur
est brune, tirant sur celle des races d'Aubrac
et de Schvritz.*» En résumé, on peut considé-
rer le bœuf bazadais comme formant la race
j de trait par excellence. De plus, son organisa-
tion est telle, qu'il suffirait de le ménager
I tant soit peu pour en faire un animal de bou-
! chérie très-remarquable. Cette double apti-
! tude, que l'on trouve si rarement réunie dans
1 le même sujet, doit suffire, sans aucun doute,
pour assigner au bœuf bazadais un rang dis-
tingué parmi nos races bovines françaises.

BAZAINE
mathématicien français, né
dans un village près de Metz, au milieu du
xvnr2 siècle, mort en 1820, selon quelques bio-
graphes, en 1833, selon d'autres. Il était simple
vigneron comme ses parents, lorsque les évé-
nements de la Révolution l'attirèrent à Paris,
ou il se fit une sorte de célébrité dans les clubs.
Il publia ensuite divers ouvrages sur les poids
et mesures du nouveau système 3 et sur leur
application à la géométrie et au jaugeage.
BAZAINE (Pierre-Dominique), fils du pré-
cédent, général français au service de la
Russie, né à Sey en 1783, mort en 1838. L'em-
pereur Alexandre, voulant se former des ingé-
nieurs, demanda à Napoléon de lui envoyer
quelques élèves de l'Ecole polytechnique. Na-
poléon choisit les quatre premiers de l'école,
au nombre desquels se trouvait le jeune Ba-
zaine, qui devint général-major, ainsi que ses
compagnons. Lors de la campagne de 1812,
Bazaine, Fabre, Potier et Bestrem déclarè-
rent qu'ils ne pouvaient plus servir dans
l'armée, et demandèrent leur congé. ;Le leur
accorder, c'était livrer tous les secrets straté-
giques de la Russie. Alexandre résolut de les
diriger dans l'intérieur du pays; mais un su-
balterne, dans un excès de zèle, les envoya à
Irkoutsk, en Sibérie. Le capitaine de vaisseau
russe Krusenstern, qui accomplissait un
voyage autour du monde, les ayant rencon-
trés, se chargea de faire réparer l'injustice
dont ils étaient victimes. Rappelés bientôt
après, ils reçurent un haut grade dans l'armée
russe. Bazaine, qui était un excellent mathé-
maticien, a laissé de nombreux écrits et mé-
moires estimés, parmi lesquels nous citerons :
Traité élémentaire du calcul différentiel, à
l'usage de l'institut des voies de communication
(Saint-Pétersbourg, 1818); Mémoire de la
théorie du mouvement des barques à vapeur, et
sur leur application à la navigation des ca-
naux, etc. (1818).
BAZAINE (Pierre - Dominique), ingénieur
français, frère du maréchal de France, né à
BAZ
Versailles en 1809. Elève de l'Ecole i>olyt«cV
niqne, il sortit en 1829 de l'Ecole des ponts
et chaussées, avec le titre d'ingénieur. Entre-
voyant l'importante question des chemins de
fer, il publia sur ce sujet, alors tout nouveau,
quelques écrits intéressants, et fut chargé, en
1838, avec M. Chaperon, de construire les
lignes de Mulhouse à Thann, de Strasbourg à
Bâle. Les travaux furent dirigés avec autant
d'intelligence que de vigueur, et la ligpe do
l'Alsace, la plus grande qui eût été encore
construite en France, fut inaugurée en 1841.
Depuis cette époque, M. Bazaine s'est entiè-
rement consacré à l'établissement des voies
ferrées en France. En 1842, il quitta Mul-
house et fut envoyé à Amiens, pour participer
aux travaux du chemin de fer du Nord, et
chargé bientôt après de l'exécution de la ligne
d'Amiens à Boulogne. Nommé, en 1848, direc-
teur des ateliers nationaux de la Sologne, at-
taché au conseil général des ponts et chaus-
sées en 1849, appelé comme ingénieur en chef
à diriger les travaux du chemin de fer du
Bourbonnais, M. Bazaine fut nommé, vers la
même époque, professeur des cours sur les
chemins de fer à l'Ecole des ponts et chaus-
sées.
Les chemins de fer auxquels M. Bazaine a
participé ou qui furent établis en grande par-
tie sous sa direction sont, outre les lignes al-
saciennes de Mulhouse-Thann (1839) etStras-
bourg-Bàle (1841), et celles du Nord (1846),
d'Amiens-Boulogne (1848), les chemins do
Moret-Nevers (1861), de Saint-Germain-Vi-
chy (1862), de Villeneuve-Saint-Georges-Ju-
visy (1S62), de Saint-Just-Andrezieux (1864),
de Corbeil-Maisse (1865). La reconstruction
complète des chemins de fer de Lyon à Saint-
Etienne et de Saint-Etienne à Roanne a été
opérée de 1856 à 1859 sous la direction de
M. Bazaine, qui achève en ce moment (1866)
les importants travaux des voies ferrées de
Roanne à Lyon par Tarare, et de Maisse à
Montargis.
M. Bazaine est ingénieur en chef depuis
1860. Esprit ouvert aux idées de progrès, et
s'intéressant à toutes les questions nouvelles,
il a pris rang parmi nos ingénieurs les plus
distingués, et, par la solidité et la clarté de
son enseignement, rempli d'un grand nombre
d'observations puisées dans l'expérience, il
compte au nombre des meilleurs professeurs
de l'Ecole des ponts et chaussées. On doit à ce
travailleur infatigable : Etudes sur -les voies
de communication, chemins vicinaux (in-8°);
et, en collaboration avec M. Chaperon, Chemin
de fer de l'Alsace, etc. (in-4° avec atlas), etc.
Ce qui distingue éminemment M. Bazaine de
tous ceux qui suivent la même carrière que
lui, c'est une grande sûreté de coup d'œil
pour l'évaluation des difficultés à surmonter;
une incroyable énergie dans le travail, et une
activité que rien ne saurait ralentir. Il s'est
constamment tenu à la hauteur de ce besoin
de mouvement, de cette aspiration au progrès,
qui restera le caractère principal de notre
époque.
BAZAINE (François-Achille), maréchal de
France, né en 1811. N'ayant pu se faire rece-
voir à l'Ecole polytechnique, il s'engagea en
1831, fut envoyé en Afrique, où sa brillanto
valeur le fit arriver, en trois années, au grade
de lieutenant, et passa, en 1837, dans la légion
étrangère, avec laquelle il se battit en Espagno
contre les carlistes. De retour en Afrique, et
devenu capitaine (1839), il continua à se dis-
tinguer dans les expéditions de Milianah, do
Kabylie, du Maroc, etc., fut nommé lieute-
nant-colonel'en 1848, colonel deux ans après,
et général de brigade en 1854. C'est avec ce
grade qu'il prit part à la guerre d'Orient et au
siège de Sébastopol, dont il devint gouver-
neur , quand cette place tomba entre nos
mains. Promu général de division en 1855, il
fut chargé de s'emparer de Kinburn, à l'em-
bouchure du Dnieper. Au bout de trois jours,
le 17 octobre 1855, cette forteresse se ren-
dait au chef du petit corps expéditionnaire,
qui revint après avoir pris 174 bouches à feu
et fait près de 1,500 prisonniers. Lorsque Na-
poléon III eut résolu de renverser la répub^-
quê au Mexique, pour y établir les institutions
impériales au profit de Maximilien d'Autriche,
le général Bazaine fut chargé de commander
la première division d'infanterie de l'armée ex-
péditionnaire, et il rempli)-a, en octobre 1862,
le général Forey, commandant en chef de l'ar-
mée française. Après avoir pris possession
de Mexico en 1863, il eut d'un côté à combat-
tre les bandes de guérillas organisées par le
président Juarez, et de l'autre à modérer la
réaction cléricale, à la tête de laquelle se
trouvait l'archevêque de Mexico Labastida.
Dans ces circonstances difficiles, le générai
Bazaine a fait preuve d'une remarquable fer-
meté, d'un véritable esprit d'organisation.
Nommé maréchal de France en 1864, il s'est
emparé, au mois de février suivant, de la ville
forte d'Oajaca, et il est encore aujdurd'hui(i866)
à la tête de notre armée d'occupation.

BAZALGETTE
(Joseph-William), ingénieur
anglais, d'origine étrangère, né en 1819, est
fils d'un capitaine de la marine royale. Après
avoir exécuté dans le nord de l'Irlande d im-
portants travaux de drainage, et dessiné ou
exécuté trois cents milles d'égouts dans la
ville de Londres, il fut nommé, au concours,
ingénieur en chef du bureau des travaux mé-
tropolitains. C'est sous sa direction que se
poursuit rapidement la grande canalisation
souterraine de la capitale de l'Angleterre»

travail que doit compléter une double ligne de
quais sur la Tamise.

BAZAN
s. m. (ba-zan— de pasen, nom
persan). Mamm. V. PASAN.

BAZANCOURT
( Jean-Baptiste-Marin-An-
toine LECAT, baron DE), général français, né
au Val de Molle (Oise) en 1767, mort en 1830.
Sorti de l'Ecole militaire, il était capitaine en
1792, et il fit la campagne d'Italie. Il alla en-'
suite en Egypte, où il obtint le çrade de chef
de bataillon, se distingua et fut blessé au siège
de Saint-Jean-d'Acre. Colonel en 1802, il prit
part à la bataille d'Austerlitz. 11 avait été l'un
des juges qui condamnèrent le malheureux
duc d'Enghien. Nommé général de brigade
en 1808, il fut chargé de commander la place
de Hambourg. Il fut mis à la retraite en 1814
et en 1815; mais, pendant les Cent-Jours, il
avait été chargé par Napoléon de commander
la ville de Chartres.
BAZANCOURT (César, baron DE), littérateur
français, né en 1810, mort en 1865. Il fut atta-
ché, sous Louis-Philippe, à la bibliothèque de
la ville de Compiègne, et se fit connaître dans
le monde littéraire par la publication de di-
vers romans, où il se plaisait à reproduire les
mœurs aristocratiques; nous citerons notam-
ment : l'Escadron volant de la reine (1836,
2 vol.),; Un dernier Souvenir (1840); A côtédu
bonheur (1845); le Comte de Rieuny (1845);
Georges le montagnard (1851,4 vol.); Noblesse
oblige (l&5\);\o,PrincessePallianci(l&b2,ov.).
Ajoutons à cette liste une Histoire de Sicile
sous la domination des Normands (1846,2 vol.).
A compter de 1855, il donna une série de pu-
blications en quelque sorte officielles. Cette
même année, le gouvernement impérial l'a-
vait chargé d'une mission en Crimée. Il a
rendu compte de cette mission dans une série
de lettres adressées au ministre de l'intérieur
et réunies sous ce titre : Cinq mois au camp
devant Sébastopol (1855, in-18). Plus tard,
avec des matériaux qu'il avait recueillis à la
suite de l'armée d'Orient, il écrivit un ouvrage
qui ne manque pas d'un certain intérêt, inti-
tulé : l'Expédition de Crimée, jusqu'à la prise
de Sébastopol, chronique de la guerre d'O-
rient (1857, 2 vol. in-s°, plusieurs fois réédi-
tée). Appelé en 1859, par ordre de l'Empereur,
à l'armée d'Italie, il a fait paraître, à son re-
tour, la Campagne d'Italie de 1859, chronique
de la guerre (1859-1860, 2 vol. in-8°). On lui
doit encore les Expéditions de Chine et de Co~
chinchine, d'après les documents officiels
(1861-1862, 2 vol. in-8o) et d'autres travaux
littéraires dans divers genres, entre autres
un livre sur l'escrime, intitulé les Secrets de
l'épée (1861). Il était officier de la Légion
d'honneur.

BAZAR
s. m. (ba-zar — mot arabe signif.
marché, échange, trafic). Marché public et
couvert en Orient : Les BAZARS sont le centre
de toutes les affaires qui ont rapport au com-
merce et à l'industrie. (Aub. de Vitry.) Le BA-
ZAR de Tauris, en Arménie, renferme quinze
mille boutiques. (Bouillet.)
— Par ext. En France, endroit couvert où
l'on vend toute espèce de menus objets et
d'ustensiles, n Grand centre où affluent des
marchandises et des produits de tous pays :
Ce qui ressemble le plus aux BAZARS, c'est le
Palais-Royal, véritable prototype du BAZAR
européen. (Aub. de Vitry).
Paris, bazar du monde, immense capitale
Où de toute grandeur la"puissance s'étale.
Mm» L. GOLET.
n Grande réunion, grand étalage d'objets
riches et variés ;
. . . Tous mes sens émus s'enivraient a la fois
De la splendeur du jour, des murmures de l'onde,
Des trésors étalés dans ce bazar du monde.
C. DÉLAVIONS.
— Pop. Maison, appartement : Dites donc,
vieux, le BAZAR ne me déplaît pas ici. (P. Fé-
val.) n Maison mal tenue, en désordre, où
tout est pêle-mêle : Quel BAZAR !
— Encycl. On donne ordinairement le nom
de bazars à de vastes réceptacles de marchan-
dises de provenances diverses, qu'on a établis
dans les principales villes du globe. Mais
c'est principalement en Orient que ces maga-
sins affectent un caractère vraiment original,
et les bazars de Constantinople sont connus
du monde entier : des touristes, des poètes,
des artistes, aussi bien que des spéculateurs ;
et, chose étrange, peut-être surpassent-ils
leur réputation. Nous ne saurions mieux faire,
pour donner une idée générale des bazars, que
de faire la description succincte de ceux de
Constantinople, qui peuvent servir de paran-
gon à tous ceux de l'Orient. Construit au
xve siècle par Mahomet II, le grand bazar
couvre un immense espace de terrain, et
forme comme une ville dans la ville même,
avee ses rues, ses passages et ses places. Ce
vaste espace est voûté, et le jour y entre par
de petites coupoles en verre dépoli, qui ma-
melonnent le toit plat de l'édifice. On peut
comparer ce bazar a l'ancien marché du Tem-
ple de Paris, qui présentait, h quelques égards,
le même caractère. La partie par laquelle on
entre ordinairement est exclusivement affec-
tée aux parfumeurs. C'est là que se débitent
les essences de bergamote, de jasmin, l'eau
de rose, les pâtes épilatoires, les pastilles
dites du sérail, les chapelets de musc, de
jade,d'ambre,de coco,d'ivoire,de boisderose
MU de santal, les miroirs persans et tont VÔT-
BAZ
senal de la coquetterie turque. Au fond de ces
étalages, il y a des arrière-boutiques aux-
quelles on monte par deux ou trois degrés,
et où des objets plus précieux sont serrés
dans des coffres ou des vitrines. C'est là que
se trouvent les écharpes de Tunis, les châles
de Perse, les miroirs de nacre, les tabourets
incrustés, les pupitres à lire le Coran, les
brûle - parfums en filigrane, les tasses de
Chine ou du Japon, et tout le curieux bric-à-
brac de l'Orient. La principale rue du bazar
est surmontée d'arcades aux pierres alternati-
vement noires et blanches, et la voûte offre des
arabesques fort curieuses. Cette rue aboutit à
un carrefour où s'élève une fontaine pour les
ablutions. Chaque partie du bazar est consa-
crée à une spécialité. Il y a la rue des vendeurs
de babouches, de pantoufles et de bottines ;
celle des vêtements confectionnés, des tireurs
d'or,des passementiers,des brodeurs, etc. Ily
a aussi des joailliers dont les pierres sont en-
fermées dans des coffres qu'ils ne quittent ja-
mais de l'œil. Dans ces obscures boutiques, as-
sez semblables à de pauvres échoppes, sont
enfouies des richesses incroyables. Les Turcs
n'entendent pas l'étalage comme nos bijoutiers
parisiens, et les diamants bruts, jetés à poi-
gnées dans de petites sébiles de bois, ont 1 ap-
parence de grains de verre. Le bazar des ar-
mes peut être considéré comme le cœur même
de l'Islam. Aucune des idées nouvelles n'en a
franchi le seuil; le vieux parti turc y siège
f ravement. Là se retrouvent les grands tur-
ans évasés, les dolimans bordés de fourrure,
les larges pantalons à la mameluk, les hautes
ceintures et le pur costume classique, tel
qu'on le vojt dans la collection d'Elbicei-Atika,
dans la tragédie de Bajazet. A midi, le ba-
zar des armes se ferme dédaigneusement,
et les marchands s'en vont dans leurs kiosques
du Bosphore. « Les richesses entassées dans
ce bazar sont incalculables, dit M. Th. Gau-
tier dans son beau livre sur Constantinople :
là se gardent ces lames de damas historiées
de lettres arabes, avec lesquelles le sultan
Saladin coupait des oreillers de plume au vol ;
ces kandjars, dont l'acier terne et bleuâtre
perce les cuirasses comme des feuilles de pa-
.pier, et qui ont pour manche un écrin de pier-
reries ; ces vieux fusils à rouet et à mèche,
merveilles de ciselure et d'incrustation ; ces
haches d'armes qui ont peut-être servi à Ti-
mour, à Gengiskan, à Scanderbeg, pour mar-
teler les casques et les crânes ; tout l'arsenal
féroce et pittoresque de l'antique Islam. Là
rayonnent, scintillent et papillotent, sous un
rayon de soleil tombé de la haute voûte, les
selles et les housses brodées d'or et d'argent,
constellées de soleils de pierreries, de lunes
de diamants, d'étoiles de saphirs ; les chan-
freins, les mors et les étriers de vermeil, fée-
riques caparaçons, dont le luxe oriental revêt
les nobles coursiers du Nedi, les dignes des-
cendants des Dahis, des Rabrâ, des Haffar et
des Naâmah, et autres illustrations équestres
de l'ancien turf islamite. Chose remarquable
pour l'insouciance musulmane, ce bazar est
considéré comme si précieux," qu'il n'est pas
permis d'y ftfmer. » Le bazar des Poux, puis-
qu'il faut l'appeler par son nom, est un digne
repoussoir à ces magnificences. C'est l'équar-
rissoir où vont finir toutes ces belles choses,
après avoir subi les diverses phases d'une vie
aventureuse, «- Le caftan qui a brillé sur les
épaules du vizir ou du pacha, dit encore
M. Th. Gautier, achève sa carrière sur le dos
d'un hammal ou d'un calfat ; la veste où se
moulaient les charmes opulents d'une Géor-
gienne du harem enveloppe, souillée et flé-
trie, la carcasse momifiée d'une vieille men-
diante. C'est un incroyable fouillis de loques,
de guenilles, de haillons, où tout ce qui n'est
pas trou est tache ; tout cela pendille flasque-
ment, sinistrement à des clous rouilles, avec
cette vague apparence humaine que conser-
vent les habits longtemps portés, et grouille,
remué vaguement par la vermine. Autrefois,
la peste se cachait sous les plis fripés de ces
indescriptibles défroques maculées delasanie
des bubons, et s'y tenait tapie comme une
araignée noire dans quelque angle immonde, n
Le Ghetto de Rome, le Rostro de Madrid,
l'Alsace de Londres et l'ancien Temple de
Paris sont à peine les équivalents de ce ré-
ceptacle de la friperie orientale.
Terminons par le bazar d'Egypte ou des dro-
gues, auquel un procès récent a donné un in-
térêt d'actualité (1864). Ce bazar n'est qu'une
grande halle traversée par une ruelle étroite.
Une odeur pénétrante, composée des sen -
teurs de tous ces produits, monte aux narines
du visiteur. Là, sont exposés par tas, ou dans
des sacs ouverts, le henné, le santal, l'anti-
moine, les poudres colorantes, le benjoin,
l'ambre gris, le fruit du lentisque.le gingem-
bre, la muscade, l'opium, le haschich et les
poisons végétaux les plus dangereux. Ces
montagnes de drogues aromatiques accompa-
gnent de leur odeur acre et forte le voyageur
qui vient de quitter le bazar, en s'imprégnant
sur ses habits. Les bâtiments affectés aux ba~
zars font ordinairement partie du domaine
public et rapportent des revenus énormes.
On fait généralement une différence entre les
bazars proprement dits (tchartchi en turc) et
les bézesteins; les premiers, consistant en
longues rues voûtées, sont surtout affectés
aux marchandises ordinaires, telles que dro-
gues, épices, étoffes, matières premières, etc. ;
les seconds sont, au contraire, réserves aux
objets précieux, bijoux, armes, etc.
Après le bazar de Constantinople, si mema
BAZ
on ne le place au même rang, le plus impor-
tant de 1 Orient est celui de Tauris en Armé-
nie , dont les boutiques sont au nombre de
quinze mille ; viennent ensuite les bazars
d'ispuhan, du Caire, d'Alexandrie, de Smyrne,
d'Alep, etc.
Mais ce ne serait pas donner une idée com-
plète du rôle que jouent les bazars dans tout
l'Orient, que d'envisager ces lieux publics
uniquement sous le point de vue commercial.
C'est dans les bazars que les Orientaux vont
chercher quelques-unes de ces jouissances
intimes que nous trouvons dans les relations
sociales, et que leurs mœurs ne leur permet-
tent pas de goûter dans leur intérieur, ni
même dans les cafés publics. Il est bien rare
qu'un étranger soit admis dans la maison d'un
Turc ou d'un Persan; ses plus proches pa-
rents même ne connaissent pas ses femmes
ni ses filles. Jamais de causeries intimes, où
les âmes s'épanchent, où les amitiés se for-
ment; toujours une froide réserve, une som-
bre défiance, si ce n'est au bazar : c'est là
seulement que, sous prétexte d'acheter ou
de vendre, on peut se parler, se connaître,
nouer des relations qui ont quelque rapport
lointain avec celles des sociétés européennes.
C'est là également que se forment quelque-
fois des intrigues amoureuses, que se nouent
ces passions orientales parfumées d'acres
voluptés; car les femmes aussi peuvent aller
dans les bazars pour apporter un peu de va-
riété dans la vie monotone du sérail ou des
harems ; il est vrai qu'elles n'y paraissent que
couvertes de longs voiles, mais leurs instincts
de coquetterie savent bien trouver le moyen
de faire deviner les charmes de leur figure
ou l'élégance de leurs formes.
On retrouve également aux Indes le bazar
musulman, qui a été probablement introduit
par les Persans et les Mogols. Seulement, les
bazars indiens se trouvent dans les conditions
les plus déplorables, et ne rappellent que de
fort loin les somptueux marchés de Stamboul
et du Caire. «Quou se figure, dit M. V. Fon-
tanier, les plus mauvaises baraques de nos
marchands forains; qu'on les range les unes
à côté des autres sur deux lignes parallèles,
et qu'on ait soin, après les avoir rendues
aussi sales que possible, de les abaisser jus-
qu'à un pied au-dessous du sol, et de les divi-
ser tantôt par de mauvaises planches, tantôt
par des nattes, alors on aura l'idée d'un bazar
indien. Ce spectacle n'est pas toujours ouvert
à l'observateur ; parfois une mauvaise toile
ou une natte trouée, suspendue devant la bou-
tique, cache les mystères de l'intérieur. Ne
supposez pas que, comme en Turquie, le pro-
priétaire montre ainsi son absence et laisse
ses marchandises sous la sauvegarde de l'hon-
nêteté publique; loin de là : il veille sans
cesse, la nuit aussi bien que le jour, et encore
est-il souvent dévalisé. S'il est caché, c'est,
sans doute, qu'il cache son argent ou qu'il est
en conférence secrète pour une spéculation.
Venez la nuit, et vous le trouverez couché en
travers de sa porte sur un chaspaé ou cadre
élevé au-dessus du sol et suspendu par deux
cordes. Là, vous le verrez enveloppé d'une
espèce de linceul, bravant les serpents, les
scorpions et la vermine. Quand, à Bombay,
de jeunes étourdis fraîchement arrivés de
l'Europe ont fait la débauche, ils prennent
f rand plaisir à parcourir le bazar un couteau
la main, à couper les cordes du chaspaé et à
faire ainsi rouler les dormeurs dans la pous-
sière. D'autres fois on enlève simultanément
tous les piquets qui retiennent les tentes, et
on ensevelit leurs habitants sous une montagne
de toile. On vend dans ces bazars du calicot,
différentes étoffes, des ornements -en verre ;
des céréales, riz, froment, orge, doura, len-
tilles, pois, etc., sur lesquelles les vaches sa-
crées viennent prélever sans façon un tribut
qu'on n'ose leur refuser.
Nous avons aussi des bazars en Europe,
surtout dans nos grandes villes. En emprun-
tant ce mot à l'Orient, nous en avons réduit
le sens à une grande agglomération de mar-
chandises diverses, nous n'avons pu trans-
porter chez nous des usages que nos mœurs
repoussent. Parmi les bazars de Paris, on
peut citer le Bazar européen et les Galeries
de fer.
Nos principaux passages, celui des Panora-
mas, du Caire, de Véro-Dodat, Jouffroy, du
Saumon, peuvent être considérés comme de
véritables bazars; mais le plus riche de tous
est, sans contredit, le Palais-Royal, dont les
magnifiques galeries renferment des bouti-
ques où s'étalent aux yeux éblouis, des visi-
teurs les marchandises les plus diverses et les
plus précieuses.
Bazar »arc (LE),tableau de Decamps. On
pense que l'artiste a voulu représenter, dans
cette composition, l'une des nombreuses ruelles
du grand bazar de Smyrne, que les Orientaux
désignent sous le nom de Bezestein. Cette
ruelle, longue et étroite, est bordée de ché-
tives.échoppes et couverte de paillassons dé-
chiquetés et de toiles grossières, dont les in-
terstices laissent filtrer le soleil : la projection
étincelante des rayons lumineux forme, avec
la fraîcheur des ombres, le contraste le plus
énergique et le plus pittoresque. Des gens
de toute condition, de tout pays, vont et
viennent dans le bazar. Des femmes, voilées
du yachmack et vêtues de l'ample féredgé,
sont arrêtées devant une boutique et mar-
chandent des étoffes. Une Maltaise, coiffée
d'un mouchoir bleu et blanc, vend des fruits,
BAZ 417
qu'elle annonce d'une voix glapissante; un
portefaix, courbé sous un énorme fardeau,
s'avance pesamment au milieu de la foule;
des chiens pelés, fauves, se glissent à travers
les jambes des promeneurs; un Turc, grave
et impassible comme un demi-dieu, aspire les
bouffées odorantes de son narghilé; sa phy-
sionomie imperturbable contraste avec l'air
affairé des personnages du groupe principal,
des Juifs, des Grecs, des Arméniens, incon-
naissables à leurs costumes et à leurs types
caractéristiques. Au bout de la rue, dans le
lointain de la perspective, on aperçoit de
blanches voiles de navires, qui se détachent
sur l'azur resplendissant du ciel. « Ce tableau
merveilleux, dit M. Th. Gautier, vous fait
entrer de plain-pied dans l'intimité de ïa vie
orientale. La réalité ne vous en apprendrait
pas davantage, ou peut-être vous en appren-
drait moins. Tout cela, hommes, costumes,
accessoires, architecture, a une intensité de
ton, une force de rendu, un prestige d'effet,
une magie d'illusion, que bien peu de peintres
ont atteints. » « Cette toile, dit à son tour
M. Maxime Du Camp, est d'un brillant de co-
loris, d'une richesse d'harmonie, d'une lumière,
d'une pureté générale, qui en font un joyau
inappréciable. » Le Grand bazar turc a figuré
à 1 exposition universelle de 1855; il faisait
alors partie de la collection de lord Henry
Seyrnour.

BAZARAD
le premier des vayvodes de Va-
lachie sur lequel l'histoire nous ait transmis
quelques détails. En 1330, Charles Robert, roi
de Hongrie, vint l'attaquer et s'emparer de la
ville de Sever'm. Quoique Bazarad lui eût fait
des propositions conciliantes, le roi de Hon-
grie voulut continuer la guerre. Mais bientôt
ses troupes manquèrent de vivres, et il fut
obligé de revenir en arrière. Aussitôt les
Valaques, postés sur les hauteurs, accablèrent
de flèches les Hongrois et en firent ,un hor-
rible massacre.

BAZARAS
s. m. (ba-za-râss). Navig.
Grande embarcation de plaisance, en usage
sur le Gange.

BAZAHD
(Amand), l'un des principaux fon-
dateurs du carbonarisme en France, et plus
tard, avec Enfantin, chef de l'école saint-si-
monienne, né à Paris le 19 septembre 1791,
mortle 19 juillet 1832 àCourtry,près de Mont-
fermeil. Il était âgé de vingt-deux ans quand
les armées étrangères envahirent la France.
Il se battit bravement dans une compagnie de
la garde nationale du faubourg Saint-Antoine,
reprit à l'ennemi les pièces de l'Ecole poly-
technique, et, par suite de cette affaire, il tut
nommé capitaine de sa compagnie, malgré au,
jeunesse, et obtint la croix de la Légion d'hon-
neur. 11 vécut pendant quelques années d'un
emploi assez modique à la préfecture de la
Seine, dans la division de 1 octroi. Ce fut à
cette époque que se formèrent ses liens poli-
tiques avec quelques jeunes gens dont il par-
tageait la foi républicaine, la haine du gou-
vernement de la restauration et l'ardeur pour
les luttes révolutionnaires. Un d'eux, M. Du-
gied, avait été reçu carbonaro à Naples ; il fit
connaître à ses amis l'organisation de la char-
bonnerié napolitaine, et, dans une réunion qui
se tint chez Bûchez, alors étudiant en méde-
cine, la création d'une charbonnerie française
fut résolue. Avec Bûchez et Fïottard, Bazard
fut chargé d'introduire dans les statuts italiens
des modifications réclamées par les aptitudes
et les mœurs françaises, et de présenter lo
règlement définitif de l'association. Voici
quelles étaient les principales dispositions do
ce règlement, qui fut immédiatement adopté :
La société se composait d'une haute vente, do
ventes centrales et de ventes particulières. La
haute vente, autorité suprême, souveraine,
qui élisait elle-même ses membres, était uni-
que ; le nombre des ventes particulières et
centrales était illimité. Chaque réunion de
vingt carbonari formait une vente particulière,
qui élisait dans son sein un président, un cen-
seur et un député. Lorsque ces ventes attei-
gnaient le nombre de vingt dans la même
ville, la même localité ou le même départe-
ment, leurs vingt députés se réunissaient et
formaient une vente centrale, ayant à son
tour son député, son censeur et son président.
Les députés des ventes centrales communi-
quaient seuls avec la haute vente. Les admis-
sions devaient se faire avec la plus grande
simplicité ; elles devaient .avoir lieu dans
chaque vente particulière, sur la présentation
d'un ou de plusieurs membres, sans solennité,
dans le premier local venu, après engagement
pris par le récipiendaire de garder le secret
sur 1 existence de la société et sur ses actes, '
et de n'en conserver aucune trace écrite, de
ne tenir aucune note, aucune liste, de ne pas
copier même un seul article du règlement; de
se pourvoir d'un fusil de munition et de vingt-
cinq cartoucjies, et de verser chaque mois une
cotisation de 1 franc.
Le.but des fondateurs du carbonarisme fran-
çais était de rétablir la nation dans la plénitude
de sa souveraineté, et de remettre 1 exercice
de ses droits à une nouvelle assemblée con-
stituante. Les progrès de l'association furent
rapides; en moins de trois mois, Paris compta
cinquante ventes particulières ; bientôt il y en
eut dans presque toutes les villes de France.
Bazard était le président de la haute vente;
la plupart des ordres du jour répandus dans
la société étaient de sa main. « On aurait pu
en citer plusieurs, dit M. Trélat, comme des
modèles sous le rapport du style aussi bien
il. 53
418
que sous celui du sentiment républicain. » En
1821, Bazard fut un des organisateurs du
complot de Béfort. On sait que ce mouvement
important échoua par l'arrivée tardive du
général La Fayette. Les jeunes gens de Paris
qui devaient prendre part à l'affaire étaient
arrivés dans la ville; les confidences s'étaient
multipliées, il devenait impossible de différer
l'action, et cependant le général La Fayette, !
sur la présence duquel on comptait, n'arrivait j
pas. Retenu, au moment du départ, par quel-
ques-uns de ses collègues de la Chambre qui ;
n'avaient pas la même confiance que lui dans j
le mouvement, il avait consenti, non à retirer ]
la parole qu'il avait donnée, mais à attendre
de nouvelles informations. Ce contre-temps j
fit tout manquer. Le général n'était plus qu'à !
quelques lieues de Béfort quand le complot
fut découvert. « Dans cette situation difficile, i
dit M. Trélat, pressé par le temps et n'ayant |
pas une minute de réflexion, Bazard n'hésita j
pas à distinguer et à saisir le meilleur parti. !
Il pouvait chercher à prévenir les insurgés de j
la découverte du complot; mais alors il ris- i
quait de laisser entrer La Fayette dans la ville, j
11 pouvait, au contraire, courir en toute hâte j
au-devant de ce dernier pour lui faire re- ;
brousser chemin; c'était évidemment là le
parti le plus sage : la présence du général eût
été à elle seule une charge terrible et bien
plus funeste à tous ceux qui devaient être
nécessairement compromis, que ne pouvait
l'être leur seule arrestation. Sans s'inquiéter
des récriminations que cette fuite apparente
devait susciter contre lui, Bazard' s'élança
vers le milieu de la nuit sur la route de Paris,
couverte de neige, et par un temps affreux ;
après avoir fait plusieurs lieues à la course,
il rencontra La Fayette ; quelques paroles bien
tristes furent échangées à la portière, et le
postillon, dont on avait iusque-là pressé l'ac-
tivité pour arriver à Béfort, reçut tout à coup
l'ordre de retourner ses chevaux. Il ne resta
aucune trace du voyage du général en Alsace. »
Compris au nombre des condamnés contu-
maces de Béfort, en butte, au sein même de
la charbonnerie, aux accusations les plus
injustes et les plus odieuses, Bazard n'en
continua pas moins, pendant quelque temps,
l'œuvre qu'il considérait encore comme le seul
moyen de progrès politique. U se rendit dans
l'ouest pour le service des conspirations, y lit
plusieurs voyages difficiles, traversa Poitiers
au moment du procès du général Berton, et
présida les deux congrès charbonniques tenus
à Bordeaux. Ces deux congrès marquèrent la
fin de la période de la charbonnerie; ce fut
aussi celle de la vie militante et révolution-
naire de Bazard. Revenu à Paris et obligé, à
cause de l'arrêt qui le menaçait de mort, d'y
séjourner sous des noms empruntés, il com-
mença à se livrer à des méditations et à des
études qui, en lui ouvrant un horizon nouveau,
l'éloignèrent de la philosophie et de la politique
du libéralisme. En lui le carbonaro était mort, -
le disciple de Saint-Simon ne devait pas tarder
à naître. « A peine, dit-il dans une lettre écrite
en 1832, à peine venais-je de sonder le vide,
de sentir la stérilité pour notre époque de la
philosophie critique et de la politique révolu-
tionnaire, que les ouvrages de Saint-Simon
fixèrent mon attention; les conceptions de ce
hardi novateur me parurent le germe du
monde nouveau que je cherchais instinctive-
ment depuis longtemps. Dès lors je résolus,
quelles que fussent d'ailleurs les difficultés
de ma position, de vouer ma vie à féconder
ce germe et à le faire éclore. »
Saint-Simon était mort au commencement
de 1825, épuisé de fatigue et de misère, lais-
sant après lui quelques élèves. Bazard se
réunit a eux, et devint l'un des plus actifs
collaborateurs du journal le Producteur (V. ce
mot), qu'ils firent paraître peu de temps après
la mort du maître (octobre 1825). Le Produc-
teur portait pour épigraphe : L'âge d'or, qu'une
aveugle tradition a placé jusqu'ici dans le
passé, est devant nous. La jeune école entendait
repousser également et le dogmatisme catho-
lique et féodal des vieux croyants, et Y indivi-
dualisme libéral des sceptiques; elle déclarait
insuffisantes les doctrines purement critiques,
et se donnait pour but la réforme sociale par
voie organique. Un article de Bazard, intitulé :
Des partisans du passé et de ceux de la liberté
de conscience, marqua nettement cette position.
- La société, disait-il, s'est égarée ; pour qu'elle
puisse reprendre une assiette, il faut, avant
tout, qu'elle rentre dans les voies qu'elle a
quittées. Il ne s'agit pas cependant de rétablir
le passé tel qu'il était à aucune de ses époques ;
car s'il existe dans la société des faits dont
l'essence et le principe sont immuables, il y
en a d'autres qui n'ont pas cette fixité, et dont
les variations peuvent même, quant au degré
ou quant à la forme, intéresser les faits prin-
cipaux; c'est ce que prouve l'histoire. La
science sociale consiste donc à apprécier les
changements qui surviennent dans l'ordre
variablejet à modifier en conséquence la ma-
nière d'être de l'ordre invariable. » Ce qui
apparaissait à Bazard comme l'élément essen-
tiel de l'ordre invariable, c'était une foi com-
mune, un dogme, un principe d'organisation,
en un mot une autorité ; la métaphysique des
droits de l'homme, la Révolution avait été
pour la société la source d'une déviation fu-
neste ; l'histoire lui disait les véritables condi-
tions de l'ordre, de la paix, de la vie, et lui
prescrivait d'y revenir. Ecartant l'idée ab-
straite du droit et l'idée abstraite de l'homme,
Bazard, en cela, fidèle à la pensée de Saint-
Simon, était logiquement conduit à n'accorder
au principe de la liberté de conscience qu'une
valeur transitoire, et relative seulement à la
destruction de l'ancien ordre social. « Il y a
trois remarques générales à faire, disait-il,
sur la production et le développement du prin-
cipe de la liberté de conscience : la première,
c'est que c'est toujours en présence d'une
institution ou d'un ordre d'idées à détruire
qu'on le voit invoqué ; Ta seconde, c'est qu'il
ne prend d'extension qu'en raison de ce que
le cerclé de ladestruction s'agrandit lui-même ;
la troisième enfin, et celle-là est de la plus
haute importance, c'est qu'on ne le voit pro-
clamé et généralement adopté qu'après que la
civilisation, dans sa marche progressive, a
créé parmi les hommes de nouvelles relations,
et détruit ainsi l'harmonie qui avait existé
jusque-là entre l'état réel de la société et les
doctrines et les institutions établies. Histori-
quement [donc, la liberté de conscience, dans
son origine et dans ses progrès, ne peut être
considérée que comme étant elle-même, sous
le rapport moral, l'œuvre de la destruction
d'un ordre de choses parvenu à son terme. »
La conclusion était que la liberté de conscience,
ayant un caractère purement négatif, ne de-
vait être considérée que comme une nécessité
du présent, un moyen de préparer l'avenir,
non comme un but, un idéal social, une base
essentielle et permanente de l'ordre, et, par
conséquent, quelle devait disparaître le jour
où s'établiraient des doctrines et des institu-
tions en harmonie avec l'état réel de lasociété.
On comprend ce qu'avait d'étrange, chez des
esprits affranchis du vieux dogme, au milieu
des luttes et des préoccupations de l'époque,
un pareil jugement porté sur la liberté de
conscience. Un j our, dans les salons du général
La Fayette, Benjamin Constant eut une discus-
sion fort vive avec Bazard sur l'esprit autori-
taire du Producteur. Le célèbre orateur du
arti libéral crut triompher en terminant une
e ses tirades contre toute direction sociale
rocédant de haut en bas, par l'énumération
e tous les maux qui viennent d'en haut ànotre
malheureuse planète : les déluges, la grêle, la
neige, lafoudre.«AhI Monsieur Constant, lui
dit Bazard, vous oubliez une chose, la lumiè-
re/a Sur ce mot, dit-on, Benjamin Constant,
moins prompt à la réplique qu'à l'attaque ,
tourna le dos , et le groupe qui l'entourait
se dispersa dans les salons.
De journal hebdomadaire, le Producteur
était devenu recueil mensuel. Malheureuse-
ment, les abonnés n'augmentaient pas de ma-
nière à en couvrir les frais; la plupart des
actionnaires, peu pénétrés de la nécessité
d'une doctrine générale, et beaucoup plus
rapprochés de Benjamin Constant que de
Saint-Simon, refusaient de continuer leur
souscription. Ceux qui l'avaient fondé, puis
transforméj le soutinrent jusqu'en 1827. Acette
époque, il fallut se résoudre à en interrompre
la publication. Quand le Producteur fut mort,
on put croire que l'école saint-simonienne
avait fini en même temps que lui. « Mais il en
est, dit M. L. Reybaud, de la parole répandue
dans le monde comme de ces semences que le
vent promène d'une zone à l'autre, qui tra-
versent les mers dans le bec de loiseau et
vont germer loin de la plante qui les vit mûrir.
La publicité du Producteur avait eu un rayon-
nement borné, mais choisi : un petit nombre
de lecteurs attentifs s'était mis peu à peu dans
le courant d'idées de la doctrine et avait senti
à son unisson. Des sympathies réelles étaient
acquises aux principes; le désir de voir les
hommes, de les connaître, d'apprendre de leur
bouche le complément de la doctrine nouvelle
tourmentait quelques têtes plus enthousiastes
que les autres. On s'écrivit, on s'aboucha.
Des correspondances s'organisèrent; des réu-
nions eurent lieu; des centres de propagation
se formèrent sur divers points. On procéda
même dès lors à un système d'affiliations sui-
vies etnombreuses. » Bientôt un enseignement
oral s'ouvrit dans une salle, rue Taranne, et
Bazard y poursuivit, dans une suite de confé-
rences, l'Exposition de la doctrine saint-simo-
nienne. Nous ferons connaître ailleurs cette
Exposition. Bornons-nous à dire ici les for-
mules dans lesquelles elle peut se résumer :
Association universelle fondée sur l'amour;
et, par conséquent, plus de concurrence ;
A chacun suivant sa capacité, à chaque
capacité suivant ses œuvres ; et, par consé-
quent, plus d'oisiveté, plus d'héritage;
Organisation des travaux pacifiques de l'in-
dustrie; et, par conséquent, plus de guerre;
Egalité, harmonie entre la chair et resprit;
et, par conséquent, plus d'ascétisme, plus de
mépris des richesses; négation de l'ancien
antagonisme entre le pouvoir temporel et le
pouvoir spirituel ;
Dieu est tout ce qui est: aucun de nous
n'est dieu : d'où, plus d'infaillibilité, plus d'ido-
lâtrie. Nul de nous n'est hors de Dieu : d'où,
plus d'esclaves, plus de réprouvés ;
Pouvoir personnel fondé sur l'attrait et de-
venu loi vivante; et, par conséquent, plus de
lois écrites.
Cependant l'école s'était accrue ; le nombre
de ses membres était à peu près d'une
vingtaine ; ses relations et ses correspondances
étaient devenues nombreuses, et son nom
commençait à être connu d'une certaine partie
du public. Un nouveau journal saint-simonien
YOrganisateur (v. ce mot) fut fondé le 15 août
1829. Le 31 décembre de la même année,
l'école prit le caractère d'une véritable Eglise :
la hiérarchie fut fondée. Bazard et Enfantin
furent proclamés les chefs et les pères de la
doctrine. On était à la veille de la révolution
de Juillet. Quand la victoire du peuple eut
émancipé les idées et les affiches, les saint-
simoniens en profitèrent pour se donner une
publicité de rue. Un manifeste signé Bazard-
Enfantin, chefs de la doctrine de Saint-Simon,
vint se déployer hardiment sur les murs de
Paris, à côté d une proclamation de La Fayette
et d'un appel à la branche d'Orléans. « Fran-
çais! y lisait-on, enfants privilégiés de l'hu-
manité,TOUS marchez glorieusement à sa tête.
Gloire à vous, qui les premiers avez dit aux
prêtres chrétiens, aux chefs de la féodalité,
qu'ils n'étaient plus faits pour guider vos pas.
Vous étiez plus forts que vos nobles et toute
cette troupe d'oisifs qui vivaient de vos sueurs,
parce que vous travailliez; vous étiez plus
moraux et plus instruits que vos prêtres, car
ils ignoraient vos travaux et les méprisaient;
montrez-leur que, si vous les avez repoussés,
c'est parce que vous ne savez, vous ne voulez
obéir qu'à celui qui vous aime, qui vous éclaire
et qm vous aide, et non à ceux qui vous
exploitent et se nourrissent de vos larmes;
dites-leur qu'au milieu de vous il n'y a plus de
rangs, d'honneurs et de richesses pour Y oisi-
veté, mais seulement pour le travail ; ils com-
prendront alors votre révolte; car ils vous
verront chérir, vénérer, élever les hommes
qui se dévouent pour votre progrès... Assurez
votre triomphe, rendez désormais impossible
une lutte qui vous menace encore et qui aurait
encore ses victimes et ses bourreaux, si une
pensée nouvelle, que l'humanité cherche depuis
un siècle, ne venait pas donner à votre union
une force capable de faire disparaître à jamais
ces fantômes d'un passé que vous ne voulez
plus. Sachez pourquoi les prêtres et la féoda-
lité, malgré les coups mortels que vous leur
avez portés dans les jours de notre glorieuse
révolution, ont pu surgir, ardents à reconquérir
une puissance qui ne leur appartient plus ;
c'est qu'il leur restait encore un lien d'ordre,
d'unio?i, et qu'il n'en existe aucun entre vous;
c'est qu'ils conservaient un souffle de vie,
tandis que vous ne vivez pas encore ; car, avec
un héroïque dévouement, vous ignorez l'ordre,
l'union qu'il doit enfanter; car vous avez eu
tant à combattre, à détruire, quo vous n'avez
pas pu songer encore à unir, à édifier. La féo-
dalité sera morte à jamais lorsque tous les
privilèges de la Jiaissance, sans exception, se-
ront détruits, et que chacun sera placé suivant
sa capacité, et récompensé suivant ses œuvres.
Et lorsque cette nouvelle parole religieuse,
enseignée à tous, réalisera sur la terre le règne
de Dieu, le règne de la paix et de la liberté,
?|ue les chrétiens avaient placé seulement dans
e ciel, l'Eglise catholique aura perdu toute sa
puissance, elle aura cessé d'être. »
La Chambre des députés s'émut de ce lan-
gage : MM. Dupin et Mauguin signalèrent, du
haut de la tribune, une secte qui prêchait la
communauté des biens et la communauté des
femmes. A ces imputations Bazard et Enfantin
répondirent, le 1er octobre 1830, par une lettre
adressée au président de la Chambre et con-
tenant leur profession de foi. Cet écrit, qui
Srovenait de l'impulsion de Bazard, nous
onne d'une manière nette et précise sa pensée
complète et définitive, et notamment les prin-
cipes de morale conjugale, dont plus tard il
ne voulut jamais se départir, a Le christia-
nisme, disait-il, a tiré les femmes de la ser-
vitude; mais il les a condamnées cependant à
la subalternité, et partout, dans l'Europe chré-
tienne, nous les voyons encore frappées d'in-
terdiction religieuse, politique et civile. Les
saint-simonien s viennent annoncer leur affran-
chissement définitif, leur complète émancipa-
tion, mais sans prétendre pour cela abolir la
sainte loi du mariage proclamée par le chris-
tianisme; ils viennent, au contraire, pour ac-
complir cette loi, pour lui donner une nouvelle
sanction, pour ajouter à la puissance et à
l'inviolabilité qu'elle consacre. Ils demandent,
comme les chrétiens, qu'un seul homme soit
uni à une seule femme ; mais ils enseignent
que l'épouse doit devenir l'égale de l'époux,
et que, selon la grâce particulière que Dieu a
dévolue à son sexe, elle doit lui être associée
dans .l'exercice de la triple fonction du temple,
de l'État et de la famille; de manière à ce que
l'individu social, qui jusqu'à ce jour a été
l'homme seulement, soit désormais l'homme
et la femme. »
La révolution de Juillet avait imprimé au
saint-simonisme une impulsion singulièrement
énergique. L'Eglise était constituée, elle pros-
pérait. Après les conquêtes individuelles, on
avait pu songer aux conquêtes collectives.
Des apports d'argent avaient eu lieu; le Globe
(v. ce mot) était devenu (18 janvier 1S31) le
journal quotidien de l'école, déjà en possession
de YOrganisateur. L'enseignement avait été
ouvert dans cinq locaux différents : à la salle
Taitbout, à l'Athénée, rue Taranne, place
Sorbonne et rue Monsigny. D'hebdomadaires,
les prédications étaient devenues quotidien-
nes ; on les appropriait à l'intelligence de l'au-
ditoire; on visait aies rendre simples pour
les ouvriers, poétiques et animées pour les
artistes, sévères et précises pour les savants.
« Rien de plus curieux, dit M. Louis Blanc,
que les prédications de la rue Taitbout. Autour
d'une vaste salle, sous un toit de verre, tour-
naient trois étages de loges. Devant un am-
phithéâtre, dont une foule empressée couvrait
dès midi, tous les dimanches, les banquettes
rouges, se plaçaient sur trois rangs des
hommes sérieux et jeunes, vêtus de bleu, parmi
lesquels figuraient quelques dames en rohos
blanches et en écharpes violettes. Bientôt pa-
raissaient, conduisant le prédicateur, les deux
Pères suprêmes, Bazard et Enfantin. A leur
aspect, les disciples se levaient avec attendris-
sement; U se faisait parmi les spectateurs un
grand silence, plein de recueillement ou d'iro-
nie, et l'orateur commençait. Beaucoup l'écou-
taient d'abord avec le sourire sur les lèvres
et la raillerie dans les yeux; mais quand il
; avait parlé, c'était dans toute l'assemblée un
: étonnement mêlé d'admiration; les plus scep-
tiques ne pouvaient se défendre d'une longue
; préoccupation ou d'une émotion secrète. »
| Cette période d'harmonie et d'union marqua .
l'apogée du saint-simonisme. Malheureuse-
ment, elle ne pouvait et ne devait pas durer
Depuis longtemps les deux chefs du saint-
simonisme étaient entraînés par des pensées
divergentes. Cette divergence portait sur la
question du mariage et du droit sacerdotal en
général. Bazard, nous l'avons vu, n'entendait
pas que le saint-simonisme touchât à la sainte
loi du mariage proclamée par le christianisme.
Il avait eu même, un moment, assez de prépon-
dérance pour contraindre son collègue à signer
avec lui cette déclaration publique que desa-
vouait intérieurement Enfantin. Mais le mo-
; ment était venu où ce dernier, se jugeant
' assez fort et assez appuyé dans la société,
j voulut produire hautement ce qu'il regardait
': comme les conséquences des principes anté-
rieurement posés et acceptés de tous. D'après
i Enfantin, ces conséquences étaient que les
| artistes, comme interprètes du principe amour,
I doivent servir de lien entre les savants et les
industriels, et exercer de la sorte un sacerdoce
dont le but sera d'établir l'harmonie entre
Yesprit et la matière, placés depuis si long-
temps en état d'hostilité; que 1 homme et la
i femme formant l'individu social, aucune loi
i des rapports des sexes ne saurait être défini-
\ tive tant que la femme n'a pas révélé tout ce
i qu'elle sent, tout ce qu'elle désire, tout ce
: qu'elle veut pour l'avenir; que tout homme
» qui prétendrait imposer une loi à la femme
' n'est pas saint-simonien, et que la seule posi-
; tion du saint-simonien à l'égard de la femme,
I c'est de déclarer son incompétence à la juger ;
j que la femme doit participer au pouvoir su-
prême de manière à constituer le couple-prêtre,
que la mission de ce couple-prêtre est de
sentir également les deux natures, spirituelle
et matérielle, de régulariser et de développer
les appétits sensuels et les appétits charnels,
qu'il importe au bonheur de l'humanité que les
êtres à affections profondes et constantes ne
soient pas séparés par une barrière infran-
chissable des êtres à affections vives et mobiles,
et que le couple-prêtre doit s'appliquer à faire
tomber cette barrière. Comme on le voit, En-
fantin était loin de condamner l'inconstance
des amours d'une manière radicale ; la facilité
à passer d'une affection inférieure à une affec-
tion supérieure, sans s'abstraire dans la pre-
mière, sans s'y abîmer, et en la considérant
comme un premier élément de progrès, cette
facilité lui paraissait d'une belle et sainte
nature, pourvu qu'elle ne dégénérât pas en
oubli, en vain caprice et en ingratitude. Bazard,
au contraire, professait que « le divorce de-
vait toujours être, même alors que toute éga-
lité aurait cessé entre l'homme et la femme,
un événement douloureux 7 le signe, dans
l'institution sociale tout entière comme dans
les individus auxquels il serait nécessaire,
d'une imperfection de lumière et d'amour que
les efforts de tous devraient sans cesse tendre
à faire disparaître. » Le duumvirat saint-si-
monien ne pouvait plus vivre; une rupture
entre les deux chefs était devenue inévitable;
elle eut lieu vers la fin de 183ij la grande
majorité de l'Eglise saint-simonienne resta
fidèle à Enfantin, qui fut proclamé Père su-
prême. Bazard se retira avec Pierre Leroiix,
Jean Reynaud, Pereire, Cazeaux,etc. Il tenta
d'élever autel contre autel, et publia contre
son rival un manifeste intitulé : Discussions
morales, politiques et religieuses (20 janvier
1832), qu'il signa Bazard, l'un des deux chefs
de l'ancienne hiérarchie saint-simonienne, chef
de la hiérarchie nouvelle. La hiérarchie nou-
velle resta à l'état de projet, aucun de ceux
qui avaient repoussé la dictature d'Enfantin
ne voulut se ranger sous la sienne. Délaissé
de tous, il quitta Paris et se retira à la cam-
pagne avec sa famille, dans le département
de Seine-et-Marne, où il mourut quelques mois
après.
On doit à Bazard une traduction estimée de
la Défense de l'usure par Bentham.

BAZAS,
ville de France (Gironde), ch.-l.
d'arrond-, à 52 kil. S.-E. de Bordeaux et 622
ktl. S.-E. de Paris; pop. aggl. 2,240 hab. —
pop. tôt. 4,471 hab. L'arrond. a 7 cantons,
70 communes et 54,966 hab. Tribunal de lre in-
stance, société d'agriculture, verrerie à bou-
teilles, tanneries, commerce de grains, bes-
tiaux et bois de construction. Cette petite
ville, très-ancienne, puisqu'elle est citée par
Ptolémée, Ausone et Sidoine Apollinaire, est
bâtie sur un rocher escarpé dont le pied est
baigné par la Bcuve ; on y remarque une belle
cathédrale gothique, qui se distingue par la
pureté de son architecture; les restes impor-
tants de l'ancienne enceinte murale; la source
dite du Trou d'enfer, curieuse par ses incrus-
tations. Urbain II y prêcha la croisade en 1096,
et saint Bernard en 1153.

BAZAT
s. m. (ba-za). Coram. Espèce do
coton que l'on filait i Leyde.

BÂZB (Jean-Didier), Homme politique, né à
Agen en 1800. L'un des avocats les plus bril-
lants de sa province, élu deux fois bâtonnier,
il figura sous Louis-Philippe parmi les parti-
sans de la gauche dynastique, et fut nommé,
après 1848, représentant a la Constituante,
puis à la Législative. Il appuya de son vote et
de sa parole toutes les mesures de réaction,
comme la plupart des libéraux du dernier
règne. Nommé questeur par la dernière assem-
blée de la république, il en remplit les fonc-
tions avec beaucoup d'énergie, et montra un
zèle infatigable à sauvegarder les prérogatives
' de l'assemblée. Il continua à voter toutes les
lois répressives demandées a la majorité, et,
tout en restant un partisan fidèle de la dynastie
d'Orléans, il appuya la politique présidentielle
jusqu'à la publication du message du 31 oc-
tobre. En octobre 1851, il fut un des auteurs
de la fameuse proposition des questeurs, qui
avait pour but de mettre la force armée entre
les mains de l'assemblée, et qui faillit déter-
miner le coup d'Etat dès cette époque. Arrêté
au 2 décembre, et banni de France, il se fixa
à Liège, et refusa plus tard la grâce que le
f oëte Jasmin avait sollicitée pour lui. Après
amnistie du 15 août 1859, M. Baze vint se
fixer à Paris, où il a repris avec succès la
profession d'avocat.
BAZEILI.E (SAINTE-), bourg et commune
de France (Lot-et-Garonne), cant., arrond. et
à 6 kil. de Marmande; pop. aggl. 1,765 hab.
— pop. tôt. 3,001 hab. Commerce de bestiaux,
chapellerie, huile de colza.

BAZEILLES,
bourg et commune de France
(Ardennes), cant. S., arrond. et à 4 kil. de
Sedan; pop. aggl. 1,927 hab. — pop. tôt.
2,064 hab. Fabriques de draps; usines métal-
lurgiques. On y voit le château qu'habita
Turenne pendant son enfance, et le château
moderne de Montviller.

BAZELE
bourg et commune de Belgique,
province de la Flandre orientale, arrond. et à
32 kil. N.-E de Termonde, sur la rive gauche
de l'Escaut; 4,993 hab. Briqueteries considé-
rables; château gothique, résidence du comte
Vilain XIV.

BAZELLE
ancien petit pays de France, dans
la ci-devant province du Berry-, on y trouvait
Saint-Christophe-en-Bazelle, compris actuelle-
ment dans 1 arrond. d'Issoudun, départ, de
l'Indre.

BAZHENOV
(Vassilii Ivanovitch), célèbre
architecte russe, né à Moscou en 1737, mort
en 1799. Elève de l'Académie des beaux-arts,
il fut envoyé en 1761 en France, puis en Italie,
pour y compléter ses études sur 1 architecture,
et, de retour en Russie, il fut chargé par l'im-
pératrice Catherine de reconstruire le Kremlin
sur de nouveaux plans. Bazhenov doit sa ré-
putation à cette colossale entreprise, qui coûta
des gommes énormes. Quelque temps après,
il tomba en disgrâce, soit à cause de ses opi-
nions politiques, soit parce qu'il bâtit en 1776
un palais qui déplut à Catherine et qu'elle fit
abattre. Sous son successeur Paul Ier,Bazhenov
reçut l'ordre de Saint-Paul et éleva plusieurs
monuments, dont le plus important est la belle
église de Kazan à Saint-Pétersbourg. Cet ar-
tiste remarquable a traduit en russe les œuvres
de Vitruve (1790-97, 4 vol. in-4<>).

BAZICALUVA
ou BAZZICALUVA (Hercule),
dessinateur et graveur italien, né a Pise, se
fixa à Florence, d'où il prit le nom de Fioren-
tino. Il travailla dans cette ville de 1638 à
1641. On le dit élève de Giulio-Parigi,et, sui-
vant M. Ch. Blanc, sa manière de graver
se rapproche beaucoup de celle de Callot. Il
a gravé au burin : les Trois chars de triomphe,
quatre Batailles, sept Paysages et Chasses dé-
diés à Alexandre Visconti, et une suite de
douze paysages et marines dédiés au grand-
duc de Florence.

BAZIN
adj. (ba-zain — du nom de Bazin,
graveur qui s'est servi exclusivement de pa-
pier de ce format). Comin. Se dit d'un papier
grand in-4<>, employé pour le dessin et la
gravure : Papier BAZIN.
BAZIN (Jean), diplomate français, né à
Blois en 1538, mort en 1592. Il remplissait
dans sa ville natale les fonctions de procureur
du roi lorsqu'il fut choisi, en 1572, pour ac-
compagner en Pologne l'évêque de Valence,
chargé de négociations tendant à faire don-
ner la couronne au duc d'Anjou. Ce fut Bazin
qui prononça en latin, devant la diète de
Kalisch,un discours qui fut couvert d'applau-
dissements. Il alla ensuite jouer le même rôle
près de la diète de Varsovie et devant celle
de la petite Pologne. Après un voyage fait en
France pour rendre compte de sa mission, il
retourna en Pologne, en qualité de résident, et
parvint à ramener au due d'Anjou les Polonais,
?ui se repentaient déjà du choix qu'ils avaient
ait. Après avoir ainsi assuré la couronne au
duc d'Anjou, Bazin revint en France; mais il
fut soupçonné de protestantisme et se vit
contraint de s'expatrier.
BAZIN (Jacques-Rigomer), publiciste fran-
çais, né au Mans en 1771, mort en 1820. A<*é
de vingt ans lors de la proclamation de la
République, il conserva toute la vie un inal-
térable dévouement à la cause démocratique.
Après avoir, dans le Démocrate, fait de 1 op-
position au Directoire, il attaqua courageuse-
ment le pouvoir impérial, fut compris dans la
conspiration de Malet, et, malgré l'absence
absolue de preuves*, retenu à Ham jusqu'en
1814. A peine sorti de prison, il essaya d'op-
BAZ
Soser une insurrection nationale à l'invasion |
es alliés, et lorsque cette invasion fut un fait j
accompli, il imagina de publier, au prix de
15 et 20 centimes, des brochures pour Védu-
cation du peuple, qui le conduisirent devant
les assises de Maine-et-Loire, où il fut d'ail-
leurs acquitté. Bazin mourut des suites d'un
duel, et le bruit courut que la police n'était
pas étrangère à l'événement. Ses brochures
et pamphlets ont été publiés sous ce titre : Le
Lynx (Paris, 1814, 111-8°); Suite du Lynx
(Paris, 1817, in-8°). Il a laissé aussi un mélo-
drame, Jacqueline d'Olysbourg ; une tragédie,
Charlemagne ; des Lettres françaises et philo-
sophiques; des Nouvelles, etc.
BAZIN (Anaïs de RAUCOU, dit), historien, né
à Paris en 1797, mort en 1850, prit; par recon-
naissance, le nom de son père adoptif, M. Bazin.
Entré dans les gardes du corps en 1814, il se
fit recevoir avocat en 1818, et se livra ensuite
tout entier à la littérature. On a de lui : la
Cour de Marie de Médicis (l830,in-8<>); Eloge
de Malesherbes (l83l), couronné par l'Aca-
démie française; Histoire de France sous
Louis XIII et sous le cardinal Mazarin (1837,
4 vol. in-8°), livre qui obtint lé prix Gobert et
fut plusieurs fois réimprimé ; Etudes d'histoire
et de biographie (1844, in-8°), relatives^, la
même époque. C'est surtout d'après les succès
obtenus par cet écrivain estimable que les
études sur le siècle de Louis XIII sont deve-
' nues à la mode.
BAZIN (Antoine-Pierre-Louis), orientaliste
français, né à Saint-Brice en 1799, mort en
1863, Il suivit les cours d'Abel Rémusat et de
Stanislas Julien. Ensuite il professa le chinois
pendant quatre ans à la Bibliothèque royale,
puis à l'Ecole des langues orientales vivantes.
Il était secrétaire adjoint de-la Société asia-
tique. Il a publié d'importants ouvrages sur
la langue chinoise, notamment : Théâtre chi-
nois ou Choix de pièces composées sous les em-
pereurs mogols (1838) ; Le Pi-pa-ki, ou Histoire
du luth, drame chinois de Kao-tong-Kia, re-
présenté en 1404 (1841); le Siècle des Youên ou
Tableau historique de la littérature chinoise
(1850); Grammaire mandarine ou Principes
généraux de la langue chinoise parlée (1856), etc.
BAZIN (Antoine-Pierre-Ernest), méde-
cin français, frère du précédent, né à Saint-
Brice en 1807. Après avoir passé son doctorat
à la faculté de médecine de Paris en 1S34, il
a été successivement attaché comme médeciu
aux hôpitaux de Lourcine, Saint-Antoine et
Saint-Louis (1847). Le docteur Bazin s'est
surtout attaché à l'étude des affections cuta-
nées, et il a publié plusieurs ouvrages et mé-
moires qui roulent pour la plupart sur la
dermatologie. Nous citerons : De l'achné va-
rioliforme (1851) ; Des teignes achromateuses,
Recherches sur la nature et le traitement des
teignes (1853) ; Considérations générales sur la
mentagre et les teignes de la face (1854) ; Le-
çons théoriques et cliniques sur les affections
cutanées parasitaires (1857); Leçons sur les
syphilides (1858), etc.
BAZIN (Louis-Charles), peintre, graveur et
lithographe français, né à Paris vers 1810, mort
vers 1856, élève de Girodet-Trioson et de
Gérard. Il a exposé, de 1831 à 1855, des ta-
bleaux de religion (le Christ en croix, au Salon
de 1843; le Denier de César, en 1845; unEcce
Homo, en 1849) ; d'histoire (Louis XI V et ma-
dame de Maintenon, au Salon de 1844; la
Dissolution du parlement par Louis XIV, aux
Salons de 1853 et de 1855) ; de genre (la Jeune
fille au lézard, aux Salons de 1846 et 1855), et
un grand nombre de portraits à l'huile et au
pastel, parmi lesquels ceux d'Amédée de Bast,
de Levassor, de Panseron, de La Rochejac-
quelein (l848),d'Aug. Galimard,de Soulange-
Teissier. On a aussi de lui des portraits gravés
et lithographies, dont plusieurs d'après Gérard.
Il a obtenu une médaille de 3e classe en 1S44,
et une médaille de 2« classe en 1846. — Plu-
sieurs autres artistes contemporains du nom de
Bazin ont pris part aux expositions ; le plus
connu est M. 'Eugène BAZIN, né a Rennes, qui
a envoyé aux Salons de 1836 à 1859, des ba-
tailles peintes à la gouache et à l'aquarelle
(Batailles de Montereau, de Friedland, de
Waterloo, etc.).
BAZIN (François-Emmanuel-Joseph), com-
positeur français, né à Marseille en 1816, entra
au Conservatoire de musique de Paris Je
18 octobre 1834. M. Benoist fut son professeur
d'orgue, pendant que Berton et Halévy l'ini-
tiaient à l'art si difficile de la composition.
L'élève était intelligent; il mérita, au concours
de 1830, le premier prix d'harmonie et d'ac-
compagnement pratique. En 1837, on lui dé-
cerna le second prix d'orgue et le premier de
contre-point et de fugue. M. Bazin composa
une cantate qui appela sur lui l'attention de
l'Institut et lui valut le second prix en i839;
peu de jours après le premier prix d'orgue
était décerné au vaillant travailleur, qui, re-
doublant de zèle, conquit, en 1840, le grand
prix au concours de l'Institut, avec une can-
tate intitulée : Loyse de Montfort, dont les
paroles étaient de MM. Emile Deschamps et
Pacini. Cette scène lyrique fut exécutée so-
lennellement le 4 octobre, à la séance publique
de l'Académie des beaux-arts, et le 7 octobre
à l'Opéra. Charles Maurice rend compte de
la façon suivante, dans le Coureur des specta-
cles , de la représentation de cette cantate :
- Elle a été écoutée avec tout l'intérêt que
peut inspirer, sur un théâtre, une œuvre de
cette nature. Ce n'est point là le lieu pour le-
quel elle avait été faite. On ne lui avait de-
mandé que de donner une idée, aussi exacte
que possible, des dispositions de son auteur,
et de fournir un prétexte à la concession du
grand prix, dont le but est de faire sortir un
jeune homme de la foule, pour le placer sur le
chemin qui conduit à la gloire. Cet espoir
s'était complètement réalisé dans le dernier
exercice du" Conservatoire. A la séance de
l'Institut, le cadre s'élargissant déjà, l'ouvrage
avait laissé quelque chose à désirer, parce
que le vrai public était là ; tandis qu'à la pre-
mière épreuve, la science seule avait jugé,
par l'intermédiaire des professeurs, et l'amitié,
par l'entremise de la famille. A l'Opéra, c'était
bien différent 1 II s'agissait d'une première
représentation. Il y avait un théâtre, des ac-
teurs, des costumes et tout ce qui constitue
une solennité dramatique. L'espace était con-
sidérable pour n'y exécuter qu'une scène
lyrique, et il était a craindre que le contenu
ne parut un peu étriqué dans un contenant
de cette dimension. Le musicien perdait donc,
selon nous, plutôt qu'il ne trouvait des avan-
tages dans cette exhibition théâtrale : ce que
de près on juge mélodieux, expressif, bien
écrit et bien facturé, de loin peut paraître
petit, étroit, monotone et d'une ordinaire sim-
plicité. Loyse de Montfort, sans avoir totale-
ment échappé a ces risques, a réussi, surtout
auprès des connaisseurs, qui ont su gré à
M. Bazin d'un style large, correct, et de plu-
sieurs inspirations fort heureuses, surtout dans
le rôle de Loyse, chanté par Mme Stolz. » En
1841, M. Bazin partit pour Rome, où il sé-
journa trois ans, et, mettant à profit ses loisirs,
il composa une messe solennelle qui fut exé-
cutée, en 1842, à l'église Saint-Louis des
Français; la Pentecôte, oratorio; et le psaume
Super flumina Babylonis (1843), fort applaudis,
surtout grâce à l'exécution remarquable de la
société philharmonique romaine. M. Bazin re-
vint alors en France, où sa jeune renommée
lui valut une place de professeur de solfège
au Conservatoire, qu'il échangea plus tard
pour celle de professeur d'harmonie. Il aborda
le théâtre, en 1846, par un succès dû à un
charmant petit opéra, intitulé : le Trompette
de monsieur le prince, qui fut suivi d'autres
œuvres estimables. Nous allons en donner la
liste entière, en y ajoutant quelques mots d'ap-
préciation : le Trompette de monsieur le prince,
opéra-comique en un acte, de M. Mélesville
(Opéra-Comique, 15 mai 1846). Le poëme, qui
rappelait un peu la Maison du rempart, ne
manquait pas de gaieté, et otfrait des situations
musicales. L'ouverture affectait des allures
de quadrille, mais l'inspiration heureuse et
habile des motifs fit aisément pardonner ce
léger tort. Au lever du rideau, Fanchette est
en train de repasser ; les couplets agréables
de la jeune fille, dont la situation rappelle
celle d'Henriette de l'Ambassadrice, n'avaient
malheureusement rien de commun avec la
musique de M. Auber. En revanche, on put
applaudir un quintette, où la science s'allie à
l'heureux emploi des voix, et surtout un trio
inspiré et presque digne d'un maître. Le succès
de ce petit opéra fut des plus honorables, et il
se maintint dix ans au répertoire. Le Malheur
d'être jolie, opéra-comique en un acte, de
Charles Desno3'ers (Opéra-Comique, 18 mai
1847). L'action de ce vaudeville musical se
passe sous le règne de Charles VII, Le com-
positeur, préoccupé de la difficulté de faire
chanter de tels ancêtres, manqua la plupart
de ses morceaux, à l'exception des couplets :
Adieu vous dis, mes amours,
refrain sur lequel intervenaient les cors d'une
manière exquise. La pièce disparut bientôt
de l'affiche. La Saint - Sylvestre, opéra-co-
mique en trois actes, de MM. Mélesville et
Michel Masson (Opéra-Comique, 7 juillet 1849).
Le poëme n'était autre que le Garde de nuit,
vaudeville des mêmes auteurs, inspiré lui-
même par un conte, et représenté en 1829
avec succès aux Variétés. - M. Bazin, écrivait
M. Henri Blanchart, sait son métier, ou pour
mieux dire son art; car sa mélodie est distin-
guée, son harmonie est pure et bien choisie,
son instrumentation bien sonnante, sa décla-
mation vraie comme celle de presque tous
nos compositeurs français; ses morceaux ont
la mesure voulue pour ne pas entraver l'action
dramatique, ils ont de la chaleur; mais... —
car il faut que le mais restrictif de la critique
intervienne pour donner quelque valeur à
l'éloge — mais cette chaleur n'est pas la
verve, l'originalité qui proviennent d'une imar
gination créatrice et vous font de prime abord
une individualité. La mélodie de M. Bazin est
alerte et vive, comme celle de la plupart des
compositeurs qui ont obtenu le prix de Rome';
mais elle n'est pas assez périodique ; elle pro-
cède trop, ainsi que l'instrumentation qui
l'accompagne, de la manière coquette de
M. Auber, le chef de l'école, et surtout du
style en honneur à l'Opéra-Comique. La ma-
nière de ce maître est charmante ; mais l'imi-
tation qu'on en fait ne peut être que mesquine,
monotone et peu amusante; car qui dit imita-
tion dit parodie. - La Saint-Sylvestre, malgré
son succès éphémère, n'en reste pas moins
l'œuvre capitale de M. Bazin, qui y fit preuve
d'une véritable force dramatique. Le finale du
premier acte, où le chœur des gardes de nuit
demande pardon à Son Altesse, est d'un style
excellent et plein de charme. Le resté du
morceau, en mouvement de marche, rappelle
trop visiblement :
La garde passe, il est minuit,
BAZ 419
des Deux avares, de Grétry, et un finale de
la Fiancée, d'Auber. Le duo du duel, au 2^ acte,
mérite des éloges sans réserve, ainsi que l'air
du jeune prince Christian, au 3° acte :
Nuit tutôlaire et charmante.
Les couplets avec refrain, qui terminent
l'opéra, furent bissés avec raison le premier
soir. Madelon, opéra-comique en deux actes
de M. Thomas Sauvage ( Opéra-Comique,
26 mars 1852). Le livret manquait de franchise
et de clarté, ce qui embarrassa le compositeur.
Quant à la façon dont il était versifié, on en
jugera par ces vers de l'air chanté par Audran,
au début du 2e acte :
Une amitié qui date de l'enfance
Devrait toujours
Finir avec nos jours.
Mlle Lefebvre se montra charmante dans
le rôle de Madelon ; une romance très-agréable
et les couplets de Madame Lerond, chantes
par Sainte-Foy et bissés, voilà le bilan de cet
opéra, œuvre toute parfumée de grâce tendre,
de fraîcheur et de sentiment. Maître Pathelin,
opéra-comique en un acte, de MM. de Leuveu
et Ferdinand Langlé (Opéra-Comique, 12 no-
vembre 1856). La célèbre farce de Maître
Pathelin avait été arrangée en opéra-comique
en deux actes, par Patrat, musique de Char-
train, et représentée, sous cette nouvelle
forme et avec succès, au théâtre Montansier,
le 21 janvier 1792. Baptiste Cadet jouait le
rôle d'Agnelet. MM. de Leuven et Langlé
s'inspirèrent de cette ancienne pièce pour
obtenir un nouveau succès. Les couplets :
Saute, saute l'avocat,
sont chantés et dansés par Couderc, on. sait
avec quelle maestria irrésistible. Le désespoir
d'Agnelet exprimé en musique de la plus pi-
quante façon, et la scène dujugement ajoutent
au plaisir des spectateurs. Cette partition, la
plus populaire de M. Bazin, est un chef-d'œuvre
de bouffonnerie de bon goût, qu'on peut re-
garder comme un type de la distinction dans
le genre boufle. Les Désespérés, opéra-comique
en un acte, de MM. de Leuven et Jules Moi-
naux (Opéra-Comique, 26 janvier 1S5S), petite
bluette qui dut sa réussite au jeu des acteurs.
Le Voyage en Chine, opéra-comique en trois
actes, de MM. Labiche et Delacour (Opéra-
Comique, 9 décembre 1865). Le libretto rap-
pelle un peu le Voyage à Dieppe, de joyeuse
mémoire, et ce n'est pas un mal à ce théâtre,
où tant de paroliers ont, en ces derniers temps,
endormi le public, qu'ils essayaient d'attendrir.
La partition laisse à désirer. On doit signaler
pourtant, au premier acte, les couplets de
Sainte-Foy :
Un caillou, deux cailloux, trois cailloux;
au deuxième acte, le duo de Couderc et de
Montaubry :
Je suis breton;
et au troisième acte, le chœur du cidre.
Outre ces opéras, on doit à M. Bazin des
mélodies, des chœurs, diverses œuvres instru-
mentales qui ont été exécutées au Conserva-
toire, etc., ainsi qu'un Cours d'harmonie théo-
rique et pratique, à l'usage des classes de cet
établissement. Cet ouvrage est fort bien fait
et d'une incontestable utilité.
Sociétaire de l'Académie de Sainte-Cécile
et de l'Académie philharmonique de Rome,
membre de la commission de surveillance pour
l'enseignement du chant dans les écoles com-
munales de Paris, M. Bazin est un artiste
aussi modeste que distingué, dont le public
intelligent attend avec impatience de nou-
velles œuvres.

BAZINGHEN
(François ABOT DK) , numismate
français, né à Boulogne-sur-Mer en 1711,-mort
dans la même ville en 1791. Reçu avocat à
Paris en 173G, il fut nommé, en 1750, conseiller
commissaire général en la cour des monnaies,
et publia sur la matière de nombreux mé-
moires. On remarque parmi ses œuvres les
Tables monétaires, et surtout le Dictionnaire
des monnaies (2 vol. in-41>, 1762), à la rédaction
duquel il consacra vingt années d'études. Cet
ouvrage estimé est encore consulté avec fruit.
Tout ce qui regarde la juridiction ainsi que
la compétence des anciennes cours des comptes
y est particulièrement bien traité. Abot de
Bazinghen a laissé d'importants manuscrits,
matériaux préparés pour un grand ouvrage
sur l'histoire du Boulonnais, qu'il n'a pas eu
le temps de terminer.
BAZ IRE, conventionnel. V. BASIRE.

BAZLEV
(Thomas), manufacturier et éco-
nomiste anglais, né à Gilon en 1797, fut d'abord
apprenti dans une manufacture de coton. De-
puis 1822, il dirige à Manchester une impor-
tante maison de commerce ; il est en outre
président de la chambre de commerce de
cette ville, et ce fut en cette qualité qu'il
prit part en 1850 à l'organisation de la première
exposition universelle de l'industrie. M. Bazley
n'est pas, à proprement parler, un économiste ;
mais, homme pratique et fortement engagé
dans les vicissitudes de la richesse publique,
il a joué un rôle qui n'a pas été sans impor-
tance et sans résultats. Il soutint d'abord les
réclamations de W. Huskisson pour la réduc-
tion des droits d'importation; puis, membre
du comité directeur de la ligue contre le
maintien des lois sur les céréales, il appuya
dans les meetings et dans la presse militante
420
le système du libre échange, qui, proposé
nettement & Lîverpool par Cobden et Brooks
en 1837, sortit victorieux de la lutte en 1846.
Lo parti de Manchester, satisfait de son succès
légal, devenu" bientôt un fait accompli, re-
nonça dès lors à l'agitation qu'il avait entre-
tenue dans les districts manufacturiers.

BAZMAN
ET COBAD. Héros de l'histoire
orientale, qui rappellent l'épisode des Hora-
ceset des Curiaces. Pachenk ou Afrasiao,roi
du Turkestan, avait envahi la Perse à la tête
d'une armée formidable. Nandhar, roi de Perse,
s'avança pour le combattre. Au moment d'en-
gager la lutte, on convint, pour éviter l'effu-
sion du sang, de choisir deux guerriers d'élite,
un pour chaque camp, qui décideraient, par
un combat singulier, du sort des deux armées.
Les Persans choisirent Cobad, et les Turcs
Bazman. Le premier fut vainqueur. Le roi en-
vahisseur tint sa parole et repassa le Gihon,
abandonnant une conquête heureusement com-
mencée, et qu'il pouvait achever sans difficul-
tés.
BAZOCHE. V. BASOCHE.

BAZOCHB
(Dominique-Christophe), homme
politique français, né a Saint-Michel en 1757,
mort en 1817. 11 fut avocat du roi à Saint-
Michel, procureur au bailliage de cette ville,
et député du tiers état de Bar-le-Duc aux états
généraux de 1789. Elu membre de la Con-
vention, il vota, lors de la condamnation de
Louis XVI, pour l'appel au peuple, la détention
et le sursis. Après avoir été* en 1797, com-
missaire du gouvernement près des tribunaux
de la Meuse, en 1797, il fit successivement
partie du conseil des Anciens et, après le
18 brumaire, du Corps législatif; puis, sous
l'empire, il occupa le poste de procureur im-
périal et celui d'avocat général (îsil) à Nancy.
Appelé à siéger fen 1815 à la Chambre des
représentants, il fut réélu, cette même année,
a la Chambre des députés, où, comme toujours,
il se lit remarquer, sinon par son éloquence,
du moins par son extrême modération.

BAZOCHE-GOUET
(LA), bourg et commune
de France (Eure-et-Loir), cant. d'Authon,
arrond. et h 25 kil. S.-E. de Nogent-le-Rotrou,
sur l'Yère; pop. aggl. 901 hab. — pop. tôt.
£,164 hab. Faonque de chapeaux; commerce
de chevaux, chanvre, toiles et laines. On y
remarque quelques maisons en bois du xvie siè-
cle, et l'église paroissiale, construction du
xin« siècle, avec de beaux vitraux et une
chaire curieusement sculptée.

BAZOCHES
bourg et commune de France
(Aisne), cant. de Braine, arrond. et à 30 kil.
S.-E. clé Soissons, sur la rive droite de la
Vesle ; 422 hab. Les préfets romains des Gaules
y avaient un palais. Les terrassements faits
our le chemin de fer des Ardennes y ont mis
découvert une belle mosaïque romaine. &

BAZOCIIES-SUR-HOËNE
bourg de France
(Orne), ch.-l. de cant., arrond.-et à 8 kil.
N.-O. de Mortagne; pop. aggl. 371 hab. —
pop. tôt. 1,272 hab. Commerce de bestiaux,
chevaux, grains, lin et bois.

BAZOGE
(LA), bourg et commune de France
(Sarthe), cant., arrond. et à 13 kil. N.-O. du
Mans; 1,961 hab. Fabriques de toiles, élève
de bestiaux, engrais de porcs. Exploitation de
fer.

BAZOIS
petit pays de l'ancien Nivernais,
dont les lieux principaux étaient Chàtillon-en-
Bazois, Mont-en-Bazots, dans l'arrond. de
Château-Chinon (Nièvre).

BAZOUCHES-LA-PEROUSE
bourg et com-
mune de France (llle-et-Vilaine), cant. d'An-
train, arrond. et a 35 kil. N.-O. de B'ougères;
pop. aggl. 786 hab. — pop. tôt. 4,234 hab.
Exploitation de granit, terre alumineuse, tan-
nerie; commerce de til, toiles, cuirs, bois de
construction. On y voit le beau château de la
Ballue, restauré au xvne siècle.

BAZOUGE
s. f. (ba-zou-je). Comm. Espèce
de toile do Bretagne.

BAZODGES-SLR-LOIR
village et commune
de France (Sarthe), arrond. et à 8 kil. O. de
La Flèche; 1,673 hab. Belle église bâtie vers
1046; la nef porte une voûte en bois avec des
peintures du xve siècle très-bien conservées,
représentant différentes scènes et les instru-
ments de la passion.
BAZZAN1 (Mathieu), médecin italien, né à
Bologne en 1674, mort en 1749. Il remplit
avec distinction la fonction de professeur de
médecine dans sa ville natale. Il fit de cu-
rieuses expériences sur des poulets qu'il nour-
rissait avec de la garance, constata que leurs
os se coloraient en rouge, et consigna les ré-
sultats qu'il avait obtenus dans les Commen-
taires de l'Institut de Bologne. Il a aussi publié
un ouvrage de médecine légale, intitulé : De
ambiguë prolatis in judicium criminationibus
consultationes physico-medicœ nonnullœ (Bo-
logne, 1742). .

BAZZANO
bourg du royaume d'Italie, pro-
vince et & 18 kil. O. de Bologne, sur la Sa-
moggia; 3,000 hab. Soie et céréales.

BAZZANTI
(Nicolas), sculpteur italien con-
temporain, professeur a l'Académie des beaux-
arts de Florence, a fait, entre autres ouvrages,
une statue d'Andréa Orcagna, qui occupe lune
des niches du portique de la galerie des Offices,
une statue en marbre de Y Hiver, et les ïmstes
de Dante et de Pétrarque pour la décoration
extérieure de la maison Batelli.

BAZZINI
(Antoine^ violoniste italien, né h
Brescia en 1818, s'est produit en public pour
la première fois en 1840. Après s'être fait en-
tendre a Milan et dans quelques villes d'Italie,
il fit une excursion en Allemagne, revint en
' Italie, puis, en 1849, se rendit à Marseille et
parcourut le midi de la France, où il reçut un
accueil des plus flatteurs. M. Bazzini hésita
longtemps à se faire entendre à Paris, donnant
des concerts dans toutes les villes qui avoisi-
nent la capitale. Enfin, en 1852, il aifronta le
terrible public parisien au Théitre-îtalien pen-
dant une représentation. Justice fut rendue à
son jeu plein de verve et d'une audace quel-
quefois malheureuse, a la rapidité de ses traits
et à la netteté de son trille ; mais on lui re-
procha une certaine maigreur de son et quel-
ques excentricités mécaniques d'un goût dou-
teux. M. Bazzini quitta Paris après un séjour
de deux mois, sans avoir donné plus de trois
auditions, et, depuis ce moment, il continue
ses voyages en province et a l'étranger.
Nous ne connaissons de M. Bazzini que cinq
grandes fantaisies de concert pour violon, il
a en outre publié grand nombre de morceaux
de salon pour piano et violon, et des romances
éditées en Italie et en Allemagne. Il a aussi
composé des morceaux d'une extrême difficul-
té, qu'il réserve pour ses concerts et qui sont
encore manuscrits.

BAZZO
s. m. (bad-zo). Métrol. Ancienno
monnaie de billon d'Allemagne, qui portait
différentes empreintes, suivant les Etats où
elle était frappée, et valait environ 8 cent,
de France.

BAZZOM
(Jean-Baptiste), romancier italien,
né à Novare le 12 février 1803, fit son droit à
Pavie, et entra dans la magistrature, où il
fournit une carrière fort honorable ; mais,
fervent romantique, il eut le premier l'idée
d'écrire en italien des romans historiques à la
manière de Walter Scott. Son Castello di
Trezzo (le Château de Trezzo) précéda les
Fiancés de Manzoni, et eut beaucoup d'imita-
teurs ; quatre ans plus tard, il publia le Falco
délia Rupe (le Faucon de la Boche), roman
plus large et plus vrai, où le moyen âge et
les hommes sont observés avec beaucoup de
sagacité. C'est le récit de l'entreprise har-
die de Médicis,qui essaya de se créer une
principauté indépendante sur le lac de Côme,
malgré la coalition du duc de Milan, des
Suisses et de Charles-Quint. Ses Récits histo-
riques {Racconti storici), publiés en deux séries,
en 1832 et en 1839, prouvent que Bazzoni était
fait pour écrire l'histoire. Viennent ensuite
d'autres romans : les Guelfes d'Allemagne,
le Château de Clanezzo, la Bella Céleste degli
Spadari, et la Zagranella (U45). Lorsque la
mort l'enleva, le 9 octobre 1850, Bazzoni avait
presque achevé un nouveau roman qu'il dé-
truisit. Il a laissé, outre les ouvrages que nous
venons d'énumérer, un Voyage de Naples à
Procida; un Mémoire sur la haute Lombardie
dans l'antiquité et sur l'origine de Bergame
( Memoria dello stato antichissimo dell' alfa
Lombardia per quanto riguarda l'origine di
Iiergamo), dans lequel il applique à un grand
nombre de villes et de bourgs lombards l'ori-
gine étrusque que Thierry applique a la no-
menclature chorographique française; enfin
divers fragments et physiologies finement
écrits. Ecrivain élégant et ingénieux, Bazzoni
a contribué, bien qu'au deuxième rang, à la
rénovation littéraire de l'Italie.
B.-CARRE. Orthographe primitive du mot
bécarre.

BDALLOPODE
adj. (bdal-lo-po-de—du gr.
bdallô, je sucejpous, podos, pied). Zool. Qui
a les pieds armes de ventouses.

BDALLOPODOBATRACIENS
S. m. pl.fbdal-
lo-po-do-ba-tra-si-ain — de bdallopode et de
batracien). Erpét. Groupe de batraciens, dont
les doigts sont munis de sortes de ventouses :
Les rainettes sont des BDALLOPODOBA.TRA.CIHNs.

BDELLAIRE
adj. (bdèl-lè-re — du gr.
bdella, sangsue). Hist. nat. Qui est muni de
ventouses.
— s. m. pi. Annél. Section de la famille
des hirudinées, ayant pour type le genre
bdelle.

BDELLE
s. f. (bdè-le—du gr. bdella, sang-
sue). Annél. Genre d'annélides, voisin des
sangsues, comprenant une seule espèce propre
aux eaux du Nil, et qui, selon Hérodote, vit
en parasite sur les crocodiles.
— Arachn. Genre d'arachnides, de l'ordre
des acariens, appelés vulgairement tiques,, et
dont les espèces les plus communes vivent
sous les pierres : Les larves des BDELLES sont
hexapodes, (Blanchard.)
BDELLE, ÉE adj. (bdèl-lé — rad. bdelle).
Arachn. Qui ressemble à une bdelle.
— s. m. pi. Famille d'arachnides, de l'ordre
des acariens, ayant pour type le genre bdelle,
et dont les mœurs ne sont pas bien connues;
on croit néanmoins qu'elles s'attachent aux
animaux pour en sucer le sang : Les BDELLÉS
sont de petits acariens gui se logent sous les
pierres. (Blanchard.)

BDELLIE
s. m. (bdèl-lî — du gr. bdellion,
bdellium). Bot. Arbre qui produit le bdellium.
BDELLIEN. IENNE adj. (bdèl-li-ain, i-è-ne
— rad. bdelle). Annél. Qui ressemble à une
bdelle.
— s. f. pi. Groupe d'annélides, formant une
section de la famille des hirudinées ou sang-
sues, ayant pour type le genre bdellç. __

BDELLIUM
S. m. (bdèl-li-omm ~ du gr.
-bdellion, même sens). Gomme-résine mal dé-
finie, provenant de l'Arabie et des Indes
orientales, et dont les anciens faisaient un
fréquent usage en médecine et dans les sa-
crifices : Du bois de sandal, du camphre, du

BDKLMUM
du sésame vert, des cannes à sucre,
des dattes, du riz, la moelle, les fruits et les
/leurs de certains arbres figurent dans les sa-
crifices offerts à Aghai. (Val. Parisot.) Le BDEL-
LIUM se compose de résine, de gomme soluble,
de bassorine et d'huile volatile. (Richard.)
— Miner, anc. Escarboucle, cristal.
— Encycl. Les anciens faisaient souvent
usage du bdellium. C'est par ce mot qu'Aquila,
Symmaque,Théodotion etlaVulgate traduisent
le mot hébreu bdolah, qui se trouve en diffé-
rents endroits de la Bible, entre autres dans
la Genève (u, 12) et dans le livre des Nombres
(xn, 7). Cette traduction est probablement
exacte, et l'analogie des deux mots bdolah et
bdellium est hors de doute. Le bdellium des
Romains, le bdellion des Grecs, qui, suivant
Dioscoride, était aussi appelé madelkon ou
bdolhcon, était une résine transparente, au
parfum suave et pénétrant, à la saveur amère,
que l'on recueillait en Arabie, en Médie et dans
1 Inde sur une espèce particulière d'arbre(Pline,
xn, 19. — Dioscoride). D'après la description
qu'en donne le premier de ces deux auteurs,
1 opinion de Kœmpfer paraît assez vraisem-
blable : il identifie l'arbre en question avec
une espèce de palmier, le borassus flabellifor-
mis, qui croît dans l'Arabie Heureuse et sur les
côtes de la Perse. Ce palmier, qui atteint jus-
qu'à 10 m. de hauteur, produit de petites baies
dont on recueille une gomme, qui, séchée et
durcie, se vend sur les marchés d'Orient.
C'est à tort que Bochart a voulu voir dans
bdollah des perles, Reland du cristal, Hart-
mann, d'après Onkelos, l'aiguë-marine, et
Schmidt du lapîs-lazuli. Le bdellium le plus
'estimé venait de la Bactriane, à ce que nous
apprend Pline. « C'est, dit-il, un arbre noir,
da la taille de l'olivier, au feuillage analogue
à celui du chêne, aux fruits ressemblant à
ceux du figuier. La gomme doit être transpa-
rente, semblable à la cire odorante, d'une sa-
veur amère. »
Aujourd'hui, on connaît trois espèces de
bdellium: la première et la plus recherchée
vient de l'Inde, elle produit en brûlant une
odeur semblable à celle de la myrrhe ; la
deuxième vient du Sénégal et est inodore ; la
troisième a une odeur légèrement alliacée. On
a longtemps employé le bdellium comme exci-
tant et résolutif; il sert encore aujourd'hui
pour la composition du diachylon gommé et
pour certaines préparations employées par les
vétérinaires. Lamarck pense qu'il est produit
par un balsamier de la famille des térébin-
thacées; d'autres botanistes croient que cette
f omme vient d'un arbrisseau qu'ils nomment
eudetottia Africana.

BDELLOMÈTRE
s. m. (bdèl-lo-mè-tre —
du gr. bdallô, je suce; ou bdella, sangsue ;
metron, mesure). Chir. Instrument qui rem-
place à la fois les ventouses et les scarifica-
teurs pour pratiquer des saignées locales, ei
qui est disposé de façon à régler l'émission du
sang et à mesurer la quantité déjà tirée.
— Encycl. Le succès a depuis longtemps
justifié l'emploi, en chirurgie, des ventouses
scarifiées. Cette petite opération s'accomplit
en trois temps successifs. En premier lieu, on
applique sur la peau, à l'endroit où l'on veut
pratiquer une saignée locale, déplétive ou ré-
vulsive, une ventouse, c'est-a-dire une cloche
dans l'intérieur de laquelle on raréfie l'air, afin
de produire une turgescence sanguine des
vaisseaux capillaires. La cloche ou ventouse
étant ensuite enlevée, on pratique, à l'aide
d'un instrument appelé scarificateur, les pe-
tites incisions superficielles qui doivent donner
issue au sang des capillaires ; enfin, on réap-
Îilique la ventouse au même endroit pour opérer
a succion du sang et en obtenir la quantité
voulue. C'est pour éviter la perte de temps, et
pour obtenir un effet à la fois plus rapide et plus
mesuré, que le docteur Sarlandière a inventé
le bdellomètre. Le bdellomètre réunit en un seul
objet l'appareil à raréfier l'air et l'appareil
scarificateur. C'est une cloche de verre, de la
dimension de celles qui servent à l'apposition
des ventouses, contenant dans son intérieur
un scarificateur garni de pointes de lancettes
qui dépassent l'instrument, et qui peut se ma-
nœuvrer de haut en bas à l'aide d une tige qui
sort à la partie supérieure de la cloche. Deux
autres tubulures garnissent la ventouse : la
première reçoit l'extrémité d'une pompe aspi-
rante, la seconde un robinet destiné à l'écou-
lement du sang. Lorsqu'on veut se servir de
l'appareil, on rapplique sur la peau au point
convenu, et l'on fait le vide à l'aide de la pompe
aspirante. La peau se gonfle alors sous la
cloche, les vaisseaux capillaires s'engorgent,
il ne reste plus qu'à presser sur le bouton qui
termine supérieurement le scarificateur, de ma-
nière à enfoncer les pointes des lancettes dans
la peau. On retire le scarificateur aussitôt que
les piqûres sont faites, et Von fait alors ma-
nœuvrer la pompe aspirante pour faire affluer
le sang; le robinet, quidonne issue au liquide,
permet de mesurer la quantité qui s'en écoule.
Le bdellomètre accomplit ainsi en un seul temps
l'application des ventouses scarifiées, et per-
met de mesurer la quantité de sang tiré du
réseau capillaire; mais la complication de l'ins-
trument et son prix trop élevé l'ont fait aban-
donner dans la pratique.

BDÉLYGMIA
S. f. (bdé-li-gm\-a — du gr.
bdelugma, même sens). Chir. Puanteur ca-
ractéristique de certains ulcères.
BÉ s. m. (bé). Philol. Nom que l'on donnait
autrefois à la deuxième lettre de l'alphabet
français, aujourd'hui appelée 6e. il Deuxième
lettre des alphabets arabe, turc et persan.
— Chronol. Signe du lundi chez les Per-
sans, il Signe du mois de redjeb chez les mu-
sulmans.
BÈ (bè). Onomatopée qui figure le bêlement
des moutons et des brebis.

BÉACHE
DE MER s. f. Substance marine,
gluante et forte, qui se trouve sur les bancs
de sable et près des îles de l'archipel Chinois
et de l'océan Pacifique. C'est sur les côtes de
la Nouvelle-Hollande que la pêche en est le
plus abondante. Les Chinois mangent cette
matière, qu'ils considèrent comme un mets
succulent et digne d'être placé sur les meil-
leures tables.

BEACHY
cap d'Angleterre, comté de Sus-
sex, sur laiManche, par 2<> 7' de long. O. et
540 45' lat. N. Il est formé par une falaise cal-
caire d'une altitude de 180 m. Près de ce cap,
ïourville, le 30 juin 1690, battit la flotte anglo-
hollandaise.

BEAK
s. m. Ibîk). Métrol. Poids pour l'or
et l'argent, usité à Moka en Arabie, valant
46 gr. 65.

BÉALIÈRË
s. f. (bé-a-liè-re — rad. béer).
Ouverture ménagée pour faire entrer l'eau
dans un pré, quand on veut l'irriguer.

BÉANCE
s. f. (bé-an-se — rad. béer, dési-
rer). Désir, appétence, aspiration. V. mot.

BÉANT
(bé-an). part. prés, du v. béer .-
Montaigne dit que les hommes vont toujours
BÉANT aux choses futures; j'ai l'habitude de
béer aux choses passées. (Chateaub.) Je voyais,
dans le fond, le Vésuve ouvrant ses deux lèvres
de feu vers le ciel, emblème sublime de ce peuple
aspirant, BÉANT à la vérité d'une foi nouvelle.
(M«ne L. Colet.)
BÉANT, ANTE adj. (bé-an, an-te — rad.
béer). Ouvert largement : Gouffre BÉANT.
Bouche BÉANTE. Une bouche toujours BÉANTE
est le sig?ie de la sottise. (J.-J. Rousseau.)
Le ravisseur vers elle accourt gueule béante.
F. DE NEUFCIIATEAU.
De la plaine béante
La soif implore en vain une eau rafraîchissante.
DEL1LLE.
. . , . . Leurs voix défaillantes
Expirent de frayeur sur leurs lèvres béantes.
DEL1LLE.
La haute cheminée,
Béante, illuminée.
Dévore un chêne entier. V. HUGO.
Ah! voilà les grandsmots!...On dirait,a t'ententlre,
Que si l'on n'a pas faim l'on ne peut rien comprendre.
Que les souliers béants et que les chapeaux gras
Apportent du génie à ceux qui n'en ont pas».
ROLLAND.
— Par ext. Dont la bouche est béante;
étonné ou attentif j frappé de stupeur : Toutes
les figures étaient BÉANTES d'admiration. (Balz.)
Et les princes béants ne pensent qu'à se taire.
V. HUGO.
L'Egypte édifia de merveilleux colosses,
Et devant ces débris nous demeurions béants.
BARTHÉLÉMY
Gilles d'abord rassemblait les passants,
Et puis Paillasse à îa foule béante
Montrait, vantait les pommades, les eaux.
ANDRIEUX.
De spectateurs béants la salle est crénelée;
La plèbe anthropophage attend là pour savoir.
Quelle chair et quel sang on lui promet ce so'tr.
H. MOREAU.
— Ecarté : Dampier, toujours escorté de son
fidèle Achate aux jambes BÉANTES, vint pour
régler ses comptes avec l'hôtesse. (X. Saintine.)
Il Inus.
— Fig. Gouffre, abîme béant, Danger ter-
rible, actuel et menaçant : Hélas! dit senten-
cieusement le député, où allons-nous? car J'A-
BÎME des révolutions est encore BÉANT. (Ars.
Houssaye.) [I Plaie, blessure béante, Douleur
cruelle et que l'on ressent actuellement : La
plaie ouverte dans une autre poitrine adoucit-
elle la PLAIE BÉANTE sur la nôtre? (Alex. Dum.)
Les blessures morales ont cela de particulier
qu'elles se cachent, mais ne se referment pas;
toujours douloureuses, toujours prêtes à sai-
gner quand on les touche, elles restent vives
et BÉANTES dans le cœur. (Alex. Dum.)
— Antonymes. Bouché, fermé t couvert,
oblitéré, plein et rempli.

BÉANTILLE
s. f. (bé-an-ti-lle, Il mil.).
Bot. Genre de mousses.

BEARD
(Thomas), graveur irlandais, tra-
vaillait à Londres vers 1728. Il a gravé, à la
manière noire, plusieurs portraits, entre autres
celui de la comtesse de Clarendon, d'après
God. Kneller, et celui de Hugh Boulter, ar-
chevêque d'Armagh, d'après M. Ashton.

BEAR
DÉ DE L'ABBAYE, économiste et agro-
nome, né vers le commencement du xvim: siè-
cle, mort en mi. La Société libre et écono-
mique de Saint-Pétersbourg ayant mis au
concours, en 1766, cette question: «Est-il
avantageux à un Etat que les paysans pos-
sèdent en propre du terrain, ou qu'ils n'aient
que des biens meubles, et jusqu'où doit s'éten-
dre cette propriété? » il composa une disser-
tation, qui remporta le prix. Il publia ensuite
des Essais d'agriculture ou Tentatives physi~
ques (Hambourg, 1768); puis des Recherches
421
sur les moyens de supprimer les impôts {Amster-
dam, 1770). On lui doit aussi la Félicité pu-
blique considérée dans les paysans cultivateurs
de leurs propres terres, traduite de l'italien de
Vignoli (1770).

BÉARN,
Pagus Bearnensis, Benekarnum
(pron. Bé-ar), ancienne prov. de France,
près des Pyrénées; cap. Pau. Compris ac-
tuellement dans les départ, des Basses-Pyré-
nées et des Landes, le Béarn était borné au
N. par la Chalosse, le Tursan, et l'Armagnac,
parties de la Gascogne, qui le limitaient aussi
a l'E. et à l'O, ; les Pyrénées et le pays de
Soûle le séparaient, au S., de la basse Na-
varre. Cette province, arrosée seulement par
les gaves de Pau et d'Oloron, montueuse,
sèche, et peu fertile malgré quelques coteaux
tapissés d'excellents vignobles et quelques
vallées couvertes de riches pâturages, fut ha-
bitée, avant l'arrivée de J. César, par les
Benehami, dont la ville principale, Benehar-
num, n'existe plus. Après avoir fait partie de
la Novempopulanie, ou 3^ Aquitaine, elle
fut successivement occupée par les Vandales,
les Alains, les Suèves et les Visigoths ; puis,
après la bataille de Vouillé (507), par les Vas-
cons, qui furent dépossédés par Dagobert. Sous
les Carlovingiens, le Béarn fut gouverné par
des vicomtes, vassaux immédiats des comtes
de Gascogne. Louis le Débonnaire (819) en fit
une vicomte héréditaire en faveur d'un des
fils de Loup-Centule, duc de Gascogne. La
postérité maie de celui-ci s'éteignit en 1134.
Guiscarde, fille du dernier vicomte de Béarn,
Gaston V, avait épousé Pierre, vicomte de
Gavaret. De ce mariage vint Pierre, vicomte
de Béarn et de Gavaret, dont le fils Gaston VI
mourut sans postérité, tandis que sa fille,
Marie, porta la vicomte de Béarn dans la
maison de Moncade, par son mariage avec
Guillaume de Moncade. Si le Béarn eut beau-
coup à souffrir des incursions des Normands,
il sut traverser la longue période d'anarchie
féodale sans aliéner sa liberté. Un de ses vi-
comtes, Gaston IV, prit une part glorieuse à
la première croisade: un autre, Gaston X,
Phébus, fut l'hôte et le protecteur de Frois-
sard; sous Gaston XII de Grailly (î 460), la
résidence des vicomtes fut transférée d'Orthez
à Pau, fondé seulement depuis 960. En 1465,
le Béarn passa par alliance à la maison d'Al-
bret; Henri II, successeur de Jean d'Albret,
épousa la célèbre Marguerite de Navarre,
sœur de François Ier; de cette union naquit
Jeanne d'Albret, qui, mariée à Antoine de Bour-
bon, donna naissance à Henri IV (i553). Par
l'avènement de ce prince, le Béarn fut réuni à
la France. Mais le pays, jaloux de ses fors ou
libertés, voulut continuer à vivre de sa vie in-
dépendante et nationale. Pour calmer les sus-
ceptibilités des états du Béarn, il fallut que le
roi gascon leur dît un jour : a Je ne donne
pas Te Béarn à la France, mais la France au
Béarn. » L'édit de réunion ne fut néanmoins
promulgué que sous Louis XIII, en 1620. Plus
d'une fois, jusqu'en 1789, les Béarnais es-
sayèrent sans succès de reconquérir leur an-
cienne autonomie ; les institutions égalitaires de
la Révolution les qnt rattachés définitivement
à la France. « Le Béarnais, dit M. d'Avezac,
placé entre le Basque, incontestablement ibé-
rien, et le Bigorrais, probablement gaulois,
conserve un type spécial, qui révèle une colo-
nie grecque avec son exquise douceur de
langage et sa proverbiale courtoisie. La no-
menclature géographique du pays fourmille,
d'ailleurs, de noms grecs. Ce furent probable-
ment des Phocéens chassés des bords de la
Méditerranée par l'invasion des hordes kym-
riques. »
BÉARN (CAP), cap de France (Pyrénées-
Orientales) , sur la Méditerranée, avec un phare
d'une portée de 22 milles, sur le mont Béarn,
à 800 mètres de l'entrée de Port-Vendres.
BÉARN (Louis-Hector DE GALARD, comte DE) ,
sénateur français, né à Paris en 1802, d'une
famille très-ancienne. Sous la Restauration, il
entra dans le corps diplomatique, et jusqu'à la
fin du règne de Louis-Philippe, il remplit plu-
sieurs missions à l'étranger. Grand ofiicier de
la Légion d'honneur depuis 184G, M. de Béarn
fait partie du Sénat depuis 1854, et y remplit
les fonctions de secrétaire.

BÉARNAIS
AISE s. et adj. (bé-ar-nè, è-ze).
Géogr. Habitant du Béarn ; qui a rapport au
Béarn ou à ses habitants : Mouton, bœuf BÉAR-
NAIS. Patois BÉARNAIS. La mère d'Henri IV
chantait une chanson BÉARNAISE en accouchant
de lui. (***) Les BÉARNAIS sont, en général, iras-
cibles et jaloux. (A. Hugo.) Il salua poliment
le jeune homme, et sourit en recevant son com-
pliment, dont l'accent BÉARNAIS lui rappela à
la fois sa jeunesse et son pays. (Alex. Dum.)
— Hist. Le Béarnais, Nom par lequel on
désigne souvent Henri IV : Le cœur a failli
au roi; sans cela, LE BÉARNAIS eût été dague.
(Balz.)
— Encycl. I. Econ. rur. Mouton béarnais.
Le mouton béarnais est l'un des types les plus
disgracieux qui existent. Son corps est mince,
peu laineux, très-haut monté sur de grosses
ïambes nues ; l'encolure est forte et longue ;
la tête busquée, lourde et pourvue de cornes.
La laine, très-grosse, pendant en brins isolés
ou formantdes mèches pointues, nepeutservir
qu'à la confection des étoffes les plus gros-
sières. Comme compensation, le mouton oéar-
nais se distingue par une force réellement
prodigieuse : il grimpe sur les rocs les plus
escarpés, et pâture sur les pentes abruptes tjes
vallées d'Oloron et de Baréges. Il fournit une
viande assez bonne, et les brebis donnent beau-
coup de lait. Quoique répandue principalement
sur les Pyrénées occidentales, cette race s'é-
tend jusqu'au nord de la Garonne, où quelques
troupeaux sont conduits en descendant des
montagnes. Après avoir passé tout l'été sur
les Pyrénées, les moutons béarnais viennent
dans la plaine au mois de septembre ou d'oc-
tobre; c'est alors l'époque de la tonte. Pen-
dant l'hiver, ils sont très-mal nourris; mais
leur constitution est si vigoureuse, qu'elle leur
permet d'attendre, presque sans dépérir, le re-
tour du printemps. Quant à améliorer ces ani-
maux, il y a peu de temps encore que personne
n'y songeait : les contrées qui sont leur séjour
habituel exigeant avant tout des bêtes sobres
et robustes, on croyait que la race béarnaise,
façonnée par le temps et par les circonstances,
était seule capable d'y vivre. Des faits po-
sitifs sont venus démontrer la fausseté de cette
croyance. Depuis quelques années, en effet,
des croisements ont eu lieu, soit avec les mé-
rinos, soit avec les métis mérinos, et ont donné
des résultats très-satisfaisants; tout en acqué-
rant des qualités nouvelles, les produits n ont
rien perdu de leur vigueur, et ils vivent sur
les montagnes presque aussi facilement que
les animaux de race pure.
— Bace bovine béarnaise. La race bovine
béarnaise occupe le bassin de l'Adour. Elle
habite tantôt la plaine et tantôt la montagne.
Comme celles de l'Ariége, les bêtes des mon-
tagnes passent l'hiver dans les villages.et vont
pacager pendant l'été sur les Pyrénées.
La race béarnaise forme cinq groupes dis-
tincts, mais qui se ressemblent tous par des
caractères bien déterminés : poil jaune ou
rouge pâle, unicolore, ou seulement d'une
nuance plus claire autour des yeux et à la
face interne des membres; cornes fortes, lon-
gues, généralement très-relevées ; membres
bien d'aplomb, solides, et cependant fins ; corps
un peu long et variant beaucoup de poids et
de formes, selon les pays et les individus.
Nous allons maintenant passer rapidement
en revue chacun des cinq groupes qui com-
posent la race bovine du bassin de l'Adour.
1° Bœuf bigorrais ou tarbais. Cette variété,
à tête très-forte et de taille moyenne, est plus
propre au travail qu'à la lactation. Elle fournit
de bonne viande de boucherie et peut prendre,
avec un bon régime, de grands développe-
ments.
2° Bœuf d'Oloron. Les trois grandes vallées
-situées au sud d'Oloron possèdent chacune
leur type de bétail. Vers l'est se -trouve le
bœuf a'Ossau, qui tire son nom de la vallée
qui le produit. Il a le corps décousu, la tête
petite, carrée et gracieuse ; les yeux à fleur
de tête, le bassin étroit, et, par conséquent, le
train postérieur peu développé. La vallée
d'Ossau nourrit un nombre d'animaux qui se-
rait excessif relativement à son étendue, si
elle en était réduite à ses seules ressources.
Heureusement, en vertu d'un édit de Henri IV,
les habitants ont le droit d'envoyer pendant
l'hiver tout leur bétail sur la lande du Pont-
Ltng, à 4 kil. de Pau, sur la route de Bor-
deaux. Le même édit leur accorde le droit
de faire parquer leurs troupeaux deux fois
par an sur une des places de la ville de Pau.
Le bœuf d'Aspe naît dans la vallée de ce
nom, la plus vaste de celles qui convergent
vers Olorou. Il a lé corps trapu, le bassin
ample, la croupe relevée, la tête courte, l'œil
grand et bien ouvert, les membres courts,
garnis de muscles gros et puissants dans les
rayons supérieurs. Les animaux de la vallée
d'Aspe sont très-estimés ; ils sont vigoureux,
énergiques, très-agiles, et peuvent résister
longtemps aux plus rudes travaux. De vastes
montagnes nourrissent les troupeaux pendant
l'été, et la belle plaine de Bedous fournit des
ressources pour l'hiver.
La gracieuse vallée de Baréton, nommée
dans le pays Jardin du Béarn, est pour l'es-
pèce bovine ce que l'Arabie est pour l'espèce
chevaline; elle possède, dit M. Mousis,une
race excessivement'distinguée, qui fait l'admi-
ration de tous les connaisseurs. Le bœuf ba-
réton a le corps allongé, svelte, quoique près
de terre, l'encolure mince avec un fanon peu
développé, les cornes blanches, la croupe
haute, les membres fins. Il est remarquable
par sa fierté et son aptitude au travail. Le
bœuf d'Ossau, celui d'Aspe et celui de Baréton
forment ensemble la variété dite d'Oloron,
uniquement parce qu'elle est élevée aux envi-
rons de cette ville.
3° Bœuf basque. Le bœuf basque, de l'arron-
dissement de Mauléon, petit, trapu, mais vi-
goureux, agile, très-propre au travail, se
confond assez souvent avec le bœuf des
Landes, auquel il ressemble beaucoup.
40 Bœuf de La Chalosse. Le bœuf de La Cha-
losse, encore appelé haget, .de Hagetmau,
chef-lieu d'un canton où l'on en élève beau-
coup, se trouve surtout dans la fertile contrée
qui s'étend entre Dax et Pau, et entre le gave
de cette dernière ville et l'Adour. Il a le corps
volumineux, les côtes plates, le flanc déve-
loppé, la robe d'un rouge pâle ou d'un jaune
froment, avec une espèce d'auréole plus pâle
autour des yeux. C'est un bœuf de plaine, plu-
tôt grand que bien conformé. Il s'engraisse
rapidement après avoir servi au labour.
50 Bace marine, de Marennes ou des Landes.
Elle s'étend depuis la mer jusqu'au nord de
Mont-de-Marsan, C'est la vraie race des
, Landes, petite, mais bien conformée, sobre,
I nerveuse, très-agile, à jambes courtes, à œil
| vif, àchanfrein enfoncé, àrobe jaune, souvent
j enfumée sur la tète. Cette sous-race et la
précédente sont nourries dans les arrondisse-
ments de Mont-de-Marsan, de Saint-Sever et
de Dax, avec des soins et une minutie que
l'on a peine à croire si on ne les a vus. a La
pièce qui sert de cuisine, dit M. Magne, n'est
séparée de la bouverie que par un mur. Une
ouverture, nommée arieste, ristou, râtelier,
fait communiquer les deux pièces. Cette ou-
verture, élevée de 0 m. 70 à 0 m. 80 au-dessus
du sol, haute à peu près de 1 m., est plus ou
moins longue selon le nombre d'animaux aux-
quels elle doit servir. Elle est garnie d'un
châssis divisé, par des pièces de bois verti-
cales, en plusieurs ouvertures pouvant être
fermée"s au moyen de planches qui glissent
dans une coulisse.
» Pour prendre leur repas, les bœufs pas-
sent la tête à travers ces ouvertures, et on les
force à rester tranquilles dans cette positionj
en tirant' en partie la planche à coulisse qui
ferme le râtelier. Quelquefois on fixe les ani-
maux deux à deux au moyen d'une pièce de
bois disposée en joug. Le bouvier porte le
fourrage dans sa cuisine, et là, assis à côté de
son feu, il distribue la nourriture à ses ani-
maux, bouchée par bouchée. Chaque bouchée
est composée de paille, d'herbes grossières ou
de feuilles sèches, qu'on entoure avec un peu
de bon foin, quelques feuilles de maïs ou de
choux, des pelures de navet, ou avec toute
autre friandise. De cette manière, on nourrit
bien les animaux avec des fourrages mé-
diocres; mais c'est aux dépens des malheureux
bouviers, qui ont à peine le temps de se re-
poser. Dans les charrois, à la halte, sur les
marchés, on les voit debout devant leurs
bœufs, leur distribuant leur repas bouchée par
bouchée. Les animaux, habitués à prendre
ainsi leur nourriture, ne savent pas manger au
râtelier. Ils souffrent même pendant quelque
temps, quand ils arrivent dans une ferme où
l'on n'a pas l'habitude d'affourager ainsi, »
Comme la plupart des races bovines élevées
sur les montagnes, la race béarnaise possède
une force, une sobriété, une rusticité, qui la
rendent capable de supporter les plus fortes
chaleurs et les plus rudes fatigues ; mais elle
est, en général, mauvaise pour le lait ; quelques
variétés sont très-petites ; d'autres, à ces dé-
fauts, joignent une conformation défectueuse.
L'amélioration des formes serait assurément
très-facile, ce n'est qu'au peu de soins des
éleveurs et des gardiens auxquels sont con-
fiées les bêtes de montagne qu'il faut attribuer
l'infériorité de la race béarnaise sous ce rap-
port. Quant à la taille, il serait peut-être im-
prudent de vouloir l'agrandir : chacun sait
qu'il existe un rapport constant entre la taille
des animaux et la fertilité du sol qui les pro-
duit. Si tel pays n'a que des bestiaux de petite
taille, c'esl qu'il est incapable d'en nourrir de
lus grands. Les qualités laitières de la race
éarnaise laissent en général beaucoup à dé-
sirer. Leur amélioration serait aussi facile que
profitable. En effet, si, d'une part, la production
du lait est le plus souvent en rapport avec la
nature du sol, de l'autre, elle dépend aussi de
la culture, des soins plus ou moins intelligents
dont les animaux sont l'objet, et surtout de
l'hérédité, qui permet de conserver des apti-
tudes là où la nature les produirait difficile-
ment. L'utilité d'une telle amélioratiion est
incontestable ; mais elle devient encore plus
évidente quand on songe à l'immense popula-
tion de bêtes bovines qui vivent sur les Pyré-
nées occidentales, et dont le lait n'a aujour-
d'hui presque aucun emploi.
IL — Ph'ilol. Le patois, ou pour parler plus
exactement, l'idiome béarnais, car c'est une
véritable langue, se rattache au grand groupe
des langues romanes ou néo-latines, dans
lequel il occupe une place importante. Le
territoire où se parlait et se parle encore le
béarnais comprend le Béarn tout entier, c'est-
à-dire les arrondissements actuels de Pau,
d'Oloron et d'Orthez. M. Mazure, dans son
excellente Histoire du Béarn, examine l'opi-
nion de ceux qui voudraient trouver des rap-
ports intimes entre le béarnais et l'espagnol.
« D'abord, dit-il, il faut savoir de quelle langue
espagnole il est question; il ne peut s'agir que
du castillan, langue actuelle de l'Espagne. Or,
c'est seulement au xvc siècle que la langue
castillane est devenue l'idiome commun de
toute la nation. Dans les premiers siècles où
s'est parlé l'idiome béarnais, la région du nord
de l'Espagne parlait généralement la langue
catalane, appelée aussi limousine. Dans ces
premiers siècles, lors des fréquentes relations
du Béarn et de l'Aragon, le castillan, alors peu
formé, n'était point dominant dans la région
ultrapyrénéenne. Ce serait donc avec e ca-
talan, plutôt qu'avec le castillan, qu'il faudrait
chercher cette affinité première que l'on sup-
pose, pour expliquer les origines du béarnais.*
Le meilleur travail et le plus complet qui ait
été jusqu'ici publié sur le béarnais est la Gram-
maire Béarnaise de M. Lespy (Pau, 185S, in-8°).
C'est à ce livre que nous empruntons la ma-
jeure partie des détails que nous allons mettre
sous les yeux des lecteurs, pour leur donner
une idée nette et précise d'un des patois les
plus caractéristiques de la France méridionale.
De bonne heure, les Romains, après avoir
soumis la Gaule, s'établirent dans la zone
représentée aujourd'hui par le Béarn. La ville
principale, Beneharnurrij dit M. Lespy, qui se
trouvait entre Maslacq et Lagor, au sud-est
d'Orthez, fut ou contenue ou protégée par
une ceinture de portes fortifiées (castella).
Quatre villages situés autour de cet emplace-
ment portent encore des noms qui nous l'at-
testent : Castetis, Castitlon, Castetbon, Cas-
tetner. Il y a plus : le Béarn fut pour les
conquérants une sorte de lieu de plaisance.
De nombreuses ruines attestent, du reste, le
passage des Romains. Mais, ajoute M. Lespy,
ce qui témoigne mieux encore des rapports
longs et directs qui existèrent entre le Béarn
et Rome, c'est le langage parlé dans notre
contrée. L'empreinte latine y est aussi pro-
fonde, et peut-être mieux marquée, que dans
les idiomes auxquels les philologues ont
donné les noms de fils aînés du latin : le pro-
vençal, le languedocien, le catalan, etc., etc.
A l'appui de son opinion, M. Lespy cite une
série de mots béarnais très-caractéristiques,
en les rapprochant de leurs types latins. Nous
empruntons à cette liste quelques-uns des
exemples les plus frappants qu'elle contient :
audir, audire (entendre); grey, grex (trou-
peau) ; homo nesci, komo nescius (homme in-
sensé, qui ne sait pas ce qu'il fait) ; irai, iratus
(irrité); numerat, numeratus (nombre) ; reu,
reus (accusé, défendeur); scriber, scribere
(écrire), etc., etc. Ces exemples appartiennent,
il est vrai, non pas au béarnais moderne, mais
à l'ancienne langue, dont l'époque est com-
prise entre le xie et le xivc siècle, et qui nous
a été conservée par un monument fort pré-
cieux, les Fors de Béarn, ouvrage de législa-
tion locale. M. Lespy démontre aussi que le
béarnais contient une certaine proportion d'élé-
ments helléniques, quoique en inoins grand
nombre qu'on ne le croit généralement. En
voici quelques exemples : abraca (raccourcir),
qui vient du grec brachus (court) ; esperreca
(déchirer), qui vient de sparassô, même sens;
esquissa (déchirer une étoffe), de schizô
( fendre, déchirer) ; gaumas (chaleur acca-
blante) , de kauma, même signification; tru-
phas (se moquer), de truphao (faire le fier, le
dédaigneux). M. Lespy pense que ces mots
viennent peut-être de Marseille, l'ancienne
colonie phocéenne. De la Provence, ils se
seraient, dit-il, introduits jadis dans le Lan-
guedoc, et celui-ci les aurait transmis au
Béarn ; ou bien, ils nous ont été laissés par les
Grecs eux-mêmes, s'il est vrai, comme on l'a
rétendu, que des colons grecs se soient éta-
Hs dans notre contrée avant les Romains.
Cette opinion se fonde sur ce que plusieurs de
nos villages ont des noms de la plus parfaite
' pureté grecque : Athos, Abydos, Gelos, Lagos,
Syros, etc. A ce propos, M. Lespy s'élève
contre la spirituelle, mais trop ingénieuse hy-
pothèse, qui veut que Marguerite de Valois et
Marot, hôtes illustres du château de Pau,
aient répandu ces noms antiques dans le Béarn.
Il fait fort judicieusement remarquer que ces
noms se trouvent dans les Establissements de
Béarn (U87, Archives des Basses-Pyrénées).
A cette époque, dit-il, ni Marguerite de Va-
lois, ni Marot n'étaient encore nés.
Les caractères génériques du béarnais sont
l'emploi de l'article, l'absence de déclinaisons,
la substitution des prépositions aux cas, pour
exprimer les divers rapports que les mots
ont entre eux: la conjugaison effectuée au
moyen de verbes auxiliaires; la disparition
des flexions grammaticales, c'est-à-dire, ajoute
M. Lespy, des formes terminatives auxquelles
on reconnaissait facilement, en latin, le rôle
des mots, quelle que fût leur place. L'accent
tonique joue un très-grand rôle dans les lois
phonétiques auxquelles obéit le béarnais. Il
peut affecter soit la dernière,soit la pénultième
syllabe , et il reproduit toujours fidèlement
l'accent tonique du latin. Ainsi, le béarnais
canta, qui vient du latin cantare, avec l'accent
sur le second a, est lui-même accentué sur ta;
le re tombé n'a modifié en rien la place de
l'accent. Au contraire, dans termi (terme,
limite du latin terminus), la syllabe accentuée
est ter, parce que, dans le latin terminus, c'est
également ter qui porte l'accent; la chute de
la terminaison nus a été sans influence. Du
reste, il est à remarquer qu'en béarnais, comme
dans toutes les autres langues néo-latines,
même dans le français, c'est toujours la syl-
labe accentuée qui a le mieux résisté aux con-
tractions, aphérèses, synérèses, etc.
Le plus ancien monument de la langue
béarnaise est, comme nous l'avons dit, le re-
cueil des Fors. Ce qui distingue principale-
ment cette langue plus ancienne de la langue
moderne et contemporaine, ce sont plutôt des
variations phonétiques, orthographiques et
lexicologiques, que des modifications syntaxi-
ques et grammaticales. Afin de mieux faire
saisir aux lecteurs la différence qui peut
exister entre ces deux idiomes d'époques diffé-
rentes, nous transcrivons et traduisons deux
fragments, qui peuvent servir à les déterminer.
Le premier, emprunté au recueil des Fors, est
la formule du serment que le seigneur doit
faire aux barons : o Prismerarnentz, es estât
establit et autreyat que, quant lo senhor en-
trara en Bearn, en possession, juri aus baroos
et a tote la cort de Bearn, que ed los sera fideu
senhor, et que judyara ab lor dreytureraments,
et que ne los fara prejudici. Et après, egs
debin jurar a luy qu'en seran fidels, et qu'en
thieran per senhor, per judyament de la cort.
C'est-à-dire : Premièrement, il a été établi et
octroyé que le seigneur, lorsqu'il entrera en
possession en Béarn, jure aux barons et à
toute la cour qu'il leur sera fidèle seigneur,
qu'il jugera avec eux selon le droit, et qu'il no
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leur fera aucun préjudice. Et, après, les barons
doivent lui jurer qu'ils lui seront fidèles, et
qu'ils le tiendront pour seigneur, par juge-
ment de la cour. » Pour le patois moderne,
nous citerons un fragment de poésie de Na-
varrot, qui aura le double avantage de donner
aux lecteurs une idée de la langue et du sen-
timent poétique moderne : « Bouques resquet-
tes — tant beroys œlhoas — tendres bermelhous
— cors tajoens y ta tilhous — entratz bloun-
detes, — entratz brunetes — bienetz palhetes
— flour de la sason — bienetz per bandes —
fourma guirlandes — y plates-bandes — sus
lou berd gazon! Littéralement : bouches si
fraîches — si jolis yeux — joues si roses —
tailles si jeunes et si flexibles — entrez blon-
dettes — entrez brunettes — venez châtai-
nes — fleurs de la saison — venez par bandes
— former des guirlandes — et des plates-
bandes — sur le vert gazon. -
M. Lespy consacre, et avec raison, une
place importance aux règles phonétiques du
béarnais. En voici le résumé : a ne doit jamais
être accentué ; deux a ne valent qu'un a long ;
e au commencement et dans le corps des mots
ne prend l'accent que lorsqu'il est ouvert; cet
e sonne quelquefois comme un o doux dans le
corps des mots, par exemple, clarementz
(clairement) se prononce claromentz. Deux e
ne valent qu'un e long; e final prend l'accent
grave ou l'accent aigu, selon qu'il est ouvert
ou fermé ; dans les monosyllabes, e final étant
le plus souvent fermé, on ne l'accentue que
dans ceux où il est ouvert (accent grave).
Deux t ne valent qu'un i long, on les rem-
place quelquefois par y ; i final a un son peu
sensible dans quelques mots de deux syllabes,
et généralement dans les mots de plus de deux
syllabes. Dans un petit nombre de mots, on
met deux o, deux u, à la place d'un seul o,
d'un seul u. Parmi les diphthongues, il faut
remarquer les groupes où, qui se prononce
oou ; oa, qui se prononce oue ; au, eu, iu, qui se
prononcent oou, eou, iou. Le b remplace u;
ainsi vert devient berd; le d est généralement
muet à la fin des mots, après les liquides net r;
le g final, précédé de t, s'articule comme ch
dans tache; h est plus souvent aspiré que
muet;^ est souvent substitué 9. y ; In, nh ont
la même valeur que ill et gn dans grille et
régner; p se met quelquefois pour 6, à la fin
et dans le corps de certains mots il est muet;
r final est souvent muet ; s prend quelquefois
le son chuintant de ch; t permute avec d;x
et xs produisent souvent l'articulation du
groupe ch; z remplace s d h la fin des mots,
lorsqu'il ne s'efface pas dans la prononciation ;
après le t, il domine complètement sur lui, ou
bien il en affaiblit la prononciation forte.
Le béarnais reconnaît deux genres, le mas-
culin et le féminin. Les genres des substantifs
béarnais correspondent généralement à ceux
de leurs équivalents français. Le pluriel se
forme par 1 addition de s au singulier : lou die
fie jour) devient, par conséquent, lous dies
(les jours). Les noms terminés par une den-
tale t, d prennent s : lou nid (le nid) ; lous
nids (les nids). Les noms terminés par s, z
sont invariables. La presque totalité des noms
propres portés par des Basques sont des sub-
stantifs communs ayant une signification bien
déterminée. Nous citerons, parmi les plus ré-
pandus : barat (fossé); oelloc (beau lieu);
cazain (jardin); cazenave (case neuve); la-
borde (la grande); lapeyrère (la carrière);
Voustau (la maison), etc., etc. A ce propos,
M. Lespy fait remarquer que primitivement,
en béarnais, la particule de n'indiquait nulle-
ment la noblesse. Placée devant les noms
Fropres à. la suite des prénoms, elle indiquait
origine tout simplement (à peu près comme
le génitif patronymique des Grecs). Aujour-
d'hui encore, les paysans béarnais ont con-
servé l'habitude de faire précéder les noms
propres de la particule en question, ce qui fait
croire à tort au* étrangers qu'il y a là une
marque de vantardise ou un calcul de servilité.
Le béarnais semble avoir le privilège, si
rare chez les langues néo-latines, de former
des mots composés au moyen de la simple
juxtaposition. En voici quelques exemples :
camaligue (jambe, lien, jarretière)- plouro-
migue (qui pleure pour des miettes, pleurard) ;
poupebii (qui suce le vin, biberon), etc., etc.
Les adjectifs se divisent en deux grandes
classes : la première comprend ceux qui sont
terminés par une voyelle; la seconde, ceux
qui sont terminés par une consonne. Ceux qui
sont terminés par e ou i n'ont qu'une termi-
naison pour les deux genres. Les adjectifs
terminés par les voyelles fortes aa, a, e, é, ce,
ii, u, par «es diphthongues au, iu, où, ay, ey,
oy, n'ont pas, au féminin, la même terminaison
quau masculin; par exemple, saa (sain) fait
sane (saine) ; haroulé (folâtre) fait haroulère;
madu (mûr) fait madure; nau (neuf) fait
nabe; biu (vivant) fait bive; beroy (joli) fait
beroye, etc. Les terminaisons caractéristiques
du féminin, dans ces adjectifs, peuvent se ra-
mener aux désinences ne, re, be, de, le, e. En
réalité, le féminin n'est nullement formé du
masculin directement; c'est tout simplement
la forme latine primitive conservée à côté du
masculin modifié, et dans laquelle l'a final
s'est changé en e. Il y a un certain nombre
d'adjectifs en au, comme generau (général),
finau (final), etc.j dans lesquels on ne distin-
gue pas le féminin du masculin.
Les adjectifs terminés par les consonnes
bj d, l, Ih, m, n, r, s forment le féminin en
ajoutant simplement au masculin un e; ceux
qui se terminent en t, changent parfois cette
lettre en d devant e ; ceux en c changent cette
lettre en que ou gue. Le pluriel se forme
comme dans'les substantifs. Les adjectifs sont
susceptibles de jouer le rôle de noms et d'ad-
verbes avec la plus grande facilité. Les de-
grés de comparaison s'expriment par diffé-
rentes circonlocutions analogues à celles des
autres langues néo-latines congénères. Des
terminaisons spéciales servent à dériver des
diminutifs et des augmentatifs; ce système de
dérivation est très-riche et peut être consi-
déré comme aussi développé que celui de
l'italien. Les différentes classes d'adjectifs et
de pronoms reproduisent, avec des variantes
phonétiques, les types latins connus. La con-
jugaison béarnaise s'effectue à l'aide de deux
verbes auxiliaires esta (être), habe (avoir) ; elle
se divise en classes caractérisées, comme en
.français, par la désinence de l'infinitif. Les
temps et les modes sont identiques aux temps
et aux modes des conjugaisons françaises. La
différence des personnes est exprimée, comme
en latin, par des désinences particulières et
sans l'emploi du pronom personnel. Le béar-
nais dit, par un procédé aussi synthétique que
celui du latin : qu'ayrni, qu'aimes, qu'ayme
(j'aime, tu aimes, il aime). Une particularité
tout à fait spéciale au béarnais, c'est l'habi-
tude constante de faire précéder invariable-
ment le verbe, à toutes les personnes et à tous
les temps, de la particule que, ou, par élision
qu'. L'origine de cette particule, qui n'existait
pas dans l'ancien béarnais , est très-obscure,
et M. Lespy renonce à l'expliquer. Une chose
remarquable, c'est que ce que précède le
verbe des propositions principales, et jamais
celui des propositions subordonnées. Quelque-
fois, dans les propositions affirmatives, que
peut être remplacé par be, avec lequel il a
peut-être des affinités phonétiques ( qu éga-
lant parfaitement b). Le complément direct des
verbes transitifs est souvent précédé de a :per
fugir a justicie (pour fuir la justice). Le passif
se forme à l'aide d'une périphrase. On dérive
très-facilement des verbes de beaucoup de sub-
stantifs. La terminaison caractéristique des
adverbes est mentz, correspondant directe-
ment au français ment, à l'italien mente, etc.
Le béarnais a des interjections qui lui appar-
tiennent en propre ; telles sont : chit, chit,
pour appeler quelqu'un qui n'est pas loin; hop,
hey, pour appeler quelqu'un qui est loin ; haut
(courage); té, té, marque de surprise, etc.
Quant a la syntaxe, elle est basée naturelle-
ment sur les principes analytiques des langues
néo-latines, et emploie presque toujours la
construction directe. Il existe, en outre, un
certain nombre d'idiotismes, qui donnent à,
cet idiome un cachet d'originalité.
III. — Littér. béarnaise. Le Béarn ne paraît
pas avoir recueilli sa part dans l'épanouisse-
ment littéraire qui se manifesta au xne siècle,
sous la lyre des troubadours. Pourtant ce
peuple avait dû sentir l'imagination poétique
s'exalter en lui, dans les guerres contre les
Maures. On ne voit pas qu'un poëte béarnais
ait inscrit son nom parmi les pléiades poéti-
ques du xne et du xme siècle, dont on peut
lire les écrits dans les riches recueils déposi-
taires de la science littéraire du moyen âge.
Cependant, si l'on descend jusqu'au xivc siècle,
on trouve dans l'histoire de la littérature une
grande individualité, Gaston Phébus. Non-
seulement, dit M. Mazure, Gaston suscite les
talents, mais c'est lui-même qui est l'artiste,
qui est le po&te, qui compose des traités et des
chants d'amour, en même temps qu'il ordonne
des fêtes et qu'il édifie des châteaux, où les
rois ses successeurs naîtront un jour. Après
Gaston Phébus, poursuit M. Mazure, nous
ne trouvons pas plus de trésors de poésie
béarnaise que dans l'époque qui l'avait pré-
cédé. Il faut aller jusqu'au xvue siècle pour
trouver un poëte véritablement digne de ce
nom; nous voulons parler de Cyprien Des-
pourrins, dont les Cansous offrent des vers
ravissants, et qui souvent ont mis fort lar-
gement a contribution les chants populaires
dont les auteurs sont inconnus. Ces chansons
pastorales et anonymes existent en grand
nombre, principalement dans la vallée d'Ossau.
M. Mazure y constate une simplicité un peu
précieuse; mais il les trouve charmantes,
comme un bouquet de poésie. En dehors de
ces idylles, il y a aussi dans la vallée d'Ossau
des chants nationaux et historiques fort inté-
ressants, et empruntés en général aux grands
événements de l'histoire de France. Il y a,
entre autres, une espèce de complainte, em-
preinte d'un sentiment naïf et touchant, sur la
captivité de François Ier.

BÉARNAISE
s. f. (bé-ar-nè-ze — rad. béar-
nais). Nom donné à une ligne d'omnibus en
usage à Paris avant l'organisation de la
Compagnie générale.

BÉAT
ATE adj. (bé-a, a-te— du lat. beatusj
heureux; nom que les chrétiens ont applique
à ceux qui jouissent en paix, dans le ciel, de
la gloire éternelle). Doux, calme, paisible,
sans inquiétude et même sans réflexion : Une
vie BÉATE. Une BÉATE indifférence. Le père se
plaint qu'on ait troublé la BÉATE tranquillité
de son existence. (Balz.) Tu as raison, ma
fille, dit-il d'une mine BÉATE. (Cl. Rob.) Les
rideaux étaient à demi clos, et ne laissaient pé-
nétrer qu'un jour mystérieux, ménagé pour une

BÉATE
rêverie. (Alex. Dum.) J'ai toujours aimé
les couvents^ et rêvé cette vie molle et BÉATE.
(G. Sand.)
— Qui témoigne d'une dévotion douce et
naïve, en bonne ou en mauvaise part : Un
air BÉAT. Un sourire BÉAT, H Faussement, hy-
pocritement dévot : L'évêque de Troyes allait
passer deux jours à Paris, et s'en retournait
dans sa retraite, sans avoir paru ni rouillé, ni
BÉAT, ni déplacé, ni gâté. (St-Sim.) Entendre
railler le droit, la justice, la vérité, en lan-
gage BEAT et poli, fait monter en moi une
sourde colère. (Mme L. Colet.)
— Titre donné autrefois à différents reli-
gieux et religieuses : Notre BÉATK mère.
— Substaniiv. Personne heureuse et tran-
quille : Le vieux garçon est un BÉAT, en com-
paraison de l'homme marié. (Balz.)
— Dans le stylo ecclésiastique, Bienheu-
reux, personne qui a été béatifioc. il Personne
qui jouit d'une grande réputation de sain-
teté : Castel dos Bios pressa le roi d'employer
son autorité pour faire révoquer la condamna-
tion que la Sorbonne avait faite des livres
d'une BÉATE espagnole, qui s'appelle Marie
d'Agreda. (St-Sim.)
Tu cours chez ta béate, au cinquième étage.
VOLTAIRE.
Mon doux béat très-peu me répondait.
Riait beaucoup, et plus encor buvait.
VOLTAIRE.
Son œil tout pénitent ne pleure quVau bénite;
Pour béate partout le peuple la renomme.
IIÊGN1EU..
Il Se dit souvent d'im bigot, c'est-à-dire
d'une personne qui affiebo de grands airs de
dévotion : ,
Sans oublier, comme vous pouvez croire,
Du bon Turpin le ventre de prélat,
Son teint fleuri, son regard de béat.
A. CllÉNlEtt.
— Nom que portaient certains moines et
même les moines en général : Faire des au-
mônes aux BÉATS. Il S'est dit aussi de cer-
taines femmes qui, sans avoir fait de vœux,
portaient l'habit de religieuse.
— Jeu. Celui qui a tous les avantages do
la partie, sans en courir les chances mau-
vaises ; celui qu'on exempte de payer sa
quote-part : Nous sommes cinq pour jouer le
dîner; faisons un BÉAT, et jouons deux contre
deux. (Acad.) Il V. en ce sens.
-— Syn. Béai, bigot, cafard, engot, hypo-
crite, tartufe. Hypocrite est, de tous ces mots,
celui qui convient le mieux au style sérieux,
et dont la signification est la plus large ; il
s'applique, non-seulement a celui qui, pour
tromper, se couvre du masque de la religion,
mais encore h tous ceux qui affectent fausse-
ment des sentiments nobles, pour se rendre
intéressants ou pour arriver a des fins inté-
ressées. Les cinq autres mots se rapportent
tous à la fausse religion. Le béat affecte un
air de béatitude ; il veut surtout attirer l'ad-
miration des vrais dévots. Il y a dans le bigot
de la sottise, de la faiblesse jl'esprit ; il veut
qu'on le croie religieux sur Je seul témoignage
des petites pratiques auxquelles il se livre. Le
cagot -Affecte l'austérité; il est négligé dans
sa mise, comme les moines qui portaient la ca-
goule ; il est d'un rigorisme outré et crie sans
cesse contre les plaisirs et les libertés du
monde. Le cafard est doucereux, pateli»,
fourbe; il se rapproche du béat, qui est tout
confit en dévotion, mais il mord ceux qu'il sé-
duit par son air caressant. Enfin, le tartufe,
c'est Vhypocrite qui, comme celui de Molière,
prêche la vertu, prétend diriger les autres
pour les mieux dépouilles, et découvre effron-
tément ses desseins quand il croit n'avoir plus
rien à craindre.
BÉAT (SAINT-), bourg de France (Haute-
Garoune), ch.-l. de cant., arrond. et a 37 kil.
S. de Saint-Gaudens, au confluent de la Ga- ^
ronne et de la Pique; pop. aggl. 962 hab. —
pop. tôt. 1,163 hab. Ruines d'une tour carrée,
seuls restes des anciennes fortifications, et,
sur un rocher,,débris d'un château fort du
moyen âge.
BÉATE s. f. (bé-a-te — rad. béat, titre que
l'on donnait aux moines). Autrei. Aumône
faite à des moines.

BÉATEMENT
adv. (bé-a-te-man — rad.
béat). Avec une douce tranquillité : Madame
Lemoine s'était BÉATEMENT endormie sur son
tricot. (Ad. Paul.)
— Avec un air d'hypocrite dévotion : Elle
baisse BÉATEMENT les yeux.

BEATEKBERG
village et montagne de la
Suisse, cant. de Berne, district d'Interlachen,
près du lac de Thun; 974 hab. protestants. La
montagne, qui porte le même nom, voisine du
village, s élève à 1,118 m. Aux environs, on
remarque la grotte de Saint-Béat, l'une des
plus remarquables de la Suisse par sa gran-
deur (150 m. de long), et par les stalactites et
les pétrifications qu'elle renferme. Son nom
lui vient de saint Béat, qui, premier apôtre
du christianisme en Hçlvétie, y vécut, y prê-
cha, y fit des miracles et y mourut en 112.
Cette grotte, objet de la vénération des fidèles
et lieu de pèlerinage, fut murée en 1556 par
ordre du gouvernement protestant. Aujour-
d'hui, elle est rendue à la dévotion des pèle-
rins et a la curiosité des touristes. *

BEATIA
ville de l'ancienne Bétique, au-
jourd'hui Baeza.

BÉATIFIANT
(bô-a-ti-fi-an), part. prés, du
v. Béatifier.
BÉATIFIANT, ANTE adj. (bé-a-ti-fi-an,
an-to — vad. béatifier). Qui donne la béati-
tude : Béjouissez-vous de ce que Dieu est une
nature heureuse et BÉATIFIANTE, qui fait set
délices de la bonté, qui se dégage sur tout ce
qu'il aime. (Boss.)

BÉATIFICATION
s. f. ( bé-a-ti-fi-ka-si-on
rad. béatifier). Acte par lequel le pape, as-
sisté du sacré collège, donne à une personne
décédée le titre de bienheureux, sans toute-
fois la proposer au culte de l'Église univer-
selle, et en restreignant a certaines commu-
nautés ou catégories des fidèles le droit de
l'honorer comme un saint : La BÉATIFICATION
ne peut avoir lieu que cinquante ans après la
mort du bienheureux. Le cardinal Lambertini,
pape sous le nom de Benoît XIV, a publié un
volume in-folio sur la BÉATIFICATION et la ca-
nonisation. (Trév.)
— Phys. Béatification électrique, Expé-
rience dans laquelle, au moyen de la lumière
électrique, laiôte d'une personne paraît être
environnée d'une auréole.
— Encycl. V. CANONISATION.

BÉATIFIÉ
ÉE (bé-a-ti-n-6), part. pass. du
v. Béatifier. Déclaré bienheureux, mis au
nombre des bienheureux : Leur ennemi ne
pouvait être BÉATIFIÉ, que leur cause ne fui
condamnée. (J.-L. de Balz.) Les animaux do-
mestiques, nos fidèles seroiteurs, bien plus pré-
cieux sans doute aux yeux de la raison que
les squelettes BÉATIFIÉS, tirés des catacombes de
Borne. (Fabre d'Eglantine.)
— Placé, élevé au rang des béatitudes :
L'ignorance n'a pas été BÉATIFIÉE par Jésus-
Christ.

BÉATIFIER
v. a. ou tr. (bé-a-ti-fi-ô — du
lat. beatus, heureux; facere], faire — prend
deux i de suite aux deux prem. pers. plur.
de l'imp. de l'ind. et du prés, du subj. : Nous
béatifiions, que vous béatifiiez). Mettre au
rang des bienheureux par L'acte solennel do
la béatification : Le 10 août du mois d'avril
1792, on AVAIT BÉATIFIÉ à Rome Benoit Labre.
(Chatoaub.) il Déclarer saint, donner pour un
saint : Les convertisseurs avaient grand soin
de le persuader de son salut, et de le BÉATI-
FIER par avance. (St-Sim.) Tous les autres
papes BÉATIFIAIENT le duc Philippe le Bon par
paroles et le glorifiaient par amour. (G. Chas-
tellan.) il Rendre heureux : Il fallait qu'il les
créât, BÉATIFIÂT et guérit. (Pase.) Dieu s'est
réservé de BÉATIFIER les êtres sortis de ses
mains, en les faisant parcourir diverses pé-
riodes de félicité. (Kératry.) il Rendre joyeux,
satisfait : Cette nouvelle l\ BÉATIFIÉ. (Acad.)
— Mettre au rang des béatitudes : Cette
pauvreté évangélique, que Jésus-Christ A BÉA-
TIFIÉE.
— Syn. Béatifier, canoniser. Béatifier dit
moins que canoniser; par la béatification, le
pape permet de considérer comme saint un
personnage dont la vie et la mort ont été édi-
fiantes, et il autorise, en son nom particulier,
le culte que certaines âmes dévotes pourraient
vouloir lui rendre ; par la canonisation, le
pape prononce comme juge après une longue
et minutieuse procédure, il ordonne l'inscrip-
tion d'un nouveau nom dans le canon des
saints reconnus par toute l'Eglise, et dès lors
tous les fidèles sont tenus d'honorer ce nom
comme appartenant à un habitant du ciel.

BÉATIFIQUE
adj. (bé-a-ti-fi-ke — rad.
béatifier). Qui béatifie, qui procure des joies
célestes, il N'est guère usité que dans la locu-
tion Vision béatifique, Extase douce et per-
pétuelle dont les élus jouissent par la con-
templation de l'essence divine : La VISION
BÉATIFIQUE est celle Que Dieu promet dans la
gloire éternelle. (Trev.) Le pape Jean XII
prétendait que les saints ne jouiraient de la
VISION BÉATIFIQUE qu'après le' jugement der-
nier. (Volt.)
_BEATIIA.ES S. f. pi. (bé-a-ti-lle ; Il mil.,
dimin. de beatus, heureux). Art culin. Me-
nues viandes délicates, telles que ris de veau,
crêtes de coq, foies gras, etc., que l'on sert
soit à part, soit dans des pâtés : Une assiette
de BÉATILLES. Enfin Phébus, étant à souper à
six pistoles par tête chez la Coi/fier, n'a pas
mangé de meilleurs pâtés de BËATII.USS que
ceux dont j'ai tâté tantôt. (Auteur du Fran-
cion.) *
— Menus objets de dévotion et autres,
comme agnus, pelotes, boîtes, etc.. qui se
confectionnent dans les couvents de femmes.
— Fig. et fam. Menus accompagnements,
petits détails intimes : Les BÉATILI.KS de l'hy-
ménée, ennuis, chagrins, dégoûts. (Lamotte.)
Beoti pauperes spiritu (Bienheureux les
pauvres d'esprit). Si l'on cherchait le sens de
ces premières paroles du Sermon sur la mon-
tagne dans l'application qui en est faite d'or-
dinaire, il faudrait admettre, comme oh le
fait généralement, que Jésus-Christ a glorifié
l'idiotisme". Ce sens ne peut être celui de l'E-
criture. Quelques interprètes ont traduit pau-
peres spiritu par pauvres en esprit, c'est-à-
dire détachés de tous les biens terrestres et
n'aspirant qu'aux vrais biens du ciel ; mais une
tradition erronée est souvent indestructible ; on
aditune fois et l'on dira toujours: Bienheureux
les pauvres d'esprit, en appliquant cette ex-
pression à ceux qui, dépourvus d'instruction
et de talents, voient cependant leurs affaires
prospérer : « Cet homme a fait une fortune
colossale en quelques années, et c'est a peine
s'il sait signer son nom : Beati pauperes spi-
ritu. »
C'est aussi en ce sens que l'application de
cette locution latine est faite dans les phrases
suivantes :
423
« Quoique le vicaire fût un de ceux aux-
quels le paradis doit un jour appartenir, en
vertu de l'arrêt Beati pauperes spiritu, il ne
pouvait pas, comme beaucoup de sots, sup-
porter l'ennui que causent d'autres sots. »
BALZAC.
« L'Univers préconise systématicfuement l'i-
gnorance. Hier encore, il protestait contre les
progrès de la raison humaine. 11 prend à la
lettre le texte Beati pauperes spiritu, et il a
naguère crié de toutes ses forces : « Abêtis-
> sea-vousl » Il faut bien qu'il prêche d'exem-
ple. » EM. DE LA BÉDOLIKRE.

BÉATIQUE
adj. (bc-a-ti-ke — du lat. bea-
tus, heureux). Néol. Qui exprime-la béati-
tude : Son visage un peu pâle, encadré dans
deux nattes de cheveux blonds, rappelait les

BÉATIQUES
figures des Vierges de Raphaël.
(De St-Georges.)

BÉATITUDE
s. f. (bé-a-ti-tu-de — lat. bea-
titudo, même sens). Félicité souveraine et
sans mélange d'inquiétude : On s'imagine que
la vraie BÉATITUDE est dans l'argent. (Pasc.)
J'ai trouvé, aussi bien qu'Aristote, que la BÉA-
TITUDE n'était pas dans le jeu, et de fait je ne
joue plus. (Volt.) Qui pourrait retracer l'é-
trange et solitaire BÉATITUDE des anachorètes
du premier âge? (Portalis.) Le but suprême de
l'âme, c'est la BÉATITUDE. (Charma.) La con-
séquence de la perfection, c'est la BÉATITUDE.
(Lacordaire.) La vérité est là perfection et la
BÉATITUDE de l'intelligence. (Lacordaire.)
— Par anal. Contentement, bien-être :
Manger peu, c'est le régime philosophique par
excellence, car les BÉATITUDES gastronomiques
se payent trop cher.
— Par dénigr. Sotte satisfaction : L'homme
pétri de vanité a la BÉATITUDE de la sottise.
(De Ségur. ) Z-es gastronomes n'éprouveront
plus qu'un regret au sein de leur BÉATITUDE,
c'est qu'on ne puisse pas trouver l'art de pro-
créer les truffes à volonté. (Ch. Dupin.)
— Théo). Félicité éternelle dont les bien-
heureux jouissent dans le ciel : Jouir de la
BÉATITUDE céleste. Seigneur, vous comblez vos
saints d'une BÉATITUDE toute pure. (Pasc.) Je
n'aime mon mari ni par devoir social, ni par
calcul de BÉATITUDES éternelles à gagner.
(Balz.) H Béatitude subjective, Bonheur des
élus, il Béatitude objective, Dieu, dont la pos-
session constitue ce bonheur.
— Hist. ecclés. Titre honorifique, donné
d'abord aux évèques, et réservé ensuite uni-
quement au pape : Le clergé demandait la
protection de Sa BÉATITUDE auprès du gouver-
neur. (Volt.) Nous mettrons Sa BÉATITUDE à
même de faire des miracles. (Balz.)
— Ecrit, sainte. Béatitudes evangéliques,
Les huit béatitudes, ou simplement Les béati-
tudes, Les huit moyens qui, d'après Jésus-
Christ, doivent assurer le bonheur souverain
à ceux qui les mettent en œuvre : Un prédi-
cateur avait ennuyé tout le monde en prêchant
les BÉATITUDES. Une dame lui dit, après le ser-
mon : H Monsieur, vous en avez oublié une. —
Laquelle ? reprit le prédicateur. — Celle - ci,
ajouta la dame : Bienheureux ceux qui n'é-
taient pas à votre sermon. »
— Encycl. Nous énumérons ici, sans com-
mentaire, les huit béatitudes, dans l'ordre que
Jésus lui-même leur assigna, dans son Sermon
sur la montagne :
10 Bienheureux les pauvres d'esprit, parce
que le royaume des cieux est à eux.
- 2» Bienheureux ceux qui sont doux, parce
qu'ils posséderont la terre.
30 Bienheureux ceux qui pleurent, parce
qu'ils seront consolés.
4° Bienheureux ceux qui ont faim et soif
de la justice, parce qu'ils seront rassasiés.
5° Bienheureux ceux qui sont miséricor-
dieux, parce qu'ils obtiendront miséricorde.
6° Bienheureux ceux qui ont le cœur pur,
parce qu'ils verront Dieu.
7° Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils
seront appelés enfants de Dieu.
80 Bienheureux ceux qui souffrent persé-
cution pour la justice, parce que le royaume
des cieux est à eux.
Béatitude OU de la Vie heureuse (DH LA.),
ouvrage de saint Augustin, qu'il écrivit à
trente-trois ans. Ce livre est adressé à Man-
lius Théodore, qu'il avait connu à Milan ; il se
distribue en trois entretiens ou conférences.
Après avoir distingué trois sortes de person-
nes parmi ceux qui reviennent à la sagesse et
à la tranquillité volontairement ou malgré
eux, ou qui ne les ont jamais perdues de vue
au milieu des tempêtes et des orages de la
vie, l'auteur refait au long un chapitre de ses
Confessions : il raconte son entraînement de jeu-
nesse vers l'étude de la philosophie, par la lec-
ture de YHortensius de Cicéron; son aveugle-
ment au milieu des manichéens ; ses agitations
d'esprit dans l'école de l'Académie; son retour
à la vérité, grâce aux exhortations de saint
Ambroise et de Théodore, à qui il écrit; l'a-
mour qui l'attachait encore aux plaisirs et à
la gloire, et, enfin, son entrée au port.
Après ce beau début, il supposa une con-
versation tenue, le jour de sa naissance, avec
sa mère, son frère, son fils, ses cousins et ses
deux disciples. Il fait convenir les interlocu-
teurs que? l'homme étant composé de corps
et d'âme, il faut nourrir l'âme aussi bien que.
le corps. Il propose ensuite ce sujet : - Puisque
tous les nommes veulent être heureux, il est
constant que ceux qui n'ont pas ce qu'ils veu-
lent ne sont point heureux ; » puis, il demande
- si ceux qui sont satisfaits dans leurs vœux
sont heureux. - La mère d'Augustin lui ayant
répondu qu'ils le sont, pourvu que ce qu'ils
veulent soit bon, il lui réplique aussitôt qu'elle
a trouvé le plus grand secret de la philoso-
phie. Les trois conférences du livre exposent
ce principe, que la vraie béatitude consiste
dans la connaissance de Dieu. Il n'y a que
Dieu qui remplisse l'âme, Dieu identique à la
Sagesse et à la Vérité. Pour conclusion, Au-
gustin recommande de chercher Dieu, afin de
parvenir à le connaître parfaitement, connais-
sance indispensable air souverain bonheur
ici-bas et à la vraie béatitude de l'âme. Dans
ses Rétractations, il corrige cette affirmation,
en remarquant que l'homme ne peut être en-
tièrement et parfaitement heureux en cette
vie, parce qu'il ne peut connaître Dieu par-
faitement que dans l'autre.
Citons, en terminant, cette appréciation de
M. Villemain : « La crise de méditation et de
foi retracée' dans les Confessions n'avait pas
été son épreuve dernière. Cette âme ardente,
au milieu du repos qu'elle s'était donné par la
volonté de croire, ne cessait de chercher l'ap-
pui du raisonnement. Un entretien Sur le Bon-
heur entre des âmes pures, que soutient et
inspire un homme de génie, dans la simplicité
d'une vie encore ignorée, et le pressentiment
d'une grande vocation, il y a là sans doute un
charme singulier... Ce qui n'avait été inspiré
qu'à peu de grands esprits, par une abstraite
contemplation de la vertu, trouvait maintenant
l'appui d'un Dieu rapproché de l'homme, sous
l'image la plus sublime et la plus pure, celle
de la vertu visible... Il ne suffit pas à l'âme de
jouir d'elle-même et de se contempler dans
l'orgueil de son sacrifice et de son effort; elle
a besoin d'un Dieu qui lui parle, et d'une sa-
gesse plus haute qui l'éclairé et la rassure.
C'est par là qu'Augustin achève et transforme
les nobles idées empruntées à la vertu anti-
que. »

BEATON
BÉTON ou BETHUNE (James),
prélat et diplomate écossais, né vers 1470,
mort en 1539. Il était archevêque de Glascow
lorsqu'il devint chancelier du royaume, en
1515. En 1523, il fut nommé archevêque de
Saint-André, la plus haute dignité ecclésias-
tique de l'Ecosse. Deux ans plus tard, il fit
partie du conseil de régence; mais, lorsque la
majorité de Jacques V eut été proclamée, le
pouvoir tomba entre les mains aAngus et des
Douglas, ennemis de Beaton, qui se vit alors
déchu de toute autorité, et fut même obligé de
se cacher dans les montagnes sous des habits
de berger. Une réconciliation ne tarda pas
néanmoins à s'opérer entre Angusetlui. Bea-
ton recouvra tout son crédit. Il en profita
pour raviver contre les protestants les persé-
cutions religieuses, et un grand nombre de
ces derniers, entre autres H. Forestet P. Ha-
milton, payèrent de leur vie l'affirmation du
droit de la libre pensée. Le dernier acte mar-
quant de Beaton fut la part qu'il prit au ma-
riage du roi Jacquesavec Marie de Guise.
BEATON, BÉTON ou BÉTHCNE (David),
cardinal, archevêque de Saint-André, en
Ecosse, né en 1494, était neveu du précédent.
Il persécuta cruellement les protestants, et pé-
rit assassiné en 1547. il avait été confident de
Jacques V et son garde des sceaux. Envoyé
en France par ce prince, en 1528, pour faire
avec François Ier un traité d'alliance contre
Charles-Quint, il fut chargé, en 1533, de né-
gocier le mariage du roi d'Ecosse avec Made-
leine, fille de François 1er; mais les négocia-
tions ne purent aboutir. Toutefois, en 1538,
Beaton amenait en Ecosse une autre reine,
Marie de Lorraine, fille de Claude de Guise,
qui devint la mère de Marie Stuart. A la mort
de son oncle, Beaton lui succéda sur le siège de
Saint-André (1539), et il reçut, bientôt après,
le chapeau de cardinal. Après la mort de Jac-
ques (1542), le comte d'Arran, devenu régent
pendant la minorité de Marie Stuart, donna à
Beaton le titre de chancelier, et celui-ci diri-
gea presque entièrement les affaires. Il épuisa
en débauches et en festins l'argent du trésor ;
mais il se signala surtout par sa haine fu-
rieuse contre les protestants. Non content
d'avoir chassé Knox de l'université de Saint-
André, il'fit brûler devant lui le célèbre et
éloquent Georges Wishart, et massacrer un
grand nombre d'hérétiques. Pour mettre fin à
ces cruautés horribles, quelques gentilshom-
mes pénétrèrent dans la chambre du prélat,
le poignardèrent et accrochèrent son cadavre,
revêtu de son costume de cardinal, à l'une
des fenêtres du château de Saint-André.

BÉATONIE
s. f. (bé-a-to-nî). Bot. Genre
de plantes peu connu, qui fait partie de la
famille des iridées, et paraît devoir être réuni
au genre cypello.

BEATRICE
graveur lorrain. V. BEATKIZET.
Béatrice di Tend a, opéra italien de Felice
Romani, musique de Bellini, représenté pour
la première fois à Venise, en 1833, et à Paris,
sur le théâtre des Italiens, le s février 1840.
Cette pièce est un mélodrame, dans le goût
des livrets mis en musique par M. Verdi. Phi-
lippe Visconti, duc de Milan et mari de Béa-
trix de Tenda, croit celle-ci coupable d'infidé-
lité et l'envoie au supplice, avec Orombello,
son prétendu complice. Agnès de Maino est
l'âme de ce sombre drame. Il y a dans cette
pièce une scène de torture très-dramatique,
j mais peu musicale, dans laquelle Mario était
1 admirable. La musique de Bellini est inégale
- dans cet ouvrage ; mais on sent presque par-
' tout la touche suave et pathétique de ce com-
positeur distingué. Cet opéra, chanté sur le
théâtre de Venise par la Pasta, Curioni et
Cartagenora, n'eut que quelques représenta-
, tions, et cela parce que Bellini n'acheva sa
partition que deux jours avant la fin de la sai-
son, c'est-a-dire le 1G mars 1833. Cette circon-
stance donna lieu à une polémique entre le
poëte, le classique Romani, et le compositeur.
Bellini prétendait que Romani ne lui avait pas
remis le libretto à temps, et Romani accusait
Bellini de négligence, lui.reprochant d'aimer
mieux à s'amuser qu'à écrire. A Venise comme
à Florence, où fut bientôt donné cet ouvrage,
oeuvre de deux talents distingués, bien faits
pour se comprendre, et qui restèrent toujours
unis, malgré le petit nuage que nous venons
de signaler; à Venise comme à Florence, di-
sons-nous, Béatrice di Tenda fut reçu avec
froideur. Toutefois, les avis furent partagés :
les uns soutinrent que l'opéra nouveau était
Slein de réminiscences, languissant et dénué
'originalité; les autres prétendaient, au con-
traire, y retrouver l'unité de style et la ma-
jestueuse sentimentalité qui caractérise la ma-
nière du maestro. A Paris, Béatrice di Tenda,
donné en 1840, pour le bénéfice de Miaù Per-
siani, avec le concours de cette cantatrice et
de Mario, transfuge de l'Opéra, n'obtint qu'un
assez médiocre succès. Il ne fut guère plus
heureux l'année suivante, malgré les efforts
de Ronconi et la curiosité qu'excitait le début,
dans le rôle d'Orombello, d un ténor espagnol,
don Manuel Ojeda. L'opéra de Béatrice di
Tenda fut repris le 22 avril 1S54, avec le con-
cours de' Grazziani et de Mme Frezzolini ; mais
cet essai rétrospectif ne servit qu'à prouver
que l'ouvrage ne réussirait jamais en France.
Il renferme pourtant des beautés de premier
ordre ; nous citerons surtout l'air
Come CadorOy
pour ténor; le joli chœur de femmes, encadré
dans des dessins d'orchestre dont l'effet est
des plus remarquables; l'air de basse
Qui SI accolse oppresso ;
le délicieux terzetfo
Anyioli di pacc,
chanté par les deux femmes sur la scène et
par le ténor dans la coulisse; l'air de soprano
Ah! se un urna,
et, enfin, la romance chantée par Mario,
Soffriiy soffrii tortura.
Toutefois, cela ne nous satisfait qu'à demi,
nous autres Français. Béatrice di Tenda peut
suffire à la nonchalance italienne; mais on au-
rait bien dû, par égard pour la mémoire de
Bellini, laisser cet opéra à l'écart de notre
salle Ventadour. La pièce en elle-même, nous
en demandons pardon à la mémoire du fameux
Felice Romani, comme l'appellent ses compa-
triotes, est un pauvre mélodrame du vieux
temps; il a de la barbe au menton et dépasse
la stupidité tolérée dans les livrets. En outre,
l'orchestre est faible, négligé, et, comme l'a
fait remarquer M. Théophile Gautier, quelques
mélodies dans ce genre plaintif qu'affection-
nait Bellini ne suffisent pas à racheter la pau-
vreté harmonique de l'ensemble. L'ensemble I
voilà la grande exigence des spectateurs fran-
çais; c'est aussi l'écueil, le grand écueil des
compositeurs italiens, qui, d'ailleurs, ne se
croient nullement obligés d'en tenir compte.

BÉATRIX
ou BEATRICE (sainte), martyrisée
à Rome en l'an 303 de J.-C., sous Dioctétien.
Ayant retiré du Tibre les corps de saint Sini-
pfice et de saint Faustin, ses frères, qui ve-
naient de subir le martyre, afin de leur donner
une sépulture chrétienne, elle fut, pour cette
raison, emprisonnée et étranglée dans sa pri-
son. Le pape Léon fit transporter les restes
des trois martyrs dans une église qu'il venait
de consacrer au culte. Depuis lors, leurs reli-
ques ont été déposées dans l'église de Sainte-
Marie-Majeure. Leur fête fut fixée au 29 juillet.
BÉATRIX, nom de plusieurs princesses du
moyen âge, dont les plus connues sont les
suivantes : BÉATRIX DE LORRAINE, comtesse
de Toscane, morte en 1076. Fille du duc de
Lorraine Frédéric, elle épousa, en 1036, Bo-
niface III, duc de Toscane, et de cette union
naquit une fille, qui devait être si célèbre sous
le nom de comtesse Mathilde. Veuve en 1052,
Béatrix administra les Etats de son époux, et
se maria en secondes noces avec le duc de
Lorraine Godefroi le Barbu, ennemi acharné
de l'empereur Henri III. Celui-ci, irrité de ce
mariage, parvint à s'emparer de Béatrix (1055)
qu'il garda deux ans prisonnière. Rendue à la
liberté, elle continua a. régner jusqu'à sa mort,
conjointement avec sa fille, préparant le rôle
que celle-ci allait jouer dans les démêlés du
pape et de l'Allemagne. — BÉATRIX DE BOUR-
GOGNE, fille du comte de Bourgogne Renaud,
épousa, en 1156, l'empereur d'Allemagne Fré-
déric Ier, auquel elle apporta en dot la Pro-
vence et une partie de la Bourgogne. Elle est
connue par un fait, raconté trois siècles après
sa mort par Krantzius, fort répété depuis
lors , mais dépourvu de toute authenticité.
Nous le mentionnerons ici, parce qu'il ne man-
que pas d'une certaine originalité. L'impéra-
trice Béatrix étant allée visiter Milan, récem-
ment asservi par l'empereur, fat saisie par
quelques mutins et promenée à travers la
ville, à califourchon sur un âne, la tête tour-
née vers la queue de l'animal. En apprenant
cet outrage, Frédéric accourut avec une ar-
mée, détruisit Milan de fond en comble, à l'ex-
ception de trois églises , et obligea chaque
Milanais, pour éviter le dernier supplice, à
venir ôter avec les dents une figue enfoncée
dans la partie la plus malséante de l'âne sur
lequel la princesse avait fait sa ridicule pro-
menade. Béatrix mourut en 1185. — BÉATRIX
DE SAVOIE, épousa, en 1220, Raymond Béren-
ger, comte de Provence, et mourut à Aix,
après avoir fait plusieurs fondations pieuses.
— BÉATRIX DE PROVENCE, fille de la précé-
dente et de Bérenger V, dernier comte do
Provence, morte à Nocera en 1267. Ello
épousa, en 1245, Charles d'Anjou, frère do
saint Louis, lui apportant en dot la Provence^
qui entrait ainsi dans la monarchie française.
Charles d'Anjou étant devenu roi de ÏSaples
et de Sicile, elle fut solennellement couronnée
avec lui à Rome, en 1265. — BÉATRIX, reine
- de Hongrie, née vers 1450, morte en 1508. était
i fille de Ferdinand, roi de Naples et d'Ara-
gon, qui lui fit épouser, en 1475, Mathias Cor-
vin, roi de Hongrie. Cette princesse, qui ai-
mait par-dessus tout le faste et l'ostentation,
contribua puissamment au développement dès
arts et des sciences en Hongrie, où elle ap-
pela un grand nombre d'artistes et de savants
étrangers. Mathias Corvin se montra très-
faible avec elle, au point de ne pas désigner
ouvertement pour son successeur Jean Hu-
niade, son fils naturel, qu'il voulait appeler au
trône après lui, n'ayant pas d'enfants légiti-
mes de son union avec Béatrix. Celle-ci se fit
un parti parmi les magnats, afin de pouvoir
choisir elle-même pour successeur de Mathias
celui à qui elle donnerait sa main. Malgré ses
intrigues, secondées par son frère, le cardinal
d'Aragon, qu'elle avait fait venir près d'elle
et nommer primat du royaume, elle fut com-
plètement déçue dans ses espérances. Le roi
Mathias étant mort presque subitement après
une longue discussion avec Béatrix, qui lui
avait vainement demandé de prendre des me-
sures pour lui assurer la couronne, on accusa
la reine de n'avoir point été étrangère à cette
mort. Lorsque Vladislas Jagellon eut été élu
roi de Hongrie, Béatrix tenta vainement de
se faire épouser par lui. Elle dut quitter le
royaume ; mais elle avait eu soin d'envoyer en
Italie la plus grande partie des diamants de la
couronne. Après avoir séjourné quelque temps
à Vienne, elle alla terminer ses jours à Ischia.
BÉATRIX PORTINARI, Florentine, née en
1266, morte en 1290, a été immortalisée par
l'amour et les vers de Dante. La passion si
connue du poëte pour cette femme, et qui eut
tant d'influence sur sa vie entière, naquit d'une
circonstance fortuite que Boccace raconte
ainsi dans sa Vie de Dante :
« C'était en cette saison de l'année, où la
terre sourit dans ses riches vêtements de vert
feuillage et de fleurs variées, que Dante vit
pour la première fois Béatrix, le 1er -\Q mai,
jour où, selon la coutume, Falco Portinari,
homme en grande estime parmi ses conci-
toyens, avait rassemblé chez lui ses amis avec-
leurs enfants. Dante, alors âgé de neuf ans
seulement, était du nombre de ces jeunes
hôtes. De cette joyeuse troupe enfantine fai-
sait partie la fille de Falco; elle avait à peina
atteint sa huitième année. C'était une char-
mante et gracieuse enfant, et de séduisantes
manières. Ses beaux traits respiraient la dou-
ceur, et ses paroles annonçaient en elle des
pensées au-dessus de ce que semblait compor-
ter son âge. Si aimable était cette enfant, si
modeste dans sa contenance, que plusieurs la
regardaient comme un ange. Cette jeune fille
donc, -telle que je l'ai décrite, ou plutôt d'une
beauté qui dépasse toute description, était
présente à cette fête. Tout enfant qu'était
Dante, cette image se grava soudain si avant
dans son cœur, que, de ce jour jusqu'à la fin
de sa vie, jamais elle ne s'en effaça. Le pro-
grès des années ne fit même qu'irriter sa
fiammej et toute sa joie, tout son bonheur
était d'être près de celle qu'il aimait, de con-
templer son beau visage. Mais tout en ce
monde est périssable. A peine Béatrix avait-
elle atteint sa vingt-quatrième année, qu'elle
mourut. Il plut au Tout-Puissant de la tirer de
ce monde de douleurs, et de l'appeler au séjour
de gloire préparé pour ses vertus. A son dé-
part, Dante ressentit une affliction si profonde,
si poignante, ii versa tant de larmes et de si
amères, que ses amis crurent qu'elles n'au-
raient d'autre terme que la mort seule, et que
rien ne pourrait le consoler. »
La figure de Béatrix est une des plus déli-
cieuses apparitions de \s,Bivine Comédie. Dans
son poëme immortel, Dante suppose que l'an
1300, au milieu du voyage de la vie, c'est-
à-dire à l'âge de trente-cinq ans, il parcourt
en esprit les trois royaumes des morts. Egaré
dans une forêt obscure, il arrive au pied d une
colline qu'il s'apprête à gravir. Trois animaux,
un lion, une panthère, une louve maigre et
affamée, lui ferment le passage ; et déjà, dans
son effroi, il revenait sur ses pas, lorsqu'une
ombre lui apparaît : c'est Virgile, qu'une dame
céleste, Béatrix, lui envoie pour le secourir
et le guider. Virgile, qui-est mort sans avoir
connu le vrai Dieu, ne peut accompagner lo
poète que dans les deux premiers royaumes,
et c'est sa chère Béatrix, symbole de la science
divine, qui l'introduit dans le paradis et lui en
fait parcourir toutes les sphères.
424
Le nom de Béatrix a passé dans le langage
poétique et signifie, par antonomase, une
amante belle, chaste et purej mais, le plus
souvent, ces allusions sont plaisantes, comme
dans la phrase ci-dessous de M. Th. Gautier,
qui est d'un comique achevé :
« Etre rencontré en bonnet de coton par sa
Béatrix! O fortune', pouvais-tu jouer un tour
plus cruel à un jeune homme dantesque et
passionné?
» Rodolphe se souhaitait sous la terre, à la
profondeur de la couche diluvienne ; il aurait
bien voulu pouvoir se supprimer temporaire-
ment, ou avoir à son doigt l'anneau de Gygès,
qui rendait invisible. » °
- THÉOPHILE GAUTIER.
« On sait avec qu'elle majestueuse lenteur
l'auditoire du théâtre des Italiens descend le
grand escalier. Une foule compacte arrêtait
à chaque pas la marche de M. d'Esparon et
de sa belle compagne. Tous les yeux se diri-
geaient vers eux. « C'est la duchesse de
- Dienne et Octave d'Esparon, disait-on à
« demi-voix. — Le poète et la muse! — Dante
» et Béatrix! » ARMAND DE PONTMARTIN.
« La princesse Marie de Gonzague avait
surtout de la grâce, de l'indulgence, et un
charme qui opéra sensiblement sur cet excel-
lent et galant abbé de Marolles, plus encore
peut-être qu'il ne l'a dit et qu'il ne se l'est
avoué à lui-même."Elle disposa souveraine-
ment de lui durant des années. ïl était de sa
cour et de sa suite j il l'accompagnait dans ses
voyages. Je ne sais s'il était capable de se
former un idéal à la Béatrix, et j'en doute ;
mais s'il a eu un éclair de cet idéal, c'est à la
princesse Marie qu'il l'a dû. »
SAINTE-BEUVE,
Béatrix, roman par H.'de Balzac. V. SCÈNES
DE LA VIE PRIVÉE.
Béatrix ou la Madone do l'art, drame en
cinq actes, en prose, de M. Ernest Legouvé,
représenté pour la première fois sur le théâ-
tre de l'Odéon, le 25 mars 1861, et repris sur
le théâtre du Vaudeville, en mai 1865. La Béa-
trix de M. Legouvé, qui a servi aux débuts de
Mllie Ristori dans le drame français, est tirée
d'un roman du même auteur, publié en feuille-
tons, et, plus tard, recueilli en un volume sous
ce titre : la Madone de l'art, titre qui n'a plus
figuré ensuite qu'en deuxième ligne dans les
éditions successives qu'a eues le livre. La
surprise scénique entrait donc pour peu de
chose dans le succès de Béatrix: pour beau-
coup de spectateurs, elle n'existait point ; nous
voulons parler de ceux qui, ayant lu l'ouvrage
sous sa première forme, connaissaient d'a-
vance toutes les péripéties de la pièce; mais
là n'était pas le véritable intérêt de la soirée.
M. Ernest Legouvé s'entend à merveille à
ménager aux illustres tragédiennes la transi-
tion de la tragédie à la prose. - Il l'a prouvé,
dit M. Théophile Gautier, dans Advienne Le-
couvreur, où, prenant Rachel par le bout de
la main, il lui fait descendre les marches du
thymélè de la tragédie antique et la conduit
aux appartements du drame moderne, désar-
mée de son poignard et poudrée à la mode du
temps. On ne pouvait plus habilement mélan-
ger au dialogue les récitations de morceaux
tragiques à effet, où l'actrice était certaine de
provoquer les applaudissements, tout en s'ha-
bituant, dans les scènes intermédiaires, aux
familiarités du drame en prose. Cette fois, il
s'agissait, chose plus difficile, d'introduire une
étrangère dans l'art français. Quelque brillant
que soit l'accueil reçu par Mme Ristori, elle
avait jusqu'à présent combattu sous sa ban-
nière nationale et avec ses propres armes, et
c'était risquer une bataille inégale que de
quitter sa vaillante épée, si bien faite à sa
main.» — « Hâtons-nous, ajoute le critique,
un peu trop pressé, selon nous, d'emboucher
la trompette, hâtons-nous de dire que la vic-
toire n'a pas été douteuse un instant, et qu'un
éclatant triomphe a récompensé et légitimé
la hardiesse de Bradamante. » M. Jules Janin
va plus loin encore dans l'admiration que pro-
voque en lui le succès « inattendu, inespéré »
de Mme Ristori, t parlant sans hésiter, sans
trembler, comme on parle, et souvent mieux
qu'on ne parle, au Théâtre-Français. » Il n'a
pas assez de railleries pour ces Béotiens venus
des pays chauds, qui prétendaient, avec assez
de raison,ce nous semble,que la Ristori fran-
çaise avait de l'ascent. Mais le feuilleton du
critique des Débats, du 8 avril 1861, est monté
à un tel diapason, qu'on ne saurait le discuter
sans faire beaucoup de peine h son auteur,
Oublieux sans doute du peu d'empressement
qu'il apporta jadis a saluer la brillante appa-
rition de la Ristori aux Italiens. Alors, la Ris-
tori n'avait, pour l'applaudir et la défendre,
que quelques jeunes journalistes aussi incon-
nus qu'enthousiastes, et la critique sérieuse
attendait au coin de son feu que les premiers
coups d'arquebuse fussent échangés. Mais
nous ferons ailleurs cette petite histoire d'un
gros succès. Revenons à la pièce qui nous
occupe. La fable de Béatrix est des plus sim-
ples. Béatrix est une reine de théâtre, la plus
illustre et la plus adorée des comédiennes,
l'interprète la plus sublime des chefs-d'œuvre
de l'art dramatique; elle est mieux et plus que
tout cela encore : Béatrix est d'une beauté
BEA
incomparable ; la nature, qui l'a créée sans
doute dans un moment de générosité gran-
( diose, s'est plu à la parer de toutes les quali-
" tés physiques, et, pour que rien ne manquât à
son ceuvre, elle Va douée de toutes les vertus.
Béatrix est la pureté même; jamais le plus
léger soupçon n a effleuré sa robe de vierge ;
aussi, le sacristain dramatique qui la promène
à travers «l'Europe idolâtre», en soufflant
dans tous les serpents de paroisse qu'il peut
réunir, l'a-t-il surnommée la Madone de l art.
Béatrix est bonne, elle est généreuse, bien-
faisante, pleine de tendresse et de dévoue-
, ment; Béatrix est un ange, en un mot, une
t sainte, une divinité! Telle est l'héroïne que
' M. Legouvé n'a pas craint de mettre en scène,
. au risque d'impatienter les profanes specta-
j teurs, à la vue de ce rarissima avis, de cette
perle immaculée, de cette perfection trans-
| cendante et ultra-idéale. C'est un grand-duché
quelconque, en Allemagne, qui est le théâtre
l des exploits de Béatrix, et, dès que son arrivée
- 'est annoncée, dit M. Paul de Saint-Victor,
j - les chambellans sèchent sur pied, et le capi-
taine qui commande les forces de terre et d é-
i tang du duché escalade le balcon de la diva,
pour 'l'admirer de plus près. » Quant à la
grande-duchesse, elle reçoit Béatrix « comme
; si elles avaient gardé quelque chose ensem-
. ble », et son fils, le prmee Frédéric, conçoit
' pour la Madone de lart une de ces passions
! qui font que l'on a vu des rois épouser des
< bergères. Béatrix, toute sainte qu'elle est,
n'est pas assez détachée des choses de la
i terre pour ne pas écouter en son cœur l'écho
des douces paroles que le prince murmure à
son oreille; mais elle apprend qu'il est fiancé
à une jeune princesse, héritière d'un Etat
voisin, et, par une abnégation sublime, elle se
résigne à paraître indifférente aux protesta-
tions d'amour de Frédéric. Cependant, la
grande-duchesse, enthousiaste du talent de la
célèbre comédienne, l'appelle au château, et
lui demande d'y venir jouer, le soir d'une
f rande réception, le dernier acte de Bornéo et
uliette. Béatrix y consent ; mais qui fera
Roméo? Le prince Frédéric se propose, et les
rôles sont aussitôt mis à l'étude. Le soir venu,
la représentation a lieu ; mais Béatrix, oubliant
qu 'elle i oue la comédie et que son Roméo re-
deviendra tout à' l'heure le prince Frédéric,
s'abandonne à l'exaltation de son rôle et laisse
deviner son amour. Dès lors, le prince ne
connaît plus d'obstacles ; il offre sa fortune et
son nom a Béatrix, et celle-ci, après s'être un
peu fait prier, se laisserait aller peut-être à
accepter, si un incident imprévu (très-im-
prévu même) ne venait tout déranger. On ap-
prend que le grand-duc vient d'abdiquer en
Faveur de son frère, le prince Frédéric, et
c'est pour celui-ci le cas, ou jamais, d'épouser
la jeune orincesse à laquelle il est fiancé 1
Pauvre prince, auquel on donne un trône au
lieu d'amour I Pauvre Béatrix ! Mais non. Ce
n'est pas pour si peu qu'elle se laisse abattre :
impavidam feriunt ruinœ. Elle s'éloigne, fière
d'avoir trouvé l'occasion d'ajouter a sa cou-
ronne de vierge l'auréole de martyre 1 « Tout
est chimérique dans cette pièce, dit M. Paul
de Saint-Vctor; les idées, le milieu et les per-
sonnages. Où trouver, ailleurs que dans une
principauté de carton, bornée au nord par le
côté cour et au sud par le côté jardin, une
vieille princesse engouée à ce point de théâtre
et de comédiennes 1 Ce n'est point une douai-
rière, c'est une duègne parvenue ; ce n'est
pas dans YAlmanach de Gotha, c'est dans Y An-
nuaire théâtral que son nom devrait être in-
scrit. Le prince Frédéric n'est pas moins ab-
surde, avec sa métromanie erotique. Il y a de
la puérilité dans cette passion éclose aux feux
des quinquets. On dirait un lycéen allant au
théâtre en province pour la première fois, et
revenant ahuri d'amour pour le premier sujet
de l'endroit. Quant à la sublime Béatrix, je la
déclare maniérée, précieuse, affectée et vani-
teuse comme une paonne, sous ses airs de co-
lombe mystique ; son auréole en flammes de
Bengale luit faux à dix pas, et la thèse qu'elle
personnifie est insoutenable. D'après cette
théorie sublimée, les rosières seules pourraient
interpréter dignement les grands poètes, et le
talent dramatique serait un prix de vertu.
Comme si la vie privée, honnête ou déréglée,
sévère ou légère, avait un rapport quelcon-
que avec la vie imaginaire et fictive du théâ-
tre 1 Comme si l'expression ardente et vraie
des passions n'en supposait pas presque tou-
jours l'expérience 1 Cinquante noms de gran-
des pécheresses, qui furent en même temps
d'illustres actrices, se pressent sur les lèvres
pour réfuter ce paradoxe enfantin. Il y a des
exceptions, sans doute, et des exceptions écla-
tantes; mais elles sont assez rares pour con-
firmer la règle opposée à celle que soutient
M. Legouvé. n C'est, nous le répétons, Mme Ris-
tori, la célèbre actrice italienne, que Paris a
applaudie si longtemps dans Mirra, la Camma,
| Maria Stuarda et tant d'autres pièces, qui
remplissait le rôle de Béatrix. Elle s'y est fait
! applaudir ; mais il y a loin du succès qu'elle a
obtenu au triomphe éclatant que certains feuil-
letons se sont plu à signaler. Malgré l'auto-
rité de M. Jules Janin et de M. Théophile
. Gautier en ces matières, nous aimons mieux,
j et en cela nous croyons être dans le vrai,
. nous ranger de l'avis de M. Paul de Saint-
Victor. Voici ce que cet écrivain disait en mai
1865, lors de la reprise, au Vaudeville, de la
] Madone de Vavt, a propos de Mm& Ristori :
« ... Je n'ai rien à ajouter ni à retrancher à
1 l'impression qu'elle me fit, il y a quatre ans.
BEA
dans le rôle de cette madone apocryphe. Sans
parler même de son terrible accent, qui fausse
a chaque phrase le diapason du dialogue, une
contradiction continuelle éclate entrel'actrice
et la langue qu'elle parle. Mm*> Ristori parle
français dans la pièce de M. Legouvé, et son
geste, son regard, sa physionomie jouent en
italien. Tout, chez elle, est exagéré, tendu,
poussé au relief ; la nécessité de se faire com-
prendre des publics étrangers auxquels elle
s'adresse a grossi et boursouflé son talent.
Sa pantomime est celle de l'héroïne d'un vio-
lent ballet; son masque tragique grimace, à
force de vouloir être expressif. Elle souligne
la réticence, elle ponctue le soùs-entendu ; les
moindres nuances sautent aux yeux. Aucune
finesse, pas une demi-teinte. Sa voix, accou-
tumée à la sonorité des intonations du Midi,
brise â chaque instant la mesure que la prose
française inspire aux sentiments les plus forts.
Sa colère montre le poing, ses coquetteries
font la bouche en cœur. C'est Myrrha tout
entière à sa proie attachée, et cette proie,
c'est notre langue qu'elle tourmente et qu'elle
défigure. » Notons qu'à l'époque où le rédac-
teur de la Presse s'exprimait ainsi, quatre
années s'étaient écoulées depuis le premier
soir de l'Odéon; que l'actrice avait parcouru
la France et les pays étrangers, jouant par-
tout Béatrix, et que l'on s'accordait à dire
qu'elle avait fait des progrès dans la pronon-
ciation française. « Elle a encore de l'accent,
écrivait M. de Biéville dans le Siècle du 29 mai
1865 ; mais elle en a "beaucoup moins. » L'ac-
trice française ne fera jamais oublier la tragé-
dienne italienne ; c'est là, du moins, notre
avis. Acteurs qui ont créé Béatrix: M,Qe Ris-
tori, Béatrix; M'ic Ramelli, la grande-du-
chesse; MM. Ribes, le prince Frédéric; Feb-
vre, le comte d'Oldenbourg ; Thiron, Kingston ;
Kime, le major Kœrner, etc.
Béatrix Ceud (Béatrice Cenci, storia del
secolo xvi), roman historique de Guerrazzi.
C'est après sa chute du pouvoir et dans sa
prison, de 1850 à 1852, que le tribun toscan
écrivit cette sombre et sanglante histoire du
xvie siècle, qu'il publia à Bastia, pendant son
exil en Corse (1853). Les malheurs et la fin
tragique d'une jeune et belle Romaine,
Béatrix Cenci, forment l'objet de ce récit.
Elle était fille du comte François Cenci,
mari cruel, père infâme, capable de tous les
crimes, et le plus redoutable des barons ro-
mains. Guerrazzi déploie une grande puis-
sance d'analyse dans l'étude de cette nature
étrange et hideuse, n où il y avait de l'Ajax,
du Néron et du bandit vulgaire. » Ennemi de
Dieu et des hommes, audacieux autant qu'hy-
Êocrite, ce scélérat singeait Caltgula : il sou-
aitait que le soleil fut une chandelle, pour
avoir le plaisir de l'éteindre. Au commence-
ment du récit, on trouve le vieux Cenci médi-
tant, pour le compte d'autrui ou pour son
propre plaisir, un assassinat, un rapt et un
incendie. Cenci, pour qui la famille elle-même
n'existe pas, conçoit une infâme passion pour
sa fille, Béatrix, qui n'a que seize ans, et
l'accable de ses hideuses obsessions. Pour la
Sunir de sa résistance indignée, il l'enferme
ans son château de Rocca Petrella, résidence
lointaine et témoin ordinaire de ses débauches
et de ses crimes. Mais Béatrix a déjà inspiré
un sentiment aussi vif que pur à un jeune pré-
lat qui n'a pas encore les ordres, Guido Guerra ;
ce sentiment, elle le partage, bien qu'à travers
les barreaux de sa prison, et ils font de loin
un beau rêve d'avenir. Le vieux Cenci, déses-
pérant de soumettre sa fille à ses désirs in-
fâmes, profite, un soir, du sommeil de Béatrix
pour tenter sur elle le plus odieux attentat.
Mais, au moment où il va l'accomplir, Guido
Guerra, qui avait réussi à pénétrer dans le
château, le surprend et le poignarde. Le
meurtre accompli, Béatrix, seule, trouve en-
core des regrets pour un pareil monstre ;
quant aux domestiques, qui haïssaient le vieux
Cenci, ils témoignent bruyamment leur joie.
Guido Guerra leur distribue de l'argent, et
court se cacher à Rome. Mais l'un de ces
hommes, pour assurer le secret du meurtre,
en tue un autre dont il se défie : arrêté pour
cet assassinat et soumis à la torture, il avoue
tout ce qu'on veut. La justice, en ce temps-là,
c'était le pape, et le pape n'était qu'un homme.
Cet homme était Clément VIII, Aldobrandini,
c'est-à-dire un hypocrite doucereux,'avare et
féroce. Le saint-père convoite les biens im-
menses de la famille Cenci ; mais, pour les
confisquer, il faut que les enfants du vieux
Cenci soient reconnus coupables du meurtre
de leur père. Tous les membres de la famille
Cenci sont arrêtés : les frères de Béatrix, Jac-
ques et Bernardin ; et la seconde femme du
vieux Cenci, Lucrezia Petroni, vaincus par la
torture, avouent leur parricide imaginaire ;
Béatrix seule résiste aux tourments les plus
épouvantables , sans qu'on puisse arracher
d'elle aucun aveu. Ses frères et sa belle-mère,
chargés de chaînes et les membres brisés,
sont forcés d'assister aux tortures de Béatrix ;
ils la conjurent d'avouer, mais c'est en vain ;
Béatrix, sur le point d'expirer, proclame en-
core la vérité. Les bourreaux, qui ne com-
prennent pas qu'une âme aussi fière puisse
habiter un corps aussi délicat et aussi char-
mant, sont confondus par tant d'héroïsme : ils
hésitent; elle est peut-être sauvée. Malheu-
reusement, son avocat, un homme de talent,
mal inspiré cette fois, lui conseille d'avouer
qu'elle a tué son père en défendant son hon-
neur. Il espère la sauver par cet aveu men-
BEA
songer; elle suit ce conseil, et c'est ce qui la
perd. Condamnée par le pape, elle doit mou-
rir. Mais Guido Guerra, le véritable meurtrier,
n'a cessé, pendant le procès, de chercher à
voir Béatrix et à lui ménager une évasion. Le
jour même où l'exécution doit avoir lieu, il
s'introduit, déguisé en moine, dans le cachot
de sa fiancée, et là, un vrai moine les unit de-
vant Dieu. Quelques heures plus tard, au mo-
ment où le cortège débouche sur la place du
château Saint-Ange, il est assailli et dispersé
par une troupe d'hommes à cheval. C'est
Guido Guerra et ses amis, qui tentent un hardi
coup de main. Guido enlève Béatrix; mais la
fatalité veut qu'elle retombe dans les mains
de ses bourreaux.
Dans ce long roman historique, Guerrazzi
revêt successivement toutes les formes litté-
raires ; tantôt il affecte le style et le genre
byroniens, tantôt il fouille une étude et creuse
un portrait à la façon de Balzac; ici, il est
fantastique comme Hoffmann; là, il est ironi-
que et mordant comme Henri Heine. Mais la
passion politique et l'imagination l'emportent
souvent Inen loin des limites qu'il s'est assi-
gnées à lui-même, et, comme s'il trouvait in-
suffisants ses personnages, il se livre à de
fréquents monologues, et sa pensée active
remplace souvent les acteurs du drame. Aussi,
l'auteur se montre-t-il dans cet ouvrage sous
un grand nombre de faces : il y est à la fois
légiste, philosophe, artiste, écrivain éloquent
et habile, mais surtout homme politique.
Béatrix Cenci, tragédie en cinq actes, en
vers, par M. le marquis de Custine, représen-
tée pour la première fois sur le théâtre de la
Porte-Saint-Martin, le 21 mai 1833. L'histoire
des malheurs de Béatrix Cenci est assez con-
nue, pour que nous n'ayons pas besoin d'en
raconter les détails. Son procès et sa fin tra-
gique ont fourni un des épisodes les plus inté-
ressants du recueil des causes célèbres, et
l'abbé Angelo Maïo, bibliothécaire du Vatican,
a publié , sur des documents authentiques,
tous les événements de cette monstrueuse
affaire. C'est là qu'il faut aller chercher le vé-
ritable drame. Ni la tragédie de Shelley, « la
plus forte conception dramatique, selon Byron,
qui se soit produite en Angleterre depuis
Shakspeare, » ni la comédie héroïque de Bé-
raud, ni l'œuvre de M. de Custint; ne valent le
récit simple et touchant du parricide vertueux
et de la mort toute chrétienne de la pénitente
de Clément VIII, de cette jeune fille qui tue
son père pour échapper aux violences d'un
amour incestueux, et qui livre sa tête au bour-
reau pour ne pas déshonorer sa mémoire. En
1833, à l'époque de cette liberté sans bornes
dont jouissait le théâtre, avec cette tendance
qu'avaient les auteurs à braver toutes les
convenances, et avec l'indulgence du public à
le souffrir, le sujet de Béatrix Cenci était le
plus dramatique, le plus complet, le plus sai-
sissant qu'on pût choisir. Tout ce que les pas
sions ont de désordonné s'y trouve réuni : l'a-
mour et tout son délire, l'inceste et toute son
horreur, l'adultère et toute son audace. L'exal-
tation de l'honneur portée jusqu'au parricide:
il y avait là le sujet d'une tragédie effrayante
de terreur et de pitié. Il faut le dire, elle est
encore à faire. M. de Custine, et cela se com-
prend un peu, a reculé devant son sujet; il l'a
abordé si timidement, qu'il en a fait disparaître
la passion, sans en vouer suffisamment l'hor-
reur; il a été froid et obscur, à force de vou-
loir éviter les détails impossibles; et c'est tout
au plus si l'on peut deviner la cause de tant de
crimes, de meurtres et d'assassinats, entassés
dans les cinq actes de cette tragédie. Les
coups de poignard y sont prodigués; et; pres-
que à chaque fin d'acte, le théâtre est jonché
de cadavres, criminels ou vertueux. Il y a
cependant dans Béatvix une émotion de ter-
reur assez puissante ; la féroce brutalité do
François Cenci et la touchante candeur do
Béatrix, cet abandon désespérant dans lequel
se trouve cette jeune fillelivrée sans défense,
sans appui aux violences de son père, dans
l'isolement d'un vieux château des Abruzzes,
tout cela place l'âme dans une sorte d'oppres-
sion fiévreuse qui peut, à la rigueur, tenir
lieu d'intérêt. Mais ce qui mérite surtout des
éloges, ce que l'on peut regarder comme uno
très-belle conception , c'est la scène entre
Béatrix et le pape, scène d'une haute portée,
où tous les ressorts de la religion, de la mo-
rale et de la conscience sont mis en jeu avec
une étonnante énergie, et dans laquelle le
style s'élève parfois jusqu'à une éloquence
véritable. Le pape reproche à Béatrix le
meurtre de son père et l'adjure, au nom du
Dieu vengeur, de faire connaître son com-
plice :
LE PAPE.
En nous le dénonçant, voua vous sauvez peut-être;
Peut-être sur lufseul pourront tomber les coups.
Parlez.
BÉATRIX.
Vous le voulez ?
LE PAPE.
Le coupable?
BÉATRIX.
C'est vous !
Le comte fut banni sous un pnpo sévère.
Vous l'avez, rappelé, sans respect pour ma mère!
Endurci dans le mal par ce premier succès,
Dès lors, il ne mit plus de frein a_aes excès.
Le juge qui du ciel a reçu la puissance.
S'il n'a pas BU des grands réprimer la licence.
Répond, aussi bien qu'eux, de tous leurs attentats!
Vos trésors sont, grossis pnr les assassinats

Qu'au mépris de vos lois vous a payés mon père.
Quand pour les pauvres seuls la justice est sévère.
Quand on sait le tarif de tous les tribunaux.
Quand jusque sur le meurtre on lève des impôts,
Le prince à ses sujets doit compte de leurs crimes!
Si ma trop faible voix n'eût pas en vain prié,
A son réveil tardif, la justice homicide
Ne me flétrirait pas du nom de parricide.
En général, la tragédie de M. de Custine
est une composition qui, dans son ensemble,
manque d'art et de chaleur. Le style en est
trop souvent incolore et dépourvu de pensées.
C'est l'œuvre d'un homme ignorant des res-
sources dramatiques et des savantes coinbi-
nâisons^de la scène. Les deux principaux
rôles de cette tragédie ont été créés par Fre-
derick Lemaître et Mme Dorval, dont tous les
efforts ne parvinrent pas à prolonger les re-
présentations au delà de trois. Béatrix Cènci
méritait mieux que cela. Combien de drames
l'avaient précédé, combien Vont suivi et le
suivront encore, qui n'avaient ou n'auront au-
cune des qualités que nous venons de signa-
ler I Suivant une autre version, celle des mau-
vaises langues, ce serait Mlle Georges qui,
jalouse du triomphe qu'obtenait Mme Dorval
dans cette pièce, aurait usé de son influence
sur le directeur (M. Harel), pour faire dispa-
raître de l'affiche Béatrix Cènci.
L'auteur avait d'abord offert sa pièce à, la
Comédie-Française, qui l'avait reçue sous le
titre de Clément VIII, et il avait avancé
10,000 francs environ pour frais de décors et
de costumes. Une décision ministérielle ayant
arrêté la représentation de l'ouvrage, le mar-
quis de Custine eut à intenter un procès au
Théâtre-Français, afin de rentrer dans son
argent. C'est alors que Béatrix Cènci passa à
la Porte-Saint-Martin, où la pièce fut de nou-
veau montée aux frais de M. de Custine. Le
marquis était riche et pouvait se payer de
telles fantaisies.

BÉATRIZET
ou BÉATRICE (Nicolas), des-
sinateur et graveur français, né à Lunéville
ou à Thionville, selon quelques auteurs, vers
1520, selon Heinecken en 1507, alla de bonne
heure se fixer à Rome, où il travailla princi-
palement de 1540 à 1562, et où il mourut vers
1570. On.lui donne pour maître Agostino de
Musi. 11 marquait ordinairement ses estampes
Beatricius ou iV. B. F. ou N. B. L. (Nie.
Béatrizet, Lorrain) ou N. B. L. F. On l'a sou-
vent confondu avec B. Daddi, plus connu sous
le nom de Maître au dé (maestro al dado),
graveur italien qui travaillait à la même
époque. Béatrizet a gravé au burin, entre au-
tres pièces : Joseph expliquant les songes de
ses frères, la Cène, Jésus aux limbes, V Ascension,
d'après Raphaël ; Jérémie, V'Annonciation, Jésus
et la Samaritaine, Jésus tenant sa croix, la
Conversion de saint Paul, le Jugement univer-
sel, la Chute de Phaéton, Tityus déchiré par
le vautour, Bacchanale d'enfauts^ d'ap. Michel-
Ange ; la Nativité de la Vierge, le Massacre
des Innocents, le Sacrifice d'Ip-ngénie, le
Combat de la Raison et de l'Amour, d'après
Baccio Bandinelli; Saint Pierre marchant sur
les eaux, d'après Giotto ; VAdoration des Mages,
d'après Jules Romain; Jésus au Jardin des
Oliviers, d'après le Titien ; la Sainte Famille, la
Résurrection de la fille de Jaïre, Jésus en croix,
divers saints, d'après Girolamo Mutiano ; le
Combat des Amazones, Laocoon, l'Océan, le
Nil, le Tibre, le Triomphe de Marc-Aurèle,
Rome triomphante, le Combat des Romains
contre les Daces, etc., d'après l'antique. Béatri-
zet a gravé, en outre, d'après ses propres
dessins ou d'après ceux d'artistes inconnus :
la Mort de Météagre; Caïn tuant Abel; Notre-
Dame de Lorette; les portraits de Henri II,roi
de France, des papes Paul IV et PieIV,d'Hipp.
de Gonzague, de Tite-Live, Marc-Aurèle,
Anaximène, etc.; 42 planches pour l'ouvrage
de Jean de Valvedra sur l'anatomie ; des vues
du palais Farnèse, du château Saint-Ange,
du Panthéon d'Agrippa, du temple de la For-
tune, du cirque Flaminien; un plan de Thion-
ville, daté de 1558 ; etc.

BEATSON
(Robert), historien écossais, né
en 1742 à Dysart, mort à Edimbourg en 1818.
Il suivit d'abord la carrière militaire , et prit
part, en qualité de lieutenant, à l'attaque de la
Martinique et de la Guadeloupe. Il quitta le
service en 1766 et se retira à Aberdeen, où
il publia des ouvrages qui exigeaient de la-
borieuses recherches et qui furent souvent
utiles à d'autres historiens, entre autres : un
Index politique des histoires de la Grande-
Bretagne ei de l'Irlande (1786), des Mémoires
navals et militaires (1790-1804, 3 vol.); et un
Registre chronologique des deux chambres du
parlement (1807, 3 vol. in-8°).

BEATSONIE
s. f. (bi-tsb-nî— de Beatson,
voyageur anglais). Bot. Syn. de frankénie.

BEATTIE
(James), écrivain anglais, méta-
physicien, moraliste, et surtout poëte, né à
Lawrencekirk en 1735, mort en 1803. Fils
d'un simple fermier, il appartient à la grande
famille des hommes d'élite que la pauvreté
éprouva de bonne heure et longtemps. Gold-
smith, et plus récemment Burns, ont passé
comme lui par les rudes épreuves de la misère
avant d'arriver à l'aurea mediocritas d'Ho-
race,-si tant est qu'ils l'aient jamais goûtée.
Né pour ainsi dire paysan, Beattie dut h un
protecteur de sa famille, qui avait remarqué
ses rares dispositions pour les lettres, d'être
admis à faire des études classiques au collège
d'Aberdeen. Il en sortit, après les avoir bril-
BEA
. lamment achevées; mais, trou pauvre pour
I cultiver librement les belles-lettres propre-
; ment dites, qu'il aimait avec passion, il se
trouva heureux de pouvoir entrer dans une
école de village pour y enseigner.la gram-
maire (1753). Il ne tarda pas, toutefois, à ob-
tenir une place de professeur de latin dans
une pension assez considérable de la ville
d'Aberdeen. Ce fut là que, dans les mo-
ments de loisir que lui laissait sa classe, il
composa un assez grand nombre de poëmes,
qu'il lui fut donné par bonheur de pouvoir
publier en 1760. Il avait alors vingt-cinq ans.
Ce talent modeste fût probablement demeuré
ignoré, malgré la publication de ce remar-
quable recueil, si un homme de goût, et très-
influent, lord Errol, n'eût par nasard lu ce
volume, et conçu, sur cette lecture, la plus
grande estime pour l'auteur. « Nous devons
nous rendre très - dignes de quelque emploi,
a dit La Bruyère, le reste ne nous regarde
point : c'est 1 affaire des autres. » Malheureu-
sement, de cette affaire, « les autres » ne se
chargent pas toujours. Heureux qui les trouve!
Lord Errol fut pour Beattie» ces autres » dont
parle La Bruyère. Ayant appris en même temps
et le talent du poëte et la condition inférieure
où il végétait, il l'en tira en lui faisant obte-
nir une chaire de philosophie morale dans le
collège Mareschal, où il avait été élevé à
Aberdeen. Beattie apporta, dans l'exercice des
fonctions de ce haut enseignement, une grande
facilité d'éloeution, un style plein do force et
d'imagination, auquel on ne pouvait reprocher
que d'être, par moments, trop poétique. Des
travaux philosophiques d'un ordre si élevé
méritaient de sortir de l'obscurité d'un collège.
Beattie les publia, et ces travaux très-remar-
quables établirent sa réputation non-seule-
ment dans la Grande-Bretagne, mais encore
en Allemagne, en Hollande, en France, en
Italie, etc.
Quelque occupé qu'il fût par ses hautes spé-
culations philosophiques, Beattie ne laissait
pas cependant de cultiver la poésie. Il s'y li-
vrait avec amour, aux rares neures dé loisir
que lui laissait le professorat. C'était une
douce étude, ou plutôt une distraction pour
lui, et c'est en ce temps qu'il composa The
Minstrel, or the Progress of Genius (le Mé-
nestrel, ou la Marche progressive du génie),
le plus célèbre de ses poëmes, celui qu'on
réimprima le plus souvent, et que plusieurs
critiques mettent au rang des plus belles con-
ceptions de la fin du xvme siècle.
Thè Minstrel est divisé en deux chants, et
écrit en strophes, imitées de celles de Spen-
cer, dont il rappelle en quelques endroits la
manière, sans être toutefois hérissé de ter-
mes étranges et obscurs, comme on en trouve
si souvent dans le vieux conteur. Beattie y
donne fréquemment carrière à tout ce que
son âme rêveuse avait de mélancolique. Le
commencement de ses chants est surtout
plein de cette tendresse plaintive pour le genre
humain qui va au cœur. La traduction du pas-
sage suivant, d'une exquise douceur dans
l'original, et auquel ajoutent le choix du
rhythme et la coupe adoptée par Beattie, peut
en donner quelque idée :
o Non, s'écrie-t-iV au commencement du
deuxième chant, non, il n'est pas besoin d'a-
voir recours aux plages étrangères et d'y re-
chercher les vieilles traditions et les vicissi-
tudes de notre race, pour apprendre l'effet du
temps et du changement. Tristes et terribles
effets, hélas ! Nous les lisons en nous-mêmes ;
et cependant, ce ne sont ni les yeux affaiblis,
ni la pâleur du visage, ni les cheveux blan-
chissants qui m'effrayent ; mais, épargne, ô
temps! ce que j'ai de grâce intellectuelle, de
candeur, d amour et de sympathie divine ;
épargne tout ce qui m'a été donné des rayons
de l'imagination ou des flammes du dévoue-
ment et de la sainte amitié. »
Ce gracieux et élégant poëme, trop peu
connu en France, est placé par les Anglais
au nombre des meilleurs poëmes de second
ordre qu'ils possèdent. Parmi les autres ou-
vrages en vers de Beattie, la ballade intitu-
lée l'Ermite est surtout remarquable. Mais
c'est par erreur qu'on a dit que l'idée tout en-
tière d'un chapitre de Zadig avait été puisée
dans cette pièce. C'est le contraire qui est
vrai, Zadig ayant été publié en 1747, et
l'Ermite, pour la première fois, en 1758.
Comme philosophe, Beattie doit sa réputa-
tion à son Essay on the nature and immutabi-
lity of truth (Essai sur la nature et l'immuta-
bilité de la vérité). Dans cet ouvrage, qui pa-
rut en 1770, il s'attacha à combattre le scep-
ticisme en général, et le système de Hume en
particulier. Admettant, avec l'école écossaise,
te sens commun et le sens moral comme cri-
térium de la vérité, il établit, à l'aide de ce
critérium, l'existence d'un certain nombre de
premiers principes invincibles à tout scepti-
cisme, et il examine alors les principales ques-
tions de la philosophie, celles du principe de
causalité, de l'évidence des sens externes et
du sens intime, de la liberté morale, etc. Si,
par la puissance du talent, Beattie est incon-
testablement inférieur à Hume, s'il manque
de profondeur dans les théories, on ne sau-
rait lui refuser d'avoir exposé, en un style
clair et pur, un système d'une parfaite lucidité,
se proposant avant tout un but pratique et
moral toujours élevé. C'est ce qui ressort sur-
tout de les Eléments of moral science (Elé-
ments de science morale) publiés en 1790-93,
2 vol. in-8°» et en partie traduits par M. Mal-
BEA
let (Paris, 1840). Dans cet ouvrage, où il traite
successivement des questions de psychologie,
de théologie naturelle, d'éthique, de logique,
d'économie politique, il s'attache surtout à
celles qui ont pour objet la morale, et s'ef-
force, comme toujours, à asseoir la philosophie
morale et la théodicée sur la base du sens
commun. La partie dans laquelle il traite de
la nature du devoir et des devoirs indivi-
duels, domestiques, sociaux et politiques, peut
encore être lue avec fruit.
Les travaux de Beattie lui valurent d'être
nommé docteur es lois de l'université d'Ox-
ford, membre de la Société littéraire et phi-
losophique de Manchester, et correspondant
de la Société royale d'Edimbourg. S'étant
rendu en 1784 à Londres, où il s'était précé-
demment mis en relation avec les hommes les
plus distingués du temps, Beattie fut reçu par
le roi, qui lui accorda une pension. Marié en
1767 avec Mary Dun, fille du directeur de l'é-
cole de grammaire d'Aberdeen, il goûta toutes
les joies du bonheur domestique et eut deux
fils, qui donnaient les plus belles espérances,
lorsqu'il les perdit presque coup sur coup.
„ Dès lors, il tomba dans une hypocondrie incu-
rable, et l'on put dire de lui comme de la mère
dont parle 1 Ecriture -" Et noluit consolari,
quia non sunt. Outre les ouvrages mentionnés
plus haut, citons un poëine : The Judgment of
Paris (l7G5)et deux ouvrages philosophiques:
iïssays on poetry and music, etc. (Essais sur
la poésie et la musique considérées comme
source d'émotions pour l'âme), 1776, et Dis-
sertations moral and critical, etc. (1783.)

BEAU
OU BEL, BELLE adj. (bo, bel— du
lat. bellus, même sens. Cette étymologie d'un
des mots les plus importants dans toutes les
langues n'étant pas de nature à satisfaire-
les lecteurs même les moins exigeants, nous
croyons utile d'y joindre les considérations
suivantes, qui, il est vrai, se rapportent plu-
tôt au sens général du mot qu^i la partie
purement étymologique. Nous empruntons
a M. A. Pictet les détails suivants sur la
notion du beau chez les ancêtres de notre
' race. C'est là une question philosophique du
plus haut intérêt, et sur laquelle la philo-
logie comparée jette une grande lumière.
L'instinct du beau, comme celui du bienj
existe à des degrés divers'chez toutes les
races d'hommes, et on ne saurait douter qu'il
n'ait existé également chez les anciens Aryas.
Les noms du beau se confondent souvent
avec ceux du bien, mais ils se lient plus fré-
quemment à l'idée de briller. Leur variété
est par cela même considérable, vu celle des
racines qui expriment l'action de la lumière.
Quelques-uns se rapportent aux impressions
que la beauté produit sur notre âme, et ce
sont les plus intéressants au point de vue
psychologique. Il en est un, en particulier, qui
mérite d'être signalé comme ayant appartenu
très-probablement à la langue primitive, et
comme pouvant dans ce cas nous donner, en
quelque sorte, la mesure de la vivacité du
sentiment esthétique chez les anciens Aryas.
Il ne s'agit, il est vrai, que d'un mot isolé,
dont l'étymologie ne peut être gue conjectu-
rale, et nous ne la donnons ici que comme
telle : c'est le latin pulcer ou pulcher, dont
l'origine est restée jusqu'à présent fort incer-
taine. Le rapprochement que l'on a proposé
avec le grec poluchroos (multicolore) n'est pas
soutenable, et la dérivation de polire que sug-
gère Pots dans ses Recherches étymologiques
ne satisfait guère davantage.
« Ce qui me plaît mieux, dit M. Pictet, comme
préparant la solution que j'ai en vue, c'est que
Pots divise le mot latin en pul-cer, en l'assi-
milant à ludi-cer, volu-cer et aux substantifs
composés avec crum,. lava-crum} volu-crum,
simula-crum, etc...j je dis composes, parce que
Pots, avec toute raison, rapporte les prétendus
suffixes à la racine sanscrite krï. /car (faire),
ce qui les identifie complètement avec le kara
des composés sanscrits analogues, tels que
bhàshkara (brillant), bhayankara (terrible). Il
ne reste ainsi à rendre compte que du put
initial, qui doit renfermer le vrai sens du mot.
Le sanscrit pula et pulaka désigne l'horripi-
lation, non pas, comme nous l'entendons,
causée par le frisson de l'effroi, mais comme
symptôme qui accompagne un vif sentiment
de plaisir, un transport d'extase. De là pula-
kin, pulakita (qui a les cheveux hérissés, c'est-
à-dire qui est joyeux). De là aussi ce qu'ex-
prime le sanscrit harcha, harchanaQoie, plaisir
vif, de krich, être horripilé). Le corrélatif latin
horreo, horresco, s'applique plutôt à la ter-
reur, mais parfois aussi à l'etonnement et à
l'admiration. Ainsi le participe horrendus a
un tout autre sens dans l'horrenda virgo de
Virgile, que dans monstrum horrendum. De là
l'épithète de Lômaharchana, littéralement
l'horripilateur, donnée à l'un des rapsodes
qui figurent dans le Mahâbhârata. Cela rap-
pelle tout à fait le frisson mêlé de crainte
dont parle Platon dans le Phédon, comme d'un
effet produit par la vue du beau. Les impres-
sions esthétiques, chez les races primitives
et les hommes du Midi, ont une énergie tout
autre que chez nous, civilisés du Nord.
» Pour en revenir au latin pulcer, il semble
difficile de ne pas y voir un ancien composé
de pulo-cer ou puli-cer, formé comme ludi-
cer, et avec le sens primitif qu'aurait en
sanscrit pulakara, c'est-à-dire qui cause l'hor-
ripilation. Cela paraît d'autant plus probable
que la racine pul (être ou devenir grand,
élevé, se dresser), etc., alliée sans doute hprit
BEA 425
I pitru (remplir), se retrouve dans plusieurs
mots latins tels que populus (le peuplier,
l'arbre élevé), pulex, en sanscrit pulaka (pou,
l'insecte qui se multiplie beaucoup (comparez
pulluler) : populus (le peuple qui en fait au-
tant, etc.). Toutefois, la signification spéciale
de pula, horripilation, ne se serait maintenue
que danslepuJ de pul-cer, où elle n'était plus
comprise. Si tout ce qui précède, dit en termi-
nant M. Pictet, n'est pas illusoire, nous au-
rions ici un curieux indice de la vivacité des
impressions que le beau réveillait chez les
anciens Aryas, race éminemment imaginativo
et poétique, comme le montre d'ailleurs toute
la contexture de sa langue et l'abondance de
ses mythes religieux). - Qui est bien fait, de
1 forme agréable, qui a des proportions nobles
j et distinguées, en parlant d'un homme ou d'un
j animal : Un enfant. Un BEAU cavalier. Une
| BELLE fille. Un BEAU chien. J'ai vu souhaiter
I d'être fille, et une BL-LLE fille, depuis treize
I ans jusqu'à vingt-deux, et, après cet âge, de
- devenir un homme,. (La Bruy.) Les femmes de
J Perse sont'plus BELLES que celles de France;
l mais celles de France sont plus jolies.
'. (Montesq.) Les hommes, quand ils croient être
BEAUX; sont cent fois plus entêtés de leur
- beauté que les femmes. (L abbé de Choisy.) Rien
n'est plus triste que la vie des femmes qui n'ont
su qu'être BELLES. (M"™ de Lambert.) Une

BULLE
femme devrait chaque jour se dire : De-
main, je cesserai d'être BELLE, et pour toujours.
(Desmahis.) La nature a dit à la femme : Sois

BELLE
si tu peux, sage si tu veux; mais sois
considérée, il le faut. (Beaumarchais.) C'est
aujourd'hui un accident, un prodige, quand un
homme épouse une femme uniquement parce
qu'elle est BELLE. (A. Karr.) Moi, dit-elle,
j'aime le luxe comme j'aime les arts, comme
j'aime un tableau de Raphaël, un BEAU cheval,
une BELLE journée ou la baie de Naples. (Balz.)
Il est des femmes si BELLES, qu'on peut en de-
venir amoureuxsa?is les aimer. (A. d Houdetot.)
Elle est BELLE comme une harmonie pure et
' parfaite. (G. Sand.) Une femme qui est BELLE a
- toujours de l'esprit. (Th. Gaut.) La jeune vierge
'. n'est vraiment BELLE que pour l'œil chaste.
(De Gérândo.) Une BELLE personne est ordi-
' nairement bienveillante, mais il est rare qu'elle
- soit sensible. (Mme de Rémusat.) Il serait dif-
I ficile de dire si l'éléphant est joli, mais incon-
; tesiablement il est BEAU. (Charles Habeneck.)
j En vain nos jeunes femmes sont BELLES, la va-
i nité leur égratigne la figure avec ses griffes de
i chatte, l'envie plombe leur teint. (M!»c E. do
! Gir.)
! Un homme qui s'aimait sans avoir de rivaux
] Passait, dans son esprit, pour le plus beau du monde.
! LA FONTAINE.
j Myrte vient habiter mon asile champêtre,
Sans ornement, sans art, belle de ses appas.
ROUCIIER.
Une femme parut au balcon : c'était elle!
Quoique pâle et lassée, ô Dieu! qu'elle était belle !
LAMARTINE.
Chloris à vingt ans était MZe,
Et veut encor passer pour telle,
13ien qu'elle en ait quarante-neuf;
Elle prétend toujours qu'ainsi chacun l'appelle.
Il faut la contenter, la pauvre demoiselle :
Le Pont-Neuf dans mille ans s'appellera Pont-Neuf.
Pourquoi s'applaudir d'être belle ?
Quelle erreur fait compter la beauté pour un bien ?
A l'examiner, il n'est rien
Qui cause autant de chagrin qu'elle.
Je sais que sur les cœurs ses droits sont absolus,
Que tant qu'on est balle on fait naître
Des désirs, des transports et des soins assidus;
Mais qu'on a peu de temps à l'être,
Et de temps à ne l'être plus!
M"»e DESHOULIÈRES.
— Se dit également du corps ou de quel-
qu'une de ses parties : Un BEAU corps. Une
BELLE taille. De BELLES épaules. Un BEAU bras.
De BELLES mains. De BEAUX pieds. De BEAUX
cheveux. Un BEAU visage est te plus BEAU de
tous les spectacles. (La Bruy.) Charles XII
avait un très-Bti&v front. (Volt.1 Une fille à qui
il faudrait indiquer l'emploi de ses BEAUX yeux
et de son doux sourire pour trouver un mari
serait une fille bien sotte. (G. Sand.)
— Agréable à voir, bien disposé, bien fait
en son genre : De BEAUX palais. De BELLES
statues. De BEAUX tableaux. Une BELLE prome-
nade. Un BEAU paysage. De BEAUX livres tout
neufs. Un habit. De BELLES couleurs. Un
BEAU teint. Le francolin a le plumage très-
BEAU. (Buff.) Il Agréable à entendre : De BEAUX
sons. Une BELLE musique. J'aime encore les

BEAUX
morceaux deLulli, malgré tous les Gluck
du monde. (Volt.) n Noble, majestueux, impo-
sant : Un BEAU port. Une BELLE prestance. Un
BEAU maintien. De BEAUX airs de tète.
— Distingué, élégant, bien élevé : Le BEAU
monde. La BELLE société. Monsieur le baron
m'a dit que toutes les conversations du BEAU
monde ne roulaient jamais que sur des médi-
sances ou sur des fadaises. (Destouches.) Est-il
rien de plus répugnant que les buanderies de
Paris, où l'on prépare le linge de la BELLE com-
pagnie? (Fourier.)
La cour et le beau monde
Ne sont pas faits pour celui qui les fronde.
VOLTAIRE.
— Fam. Bien vêtu : Un BEAU monsieur. Une
BELLE dame couverte de diamants.
— Qui fait bien une chose, qui a de la grâce
ou de l'habileté à la faire : Un BEAU danseur.
Un BEAU mangeur, il Se dit de l'instrument,
pour désigner l'habileté de celui qui s'en sert :
Avoir un BEAU burin, un BEAU pinceau, un BEAU
ciseau, une BELLE plume. Il Se dit encore do
u. 54
'426
i
l'instrument, pour désigner la personne habile
à s'en servir : C'est un BEAU pinceau que cet
homme. Je reconnais que vous êtes une BELLE
plume. Voilà la plus BELLE épée de France.
— Limpide, transparent, en parlant de
l'eau : L'eau de la Seine est plus BELLE en
amont qu'en aval de Paris. Il Calme, paisible,
en parlant de la mer :
Partons, la mer est fie//e,
La brise nous appelle ;
Partons, gais matelots.
{Chanson populaire.)
Il Pur, calme et doux, en parlant du ciel et
de la température : Une BELLE matinée. Un
BEAU temps. Un BEAU jour. Une BELLE nuit.
Vois ce soleil, ami, comme il est BEAU 1 il nous
console et nous appelle à lui. (J.-J. Rouss.) Il
n'est point d'affliction qu'un BEAU soleil ne di-
minue de moitié. (A. d'Houdetot.) Dans les
temps de calamité publique, les BEAUX jours
semblent une ironie-de la nature. (Lomontoy.)
Après l'hiver en 710s plaines, la neige, sous le
soleil de mars, fond au premier BEAU jour.
(Stc-Beuve.)
Demander a genoux la pluie et le beau temps.
ïiOILEAU.
— Heureux, prospère, agréable : Les cœurs
pervers n'ont jumais ni de BELLES nuits, ni de
BEAUX jours, (J. do Maistre.)
Hélas ï j'ai cru ce jour le plus beau de ma vie.
VOLTAIRE.
Les belles nuits font les beaux jours.
SCRIBE.
Pour moi qui, gémissant sous le poids des années,
Ne dois plus espérer de belles destinées.
HOTROU.
— Considérable par le nombre: Une BELLE
somme d'argent, un BEAU magot. Une BELLE
fortune. Une BELLE provision de bois. Si les
pensées, les livres et les auteurs dépendaient de
ceux qui ont fait une BELLE fortune, quelle pros-
cription.' (La Bruy.) il Considérable par les
dimensions : Un BEAU gigot. Un BEAU poisson.
Vous avez fait un BEAU pâté sur cette feuille.
Cet âne a de BELLES oreilles*
Le gibier du lion, ce ne sont pas moineaux,
Mais beaux et bons sangliers, daims et cerfs bons
[et beaux.
LA FONTAINE.
Il Considérable par l'intensité : Nous avons
fait un BEAU bruit. Il a reçu deux BEAUX souf-
flets, il Vif, ardent, profond, en parlant d'un
sentiment: Il s'est pris d'un engouement
pour la politique russe. Vous m'avez fait une
BELLE peur, une BELLE passion à vingt ans
désenchante tout le reste de la vie. (P. Limay-
rac.) '
— Robuste, vigoureux : Une BELLE santé,
un BEAU tempérament.
— Qui est en bon état, qui doit produire
de grands résultats, réaliser de grandes espé-
rances, qui les réalise en effet : Une BELLE
récotte. Une BELLE armée. Une BELLE flotte.
Un BEAU régiment de cuirassiers, il Qui a un
grand succès, qui réussit bien : Un BEAU com-
mencement. Un très-miMj succès. Un BEAUCOUP
de filet. Un BEAU coup de fusil. Un BEAU coup
de dés.
Et si ton entreprise a quelques beaux effets.
Nous te reconnaîtrons par de plus grands bienfaits.
MAIRET.
H Avantageux : Un emploi. De BELLES
protections. Il y a des stupiaes, et j'ose dire
des imbéciles, qui se placent en de BEAUX postes.
(La Bruy.) il Favorable, propice : Jamais on
n'eut si BEAU sujet d'écrire. (A. Martin.)
L'occasion est belle, il la faut embrasser.
RACINE.
Il Bien dit, bien pensé, bien imaginé, bien
composé : BEAUX vers. Une BELLE pensée. De
BEAUX discours. De BEAUX livres. Les BELLES
choses ont besoin d'être bien écrites. (Vauven.)
Je veux savoir si les choses so7it vraies, avant
de les trouver BELLES. (Fén.) Il g a mille prix
pour les BEAUX discours, aucun pour les BELLES
actions. (J.-J. Rouss.) Bonnes œuvres passent
BEAUX discours. (Cormen.)
Il faut que je vous conte
Un trait de politique un peu vieux, mais certain;
Il est chez TiUi-Live écrit en beau latin.
ANDRIEUX,
Là tout est beau, parce que tout est vrai.
J.-B. ROUSSEAU.
il Juste, profond, pénétrant, en parlant de
l'esprit : Un BEAU génie. Un BEAU talent. En
prenant beauté d'imagination pour beauté d'es-
prit, on peut dire que Montaigne avait l'esprit
BEAU et même extraordinaire. (Malebranelie.)
Il Qui a produit de belles choses, en parlant
d'une personne : Les anciens étaient plus
BEAUX, nous sommes plus jolis. (Mu'2 de Sév.)
Pour bien des personnes, Raphaël n'est BEAU
que sur parole. On demandait un jour à
M. Dacier quel était le plus BEAU de Virgile
ou d'Homère? Il répondit qu'Homère était
plus BEAU de mille ans.
— Fig. Digne d'être admiré ou approuvé :
Rien n'est beau que le vrai, le vrai Beul est aimable.
BOILEAU.
Il Grand, noble, généreux : Un BEAU carac-
tère. De BEAUX sentiments. Il n'y a de BEAU
pour l'âme et pour les yeux que les objets véri-
tablement bons et utiles. (Platon.) Quand les
personnes qui ont l'âme BELLE trouvent l'occa-
sion de reconnaître un bienfait, elles ne la
laissent point échapper. (Vauven.) Il réunit
BEA
à une figure imposante les plus BELLES qualités
de l'esprit et du cœur. (Barthe.)
Un homme est assez beau quand il a l'Ame belle.
BOUIUAULT.
Qu'il mourût.
Ou qu'un beau désespoir alors le secourût.
CORNEILLE.
Il Glorieux, honorable, dont on peut tirer
vanité : De BEAUX services. Ceux qui reçoivent
une BELLE lettre d'amitié se font honneur en
la montrant.(La Rochef.) La gloire, après tout,
est l'unique récompense des BELLES actions.
(Volt.) Madame, votre mort est aussi BELLE que
votre vie. (J.-J. Rouss.) // est BEAU de mourir
pour avoir déplu aux méchants. (M'ue E. de
Gir.)
It est beau de mourir maître de l'univers.
CORNEILLE.
Il meurt, mais d'une mort trop fie/Ze pour un traître.
CORNEILLE.
S'il est beau d'être illustre, il est doux d'être heureux.
FR. DE NEUFCHATEAU.
L'auteur chez qui l'on dîne est sûr d'un beau succès.
C. DBLAVIGNE.
Mourir pour ce qu'on aime, en servant sa patrie,
C'est la plus belle fin de la plus belle vie.
DE BELLOY.
Quoi', le beau nom de fille est un titre, ma sœur,
Dont vous voulez quitter la charmante douceur?
MOLIÈRE.
Trouves-tu beau, dis-moi, de diffamer ma fille,
Et faire un tel scandale à toute ma famille?
MOLIÈRE.
Qu'il est grand, qu'il est beau de se dire a soi-même
Je n'ai point d'ennemis, j'ai des rivaux que j'aime!
VOLTAIRE.
— Honnête, convenable, poli, bienséant :
Il n'est pas BEAU de mettre tes coudes sur la
table en mangeant. Rien n'est si BEAU dans une
jeune personne que la modestie. (Acad.)
— Flatteur, spécieux, artificieux, trom-
peur : BELLES paroles. BELLES promesses.

BELLES
raisons. Combien de BELLES et inutiles
raisons à étaler à celui qui est dans une grande
adversité. (La Bruy.) Ah! l'artificieuse vous
eût mené loin avec ses BELLES paroles. (N. Le-
mercier.)
- ... II n'est pas de fou qui, par belles raisons,
Ne loge son voisin aux Petites-Maisons.
BOILEAU.
Mai» cent fois je l'ai vu
Couvrir d'un beau semblant le trait le plus aigu.
A. DUVAL.
— Ironîq. Laid, désagréable à voir ou à
entendre : Ah! quel BEAU nez! Voyez donc le
BEL homme! C'est de la BELLE musique, vrai-
ment! il Ennuyeux, ridicule : La BELLE chose,
de nous répéter toujours les mêmes litanies !
Ardez le beau museau,
Pour nous donner envie encore de sa peau!
MOLIÈRE.
Il Sans mérite, sans valeur : Un BEAU triomphe,
oui! n Penaud, embarrassé, mal accommodé :
Vous voilà BEAU garçon!
— Accompagne parfois un terme de mépris,
une injure, comme pour en augmenter l'é-
nergie : C'est un BEAU coquin, un BEAU fripon,
un EEÀU maroufle.
— S'emploie souvent avec un sens mal
défini et à peu près équivalent à celui de l'ad-
jectif indéfini certain: Un BEAU jour, je le ren-
contrai sur la place. Il m'accosta u« BEAU matin.
Il Dans un sens tout aussi vague, exprime que
le mot qu'il accompagne doit être pris dans
son sens rigoureux : 5e tenir au BEAU milieu
de la rue. -Tétais avant-hier tout au BEAU mi-
lieu de la cour. (M^e de Sév.)
Un jour, un coq détourna
Une pierre qu'il donna
Au beau premier lapidaire.
LA FONTAINE.
— Beau joueur, Celui qui joue de grosses
sommes sans hésiter, et supporte les plus
grandes pertes sans en paraître ému :
Ah! c'est un beau joueur, un joueur admirable;
Sitôt qu'il est assis, on fait cercle a sa table.
C. DELAVIGNE.
— Beau parleur, beau diseur, Celui qui
parle avec une élégance facile ; celui qui ex-
prime de beaux sentiments avec éloquence.
Se dit surtout ironiq. et en mauvaise part :
Que tant de BEAUX PARLEURS seraient confus,
avec leurs feintes maximes d'humanité, si tous
les malheureux qu'ils ont faits se présentaient
pour les démentir! (J.-J. Rouss.)
Leur grand valet près-d'eux était debout,
Garçon bien fait, beau parleur, et de mise.
LA FONTAINE.
— Bel esprit. Facilité élégante d'élocution,
aptitude à parler ou à écrire agréablement
sur des sujets variés. Se prend souvent en
mauvaise part, en sous-entendant l'absence
des qualités solides que ce genre de talent
n'exige pas, et dont souvent il n'est pas ac-
compagné : La Garouffière, qui prétendait fort
au ESPRIT, se fit apporter un portefeuille.
(Scarron.) Les récompenses sont prodiguées au
BEL ESPRIT, et la vertu reste sans honneurs.
(J.-J. Rouss.) il Personne qui possède ce genre
de talent ou qui se donne pour le posséder,
et qui affecte de le montrer : Un ESPRIT
méprise une histoire nue. (Fén.) Elle a une
nouvelle amie à Vitré, dont elle se pare, parce
que c'est un ESPRIT qui a lu tous les romans.
(Mme de Sév.) Hélas! si vous saviez combien
les BEAUX ESPRITS sont empêchés de leur per-
sonne! (Mme de Sév.) Ascogne est statuaire,
Hégion fondeur, Eschine foulon, et Çydias
ESPRIT, c'est sa profession. (La Bruy.) Il n'y a
BEA
. pas de gens plus méprisables que les petits
| BEAUX ESPRITS, et les grands sans probité.
- (Montesq.) Voiture est le premier qui fut en
i France ce qu'on appelle un ESPRIT. (Volt.)
Une femme ESPRIT est le fléau de son mari,
de ses enfants, de ses amis, de tout le monde.
(J.-J. Rouss.) On méprise l'érudit, le géomètre
ennuie, le ESPRIT est sifflé ; comment faire?
(Duclos.) Le 'grand Bossuet fut un ESPRIT
de l'hôtel de Rambouillet. (Chateaub.)
Jadis l'Egypte eut plus de sauterelles
Que l'on ne voit aujourd'hui dans Paris
Des malotrus, soi-disant beaux esjtrits.
VOLTAIRE.
Son monsieur Trissotin me chagrine, m'assomme,
Et j'enrage de voir qu'elle estime un tel homme,
Qu'elle nous mette au rang des grands et beaux
[esprits.
Un benêt dont partout on siffle les écrits.
MOLIÈRE.
Point de ces gens que Dieu confonde,
De ces sots dont Paris abonde.
Et qu'on y nomme beaux esprits,
Vendeurs de fumée à tout prix.
J.-H. ROUSSEAU.
— Beau fils, Galantin, fat, petit-maître,
homme à bonnes fortunes : Ce Saumery avait
- un cadet qui faisait le BEAU FILS et l'homme à
bonnes fortunes. (St-Sim.) Ces BEAUX FILS plai-
santaient le bon chevalier sur sa jeune épouse.
(P. Stahl.) // traite mal les BEAUX FILS qui lui
viennent demander des vers. (Th. Gaut.) J'en-
tends toujours rappeler les Romains de la déca-
dence, maisils avaient cent fois plus d'énergie
et de connaissance, de résolution et d'acquit, de
vigueur et d'intelligence, que la plupart de nos
BEAUX FILS. (Ad. Meyer.) Le premier billet,
valeur de mille francs, présenté par un jeune
homme, BEAU FILS à gilets pailletés, à lorgnon,
à tilbury, cheval anglais, etc., était signé par
l'une des plus jolies femmes de Paris. (Balz.)
Les deux BEAUX FILS se promenaient toujours
de la porte aux écuries, des écuries à la porte.
(Balz.) Ces BEAUX FILS de famille, qui ne se
servent du nom de leur père que pour l'exploi-
ter. (F. Soulié.)
Le voilà le beau fils, le mignon de couchette.
MOLIÈRE.
Un de ce dernier ordre.
Passant dans la maison pour être des amis,
Propre, toujours rasé, bien disant, et beau fils.
* LA FONTAINE.
— Homme du bel air, Homme qui a le ton
et les manières des personnes de distinction.
— Beaux-arts, Arts de l'esprit comprenant,
d'après la classification ordinaire, l'éloquence,
la poésie, la peinture, la sculpture, l'archi-
tecture, la musique et la danse d'expression.
Il Belles-lettres, Grammaire, éloquence et poé-
sie : Là où il n'y a pas l'agrément et quelque
sérénité, là ne sont pas les BELLES-LETTRES.
(Joubert.)
— Belle nature, Objets de la nature consi-
dérés au point de vue de leurs qualités pitto-
resques ou poétiques : Aimer ta BELLE NATURE.
Un amant de la BELLE NATURE.
— Beau jour, Jour très-clair: Cet apparte-
ment a un BEAU JOUR, il Qui éclaire d'une ma-
nière pittoresque, agréable, en parlant d'une
lumière vraie ou factice : Cet atelier a un
BEAU JOUR. Ce peintre a de irès-BEAUX JOURS.
Il Epoque, circonstance heureuse, prospère
ou florissante : Ce fut un BEAU JOUR pour moi.
Je n'aurai plus de BEAUX JOURS. Mes BEAUX
JOURS sont passés. Le christianisme, dans ses
BEAUX JOURS, fut une véritable république.
(Boiste.) Ce sabre est le plus BEAU JOUR de ma
vie. (M. Prudhomme, de M. H. Monnier.)
Ménageons l'amitié môme, dans nos beaux jours.
Du TREMBLÂT.
Hélas! j'ai cru ce jour le plus beau de ma vie.
VOLTAIRE.
Non, pour un peuple esclave, il n'est point de beaux
[jours.
C. DÉLAVIONS.
Adieu, mon beau navire,
Aux grands mâts pavoises;
Je te quitte et puis dire :
Mes beaux joui's sont passés.
DE SAINT-GEORGES.
il Aspect favorable, manière avantageuse de
voir ou de présenter les choses : Présenter
une chose sous un BEAU JOUR. Voir les choses
sous un BEAU JOUR.
— La belle saison, les beaux jours, Le prin-
temps, l'été : Au retour des BEAUX JOURS. A la
fin de la BELLE SAISON. Il Beaux jours, bel âge,
Temps de la jeunesse : Le ÂGE n'est qu'une
fleur qui passe. (Fén.) Je n'ai voyagé à pied
que dans mes BEAUX JOURS. (J.-J. Rouss.) il
Bel âge, Age où les hommes n'arrivent que
rarement, âge très-avancé : Quel âge avez-
vous, brave femme? — Quatre-vingts ans. —
C'est un ÂGE.
.— Beau sang, Constitution saine et vigou-
reuse : Tous les habitants de cette province sont
d'un BEAU SANG, II Lignée illustre, noble, aris-
tocratique :
Ah! que d'un si beau sang des longtemps altérée,
Rome tient m^^enant la victoire assurée.
RACINE.
Vous ne souffrirez pas que le fils d'une Scythe
Commande au plus beau sang de la Grèce et des dieux.
RACINE.
— Belle humeur, Disposition à rire, gaieté,
entrain : On dit, par BELLE HUMEUR , et dans
la liberté de la conversation, de ces choses froi-
des qu'à la vérité on donne pour telles, et que
l'on ne trouve bonnes que parce qu'elles sont
extrêmement mauvaises. (La Bruy.)
Que cette belle humeur soit véritable ou feinte....
CORNEILLE.
BEA
— Le beau sexe, Les femmes, le sexe fé-
minin : Aimer LE BEAU SEXE. Etre bien vu du
BEAU SEXE. LE BEAU SEXE n'a point d'autre
destination naturelle que la reproduction. (Vi-
rey.)
— Ma belle enfant. Ma belle amie, Termes
familiers d'affection, dont on se sert à l'égard
d'une jeune fille ou d'une jeune femme, il
Beau monsieur, Belle dame, Interpellation fa-
milière, que l'on adresse à une personne dont
on veut blâmer les prétentions :
Pré tendez-vous, beau monsieur que vous êtes,
En demeurer quitte à si bon marché?
LA FONTAINE.
Il Mon beau monsieur, Ma belle dame, Tcrmeii
de flatterie par lesquels les petits mendiants
cherchent à capter la bienveillance et à pro-
voquer la charité : Un petit sou, MA BELLE
DAME.
— Beau comme le jour, Aussi beau que le
jour, Extrêmement beau : Une enfant BELLE
COMME LE JOUR.
Jadis régnait en Lomhardie
Un prince aussi beau que le jour..
LA FONTAINE.
— De belle sorte, De la belle manière, De la
belle façon, Rudement, sans ménagement : Je
l'ai arrangé DE LA BELLE MANIÈRE, DE LA BELLE
FAÇON.
. . . Si la colère une fois me transporte.
Je vous ferai chanter, hélas! de belle sorte.
MOLIÈRE.
— A belles dents, Avec acharnement, d'uno
façon cruelle : Les poètes se déchirent À BELLES
DENTS. (Trév.) Nommez-moi les traîtres : c'est
peu de leur couper le cou, je veux moi-même
leur arracher les entrailles A BELLES DENTS.
(Mérimée.) Il Se dit aussi au propre : Elle
mordait son mouchoir A BELLES DENTS. (Alex.
Dum.)
— A la belle étoile, en plein air, Sans abri :
C'est ici que vous allez passer la nuit? — Ap-
paremment, je n'ai pas envie d'aller coucher k
LA BELLE ÉTOILE. (SCl'ibe.)
— Il fait beau, Il fait beau temps, Le temps
est clair et serein : Quand il pleut, je suis as-
soupi et presque chagrin ; lorsqu'il, FAIT BEAU,
je trouve toutes sortes d'objets plus agréables.
(Th. Viard.) Il // fera beau quand je ferai telle
ou telle chose, Je me garderai bien de la faire :
IL FERA BEAU quand je lui confierai mes secrets.
D'ailleurs, quand un gitano se laissera sur-
prendre par d'autres que ceux de sa race, IL
FERA BEAU 1 (G. Sand.) II // fait beau, suivi
d'un infinitif, Il est agréable ou honorable de :
Qu'i7 fera beau chanter tant d'illustres merveilles!
RACINE.
il Se dit ironiq. dans lo sens de, Il est cu-
rieux, étrange, on est mal venu à : IL FERAIT
BEAU alléguer l'opinion publique à mademoi-
selle de Pisseleu. (P.-L. Courier.)
// nous ferait beau voir attaché face à face
A pousser les beaux sentiments. MOLIÈRE.
Ne fait-il pas beau voir une vieille carcasse
Des plus vives couleurs se barbouiller la face?
VOLTAIRE.
— Se faire beau, Se faire belle, Se revêtir
de beaux habits : Les jours de fête, vous vous
FAITES BELLE, vous mettez une jolie robe à la
paysanne. (E. Sue.) Adieu, Michel, je vais ME
FAIRE BEAU. (G. Sand.) Au lieu de chercher à
NOUS FAIRE BELLES, 7ious 7i'avo7is passé le temps
qu'à regarder par la fenêtre de ma cha7>ibre.
{G. Sand.)
— Faire un beau coup, Faire un coup adroit,
habile, heureux, il Réussir complètement dans
une affaire-avantageuse': Ce cheval ne me
coûte que vingt louis : c'est UN BEAU COUP que
J'AI FAIT là. il Ironiq. Commettre une bévue,
une maladresse, ou même quelque chose do
plus grave : Vous avez cassé cette porcelaine;
c'est UN BEAU COUP que vous AVEZ FAIT là! Il On
dit à peu près dans le même sens : FAIRE UNE
BELLE ÉQUIPÉE.
— Faire la pluie et le beau temps, Disposer
de tout, régler tout par son crédit, par son
influence : Il y aura bien du 7nalheur, si je ne
vous mets pas à la fin dans quelqu'une de ces
bonnes maisons où les précepteurs FONT LA PLUIE
ET LE BEAU TEMPS. (Le Sage.) Ces deux mons-
tres sont immensément riches, et FONT LA PLUIE
ET LE BEAU TEMPS dans le sérail. (Th. Gaut.)
— Avoir beau, suivi d'un verbe à l'infinitif,
Prendre des peines inutiles : Le méchant A
BEAU fuir la peine de son crime, il la porte
avec lui. (Fonten.) On A BEAU dire du bien de
7ious, 7ious en pensons encore davantage. (Petit-
Senn.) Le despotisme A BEAU faire, la libre vo-
lonté de l'homme sera toujours taie consécration
nécessaire à tout acte humain. (De Custine.)
NOUS AVONS BEAU 710US observer, nOUS C071-
trai7idre, il y a toujours da7is nos manières,
dans notre maintien, quelque chose qui nous
décèle. (Balz.) On AURA BEAU faire, les hommes
ne cesseront pas de philosopher. (S. de Sacy.)
La bienfaisa7ice A BEAU être active, elle va
moins vite que le mal. (J. Simon.) On A BEAU
dédaigner la philosophie ou s'en défier, tôt ou
tard il faut la subir. (J. Simon.)
J'ai beau te le crier, mon zèle est indiscret.
LA FONTAINE.
Je suis reine, seigneur, et Rome a beau tonner,
Elle ni votre roi n'ont rien à m'ordonner.
CORNEILLE.
La mort a des rigueurs a nulle autres pareilles ;
- On a beau la prier,
La cruelle quVlle est se bouche les oreilles
Et nous laisse crier. MALHERBE.

J'ai beau frotter mon front, j'ai beau mordre ISUJS
[doigts;
Je ne puis arracher du creux de ma cervelle
Que des vers plus forcés que ceux de la PucclU.
. ÊOlI-EAU.
tt Avoir beau dire} Faire des allégations faus-
ses, des protestations inutiles; s'opposer vai-
nement : On A BEAU DIRE, l'oisiveté n'use pas
moins que le travail. On AURA BEAU DIRE, il
faudra toujours payer l'impôt.
...... Les savants ont beau dire
Et beau rêver, leur système fait rire.
Vot-TAiRE.
— Avoir beau jeu, Avoir de belles cartes,
des cartes maîtresses au jeu. n Fig. Avoir l'a-
vantage, être en position de triompher ; avoir
des facilités exceptionnelles : Il AVAIT BEAU
JEU pour battre son adversaire, qui ne pouvait
presque plus se tenir sur ses jambes. Le pre-
mier, qui s'avise de tenter des recherches doit
avoir tout l'avantage des premiers qui arri-
vèrent au Pérou : ils AVAIENT BEAU JEU de
trouver les mines d'or. (Fourier.)
— Donner beau jeùf Donner beau, Donner à
son adversaire des cartes maîtresses et pro-
pres à le faire gagner, H Fig. Fournir des
armes contre soi, ou simplement Offrir une
occasion favorable : DONNER BEAU JEU à là mé-
disance, à la calomnie. En se mettant en colère,
il m'A DONNÉ BEAU JEU pour prouver qu'il avait
tort. Pour lui DONNER PLUS BEAU, elle ne cessait
de le railler, (Hamilt.)
— Vair beau jeu, Etre conspué, malmené,
battu :
Laissez-moi faire, et le drôle et sa belle
Verront beau jeu, si la. corde ne rompt.
LA FONTAINE.
Cher président, j'estime qu'avant peu
Vous et vos conseillers vous allez voir beau jeu.
C. DEI.AVIGNE.
Si Dieu m'avait fait naître
Propre à tirer marrons du feu,
Certes, marrons verraient beau jeu.
LA FONTAINE.
— Perdre à beau jeu, Perdre une partie,
malgré les bonnes cartes que l'on avait en
main, il Fig. Echouer dans ses entreprises, en
dépit des belles chances de succès que l'on
avait.
— La donner, La bailler belle à quelqu'un,
Vouloir lui en faire accroire, se moquer de
lui : Allons donc, vous me LA BAILLEZ BELLE.
Cet inconnu, dit-il, nous la vient donner belle.
D'insulter ainsi notre ami!
LA FONTAINE.
I! La manquer belle, Laisser échapper une
occasion favorable. H L'échapper belle, Echap-
per par l'effet du hasard à unpéril imminent :
Je J'AI souvent ÉCHAPPÉ BELLE dans le cours de
cette campagne. "(P.-L. Courier.)
Nous l'avons, en dormant, madame, echa])pê belle.
MOLIÈRE.
Il En dire, En conter, En faire de belles,
Dire, faire des extravagances, des sottises
étranges ; Vous nous EN CONTEZ DE BELLES.
Votre fils EN A FAIT DE BELLES. Si vous me'
mettez en train, J'EN DIRAI DE BELLES. (Picard.)
Chacun en dit, et des j)lus belles.
LA FONTAINE.
Il En dire, en conter de belles sur quelqu'un,
Dire sur son compte des choses peu flatteuses :
Il m'EN A CONTÉ DE BELLES sur votre conduite
d'hier, il En faire voir de belles à quelqu'un,
Le rudover, le malmener : S'il ne se tient pas
tranquille, nous lui EN FERONS VOIR DE BELLES.
— Le porter beau, La porter belle, Locution
familière qui prend, un sens particulier dans
l'anecdote suivante : Un sot mari vantail beau-
coup^ dans une compagnie, les robes, tes den~
telles, les bijoux et les autres ajustements de sa
femme. Un plaisant, qui savait à quoi s'en tenir
sur le compte de l'un et de l'autre, dit : « //
faut avouer que si madame LE PORTE BEAU,
VOUS LES PORTEZ BELLES, n '
— Pour les beaux yeux de quelqu'un, Dans
l'unique dessein de lui plaire : Ce n'est pas
POUR vos BEAUX YEUX que je suis venu. \\ Les
beaux yeux de quelqu'un, Sa personne même :
Sachez si du péril ses beaux yeux sont remis.
RACINE.
Ce n'est pas le moyen de plaire à ses beaux yeux,
Que de priver du jour ce qu'elle aime le mieux.
CORNEILLE.
Pour mériter son cœur, pour plaire à ses bcattx yeux.
J'ai fait la guerre aux rois ; je l'aurais faite aux dieux.
LA ROCHEFOUCAULD.
Cotte dernière expression pleine d'affé-
terie, est tombée en désuétude.
— Mourir de sa belle mort, Mourir natu-
rellement, par opposition à mort violente ou
accidentelle.
— Etre, N'être pas dans de beaux draps,
S'être attiré une méchante affaire : Vous voilà
DANS DE BEAUX DRAPS. Cette traite de 3,000 fr.,
a été refusée ; nous voilà D'ANS DE BEAUX DRAPS.
Vive Dieu! s'ils vous dépistent, vous N'ÊTES
PAS DANS DE BEAUX DRAPS. (Damas-Hinard.)
— Il y a beau temps, il y a beau jour, Il y a
longtemps.
— Tout cela est bel et bon, mais..., Malgré
tout cela, quoi qu'il en soit de tout cela... :
TOUT CELA EST ET DON, MAIS vous me devez
de l'argent et j'entends que vous me payiez.
Mon père m'écrivait toutes les semaines : Sois
bon sujet, et M. Dubreuil te"donnera sa fille.
TOUT CELA EST ET de loin. (Scribe.)
i' Bel et bien, Décidément, positivement, tout
net : M. Benedetto est ET BIEN un'assas-
sin. (Alex. Dum.) Là-dessus, il m'a ET BIEN I
BEA
tourné le dos. (G. Sand.) Fiez-oous à moi;ces
deux bessons-là vivront ET BIEN, et ne seront
pas plus malades que les autres enfants. (G.
Sand.) Madame de Marans est ET BIEN per-
due de fond en comble, si elle n'a pas douze à
quinze mille francs ce soir. (P. Féval.) Il m'a
BEL ET BIEN compté mille écus que j'ai à te re-
mettre. (Bâte.) Le magnifique vase à ronde
d'enfants, que je sigyialais comme la pièce de
faïence laplus importante de l'exposition, était
BEL ET BIEN en porcelaine. (Th. Gaut.) H On a
dit autrefois, dans le môme sens, bien et beau
et bel et beau ;
Le berger vient, le prend, l'ehcagë bel et beau.
LA FONTAINE.
— Voilà un beau venez-y voir, C'est Une chose
qui ne vaut pas la peine qu'on se dérange
pour en prendre connaissance.
— Tout beau! Doucement, tout doux, mo-
dérez-vous, veillez sur vos paroles : TOUT
BEAU! monsieur le tireur d'armes, ne parlez de
la danse qu'avec respect. (Mol.) TOUT BEAU!
monsieur le capitaine, je vous demande quartier
pour celui-là ; savez-vous bien que je suis de sa
famille? (Le Sage.)
Tout beau! dira quelqu'un, vous entrez en furie.
BOILEAU.
Tout beau! ma passion, deviens un peu moins forte.
CORNEILLE.
Il faut sans discourir
Que tu meures. — Tout beau! mon âme, pour mourir
N'est pas en bon état. MOLIÈRE.
Il On s'en sert à la chasse, en parlant à un
chien dont on veut modérer l'ardeur : TOUT
BEAU ! Fox, TOUT BEAU l
— Prov. La belle plume fait le bel oiseau,
La parure, les atours, les riches habits ajou-
tent à la beauté, et môme en donnent quel-
quefois à celui qui en est dépourvu, H Jln'y
a pas de belles prisons, ni de laides amours,
Proverbe dont le sens peut se passer de toute
explication, n Les beaux esprits se rencontrent*
Se dit lorsqu'une même idée, une môme pen-
sée, une même vérité est énoncée simulta-
nément par deux personnes.
— Interjectiv. Belle demande! Question
sotte ou superflue, en ce que le questionneur,
en réfléchissant, aurait pu se faire lui-même
la réponse : As-tu besoin d'argent? veux-tu que
je t'en prête? — BELLE DEMANDE! Est-ce que
monsieur Purgon le connaît? — La BELLE DE-
MANDE ! il faut bien qu'il le connaisse, puisque
c'est son neveu. (Mol.) Il La belle affaire! Se dit
d'une chose qui n'est ni difficile ni étonnante :
Lever un poids de cinquante livres? LA BELLE
AFFAIRE ! Il n'a pas répondu à ma lettre. — LA
BELLE AFFAIRE I il ne sait pas écrire.
— Jeu. Donner beau, Jouer la balle de ma-
nière qu'elle soit facile à relever, n Fig. Le
donner beau, Fournir à quelqu'un une occa-
sion favorable : Nous convînmes que, s'il nous
LE DONNAIT BEAU dans la conversation à l'un
de nous deux, celui qui trouverait jour le sai-
sirait pour pousser l ouverture. (St-Sim.)
— Manég. Avoir un beau partir de la main,
Partir de la main avec fermeté et sans s'é-
carter de la ligne droite : Ce cheval A UN BEAU
PARTIR DE LA MAIN, II Porter beau, Porter bien
sa tête : Ce cheval PORTE BEAU.
— Escr. Avoir les armes belles, Tirer avec
grâce.
— Mar. Belle batterie, Celle qui est élevée
à plus de 2 m. au-dessus de la ligne de flot-
taison.
— Loc. adv. En beau, Sous un bel aspect,
sous des apparences favorables : Voir TOUT .
EN BEAU n'est pas le défaut des mauvais cœurs.
Je suis un peu malade, et je ne vois pas le monde
EN BEAU. (Volt.) Qui ne voit pas EN BEAU est
mauvais peintre, mauvais ami, mauvais amant;
il ne peut élever son esprit et son cœur jusqu'à
la bonté. (Joubert.)
... On voit tout en beau, quand on se croit aimé.
C. DELAVIGNE.
Mais l'amour-propre, opposant son bandeau,
De l'avenir te dérobe l'image,
Ou sait du moins ne le peindre qu'en beau.
GRESSET.
Il Au plus beau, Au moment le plus impor-
tant ou le plus solennel : // s'arrêta court AU
"PLUS BEAU de son récit. Pendant qu'il (le roi
de Suède) rassemble de nouvelles forces, Dieu
tonne du plus haut des deux, le redouté capi-
taine tombe AU PLUS BEAU de sa vie, et la Po-
logne est délivrée. (Boss.) fl De plus belle. Loc.
adv. De nouveau, en augmentant : 77 a re-
commencé DE PLUS BELLE. Les discussions reli-
gieuses reprirent DE PLUS BELLE après ce grand
trait de philosophie. (H. Beyle.) Il se mit à
rire DE PLUS BELLE, d'avoir, au lieu d'une brave
compagnie endimanchée, une troupe de bêtes
noires à faire danser, (G. Sand.) Ses passions,
qu'il croyait éteintes, se ranimèrent DE PLUS
BELLE.(J. Sandeau.) Eh bien, soit! vieillissons
tous ensemble, à qui DE PLUS BELLE. (V.
Jacquem.)
Le seigneur fait frapper de plus belle.
LA FONTAINE.
Bien le connais, ce dieu sans foi ni loi.
Qui, de plus belle, et sans savoir pourquoi,
Veut prendre encor chez moi son domicile.
CHAI/LIEU.
Il On a dit autrefois De plus beau, mais cette
forme n'est plus usitée :
Les vieux amis reviennent de plus beau.
LA FONTAINE.
— Cela doit être beau, car je n'y comprends
rien. Nous empruntons au savant M. Quitard,
que nous aimons toujours à citer, le commen- j
taire suivant sur cotte phrase proverbiale : I
BEA
« Ainsi s'exprime le bel esprit Desmazures,
dans une comédie de Destouches, et il ne fait
uue répéter ce que plusieurs philosophes ont
ait avant lui tres-serieusement,
« Le poëte Lucrèce parle en ces termes
d'Heraclite, surnommé Skoteinos (le Téné-
breux) :
« C'est par l'obscurité de son langage qu'il
» s'attira la vénération des hommes superfi-
» cielSj mais non pas des sages Grecs, accou-
» tumés à réfléchir; car la stupidité n'admire
-> et n'aime que les opinions cachées sous des
* termes mystérieux. »
« Montaigne, qui cite ce passage de Lucrèce,
fait les réflexions suivantes : « La difficulté
» est une monnoie que les savants emploient
» comme les joueurs de passe-passe, pour ne
» découvrir rinanité de leur art, et de la-
» quelle l'humaine bêtise se paye aisément...
» On voit Aristotc, à bon escient, se couvrir
» souvent d'obscurité si expresse et si inex-
» tricable, qu'on n'y peut rien choisir de son
» avis. Non Aristote seulement, mais la plu-
» part des philosophes ont affecté la difficulté
» pour amuser la curiosité de notre esprit. »
« Quintilien dit : « J'en ai vu plusieurs qui
» prenaient à tâche d'être obscurs, et ce vice
- n'est pas nouveau ; car je trouve dans Tite-
» Live que, de son temps, il y avait un maître
« qui recommandait à ses disciples de jeter
» de l'obscurité dans tous leurs discours : de
» là cet éloge incomparable : Cela est fort
» beau, je n'y ai rien compris moi-même. »
« Lycophron. poëte grec, doni le nom est
devenu proverbialement appellatif pour dési-
gner un auteur inintelligible, affectait dans
ses vers une obscurité énigniatique, et il pro-
testait publiquement qu'il se pendrait s'il se
trouvait quelqu'un qui pût entendre son
poème de la Prophétie de Cassandre; en quoi
il ne prenait pas un engagement téméraire.
Ce poëme, demeuré inexplicable jusqu'à ce
jour, malgré tous les efforts des grammai-
riens, des scoliastes et des commentateurs, a
été justement comparé à ces souterrains, où
l'air est si épais et si étouffé, que les flam-
beaux qu'on y apporte s'y éteignent.
« Hegel, philosophe allemand, morten is30,
regardait la clarté comme une qualité d'un
ordre inférieur. Dans sa préface de Y Encyclo-
pédie, il a formellement énoncé cette pensée,
qu'un philosophe doit être obscur, et dans tous
ses écrits il s'est très-bien conformé à ce pré-
cepte.
« Nous avons aujourd'hui bon nombre d'é-
crivains qui croient passer pour sublimes à
force d'être obscurs, et qui se figurent que le
proverbe doit tourner pour eux de l'ironie à
l'éloge. Laissons-les se complaire dans cette
opinion ; car si tout doit se compenser, comme
le prétend M. Azaïs, n'est-il pas juste que ces
nouveaux Lycophrons prennent leur obscu-
rité pour le dernier terme du génie, lorsqu'on
prend leur génie pour le dernier terme de
l'obscurité? »
— Belle et bonne, Surnom sous lequel Vol-
taire se plaisait à désigner Mme Denis, sa
nièce.
— Rem. L'expression avoir beau, suivie
d'un substantif, a fort intrigué les grammai-
riens. Anciennement, dans 1 expression avoir
beau suivie d'un infinitif, cet infinitif était
pris substantivement comme régime direct du
verbe avoir. Les expressions avoir beau faire,
avoir beau dire, signifiaient alors avoir une
belle occasion de faire, de dire. Exemple : Le
roi EUST EU BEAU se retirer en France sans
péril, si n'eussent esté ses longs séjours sans
propos. (Commins.) L'expression eust eu beau
peut se traduire, dans cet exemple, par eût pu
sans craindre aucun obstacle; elle a encore
conservé en partie ce sens dans les phrases
où on l'emploie aujourd'hui, mais il s y joint
une idée d'inutilité qui ne s'y trouvait pas d'a-
bord. Ainsi, quand on dit : Vous aurez beau
faire des efforts, vous ne réussirez pas, cela
signifie : « Si vous essayez de faire des efforts,
vous aurez beau champ pour en faire, vous
pourrez en faire tant que vous voudrez, mais
ce sera toujours en vain. » De même, cette
phrase : Vous avez beau écrire, on ne vous ré-
pondra pas, veut dire : « Si vous avez résolu
d'écrire, vous avez beau champ pour écrire,
mais vous perdrez votre peine. » En résumé,
la locution actuelle peut s'analyser en sous-
entendant après beau le mot champ et la pré-
position pour, ou bien encore eu considérant
beau comme qualifiant directement l'infinitif;
mais dans l'une ou l'autre de ces analyses,
beau prend un sens ironique et marque une
étendue indéfinie par l'inutilité même d'en re-
culer aussi loin qu'on voudra les limites : Vous
avez beau écrire, c'est-à-dire « vous avez, on
vous accorde le droit d'écrire, » et en substan-
tivant l'infinitif, « on vous accorde un écrire
beau par toute l'étendue qu'il vous plaira de
lui donner et qu'on ne songe nullement à res-
treindre, parce que cela ne vous sera utile en
rien. »
— Gramm. Bel a été la première forme
masculine de l'adjectif beau, comme cela devait
être puisqu'il a été formé du latin bellus, et
comme le prouvent beaucoup de textes an-
ciens, par exemple : Bel sire reis (beau sire
roi), bels fut li vespres (beau fut le soir), CET.
DE ROL. Mais aujourd'hui le masculin bel ne
s'emploie qu'au singulier et devant un sub-
stantif qui commence par une voyelle ou par
un h muet, afin d'éviter l'hiatus que produirait
dans ces deux cas l'emploi de beau. Ainsi, au
BEA 427
lieu de dire : Un BEAU enfant, un BEAU habit, on
dit par euphonie : Un enfant,un habit.
Cette substitution de.bel à beau n'a lieu que
devant les substantifs; on doit dire : BEAU à
voir, et non pas Bel à voir; Un homme BEAU et
bon, et non pas Un homme et bon. Il faut
pourtant observer que les locutions adverbiales
BEL et bon, et bien font exception à la règle
précédente. On se sert encore de bel dans les
surnoms donnés à quelques princes : Charles
le BEL, Philippe le BEL. Au pluriel mascu-
lin, on emploie toujours le mot beaux. Lorsque
cet adjectif est employé seul pour qualifier le
substantif, il doit le précéder : Un BEAU jar-
din; il le suit, au contraire, quand il est ac-
compagné d'un autre adjectif ou suivi d'un
complément : L'n jardin BEAU et vaste, un
poëme BEAU dans toutes ses parties.
— Syn. Bcnu, joli, gentil. Ce qui est beau
excite l'admiration; on y trouve la grandeur,
la noblesse, la régularité. Ce qui est joli sé-
duit ou amuse, on y trouve quelque chose de
fin, de délicat, de charmant. Le même objet
que nous avons appelé beau nous paraîtrait
joli, s'il était exécuté en miniature. Une belle
femme ne produit quelquefois que l'effet d'une
belle statue; c'est un chef-d'œuvre de la na-
ture, comme celle-ci est un chef-d'œuvre de
l'art; une jolie femme est moins admirée,
mais elle plaît davantage et elle inspire sou-
vent plus de passion. Le beau agit sur l'âme;
le joli agit plus directement sur les sens et
même sur le cœur. Gentil diffère de joli en
ce qu'il se rapporte plutôt aux mouvements,
aux gestes, à la grâce extérieure qu'aux
formes mêmes ; mais il s'agit toujours d'une
grâce délicate qui convient mieux aux petits
objets qu'aux grands.
Antonymes. Affreux, effroyable, épouvan-
table, hideux, horrible, laid, monstrueux, vi-
lain.
— Homonymes. Bau, baud, bavix (pi. de
bail), bot.
BEAU s. m. (bo — lat. bellus, même sens).
Caractère, nature de ce qui est beau ; beauté :
Etudes sur le BEAU. Etre sensible au BEAU.
Le BEAU consiste dans l'ordre et la grandeur.
(Aristote.) Le BEAU et le bon sont deux choses
différentes, car le bon est surtout dans les actes
et le BEAU réside dans ce qui ne supporte pas
de changement. (Aristote.) Le BEAU est la
splendeur du bien. (Platon.) Deux de nos sens,
la vue et l'ouïe, sont faits pour discerner le
BEAU. (Buff.) Otez de nos cœurs l'amour du
BEAU, vous ôtez tout le charme de la vie. (J.-J.
Rouss.) Le bien n'est que le BEAU mis en ac-
tion. (J.-J. Rouss.) La contemplation du vrai
BEAU nous anime d'un saint- enthousiasme.
(J.-J. Rouss.) L'amour du BEAU nait avec la
raison, comme le jour avec le soleil. (P. An-
dré.) Le BEAU, quel qu'il soit, a toujours pour
fondement l'ordre, et pour essence l'unité. (P.
André.) Il y a dans tous les arts un BEAU
absolu et un BEAU de convention. (D'Alemb.)
Le BEAU se sent, il ne se définit point. (Roy.-
Coll.) En tout, les hommes sont sujets à pren-
ais le difficile pour le BEAU. (Turgot.) Le
BEAU est ce qui plaît universellement sans con-
cept. (Kant.) Le BEAU, c'est l'identité de l'idée
et de la forme. (Hegel.) Le BEAU idéal est à
l'âme ce que la beauté est aux yeux. (Beau-
chêne.) Il y a deux sortes de BEAU idéal, le
BEAU idéal moral et le BEAU idéal physique :
l'un et l'autre sont nés de la société. (Cha-
teaub.) L'art doit tirer te BEAU idéal de l'idée
du BEAU individuel. (Mesnard.) Le BEAU com-
plet est l'agréable mêlé au BEAU. (Mesnard.)
Le BEAU est le vrai manifesté dans une forme
sensible. (Lamenn.) Le BEAU a besoin de s'ap-
puyer sur le vrai. (De Gérando.) Au BEAU cor-
respondent toujours une idée et un sentiment.
(Lamenn.) L'art implique le BEAU essentiel,
immuable, infini, identique avec le vrai, dont
il est l'éternelle manifestation. (Lamenn.) Le
BEAU infini est la source d'où dérive le BEAU
créé. (Lamenn.) Le BEAU satisfait l'intelli-
gence et la repose. (Lamenn.) Le BEAU est une
introduction au vrai, il en est le crépuscule.
(Lamenn.) Le BEAU, c'est la beauté vue avec
les yeux de l'âme. (J. Joubert.) Le BEAU est
plutôt du domaine de l'imagination que de ce-
lui du raisonnement. (L. Pincl.) Le BEAU est
un nom donné à la vérité. (E. Alletz.) Le sen-
timent d'un certain BEAU conforme à notre
race, à notre éducation, à notre civilisation,
voilà ce dont il ne faut jamais se départir.
(Ste-Beuve.) La beauté se déclare par l'im-
possibilité immédiate où nous sommes de ne
pas la trouver telle, c'est-à-dire de ne pas être
frappés de l'idée du BEAU qui s'y rencontre. On
ne peut pas donner d'autre explication de l'i-
dée du BEAU. (V. Cous.) Le BEAU dans l'art
ne vient peut-être que du choix dans le vrai.
(Béranger.) En présence du BEAU réel, un in-
stinct secret nous force à l'admiration ; le laid
nous blesse. (E. Delacroix.) Le BEAU, pour
l'homme qui demeure sous l'action du sentiment
de la perfection, n'est que le reflet de plus en
plus parfait de l'idéal, qui est Dieu. (Gabriel.)
Qu'est-ce que le BEAU? Question d'aveugle, ré-
pondait Aristote. Le BEAU abstrait est la chi-
mère des artistes paresseux, qui négligent le
BEAU visible. (Eméric David.) Ce qui a été
exécuté dans une autre intention que de satis-
faire aux éternelles lois du BEAU ne saurait
avoir de valeur dans l'avenir. (Th. Gaut.)
L'homme qui est maître de son admiration
n'est pas organise pour comprendre le BEAU.
(P. Limayrac.) Le BEAU se goûte par un sen-
timent particulier, plus qu'il ne se pense par
la réflexion. (L'abbé Bautain.) Nous recon*
428
naissons trois formes principales de l'idée du
BEAU : te BEAU absolu, le BEAU réel et le BEAU
idéal. (Frank.) Le BEAU peut se définir : la
manifestation sensible du principe qui est l'âme
H l'essence des choses. (Frank.) Nous avons le
désir inextinguible du BEAU idéal. (G. Sand.)
Le BEAU est dans la forme finale, le bon dans
le rapport de l'organisme vers le but. (A. Karr.)
Le BEAU n'a qu'un type, te laid en a mille. (V.
Hugo.) Le BEAU es* une des marques de la vé-
rité. (Renan.) Le goût du BEAU ne connaît pas
l'intolérance. (Renan.)
Le beau ne plaît qu'un jour, si le beau n'est utile.
SAINT-LAMBERT.
Le beau, c'est vers le bien un Bentier radieux,
C'est le vêtement d'or qui le pare b. nos yeux.
BRIZEUX. -
Je suis belle, et j'ordonne
Que, pour Tamour de moi, vous n'aimiez que le beau.
Je suis l'ange gardien, la muse et la madone.
BAUDELAIRE.
Rien n'est beau que le vrai, dit un vers respecta,
Et moi je lui réponds, sans crainte d'un blasphème :
Rien n'est vrai que le beau, rien n'est vrai sans beauté.
A. DE MUSSET.
— Bel objet, ce gui est beau : Donnez-moi
de la toile; mais je veux du BEAU. Le BEAU
n'est jamais trop cher.
Nous faisons cas du beau, nous méprisons l'utile.
LA FONTAINE.
Que ie bon soit toujours camarade du beau,
Dès demain je chercherai femme.
LA FONTAINE.
— Le côté séduisant d'une chose, son point
de vue favorable : Le BEAU d'un jardin an-
glais. Le BEAU d'une église gothique. Voici le
BEAU de l'aventure. Il a oublié le BEAU de l'his-
toire. Où est le BEAU d'une rue dont toutes les
maisons se ressemblent. (***) Le plus BEAU,
dans les belles actions, est de vouloir les ca-
cher. (Pasc.) Lorsqu'on en est maître une fois,
tout le BEAU de la passion est fini. (Mol.) Van-
ter son ami, cela est trop peuple ; mats louer
son ennemi, le porter auxm nues, voilà le BEAU.
(Mariv.) Le BEAU dans l'homme, c'est l'homme,
et non pas un homme. (Ballanche.)
— Eclat, perfection, S'emploie souvent iro-
niquement : Nous avons en lui l'agitateur au
complet, le frondeur, le factieux dans tout son
BEAU. (Ste-Bcuvc.)
— Ironiq. Ce qui ne mérite pas d'être ap-
prouvé : C est du BEAU que vous avez fait là.
— Fam. Nom que l'on donnait autrefois
aux jeunes gens et quelquefois à des hommes
plus âgés, dont la tenue soignée, les ma-
nières élégantes, les habitudes aristocrati-
ques étaient considérées comme des modèles
do bon goût :. Un BEAU était un homme dont
la tenue sévère, la mise soignée, l'élégance
exquise, le ton délicat, les manières choisies
commandaient au plus haut degré l'attention,
réunissaient tous les suffrages et toutes les
sympathies de ta mode. (L. Gozlan.) Parlons
d'abord de M. de Caudale, l'un des BEAUX les
plus à la mode en son moment. (Ste-Beuve.) Il
Fat, petit-maître : Le jeune BEAU anglais n'est
forcé à la prudence que par l'excès et la sensi-
bilité maladive de sa vanité. (H. Beylc.) J'ai
vu l'aimable et noble Wilhelmine, le désespoir
des BEAUX de Berlin, mépriser l'amour et se
motjuer de ses folies. (H. Beyle.) Il Homme à
prétention : Le BEAU de l'empire est toujours
un homme long et mince-, qui porte un corset et
qui a la croix de la Légion d'honneur. (Balz.)
— Faire le beau, Se rengorger, étaler avec
complaisance ses grâces réelles ou préten-
dues : Ne FAITES pas LE BEAU dans un bal, si
vous ne voulez que l'on vous prenne pour un
vaniteux et un niais. (Boitard.) Il ne s'agit
pas de FAIRE LE BEAU dans les tavernes et de
me promener dans les rues de Paris en capa-
raçon de brocart d'or. (V. Hugo.)
— Ije temps est au beau, se met au beau, Le
temps est beau, il devient beau : Si on vous
parle de tout ceci, haussez les épaules, levez
les yeux au ciel, faites un soupir et un sourire,
et dites que le TEMPS EST AU BEAU. (P.-L.
Cour.)
— Jeu. Mettre en beau. Au jeu de mail,
Ajuster au milieu, pour franchir la passe.
— s. f. Femme qui a de la beauté, femme
en général : Un dessert sans fromage est une
BELLE à qui il manque un œil. (Brili.~Sav.)
Une belle, d'un mot, rajuste bien des choses.
MOLIÈRE.
Alors qu'une belle est en larmes,
Elle est plus belle de moitié.
LA FONTAINE.
— Amante, maîtresse : Il était aux pieds
de sa BELLE.
Un autre, avec sa belle, exprès s'est laissé choir.
PÀRCEVAL-GRANDMAISON.
Quand on attend sa belle,
Que l'attente est cruelle!
(Chanson populaire.)
Voyez,, dans leur ardente et cruelle énergie,
Les rustres dévorer, d'un regard enchanté,
Leurs belles regorgeant de force et de santé.
PARCEVAL-GRANDMAISON.
il Au pi. Le beau sexe :
Il est aimé des grands, il est chdri des belles.
BOILEAU.
Quelque rare que soit le mérite des belles,
Je pense, Dieu merci, qu'on vaut son prix comme ellen.
MOLIÈRE.
Nous n'avons pas les yeux à l'épreuve des belles,
Ni les mains a celle du l'or.
LA FONTAINE.
BEA
La jeunesse toujours eut des droits sur les bellest'
L'amour est un enfant qui badine avec elles.
i REONARD.
i Le premier des devoirs est de servir les belles,
' Les rois ne vont qu'après elles.
VOLTAIRE.
— Aimer les belles, Courir les belles, Avoir
du penchant à la galanterie : C'est un char-
mant garçon, mais il AIME trop LES BELLES,
cela nuira à son avancement.
. — Fam. Ma belle, Terme d'amitié, surtout
: entre femmes, et qui n'est guère usité que
] dans la bouche d'une personne plus âgée que
celle à qui elle l'adresse : Adieu, MA chère
BELLE, j'achèverai cette lettre à Paris. (M™e de
Sév.) Allons, MA petite BELLE, nous causerons
en route, dit la duchesse en se levant. (Balz.)
Comment, MA petite BELLE? répondit la mar-
quise en regardant la visiteuse dans ta pé-
nombre que produisait la porte entrouverte.
(Balz.) A propos, BELLE d'amour, comment
vous appelez-vous? (V. Hugo.) MA toute BELLE,
disait la sous-préfette, je vous admire, en vé-
rité, d'avoir pu passer deux hivers de suite dans
votre château. (G. Sand.)
— Ironiq. La belle, Mot que l'on adresse à
une femme dont on veut blâmer les préten-
tions - Je n'ignore pas, LA BELLE, que vous
vous croyez adorable. Ah! uous pensiez me
tromper, LA BELLE !
— Faire la belle, Se pavaner, se rengorger,
prendre un air satisfait de sa beauté : Je
crois que ce laideron se permet de FAIRE LA
BELLE. Elle est coquette, elle se pavane, elle
FAIT LA BELLE. (Scribe.) C'était de quoi me
parer et FAIRE LA BELLE. (Ste-Beuve.)
— Mar. Endroit d'un bâtiment le moins
élevé, qui se trouve entre la grande rabat-
tue et la rabattue de l'avant, et où il con-
serve à peu près ses mêmes largeurs : C'est
. ordinairement par la BELLE qu'on arrive à l'a-
| bordage. [| On dit mieux EMBELLE. Il Sorte de
perche qui sert à contenir les bannes sur les
bateaux, il Pointer le canon en belle, Pointer
carrément au vaisseau, de façon à pouvoir
tirer lorsqu'il est sans inclinaison.
— Jeu. Partie décisivej celle qui termine
une suite de parties jouées précédemment,
et gagnées en nombre égal par chacun des
joueurs : Nous sommes manche à manche, ba-
ron, nous jouerons LA BELLE quand vous vou-
drez. (Balz.) H S'emploie au fig. dans le sens
de revanche, Prendre sa belle, Attendre sa
belle : M. Talon avait conclu en plein contre
M. de Luxembourg ; ce fut aussi où il arrêta
son affaire, et, à son érection nouvelle, il AT-
TENDIT SA BELLE, il Aux cartes, Carte dont la
valeur est supérieure à cello des autres. Se
dit particulièrement, au boston, de la carte
retournée dans la première donne. Il Tirer à
la belle ou à la plus belle, Prendre au hasard
une carte, afin do voir qui aura la plus forte,
soit pour déterminer qui aura le premier la
donne, soit pour achever une partie qui me-
nace de durer longtemps. Il feu de la belle
ou simplement la belle, jeu du flux et du
trente et wi, Jeu de hasard analogue au trente
et un, et dans lequel le gain se détermine
par la valeur des cartes qui ont été distri-
buées. N Jeu de hasard qui est une espèce de
loterie, dans laquelle le numéro sortant ga-
gne les mises de tous les autres.
— Rem. Le mot belle, tant adj. que subst.,
entre dans un certain nombre de mots com-
posés que l'on trouvera à leur place alphabé-
tique.
— Encycl. Esthét. V. ESTHÉTIQUE.
— Jeu. Jeu de cartes appelé Jeu de la Belle,
Jeu du Flux et du Trente et un, du nom de
ses chances principales. On emploie un jeu
entier, et les joueurs sont en nombre indéter-
! miné. Après avoir fixé le nombre de coups
I de la partie, chaque joueur prend un enjeu
[ de 24 jetons ou plus, auxquels on attribue une
i valeur de convention, et il en met 6 sur le
! jeu, savoir : i pour la..belle, 2 pour le flux, et
3 pour le trente et un, et toujours dans la
même proportion a chaque coupj ces jetons
sont déposés dans 3 corbillons distincts. Ces
préliminaires terminés, on tire à qui donnera-,
mais cette opération est uniquement pour la
forme, car la donne ne procure aucun avan-
tage. Le donneur distribue d'abord 2 cartes à
chaque joueur et à lui-même, du côté blanc
comme à l'ordinaire -, puis il en distribue une
troisième en la retournant. Celui qui a la plus
forte de ces cartes retournées gagne la belle,
et prend les jetons déposés dans le corbillon,
affecté à cette chance. Remarquons en pas-
sant que l'as, qui vaut il pour le trente et un,
ne vient qu'après le valet pour la belle. Cha-
que joueur regarde ensuite s'il a le flux, c'est-
à-dire 3 cartes de la même couleur. Celui qui
l'a gagne les jetons du corbillon correspon-
dant. S'il y a deux concurrents, c'est celui
qui a le point le plus élevé qui l'emporte. S'il
y a plus de deux concurrents, ou si personne
n'a le flux, on le remet au coup suivant, mais
alors on double ordinairement la mise. On
passe alors au trente et un. Celui qui l'a ga-
gne le troisième corbillon. En cas de concur-
rence entre deux joueurs, le gagnant est ce-
lui qui l'a annoncé le premier. S'il y a plus
de deux concurrents, on réserve l'enjeu pour
le coup suivant, et en l'augmentant comme
pour le flux. Si personne n'a trente et un, les
joueurs qui sont assez près de ce nombre pour
craindre de le dépasser s'ils demandaient une
carte, ce qui les ferait crever, déclarent se
tenir à leur jeu. Ceux, au contraire, qui en
sont trop loin, demandent une carte. Ils peu-
BEA
vent aussi en demander une seconde, mais
seulement après que tous les autres ont passé.
Le donneur ne peut jamais en prendre qu'une,
et après tout le monde. Dans tous les cas,
c'est le premier qui annonce son trente et un
qui est le gagnant, et s'il y a plus de deux
concurrents, l'enjeu est réservé pour le coup
suivant et doublé. Enfin, si aucun des joueurs
n'a trente et un, le corbillon appartient à ce-
lui qui approche le plus près de ce point.
— Un autre jeu de hasard de même nom e'
d'origine italienne a une très-grande ressem-
blance avec le biribi. Son introduction en
France date du xvue siècle. Il se joue entre
un banquier et un nombre indéterminé de
pontes. Un tableau, étendu sur une table, se
compose de 104 numéros, les uns rouges, les
autres noirs, formant 13 colonnes de 8 numé-
ros chacune. Dans un sac que tient le ban-
quier se trouvent 104 petits étuis contenant
chacun un des numéros du tableau. L'orifice
de ce sac est fermé par une sorte de boule
creuse en métal, nommée casque, qui commu-
nique avec l'intérieur par une ouverture dis-
posée de manière à ne livrer passage qu'à un
seul étui. Quand les pontes ont mis sur les
numéros du tableau l'argent qu'ils veulent
risquer, l'un d'eux fait passer un des étuis du
sac dans la boule, puis le banquier, ouvrant
cette dernière avec une petite clef, extrait le
numéro de l'étui et le proclame à haute voix.
Ceux que ce numéro fait gagner reçoivent du
banquier une somme proportionnée à la mise
qu'ils ont faite sur chaque chance, et celui-ci
rainasse les enjeux de tous ceux qui ont
perdu. L'avantage du banquier à la belle est
de 1 sur 13. Cet avantage, énorme et certain,
a de tout temps fait prohiber ce jeu. Aussi,
sauf à quelques époques exceptionnelles, n'y
a-t-on généralement joué que dans des tripots
clandestins.
— AllUS. littér. La faute en ct*l aux dieux,
qui la arent mî belle, vers devenu proverbe.
Peu de personnes savent que ce prétendu
alexandrin est composé des deux avant-der-
niers vers de six syllabes qui terminent le
couplet suivant de Lingendes, neveu de Voi-
ture, chansonnier du temps de Boileau :
Si c'est un crime de l'aimer,
On n'en doit justement blâmer
Que les beautés qui sont en elle.
La faute en est aux dieux,
Qui la firent si belle,
Et non pas à mes yeux.
On a souvent attribué ces deux vers, don-
nés comme n'en formant qu'un seul, à diù"é-
rents portes, et même quelquefois au duc de
La Rochefoucauld, l'auteur des Maximes. On
y fait quelquefois allusion, en parlant d'un
amour irrésistible dans lequel la passion
anéantit complètement la volonté.
Beau (ESSAI SUR LE), par le P. André, ou-
vrage composé de discours lus à l'académie
de Caen, dont l'auteur était membre. La pre-
mière édition (1741) ne contenait que les qua-
tre discours suivants : 1<> Sur le beau en gé-
néral, et en particulier sur le beau visible;
2» sur le beau dans les mœurs ; 3° sur le beau
dans les pièces d'esprit; 4° sur le beau musi-
cal. En 1763, parut une seconde édition,aug-
mentée de quatre autres discours : Sur le mo-
dus; Sur le décorum; Sur les grâces, et enfin
sur l'amour du beau.
— Premier discours. Le P. André est, en
matièredebeautéjtrès-éloignédu scepticisme :
il réclame contre l'insolence des pyrrhoniens,
dont la folie et le ridicule ne lui paraissent
jamais plus palpables que lorsqu'ils parlent
du beau. Il commence par établir qu'il y a un
beau essentiel, indépendant de toute institu-
tion, même divine ; en second lieu, qu'il y a un
beau naturel, indépendant de l'opinion des
hommes ; enfin, qu'il y a une espèce de beau,
d'institution humaine ? et qui est arbitraire
jusqu'à un certain point. Ces trois sortes de
beautés peuvent être considérées ou dans
l'esprit, ou dans le corps; de là, la distinction
du beau sensible et du beau intelligible. Mais
tous nos sens n'ont pas le privilège de con-
naître le beau. Il y en a trois que Ta nature a
exclus de cette noble fonction : le goût, l'o-
dorat et le toucher, o sens stupides et gros-
siers, qui ne cherchent, comme les bêtes, que
ce oui leur est bon, sans se mettre en peine
du beau. » Pourquoi la vue et l'ouïe, sont-
elles les seules de nos facultés corporelles qui
aient le don de le discerner? Il n'en faut pas
demander la raison au P. André : n Je n en
connais pas d'autre, dit-il, que la volonté du
Créateur, qui fait comme il lui plaît le partage
des talents. » Ainsi le beau sensible se divise
en beau visible ou optique, dont l'œil est le
juge naturel, et en beau acoustique ou musi-
cal, dont Voreille est Tarbitre-née.
Ces généralités posées, le P. André étudie
le beau visible. Il y a d'abord, dit-il, un beau
visible essentiel, absolu, que la géométrie
nous révèle, qui consiste dans l'ordre, la pro-
portion, la symétrie, et dont l'unité constitue
la forme et l'essence. Il y a ensuite un beau
visible naturel, dépendant de la volonté du
Créateur, mais indépendant de nos opinions et
de nos goûts : c'est la lumière qui, en faisant
naître les couleurs, nous donne ce beau natu-
rel. La lumière est belle de son propre fonds ;
elle embellit tout. On peut la prendre pour
mesure de la beauté des couleurs, et «donner
à chacune le rang d'estime qu'elle mérite, se-
lon qu'elles en approchent plus ou moins. »
Le beau visible naturel ne dépend pas seule-
BEA
mer.t de l'éclat des couleurs ; il résulte encore
de leur variétéî des nuances qu'elles forment
par leurs combinaisons, de leur association et
de leur assortiment. Outre le beau visible es-
sentiel et le beau visible naturel, il y a une
troisième espèce de beau visible, un beau vi-
sible arbitraire ou artificiel, un beau visible
de convention, de création humaine, consis-
tant dans les irrégularités qu'admettent les
arts, et que, l'habitude aidant, nous finissons
par admirer.
— Deuxième discours. Le deuxième discour*
de l'Essai sur le beau est consacré au beaa
moral. Ici encore, dit le P. André, c'est l'or-
dre oui fait le fondement du beau. L'ordre
moral est essentiel, naturel et arbitraire,
comme l'ordre visible. L'ordre moral essentiel
est fondé sur les rapports immuables, néces-
saires, que nous présente le monde intelligible
où Dieu est au premier rang, l'esprit créé au-
dessous, et au dernier degré la matière. De là
ces règles absolues : Que l'Etre suprême doit
avoir le rang suprême dans notre estime,
dans notre amour, dans notre attachement ;
que nous devons donner à l'esprit le pas sur
le corps, et que le corps doit être soumis à
l'esprit comme à son supérieur naturel. L'or-
dre moral naturel consiste dans les liens de
cœur et d'affection qui rattachent les hommes
les uns aux autres. Le beau moral arbitraire,
ce sont les lois, c'est l'ordre civil et politique
au moyen duquel l'unité s'impose à !a société
des hommes.
— Troisième discours. Après le beau dans
les mœurs, le P. André considère le beau
dans les ouvrages de l'esprit. «J'appelle beau
dans un ouvrage d'esprit, dit-il, non pas ce
qui plaît au premier coup d'ceil de l'imagina-
tion dans certaines dispositions particulières
des facultés de l'âme ou des organes du corps,
mais ce qui a droit de plaire à la raison et à
la réflexion par son excellence propre, par
sa lumière ou par sa justice, et, si l'on me
permet ce terme, par son agrément intrinsè-
que. Comme le beau visible, et comme le
beau moral, le beau spirituel doit être distin-
gué en beau essentiel, beau naturel, beau ar-
bitraire. Qu'est-ce qui constitue le beau es-
sentiel dans un ouvrage d'esprit? C'est, répond
le P. André, la vérité, l'ordre, l'honnête et
le décent. Le beau naturel dans les œuvres de
l'esprit est fondé sur la constitution même de
notre âme, qui n'est pas seulement intelligence,
mais encore imagination et sentiment; il se
divise en trois espèces : le beau dans les
images, le beau dans les sentiments, le beau
dans les mouvements. Quant au beau spiri-
tuel arbitraire, il dépend en partie de l'insti-
tution des hommes, des règles du discours
qu'ils ont établies, du génie des langues, du
goût des peuples.
— Cinquième discours. Passant sur le qua-
trième discours, qui est consacré au beau
musical, nous arrivons au cinquième, qui
traite du modus. Quel sens le P. André donne-
t-il à ce mot latin, qu'il fait passer dans notre
langue? « Dans le beau, comme en toute autre
chose, dit-il, il y a une certaine mesure qu'il
faut remplir, mais qu'il ne faut pas combler ;
il y a, dans la recherche même du beau,
deux extrémités contraires à éviter, le défaut
et l'excès ; entre ces deux extrémités, il y
a un certain point, marqué par la nature, en
deçà duquel un objet n'est pas encore tout h
fait beau, et au delà duquel il cesse de l'être :
ce point fixe, qui est une espèce de milieu en-
tre le trop et le trop peu, et qui est vraiment
le siège du beau, voilà le modus.» Le P.An-
dré se demande s'il vaut mieux rester en
deçà ou aller au delà dé ce point, en d'autres
termes si, en matière de beauté, les défauts
sont plus supportables que les excès; il se
prononce pour les défauts, car « il est évident,
dit-il, que le trop peu a ce précieux modtis,
qui fait en toute chose le point de la perfec-
tion, n
— Septième discours. Terminons cette ra-
pide analyse de YFssai sur le beau, par quel-
ques mots sur le plus charmant des discours
qui le composent, celui où il est traité des
grâces. Le P. André examine successivement
les grâces du corps et les grâces de l'esprit.
Commençant par les grâces du corps, il nous
les ,montre distribuées avec profusion dans
tous les genres de corps qui composent les
différents règnes du monde matériel : dans les
corps inanimés, par exemple, dans l'aro-en-
ciel ; dans ceux qui ont une espèce de vie, par
exemple, dans les arbres et les fleurs; dans
ceux qui ont une espèce d'âme, par exemple,
dans les oiseaux ; et enfin dans l'homme, qui,
ayant une âme toute spirituelle, fait un règne
à part, plus gracieux que tous les autres. Dans
l'homme, il distingue trois espèces de grâces,
grâces du visage, grâces du port, grâces des
manières. Passant aux grâces de l'esprit, il
les définit : des beautés ou plutôt des agré-
ments du discours, qui non-seulement nous
plaisent par le sens des paroles, mais encore
nous font plaisir par le tour qui les accom-
pagne. Quelles sont les sources naturelles des
grâces du discours? L'imagination et lo
cœur.
LfEssai sur le beau est le premier ouvrage
remarquable qui ait été écrit en France sur
l'esthétique. Il porte l'empreinte de la pensée
et de la langue du xvue siècle, d'une pensée et
d'une langue formées par le cartésianisme. Dans
la théorie du beau qui y est développée, nous
retrouvons cette conception toute géométri-
que et toute mécanique de la nature, qui ca-
429
ractérise la philosophie de Descartes et de
Malebranche.
Beau (RECHERCHES PHILOSOPHIQUES SUR L'o-
RIGINE DES IDÉES QUE NOUS AVONS DU SUBLIME
ET DU), en anglais, A philosophical Enquiry
into the Origine of our ideas of the Sublime
and Beautiful, ouvrage publié par Burke en
1757, traduit en français par l'abbé des Fran-
çois en 1765, et par Lagentie de la Vaisse en
1803. Ce livre, plein de vues originales et
souvent profondes, et que Jouffroy appelait
admirable', établit que les deux sentiments du
beau et du sublime sont différents, et déter-
mine cette différence., Il se divise en cinq par-
ties : la première, qui sert en quelque sorte
d'introduction, est consacrée à l'étude géné-
rale des passions humaines; la seconde, au
sublime; la troisième, au beau; la quatrième,
à la manière dont se produisent les senti-
ments du sublime et du beau ; la cinquième et
dernière, à la poésie.
L'auteur commence par analyser la dou-
leur et le plaisir. Il montre que ces deux sen-
timents ne doivent pas être considérés comme
simplement opposés et corrélatifs. Il y a un
plaisir positif, qui n'est pas la cessation de la
douleur; il y a une douleur positive, qui n'a
rien de commun avec la cessation du plaisir.
Le plaisir relatif qui résulte de la cessation
de la douleur doit être distingué par un nom
spécial; Burke l'appelle contentement (de-
light). Les effets qui résultent de la cessation
du plaisir sont ou l'indifférence, ou le désap-
pointement, ou le chagrin. Il est impossible de
confondre aucun de ces états avec la douleur
positive. Toutes nos passions se rapportent,
soit à la conservation de soi-même, soit à la
société. Les passions qui regardent la conser-
vation de soi-même roulent sur le danger et
la douleur. Elles sont simplement douloureu-
ses quand leurs causes nous affectent immé-
diatement ; elles nous donnent du contente-
ment lorsque nous avons une idée de douleur
et de danger, sans éprouver positivement la
douleur, sans être exposés positivement au
danger. Tout ce qui est de nature à produire
ce contentement, Burke l'appelle sublime.
Des passions qui se rapportent à la conser-
vation de l'individu, nous passons à celles qui
se rapportent à la société; Il y a deux sortes de
sociétés : la première est la société des sexes,
dont l'objet est la propagation de l'espèce. La
passion qui s'y rapporte est Y amour ; elle a
fiour objet la beauté des femmes. L'autre est
a société bien plus étendue de l'homme avec
tous les hommes, avec tous les animaux, et,
en général, avec tous les êtres de la création.
La passion qui y a rapport est une espèce
d'amour, une affection qui n'est point, comme
l'amour proprement dit, mélangée de désirs
charnels. Elle a pour objet le beau considéré
d'une manière générale: c'est, dit Burke, le
nom que je donne à toutes les qualités des
choses qui produisent en nous un sentiment
d'affection et de tendresse, ou qui ressemble à
l'affection et à la tendresse.
Ainsi, suivant notre auteur, les sentiments
du sublime et du beau appartiennent à deux
catégories de passions essentiellement diffé-
rentes. L'étonnement, l'admiration, le respect
et la terreur sont des effets du sublime, tan-
dis que l'amour est l'effet du beau. Burke fait
remarquer l'affinité que l'étymologie semble
-établir entre Tâtonnement et l'admiration, en-
tre le respect et la terreur. Dans les causes
qui produisent ces sentiments, il signale les
caractères du sublime ; ce sont l'obscurité, le
pouvoir, le vide, la solitude, le silence, l'im-
mensité en étendue, l'infinité, la succession
et l'uniformité des parties, la difficulté, la
magnificence, la lumière éblouissante, le pas-
sage rapide de la lumière aux ténèbres et des
ténèbres à la lumière, les couleurs forcées et
tristes,'les sons et les bruits excessifs, les
sons et les bruits qui se produisent soudaine-
ment ou qui sont brusquement interrompus, etc.
Après avoir énuméré les sources du sublime,
Burke s'occupe du beau. Il montre, en une
suite de chapitres remarquables, que ni la pro-
portion, ni la convenance à une ha ne consti-
tuent la beauté, a Si l'on trouvait, dit-il, que
les parties du corps humain qui sont propor-
tionnées fussent toujours également belles;
si l'on pouvait fixer dans les plantes ou dans
les animaux des proportioîis qui eussent tou-
jours la beauté pour compagne, ce qui n'est
jamais arrivé; enfin, si les parties étaient
toujours belles quand elles sont heureusement
disposées suivant leur destination, et si la
beauté disparaissait avec l'utilité, ce qui est
contraire à toute expérience, nous pourrions
conclure que la beauté consiste dans la pro-
portion ou dans l'utilité; mais, comme à tous
égards il en est autrement, nous pouvons être
assurés que la beauté n'en dépend pas. » Quels
sont donc les caractères de la beauté ? Burke
croit les reconnaître dans la petitesse rela-
tive des objets, dans l'uni ou le poli des sur-
faces, dans la variation graduelle et insensi-
ble, dans la dé^catesse, dans les couleurs
claires et brillantes, etc. Comme on le voit, il
n'y a rien de commun entre les qualités qui
constituent le beau et celles qui produisent
le sentiment du sublime ; ou plutôt, il y a
complète opposition entre ces deux groupes
de qualités. - Les objets sublimes, dit Burke,
sont grands dans leurs dimensions ; les objets
beaux sont comparativement petits. La beauté
est unie et polie ; le sublime, rude et négligé.
La beauté fuit la ligne droite, mais s'en éloi-
gne par des déviations insensibles; le su-
blime, en plusieurs cas, s'attache à la ligne
droite, ou s'enécarte par des saillies fortes et
prononcées. L'obscurité est ennemie du beau,
le sublime se couvre d'ombres et de ténèbres.
Enfin, la légèreté et la délicatesse s'unissent
à la beauté, tandis que le sublime demande
la solidité et les masses.
Beau dans les aris (ÉTUDES SUR LE) , par
Joseph Droz. Cet ouvrage, publié en 1S15,
traite successivement du beau dans l'accep-
tion générale du mot, de la grandeur, de la
vérité et de l'imitation; de la simplicité dans
la poésie, dans les arts, dans la musique ; de
la variété, de l'originalité, du complément du
beau, des sujets qui s'opposent a l'effet du
beau, des causes qui peuvent ajouter à la
beauté d'un ouvrage, du sublime, des émo-
tions vagues, du joli.
" L'auteur commence par se demander le
sens précis de ce mot vague beau. Il remar-
que, d'aboed, que le beau se caractérise par
son action, qui est d'élever l'âme. Mais quelles
sont les qualités qui produisent cette action?
La grandeur, répond Droz, est la première
qualité qui nous frappe dans les arts jugés
par le sens de la vue. C'est dans l'architec-
ture, surtout, que la grandeur matérielle pa-
raît nécessaire, parce que l'architecture est,
peut-on dire, 1 art où se trouve le moins de
grandeur morale. Il faut remarquer, cependant,
que l'emploi des grandes proportions est, dans
la peinture et dans la sculpture, un moyen
puissant d'accroître l'impression du beau.
L'étendue paraît peu nécessaire à la beauté
dans les arts qui ne sont pas soumis au sens
de la vue, dans la poésie et dans la musique ;
c'est que la poésie et la musique, faisant con-
naître successivement les différentes parties
de leurs productions, ne sauraient devoir à
l'étendue le même avantage que les arts dans
lesquels les diverses parties d'un tout nous
frappent en un instant. On doit reconnaître,
pourtant, que l'étendue peut ajouter au mé-
rite de ces productions. « Concevoir un plan
vaste, ordonner entre elles ses nombreuses
ftarties, les embrasser constamment afin de
ier ce qu'on écrit avec ce qui précède et de
le rendre utile à ce qui doit suivre; inventer,
unir et présenter une multitude d'idées qui
concourent au mente but : ces travaux exi-
gent une vigueur d'esprit que ne demandent
pas les morceaux de peu d'étendue. » La
même observation s'applique à la musique.
Une seconde qualité constitutive du beau
dans les arts, c'est la vérité. Après avoir ex-
cepté la musique v-ague et l'architecture, on
peut poser ce principe, que les arts ont la na-
ture pour modèle. Mais la vérité à laquelle
l'artiste doit s'attacher, ce n'est pas la vérité
particulière, appréciée de peu de personnes,
difficile à concilier avec le beau, c est la vé-
rité générale, que tous les hommes savent
sentir et goûter. Il y a deux genres d'imita-
tion, l'imitation naïve et l'imitation idéale ;
l'ouvrage où se réunissent ces deux genres
d'imitation doit plaire à jamais.
La troisième qualité que Droz considère
comme une condition du beau, c'est la simpli-
cité. C'est la simplicité qui fait l'unité dans la
conception d'un poëme, l'ordre dans l'arran-
gement de ses nombreuses parties, l'absence
de recherche et d'affectation dans la manière
d'exprimer les pensées. C'est la simplicité
qui prescrit au peintre d'employer peu de per-
sonnages dans ses tableaux, afin de réunir
plus d'intérêt sur eux, de les distribuer d'a-
près le principe de l'unité, de rejeter les idées
qui pourraient compliquer, embarrasser la
scène, d'éviter que les mouvements de l'âme
soient exagérés et que les couleurs, heurtées
ou trop variées, blessent ou fatiguent notre
vue. La simplicité n'est pas moins nécessaire
dans la sculpture, l'architecture et la mu-
sique.
Mais à la simplicité doit s'unir une qua-
trième qualité, la variété. Otez la variété, et
la simplicité dégénère en uniformité dans les
arts qui doivent plaire au sens de la vue, en
monotonie dans les arts que juge l'oreille.
Otez la simplicité, et la variété dégénère en
confusion. La simplicité et la variété parais-
sent opposées ; cependant l'homme d'un ta-
lent réel ne sacrifie jamais la première de
ces qualités ; il semble en faire éclore la se-
conde. A la variété se rapportent les opposi-
tions, les contrastes. On peut dire qu'un con-
traste est la variété devenue plus saillante
en se concentrant sur deux objets, et que la
variété est une suite de contrastes affaiblis.
L'es contrastes produisent des effets enchan-
teurs ou terribles, mais ils perdent leur pou-
voir s'ils ne sont très-naturels; et notre es-
prit les juge alors avec d'autant plus de
rigueur, qu'ils annoncent la prétention de cau-
ser une impression vive.
En vain réunirez-vous dans une composi-
tion la grandeur, la vérité, la simplicité et la
variété: si vous les employez comme elles
l'ont été mille fois, si vous ne savez leur
donner une empreinte nouvelle, n'espérez
point un éclatant succès. Une cinquième qua-
lité est nécessaire : c'est celle que le génie
imprime à ses œuvres, celle qui rend les au- ,
très qualités puissantes sur notre âme, c'est
l'originalité. Une conception est originale
dès qu'une nuance très-sensible la distingue
des belles conceptions du même genre. Plu-
sieurs raisons rendent l'originalité de plus en
plus difficile. D'abord, les grands sujets, en-
tièrement neufs, deviennent plus rares, à me-
sure que se multiplient les combinaisons. En-
suite, le langage ne conserve point une jeu-
nesse éternelle ; des mots souvent employés
perdent l'originalité qui les caractérisait; leur
énergie s'affaiblit et leur grâce s'efface; les
métaphores n'ont plus l'éclat, les tours n'ont
plu3 la vigueur ou le charme que leur prêtait
la nouveauté. Enfin, les auteurs cessent
d'être environnés d'une atmosphère d'enthou-
siasme; une partiale et décourageante sévé-
rité s'exerce sur leurs ouvrages, car on croit
faire preuve d'esprit en découvrant un défaut,
et l'on ne pense plus qu'il, y ait du mérite à
sentir les beautés.
Après avoir montré quelles sont les quali-
tés constitutives du beau dans les arts, Droz
se demande pourquoi deux de nos sens ont
seuls le pouvoir de transmettre à notre âme
l'impression du beau. A cette question, le
P. André répondait : t. Je ne sais pas la rai-
son, Dieu l'a voulu ainsi. » C'est, dit notre au-
teur, que les sens de la vue et de l'ouïe com-
muniquent le plus directement avec l'âme;
qu'eux seuls ouvrent un vaste champ à nos
jouissances intellectuelles et morales. Il éta-
blit ensuite que le beau diffère du bon, qu'il
en peut être séparé, mais que ces deux qua-
lités ont cependant entre elles des rapports si
intimes, s'allient si heureusement, sont telle-
ment destinées à s'offrir des secours mutuels,
que si l'une existe dans une production des
arts, et que l'autre en soit bannie, l'ordre est
troublé, nos idées sont pénibles. « Ainsi, dit-il,
nous voyons à regret un monument sans
goût retracer le souvenir d'une action ma-
gnanime ; ainsi nous gémissons quand nos re-
gards tombent sur les fruits honteux de la
prostitution du talent. » De là cette règle,
hors de laquelle il ne saurait y avoir de perfec-
tion, que le poëte et l'artiste doivent choisir
des sujets qui réveillent les idées morales et
" inspirent les sentiments élevés.
Les Etudes sur le beau se terminent par
quelques réflexions sur le sublime et le joli.
Droz distingue deux genres de sublime. L'un
est produit par un admirable désordre, et par
les défauts mêmes qui font ressortir avec plus
d'éclat les beautés; l'autre est le-superlatif
du beau ; il appartient « à ces chefs-d'œuvre
où le beau reçut une telle perfection, que, pour
le désigner, l'enthousiasme eut besoin d une
expression nouvelle. » Le beau tient, en quel-
que sorte, le milieu entre le sublime et le joli.
Le joli n'élève pas notre âme, il amuse notre
esprit; il n'enchante pas la vue, il la récrée.
Le sublime, le beau et le joli inspirent un
sentiment de plaisir ; mais, produit par le beau,
ce sentiment est sérieux et grave; excité par"
le sublime, le trouble l'accompagne; en nais-
sant du joli, il obtient un sourire.
Beau dans le* art» du dessin (LE), ouvrage
de M. de Kératry, publié en 1822. Nous y si-
gnalerons d'une manière spéciale les chapi-
tres qui traitent du beau absolu, du beau ma-
tériel, du beau moral, du beau idéal, de l'unité,
de la vérité, du nu, et du style dans les arts.
L'auteur n'admet pas, avec le P. André, qu'il
existe un beau essentiel indépendant de toute
institution, même divine. Ce beau essentiel,
qui consiste dans l'unité, dans l'ordre, dans la
proportion, n'est qu'une chimère. Il faut écar-
ter des considérations sur le beau les spécula-
tions sur les nombres et les qualités occultes.
Le beau n'est, dans celui qui en est pourvu,
que la manifestation d'un bien en puissance,
et, dans celui qui en est frappé, quun aperçu
de ta réalité de ce bien là ou il existe. Son
action excitative vient des promesses qu'il
fait aux sens ou à la pensée. Pourquoi les
femmes sont-elles plus sensibles que nous à la
présence du beau dans tous les êtres animés
ou inanimés? C'est que le beau, comme toute
qualité positive, devait agir beaucoup sur le
sentiment et fort peu sur la réflexion, et que
l'être destiné à'sentir avec le plus de rapidité
et à exercer le plus fréquemment ses sens
était celui-là même auquel la beauté pouvait
se faire le plus tôt et le plus vivement recon-
naître. Ainsi, selon M. de Kératry, le beau
n'est que la splendeur du bien : l'idée - de
beauté se rapporte à celle de finalité, d'har-
monie, de convenance. Il faut, dit-il, poser
en principe que l'état de beauté, pour un être
quelconque, est celui où il parvient à sa des-
tination; l'être organisé la trouvera en attei-
gnant le plus parfait développement de ses
facultés physiques; l'être moral, celui de ses
facultés morales. La beauté absolue n'est ni
dans un enfant appelé a être homme un jour,
ni dans la fille tendre et délicate avec laquelle
il doit un jour s'unir. Ce sera l'homme avec la
plénitude de ses moyens virils, ce sera la
femme avec toutes les grâces formées de son
sexe, qui nous présenteront le beau absolu, tel
qu'il doit apparaître aux regards de l'artiste,
et qu'il doit satisfaire les recherches du phi-
losophe. Une plante destinée à donner des
fleurs sera vraiment belle au moment de l'é-
panouissement de ses boutons ; celle dont
nous attendons des fruits méritera cet éloge
dans la maturité de ses baies, de ses grap-
pes, etc. En un mot, loin d'être, comme le
voulait le P. André, indépendant de toute
institution divine, le beau absolu n'est pas"
autre chose que l'accomplissement de la vo-
lonté qui a coordonné les diverses parties de
la création, qui leur a assigné une fin, ou qui
leur a prescrit des devoirs à remplir. Dans
l'ordre matériel, c'est l'état de perfection phy-
sique des êtres ; dans l'ordre moral, c'est
l'heureux et sage emploi des dons qu'ils ont i
reçus de la Providence.
Ces principes posés, il est facile d'en déduire
des notions nettes et claires sur le be.au ma-
tériel et sur le beau moral. Le beau maté-
riel comprend celui des éléments soumis à
notre action ou aux forces aveugles de ia na-
ture, et celui des créations douées de vie,
dont les formes sont étrangères à notre puis-
sance. Dans les premiers , la beauté n'est
qu'une conformité de l'objet et de la place
qu'il occupe à sa destination ; dans les êtres
vivants, elle implique un sentiment de la per-
fection des moyens organiques employés par
le Créateur pour assurer l'état des individus et
la- permanence des espèces. Pour nous en
convaincre, nous n'avons qu'à réfléchir sur
ce qui constitue la beauté physique d'une
femme. Si le sein ne nourrissait pas, dit M. de
Kératry , au Heu de parer la gorge d'une
femme, il n'y semblerait qu'une monstruosité
gênante ; si le bassin ne devait contenir, l'en-
fant, la turgescence des reins serait sans mo-
tif; si ces formes douces et arrondies des
membres supérieurs et de ceux qui naissent
à la bifurcation du corps ne devaient être sans
cesse en contact avec le nourrisson qu'il fuut
réchauffer, ou avec l'époux dont il faut pro-
longer la séduction, leur morbidesse n'offri-
rait qu'une simple privation de force ; si ces
mains potelées n'étaient destinées à toucher
tout sans rien blesser, et à consoler des plaies
qu'elles n'ont pas faites, la physiologie n'y
verrait que le désarmement d'un être inoffen-
sif, livré avec une sorte de cruauté à des pé-
rils inévitables... Les beautés physiques plai-
sent, parce qu'elles ont toutes un but, parce
qu'elles ont toutes une intention. Anéantissez
celles-ci en esprit, plus de moyens de plaire ;
partant, plus de beauté. »
Le principe de la finalité, de la convenance
s'applique au beau moral comme au beau
matériel. Si, dans les formes corporelles, le
beau est la puissance de remplir les inten-
tions qui ont présidé à leur création primi-
tive, dans les mœurs, il est la volonté d'exé-
cuter ce qui est le plus avantageux pour l'être
coordonné à son espèce, en le maintenant
dans la vie de relation qui lui a été assignée.
j Une loi est belle, quand elle concourt puis-
samment au bonheur de la cité. En un mot,
! d'après la théorie de M. de Kératry, on doit
| établir le beau moral sur la base de l'intérêt
j des individus, des familles, des sociétés et du
' genre humain. C'est la seule qui puisse le por-
» ter; les arts d'imitation ne sauraient'prendre
I ailleurs leur modèle, et la philosophie. elle-
! même serait impuissante à se le représenter
| sous d'autres traits.
Le principe de la finalité exclut la recherche
d'un beau idéal distinctdubeau naturel, supé-
rieur au beau naturel. Le beau idéal est proche
parent des formes substantielles de la scolas-
tique; comme le beau essentiel du P. André,
il habite les nuages de la métaphysique : les
artistes doivent l'y laisser. Tout le rôle .et le
mérite des arts se réduit à l'imitation des
formes dans le beau matériel, et de l'expres-
sion dans les affections morales. Mais voici
Hutcheson qui nous montre dans la variété
jointe à l'unité le principe fondamental du
beau, et qui s'efforce d'établir ce principe
par l'analyse de diverses figures géométri-
ques. Il est certain que l'ordre uni à une di-
versité d'objets est une source de plaisir pour
l'œil qui le contemple. Mais on n'a pas besoin,
pour expliquer ce plaisir, de recourir à la
science des nombres et de la configuration
des corps. La variété nous plaît comme indice
du mouvement. L'homme cherche son ana-
logue, il veut des rapports, il appelle des
sympathies, il vise sans cesse à se créer des
points de contact, de là le plaisir qu'il trouve
dans le mouvement et dans tout ce qui en ré-
veille l'idée dans son esprit. A ce titre, la va-
riété doit nécessairement lui être agréable.
Mais il y désire de l'ensemble ou de l'unité,
parce que cette dernière, en rassemblant sous
un seul lien les actes diversifiés de ce mou-
vement,'lui permet de les embrasser d'un
coup d'oeil. Un autre motif lui fait chérir cet
ordre, qui rassemble les objets sous son re-
gard, c'est qu'il y trouve la sécurité de sa
personne et le repos de son esprit.
Beau (LA SCIENCE DU) étudiée dans ses prin-
cipes, dans ses applications et dans son his-
toire, ouvrage publié en 1861 par M. Charles
Lévêque. En 1857, l'Académie des sciences
morales et politiques avait mis au concours
la question suivante : » Rechercher quels sont
les principes de la science du beau, et les vé-
rifier en les appliquant aux beautés les plus
certaines de la nature, de la poésie et des
arts, ainsi que par un examen critique des
plus célèbres systèmes auxquels la science du
beau a donné naissance dans l'antiquité, et
surtout chez les modernes. » Plusieurs mé-
moires furent présentés; celui de M. Lévê-
que, lu dans les séances des 16 et 20 avril
1859, obtint le prix. Ce mémoire, revu et cor-
rigé, est devenu l'ouvrage dont nous donnons
ici l'analyse.
La Science du beau se compose de quatre
parties, qui traitent successivement de l'idée
du beau, du beau dans la nature et en Dieu,
de l'art, et de l'histoire des systèmes d'esthé-
tique. Après avoir constaté, dans une page
d'introduction, l'existence et la puissance uni^
verselle de là beauté, l'auteur ramène toutes
les questions que renferme l'esthétique aux
deux suivantes ; Quels sont les effets que le
beau produit sur nos âmes? Quelle est la na-
ture du beau? La psychologie doit répondre
430 '
à la première question, la métaphysique à la
seconde. M. Lévêque analyse les effets du
beau sur l'âme humaine, non-seulement sur
notre intelligence et notre sensibilité, mais sur
nos facultés actives. Il distingue dans l'acti-
vité esthétique : l'émotion, qui ravit l'âme en
l'échauffant; l'inspiration ou l'enthousiasme,
qui la féconde par la vue de l'idéal -, enfin, la
Production, qui enfante les chefs-d'oeuvre de
art et les monuments immortels du génie.
Le rôle de l'observation et de l'analyse
épuisé, c'est à la spéculation métaphysique à
remplir le sien ; il faut qu'elle saisisse la na-
ture du beau considéré en lui-même, et mette
à nu ses éléments essentiels. Quels sont ces
éléments? M. Lévêque, prenant pour exem-
ple un beau lis, en compte huit : la pleine
grandeur des formes, l'unité, la variété, l'har-
monie, la proportion, la vivacité normale de
la couleur, la grâce et la convenance. Il les
retrouve en tous les objets beaux , et remar-
que, du reste, qu'ils peuvent se ramener à
deux : la grandeur, ou puissance, et l'ordre.
Il s'efforce ensuite de distinguer l'idée du beau
de quelques idées qu'on a plus d'une fois pri-
ses pour elle; il montre que le beau n'est
point le parfait, que ce n'est pas davantage
l'utile, et que ce n est pas non plus l'agréable.
A côté du beau, il étudie le joli et le sublime.
Le joli a, comme le beau, la force et l'ordre,
mais à un moindre degré. C'est encore le
beau, mais le beau moins la grandeur, moins
l'ampleur, moins l'énergie largement dé-
ployée... n Facile à comprendre, facile à trou-
ver, facile à exprimer, le joli récrée l'âme :
mais il ne sait ni l'élever, ni la fortifier. Il
n'agrandit l'intelligence ni de celui qui s'en
inspire, ni de celui qui le produit, ni des ama-
teurs friands qui le payent à chers deniers. Il
nous intéresse, il nous amuse, mais jamais il
ne nous satisfait pleinement. » Quant au su-
blime, il a, comme le beau, puissance et or-
dre, mais dans une mesure qui dépasse nos
sens et même notre imagination. Il cesse
d'être beau, non pour rester en deçà, mais
fiour passer au delà, lorsque nous tentons de
e déterminer ou de le comprendre en une
mesure ou sous une forme limitée. En lui-
même, le sublime est beau; ce n'est que rela-
tivement à nos facultés de comprendre qu'il
est sublime : il a toujours quelque chose de
caché et d'obscur pour nous; le sentiment
qu'il inspire n'est pas pur comme l'admiration
du beau, parce qu'il s'y mêle toujours une
certaine peine, qui vient de la conscience de
notre petitesse et de notre faiblesse évidentes
en face d'une puissance prodigieuse et invin-
cible.
Dans la seconde partie, M. Lévêque traite
successivement de la beauté dans la nature
humaine, dans les êtres inférieurs à l'homme,
et en Dieu. En ce qui concerne l'homme, il étu-
die d'abord la beauté de l'âme, qu'il distinguo
en beauté sensible, beauté intellectuelle et
beauté morale, et ensuite la beauté du corps
humain, soit purement physiologique, soit
expressive. Passant aux beautés de la nature,
il parcourt tous les règnes et poursuit le beau
à tous ses degrés et sous toutes ses formes,
dans les animaux, dans les plantes, dans les
minéraux et dans les grands spectacles de la
nature. En traitant de la beauté divine, il re-
connaît en Dieu le type absolu de la beauté,
puisqu'en Dieu se retrouvent, a un de^ré ab-
solu, les deux éléments du beau : la puissance
et l'ordre.
A côté du beau naturel, que l'homme con-
temple sans y mettre du sien, il y a le beau créé
par le génie de l'homme. L'auteur parcourt
cette nouvelle carrière dans la troisième par-
tie. Dans un premier chapitre, il s'attache à
bien déterminer l'idée de l'art. Il le définit :
l'interprétation, et non l'imitation, du beau na-
turel par ses signes les plus expressifs, c'est-
à-dire au moyen de formes idéales. Après
cette définition, il fixe le but de l'art, qui doit
être essentiellement la recherche dû beau.
L'art, suivant M. Lévêque, ne peut, sans dan-
ger pour lui, se subordonner ni à la morale,
ni à la religion, ni au patriotisme, quoiqu'il
puisse souvent y trouver les sources de ses
plus heureuses inspirations. De la définition
de l'art, M. Lévêque tire un critérium do
l'excellence et de la dignité comparatives des
différents arts. - Puisque l'essence de l'art,
dit-il, est la belle interprétation de la belle
nature, l'art est d'autant plus excellent, d'au-
tant plus beau, d'autant plus art, que la na-
ture-qu'il interprète est plus belle, et qu'il
l'interprète avec plus de puissance. » De là
une classification ou sériation naturelle des
arts, fondée : 1° sur le degré de beauté des for-
mes ou des âmes exprimées ; 2" sur le degré de
puissance avec lequel sont interprétées les
belles formes ou les belles âmes. Tout au bas
de l'échelle des arts, l'architecture ; ensuite
la sculpture; au troisième échelon, la pein-
ture ; au quatrième, la musique; au sommet,
la poésie, de tous les arts le plus expressif et
le plus puissant. M. Lévêque vérifie ensuite
ses théories du beau et de l'art en les appli-
quant successivement aux principaux monu-
ments de l'architecture, de la sculpture, de la
peinture, de la musique et de la poésie : au
Parthénon, à la cathédrale gothique, à l'église
de SaintrPierre de Rome, etc.; à la Minerve
et au Jupiter olympien de Phidias, aux fron-
tons, métopes et frises du Parthénon, à la
Vénus de Milo, à l'Apollon du Belvédère, au
Moïse de Michel-Ange, au Milon de Crotone
de Puget, etc. ; à la Cène dé Léonard de
Vinci, au Jugement dernier de Michel-Ange,
| à la Transfiguration de Raphaël, aux paysa- i
ges de Poussin, etc.; au Stabat de Pergoîèse, j
I aux Noces et au Don Juan de Mozart, aux
Saisons de Haydn, etc.; à l'Iliade, aux œuvres
lyriques de David, de Pindare, de Sapho, aux
œuvres dramatiques d'Eschyle, de Sophocle,
d'Euripide, de Snakspeare, de Corneille et de
Racine, aux comédies d'Aristophane et de Mo-
lière, aux fables de La Fontaine, aux romans
de Mlle de Scudéry, de Daniel de Foë, de Cer-
vantes, de Bernardin de Saint-Pierre, de
Walter Scott, etc.
La quatrième partie trace l'histoire de la
science du beau ; elle expose les principaux
systèmes d'esthétique, depuis celui de Platon
jusqu'à celui de Hegel, en passant par Aris-
tote, Plotin, Hutcheson, Reid, le P. André,
Baumgarten, Kant et Schelling.
Denu don Di6Ko (LE), en espagnol El Ltndo
don Diego, comédie de don Agostin Moreto y
Cabana. C'est le récit des mésaventures d'un
petit-maître, qui pense qu'en l'apercevant
chaque femme devient amoureuse de sa belle
prestance. Le poëte peint avec un art exquis
le beau don Diego à sa toilette, et nous montre
le mépris profond qu'éprouve son héros pour -
quiconque refuse de prendre un soin aussi
frivole de sa personne. Un caractère tel que
celui de Diego n'est pas commun, mais il existe,
et on en a eu sous les yeux des exemples vi-
vants. Le but de Moreto n'a pas été seulement
de dérouler une intrigue amusante : il a voulu
nous montrer la punition d'un fat, qui épouse,
au dénoûment, une adroite servante qui a
réussi à se faire passer à ses yeux pour une
riche comtesse. La régularité et la simplicité
de l'action, ainsi que la correction et la grâce
extrême du style, distinguent cette pièce, qui
est regardée aussi comme l'une des plus re-
marquables comédies de caractère du théâtre
espagnol. La date de la première représenta-
tion ne peut être fixée avec certitude. On sait
seulement que Moreto composa cette pièce
pendant le séjour qu'il fit à Tolède, en qualité
de chapelain du Refuge de San-Pedro et de
l'hôpital de San-Nicolas, poste important qu'il
occupa de 1657 à 1667, et où il avait été ap-
pelé par les soins du cardinal-archevêque de
cette ville. En effet, la première édition du
Lindo don Diego a paru dans un recueil de
divers auteurs dramatiques : Parte diez y
ocho de Varios (Madrid, 1662), et Parte se-
gunda de Moreto (Valencia, por Benito Macé,
1676).
. Dans une collection de comédies de Moratin,
qui fait partie de la bibliothèque de la reine
d'Espagne et qui est enrichie d'annotations
curieuses de cet écrivain, on trouve, à la pièce
intitulée : El Narcisco de su opinion, de Guillen
de Castro, une note qui indique qu'elle a in-
spiré à Moreto l'idée première de son Lindo
don Diego.
Beau stratagème (LE), comédie anglaise de
Farqhuar. Cette pièce, qui date de 1707, est,
sans contredit, la comédie la mieux faite de
l'œuvre de Farqhuar. Le sujet est le strata-
gème employé par Aimwell, cadet de famille,
qui prend le nom et les titres de son frère
aîné pour se faire bienvenir d'une riche héri-
tière, afin d'entrer dans la maison de sa belle.
Aidé d'un valet de chambre fort libertin, plutôt
son compagnon que son serviteur, et qui se
nomme Archer, il feint un évanouissement à
la porte de Dorinda, celle qu'il aime, et se
trouve introduit dans la place, où l'on s'em-
presse autour de lui. Archer, malgré son rang
subalterne, séduit une amie de la jeune per-
sonne, nommée mistress Sullen. Une scène
d'amour entre cette dame et lui, mêlée à une
scène de voleur, dans laquelle il joue un vail-
lant rôle, produit un grand effet. Le maître et
le valet arrivent enfin à un .heureux résultat.
Le premier épouse Dorinda, le second mistress
Sullen, que son mari lui cède volontiers, grâce
à la loi du divorce. Les plaintes de lady Sullen
sur le mariage en général, et sur son mari en
' particulier, ont un tour original dans une ma-
tière si rebattue. L'antipathie des deux époux
l'un pour l'autre est tracée avec une franchise
comique, qu'on ne retrouve plusjusqu'àSheri-
dan; jamais l'incompatibilité d'humeur n'a été
mise en relief avec plus d'énergie. Mais il est
juste de remarquer cjue l'auteur comique ren-
contrait dans la législation de son pays une
grande facilité pour le dénoûment de ses in-
trigues. Il suffisait du premier prêtre venu
pour marier deux amants, en quelque endroit
que ce fût. On se démariait ensuite très-aisé-
ment, et l'amour de mistress Sullen pour Ar-
cher, loin d'être coupable, devient légitime à
la fin. Farqhuar; pour récompenser le beau
stratagème d'Ainrwell, fait mourir son frère
aîné juste assez à temps pour qu'il puisse
offrir, sérieusement cette fois, à celle qu'il
aime, les titres et les grandeurs qu'elle am-
bitionnait.
BEAU TÉNÉBREUX (LE), nom que prit
Amadis de Gaule lorsqu'il se retira à l'ermi-
tage de la Roche-Pauvre, désespéré des re-
proches que lui adressait sa maîtresse, exci-
tée par la jalousie. Aujourd'hui, ce nom est
fréquemment appliqué, par plaisanterie, aux
amoureux taciturnes et mélancoliques : Jeanne,
troublée, rêve déjà à ce BEAU TÉNÉBREUX du
vice, comme VEloa du poète rêvait à Satan.
(P. de St-Vict.) V. AMADIS.
BEAU (Joseph-Honoré-Simon), médecin fran-
çais, né à Collonges (Ain) en 1806, mort'en
18G5. Après avoir commencé à Lyon ses études
médicales, il se rendit à Paris, où il arriva au
doctorat en 1836. Sa thèse Sur l'emploi des
évacuants dans la fièvre typhoïde se fait re-
marquer par ce ton dogmatique et cette ori-
ginalité de doctrines, qui devaient caractériser
à un si haut point le docteur Beau. Intelligent
et travailleur, il se fit agréger à la faculté,
devint membre du bureau central des hôpi-
taux, et fut successivement attaché à la Sal-
pêtrière, à l'Hôtel-Dieu, aux hôpitaux Saint-
Antoine et Cochin, et, en dernier lieu, à la
Charité. En 1856, il fut appelé à faire partie
de l'Académie de médecine. Les principaux
ouvrages de Beau sont : Recherches sur la
cause des bruits anormaux des artères, et appli-
cation de ces recherches à l'étude de plusieurs
maladies et principalement de la chlorose (1838);
Recherches sur quelques points de la séméiohgie
des affections du cœur (1839) ; Traité clinique si
expérimental d'auscultation appliquée à l'étude
des maladies du poumon et du cœur (1856). Re-
marquable par l'originalité des aperçus, ce der-
nier ouvrage a été l'objet de discussions très-
vives,.que prolongea longtemps la résistance
opiniâtre de Beau en face de ses adversaires.
Beau y soutient que, dans les bruits du cœur,
le premier bruitest causé par le choc de l'ondée
sanguine contre les parois des ventricules dans
la diastole ventriculaire, et le second par le
choc de la colonne sanguine arrivant par les
veines contre les parois des oreillettes. En
vain, l'Académie entière protesta par des réfu-
tations et des expériences; Beau resta toute
sa vie inébranlable dans cette conviction. Cette
conviction prenait-elle sa source dans une
observation sincère des faits, ou n'était-elle
que le résultat d'une opinion préconçue? Hip-
pocrate dit oui, et Galien... ne dit pas non.

BEAUBRUN
ou BOBRUN (Henri et Charles
DE), peintres français, florissaient au xvnc siè-
cle. Ils étaient cousins germains. Leur aïeul,
Mathieu de Beaubrun, originaire du Forez,
exerça la charge de valet de chambre du roi
sous Henri II, François II, Charles IX, Henri III
et Henri IV. Il eut trois fils : Mathieu, qui lui
succéda dans sa charge et qui accompagna le
cardinal de Joyeuse à Rome, où il se livra à
son goût pour la peinture de portraits, goût
qu'il transmit à son fils Charles ; Henri, qui fut
valet de la garde-robe du roi, et qui eut un
fils du même nom que lui; Louis, qui se fit
estimer comme peintre de portraits et d'histoire
et comme graveur. Ce dernier, né vers 1580,
selon quekm.es auteurs à Amboise, selon d'au-
tres à Paris, fut plusieurs fois chargé par les
magistrats de cette dernière ville d'exécuter
des peintures destinées à conserver le souve-
nir de certaines solennités. On a de lui deux
gravures représentant, l'une, le Prévôt des
marchands et les échevins de Paris haranguant
Louis XIII à son avènement (1610); l'autre,
l'Entrée de Louis XIII et d'Anne d Autriche
à Paris (1616). Louis de Beaubrun eut pour
élèves ses deux neveux Henri'et Charles. Le
premier, né vers 1603, fut d'abord attaché à
Louis XIII en qualité de porte-arquebuse. Ce
prince, ayant été instruit de l'inclination du
jeune homme pour la peinture, prit intérêt à
son éducation et voulut qu'il apprît, pour la
compléter, l'architecture, la géométrie et la
perspective; plus tard, il se fit enseigner par
lui les procédés du pastel. Henri, ainsi favorisé
et choyé par le roi, obtint à la cour une vogue
extraordinaire comme portraitiste. Ne pouvant
suffire aux commandes, il s'associa son cousin
Charles, qui n'avait guère qu'un an de moins
que lui, et dès lors, les deux artistes, liés d'une
étroite amitié, ne cessèrent pas de travailler
ensemble. On n'a peut-être jamais vu, dit l'abbé
de Fontenay, une conformité de mœurs et
de sentiments pareille à celle qui régnait entre
eux : on aurait dit qu'un même esprit et une
même volonté les animaient. Ce qui paraissait
vraiment extraordinaire, c'est que, dans leurs
ouvrages, on reconnaissait l'effet d'une même
imagination et des idées tout à fait sembla-
bles. Leur manière était si parfaitement égale,
qu'ils travaillaient alternativement l'un et
1 autre à faire le portrait d'une personne, qu'ils
se servaient de la même palette et des mêmes
pinceaux, et qu'il ne paraissait point que deux
mains ditïérentes eussent opéré. L'abbé do
Fontenay ajoute : « Ces deux artistes furent
longtemps à la mode à la cour. Ils eurent
l'honneur de faire les portraits de Louis XIV,
de la reine sa mère et des personnes les plus
qualifiées : il n'y avait guère de daines qui ne
voulussent être peintes par eux. Il est vrai
qu'en conservant la ressemblance, ils avaient
1 art de flatter, et qu'ils savaient rehausser la
beauté par des attitudes et des airs avanta-
geux, par des habits, des coiffures et d'autres
ornements, qui donnaient beaucoup de grâce
et de majesté aux portraits. L'ennui qu'on
éprouve ordinairement en se faisant peindre
disparaissait devant ces habiles gens. Leur
conversation était des plus amusantes : aussi
leur atelier était-il le rendez-vous des per-
sonnes les. plus belles et les plus spirituelles
de la cour, qui passaient quelquefois des demi-
journées a les voir travailler et à s'entretenir
avec eux. » Les Beaubrun furent souvent em-
ployés pour les bals et les autres divertisse-
ments de la cour; Us imaginèrent, dit Juilluet
de Saint-Georges, plusieurs nouveautés ingé-
nieuses et galantes, tant pour les sujets que
pour les habits des mascarades, ballets et comé-
dies. Ils faisaient eux-mêmes des vers, et ils
composèrent une comédie de proverbes, qui a
été imprimée plusieurs fois. En 1660, ils furent
chargés de décorer l'arc de triomphe que l'on
éleva au bout du pont Notre-Dame, à l'occa-
sion de l'entrée de Marie-Thérèse à Paris. Ils
, y peignirent, entre autres figures allégoriques,
j Mars désarmé par l'Amour. La collaboration
des deux cousins se prolongea jusqu'en 167",
! année où Henri fut emporté par une fièvro
j violente. Charles mourut quinze ans plus tard,
j à l'âge de quatre-vingt-huit ans; il était né à
Amboise en 1604. Les deux cousins avaient
été membres de l'Académie de peinture dès sa
fondation; ils y exercèrent en commun les
fonctions de trésorier, comme si l'Académie,
en leur partageant les honneurs de cette
charge, eut voulu, dit M. Ch. Blanc, consa-
crer une fois de plus l'union sans exemple do
ces deux peintres aimables. On voit, au musée
de Versailles, deux portraits exécutés par les
Beaubrun, celui de Marie-Thérèse et celui de
Mm« Hardi, fille de M. de Nointel. Le Louvre
n'a pas de tableau de ces artistes; mais on y
remarque leurs portraits peints dans un même
cadre par Martin Lambert, leur élève.

BEAUCAIRE
en latin Ugernum, Delli-Qua~
drum, ville de France (Gard), ch.-l. do cant.,
arrond. et à 24 kil. E. de Nîmes, à 780 kil.
S.-E. de Paris par le chemin de fer de la
Méditerranée, 'à 32 kil. de la Méditerranée,
sur le canal de son nom et sur la rive droite
du Rhône, vis-à-vis de Tarascon; pop. aggl.
8,245 hab. — pop. tôt. 9,544 hab. Petit sémi-
naire, syndicat maritime. Belles carrières de
pierres ; fabriques de toiles, étoffes de laine,
poterie, corderie, chapellerie, tannerie, mino-
terie, tonnellerie, batellerie.
La ville de Beaucaire est, en général, assez
bien bâtie ; cependant les rues en sont étroites
et mal percées. Mais sa position entre le Rhône,
le bassin du canal d'Aigues-Mortes et une
chaîne de rochers que couronnent les ruines
pittoresques d'un ancien château fort, est réel-
lement délicieuse. Indépendamment de ces
ruines, qui méritent d'être visitées, on remar-
que, à Beaucaire : les restes d'une voie ro-
maine; l'hôtel de ville ; l'église paroissiale; la
maison dite de Montmorency, ou l'on voit une
cheminée ornée de belles sculptures; la belle
et vaste esplanade qui borde le Rhône; la
prise d'eau du canal et le pont suspendu qui
relie la ville à Tarascon. Ce pont, ouvrago
immense, sans égal en France, et qui n'est
égalé en Angleterre que par le fameux pont
de Menai, a une longueur de 438 m. 53. Cet
espace est occupé par quatre travées, formées
au moyen de trois piles de suspension établies
dans la rivière, et laissant entre elles deux
grandes travées à chaînettes entières de
126 m. 68 chacune. Le pont se complète, sur
chaque rive, par une travée de demi-chaînette
et de 73 m. il de portée, disposée de telle
sorte qu'aucune construction n'obstrue la vue
des quais et des abords, la demi-chaînette ne
s'élevant à chaque'bout du pont que fort peu
au-dessus du sol. A côté de ce pont suspendu
s'élève sur le Rhône le remarquable viaduc du
chemin de fer de Nîmes à Avignon.
L'origine de Beaucaire ne remonte pas au
delà du moyen âge ; ce n'était d'abord qu'un
château fort, que sa forme carrée fit appeler
Belli-Quadrum. A l'entour s'aggloméra une
bourgade, dont il est fait mention pour la pre-
mière fois, en 1067, dans un acte de partage
entre Raymond et Bernard, fils de Bôrenger,
comte de Narbonne. Lors de la division du
royaume d'Arles en grands fiefs, Beaucairo.
échut aux comtes de Provence ; puis, en 1125,
fut cédé aux comtes de Toulouse. L'impor-
tance de la position de cette ville lui fit jouer
un assez grand rôle dans notre histoire. Ce fut
à Beaucaire que se tint, en 1172, une magni-
fique cour plénière, dont le but était une ré-
conciliation projetée par le roi d'Angleterre
Henri H entre Raymond, comte de Toulouse,
et le roi d'Aragon.
Durant la longue et sanglante lutte des
Albigeois,Beaucaire eut maintes fois à souftVir
des horreurs de la guerre. Lorsque, en 1216,
Raymond VII, comte de Toulouse, entreprit
de reconquérir les Etats de son père sur les
croisés, cette ville lui ouvrit ses portes, et le
siège fut mis devant le château occupé par le
sénéchal et les meilleurs chevaliers de Simoo
de Montfort. Ce dernier rassembla à la hâte
quelques troupes, et vint bloquer dans Beau-
caire les Provençaux qui assiégeaient le châ-
teau. Alors se passèrent de merveilleux faits
d'armes, longuement racontés dans le poëme
provençal de la croisade contre les Albigeois.
Mais Simon ne put sauver son sénéchal et ses
soldats qu'en les autorisant à capituler et à
sortir du château sans harnais et sans armes.
En 1274, après la clôture du concile de Lyon,
le pape Grégoire X se rendit à Beaucaire, où
il eut une entrevue avec Alphonse, roi do
Castille, qu'il détermina à renoncer à ses pré-
tentions sur le trône d'Allemagne. En 1390, le
pape Clément VII vint s'y établir, fuyant la
peste qui régnait à Avignon, et, en 1413, les
Bourguignons assiégèrent Beaucaire sans pou-
voir lui faire abandonner le parti du roi do
France. Les désastres causés en France par
les guerres de religion au xvie siècle n'épar-
gnèrent pas Beaucaire. «En 1561, dit la chro-
nique, les catholiques s'armèrent contre les
religionnaires, et coururent dans toute la ville
pendant quatre heures en criant : Aux hugue-
nots! et ils en tuèrent et blessèrent plusieurs
sans autre occasion, fors qu'ils étoient suspi-
cionnés d'estre huguenots et de la foi. - Un an
après, les protestants s'emparèrent à leur tour
de la ville, que les catholiques reprirent la nuit
suivante, mais dont ils furent chassés au point
du jour, après un combat sanglant et meur-
trier. En 1C32, lors de la tentative de révolte
431
du duc d'Orléans et de Montmorency contre le
cardinal de Richelieu, la ville seule resta
Adèle. Les rebelles s'emparèrent du château,
qui fut bientôt forcé de capituler et démantelé
par ordre du puissant ministre. Tel est le der-
nier fait important que présentent les annales
de cette ville.
Mais Beaucaire doit sa grande célébrité à la
foire qui s'y tient annuellement du 22 au
2S juillet, et qui est regardée comme l'une des
plus importantes du monde entier. Les foires
de Fra'ncfort, de Leipzig, de Novgorod, de
Taganrok en Europe, de Gartok en Asje, peu-
vent seules rivaliser avec celle de Beaucaire.
On ne sait pas à quelle époque précise remonte
son iustitution ; au commencement du xmc siè-
cle, les comtes de Toulouse confirmèrent pleine-
ment les privilèges dont elle jouissait déjà, et
Charles VIII en fixa définitivement la durée à
six jours. Mais la position avantageuse de
cette ville explique la vogue et l'importance
do sa foire annuelle. Jusqu'à la hauteur de
Beaucaire, le Rhône est navigable pour les
allèges, les tartanes, les bombardes, les bricks
même, qui arrivent à pleines voiles de tous les
ports de la Méditerranée. La facilité qu'ont les
navires qui tiennent la mer do remonter à
Beaucaire a fait choisir cette ville pour l'en-
trepôt général du commerce de la France avec
l'Espagne, avec les côtes d'Afrique et d'A'sie,
ainsi qu'avec tout le Levant et l'Italie ; pour être
enfin le point central et le rendez-vous où se
réunissent les négociants et les industriels de
presque toutes les contrées commerçantes. Les
marchands commencent à arriver dans les
premiers jours de juillet, pour faire leurs pré-
paratifs de logement, emmagasiner et enre-
gistrer les marchandises. A cette époque,
Beaucaire quitte son immobilité silencieuse,
son triste vêtement de ville de province ; les
tentes, les cabanes s'élèvent de toutes parts ;
les écuries sont transformées en magasins ; les
appartements sont remis à neuf, et les habi-
tants vont se blottir dans l'endroit le plus retiré
des maisons, pour faire place aux nombreux
étrangers, dont ils retirent un précieux salaire.
Tous les bateaux chargés qui viennent du
Nord, du Midi et de l'Ouest, jettent leurs
amarres le long des quais ; les marchandises
roulent sur le port, circulent dans les rues,
s'empilent dans les magasins. Vers le 20, ache-
teurs et vendeurs sont en présence; le 22, le
préfet du Gard déclare la foire ouverte.
La foire se tient dans l'intérieur de la ville
et dans une vaste prairie bordée d'ormes et de
platanes, qui s'étend le long du Rhône, et où
l'on élève des milliers de tentes et de cabanes.
Dans cet espace, où dix mille personnes sont
à l'étroit en temps ordinaire, se groupe et se
foule une population „de cent et quelquefois de
deux cent mille négociants français, grecs,
arméniens, turcs, égyptiens, arabes, italiens,
espagnols et autres, qui viennent pour y ven-
dre et-pour y acheter les produits de l'in-
dustrie de toutes les nations. Chaque commerce
a son quartier spécial, et il n'est pas d'ob-
jet, rare ou commun, qui ne s'y rencontre.
Ainsi, tandis que l'on vend, d'un côté, les soie-
ries de la plus grande richesse, les antiques
de la plus grande beauté, les pierres les plus
précieuses; d'un autre, à peu de distance, on
voit des rues dont les murs, fort épais et fort
élevés, ne sont composés que d'oignons em-
pilés les uns sur les autres. Toutes les bran-
ches de l'industrie manufacturière et de l'in-
dustrie agricole y sont représentées par leurs
produits les plus estimés et par les objets de
la plus mince valeur. La variété infinie des
costumes, la diversité des marchandises, des
enseignes de boutiques, l'animation insolite
des rues étroites, bien arrosées et abritées
contre l'ardeur du soleil par des tentes jetées
d'un toit à l'autre, présentent le coup d^Bil le
plus curieux, et dont on ne peut que difficile-
ment se faire une idée. Mais c'est surtout le
soir, alors que les affaires de la journée sont
terminées, qu'il faut voir l'aspect vraiment
saisissant et féerique que présente le champ
de foire. L'éclat des lumières, la cohue de cette
foule, que la vivacité méridionale semble dé-
cupler, les cris des petits marchands forains,
les roulades des cafés chantants, les éclats de
rire des jeunes Provençales, les musiques
grinçantes, les boniments burlesques des in-
nombrables saltimbanques, la nuée de pous-
sière qui s'élève de toutes parts, forment le
tableau du pandémonium le plus complet. Cela
continue ainsi pendant sept à huit jours, et,
malgré le peu de durée de la foire, il s'y fait
pour 20 à 25 millions d'affaires.
La foire se termine le 28 juillet, à minuit;
les effets payables en foire sont exigibles le 27 :
un tribunal de commerce, composé de douze
membres, juge tous les différends que les af-
faires occasionnent pendant sa durée. Le di-
manche qui précède la clôture de la foire, le
préfet du Gard vient à Beaucaire' et y donne
.un grand bal; c'est ainsi que finissent les
affaires avec le plaisir. Ensuite on emballe les
marchandises, ou bien on les cède à bas prix;
on part, et Beaucaire reprend soudain ses nabi-
tudes de far niente; mais, en un mois, la ville
a gagné de quoi dormir toute l'année. Nous
devons ajouter que cette fameuse foire a eu
jadis bien plus d'impoi'tance encore qu'actuel-
lement : la facilité toujours croissante des re-
lations commerciales tend sans cesse à dimi-
nuer l'utilité de ces grands" rendez-vous.
BEAUCAIRE (CANAL DE), canal de France
(Gard), prend naissance dans le Rhône à Beau-
caire, passe à Saint-Gilles, et, après un cours
de 77 kil., se termine à Aiguës-Mortes, où il
communique avec la Méditerranée par le grau
d'Aigues-Mortes, et avec.le canal du Midi par
celui de la Grande-Roubihe. Cette voie navi-
gable, commencée en 1773, ne fut reprise et
terminée qu'en 1805, par une compagnie à la-
quelle le gouvernement en fit la concession
pour quatre-vingts. ans. Sa longueur exacte
est de 77,100 m.; la différence de niveau à
l'étiage du Rhône, de 3 m. 64, rachetée par
deux écluses; tirant d'eau normal,2 m.; charge
maxima des bateaux, 240 tonnes. Mouvement,
en 1862, 204,814 tonnes (houille, sel, bois, etc.).
Beaucaire (SOUPER DE), titre d'une brochure
que Bonaparte fit imprimer en 17S3, à Avignon
-par Aurel, imprimeur de Valence, qui suivait,
avec une imprimerie ambulante, l'armée du
f énéral Carteaux envoyée contre les fédérés
e la Provence et du Languedoc. C'est un
singulier et remarquable écrit, où Bonaparte,
qui n'était alors que capitaine d'artillerie et
qui n'avait pas encore vingt-quatre ans, rap-
porte une conversation qu'il avait eue le
29 juillet 1793, à Beaucaire, avec un Nîmois,
un Marseillais et un négociant de Montpellier,
sur les affaires du temps. Le nom de 1 auteur
et le jour que cette brochure jette sur l'état de
l'opinion dans le Midi, à cette date critique
de la Révolution, rendent cet écrit précieux à
( un double titre. Nous n'avons pas hésité à
l'insérer, dans toute son intégrité, à l'article
BONAPARTE. V. ce nom.
BEAUCAIRE DE PÉGUILLON (François),
théologien français, né au château de Cresta
en 1514, mort en 1591. Le cardinal Charles de
Lorraine, dont Beaucaire fut le précepteur,
l'emmena avec lui à Rome, et le nomma, à son
retour, évéque de Metz. S'étant rendu au con-
cile de Trente, il s'y fit remarquer par la har-
diesse et la liberté de ses opinions, se prononça
contre les ultramontains, déclarant que les
évèques ne sont nullement de simples délégués
du pape, mais qu'ils reçoivent immédiatement
leur autorité de Dieu: et enfin, après avoir
démontre la nécessité des réformes, il déclara
aux membres du concile que, s'ils ne laissaient
pas de côté leurs intérêts personnels, pour
s'occuper uniquement de ceux de l'Eglise, le
concile serait plus nuisible qu'utile à la reli-
f ion. Des troubles s'étant élevés dans son
iocèse, Beaucaire se démit de son évéché en
- 15(58, et passa ses dernières années dans la re-
traite et dans l'étude. On a de lui, notamment
une histoire de France intitulée Éerum Galli-
carum commentaria ab anno 1541 ad annum
1562 (Lyon, 1025, in-fol.).

BEAUCE,
Belsia, nom donné en France,
depuis un temps immémorial, à une étendue
j de pays assez considérable, située dans l'an-
cienne province de l'Orléanais et comprenant
le pays Chartrain, le Dunois, le Vendômois, le
Mantois et le Hurepoix. Ce pays, qui forme
actuellement la majeure partie des départe-
ments d'Eure-et-Loir et de Loir-et-Cher, avait
pour capitale Chartres. Son territoire, géné-
ralement uni et découvert, présente des
plaines immenses, qui produisent une grande
quantité de froment de la meilleure qualité,
nourrissent de nombreux troupeaux de mou-
tons et de bêtes à cornes, qui sont, avec les
grains, l'objet d'un commerce considérable. La
Beauce n'a jamais formé une province parti-
culière; elle n'a jamais donné son nom à au-
cune juridiction, soit spirituelle, soit tempo-
relle. Il n'y a jamais eu non plus de seigneurs
particuliers qui aient porte le titre ou le nom
de seigneurs de Beauce. Mais, comme toutes
les autres contrées de la France, elle a eu sa
noblesse, dont la pauvreté donna lieu à plu-
sieurs locutions proverbiales, tombées en dé-
suétude : Gentilhomme de Beauce, qui se tient
au lit quand on refait ses chausses. Gentil-
homme de Beauce, qui vend ses chiens pour
avoir du pain. C'est comme MM. de la Beauce,
une épée pour trois. V. EURE-ET-LOIR (dép.d').

BEAUCÉANT
s. m. (bô-sé-an — du provenç.
bausan, cheval balzan, cheval noir ayant des
marques blanches au pied). Etendard des
templiers, mi-parti de noir et de blanc, ce
qui lui avait fait donner ce nom. il On écrit
aussi BAUÇANT et BAUCENT. il Plus ancienne-
ment, Très-long étendard de taffetas rouge,
que les navires arboraient en temps de guerre.
— Encycl. Le templier auquel était confiée
la garde du beaucéant portait le titre de gon-
fanonier ; il avait une escorte de dix autres
chevaliers choisis entre les plus vaillants. Dans
leurs marches, les templiers étaient toujours
précédés du beaucéant; et, dit Jacomo Bosio,
« ils s'avançaient derrière leur étendard, chan-
tant le verset du psalmiste : Non nobis, Do-
mine, non nobis, sed nomini tuo da gloriam. »
Certains auteurs prétendent que ce verset était
écrit comme une devise sur le beaucéant.
Lorsque le grand-maltre avait choisi l'em-
placement d'un camp, il faisait arrêter le
gonfanon bauçant, qui en marquait le centre;
c'est là que la chapelle était dressée. Dans les
jours de combat, le gonfanonier prenait le
commandement des écuyers, formant une sorte
de réserve, qui se disposait en échelles (pelo-
tons) en arrière de la seconde ligne de ba-
taille. Devant le gonfanonier marchait au pas,
et suivant la charge lentement, un turcople
(soldat de cavalerie légère) portant le beau-
céant, qu'entourait sa garde de dix chevaliers.
Ce drapeau servait de point de ralliement à
toute l'armée. En »:as de défaite, nul templier,
sous peine d'être a jamais classé de l'ordre,
ne devait déserter le champ de bataille, tant
qu'il y verrait flotter le beaucéant. - S'il ave-
nist que la crestientez tornast à descunfiture,
dont Dex la gart, nus frères ne deit partir del
champ por torner à garison, tant coin il ait
confanon bauçant en avant; quar s'il se par-
toit, il en perdroit la meison à toz jors. » (Texte
de la Règle du Temple. Mss. Bibl. imp.)
Indépendamment du grand étendard de
l'ordre, qui marchait avec le gonfanonier, on
voit dans la Règle que plusieurs officiers du
Temple faisaient porter devant eux, selon
l'usage des nations asiatiques, de petits dra-
peaux qui sont également désignés sous le
nom de bauçants. Le sénéchal, le maréchal,
les commandeurs des langues, les comman-
deurs des chevaliers, les chefs d échelles, jouis-
saient tous de ce droit.
Un siècle après l'institution de l'ordre du
Templ^, on nommait baucent la flamme des
vaisseaux armés en guerre. Les Normands et
les marins français du xnic siècle arboraient
un baucent ou baucenz rouge. (Documents iné-
dits sur l'histoire de France.)
Les templiers avaient rendu leur étendard re-
doutable pendant la quatrième et la cinquième
croisade. N'était-il pas tout simple que, lors-
qu'on voulut donner a la marine une bannière
qui portât avec elle l'idée d'extermination, on
pensât à leur célèbre beaucéant?
Ce bauçant, qui avait désigné d'abord le dra-
peau mi-parti blanc et noir, à l'exclusion de
tout autre, désigna ensuite toute flamme ar-
borée en signe de « guerre mortelle n et de
« mort sans remède. »

BEAUCERON
ONNE s. et adj. (bô-se-ron,
o-ne). Habitant de la Beauce \ qui est propre,
qui appartient à la Beauce ou a ses habitants :
Le BEAUCERON craindrait d'ombrager par des
plantations un sol propre à la culture des cé-
réales. (A. Hugo.) Les BEAUCERONS sont gêné'
ralement riches. (A. Hugo.) Le mouton BEAU-
CERON est, en effet, d'une haute taille, d'une
grosse stature, et pèse, lorsqu'il est engraissé,
de quatre-vingt-dix à cent livres.- (A. Hugo.)
Dans le dialecte BEAUCERON, une POCHE veut
dire un SAC. (A. Hugo.) Le bonhomme était
BEAUCERON, c'est-à-dire natif de la Beauce, où
il avait passé sa vie et où il comptait bien mou-
rir. (A. de Muss.) Les voitures qui viennent de
Chartres entrent à Paris par les Champs-
Elysées ; je laisse à penser l'admiration d'une

BEAUCERONNE
à l'aspect de cette magnifique
entrée, qui n'apas sa pareille au monde. (A. de
Muss.) Il était petit, maigre, sec, et ne se
trouvait bien qu'à côté du géant BEAUCERON.
(Nadar.)
— Encycl. Mouton beauceron. La Beauce
nourrissait jadis une race de moutons à corps
long et peu laineux, à jambes très-hautes ,
à poitrine peu profonde, à tête forte et à laine
commune. Cette race a de nos jours complète-
ment disparu ; elle est remplacée par des mé-
rinos ou des métis mérinos. La sous-race
mérine de la Beauce peut être considérée
comme le type des mérinos français. Elle se
trouve à la bergerie de Rambouillet et chez
quelques éleveurs, qui produisent des béliers
pour les louer ou les vendre. Ces animaux sont
principalement remarquables par le volume de
leur corps et le poids de leur toison; à dix-
huit mois ou deux ans, ils pèsent de 80 à
100 kilo, et dépouillent de 5 à 10 kilog. de laine
en suint, quelquefois plus. Leur laine n'est pas
de première finesse, mais elle est fort longue,
pour de la laine mérine. Les mâles sont pour-
vus de fanons et de fortes cornes ; les brebis
elles-mêmes ont souvent des cornes. L'élevage
de la race mérine de la Beauce forme un des
principaux revenus des riches départements
qui environnent Paris, moins encore par les
produits qu'elle fournit directement que par
ceux des innombrables métis qu'elle a créés.
Elle croise, en effet, avec le plus grand succès,
toutes nos races indigènes, et même quelques
races anglaises.
Les métis mérinos provenant de l'ancienne
race espagnole et des moutons beaucerons sont
de superbes animaux, fournissant de 25 à
35 kilo, de viande nette, après avoir donné pen-
dant trois ou quatre ans une toison annuelle
dont le prix moyen est de 10, 12 ou 14 fr.
Ce métis, que l'on considère aujourd'hui
comme mouton beauceron, a le corps trapu,
ramassé ; la tète forte, busquée; les cornes en
spirales : la peau tendue ou lâche, formant des
fanons; la laine tassée, abondante, disposée en
mèches carrées, en toisons fermées, lourdes et
noires à la surface. 11 est Eort exigeant pour la
nourriture, et veut être élevé avec de grands
soins sur des terres de bonne qualité. Dans les
années de grande sécheresse et de fortes cha-
leurs, les troupeaux de la Beauce sont décimés
par la maladie connue sous le nom de sang de
rate (v. ce mot), laquelle est causée principa-
lement par la rareté des boissons et par une
nourriture très-inégale, composée exclusive-
ment de plantes nutritives et peu aqueuses.
Afin de la prévenir, quelques éleveurs culti-
vent pour l'été des plantes aqueuses, ou ré-
servent pour cette saison des pâturages arro-
sés. Cette pratique, si elle était généralisée,
produirait, nous n'en doutons pas, les plus
heureux résultats. La Beauce élève beaucoup
d'animaux, mais en engraisse peu : le mouton
de cette contrée est dur à prendre la graisse,
et donne une viande très-inégale. C'est pour-
quoi les fermiers des environs de Paris, qui
achètent au printemps des troupeaux pour les
î engraisser, et pour faire parquer leurs terres,
préfèrent des animaux de toute autre prove-
I nance. Malgré ses bonnes qualités, le mouton
beauceron a plusieurs défauts. Il est un peu court
et de trop-haute taille, il a le ventre trop gros,
le garrot trop sorti et la tête excessivement
forte, surtout si on la compare à celle que
l'on remarque dans la plupart des bonnes races
anglaises. Pour atténuer ou faire disparaître
ces défauts, et amener les moutons beaucerons
à leur perfection, tant pour la viande que pour
la laine, il suffirait de soigner convenablement
les élèves, principalement ceux qu'on destine
à la production, de leur donner la ration de
grain avant celle de foin, et de faire entrer
constamment quelques fourrages aqueux.
herbes ou racines, dans leur nourriture.

BEAUCIIAMP
(VAL DE), petit pays de France
dans l'ancienne prov. du Dauphiné (Hautes-
Alpes), compris aujourd'hui dans l'arrondisse-
ment de Gap; lieu principal, Aspres-les-
Veynes.

BEAUCHAMPS
célèbre danseur français,,
mort en 1695, fut le professeur de danse de
Louis XIV, et composait les ballets représentés
à la cour. Rameau, maître à danser des pages
du roi d'Espagne, fait ainsi l'éloge de cet
artiste, dans la préface de son livre intitulé
le Maître à danser : « LuïU, qui, dès sa pre-
mière jeunesse, s'était attaché à la cour de
Louis le Grand, oublia en quelque façon sa
patrie, et fit si bien par ses travaux, que la
France triompha sans peine et pour toujours
de l'Italie, par le charme de ces mêmes spec-
tacles que Rome et Venise avaient inventés.
Il ne se borna point à leur donner tout l'éclat
que la musique pouvait fournir; comme il
était obligé de représenter des triomphes, des
sacrifices, des enchantements et des fêtes
galantes, qui exigeaient des airs caractérisés
par la danse, il fit choix de tout ce que la
France avait de plus habiles danseurs. Beau-
champs, qui était pour lors, à la cour, compo-
siteur des ballets du roi, comme Lulli l'était
de la musique, fut choisi pour composer les
danses de l'Opéra. Je ne puis trop donner de
louanges à la juste réputation qu'il s'est ac-
quise. Ses premiers essais furent des coups de
maître, et il partagea toujours légitimement
les suffrages que le musicien s'attirait de plus
en plus. Il était savant et recherché dans sa
composition, et il avait besoin de gens habiles
pour exécuter ce qu'il inventait; heureuse-
ment pour lui qu'il y avait dans Paris et à la
cour les danseurs les plus habiles. »
BEAUCHAMPS (Joseph), astronome fran-
çais, né à Vesoul en 1752, mort à Nice en
1801. Neveu de Miroudet, évêque de Baby-
lone, il entra en 1767 dans l'ordre des ber-
nardins, devint l'ami de "Lalande, qui lui
apprit l'astronomie, et partit en 1781 pour
l'Orient, afin d'y rejoindre son oncle, mais sur-
tout pour s'y livrer à son goût pour l'astrono-
mie, la géographie et les antiquités. Il visita
successivement Alep, Bagdad, Bassora(l"84),
la Perse (1786), et revint en France en 1790.
Pendant ces dix années, Beauchamps ne cessa
de transmettre à Lalande des observations
astronomiques importantes, lui envoya une
. carte du cours du Tigre et de l'Euphrate, sur
une longueur de 1,200 kil., en fit une de la
Babylome, détermina la situation de la mer
Caspienne; enfin, il fournit à l'abbé Barthé
lemy des dessins de monuments, d'inscriptions
et de médailles de l'ancienne Babylone, ainsi
que des manuscrits arabes. Envoyé en 1796 à
Mascate, en qualité de consul, il s'occupa de
rectifier les erreurs commises sur la plupart
des cartes en ce qui touche la topographie de
la mer Noire; puis, en 1798, il fut appelé par
Bonaparte en Egypte, chargé plus tard d'une
mission à Constantinople (l~99), pris en mer
par les Anglais et livré aux Turcs comme es-
pion. Il ne recouvra sa liberté que peu de -
temps avant sa mort, en 1801 , au moment où
le premier consul venait de le nommer com-
missaire des relations commerciales à Lis-
bonne. Beauchamps était membre de l'Institut
et correspondant de l'Académie des sciences.
Ses observations et ses travaux ont été insé-
rés, pour la plupart, dans le Journal des sa-
vants de 1785 à 1793, la Décade philosophi-
que, le Journal encyclopédique, etc. Voici les
principaux : Voyage de Bagdad à Bassora le
long de l'Euphrate; Voyage en Perse, fait en
1787; Mémoires sur les antiquités babylo-
niennes; Réflexions sur les mœurs des Ara-
bes, etc.
BEAUCHAMPS (Alphonse DE), littérateur, né
a Monaco en 1767, mort en 1832. Fils d'un
. major de la place de Monaco, il prit du service
en Sardaigne, quitta ce pays lorsqu'il fut en
guerre avec la France, et tut successivement
employé, à Paris, au comité de sûreté générale
et au ministère de la police. Destitué sous
l'Empire, et exilé à Reims en 1S07, il obtint,
deux ans après, une place dans les droits réu-
nis, à la condition qu'il n'écrirait plus rien
ayant trait à la politique. Beauchamps, qui
était extrêmement laborieux et doué d'une
grande facilité naturelle, ne cessa, jusqu'en
1825, de s'adonner à des travaux historiques et
littéraires. On a de lui un grand nombre de
compilations estimables sur l'histoire moderne.
La plus importante est l'Histoire des guerres
de la Vendée (1S06,3 vol. in-8°), dont il avait
puisé les documents dans les cartons du mi-
nistère de la police, et qui eut plusieurs édi-
tions. Il a collaboré à la Biographie univer-
selle de Michaud. C'est lui qui conçut et qui
exécuta presque seul l'inestimable travail des
Tables du Moniteur. Les Mémoires publiés
sous le nom de Fouché (i vol. in-8n) ont étô
432
rédigés par lui, ainsi que les premiers volu-
mes des Mémoires d'un homme d'État.
BEAUCHAMPS (Pierre-François GODARD DE),
littérateur et auteur dramatique, né à Paris
en 1689, mort dans la même ville en 1761. Il
débuta dans la carrière du théâtre, en 1718,
par le Ballet de la Jeunesse, et donna succes-
sivement plusieurs pièces, dont une seule, le
Portrait, comédie en un acte, représentée en
1717, fut bien accueillie du public. « Cette
pièce, dit le Mercure de France, a. eu un des
plus brillants succès qu'on ait encore vus sur
le théâtre de l'Hôtel de Bourgogne. Les traits
dont elle est remplie et la manière dont elle
est écrite font croire à tous ceux qui en ont
vu les représentations qu'ils trouveront encore
de nouveaux plaisirs à la lecture. Nous ne
doutons point que l'impression ne justifie ce
que nous avançons, d'après le jugement du
public. » M^c Sylvia y obtint un véritable
" triomphe dans un rôle écrit, eût-on dit, avec
la plume et dans le style de Marivaux. Parmi
les autres pièces de l'auteur, nous nous bor-
nerons à mentionner : le Parvenu (1721) ; la
Soubrette (1722) : Arlequin amoureux par en-
chantement (1723) ; le Jaloux (1723) ; les Effets
du dépit (1727); les Amants réunis (1727); le
Bracelet (1727); la Mère rivale (1729); la
Fausse inconstance (1731). Toutes ces comé-
dies, écrites en prose, et pour la plupart en
trois actes, sont tombées dans le plus profond
et le plus juste oubli. Comme littérateur,
Beauchamps a publié plusieurs ouvrages,
dont le plus important a pour titre : Recher-
ches sur les théâtres de France (1735, 3 vol.
in-4°). Dans ce travail, qui contient des docu-
ments précieux, Beauchamps divise en qua-
tre âges l'art dramatique français. Le premier
s'étend de Jodelle, vers le milieu du xvie siè-
cle, jusqu'à Garnier, en 1573; le second, depuis
Garnier jusqu'à Hardy, en 1G22; le troisième,
depuis Hardy jusquà Pierre Corneille, en
1637; le quatrième, depuis Pierre Corneille
jusqu'à nos jours. Beauchamps remonte jus-
qu'aux mystères et aux moralités, et même
jusqu'aux poètes provençaux, connus sous le
nom de troubadours. Son dernier âge est en-
suite subdivisé en théâtre français, théâtre de
l'opéra et théâtre italien. Chaque partie est
précédée d'un discours sur l'origine du genre
qu'il y traite ; et tout l'ouvrage contient des
précis historiques et chronologiques sur les
auteurs, l'époque de la première représenta-
tion de chacune de leurs pièces, la date de
leurs éditions, et quelques notices sur les prin-
cipaux acteurs des différents théâtres. Beau-
champs a publié,'en outre, une Bibliothèque
des théâtres, contenant le catalogue alphabé-
tique des pièces dramatiques, opéras, paro-
dies, etc. (1746) ; une traduction française des
Amours d'Ismène et d'Ismênias (1743), roman
grec attribué à Eustathius, évêque de ïhes-
salonique, qui vivait dans le xnc siècle, et qui
a laissé d'excellents commentaires grecs sur
Homère et sur Denis le géographe. « Les
Amours d'Ismène et d'Ismémas, dit un biogra-
phe, sont une espèce de poëme épique en
prose, rempli d'aventures très-intéressantes,
partie tragiques et partie plaisantes ; cette tra-
duction française eut beaucoup de succès, et a
été réimprimée plusieurs fois. Citons encore
une assez mauvaise traduction en vers desLet-
tres d'Héloïse et d'Abailard (1737) ; le Boman
de Funestine (1737 ) ; une traduction libre de
Bhadante et Dosiclès, roman grec de Cyrus-
Théodore Prodome (1746), etc.
Beauchamps avait encore composé les piè-
ces suivantes, qui n'ont jamais été représen-
tées ni imprimées, etdont il nous fait connaître
seulement les titres dans ses recherches sur
le théâtre : Arlequin bel esprit, comédie en
un acte et en prose, avec divertissements;
les Exilés, comédie en trois actes et en prose,
avec divertissements; Arlequin, Gusman d'A l-
farache, comédie en cinq actes et en prose ;
l'Heureuse surprise, comédie en trois actes et
en prose; Arlequin qui ne veut rien être, co-
médie en un acte et en prose, avec divertis-
sements ; Il n'y a qu'un ménage de gâté, pro-
verbe en un acte et en prose ; Œdipe sixième
du nom, parodie d'Œdipe, tragédie de La
Motte, en un acte et en vers ; Ëlvire et don
Pèdre ou la Force des premières inclinations,
comédie en trois actes et en prose; le Dissi-
mulé, comédie en trois actes et en prose;
Prométhée, comédie .en un acte et en vers
libres, avec divertissements; l'Empereur du
Japon, comédie en un acte et en prose, avec
divertissements. On ne sait rien de plus sur
toutes ces pièces.

BEAU-CHASSEUR
s. m. Chien cjui crie
bien dans la voie, et qui marche toujours en
redressant la queue sur les reins. I! PI. BEAUX-
CHASSEURS.

BEAUCHÂTEAU
(François CHASTELET DE),
acteur de la Comédie-Française, dont les dé-
buts eurent lieu à l'Hôtel de Bourgogne en
1633. Il a joué le Cid, probablement comme
doublure de Floridor, car il n'avait été reçu
que pour tenir les seconds rôles. Dans l'im-
promptu de Versailles, Molière parle de lui et
de la façon ambitieuse et ridicule dont il dé-
bitait les fameuses stances. Cet acteur paraît
avoir créé le rôle d'Alcippe du Menteur.
BEAUCHÂTEAU (François-Mathieu CHAS-
TELET DE), fils du précédent, né à Paris en
1645, fait partie de la galerie des enfants cé-
lèbres. A douze ans, il publia un recueil de
poésies sous ce titre : la Lyre du jeune Apol-
lon ou la Musc naissante du petit Beauchâteau,
I Sa conversation était pétillante d'esprit; il
I parlait plusieurs langues, et la reine, mère de
! Louis XIV, le cardinal Mazarin, ainsi que les
! premiers personnages de la cour, se faisaient
un plaisir de l'admettre à leurs réunions. Un
ecclésiastique apostat le conduisit en Angle-
terre, le présenta à Cromwell, puis le mena
en Perse, et, depuis lors, on n'entendit plus
parler de lui. — So'i frère, Hippolyte, mort
vers 1680, eut auss. une existence des plus
singulières. Né comme lui avec beaucoup de
talents naturels, il fut tour à tour frère de la
doctrine chrétienne, trappiste et ministre pro-
testant en Angleterre. Extrêmement vain, et
do l'humeur la plus mobile, il s'était acquis de
la réputation comme prédicateur dès ses dé-
buts, lorsque, ayant pris le nom de Lusancy,
il essaya de se faire passer pour un parent du
comte de Pomponne et pour un collaborateur
du grand Arnaud. Ce double mensonge ayant
été découvert, Hippolyte Beauchâteau passa
en Angleterre, et mourut à Londres après
avoir embrassé le socinianisme. On lui attribue
VAbrégé de la vie du maréchal de Schomberg
(Amsterdam, 1690, in-12), sous le nom de
Lusancy.

BEAUCHÊNE
petit pays -de France dans
l'ancien Dauphiné, arrond. de Gap (Hautes-
Alpes), sur le territoire du canton de La
Faurie.
BEAUCHÊNE (Edme-Pierre CHANSOT DE),
médecin et moraliste .français, né près, de
Joigny en 1748, mortàParis en 1824. Il suivit
pendant quelques années la carrière des ar-
mes, puis il se fit recevoir docteur à Montpel-
lier. Il vint ensuite à Paris, où il fut nommé
médecin des écuries de Monsieur. Au commen-
cement de la Révolution, il en goûta d'abord
I les principes et il fut élu membre de la com-
mune de Paris. Mais bientôt, effrayé de la
violence du mouvement, il se retira dans une
terre qu'il avait près de Sens. Il ne revint à
Paris qu'après le 9 thermidor, et il ne tarda
pas à s y faire une belle clientèle. Sous l'Em-
pire, il fut nommé médecin en chef du Gros-
Caillou, médecin du Corps législatif, de l'Ecole
normale, etc. Louis XVIII le choisit pour un
de ses médecins consultants, et il fut admis à
la Société royale de médecine. Il écrivit de
savants articles pour divers journaux, et en-
tre autres pour la Quotidienne. Parmi ses
ouvrages, nous citerons surtout : un Traité
de l'influence des affections de l'âme sur les
maladies nerveuses des femmes, et son livre
intitulé Maximes, réflexions et pensées di-
verses.

BEAUCHESNE
(Alcide-Hyacinthe Du Bois
DE), littérateur, né à Lorient en 1804. Ancien
-gentilhomme de la chambre du roi sous la
Restauration, il fut, de 1825 à 1830, chef de
cabinet au département des beaux-arts, et il
est aujourd'hui chef de section aux Archi-
ves. Son principal ouvrage a pour sujet :
Louis XVII, sa vie, son agonie, sa mort (1852
et 1854). C'est un livre fortement empreint de
l'esprit royaliste; mais c'est le fruit de lon-
. gués études et de patientes recherches. Tou-
tefois, il a une couleur un peu romanesque et
il contient beaucoup de détails dont la réalité
n'est pas toujours suffisamment démontrée.
M. de Beauchesne, qui compte au nombre des
plus chauds partisans du mouvement roman-
tique, ainsi qu'on en peut juger par son style,
a publié des recueils de vers : Souvenirs poé-
tiques (1830) et le Livre des jeunes mères
(1858), couronné par l'Académie française, de
même que son Louis XVII.

BEAUCHESNE-GOUIN
(DE), navigateur
français, mort dans la première moitié du
xvme siècle. Ayant quitté La Rochelle en
1698, à la tête dune expédition, il entreprit
un long voyage.d'exploration dans les mers
du Sud, prit possession, au détroit de Ma-
gellan , d une île à laquelle il donna le nom
d'île Louis-le-Grand, remonta les côtes du
Chili et tomba dans une embuscade de flibus-
tiers français, qui s'étaient établis à Arica et à
qui il fut forcé de donner 50,000 couronnes..
Revenant alors vers le cap Horn,il le doubla,
découvrit, à 240 kil. E. de la Terre de Feu,
l'île Beauchêne (52° 51' lat. S.), et regagna la
France.

BEAUCLAS
(G.-H. DE), lexicographe fran-
çais du xvme siècle. Lieutenant général de la
connétablie et de la maréchaussée de France,
il avait des connaissances spéciales, qui lui
ont permis de publier : Dictionnaire universel,
historique, chronologique, géographique et de
jurisprudence civile, criminelle et de police
des maréchaussées de France (Paris, 1748,
2 vol. in-40).

BEAUCOURT
bourg et commune de France
(Haut-Rhin), cant. de Délie, arrond. et à 25 k.
S.-E. de Belfort; 2,966 hab. Importantes
manufactures d'horlogerie, mouvements de
lampes, métronomes, serrurerie, quincaillerie.

BEAUCOUP
adv. (bô-kou et koup devant
une voyelle ou un h muet—de beau et coup).
Plusieurs; un nombre, une quantité consi-
dérable : BEAUCOUP de personnes n'ont pu pé-
nétrer dans la salle. BEAUCOUP d'oiseaux ont
été tués par la grêle. BEAUCOUP d'arbres ont
été déracinés. Les lectures doivent être réglées
avec BEAUCOUP de soin. (Pasc.) J'ai passé
BEAUCOUP de temps dans l étude des sciences
abstraites. (Pasc.) Ils imitèrent l'Eglise en
BEAUCOUP de choses. (Boss.) Pour l'ordinaire,
il n'y a pas BEAUCOUP d'argent chez les gens de
lettres, (Vauven.) Les hommes font BEAUCOUP
d'injustices sans méchanceté. (Duclos.) Il y a
deux choses que les hommes estiment beaucoup :
la vie et l'argent, (La Bruy.) Jeanne était
moins que jamais d'humeur à oublier qu'elle
devait montrer BEAUCOUP de respect, afin d'en
inspirer BEAUCOUP. (G. Sand.) BEAUCOUP de
femmes aiment mieux leurs maris après leur
mort que pendant leur vie. (De Ségur.) Les
esprits exclusifs causent BEAUCOUP de mal,
empêchent BEAUCOUP de bien. (Droz.) Avec
BEAUCOUP d'art, on peut en imposer longtemps;
mais les succès de l'art-ne sont jamais aussi
longs que ceux de la nature. (Lévis.) Oïl il y a
BEAUCOUP de médecins, il y a BEAUCOUP de ma-
lades; où il y a BEAUCOUP de lois, il y a BEAU-
COUP de délits. (Sallentin.)
Le régal fut petit et sans beaucoup d'apprêts.
LA FONTAINE.
Vous leur fîtes, seigneur,
En les croquant, beaucoup d'honneur.
LA FONTAINE.
— Absol. Nombre considérable de per-
sonnes :
Beaucoup en ont parlé, mais peu Vont bien connue.
VOLTAIRE.
Il Quelque chose d'important, de considéra-
ble ou de nombreux, façon importante : Par
un de ces coups de hasard qui entrent toujours
pour BEAUCOUP dans la fortune des armes.,
(Mass.) Ceux qui ont BEAUCOUP sont obligés de
donner BEAUCOUP. (Fléeh.) // demande peu
quand il ne veut pas donner BEAUCOUP ; il de-
mande BEAUCOUP pour avoir peu. (La Bruy.)
Faites BEAUCOUP pour les vertus du peuple,
assez pour ses besoins, peu pour ses plaisirs.
(De Bonald.) L'étude des langues n'appartient
pas uniquement à la mémoire; le jugement
peut et doit y intervenir pour BEAUCOUP.
(Boissonade.) L'art d'écrire est moins l'art de
BEAUCOUP dire que de laisser BEAUCOUP à pen-
ser. (Bougeart.) Le bonheur n'est pas dépossé-
der BEAUCOUP, mais d'espérer et d'aimer BEAU-
COUP. (Lamenn.) Il y a des hommes qui parlent
peu et qui mentent BEAUCOUP. (L.-J. Larcher.)
Il nous a été BEAUCOUP donné; il nous sera
BEAUCOUP demandé. (Guizot.)
Je promettais beaucoup et j'exécutais peu.
CORNEILLE.
On lui promit beaucoup: c'est tout ce que j'ai su.
RACINE.
Quiconque a beaucoup vu
Doit avoir beaucoup retenu.
LA FONTAINE.
Il Chose importante à un point de vue absolu
ou relatif : Cet enfant sait déjà le latin; c'est
BEAUCOUP pour son âge. (Acad.) Les hommes
superbes croient faire BEAUCOUP d'éviter les
autres. (Boss.)
C'était beaucoup pour moi;ce n'était rien pour vous.
RACINE.
Loin de blâmer les pleurs que je vous vois répandre,
Je crois faire beaucoup de m'en pouvoir défendre.
CORNEILLE.
Il A un haut degré, en grande quantité, sou-
vent, longtemps de suite : Je l'aime BEAU-
COUP. Il pleut BEAUCOUP. J'ai travaillé BEAU-
COUP. Il lui sera BEAUCOUP pardonné parce
qu'elle a BEAUCOUP aimé. (Evang. ) Ce qui
pense en moi doit durer BEAUCOUP. (Pasc) Les
gens qui savent peu parlent BEAUCOUP, et les
gens qui savent BEAUCOUP parlent peu. (J.-J.
Rouss.) Lorsqu'on a BEAUCOUP vécu, BEAUCOUP
souffert, on a BEAUCOUP appris. (Chateaub.)
En se trompant BEAUCOUP, la philosophie a
BEAUCOUP fait. (Guizot.)
Si j'espère beaucoup, je crains beaucoup aussi.
CORNEILLE.
— Joint à un adverbe de'comparaison, il
marque une différence considérable : Les
étoiles sont BEAUCOUP PLUS éloignées que la
lune du soleil et de la terre. (Rev. scientîf.)
Un roi connaît BEAUCOUP MOINS que les parti-
culiers les hommes qui l'environnent. (Fén.)
Les hommes, en Italie, valent BEAUCOUP MOINS
que les femmes. (M">e de Staël.)
Il ressent mes douleurs beaucoup moins que moi-
[même.
RACINE.
— S'emploie pour exprimer l'excès, en le
faisant précéder de un peu, qui lui fait an-
tithèse et qui sert alors à adoucir ce que la
pensée, exprimée autrement, aurait de trop
dur : Mais, mon oncle, il me semble que vous
vous jouez un PEU BEAUCOUP de mon père.
(Mol.)
— Il s'en faut beaucoup. Se dit pour II y a
une grande différence, au point de vue de
l'intensité ou de la qualité : Le cadet n'est
pas aussi sage.que l'aîné, IL S'EN FAUT BEAU-
COUP. (Acad.) IL S'EN FAUT BEAUCOUP que nos
commerçants nous donnent l'idée de cette vertu
dont parlent nos missionnaires. (Montesq.)
— Il s'en faut de beaucoup, Il y a une
grande différence de quantité : Vous croyez
m'avoir tout rendu, IL S EN FAUT DE BEAUCOUP.
(Acad.)Z-e pays n'est pas peuplé en proportion
de son étendue, IL S EN FAUT DE BEAUCOUP.
(Volt.) li A beaucoup près, Il s'en faut beau-
coup ou de beaucoup : Il n'est pas, À BEAUCOUP
PRÈS, aussi savant que son frère. Nous n'avons
pas, À BEAUCOUP PRÈS, autant de fruits cette
année que l'année dernière.
— Substantiv. Séparer le peu d'avec le
BEAUCOUP, lassez d'avec le trop. (Bayle.) Plu-
sieurs peu font un BEAUCOUP. (Florian.) il
C'est beaucoup si, c'est beaucoup de ou quet
C'est à peine si, c'est tout au plus; il est
fort heureux que : C'EST BEAUCOUP s'il vous
regarde. ("**) C EST BEAUCOUP SI vos déboursés
vous rentrent. (***) C'EST BEAUCOUP QV'U sorte
quelquefois de ses méditations et de sa taci-"
tùrnité, pour vous contredire. (La Bruy.) C'est
assez pour soi d'un fidèle ami; C'EST même
BEAUCOUP DE l'avoir rencontré. (La Bruy.)
— Quand beaucoup accompagne un compa-
ratif ou un superlatif relatif, il doit êiro
précédé de la préposition de s'il vient après
le comparatif ou le superlatif : Vous êtes
plus savant DE BEAUCOUP.
Quiconque est loup agisse en loup,
C'est le plus certain de beaucoup.
LA FONTAINE.
Il Lorsqu'il est mis avant le comparatif, on
peut le faire ou non précéder de la préposi-
tion de : Vous êtes BEAUCOUP ou DE BEAUCOUP
plus savant, il II est toujours précédé de la
préposition de quand il modifie un superlatif
relatif : Le christianisme, la dernière religion
qui ait paru sur la terre, est aussi DE BEAU-
COUP la plus parfaite. (V. Cous.) il Après cer-
tains verbes ou adjectifs exprimant une idée
de comparaison, il doit être précédé de la
préposition de : La milice romaine a surpassé
DE BEAUCOUP tout ce qui avait paru dans les
siècles précédents. (Boss.) Lascience qui éclaire
et la foi qui console, en prolongeant indéfini-
ment l'espérance, limitent DE BEAUCOUP l'im-
pression du malheur. (Ch. Nod.) Le despotisme
est préférable DE BEAUCOUP à l'anarchie.
(Lamenn.)
— Gramm. Beaucoup ne se met jamais de-
vant un adjectif, ni devant un adverbe pour
les modifier; mais il s'emploie pour modifier
l'adjectif quand celui-ci est représenté par le
pronom le : On ne dit pas II est beaucoup sage,
mais on dit bien il le devient, il l'est BEAU-
COUP, lorsque sage a déjà été exprimé aupa-
ravant; on ne dit pas non plus Je l'ai fré-
quenté BEAUCOUP longtemps, mais bien long-
temps. Il n'y a d'exception que pour les
adjectifs meilleur, moindre, et surtout pour
les adverbes plus, moins, mieux : Il se porte
BEAUCOUP mieux. Ce devoir n'est pas sans
fautes, mais il y en a BEAUCOUP moins que
dans les précédents.
De beaucoup s'emploie après une comparai-
son quand on veut insister sur la différence
qui a été remarquée : Vous êtes plus savant
que lui DE BEAUCOUP; vous l'emportez DK
BEAUCOUP sur lui. Il s'en faut beaucoup marquo
une différence dans la qualité; il s'en faut
de beaucoup, une différence dans la quantité.
Employé dans le sens de grand nombre,
c'est-à-dire comme adverbe de quantité, l'u-
sage veut qu'il soit suivi d'un substantif, à
moins que ce dernier ne se trouve représenté
dans la phrase par le pronom en;\e verbe qui
suit se met alors au pluriel : BEAUCOUP de
gens ne pouvaient goûter cet avis. (Fén.) Eh
mon Dieu! il y EN a BEAUCOUP que le trop
d'esprit gâte, qui VOIENT mal les choses à force
de lumière, et même qui SERAIENT bien fâchés
d'être de l'avis des autres. (Mol.)
... Beaucoup d'ennemis prouvent beaucoup tîe gloire.
C. DELAVIONE.
Bien des écrivains, principalement parmi
les poètes, se sont abstenus de faire suivre ce
mot d'un substantif, tout en maintenant le
verbe au pluriel : BEAUCOUP font l'aumâne,
peu font la charité. (D. Sterne.) BEAUCOUP
agissent mieux qu'ils ne pensent ou qu'ils ne
parlent. (St-Marc Gir.)
Beaucoup en ont parlé, mais peu l'ont bien connue.
VOLTAIRE.
Beaucoup me l'avaient dit, aucun ne l'a su faire.
C. DÉLAVIONS.
Voir, pour plus de détails, les règles gé-
nérales que nous donnerons au mot COL-
LECTIF.
— Syn. Beaucoup, abondamment, en abon-
dance, amplement, bien, considérablement,
copieusement, à foison, fort, largement, .
V. ABONDAMMENT.
— Antonymes. Peu, tant soit peu, un peu.
Beaucoup de "bru it pour rien, comédie en
cinq actes et en vers, de \V. Shakspeare. Lo
sujet de cette pièce, qui a quelques rapports
avec l'épisode de Ginevra dans le cinquième
chant d'Orlando furioso, a été emprunté par
Shakspeare au Recueil d'histoires tragiques
de Belleforest: mais les circonstances acces-
soires et le dénoûment en sont très-diffé-
rents :
Léonato, gouverneur de Messine, reçoit
chez lui don Pèdre, prince d'Aragon, qui
vient de triompher de la révolte de son frère
naturel don Juan. Parmi les jeunes seigneurs
qui se sont-distingués, au premier rang est
Claudio, le favori du prince. Claudio est
amoureux de Héro, fille unique de Léonato;
le prince promet, pour favoriser son amour,
de sonder lui-même Héro et de demander
ensuite à Léonato la rnain de sa fille. Don
Juan apprenant cela forme aussitôt le projet
de contrarier les desseins de son frère et
l'amour de Claudio. Ainsi finit le premier acte.
Au second acte, don Pèdre, ainsi qu'il l'a
promis, obtient pour Claudio la main de Héro,
non sans que don Juan ait donné une preuvo
de sa haine pour Claudio. Afin de lui inspirer
de la jalousie, il lui a raconté que don Pèdre
aime Héro et qu'il veut l'épouser. Les décla-
rations du prince viennent, un moment après,
433
détromper Claudio: Don Pèdre forme ensuite
le projet d'inspirer un amour réciproque à
Béatrice, nièce de Léonato, et à Benedick,
jeune seigneur, ami de Claudio, quoiqu'ils
ne cessent de se poursuivre mutuellement de
leurs railleries et qu'ils aient l'un et l'autre
horreur du mariage. Héro, Claudio et Léonato
lui promettent pour cela leur concours. Déjà,
avant la fin du second acte, Benedick est'ha-
bilement instruit de l'amour prétendu de Béa-
trice ; mais, pendant ce temps, don Juan, avec
son aftidé Borachio, prépare la rupture du ma-
riage de Claudio avec Héro.
Au commencement du troisième acte, on
apprend à Béatrice l'amour simulé de Be-
nedick, à peu près par le même stratagème
qui a déjà si bien réussi : Béatrice est prise
au piège. Don Juan ayant tout préparé pour
son entreprise, vient trouver don Pèdre et
Claudio, et leur apprend que cette nuit même
Héro recevra un amant chez elle. En effet,
Borachio courtise Marguerite, suivante de
Héro, en lui donnant le nom de sa maîtresse.
Don Pèdre et Claudio entendent les paroles et
sont témoins de l'entrevue. Mais Borachio est
surpris par les watchmen, au moment où il
raconte son aventure à son ami Conrad. Les
deux constables Dogberry et Vergés l'amè-
nent devant Léonato, qui les charge d'inter-
roger eux-mêmes leur prisonnier. Pour lui,
ne se doutant pas de -ce dont il s'agit, il va -
assister au mariage de sa fille.
Le quatrième acte s'ouvre par la scène du
mariage, qui est interrompu par le refus de
Claudio et l'accusation portée contre Héro par
son fiancé et par don Pèdre. Béatrice, pensant
3ue Claudio est un imposteur, engage Bene-
ick à se battre contre lui. Cet acte finit par
la scène de l'interrogatoire' de Borachio.
Maintenant, qu'est devenue Héro, restée éva-
nouie au pied de l'autel? Elle n'est revenue à
elle qu'après le départ de Claudio et de don
Pèdre; Son père répand le bruit de sa mort;
mais Benedick et Béatrice, ainsi que son père,
sont dans le secret; ils espèrent tous dé-
couvrir enfin l'innocence de Héro.
Au cinquième acte, Léonato provoque Clau-
dio et don Pèdre; son frère Antonio, père de
Béatrice, les défie à son tour; et enfin Bene-
dick vient demander satisfaction à Claudio.
Heureusement, ces querelles sont terminées
par les aveux de Borachio. Léonato n'exige
d'autre réparation de la part de Claudio que
celle de publier l'innocence de Héro et d'ac-
cepter la main d'une de ses nièces. Il y consent
avec joie. Le lendemain, Héro est ramenée le
"visage couvert d'un masque, et tout est expli-
qué. La comédie se termine par un double
mariage. Don Juan, qui s'était déjà enfui de
Messine, est ramené par les soldats du prince,
qui lui réserve sa punition.
Les personnages lés plus vivants, et les
plus animés sont ceux de Benedick et de Béa-
trice. Quelle originalité dans le dialogue un
peu trop libre peut-être, combien d'incidents
comiques naissent à chaque instant de leur
aversion pour le mariage et de leur conver-
sion subite I Les deux constables Dogberry et -
"Vergés, avec leur insuffisance, leur grave
niaiserie, leurs lourdes bévues, sont des mo-
dèles du genre. Quelle connaissance profonde
du cœur humain dans la peinture du caractère
de don Juan, tourmenté du besoin de faire le
mal, et qui se révolte même contre les bien-
faits de son frère 1
On ne s'étonnera pas qu'un si heureux mé-
lange de sérieux et de gaieté ait valu à cette
comédie, dès "le temps de Shakspeare, les plus
grands applaudissements. C'est une de celles
que l'on voit encore avec plaisir sur les théâ-
tres de Londres.
« Toutes ces péripéties si sérieuses, si dou-
loureuses, aboutissent à l'issue la plus gaie,
dit M. F.-V, Hugo. Tous ces désaccords se
réconcilient, au milieu d'une salle de danse,,'»
dans un air de flûte; et la tempête qui devait
bouleverser tant d'existences jette son der-
nier souffle dans la joyeuse fanfare d'un bal. -
Et c'est ainsi que tous ces personnages, qui
avaient cru de si bonne foi figurer dans une
tragédie, n'ont joué en réalité que cette co-
médie exquise : Beaucoup de bruit pour rien.
Cette pièce fut enregistrée au Stationer's
Hall le 23 août 1600, et imprimée in-quarto
dans le courant de la même année. Elle dut
être représentée vers la même époque, car
elle n'est pas mentionnée dans la liste des
pièces de Shakspeare que publia- Mères en
1598. Elle fut réimprimée dans l'édition géné-
rale de 1623, presque sans variation. Beau-
coup de bruit pour rien a été remanié deux fois
pour la scène anglaise : la première, en 1673,
par Davenant, sous ce titre : la Loi contre les
amants ; la seconde, en 1737, par un certain
James Miller, sous ce titre : la Passion uni-
verselle.
Le titre même de cette comédie, Beaucoup
de bruit pour rien, a passé en proverbe et est
resté dans toutes les langues pour exprimer
un dénoûment mesquin, ridicule, qui n'a au-
cune proportion avec les péripéties qui l'ont
amené.

BEAUCRIER
s. m. (bô-cri-é). Hortic. Va-
riété de raisin, i! On dit aussi BEAUTRIER OU
BEAUNIER.

BEAUCUIT
s. m. (bô-kui — rad. beau et
cuit). Agric. Nom vulgaire du blé sarrasin.
Beau «l'Ange H ne s (LE), roman, par M. Au-
guste Maquet {Paris, 1843). Au mois de mai
1719, M. Dubois étant mmistre des affaires
étrangères, et M. Leblanc ministre de la
guerre, le marquis Fabien d'Angennes, lieu-
tenant au régiment de la couronne, se lève-et
s'habille par un beau matin de printemps, sans
réveiller personne de ses gens, descend à
l'écurie, selle son cheval favori et part. A
quelques lieues de Paris, il rencontre le coche
de Chantilly, lequel contient une jeune femme
dans laquelle le marquis reconnaît Mlle Adol-
phine de Tournays, qu'il aime de tout son
amour, mais que son rang ne lui permet pas-
d'épouser. Les deux amants, se retrouvant
ainsi, entrent dans une discussion où chacun
des deux se peint par un mot : « Vous n'aimez
pas, dit le jeune homme à la jeune fille rebelle
à ses désirs.— Vous aimez donc mieux, vous?
répond celle-ci, qui ne veut céder qu'au ma-
riage. — Vous raisonnez avec votre esprit,
et votre tête est froide comme ce grès. —
Vous raisonnez, vous, cher marquis, avec
votre cœur ; mais vous raisonnez pour vous
seul. » Bientôt un orage force les interlocu-
teurs à se réfugier dans l'auberge de Ménil-
Aubray. L'orage passé, Adolphine part, lais-
sant une lettre au marquis. Deux grandes
dames arrivées peu après, curieuses de voir
cette lettre dont la lecture a fait évanouir le
marquis, commencent une lutte de rivalité,
qui ne peut que trop exister entre une mère
et une fille, mais qui étonne toujours. L'on
. sent, du reste, tout l'intérêt que peut offrir
cette lutte entre deux femmes, dont l'une est
la marquise de Prie, et l'autre, sa mère, la
comtesse de Pléneuf, lutte conduite avec
beaucoup d'habileté dans les diverses phases
de ce récit, dont nous ne retraçons que les
contours, obligés, comme on le pense bien, de
nous priver des détails. Quoi qu'il en-soit de
leurs manœuvres, les deux dames ne réussis-
sent pas à avoir la lettre. U est vrai qu'elles
en ont une autre, grâce à l'effronterie d'un
personnage qui va jouer un rôle important.
Mons Fridaine, admirable gars, taillé d'une
façon toute particulière,, grand disciple d'Epi-
cure, qui, n'ayant pu avoir la missive en
question, en a substitué une de son cru, le
mieux adaptée aux circonstances qu'il sup-
pose ; et, de ladite lettre il a envoyé une co-
pie à l'une et à l'autre dame. A trois mois de
là, M. d'Argennes se promenant sur le port
de Saint-Pierre à la Martinique avec sa mère
reçoit un brevet — deux brevets de capitaine
dans deux régiments à la fois. — Il revient à
Paris. Là d'abord, Fridaine lui apprend ce
qu'a fait Adolphine, sous la forme originale
d'un rapport fait jour par jour, heure par
heure. « Mercredi 27 mai, couru après la
jeune dame; rattrapé ladite personne, etc..»
En fin de compte, Adolphine est entrée à la
Comédie-Française, par la protection d'un
vieux gentilhomme, M. de Boissinet, dont le
caractère, malgré cette protection, tranche
sur celui des roués de l'époque. Voyant son
idole avilie, Fabien déchire les lettres et les
brevets qu'il croit avoir reçus d'elle. Il va
néanmoins remercier M. Leblanc, et trouve
chez le ministre les deux dames de Ménil-
Aubray, qui cherchent et trouvent avec lui
l'explication des pseudo-lettres de Fridaine,
et des deux autres lettres, et des brevets.
La guerre des deux dames recommence, hai-
neuse et féroce ; mais Fridaine est encore là ;
c'est lui qui tiendra les fils de cette intrigue et
les fera manœuvrer; Si nous voulions, et sur-
tout si nous pouvions suivre le drame dans
toutes ses péripéties, il nous faudrait aller à
la Comédie-Française, rue Saint-Germain-des-
Prés, voir jouer Charmette, qui n'est autre
3ue Mlle de Tournavs. Que se passe-t-il là,
ans la loge de l'actrice, sur la scène, dans la
loge du duc de Bourbon, où sont les deux
femmes rivales, que l'on retrouve ensuite rue
Quincampoix, à la fameuse banque du Missis-
sipi? Que se passe-t-il-à Saint-Cloud, et chez
Mme de prie, et chez Mlle Charmette? Il nous
faudrait un volume pour indiquer seulement
toutes les scènes de comédie et de drame qui
se succèdent sans interruption, jusqu'à un
dénoûment plein d'imprévu et d'émotions, où
une dernière rouerie de la marquise paye la
charmante Adolphine de son abnégation et de
son dévouement. En résumé, une action habi-
lement compliquée, qui ne pèche peut-être
que par un excès de mouvement, un récit d'un
intérêt constamment excité, un dialogue mor-
dant, des caractères en saillie, parmi lesquels
nous signalerons surtout Urbain Fridaine :
tels sont les mérites qui ont assuré à l'auteur
de ce livre, alors à ses débuts, la place dis-
tinguée qu'il a su conserver parmi les roman-
ciers de son époque. Toutefois, on peut re-
Ïtrocher à ce roman de manquer de couleur
ocale. Bien que l'action se passe au xvmc siè-
cle, rien, dans les paroles que prononcent les
personnages, n'indique qu'ils portent la poudre
et qu'ils vivent au temps des petits soupers et
du bon plaisir.

BEAUDREUIL
s. m. (bo-dreull; Il mil.)
Ichthyol. Syn. de baudroie.

BEADFAY
village et commune de France
(Sarthe), cant. de Ballon, arrond. et à 22 kil.
N. du Mans; pop.aggl.3l8h.; pop.tôt. 2,070 h.
Engrais de porcs, métiers à toiles.

BEAUFFORT
( Louis - Léopold - Amédée ,
comte DE), archéologue et administrateur
belge, né à Tournai en 1806, mort en 1858.
Fils d'un des chefs du parti catholique en
Belgique, le comte de Beauffort suivit les
traditions paternelles: et, grand admirateur
de l'Eglise au moyen âge, il s'éprit d'une vé-
ritable passion pour, les arts de cette période
historique, surtout pour le genre gothique. Il
s'est fait connaître comme archéologue par
des restaurations d'édifices, notamment par
celle de son château de Bouchout, qui devint
un manoir féodal du xuie siècle et dont il fit
une sorte de musée national, ainsi que par la
restauration des vitraux de Sainte-Gudule,de
Saint-Wandru, et d'autres édifices gothiques.
A Bruxelles, il organisa le musée royal d'ar-
mures et d'antiquités. Son influence et son
exemple réveillèrent en Belgique la culture
de l'archéologie. Il était inspecteur général
des beaux-arts, des lettres et des sciences,
directeur du musée archéologique, membre
de la commission administrative du musée de
peinture et de sculpture de Bruxelles, admi-
nistrateur de la bibliothèque royale, président
de la commission royale des monuments, etc.
BEAUF1CEL, petit pays de France, dans
l'ancienne province de Normandie (Manche),
arrond. de Morlaix. Lieu principal, comm. de
Beauficel :

BEAU-FILS
s. m. (rad. beau et fils, le mot
fils étant aussi usité dans le sens de beau-fils,
et le mot beau ayant été appliqué très-fré-
quemment, dans le moyen âge, aux personnes
auxquelles on était uni par les liens du sang
ou par alliance). Fils que la personne qu'on
a épousée a eu d'un précédent mariage :
C'est votre BEAU - FILS , puisque vous ' avez
épousé sa mère. Elle a épousé un veuf, et elle a
deux BEAUX-FILS.
— Par ext. Gendre : Les BEAUX-FILS et les
belles-filles ne s'accordent pas toujours avec
les beaux-pères et les belles-mères.
— Antonymes. Beau-père, belle-mère.

BEAUFORT
bourg de France (Savoie),
ch.-l. de cant., arrond. et à 15 kil. N.-E. d'Al-
berteville, à l'entrée de la vallée de son nom ;
pop. aggl. 510 hab. ; — pop. tôt. 2,450 hab.
Excellents pâturages ; commerce considérable
de bestiaux et de fromages. On y remarque
le château de la Salle, ou Henri IV séjourna
deux fois pendant les guerres de France et de
Savoie, il Village et commune de France (Pas-
de-Calais), cant. d'Avesnes-le-Comte, arrond.
et à 19 kil. de Saint-Pol, à 22 kil. O. d'Arras;
624 hab. C'était autrefois une baronnie, qui
existait dès le xne siècle ; cette baronnie fut
érigée en comté en 1733, en marquisat en 1735.
Il Dans la géographie féodale de la France,
on trouve un duché de ce nom, situé dans la
province de Champagne, élection de Troyes.
Il Ville maritime des Etats-Unis d'Amérique;
dans l'Etat de la Caroline du Nord, avec un
petit port sur l'Atlantique, à 175 kil. S.-E. de
Raleigh- 3,500 hab. Important commerce de
térébenthine et de résine. Tombée au pouvoir
des confédérés pendant la guerre de la séces-
sion, elle fut reprise par le général Burnside
le 21 mars 1862. Il Autre ville maritime des
Etats-Unis d'Amérique, dans la Caroline du
Sud, sur un petit bras de mer appelé canal de
Port-Royal, à 120 kil. S. de Charleston;
2,200 hab. Port spacieux et profond. Coton,
riz, maïs et patates.
BEAUFORT (VALLÉE DEI, petite vallée de
France (Savoie), arrond. d'Alberteville, dans
le cant. de Beaufort, arrosé par le Doron.
Bestiaux et pâturages.

BEAUFORT-DU-JURA
bourg de France
(Jura), ch.-l. de cant., arrond. et à 15 k. S.-O.
de Lons-le-Saulnier; pop. aggl. 8G6 h. —pop.
tôt. 1,255 hab. Ruines d'un ancien château
fort du xne siècle. Forges, taillanderies, mou-
lins à blé.

BEAUFORT-EN-VALLÉE
ville de France
(Maine-et-Loire), ch.-l. de cant., arrond. et à
16 kil. S.-O. de Baugé, dans une vallée arro-
sée par la Loire et l'Authion; pop. aggl.
2,779 hab. — pop. tôt. 5,260 hab. Commerce de
fruits secs, grains, toiles, huiles et bestiaux.
.Ruines d'un vieux château, avec fragments de
murs des xie, xive etxve siècles; sur la place
principale, colonne-fontaine surmontée de la
statue de Jeanne de Laval. Cette petite ville,
très-avantageusement située dans une belle
et fertile contrée, était autrefois le chef-lieu
d'un comté qui portait le même nom.
BEAUFORT (comtes DE). La ville et le comté
de Beaufort, en Anjou, furent donnés par le
roi Philippe VI à la maison Roger, du Limou-
'sin, dont un membre fut pape au milieu du
xivc siècle, sous le nom de Clément VI. En
1461, Charles VII en investit René d'Anjou,
roi de Sicile. Louis XI les réunit à la couronne
en 1480. Charles VIII les assigna comme
douaire à la veuve de René d'Anjou, et lors-
que celle-ci mourut, en 1498, ils retournèrent
de nouveau à la couronne. Us passèrent, avec
l'Anjou et l'Angoumois, à Louise de Savoie,
lorsque François Ier constitua le douaire de
sa mère. Celle-ci les céda en 1515 à son frère
naturel, dont le fils, Claude de Tende, en
jouit jusqu'en 1559. Réunis à la couronne, ils
furent inféodés sous Henri IV à la maison de
Beaumanoir-Lavardin.
BEAUFORT (ducs DE). La petite localité de
Beaufort en Champagne, avec la terre de So-
ligny, fut donnée en fief à Louis d'Evreux,
comte d'Etampes, par Charles, dauphin de
Viennois, régent du royaume, en 1357. En
1477, Louis XI la donna à Thierry de Lenon-
court, avec d'autres terres confisquées sur
Jacques d'Armagnac, duc de Nemours. En
1507, elle fut cédée par Louis XII, avec titre
de comté, à Gaston de Foix, qui l'abandonna
à sa sœur. Germaine de Foix. Henri IV, en
1597, érigea le comté de Beaufort et la baron-
nie de Jaùcourt en dùché-pairie, en faveur de
Gabrielle d'Estrées et de son fils. Ce dernier
la transmit à son second fils, François de
Vendôme, qui mourut sans postérité. Avec lui
s'éteignit la pairie de Beaufort. Le domaine
fut acquis par la maison de Montmorency,
avec le titre de duché, mais sans pairie.
BEAUFORT, nom d'une célèbre famille d'An-
gleterre. Elle a pour auteur Jean BEAU-
FORT, fils naturel de Jean de Gand, troisième
fils du roi Edouard III. Jean Beaufort ayant
été légitimé fut successivement nommé, par
Richard, comte de Somerset, grand amiral
(1397) et marquis de Dorset (1398). Il fut
privé par Henri IV de ce dernier titre, qui
passa a son frère Thomas BEAUFORT, nommé
plus tard duc d'Exeter. Il laissa deux fils,
Jean et Edmond BEAUFORT. Jean BEAUFORT,
deuxième du nom, reçut de Henri V le titre
de duc de Somerset, et laissa une fille unique,
Marguerite, qui devait être la mère du roi
Henri VIL; — Marguerite BEAUFORT, fille du
précédent, née à Bîetshoe en 1441, morte en
1509, épousa Edmond comte de Richemond,
frère utérin de Henri VI. De ce mariage ua-
r quit, en 1458, un fils qui devait être, sous le
nom de Henri VII, le chef de la famille des
Tudor. Devenue veuve, Marguerite épousa
Henri Stratfort, puis lord Stanley, comte de
Derby, qui mourut en 1504. Trois fois veuve
à soixante-trois ans, elle fit solennellement un
vœu de chasteté trop tardif pour avoir un
bien grand mérite, se signala par sa charité
envers les pauvres, tomba dans une dévotion
excessive, et'elle disait fréquemment que si les
princes chrétiens voulaient faire une croisade
contre les infidèles, elle était prête à suivre
l'armée en qualité de blanchisseuse. On doit
à Marguerite BEAUFORT plusieurs fondations
utiles, entre autres, celle des collèges du
Christ et de Saint-Jean dans l'université de
Cambridge. Walpole lui attribue The Mirror
of Gold to the Sinful soult traduit en anglais
sur une traduction française du Spéculum au-
reum peccatorum (1322). Edmond BEAUFORT,
frère puîné de Jean BEAUFORT II, duc de So-
merset, était lui-même duc et comte de Dor-
- set. Il conçut une haine profonde contre
Richard, duc d'York, parce que celui-ci lui
fut préféré pour être régent de la France;
mais, grâce à l'appui de la reine Marguerite,
il parvint en 1455 à le supplanter. L incurie
c{u il apporta dans ses fonctions de régent lui
ht perdre toutes les conquêtes anglaises dans
le nord de la France, à 1 exception de Guines
et de Calais. Accueilli, à son retour en Angle-
terre (1550), par l'indignation populaire, il
conserva néanmoins tout son crédit à la cour
jusqu'en 1554. Son ennemi, le duc d'York, ob-
tint son arrestation et le fit enfermer à la tour
de Londres, comme coupable de haute trahison
par sa conduite en France. Grâce à la reine,
BEAUFORT fut rendu à la liberté, il reçut
même le gouvernementde Calais et de Guines ;
mais il périt à la bataille de Saint-Albans, où
le duc d'York défit l'armée royale en 1455. Il
laissait trois fils, Henri, Edmond et Jean. —
Henri et Edmond BEAUFORT se montrèrent
les adversaires acharnés de la maison d'York
pendant la guerre civile qui déchira l'Angle-
terre, de 1463 à 1471, et ils furent exécutés par
ordre d'Edouard VI d'York. Le troisième,
Jean, mourut comme les précédents, sans
laisser d'enfants légitimes ; mais Henri laissait
un fils naturel, Charles de Somerset, qui re-
çut, en 1506, le titre de baron de Ragland, et
en 1541, celui de comte de Worcester. Henri,
cinquième comte de Worcester, descendant
du précédent, fut créé marquis en 1642, et le
petit-fils de celui-ci fut fait duc de BEAUFORT
en 1682, par le roi Charles II. C'est de lui que
descendent les ducs de Beaufort actuels.
BEAUFORT (Henri DE), cardinal anglais,
mort en 1447. Frère de Henri IV, roi d'Angle-
terre, et, par conséquent, étranger à la fa-
mille de Beaufort dont nous venons de par-
ler, il futévêque de Lincoln, puis de Winches-
ter, quatre fois chancelier d Angleterre, car-
dinal et légat de Martin V, qui le chargea de
prêcher, en Bohême, la guerre contre les
Hussites, et employé à plusieurs reprises dans
les négociations les plus importantes. Ce pré-
lat, dont Shakspeare a tracé un portrait si
ressemblant dans sa tragédie de Henri IV, sié-
gea parmi les juges de Jeanne Darc, cou-
ronna, à Notre-Dame de Paris, en 1430, le
jeune Henri. VI d'Angleterre comme roi de
France, et mourut à Winchester, six semaines
après avoir fait assassiner son neveu, le duc
de Glocester.
BEAUFOnT (la duchesse DE). V. ESTRÉES
.(Gabrielle D').
BEAUFORT (François de Vendôme, duc DE),
né à Paris en 1616, mort en 1669. Fils de Cé-
sar de Vendôme, bâtard de Henri IV et de
Gabrielle d'Estrées, il entra fort jeune au ser-
vice, combattit sous le ministère de Riche-
lieu, dans la guerre générale qui éclata contre
la maison d Autriche, assista à la bataille
d'Avein, aux sièges de Corbie (1636), de Hes-
din et d'Arras (1640), et passa en Angleterre
au moment de la découverte de la conspira-
tion de Cinq-Mars. Il ne revint en France
qu'après la mort de Richelieu (1642). La reine
Anne d'Autriche s'empressa de le recevoir
avec la plus grande bienveilfance,parce que,
à l'époque de la conspiration de Cinq-Mars,
Beaufort avait mieux aimé, dit-on, s'expa-
trier que de faire des aveux compromettants
pour cette princesse. La veille de la mort de
55
434
Louis XIII, Anne d'Autriche confia au duc de
Beaufort la garde de ses deux enfants, dans
la crainte d'une tentative d'enlèvement de la
part du duc de Condé ou du duc d'Orléans.
Une pareille marque de confiance montre as-
sez de quello faveur jouissait celui dont la
reine avait dit devant sa cour : « "Voilà le plus
honnête homme de France 1 n Toutefois, l'ac-
cord dura peu de temps. Irrité de voir l'in-
fluence de Mazarin grandir de jour en jour et
son crédit baisser, de Beaufort se rendit plus
qu'incommode, il traita Mazarin avec autant
de hauteur que de mépris, et ne fut pas plus
respectueux envers la régente.» Il refusa, dit
le cardinal de Retz dans ses intéressants mé-
moires, tous les avantages que la reine lui of-
frait avec profusion: il fit vanité de donner
au monde toutes les démonstrations d'un
amant irrité ; il ne ménagea en rien le duc
d'Orléans; il brava, dans les premiers jours,
le prince de Condé ; il outra ensuite, par la
déclaration publique qu'il fit contre Mme de
Longueville en faveur de Mme de Montbazon,
dont il était épris. Cette déclaration était re-
lative à la contrefaçon qu'on accusait celle-ci
d'avoir faite de lettres de Mrae de Longue-
ville à Coligny. Enfin, il forma la cabale des
Importants, et, selon le style de ceux qui ont
plus de vanité que de sens, il ne manqua pas,
en toute occasion, de donner de grandes ap-
parences aux moindres choses. L'on tenait
cabinet mal à propos, l'on donnait des rendez-
vous sans sujet; les chasses mêmes paraissaient
mystérieuses. Enfin, il manœuvra si adroite-
ment, qu'il se fit arrêter au L.ouvre par le
capitaine des gardes de la reine. » Ken-
fermé au donjon de Vincennes (1643), il par-
vint à s'échapper en 1649 ; la cour ne fit rien
pour le reprendre, et bientôt après, un arrêt
du parlement, prononcé sans débats, le dé-
clarait, sur sa requête, justifié de l'accusation
portée contre lut. Placé tout naturellement
dans le parti des mécontents, de Beaufort
embrassa avec ardeur la cause de la Fronde
et du parlement contre la cour.
« Ce fut un précieux allié pour le coadju-
teur, dit M. Henri Martin, que ce petit-fils de
Henri IV, beau, brave, et facile à mener par
son peu de cervelle : Beaufort eut un plein
succès aux Halles, grâce à ses locutions po-
pulaires et à ses longs cheveux blonds; et l'a-
droit Gondi, renforçant de cette popularité
naissante sa propre popularité, acquit dans
le parti une prépondérance décidée. » Beau-
fort en effet devint, avec le prince de Conti,
les ducs de Longueville et de Bouillon, l'un
. des chefs des Parisiens; mais il fut surtout
l'instrument dont on se servit pour soulever
le peuple. Doué des qualités qui plaisent à la
multitude, courageux jusqu'à la témérité, pré-
somptueux, vert-galant, joignant à une mine
fière et audacieuse un langage grossier et
poissard, il était devenu l'idole de la populace,
qui l'avait surnommé le roi des Halles. A la
cour, et même dans son parti, Beaufort était
l'objet d'incessantes railleries. Sous ses vani-
teuses prétentions, qui en imposaient à la
foule, il n'y avait qu'orgueilleuse insuffisance.
Son incapacité, qui ne pouvait échapper aux
habiles, son étourderie constante, son absence
de toute qualité propre à un chef de parti,
son esprit borné et sa crasse ignorance, ne
servaient qu'à rendre plus singulières son ar-
rogante vanité et son excessive présomption.
La façon dont il estropiait la langue prétait
surtout à rire à ses dépens. Pour ne citer
qu'un mot, une balle lui ayant fait une contu-
sion au bras, il n'avait reçu, disait-il, qu'une
confusion. Fier de son sobriquet de roi des
Halles, il quitta son palais, vint habiter une
maison de la rue Quincampoix, se fit nom-
mer marguillier de l'église Saint-Nicolas-des-
Champs, et se trouva ainsi au centre de son
royaume. Ayant remarqué, à un certain mo-
ment, que les partis tendaient à se rapprocher,
il demanda un jour au président Bellièvre,
s'il ne changerait pas la face des affaires en
donnant un soufflet au duc d'Elbeuf. « Je ne
crois pas, lui répondit le grave magistrat, que
ce soufflet puisse changer autre chose que la
face du duc d'Elbeuf. » Pendant la seconde
Fronde, devenue une guerre civile, Beaufort
fut choisi pour lieutenant par le prince de
Condé. Une violente inimitié s'étant alors éle-
vée entre lui et son beau-frère," le duc de
Nemours, ils se battirent en duel derrière l'hô-
tel de Vendôme, chacun des adversaires
ayant avec lui quatre seconds. Le duc de
Nemours fut tué, et le marquis deVillars, se-
cond de Nemours, tua d'Héricourt, son ad-
versaire, qu'il ne connaissait point. Beaufort
ne retira aucun avantage de la Fronde. On
lui fit quelques belles promesses, qu'on ne
tint pas, et il signa la paix avec autant de
légèreté qu'il en avait montré en se révoltant.
Lorsque Louis XIV revint à Paris en 1653,
-Beaufort vint lui offrir ses services, et fut de-
Euis lors un sujet soumis. Mis à la tête des
ottes, il se signala en 1664 et 1665 dans des
expéditions qu il dirigea contre les corsaires
africains ; puis fut chargé, en 1669, d'aller se-
courir les Vénitiens, attaqués dans l'Ile de
Candie par les Turcs, sous les ordres du fa-
meux grand vizir Achmet-Kiuperli. Vaine-
ment le duc de Beaufort fit, à la tête de ses
7,000 Français, des prodiges de valeur, il ne
réussit qu'à retarder de quelques semaines la
reddition de Candie. Dans une sortie qu'il fit
uinzej'ours après son arrivée, le petit-fils
'Henri IV disparut, et on chercha inutilement
son cadavre parmi les morts. Bien que, selon
-oute vraisemblance, il ait péri en combattant,
l'incertitude oui plana sur sa mort a donné
lieu à de nombreuses conjectures. Quelques-
uns de ses contemporains prétendirent que,
fait prisonnier, il avait terminé ses jours en
Turquie, pendant que d'autres ont cru voir en
lui le masque de fer.
BEAUFORT (dom Eustache DE), religieux
de l'ordre de Citeaux, né en 1635, mort en
1709. Mis par sa famille dans un couvent de
cisterciens sans que, selon l'usage du temps, sa
vocation eût été en rien consultée, il embrassa
la vie monastique, fut nommé, à dix-neuf ans,
abbé de Sept-Fonts, et, s'abandonnant à toute
la fougue de ses passions, étalant un grand
luxe et une manière de vivre orientale, il
donna à ses religieux le spectacle et l'exemple,
aussitôt suivi, de toutes les débauches et de
tous les scandales. Mais tout à coup, en 1663,
fatigué de ses désordres, honteux de cette
vie indigne, il résolut d'y mettre un terme et
proposa à ses religieux de se soumettre à une
austère réforme. Ceux-ci, qui s'étaient em-
pressés de l'imiter lorsqu'il s agissait de vivre
joyeusement, se soulevèrent dès que le mot
malsonnant de réforme retentit à leurs oreil-
les, et finirent par le laisser seul à Sept-
Fonts. Dom Eustache rebâtit son couvent,
réunit quelques nouveaux'religieux et les
soumit à une règle si dure, qu'on disait d'habi-
tude : « La Trappe a plus de réputation, Sept-
Fonts d'austérité. -
BEAUFORT (sir Francis), marin anglais,
né en 1775, mort en 1857. Fils d'un ministre
protestant, il fut admis dans la marine royale
en 1792, il passa midshipman (aspirant) en
1794 et fut engagé dans diverses actions na-
vales contre les vaissaux. français. Dans son
poste d'observation sur les côtes de Syrie,
il eut à soutenir, contre les tribus du littoral,
un rude combat où il reçut plusieurs blessures
(1812). De 1832 à 1854, il fut chargé des fonc-
tions d'inspecteur hydrographe. En 1S46, il
fut promu au grade de contre-amiral, et en
1848, créé chevalier, titre qui confère la no-
blesse personnelle. Beaufort avait publié, en
1817, une relation topographique intitulée : la
Caramanie.

BEAUFOHT
(Henri-Ernest GROUT, cheva-
lier DE), voyageur français, né à Aubevoye
(Eure) en 1793, mort en 1825. A l'âge de qua-
torze ans, il entra dans la marine militaire et
navigua dans le Levant. En 1S19, devenu en-
seigne de vaisseau, il alla au Sénégal, et passa
trois ans dans cette colonie. Il conçut alors
l'idée d'achever l'œuvre de Mungo-Park, et
revint passer deux ans à Paris pour y faire
les études nécessaires. Il entreprit ensuite,
avec l'aide du gouvernement, un voyage où
il explora la Gambie, les Mandingues, Bakel,
le Bondou, le Kurta, puis les cataractes de
Felou et de Gavina, et le Bambouk, recueil-
lant partout de précieuses observations. Mal-
heureusement, il fut atteint d'une fièvre per-
nicieuse, et mourut lorsqu'il se promettait de
poursuivre longtemps encore la glorieuse et
périlleuse carrière pour laquelle il se sentait
une vocation irrésistible.
BEAUFORTD'IIACTPOUL(Edouard, comte,
puis marquis DE), colonel du génie, né à
Paris en 1782, mort en 1831. En sortant de
l'Ecole polytechnique, il entra dans le corps
du génie et fit les campagnes d'Italie sous le
général Saint-Cyr. Il se distingua aussi dans
l'armée du Portugal, puis revint en Italie en
1813. Sous la Restauration, il fut nommé chef
de division au ministère de la guerre, puis in-
génieur en chef de la ville de Paris, et enfin,
colonel du 3e régiment du génie. On a de lui
quelques écrits, notamment : Eloge du prince
de Condé, et Observations sur l'exposé des mo-
tifs des projets de loi présentés en 1822 pour
l'achèvement et la construction de divers ca-
naux (Paris, 1822).
BEAUFORT - THORIGNY ( Jean-Baptiste ), -
général, né en 1761 à Paris, mort en 1825. En-
gagé volontaire à seize ans, il était adjudant-
major en 1792 dans la première campagne
du Nord, colonel en 1793, et il se conduisit
avec distinction à Bréda, Menin, Combes,
Warneton, Lincel, etc. Blessé à l'assaut de
Turcoing, il fut arrêté quelque temps après,
puis .rendu à la liberté, envoyé à l'armée de
Cherbourg, nommé général de division après
la bataille de Granville, où il contribua beau-
coup au succès de nos armes, enfin, chargé
successivement d'un commandement à l'ar-
mée des Pyrénées et en Vendée. Il se signala
dans ce dernier poste, en battant les Anglais
près de l'île d'Aix (1798). Mis en non-activité
par le premier consul, il obtint, pour vivre, la
place d'inspecteur des droits réunis dans le
Cantal, et termina ses jours dans une obscure
retraite.
Les hauts faits que lui prête une biographie
militaire, à la rédaction de laquelle il ne fut
sans doute pas étranger, sont tout à fait im-
firobables. C'est ainsi que ce serait à lui que
a Convention aurait du la victoire, au 9 ther-
midor et au 13 vendémiaire; tandis que son
nom n'est même pas prononcé dans les docu-
ments du temps, à l'occasion de ces journées
mémorables.

BEAUPORTIE
s. f. (bo-for-tî — de Beau-
fort, n. pr.). Bot. Genre de la famille des
myrtacées, renfermant un très-petit nombre
d'arbrisseaux, qui croissent en Australie.

BEAU-FRAIS
s. m. fbo-frè). Mar. Vent
maniable, qui souffle uniformément : II vente
BEAU-FRAIS.
, BEAUFRANCHET D'AVAT (le comte Louis-
| Charles-Antoine Dii), général, fils présumé ou
i prétendu de Louis XV et de la demoiselle
j Morph-ise, qui épousa le comte de Beaufran-
j chet d'Ayat; né en 1757 au château d'Ayat-
î Saint-Hilaire, en Auvergne, mort en 1812.
î D'abord page de Louis XV, il était capitaine
! au régiment de Berrv-cavalerie, à l'époque de
j la Révolution. L'émigration des officiers su-
i périeurs, qu'il n'imita point, lui procura un
î avancement rapide, malgré sa qualité de
I noble. En 1793, il était chef d'état-major du
| camp sous Paris, et il assista, en cette qualité,
î au supplice de Louis XVI. Il est un de ceux
à qui 1 on a attribué le fameux roulement de
tambours qui interrompit le discours du roi.
Certes, c'est là un épisode bien capable de
frapper l'imagination : un petit-fils de Louis XV
est sur l'échafaud, et le signal qui doit faire
tomber sa tête est donné par un fils naturel
du même prince. Mais ce fait n'est pas établi
d'une manière incontestable. Les tambours,
d'ailleurs, battaient depuis le matin et accom-
pagnaient le défilé des troupes qui venaient
se ranger sur la place, et ils nejs interrompi-
rent un moment que sur la demande du roi.
Que l'ordre de battre de nouveau ait été donné
par Beaufranchet, le fait n'a rien d'impossible
ni d'invraisemblable; mais en tout état de
cause, cet officier n'eût fait que transmettre
l'ordre du général Berruyer, qui commandait
en chef. Au reste, cette question sera discutée
aux articles BERRUYER et SANTERKE. Beaufran-
chet fut ensuite employé dans la Vendée
comme général de brigade, demeura longtemps
eu non-activité, et devint, sous l'empire, in-
specteur général des haras.
Son neveu, le vicomte Beaufranchet de la
Chapelle, à l'occasion de la publication des
Girondins de Lamartine, a publié dans les
journaux une réclamation contre l'opinion
commune, qui fait de son oncle un bâtard de
Louis XV. Il considère cette assertion comme
blessante pour sa famille, qui possède, dit-il,
une généalogie remontant, par filiation directe,
jusqu'à saint Louis. Quant à la demoiselle
! Morphise (dont quelques-uns ont fait une dan-
1 seuse), il donne son véritable nom, Marie-
Louise 0' Murphy de Boistailly, fille d'un
gentilhomme irlandais. Son mariage avec le
major généralJacques de Beaufranchet d'Ayat
eut lieu en 1755. De ce mariage naquit, deux
ans plus tard, le personnage dont nous avons
donné la notice. M. de La Chapelle regarde
l'historiette des amours de sa grand'tante et
de Louis XV comme une supposition dénuée
de preuve. Notre impartialité nous faisait un
devoir de mentionner cette protestation, que'
nous exhumons de la nécropole des vieux
journaux, et que M. Nettement a insérée dans
sa critique des Girondins. M. de La Chapelle
proteste également contre l'assertion relative
au roulement de tambours, qui, nous devons
le dire, a été, ainsi que la précédente, repro-
duite par des écrivains royalistes. On les re-
trouve l'une et l'autre, notamment dans une
note de l'Histoire de la Révolution, de Ber-
trand de Molleville (t. X, p. 430), où se lit en
outre : - Dans une pétition au Directoire, il
(Beaufranchet) se faisait lui-même un mérite
d'avoir conduit à l'échafaud le dernier des
tyrans. »
BEAUFREMONT. V. BAUFFREMONT.

BEAU-FRÈRE
s. m. (v. beau-fils pour l'é-
tym.). Mari de la sœur ou de la belle-sœur;
frère de la femme ou du mari : Je suis bien
aise que vous ayez, cet automne, une couple de
BEAUX-FRÈRES. (Mme de Sév.) n S'applique
même aux femmes, lorsqu'on veut designer
par un seul mot un beau-frère et sa belle-
Sœur : Le mariage entre BEAUX-FRÈRES est
interdit par l'Eglise, mais peut être autorisé.

BEAUFRÈRE
(Pierre), graveur français,
travaillait à Paris de 1661 à 1685. Il obtint le
titre de graveur du roi. On ne connaît de
lui que des portraits, entre autres ceux de
Louis XIV (1685), de J.-B. Colbert, évêque de
Montauban ; de Pierre de Broc, évêque
d'Auxerre \ de François de Beauviliiers, duc
de Saint-Aignan, etc.

BEAUGEARD
(Jean), conventionnel, né à
Vitré en 1764, mort en 1832. Ayant embrassé
avec ardeur la cause de la Révolution, il or-
ganisa un des premiers les clubs eu Bretagne,
et fut élu député à la Convention par l'Ille-et-
Vilaine. Il vota la mort de Louis XVI et son
exécution dans les vingt-quatre heures, siégea
constamment parmi les montagnards, fut
nommé, par le Directoire, commissaire près
l'administration de sen département, revint en
l'an VI au conseil des Cinq-Cents, et, après
avoir disparu de la scène politique pendant
l'Empire, il fut nommé représentant en 1815.
Il passa inaperçu dans cette chambre, qui
dura si peu, et fut obligé, l'année suivante,
de quitter la France en vertu de la loi contre
les régicides. Après 1830, il vint terminer sa
vie dans sa ville natale. On lui attribue, entre
autres écrits : Résumé général des principaux
écrits sur la prochaine convocation des états
généraux (1788, in-8<>).
BEAUGENCY(£a/#encïac«m), ville de France
(Loiret), ch.-l. de cant., arrond. et à 26 kil.
S.-O. d'Orléans, sur la rive droite de la Loire
et le chemin de fer de Bordeaux; pop. aggl.
3,983 hab. — pop. tôt. 5,052 hab. Draperies,
tanneries, vins estimés. On y remarque une
tour très-ancienne, dite Tour de César; l'hô-
tel de ville avec une façade sculptée dans
le goût de la Renaisssance, et aux environs
un magnifique dolmen. En 1152, un concile y
prononça le divorce de Louis VII et d'Eléonore
d'Aquitaine, et, en 1429, Beaugency fut enlevé
aux Anglais par le duc d'Alençon et Jeanne
Darc.
La terre qui porte le nom de Beaugency a
eu des seigneurs particuliers depuis la fin du
xnc siècle. En 1291, Raoul, sire de Beaugency,
qui se voyait sans postérité, vendit au roi
Philippe le Bel divers droits qu'il avait sur
cette seigneurie, et les successeurs du roi
Philippe le Bel en acquirent d'autres. Au
commencement du xve siècle, elle passa dans
la maison d'Orléans. Charles, père du roi
Louis XII, la vendit en 1443. Cent ans plus
tard, elle était possédée par le marquis do
Rothelin, mari de Jacqueline de Rohan. Elle
fut réunie au domaine par arrêt du roi Fran-
çois le*, du 23 février 1543.
BEAUHAIÏNA1S, nom d'une famille noble de
France, originaire de l'Orléanais, fort consi-
dérée, mais peu connue avant la Révolution.
On voit figurer dans le procès de la Pucelle
un Jean de Beauharnais, qui vint témoigner
en sa faveur, et plusieurs membres de cette
famille remplirent avec distinction des emplois
civils et militaires. En 1764, Louis XV érigea
en marquisat, sous le nom de Ferté-Beauhar-
nais, la terre de Ferté-Aurain.
Au commencement du xvuie siècle, une des
branches de cette famille était représentée
par le comte Beauharnais, qui épousa une
demoiselle Mouchard, connue comme poète
et littérateur sous le nom de Fanny. De ce
mariage est issu Claude, comte de Beauhar-
nais, officier dans la garde constitutionnelle
de Louis XVI, membre de l'Assemblée natio-
nale de 1789, sénateur sous l'Empire, chevalier
d'honneur de l'impératrice Marie-Louise, et
pair de France sous la Restauration. Il avait
épousé en premières noces une fille du comte
de Marnézia, et, en secondes noces, une demoi-
selle Fortin. Du premier lit est issue Stéphanie
de Beauharnais, mariée en 1806 à Charles-
Louis-Frédéric, grand-duc de Bade; et du
second lit Joséphine-Désirée de Beauharnais,
mariée au marquis de Quiqueran-Beaujeu.
Une autre branche de la famille de Beau-
harnais, établie à la Martinique, était repré-
sentée, au siècle dernier, par deux frères :
François, marquis de Beauharnais, député
suppléant à l'Assemblée nationale de 1789,
qui servit ensuite dans l'armée de Condé, fut
ambassadeur en Espagne, sous le premier
Empire, et eut de son premier mariage avec
Marie-Françoise de Beauharnais, sa nièce,
une fille, Emilie-Louise, qui épousa le comte
de la Valette, à cjui elle sauva la vie en 1815.
D'un second mariage, le marquis de.Beauhar-
nais eut une fille, mariée en premières noces
au comte de Querelles et en secondes noces
à M. Laity, aide de camp de Louis-Napoléon
Bonaparte, lorsqu'il était président de la répu-
blique. Alexandre, vicomte de Beauharnais,
frère puîné du marquis, député à l'Assemblée
nationale de 1789, qu'il présida plusieurs fois,
servit comme général sous Custine, fut accusé
d'avoir, pa£ ses lenteurs, amené la capitulation
de Mayence, et fut condamné à mort par le tri-
bunal révolutionnaire en 1794. Il avait épousé
Joséphine Tascher de la Pagerie, qui devint
dans la suite la femme du général Bonaparte,
et qui eut, de son premier mariage, Eugène de
Beauharnais,-vice-roi d'Italie pendant le pre-
mier Empire, duc de Leuchtenberg après la
Restauration. Avant épousé la princesse Au-
guste-Amélie, fille du roi de Bavière, il eut de
cette union Auguste-Charles, duc de Leuchten-
berg, marié à la reine de Portugal Dona Maria ;
Maximilien-Joseph, marié à la princesse Olga,
fille de l'empereur Nicolas de Russie ; José-
phine, mariée au roi Oscar de Suède ; Eugénie-
Hortense, mariée au prince de Hohenzollern;
enfin, Amélie-Auguste, mariée àDon Pedro IcrT
empereur du Brésil. Hortense de Beauharnais,
sœur d'Eugène de Beauharnais, a épousé
Louis-Napoléon, roi de Hollande, et est, par
conséquent, la mère de l'empereur Napo-
léon III.
Nous allons compléter cette notice, en don-
nant la biographie des principanx membres
de cette famille.

BEAUHARNAIS
(Fanny, comtesse DE),
femme poète, née à Paris en 1738, morto en
1813. Fille d'un receveur des finances de la
Champagne, elle prit, dans sa jeunesse, le
prénom de Fanny et devint, en 1753, la femme
du comte de Beauharnais, oncle de François
et d'Alexandre de Beauharnais. S'étant sépa-
rée de son mari après quelques années a'u-
nion, elle se livra à son goût pour les lettres
et la poésie, et forma à Paris un salon, où elle
réunit les littérateurs et les savants, au nom-
bre desquels on remarquait Dorât, Mably,
Dussaulx, Cubières, Bitaubé, etc. Bonne, spi-
rituelle, aimable, bienfaisante, simple dans
son élégance, et sans aucune prétention,
Fanny de Beauharnais n'en fut pas moins as-
sez maltraitée par un certain nombre de ses
contemporains, à cause de ses productions lit-
téraires. Au nombre de ces derniers se trou-
vaient La Harpe, Palissot, qui l'appelle Cail-
lette et qui, écrivant à Lebrun à son sujet, lui
dit : - Je l'ai assez vue pour être bien sûr
qu'elle n'a pas même le mérite d'avoir fait ses
vers; » enfin Ecouchard Lebrun, qui dirigea
contre elle cinq épigrammes, dont 1 une, aussi
fine que cruelle, est devenue célèbre :
Eglé, belle et poËte, a deux petits travers :
Elle fait son visage, et ne fait pas ses vers.
435
Bien que La Harpe ait déclaré que ses ou-
vrages étaient si mauvais qu'il n'y avait pas
de raison pour les lui disputer, la paternité en
fut attribuée à Dorât et à d'autres membres
de sa société intime, Laus de Boissy, Cubières,
Palmezeaux, etc. En 1767, elle fit ^ouer au
Théâtre-Français une comédie intitulée la
Fausse Inconstance. La pièce tomba sous les
sifflets d'une cabale formidable, et sans avoir
été écoutée. La comtesse produisit ensuite un
drame, qu'elle n'osa faire représenter^et qui
fut traduit en anglais. Dégoûtée de Paris, elle
se rendit en Italie, se fit recevoir, à Rome,
membre de l'académie des Arcades, puis elle
se retira dans son château en Poitou. Là fut
représentée, en 1790, la Bonne Mère de Cu-
bières, qui dit avoir calqué son héroïne sur la
figure de Mme de Beauharnais. Celle-ci revint
à Paris pour s'y cacher pendant la tourmente
révolutionnaire ; mais, dénoncée bientôt après,
elle fut emprisonnée a Sain te-Pélagie (1793).
Il est à croire que la protection efficace de
son ami Cubières ne contribua pas peu à la
sauver de l'échafaud. On n'entendit plus parler
d'elle avant le 18 brumaire, et, dans sa re-
traite, elle cultiva les lettres jusqu'à sa mort.
La comtesse Fanny de Beauharnais était tante
de l'impératrice Joséphine et marraine de la
reine Hortense, mère de l'empereur Napo-
léon III. Elle fut en relation avec Mercier,
Rétif de la Bretonne, Bailly, Buffon, Voltaire,
Vigée, etc. 6on portrait fut gravé en 1785 par
Bartolozzi. On compte jusqu'à quatorze ou-
vrages de Mme de Beauharnais : nous n'en
donnerons point la liste, composée de ro-
mans, de contes et de nouvelles qui, aujour-
d'hui, n'offrent plus d'intérêt. Les seuls que
nous puissions citer sont : les Lettres de Sté-
phanie (1778, 3 vol. in-12), et les Mélanges de
poésies fugitives et prose sans conséquence,
(1773). La modestie de ce titre n'a pu désarmer'
la critique. On trouve d'elle des pensées et
des espèces de madrigaux dans notre ancien
Parnasse français, d'où nous extrayons le
quatrain suivant :
Beauté, fatal présent des dieux,
Les peines sont votre partage;
Vous armez un sexe envieux,
Fixez-vous un sexe volage?
BEAU HARNAIS (François, marquis DE), né
à la Rochelle en 1756, mort en 1846, fut nommé
député de la noblesse aux états généraux, et
s'y signala par l'ardeur de ses sentiments
royalistes. Il émigra en 92, servit dans l'armée
de Condé, écrivit à la Convention une défense
de Louis XVI, et demanda vainement aux
puissances étrangères de le transporter en
Vendée avec 500 gentilshommes, pour y com-
battre la République. Lorsque Bonaparte ar-
riva au pouvoir, François de Beauharnais lui
écrivit pour le sommer de rendre le trône aux
Bourbons. Le général, qui avait épousé la
veuve de son frère, se contenta, pour toute
réponse, de marier la fille de François, alors
émigré, avec M. de La Valette, qu'il appela
à la direction générale des postes. Plus tard,
François de Beauharnais reconnut Napoléon
et fut nommé à diverses ambassades. Mais
ayant refusé, en Espagne, de seconder les vues
de l'empereur, celui -ci irrité donna l'ordre
de l'exiler en Pologne. Le copiste, par inad-
vertance, écrivit en Sologne, et François de
Beauharnais se rendit dans son château de la
Ferté-Beauharnais. Napoléon, ayant appris
cette erreur dans un moment où il était bien
disposé, se contenta d'an rire, et ne voulut pas
qu'on la rectifiât. Mais l'exilé ne put venir à
Paris qu'après la Restauration. Il y mourut
aveugle, sans que la cour se fût souvenue
de ses anciens services.
BEAUHARNAIS (Alexandre, vicomte DE),
frère puîné du précédent, né à la Martinique
en 1760, mort en 1794. Il servit avec distinction
sous les ordres de Rochambeau, pendant la
guerre de l'Indépendance américaine, puis se
rendit en France avec sa jeune femme José-
phine Tascherde la Pagerie, cnVil avait épou-
sée à la Martinique en 1779, et lut parfaitement
accueilli à la cour, grâce à son esprit et à sa
réputation. Dès le début de la Révolution, il
embrassa avec ardeur les idées de liberté, fut
nommé en 1789, par la noblesse de la séné-
chaussée de Blois, député aux états généraux,
et se prononça énergiquement, dans la nuit
du 4 août, pour la suppression des privilèges,
l'égalité des peines et l'admissibilité de tous
les citoyens à tous les emplois. Secrétaire de
l'assemblée, puis membre du comité militaire,
il rédigea plusieurs rapports remarquables et
travailla comme un simple ouvrier aux prépa-
ratifs qu'on fit au Champ de Mars pour la
première fédération. On l'y vit, dit Mercier,
attelé à la même charrette <^ue l'abbé Sieyès.
L'éloge qu'il fit de la conduite de Bouille, lors
des troubles de Nancy, fut. vivement blâmé
par les patriotes. Lors de la fuite de Louis XVI
a Varennes, Beauharnais, qui présidait l'as-
semblée, montra un calme admirable : « Mes-
sieurs, dit-il en ouvrant la séance, le roi est
parti cette nuit; passons à l'ordre du jour. »
Sa dignité et sa présence d'esprit dans des
circonstances aussi critiques, la rapidité avec
laquelle les ordres furent expédiés, lui firent
le plus grand honneur. Après avoir occupé
une seconde fois le fauteuil, il fut envoyé, avec
le grade d'adjudant général, à l'armée du Nord,
se distingua lors de la déroute de Mons (1792),
commanda le camp de Soissons sous les ordres
de Custine, fut nommé, en 1793, général en
chef de l'armée du Rhin, refusa de prendre le
portefeuille de la guerre, etdonna sa-démission
lorsque parut le décret qui écartait les nobles
de tout emploi militaire. Il vivait "retiré dans
sa terre près de la Ferté-Imbault, lorsque,
dénoncé à plusieurs reprises comme suspect,
il fut arrêté, conduit à Paris et condamné à
mort par le tribunal révolutionnaire (23 juin
1794), sous l'accusation d'avoir contribué a la
reddition de Mayence en restant quinze jours
dans l'inaction a la tête de ses troupes. Sa
veuve, dont il était séparé, épousa le général
Bonaparte et devint 1 impératrice Joséphine.
Il en avait-eu deux enfants, Eugène et Hor-
tense Beauharnais.
BEAUHARNAIS (Eugène DE), duc de Leuch-
tenberg, prince d'Eichstadt, vice-roi d'Italie,
né à Paris en 1781, mort en 1824, était fils du
précédent et de Joséphine Tascher de la Pa-
gerie. Les biens de son père, mort sur l'écha-
faud, avaient été confisqués, et il faut croire
que Joséphine se trouvait alors dans un grand
dénûment, car l'enfant appelé à de si hautes
destinées fut placé comme apprenti chez un
menuisier. Mais bientôt la fortune changea,
et le général Hoche employa dans son état-
.major le jeune Beauharnais, qui, peu de jours
après, le 13 vendémiaire, se présenta, dit-on,
devant Bonaparte pour réclamer l'épée de son
père, saisie lors du désarmement qui venait
'd'avoir lieu, et amena par cette démarche la
première entrevue entre sa mère et le futur
empereur des Français. Cette anecdote, très-
populaire, n'est pas d'une authenticité incon-
testable. Quoi qu'il en soit, Eugène de Beau-
harnais entra dans les guides de Bonaparte,
devenu son beau-père en 1796, passa en Italie,
fut chargé d'une mission à Corfou après le
traité de Campo-Formio, et, à son retour,
faillit périr à Rome dans l'émeute populaire
où le général Duphot perdit la vie. En 1798,
il suivit comme aide de camp Bonaparte en
Egypte, montra autant d'intelligence que de
bravoure, fut blessé sous les murs de Saint-
Jean-d'Acre, et revint à Paris avec son père
adoptif en 1799. Nommé bientôt après capi-
taine des chasseurs de la garde, chef d'esca-
dron à Marengo, général de brigade en 1S04,
il fut, après l'établissement du gouvernement
impérial, élevé à la dignité de prince français
et à celle d'archichancelier d'Etat (1805).
Quelques mois après, Napoléon, qui avait pour
lui une tendresse toute paternelleî le nomma
vice-roi d'Italie. A peine âgé de vingt-quatre
ans, Eugène avait a gouverner un royaume
formé de lambeaux ayant appartenu a l'Au-
triche, au Piémont, à la république de Venise,
au pape; au duché de Modène, etc., et juxta-
posés par la conquête, mais où tout était à
créer, l'administration, l'unité politique, l'ar-
mée, les finances. Pour qu'il ne succombât
pas à cette tâche, où il ne pouvait encore
apporter que la justesse de son esprit et le
désir de bien faire. Napoléon mit près de lui
M. Méjan, secrétaire de la préfecture de là
Seine, dont il fit le principal organisateur et
administrateur du nouveau royaume, sous sa
direction suprême : en même temps, il char-
geait Masséna de le seconder par ses talents
et son expérience militaire. La guerre de 1805
avec l'Autriche, terminée par la bataille d'Aus-
terlitz, eut pour résultat d'augmenter le
royaume d'Italie des Etats possédés par l'Au-
triche dans la Péninsule. Le 16 janvier 1806,
Napoléon fit marier le prince Eugène avec
Augusta-Amélie, fille de l'électeur de Bavière,
élevé au rang de roi, et, deux jours après,
l'adopta solennellement devant le Sénat, en
déclarant qu'à défaut de descendant direct, il
entendait placer sur sa tête la couronne d'Italie.
Après la paix de Presbourg, l'Italie jouit de
trois années de tranquillité. Le vice-roi en
profita pour développer la prospérité du nord
de la Péninsule, au moyen d'un grand nombre
de mesures, de travaux et d'institutions utiles.
Il fit compléter le système de défense de
Mantoue, Peschiera, la Rocca d'Anfo, Palma-
Nova, Osopo, tracer des routes, creuser des
canaux, dessécher des marais. En même
temps, il établissait une administration des
ponts et chaussées, réorganisait là justice à
l'instar de la France, mettait en vigueur le
code Napoléon ainsi que nos codes de procé-
dure et de commerce, reconstituait l'instruc-
tion publique sur de nouvelles bases, établis-
sait de nombreux collèges dans les grandes
villes, un conservatoire de musique à Milan.
Le prince donnait aux beaux-arts une protec-
tion spéciale, créait le muséum de Brescia, fai-
sait revivre l'art de la mosaïque, augmentait
les établissements de bienfaisance, améliorait
le régime des prisons, mettait une armée sur
pied, organisait une flottille, et, malgré les
dépenses qu'entraînèrent tant d'améliorations
successives, grâce à la sévère économie de
son administration, lorsqu'il quitta le pouvoir,
en 1813, il laissait dans les coffres de l'Etat
quatre-vingt-douze millions d'économies.
Lorsque, en 1809, les hostilités recommen-
cèrent entre l'Autriche et la France, une armée
de 100,000 hommes, sous les ordres de l'ar-
chiduc Jean, s'avança vers l'Italie. Le vice-
roi, qui pouvait à peine lui en opposer 60,000
et a qui Napoléon avait ordonné de garder la
défensive, se mit à la tète de son armée, qu'il
concentra derrière le Tagliamento, rencontra
les Autrichiens à Sacile, fut complètement
battu; mais, sans se laisser abattre par cet
échec, il prit bientôt l'offensive, remporta plu-
' sieurs avantages successifs, à la Pîave, à
Saint-Daniel, à Tarvis, etc., marcha sur Vienne
pour opérer sa jonction- avec la grande armée,
remporta, le 4 juin 1809, la victoire de Raab,
que Napoléon baptisa du glorieux surnom'de
petite~fiUe de Marengo, et, après avoir rejoint
l'armée de Napoléon, il prit une part glorieuse
à la bataille de Wagram, le 6 juillet suivant.
C'est alors que l'empereur résolut de rompre
son mariage avec Joséphine, pour s'allier à la
maison d'Autriche et asseoir plus fortement
sa dynastie s'il lui naissait un fils. Appelé à
Paris pour préparer sa mère à la dissolution
de son mariage et en exposer le motif devant
le Sénat, le prince Eugène obéit avec une
docilité muette, qui fut généralement blâmée.
Il voulut, dit-on, renoncer alors aux affaires
publiques-, mais il céda aux sollicitations de
sa mère et de l'empereur, refusant toutefois
d'accepter toute faveur nouvelle, parce qu'on
la regarderait comme le prix du divorce de sa
mère. Pendant la campagne de Russie, il reçut
le commandement d'un corps de la grande ar-
mée , contribua aux succès d'Ostrowno, de
Mohilow, et prit une part glorieuse à la bataille
de la Moskowa. Après le départ de Napoléon,
il prit, à Posen, le commandement des débris
de l'armée, qu'il ramena jusqu'à Magdebourg,
commanda l'aile gauche à Lutzen, et remporta
encore divers avantages vers la fin de cette
campagne. La façon dont il se conduisit dans
cette désastreuse guerre de Russie fit dire à
Napoléon ces paroles, qu'on ne saurait omettre
ici : « Dans cette guerre, nous avons tous
commis des fautes; Eugène est le seul qui
n'en ait pas fait. « L'empereur le chargea
alors d'organiser la défense en Italie et de se
mettre à la tête d'une.armée entre l'Adige et
la Piave, point sur lequel Napoléon, qui pré-
voyait la défection de l'Autriche, pensait que
cette puissance allait porter ses forces. Ces
prévisions ne tardèrent pas à se réaliser. Au
mois d'août 1813, l'Autriche se déclara contre
la France. Le prince Eugène, à la tête de
35,000 hommes, arrêta pendant deux mois une
armée de 60,000 Autrichiens dans les vallées
de la Dave et de la Save. Mais la défection de
la Bavière, qui, en ouvrant à l'ennemi les
routes du Tyrol, forçait Eugène à abandonner
la ligne de l'Isonzo, ayant été suivie bientôt
' après de la défection de Murât, qui envoya
une armée contre le vice-roi, celui-ci dut
quitter sa position sur l'Adige et se replier
derrière le Mincio. Ce fut dans cette position,
et avec les forces les plus inégales, que le
prince Eugène remporta sur les Autrichiens,
le 10 février, une dernière victoire, qui devait
couronner sa carrière militaire. On a accusé
Eugène d'avoir, à cette époque , entretenu
des intelligences secrètes avec les alliés et
consenti à faire cause commune avec eux
sous la condition qu'on lui assurerait la royauté
de l'Italie. La marche rapide des événements
aurait été, disent ses accusateurs, le seul
obstacle à sa défection. D'autres, au contraire,
affirment qu'il repoussa avec indignation les
propositions qui lui furent faites a ce sujet.
Quoi qu'il en soit d'une question qui ne sera
peut-être jamais clairement résolue, le prince
Eugène vit s'évanouir avec l'empire son
royaume d'Italie, et sa vie politique fut ter-
minée. Il se retira alors à la cour du roi de
Bavière, son beau-père, qui le créa duc de
Leuchtenberg et prince d'Eichstadt. Il mourut
à Munich d'une attaque d'apoplexie, à l'âge de
quarante-quatre ans.
Le prince Eugène est resté, dans la légende
populaire de l'Empire, le type de la fidélité qui
survit au malheur. L'impartiale histoire, ju-
geant les choses de plus haut, est loin d'être
aussi affirmative. Habitué, dès la première
heure, à plier sous la volonté de Bonaparte,
il subit le sort commun à tous les hommes qui
prirent part aux affaires de l'Empire. Il ne fut
.plus qu'un instrument entre les mains de celui
qui s'imagina que la France c'était lui, et
qu'en abaissant les caractères, qu'en substi-
tuant aux individualités fortes des agents do-
ciles de toutes ses volontés, il enchaînerait
par la reconnaissance et par l'intérêt des ser-
viteurs toujours courbés, mais frémissants. Le
prince Eugène, par sa position même, trouva
dans Napoléon une affection qui tempérait ce
qu'il y avait d'excessif dans les exigences du
maître. Sans facultés brillantes, condamné
au rôle d'une sorte de préfet impérial, il ne
joua et ne pouvait jouer qu'un rôle secondaire.
L'appréciant comme homme de guerre, Napo-
léon a dit de lui dans son Mémorial : « Il est
rare et difficile de réunir toutes les qualités
nécessaires à un général. Ce qui est le plus dé-
sirable, c'est que chez lui l'esprit soit en équi-
libre avec le caractère ou le courage. Si le
courage est de beaucoup supérieur, le général
entreprend vicieusement au delà de ses con-
ceptions *, et, au contraire, il n'ose pas les
accomplir, si son caractère ou son courage
demeure au-dessous de son esprit- Cet équi-
libre était le seul mérite du vice-roi, et suffi-
sait néanmoins pour en faire un homme très-
distingué. * Dani son administration comme,
vice-roi, Eugène montra une grande modéra-
tion de caractère et un sincère désir d'amé-
liorer le sort des populations qu'il était chargé
de gouverner. Sa correspondance avec Napo-
léon , en dehors de ses actes, en fournit la
preuve éviden+e. Doué d'un grand bon sens
naturel, il entrevit de bonne heure ce que
Napoléon, aveuglé par la fortune et par
l'excès de pouvoir, ne voyait pas. Dans une
lettre remarquable à tous égards, dont nous
allons citer un passage, il ne craignît point,
un jour, de signaler a l'empereur avec une
grande fermeté tous les périls de son ambi- |
tion : a L'empereur se trompe sur l'état de '
l'Europe. Peut-être les souverains qui doivent
à son appui un accroissement apparent de
puissance se trompent-ils eux-mêmes sur les
dispositions de leurs sujets; mais les nations
ne se trompent pas sur la domination nouvelle
qu'exerce sur eux une seule nation, ou plutôt
un seul homme. Ils ne seront jamais nos alliés
de bonne foi, ces peuples dont la défaite a
fondé notre gloire et dont nos succès ont fait
le malheur. Déjà humiliés comme vaincus,
comme tributaires, ils ont vu leurs souverains
recevoir dans leur propre capitale les ordres
d'un souverain plus grand; ils les voient au-
jourd'hui appelés dans la sienne pour orner
son char. Les humiliations qui pèsent sur des
nations entières portent tôt ou tard des mois-
sons de vengeance. Je n'en redoute rien encore,
sans doute, pour la France ; mais, si j'aime la
guerre, c'est pour qu'elle donne la paix, et je
ne vois plus de, paix durable dans le monde. »
Assurément, ce langage n'est pas celui d'un
homme médiocre et à courte vue. Bien qu'il
ne se soit pas joint aux ennemis de son père
adoptif, il est hors de doute que le prince
Eugène négocia avec eux, après la déchéance
de l empereur, pour se faire donner la couronne
d'Italie, et il adressa alors aux Italiens une
proclamation dans laquelle, après avoir fait
appel à leur affection et à leur reconnaissance,
il leur déclarait qu'il ne se séparerait jamais
d'eux. Ce désir est fort compréhensible; mais
ce qui, dans sa situation, donne lieu à un vé-
ritable étonnement, c'est la visite qu'il fit à
Louis XVIII, lorsque sa mère mourut à Paris.
Comme il s'était fait annoncer sous le nom de
marquis de Beauharnais, le roi, très-fiatté de
sa démarche, répondit à l'introducteur :
« Faites entrer le prince Eugène, - et il lui
offrit de rester en France avec le titre de
maréchal. L'ancien vice-roi eut toutes les
vertus du père de famille. Les 30 millions
d'économie qu'il avait faits en Italie, joints à
ses revenus de la principauté d'Eiscntadt, lui
permirent de mener un train princier, sans
qu'il cessât toutefois de maintenir dans sa
maison une économie sévère, qui l'a fait ac-
cuser d'avarice. On lui a reproché, non sans
raison, d'avoir oublié, lorsqu'il devint prince
allemand, que la France était sa vraie patrie,
et d'avoir presque constamment refusé de voir
et d'accueillir ses anciens compagnons d'armes.
BEAUHARNAIS (Eugénie-Hortense DE),
reine de Hollande, connue sous le nom de
la reine Hortense, née à Paris en 1783,
morte à Arenenberg, en 1827. Fille d'A-
lexandre de Beauharnais et de Joséphine
Tascher de la Pagerie, que devait épouser
Napoléon, elle fut emmenée, à l'âge de quatre
ans? à la Martinique, d'où elle revint en 1790.
La jeune Hortense avait onze ans lorsque son
père monta sur l'échafaud. Sa mère fut jetée
en prison, et elle-même gardée à vue dans
l'hôtel de Salm avec son frère Eugène. Lors-
que l'horizon se fut éclairci et que Joséphine,
sans prévoir SP future grandeur, eut, malgré
les conseils df ses amis, épousé en secondes
noces (1796) llement par le siège de Toulon et la journée
du 13 vendémiaire, Hortense fut mise en pen-
sion chez Mme Campan. Elle en sortit à dix- -
sept ans, et, deux ans plus tard, le 13 janvier
1802, le premier consul lui fit épouser son
frère Louis. Ni l'un ni ''autre des deux époux
n'avait désiré cette union ; mais elle servait
la politique de Napoléon : il fallut obéir. Cette
union fut néanmoins promptement féconde,
car Hortense de Beauharnais mit au monde,
le 10 octobre 1802, un fils, Napoléon-Charles,
et le 10 octobre 1804, un second fils, Napoléon-
Louis. En 1806, elle partit pour aller rejoin-
dre son mari placé sur le trône de Hollande,
et, l'année suivante, elle perdit son fils aîné,
enlevé par le croup. Frappée au cœur, elle
alla passer quelque temps au village d'Ar-
rens, dans la vallée d'Azan, au milieu des
Pyrénées, puis retourna à Paris, à son hôtel
de la rue Cérutti. Là, entourée d artistes et de
littérateurs, elle demandait des distractions à
la peinture et à la musique. Tantôt elle des-
sinait des fleurs et des paysages, tantôt elle
chantait des romances, dont elle se plaisait à
composer l'accompagnement. Une de ces ro
mances est devenue un chant national de nos
jours, c'est le fameux air : Partant pour la
Syriey dont M. Laborde avait versifié les pa-
roles. C'est à la reine Hortense qu'est due
l'idée ingénieuse de faire placer avant chaque
romance un dessin qui se rapporte au sujet.
Elle aimait encore à cultiver des fleurs de ses
propres mains. Le 20 avril 1808, elle mit au
monde, à Paris, un troisième fils, Charles-
Louis-Napoléon, qui devait être un jour Na-
poléon III.
Lors du divorce de Napoléon avec José-
phine, qui n'aurait peut-être pas eu lieu si la
mort du fils aîné d'Hortense-n'eût pas décon-
certé les projets de l'empereur, qui voulait
l'adopter, cette princesse plaida, mais inutile-
ment, la cause de sa mère avec l'éloquence
du cœur. Elle dut se faire violence; dévorer
ses larmes, et, comme les autres reines de sa
famille, soutenir, aux cérémonies du mariage,
le manteau de la nouvelle impératrice. S'au-
torisant de l'exemple de l'empereur, elle lui
demanda la permission de divorcer, ce qui lui
fut refusé. La simple séparation de corps lui
fut même interdite. Obligée d'aller partager
avec sou mari le poids de la couronne de
Hollande, la reine Hortense ne dissimula
pas sa préférence pour les Français et ne
I fut pas étrangère, dit-on, à l'acceptation,
436
par le roi Louis, du traité qui cédait à t'em-
Fereur une province hollandaise. Lors de
abdication de son mari, elle gouverna quel-
que temps comme régente, jusqu'à la réunion
de la Hollande à l'empire. Comme compensa-
tion, l'empereur l'autorisa alors, à se séparer
du roi Louis, à garder ses deux enfants, et lui
assura un douaire de 2 millions de revenu.
Devenue reine honoraire, elle se fixa alors à
Paris, et son salon fut bientôt le rendez-vous
de la bonne société et de toutes les illustra-
tions. Mais elle préférait à l'éclat du monde
l'amitié sincère d'une de ses amies de pen-
sion, Adèle Augulé, sœur cadette de la ma-
réchale Ney, quelle eut la douleur de voir se
noyer dans un précipice à Aix, en Savoie,
sans pouvoir lui porter secours.
La reine Hortense se mêla cependant en-
core une fois de politique. Lors de l'invasion
de la France par les alliés, elle fit de coura-
geux efforts pour empêcher le départ de l'im-
pératrice pour Blois; puis, après avoir rendu
visite à sa mère, à Evreux, eue rejoignit Ma-
rie-Louise, prisonnière à Rambouillet, et ne
la quitta que lors de son départ pour Vienne,
bien qu'elle n'eût pas à se louer de sa récep-
tion. Elle retourna alors à la Malmaison, où
ïes souverains alliés, outre une pension de
400,000 fr., lui formèrent un duché de tous
les biens environnant la terre de Saint-Leu,
duché qui devait.lui donner un revenu à peu
près égal (30 mai 1814). Deux jours aupara-
vant, Hortense avait recueilli le dernier sou-
pir de sa mère, dont elle fit déposer les restes
dans l'église de Rueil. Après être allée se re-
poser de ses fatigues et de ses douleurs aux
eaux de Plombières et de Bade, où sa cou-
sine, la grande-duchesse Stéphanie, la reine
de Bavière, Caroline, et l'impératrice de Rus-
sie Elisabeth, la traitèrent en reine, Hortense
revint a Saint-Leu. On l'accusa d'y conspirer,
à cause de la société de mécontents qu'elle
recevait, et ces mécontents l'accusèrent à
leur tour d'être portée pour la Restauration,
qui lui témoignait un grand intérêt. C'est à ce
moment que le tribunal de la Seine la con-
damna à rendre au roi Louis, son fils aîné,
Napoléon-Louis, arrêt que les Cent-Jours lui
permirent d'éluder. L'Empereur l'accusa, à son
retour, d'avoir pactisé avec ses ennemis, puis
lui rendit justice et même, à sa prière, il ac-
corda à la duchesse douairière d'Orléans une
pension de 200,000 fr. avec la permission de
rester à Paris. Après Waterloo, Hortense ac-
cueillit avec un respect pieux Napoléon ù la
Malmaison et le soigna comme une fille dé-
vouée. Elle le força même à accepter un col-
lier de 800,000fr., en échange duquel Napoléon
lui donna sur le trésor une délégation qui n'eut
aucun effet. Lorsqu'il fut parti, elle retourna
à Paris, d'où on lui intima l'ordre de sortir
dans les deux heures. Suivie de ses deux en-
farits,'elle résida successivement à Aix en Sa-
voie, où elle avait fondé un hôpital, à Con-
stance et aThurgovie. Là, elle se mit à écrire
ses mémoires, tout en surveillant avec les
soins d'une mère digne de ce nom l'éducation
de son second fils, auquel «lie enseignait
elle-même les beaux-arts. Le château d'Are-
nenberg, sur les bords du lac de Constance,
lui ayant plu, elle l'acheta (1817), et, tandis
qu'on l'embellissait, elle passa l'hiver à Augs-
bourg, où son frère Eugène vint la voir. Elle
quitta cette résidence à la mort de ce der-
nier, en 1824, et, autorisée par le pape
Léon XII à habiter l'Italie, elle passait l'hi-
ver à Rome et l'été à Arenenberg.
Lorsque éclata la révolution de 1830, elle
fit tous ses efforts pour empêcher ses fils de
se compromettre dans l'insurrection italienne;
mais l'aîné partit malgré elle, et fut emporté
par la rougeole à Forli, l'année suivante, le
17 mars 1831, sans qu'elle pût recueillir son
dernier soupir. Pour sauver le fils qui lui res-
tait, elle se rendit à Paris avec un passe-port
anglais et obtint une audience du roi Louis-
Philippe, qui ne put que lui donner un vague
espoir. Hortense retourna à Arenenberg, après
un séjour de trois mois en Angleterre, et vé-
cut tranquille jusqu'à la tentative de Louis-
Napoléon à Strasbourg, le 3 octobre-1835.
L'amour maternel l'entraîna de nouveau à
Paris, pour solliciter la grâce de son fils. Le
sort du prince était déjà décidé; elle en reçut
la nouvelle, avec l'ordre de quitter la France.
Le gouvernement la faisait prier en même
temps d'engager son fils à rester dix ans aux
Etats-Unis. La déportation du prince Louis
acheva de détruire la santé d Hortense, si
cruellement éprouvée. Elle lui écrivit le 3 avril
-de venir lui fermer les yeux. Quittant aussitôt
l'Amérique, Louis-Napoléon arriva à temps
5n Suisse pour recevoir son dernier soupir,
le 5 octobre 1837. Selon son désir, la reine
Hortense fut inhumée à Rueil, près de sa
nwe. Son fils, pendant sa détention au fort
de Ilam, fit élever à sa mémoire un monu-
ment funèbre, inauguré le 20 avril 1848.
La reine Hortense était une femme pleine
de bonté de cœur. L'adversité, en mûrissant
sa raison, la rendit plus respectable aux yeux
de tous, et l'on fut ooligé de reconnaître qu'en
la jugeant d'après les apparences, on s'était
montré trop sévère à son égard ; si d'ailleur3
elle a eu des torts, elle les a cruellement ex-
piés et noblement rachetés par son dévoue-
ment à l'empereur, qui l'avait rendue mal-
heureuse en la forçant à contracter un hymen
vers lequel elle ne se sentait pas attirée, et
par son amour maternel, toujours prêt à tout
sacrifier au bonheur de ses enfants. Aujour-
d'hui, que les passions se sont éteintes ou
.BEA
tout au moins assoupies, la reine Hortense
occupe avec l'impératrice Joséphine, sa mère,
une grande place dans le cœur reconnaissant
de tous les Français et surtout des Françaises.

BEAUHAHNA1S
(Joséphine, vicomtesse DE).
V. JOSÉPHINE (impératrice).

BEAUHARNAISIE
s. f. (bo-ar-nè-zî — de
BeauharnaiSj n. pr.). Bot. Syn. de tovomite.

BEAUJEU
( Dellijocus), ville de France
(Rhône), ch.-l. de cant., arrond. et à 22 kil.
N.-O. de Villefranche, sur l'Ardiére,pop. aggl.
3,099 hab. — pop. tôt. 3,993 hab. Papeteries,
fabriques de tonneaux, chapeaux, tanneries,
récolte de vins rouges estimés. Beaujeu, la
i plus ancienne ville du Beaujolais, dont elle
I était la capitale, possède plusieurs maisons
j curieuses, une entre autres dont le portail
} gothique, à la fois élégant et simple, est sur-
\ monté d'un écusson que soutiennent deux
j moines ailés. L'église Saint-Nicolas, construc-
tion du xiu»; siècle, offre un singulier mélange
des styles roman et ogival. Mais ce que cette
ville présente de plus intéressant, ce sont les
ruines imposantes de son ancien château fort,
qui fut la résidence des sires de Beaujeu. Ce
château existait déjà en 523, lors de la pre-
mière conquête de la Bourgogne par les
Francs. Quatre tours carrées , réunies par
d'épaisses murailles, avaient d'abord formé
son enceinte ; posées sur un monticule es-
carpé, elles étaient à l'abri de toute attaque.
Hugues de Beaujeu, ayant été aux croisades,
fut frappé des magnificences de l'architec-
ture orientale, et, de retour dans son manoir,
il fit abattre trois des antiques tours, et sur
leur emplacement s'élevèrent six tours ron-
des, construites à la mode de l'Orient, n'ayant
aucune ouverture sur la campagne, et se ter-
minant par des dômes élevés. Au commence-
ment du xive siècle, ce château fut assiégé
par le sire de Blamont, .et ce siège fut la
cause de l'illustration qui s'attacha au château
de Beaujeu. La châtelaine, Marie de Beau-
jeu, sur le point d'épouser le sire de Pontail-
lier, était dans son château lor3 de l'attaque,
qui n'avait d'autre but que celui de livrer Ma-
rie au sire de Blamont; elle allait succomber
lorsque son amant, Guy de Pontaillier, arriva
à son secours ; un moment elle reprit courage,
mais elle vit son sauveur tomber baigné dans
son sang, et Erard de Blamont sur le point de
la saisir ; éperdue, elle gravit l'escalier qui
conduit à la plate-forme, l'autre la poursuit
d'étage en étage, elle arrive à la plate-forme,
s'élance sur le parapet et se précipite dans
le vide.
Au commencement du xnc siècle, ce châ-.
teau fut occupé par Humbert IV, qui se rendit
célèbre par les étranges immunités dont il
gratifia ses sujets. Ce châtelain, peu sensible
aux charmes du sexe aimable, accorda aux
maris le droit de battre leurs femmes, jusqu'à
effusion de sang, pourvu toutefois que la mort
ne s'en suivît pas.
Le château de Beaujeu ne se recommande,
dit l'auteur des Mystères des vieux châteaux
de France> ni par les sièges qu'il a soutenus,
ni par les guerriers.qui lui ont rendu visite,
mais seulement par un fait singulier, mer-
veilleux et dramatique, dont l'une de ses châ-
telaines, la comtesse de Monteval, fut l'héroïne,
et qui eut, au moment de sa réalisation, le
plus grand retentissement en Europe : La
comtesse étant morte fut enterrée dans le
caveau de sa famille: le fossoyeur, poussé par
la misère, eut la déplorable pensée de tenter
de déterrer le cadavre, pour s'emparer des
bagues que la comtesse portait aux doigts. Ne
pouvant les arracher, il se préparait à faire
l'amputation d'un doi^t lorsqu'un cri de dou-
leur se fit entendre : la comtesse n'était qu'en -
léthargie. Elle revint complètement à la vie,
et cet événement devint la légende du châ-
teau de Beaujeu, qui devait appartenir à une
reine de France. Pierre de Bourbon, sire de
Beaujeu, épousa Anne de France, fille de
Louis XI, et, en 1483, Anne devint régente
de France. Elle visita souvent l'antique châ-
teau dont elle portait le nom. Elle se plut
avec son mari à enrichir cette propriété
d'appartements nouveaux et de jardins ma-
gnifiques; c'est dans cette résidence, dit
Si. Bouché de Cluny, qu'elle venait se délas-
ser des soins du gouvernement, et c'est là
aussi qu'elle passa les instants les plus doux,
les plus heureux de sa vie. Le château de
Beaujeu ayant, lors de la Révolution, été dé-
claré propriété nationale, fut acheté par un
spéculateur qui le fit démolir pour en vendre
les matériaux. Aujourd'hui, on n'en voit plus
que quelques ruines éparses, et des troupeaux
de bœufs et de brebis viennent brouter l'herbe
des champs à l'endroit où les grands sei-
gneurs de la cour venaient présenter leurs
hommages à la régente de France.
BEAUJEU (maison de). La ville de Beaujeu
avec ses annexes, portant titre de baronnie,
était possédée par les comtes de Lyon et de
Forez, sous le règne des successeurs de Char-
lemagne. Guillaume II, comte du Lyonnais
vers 890, fit du Beaujolais l'apanage de la
branche cadette de sa maison, branche qui
finit dans sa postérité mâle avec Guichard,
cinquième du nom , sire de Beaujeu, mort
en 1265, laissant pour héritière Isabeau de
Beaujeu, sa sœur, qui avait épousé en se-
condes noces Renaud, comte de Forez. Elle
eut de ce mariage plusieurs fils, dont l'un a
continué la ligne des comtes de Forez, et
dont un autre, Louis, a formé une nouvelle
BEA
maison de Beaujeu. Ce dernier, marié à Alié-
nor de Savoie en 1270, eut pour fils Gui-
chard VI, dont la descendance, en ligne de
primogéniturc, s'éteignit en 1374, en la per-
sonne d'Antoine, sire de Beaujeu, fils d'E-
douard de Beaujeu, maréchal de France, tué
au combat d'Ardres. Guichard VII, un des
fils de Guichard VI, forma une branche col-
latérale, dite des seigneurs de Perreux. Son
fils Edouard de Beaujeu, seigneur de Per-
reux, recueillit la succession de son cousin An-
toine, de la ligne directe. N'ayant pas d'en fants,
il fit don, en 1400, de ses possessions à Louis II
de Bourbon. La baronnie de Beaujeu resta
dans la maison de Bourbon jusqu'en 1522,
époque où, confisquée sur le connétable de
Bourbon, elle fut aonnée à Louise de Savoie,
mère de François Ier, par le roi François H.
Réunie à la couronne en 1531, elle fut rendue
à la maison de Bourbon, d'où Marie de Mont-
pensier la porta en dot à Gaston d'Orléans,
dont la fille, Mademoiselle, la légua au frère
de Louis XIV, dans la famille de qui elle est
depuis restée. La baronnie de Beaujeu ou du
Beaujolais fut érigée en comté en 1G26.
La maison de Beaujeu comptait au nombre
des premières baronnies de France, ainsi que
l'indique ce passage du Grand cûulumier :
« Au royaume de France ne souloit avoir que
trois baronnies, savoir : Bourbon, Coucy et
Beaujeu. » Plusieurs sires de Beaujeu, barons
de Beaujolais, ont joué un rôle important au
moyen âge; nous consacrons donc une notice
biographique aux plus remarquables d'entre
eux.
HUMBERT II, sire de Beaujeu, succéda à son
père Guichard III, mort en 1137, après avoir
pris l'habit des religieux de Cluny. Humbert
se livra d'abord à toutes sortes d'excès; puis,
afin d'expier ses fautes, il se rendit en Pa-
lestine et se fit templier. Alix, sa femme, pro-
testa contre le vœu que venait de faire son
mari, en appela au pape Eugène III, qui cassa
le vœu, et Humbert revint dans sa baronnie.
Le sire de Beaujeu recommença aussitôt à se
livrer à toutes sortes de déprédations, à dé-
soler les terres de ses voisins, et finit par
s'emparer d'une partie de la Bresse. Il mou-
rut au couvent de Cluny en 1174. — HUM-
BERT III, fils du précédent, mort vers 1202,
acquit par mariage la seigneurie de Mont-
pensier et fonda Villefranche, qui devint en
1532 la capitale du Beaujolais. Philippe-Au-
guste fut obligé d'intervenir en U80 pour
mettre un terme à ses agressions contre ses
voisins. — GUICHARD IV, son fils, lui succéda
vers, 1202, et mourut à Douvres en 1216. Il se
joignit en 1206 à Louis de France pour com-
battre contre les Albigeois, fut chargé en
1207, par Philippe-Auguste, d'une mission
près du pape Innocent III et de l'empereur de
Constantinople, en rapporta de grandes ri-
chesses, fonda à Villefranche le premier cou-
vent de franciscains, qu'ait eu la France, et
îhourut en Angleterre, où il avait accompa-
gné le prince Louis dans son expédition con-
tre ce pays. — HUMBERT IV, fils aîné du pré-
cédent, mort en 1250, joua un grand rôle sous
Louis VIII et saint Louis. La grande part
âu'il prit à la guerre des Albigeois lui valut
'être nommé par Louis VIII gouverneur de
tout le pays, titre qui lui fut confirmé par
saint Louis. Pendant son gouvernement, il
f>rit le château de la Bessède (1227), et fit brû-
er vif Géraud de Mota,' un des chefs albi-
geois, ravagea le comté de Foix et s'empara
du château de Montech. Elevé en 1240 à la
dignité de connétable, il alla en Orient soute-
nir l'empereur de Constantinople Baudouin II,
et accompagna saint Louis à la croisade.
Joinville parle à plusieurs reprises du conné-
. table de Beaujeu, dont il vante à la fois la
bravoure sur le champ de bataille et la sa-
gesse dans les conseils. D'après une ancienne
chronique, il mourut en Egypte. — GUI-
CHARD V, fils du précédent, mort en 1285, fut
élevé à la dignité de connétable de France
comme son père. 11 se distingua à la bataille
de la Massoure (1250) et au siège de Tunis
(1270), commanda l'armée envoyée au pape par
Philippe III, lors du concile de Lyon, en 1274,
puis il assista à la prise de Pampelune et à la
réduction de la Navarre. Nommé connétable
en 1277, il fut chargé d'un commandement
dans le Languedoc, où il termina sa vie. —
GUICHARD VI, surnommé le Grand, mort en
1331, hérita en 1290 de son père Louis, qui lui
laissa le Beaujolais et une partie de la princi-
pauté de Dombes, où il battait monnaie. Il
porta le titre de chambellan et de grand gou-
verneur sous Philippe le Bel, Louis le Hu-
tin, Philippe le Long, Charles le Bel, Phi-
lippe de Valois. Il fut mêlé à une guerre que
soutenait la maison de Valois contre les dau-
phins de Vienne, et fait prisonnier à la bataille
de Saiut-Jean-le-Vieux (1325). Mis en liberté
en 1327, il accompagna en Flandre le roi Phi-
lippe VI, et commanda une partie de l'armée
française à Cassel, où il se conduisit d'une
façon brillante. — EDOUARD, sire de Beaujeu,
né en 1316, mort en 1351, était fils du précé-
dent, et devint maréchal de France. Après
avoir bataillé contre les musulmans, il fut
chargé par Philippe de Valois d'aller recon-
naître les forces de l'armée anglaise, qui ve-
nait de passer la Somme (1346). Contraire-
ment à son avis, on donna la bataille dans la
plaine de Crécy (1346). Après la déroute de
l'armée française, il fut un des cinq gentils-
hommes qui accompagnèrent Philippe VI de
Valois à Broyé', puis à Amiens, où il rassem-
bla les débris de son armée. Nommé mare-
BEA
chai de France l'année suivante, après la
démission de son beau-frère, de Montmorency,
il marcha au secours de Gouefroy de Charuy,
gouverneur de Saint-Omer, surprit les An-
glais à Ardres (1351), les tailla en pièces, fit
prisonnier Aimeri de Pavie, et périt sur le
champ de bataille, âgé seulement de trente-
cinq ans. On voit son nom inscrit sur les ta-
bles de bronze du palais de Versailles. —AN-
TOINE, sire de Beaujeu, fils du précédent,
mort en 1374, se signala par sa bravoure a la
bataille de Cocherel (1364), accompagna en
Guienne et en Espagne le célèbre Bertrand
Duguesclin, et mourut sans postérité à Mont-
pellier, laissant la seigneurie de Beaujeu et
celle de Dombes à Edouard II de Beaujeu. —
EDOUARD II, sire de Beaujeu et petit-fils de
Guichard VI, se vit contester la succession
d'Antoine par la sœur de ce dernier, Mar-
guerite, femme de Jacques de Savoie, prince
d'Achaïe. Après de longs démêlés, il finit par
s'arranger avec Jacques de Savoie (1383);
puis il fut attaqué en justice par BéatriXj
veuve de son prédécesseur, dont il avait saisi
le douaire. Ayant jeté par une fenêtre' un
huissier qui venait lui faire une citation, au
sujet d'un rapt qu'il avait commis, U fut saisi
par des troupes envoyées contre lui, et jeté
en prison a Paris par l'ordre du parlement. Il
n'échappa à une juste peine que grâce à
Louis de Bourbon, auquel il acheta sa liberté
moyennant la cession de ses domaines (1400)
dans le cas où il mourrait sans enfants, ce qui
eut lieu quelques semaines après. C'est pen-
dant qu'Edouard était seigneur de Beaujolais
que des bourgeois et des officiers de Ville-
franche rédigèrent une espèce de code, con-
tenant les coutumes, immunités et libertés de
la ville (1376). Un des articles de ce code,
approuvé par Edouard, porte qu'il est permis
aux maris de battre leurs femmes, jusqu'à la
mort exclusivement. — PIERRE Il de Bour-
bon, connétable de France, né en 1439, mort
en 1503, reçut en apanage (1475) le Beaujo-
lais et le comté de Clermont. Ayant épousé la
fille aînée de Louis XI, Anne de France, de-
venue célèbre sous le nom d'Anne de Beaujeu,
il eut un grand pouvoir pendant la minorité
de Charles VIII, car il gouverna conjointe-
ment avec sa femme, devenue régente. A la
mort de son frère Jean, Pierre entra en pos-
session de tous les biens de la branche aînée.
des Bourbons. Il n'avait qu'une fille, Suzanne,
qu'il maria à Charles de Montpensier, devenu
plus tard si célèbre sous le nom du conné-
table de Bourbon. Louis XII consentit à ce
que les duchés de Bourbonnais et d'Auvergne,
ainsi que le comté de Clermont, passassent à
ce dernier, de telle sorte que, grâce à cette
alliance, le futur connétable devint un des
princes les plus riches de l'Europe.
BEAUJEU (ANNE DE FRANCE, duchesse âe
Bourbon, dame DE), fille de Louis XI et de
Marguerite de Savoie, sœur et gouvernante
de Charles VIII, et regardée, à ce titre,
.comme régente de France.
Le 25 août de l'an 1483, Louis XI, sentant
prochaine cette mort que tant il redoutait,
manda près de lui sa fille Anne, et son gendre
monseigneur de Beaujeu; il leur recommanda
le roi son fils, et leur donna, dit Comines,
toute la charge et gouvernement dudit roi.
Cinq jours après, le 30 août, à huit heures
du soir, Louis XI, en dépit des reliques dont
il avait dévalisé toutes les églises du monde,
des prières de l'ermite calabrais, François de
Paule, malgré les soins de Coictier, son mé-
decin, et le sang des jeunes enfants qu'il bu-
vait et humait, rapporte l'historien Goguin,
pour réchauffer son sang refroidi mourut
en sa prison-forteresse de Plessis-lez-Tours,
dans sa soixante et onzième année, et après
vingt-deux ans de règne.
D'un bout à l'autre de la France, un cri d©
joie répondit, unanime comme un écho, à la
nouvelle de la mort du roi. Le monarque, sous
sa main de fer, avait maté et contenu, durant
tout son règne, nobles, clergé, parlement,-
peuple ; lui mort et sa main devenue impuis-
sante, tous relevèrent la tête, crièrent, ré-
clamèrent.
La noblesse ftprochait au roi de s'être en-
touré de préférence de gens de basse condition,
d'un Coictier, d'un Olivier le Daim ; de l'avoir
abaissée, rapetissée, ridiculisée, anéantie, en
la volant et l'égorgeant; elle montrait les en-
fants de Nemours et les frères d'Armagnac,
Saint-Pol, Croy, René...
Le parlement ne voulait point pardonner à
l'ombre du roi terrible de s'être passé de lui;
Tristan, ses gibets et ses cages de fer lui
avaient suffi en effet.
Le clergé criait aussi contre Louis Xï, qui
s'était moqué de lui comme dn parlement, et
aussi parce qu'il avait pris l'habitude de crier
depuis la fameuse comédie par laquelle fut
abolie la Pragmatique.
Le peuple s'élevait contre l'impôt, devenu
excessif par la création de l'armée perma-
nente, et plus excessif encore par les exac-
tions des percepteurs royaux.
Ce fut tout à coup un débordement d'ambi-
tions et de passions, d'autant plus violent que
violemment il avait été contenu : une exaspé-
ration générale, unanime, acharnée contre le
fantôme, une réaction comme celle qu'on
avait vue éclater cent ans auparavant, en
1314, sous Philippe le Bel. Et un instant, on
crut que l'unité de la France allait de nouveau
être brisée ; on vit déjà gisant à terre, réduit

en poussière, l'édifice élevé par Louis XI, mi-
racle de patience, de ruse, d'habileté. Une
femme sut opposer une barrière à ce débor-
dement des passions, à cette réaction violente,
et de son bras maintenir haut et fier cet édi-
fice. Cette femme, c'était Anne de France,
dame de Beaujeu.
Anne de France était née au commence-
ment du règne de Louis XL On lui fit tour à
tour épouser le fils du duc de Calabre, puis
celui du duc de Bourgogne. «Elle était, dit
Michelet, toujours un enjeu des traités-, mais
on prévoyait sans peine que ces mariages par
écrit en resteraient là, et que, si le roi pre^
nait un gendre, il le prendrait petit, une
créature docile et prête à tout. » Il prit pour
tel un cadet de Bourbon, Pierre de Beaujeu :
on dit que c'était attacher un vivant à un
mort. Pierre de Beaujeu, homme déjà âgé,
était cependant doué d'un esprit droit, d'un
fort bon jugement et de beaucoup d'équité : il
n'était point aussi borné, aussi mort quon
voulait bien le dire; il l'était juste assez à la
convenance du roi, qu'il servit fidèlement jus-
qu'à la mort et même au delà.
C'est que Louis XI, esprit jaloux, envieux
de toute renommée, de toute gloire, et qui ne
pouvait souffrir autour de lui aucune supério-
rité, aucune égalité; despote qui voulait ré-
gner par lui-même, gouverner à lui tout seul ;
qui entendait que tout le monde agît et ne
pensât que par lui, avait reconnu dans sa fille
Anne une rivale qui deviendrait trop puis-
sante si on ne l'unissait point à quelque « créa-
ture petite, docile, prête à tout » et qu'on
pourrait facilement mener.
Ce n'est pas que Louis XI eût à l'égard de
Mme Anne fait autrement qu'à l'égard de.son
autre fille Jeanne, cette pauvre Jeanne, si
bonne et si sympathique ; et qu'à l'égard de
son fils Charles, qui devait lui succéder, et
u'il avait toujours tenu non-seulement loin
es affaires, mais loin de l'étude, si bien que
le jeune roi, en montant sur le trône, savait
à peine lire et écrire... Il avait voulu compri-
mer aussi et étouffer l'intelligence d'Anne;
mais cette intelligence était de celles qui,
tout en pliant, résistent à la compression, et
puis, un beau jour, éclatent et d'un seul coup
atteignent, dépassent même la hauteur que,
libres dans leur mouvement, elles auraient
atteinte.
Michelet a fait la remarque suivante : n II
reste fort peu d'actes d'Anne de Beaujeu, il.
semble qu'elle ait mis autant de soin à cacher
le pouvoir que d'autres en mettent à le mon-
trer. Le peu d'écriture qu'on a de sa main est
d'un caractère singulièrement décidé, vif et
fort, qui étonne parmi toutes les écritures
gauches et lourdes du xve siècle. »
Ici, le jeu d'esprit, le paradoxe du prince de
Ligne est singulièrement vrai : vive, déci-
dée et forte comme son écriture, était devenue
Mme Anne.
« Elle avait, dit Henri Martin, la ténacité
de Louis XI, sa dissimulation, sa volonté
de fer.» a C'était, dit de son côté Bran-
tôme, une maîtresse femme, pourtant un peu
brouillonne.» Et elle-même disait: « Je suis la
moins folle femme du monde, car de femme
sage, il n'y en a pas. »
Anne de France, en un mot, était seule ca-
pable de succéder à Louis XI, de tenir haut
et ferme, en sa main de femme, le sceptre de
fer qui avait nivelé tout autour de lui, tout
abaissé, brisé ; de continuer sa politique, sa
vie ; de recueillir son héritage, héritage lourd
et terrible, nous l'avons fait déjà pressentir
en esquissant en quelques traita le tableau de
la France à la mort du roi. -
Charles VIII était né le 30 juin 1470; il avait
quatorze ans à'la mort de Louis XI, et, d'a-
près l'ordonnance de Charles V, il était majeur.
Pourquoi alors une régence? Et si, d'après la
volonté du défunt, du défunt qui était encore
vivant, on en établissait une, pourquoi ne pas
la donner à la mère du roi, à Charlotte de
Savoie 7 Elle lui appartenait de droit,et, à dé-
faut de la reine mère qui, tremblante encore
devant l'ordre de son tyrannique époux, n'eût
pas accepté cette régence si elle lui avait été
offerte, pourquoi ne pas la confier au duc
d'Crléans, premier prince du sang et héritier
présomptif de la couronne; au duc de Bour-
bon, respecté à cause de son âge et des ser-
vices déjà rendus à la couronne?...
En ces circonstances difficiles, Anne se
conduisit en politique prudent, habile, con-
sommé, en digne fille de Louis XI.
Ce fut dans les états généraux qu'éclatè-
rent toutes les plaintes, toutes les rancunes,
toutes les ambitions, et que se fit jour tout à
coup la réaction que nous notions au commen-
cement de cet article. Mais combien peu sem-
blables furent ces états de 1484, aux états sé-
rieux et vraiment imposants de 1409 et de
1357! Cette fois, ni Marcel ni les cabochiens,
c'est-à-dire le peuple, n'étaient là. A peine
parla-t-on de lui. L'aristocratie seule fut en
scène en cette cérémonie, mais, comme au
temps du roi Louis XI , n'ayant l'air de
parler qu'au nom de la nation, du droit, du
bien public. « Il était difficile, dit Michelet, de
se méprendre sur le sens des plaintes que les
nobles portaient au nom du peuple. » Ils de-
mandaient justement les deux choses que le
peuple redoutait; qu'on leur rendît les places
frontières, qui, dans leurs mains, avaient tant
de fois ouvert la France aux ravages de l'en-
nemi, et que l'on respectât leur droit de chasse,
BEA
c'est-à-dire le ravage permanent des terres,
l'impossibilité de l'agriculture...; que l'on re-
vînt aux armées, aux impôts du bon roi
Charles VII; que l'on remontât de vingt ou
trente ans pour les ventes, et que'l'on pût ra-
cheter les oiens aliénés alors avec condition
de rachat. Les prix de rachat stipulés si an-
ciennement étaient minimes; les nobles eus-
sent tout repris pour rien, ruiné les acheteurs,
qui étaient tes bourgeois...
- Tout avorta. La langue d'oil et la langue
d'oc ne purent jamais s'entendre, grâce à l'ha-
bileté d Anne. »
Deux princes, venons-tfous de dire, étaient
seuls et réellement en présence, et pouvaient
influer sur les états généraux : le duc de
Bourbon et le duc d'Orléans. Anne fit ses ef-
forts pour gagner le premier ; elle lui repré-
senta que, si les états n'étaient point pourelie,
à coup sûr ils ne seraient jamais pour' lui,
mais pour le duc d'Orléans ; il devait donc se
liguer avec elle, afin que l'autorité restât du
moins dans la maison de Bourbon. De plus,
elle lui promit la charge de connétable, que le
vieillard ambitionnait depuis trente ans; elle
réussit enfin, et n'eut plus qu'un seul ennemi
à combattre... Ennemi tout-puissant, il est
vrai, quoique ayant à peine vingt-deux ans,
et quoique jusque-là on" l'eût vu plus soucieux
des plaisirs que des affaires, et aimant mieux,
dit l'histoire latine de Louis XII, sauter des
fossés de quinze pieds que de discuter des
litres royaux; mais il était l'héritier de Char-
les VIII, regardé déjà comme maître à cause
de la santé débile du roi, et encouragé à la
révolte par les courtisans, surtout par son
cousin l'habile et intrigant Dunois...
A celui-ci Anne opposa Philippe Pot, sire
de la Roche, l'un des conteurs des Cent nou-
velles Nouvelles, le précepteur de Charles VIH.
Lorsque le prince du sang se leva et parla pour
lui-même au nom du bien public, le rusé bour-
guignon « fit taire tous ces amis du peuple en
passant de cent lieues tout ce qu'ils avaient
dit. » - La royauté, dit-il, est une fonction,
non point un héritage, et ne doit point, à
l'instar des héritages, être nécessairement
confiée à la garde des tuteurs naturels, des
plus proches par le sang. » Il ne se renferma
pas dans la question du moment, mais s'élança
avec hardiesse sur un plus vaste terrain.
« L'histoire nous enseigne, s'écria-t-il, et je l'ai
appris de mes pères, qu'au commencement les
rois furent créés par la volonté du peuple
souverain : on élevait au rang suprême les
plus vaillants et les plus sages, et chaque
peuple élisait ses chefs pour son utilité. Les
princes doivent enrichir l'Etat (rempublicam),
et non s'enrichir à ses dépens. République si-
gnifie chose du peuple : qui peut contester au
peuple le droit de prendre soin de sa chose,
et comment les flatteurs osent-ils attribuer le
fiouvoir absolu au prince, qui n'existe que par
e peuple? Quiconque possède, par force ou
autrement, sans le consentement du peuple,
le gouvernement de la chose publique, n est
qu'un tyran et un usurpateur du bien d'au-
trui... Nous ne discuterons pas ici les limites
du pouvoir d'un roi en âge de gouverner;
, mais c'est bien le moins que, dans le cas con-
traire, le pouvoir retourne à sa source, c'est-
à-dire au peuple... J'appelle peuple, non la
plèbe, mais les trois états réunis, et j'estime
les princes eux-mêmes compris dans les états
f énéraux : ils ne sont que les premiers de l'or-
re de la noblesse... »
Cette harangue est certes fière et belle ;
mais nous croyons que M. Henri Martin se
trompe, lorsque, la prenant au sérieux, il dit :
« C'est la première apparition, dans nos an-
nales, de ce républicanisme classique qu'a-
vait enfanté la Renaissance, et qui devint un
élément si considérable de la politique mo-
derne. » Allons donc I le républicanisme était
sur les lèvres du discoureur, et non point
dans son cœur ; c'était un républicanisme de
commande, de déclamation, un jeu, un ar-
tifice de rhétorique, c'était de bonne guerre
au reste : à menteur, menteur et demi.
Tout avorta. Cependant le peuple, au nom
duquel on avait tant parlé, y gagna quelque
chose : les impôts arbitraires et excessifs, qui,
durant vingt-deux années, avaient pesé sur
lui, furent abolis; et les méchants conseillers
de Louis XI furent sacrifiés à sa vindicte :
Olivier ie Daim, comte de Meulan, fut pendu
au gibet de Montfaucon ; Doyat fut pilorié aux
halles, sa langue percée et ses deux oreilles
coupées, une à Paris, l'autre à Montferrand,
où il avait exercé la charge d'officier royal;
Coictier, l'avide médecin du roi défunt, perdit
ses terres et fut condamné à payer une ran-
çon de 50,000 écus.
Toutes les aliénations du domaine royal,
faites par le roi défunt aux particuliers,
même à l'Église, furent révoquées. Anne éten-
dit aussi ses actes de réparation à plusieurs
princes : le comte du Perche fut délivré de la
prison, et les enfants du duc de Nemours sor-
tirent de leur cage de fer ; le prince d'Orange
fut remis en possession da ses terres ; le duc
Jean de Bourbon fut investi de la Heutenance
générale du royaume, puis devint connétable ;
le comte de Dunois eut le gouvernement du
Dauphiné. ' -
Le duc d'Orléans lui-même eut aussi sa
part : 11 fut nommé lieutenant général de l'Ile-
de-France, de la Picardie et de la Champagne.
Bien plus, les états généraux, qui, en au-
cune façon, ne maintinrent à Anne de Beau-
jeu la garde et le gouvernement de son frère,
BEA
I statuèrent qu'au premier prince du sang ap-
I partenait la présidence du conseil privé, mais
I seulement en l'absence du roi. Cette réserve
i donnait en réalité tout pouvoir à Mme Anne.
I De bonne heure, en effet, cette * maîtresse
i femme n ainsi que l'appelle Brantôme, s'était
appliquée à dominer son frère, et, depuis
longtemps, ce petit être, faible d'intelligence'
j autant que de corps, se laissait gouverner par
j sa hautaine et intelligente sœur ; par elle il
j agissait, pensait; par elle et sur son ordre, il
,' allait au conseil dicter des lois.
J Le ressentiment du duc d'Orléans éclata
bientôt violemment; d'abord par un mot, un
mot assez vif en vérité, ensuite par une dé-
claration de guerre. Voici ce mot: le prince
jouait à la paume avec des courtisans et en
présence du roi ; un coup est discuté, et on
en appelle au jugement'de Mme Anne, qui dé-
cide aussitôt contre son beau-frère. Piqué,
irrité, le duc d'Orléans s'oublie jusqu'à dire à
mi-voix et en se tournant vers la galerie ; a II
n'y a qu'une p pour juger ainsi. »
La déclaration de guerre suivit de bien près
le mot*que nous venons de rapporter, et en
fut peut-être le résultat. A son lit de mort,
Louis XI avait fait jurer au duc d'Orléans de
ne jamais, en aucun cas, s'unir auduc de Bre-
tagne. Ce fut précisément à la cour de ce
vieil ennemi de la France que le prince se re-
tira, entraînant plusieurs princes de son parti,
et au moment ou il allait, dit-on, être arrêté
pur ordre de M"»c Anne-
Ce n'est point ici le lieu de raconter les dif-
férents actes de la lutte entre la Bretagne et
la France, de cette guerre si bien nommée
guerre folle, dont la-Trêmoîlle opéra le dé-
noûment à la bataille sans merci de Saint-
Aubin-du-Cormier, le 27 juillet 1488, et qui
aboutit à la paix signée à Sablé, le 20 août de
la même année.
Par cette paix, le duc s'obligeait àrenvoyer
tous les étrangers ennemis du roi, et à ne plus
les recevoir ; il perdait les villes de Fougères,
Saint-Aubin-du-Cormier, Dinan, Saint-Malo,
avec tout leur territoire; il se reconnaissait
enfin sujet de Charles VIII, que, par ses let-
tres, il appelait son souverain seigneur.
L'instigateur, le duc d'Orléans, fut traîné de
forteresse en forteresse, de Sablé à Lusignan,
pour être enfin enfermé dans la lourde Bour-
ges, tandis que le prince d'Orange, son allié,
était envoyé au château d'Angers, malgré les
pleurs de la bonne et sympathique Jeanne, et
les-prières de Charles VIII à sa sœur Anne
de Beaujeu.
Anne triomphait donc. Sans titre ni pouvoir
légal, malgré l'opposition qui autour d'elle de-
vient de plus en plus marquée, elle conduit et
dirige tout, elle règne, et elle règne de façon
à faire croire à cet axiome de l'ancienne mo-
narchie « le roi ne meurt jamais. » C'est
Louis XI qui vit en elle, c'est la politique du
roi défunt qu'elle continue ; c'est la même
œuvre grande et difficile, c'est l'unité de la
France qui la préoccupe avant tout.
Le duc de Bretagne survécut peu à la ba-
taille de Saint-Aubin; le 9 septembre 1.489, il
mourait épuisé par la débauche. Deux années
après, le 16 décembre, se célébrait, au châ-
teau de Langeais, en Touraine, le mariage
de Charles VIII, déjà fiancé à Marguerite
d'Autriche, fille de Maximilien, et avec Anne
de Bretagne, déjà fiancée de son côté à ce
même Maximilien.
«Ce dénoûment soudain, dit Henri Martin,
si habilement amené, réunit pour.toujours la
Bretagne à la France, au moment où l'Eu-
rope croyait déjà voir cette province aux
mains de l'ambitieuse maison d'Autriche. La
vieille Armorique, dont tous les ennemis de la
France comptaient faire leur place d'armes et
leur poste avancé, se retourna tout à coup et
devint l'avant - garde de la France contre
l'Angleterre : elle livrait à la nation française
cent lieues de côtes.de plus, et, pour défendre
ces côtes, tout un peuple de soldats et de ma-
rins héroïques. Tout le magnifique littoral
gaulois, depuis les confins de la Flandre jus-
qu'à Bayonne, était français désormais, ex-
cepté cette côte de Calais, qu'ombrageait en-
core la bannière des léopards, comme un
dernier stigmate de la conquête étrangère. »
L'œuvre de Louis XI, le but de. tous ses ef-
forts, le rêve de toute sa vie était donc réa-
lisé, et réalisé par sa fille Anne de Beaujeu.
Anne de Beaujeu, cependant, dont un histo-
rien contemporain a dit que « elle eût été
digne du trône par sa prudence et son cou-
rage, si la nature ne lui eût refusé le sexe au-
quel est dévolu l'empire, * la très-ferme et
habile sœur de Charles VIII commit cepen-
dant, disons-le aussi, deux grandes fautes
durant son administration :.par une singulière
contradiction avec sa politique, avec la poli-
tique de son père, et guidée par un fatal or-
gueil de famille, elle combla de dignités la
maison de Bourbon, prodigua les provinces, et
permit au fameux et remuant connétable, le
plus dangereux représentant de la féodalité,
d'écrire sur son épée l'audacieuse, la fanfa-
ronne devise Penetrabit... L'autre faute fut
de rendre à Ferdinand et à Maximilien le
Roussillon,la Franche-Comté et l'Artois, sans
exiger même de ce dernier prince la restitu-
tion de l'argent que lui avait prêté Louis XI.
Un moine, confesseur d'Anne et que Ferdi-
nand avait gagné, fit croire, dit-on, à sa pé-
nitente, que cette restitution était le prix au-
quel Dieu mettait le passage de Louis XI du
purgatoire en paradis.
BEA 437
Ce moine fut peut-être pour quelque chose
dans cet acte d'Anne de Beaujeu; mais, à
coup sûr, il n'employa pas le moyen que nous
venons de rapporter, et peu fait pour persua-
der une fille telle que celle de Louis XI: mais
cette restitution fut-elle vraiment une faute?
Mtchelet cherche à en décharger Anne. « Une
mesure étonnante, dit-il, pour les contempo-
rains de Confines, de Machiavel, ce fut celle
qu'on avait louée dans saint Louis et qu'on
blâmait dans Charles VIII, celle d'ouvrir son
règne par une restitution... Cela pouvait être
hasardeux ; mais, sans nul doute, on achetait
ainsi les sympathies de l'Europe. Cette faute,
si c'en était une, n'eût pas fait tort à Huniade.
Il fallait seulement la soutenir, cette belle
faute, se montrer grand et rester cligne des
voix prophétiques qui proclamaient la Franco
au delà des Alpes, et qui l'appelaient l'en-
voyée de Dieu. »
De cette expédition d'Italie, à laquelle vient
de faire allusion Michelet, date la disgrâce
d'Anne de Beaujeu ; car la disgrâce vint a son
tour. Déjà Anne avait rencontré de l'opposi-
tion dans le conseil et chez son frère, lorsque,
en 1488, elle avait, malgré la soumission du
duc de Bretagne, demandé qu'on usât de sé-
vérité envers ce prince, comme envers le duc
d'Orléans. Deux ans après, en 1491, elle vit
combien plus encore avait diminué son ascen-
dant sur le roi, lorsque celui-ci, cédant aux
larmes de Jeanne, aux conseils de Georges
d'Amboise, du comte d'Angoulême, aux con-
seils de Graville, de Miollans, de Cossé, alla
lui-même délivrer le duc d'Orléans. "Charles,
dit Saint-Gelais, qui avait le cœur tout géné-
reux et libéral, lui sauta au cou et ne savait
quelle chère (accueil) lui faire pour donner
à connaître qu'il agissait de son propre mou-
vement. Charles emmena Louis, couchant
avec lui dans le même lit, et lui donnant pu- -
bliquement les plus grandes marques d'ami-
tié : il le nomma gouverneur de la Norman-
die (mai 1491). -_
A quatorze ans, Charles VIII demandait
qu'on lui apportât un portrait de Rome. Rome,
1 Italie l tel était le rêve qu'avaient fait ôclore
en son imagination ses courtisans, entre au-
tres ses deux favoris, de Vese et Briconnet,
le premier son valet de chambre, le second
un ancien marchand. Ce pays du soleil et des
fleurs, de l'art et de la poésie, des palais de
marbre et des grands souvenirs, ce pays des
fées, ils le lui montraient sans cesse comme
lui appartenant, bien mieux, l'appelant de tous
ses vœux. Mais Anne s'était toujours opposée
à cette expédition, et avait retenu l'enfant, qui
voulait aller voir les belles choses qu'on lui
promettait. Un beau jour, le roi fit acte d'auto-
rité et il partit.
Alors, celle qu'on appelait Madame la
Grande vit que son règne était passé, bieu
passé, et elle se retira dans une de ses terres,
à Chantellis.
Le 31 décembre 1494,l'arméede Charles VIII
fit son entrée dans Rome, et non-seulement
Rome, mais l'Italie, mais l'Europe entière fu-
rent épouvantées. Cette épouvante, c'est l'é-
loge du gouvernement d Anne de Beaujeu,
de celle qu'on venait d'exiler. On croyait que,
sous sa main de femme, la France avait fai-
bli, on la croyait épuisée... Toutà coup, on la
voit se lever puissante et redoutable.
Et cependant Anne avait déchargé le peu-
ple des impôts dont Louis XI l'avait accaulé ;
et cependant plus d'exactions, plus de confis-
cations, plus de ces moyens arbitraires em-
ployés par Louis XI... « Mais, dit encore Mi-
chelet, l'état de la France avait énormément
changé, et changeait d'année en année. On
cultivait bien plus; bien plus de gens payaient
l'impôt et plus facilement. C'était moins le fait
du gouvernement que le résultat naturel de la
disparition des cruels mangeurs féodaux qu'a-
vait mangés le dernier roi. La folle et pro-
digue cour d'Anjou n'existait plus... L'orgueil
sauvage et meurtrier de la maison de Bour-
gogne n'effrayait plus le Nord. Les Nemours
et les Armagnacs n'étaient plus en mesure
d'ouvrir la Gascogne à l'Espagne. Toute pro-
vince avait désormais sa barrière. L'Ile-de-
France, en profonde paix, travaillait, labou-
rait derrière la Picardie; et celle-ci était
abritée par les Bourguignons. Le Languedoc,
garanti par les acquisitions nouvelles, rede-
venait le grand et magnifique centre du
Midi. «
Celle qui avait fait tout cela, nous venons
de la voir s'exiler à Chantellis, où elle mou-
rut en 1522.
Le 15 juillet 1830, raconte l'historien que
nous venons de citer, M,nc la duchesse d'An-
goulême, passant en Bourbonnais et visitant
l'abbaye de Souvigny, sépulture des ducs de
Bourbon, se fit ouvrir leurs caveaux et voulut
les voir dans leurs cercueils. Tout était pous-
sière, ossements desséchés. Un de ces morts
avait seul résisté; il gardait ses cheveux, de
longs cheveux châtains : c'était Anne de
Beaujeu.
BEAUJEU (Christophe DE), seigneur de
Jeaulges, poëte français du xvie siècle. Issu
de la noble famille de Beaujeu, il se conduisit
avec distinction dans les guerres d'Espagne
sous Henri III ; puis, tombé en disgrâce et
forcé de quitter la France, il habita la Suisse
et l'Italie, où il s'adonna au culte de la poésie
et des belles-lettres. Lorsque Henri IV fut
monté sur le trône, il revint dans sa patrie, où
il reçut un commandement dans les troupes
438 -
suisses, en 1589. On a de lui un recueil d'odes,
d'élégies, de sonnets, etc., sous le titre de
Amours, ensemble le Premier livre de la Suisse
(Paris, 15S9, in-40). Ce Premier livre de la
Suisse est le premier chant d'un poème qu'il
avait composé sur ce pays. Le froid accueil
qu'il reçut empêcha de Beaujeu de publier les
onze autres chants.
BEAUJEU (Joseph DE), architecte français,
construisit, en 15G0, le beau porche à triple
arcade archivoltée, qui occupe toute la largeur
de la façade occidentale de Sainte-Marie
d'Auch. Ce porche, du style le plus pur de la
Renaissance, comprend 72 colonnes et pi-
lastres d'ordre corinthien, entremêlés de
24 niches. -

BEAUJOLAIS
(Bellojocensis pagus), ancien
pays de France, compris autrefois dans la
province du Lyonnais, et dont Beaujeu et
Villefranche étaient les villes principales; il
forme, aujourd'hui l'arrond. de Villefranche
dans le dép. du Rhône, et une petite portion
de l'arrond. de Roanne, dans le dép. de la
Loire. Borné au N. par le Charolais et le Ma-
çonnais, au S. par le Lyonnais et le Forez, à
l'E. par la Saône, et à l'O. par le Forez, il
mesurait 70 kil. de longueur sur 52 de largeur.
Sous les Gaulois, le Beaujolais faisait partie
du pays des Ségusiens; sous les empereurs
romains, il appartenait en partie à la cité de
Lyon, et en partie à celle de Mâcon. Enlevé
aux Romains par les Bourguignons, et à
ceux-ci par les Francs, il passa des Mérovin-
giens aux descendants de Charlemagne. Il fut
arraché à ces derniers par Boson, et incorporé
dans l'Etat que ce prince se forma sous le
nom de royaume de Provence. Après la mort
de Boson, ce pays revint aux rois de France,
et fut donné en dot a Mathilde, sœur du roi
Lothaire, lorsqu'elle épousa Conrad, roi de
Bourgogne. En 12G5, le Beaujolais passa en
mariage à Renaud, comte du Forez, tige de
la seconde maison. En 1400, il passa a la
maison de Bourbon, dont un des descendants,
Pierre II, sire de Beaujeu, épousa Anne, fille
de Louis XI. Confisqué en 1523 sur le conné-
table de Bourbon, le Beaujolais fut donné à
Louise de Savoie, puis réuni à la couronne
par François 1er en 1541-, il fut rendu, en 1560,
a Louis de Bourbon, duc de Montpensier, et
passa par mariage à Gaston d'Orléans, dont
la fille, Mademoiselle, le légua à Philippe
d'Orléans, frère de Louis XIV.
Labaronnie de Beaujeu fut érigée en comté
sous Louis XIV, en faveur de la maison d'Or-
léans. Le dernier qui ait porté le titre de
comte de Beaujolais est le troisième frère du
roi Louis-Philippe, mort en Sicile en 1807.
BEAUJOLAIS (MAISON DE). V. ^BEAUJEU
(Maison de).
BEAUJOLAIS (Louis-Charles D'ORLÉANS,
comte DE), le plus jeune des fils de Philippe-
Egalité, né à Paris en 1779, mort en 1807.
Arrêté au Palais-Royal avec son père, il par-
tagea sa captivité au fort de Notre-Dame-de-
la Garde et au fort Saint-Jean, à Marseille, et
il resta dans cette dernière prison avec le duc
de Montpensier, son frère, jusqu'en 1796,
époque ou il leur fut permis d'aller rejoindre
leur aîné en Amérique. Il séjourna en Angle-
terre de 1800 à 1807, passa à Malte pour se
guérir d'une maladie de poitrine, et succomba
en y arrivant.

BEAUJOLAISE
s. f. (bô-jo-lè-ze — rad.
Beaujolais). Comm. Toile que l'on fabrique
aux environs de Villefranche.

BEAUJON
(Nicolas), financier français, né
à Bordeaux en 1718, mort en 1786. Son père,
issu d'une famille pauvre et obscure, parvint
à conquérir dans le commerce une situation
considérable. Après avoir donné à ses deux
fils une solide instruction, il rêva pour eux
des charges brillantes et lucratives, et, grâce
à ses intrigues et ses largesses, il leur assura
des protecteurs parmi les puissants du jour.
Nicolas, l'aîné, ne tarda pas à obtenir une
place de receveur général, tandis que le puîné
achetait la charge d'avocat général à la cour
des aides de Bordeaux.
Nicolas Beaujon déploya au plus haut degré
les diverses qualités qu'avait possédées son
père : actif, intelligent, ambitieux, il commen-
çait à exciter l'envie de ses concitoyens, lors-
qu'un excès d'habileté vint compromettre sa
fortune.
Prévoyant une disette, Beaujon acheta et
mît en réserve une immense quantité de blé;
l'hiver suivant, en effet, la famine régna à
Bordeaux, et Beauion spécula hardiment sur
les besoins des habitants. Bientôt, effrayé de
la clameur publique et surtout d'un commen-
cement de poursuites judiciaires, il quitta sa
ville natale et vint à Paris, où, grâce aux
vieilles et puissantes amitiés de son père, il
put non-seulement assoupir cette fâcheuse
affaire, mais encore, associé à de vastes opé-
rations financières, donner libre carrière à
ses remarquables aptitudes.
A cette époque, au théâtre, le public pari-
sien, né mahn, ne manquait jamais d'applaudir
ce vers du Joueur :
Gagne-t-on en deux ans un million sans crime!
Beaujon put bientôt prendre pour lui ce trait
satirique : en moins de deux ans il sut gagner
et décupler ce million.
A la suite des millions arrivèrent les titres
et les honneurs. Beaujon devint successive-
ment banquier de* la cour, conseiller d'Etat à
BEA
brevet, receveur général des finances de la
généralité de Rouen ; il fut, en outre, trésorier
et commandeur de l'ordre de Saint-Louis.
Cet homme habile sut jouir de sa fortune
extraordinaire, et, tout en sacrifiant aux tra-
vers de son siècle, éviter les scandales écla-
tants.
Sur les terrains qu'il avait achetés dans le
lieu dit la Pépinière du roi, Beaujon s'était
fait construire une coquette habitation qu'il
appelait sa Chartreuse. C'est là qu'il aimait à
réunir un essaim de jeunes et jolies filles, qui
l'adoraient, disait-il. L'opulent épicurien finis-
sait par les doter et les marier aux commis
de ses bureaux ; il fit ainsi quelques centaines
d'heureux. On prétend que le premier-né de
chacune de ces familles avait le droit de lui
donner le doux nom de père.
Les gazettes du temps contiennent plusieurs
anecdotes curieuses sur ce célèbre financier.
Un des nombreux commis qui lui devaient
leur bonheur s'étonnait de ce que sa femme
lui donnait un gros garçon six mois après le
mariage : « Rassurez-vous, dit en souriant le
riche protecteur : ces couches prématurées
ont souvent Heu pour le premier enfant; mais
elles n'arrivent jamais dans la suite. -
Appelé en duel par un officier brutal, il l'in-
vita a un dîner somptueux avec des femmes
charmantes. Après le repas, il lui dit :
« Croyez-vous, monsieur, qu'on s'expose vo-
lontiers à quitter tout cela et cinq cent mille
livres de rente? Prouvez-moi que vous avez
le même sacrifice à faire, et nous nous bat-
trons tant que vous voudrez. »
Les triomphes et l'impertinence spirituelle
du duc de Richelieu troublaient peut-être le
sommeil du financier. Se trouvant dans un
cercle composé d'une vingtaine de femmes,
il se mit tout à coup à éclater de rire; on lui
en demanda la raison : « Ma foi, mesdames,
répondit-il, c'est que je me rappelle que j'ai
eu le bonheur de vous posséder toutes. »
Beaujon ne dédaignait pas les jeux de mots.
Un jour, à titre de trésorier de l'ordre de
Saint-Louis, il recevait la visite d'un jeune
officier de marine, qui, par suite d'une nais-
sance légèrement interlope, venait d'obtenir la
croix de cet ordre. Le nouveau décoré, se pré-
tendant honteux d'un honneur si peu mérité ;
« Point de scrupules, monsieur, dit Beaujon ;
la cour considère plus les services de mer
(mère) que ceux de terre. »
Sur la fin de sa vie, Beaujon fut affligé
d'une pénible insomnie. Le célèbre Bouvard,
son médecin, s'avisa de lui faire dresser une
.barcelonnette que balançaient deux char-
mantes berceuses en léger costume de nymphe,,
à l'état de chrysalide, c'est-à-dire dans le
simple appareil Le vieillard se trouva bien
de cette invention, qui fît fureur à la cour et à
la ville.
Ses dernières années furent signalées par
de magnifiques bienfaits. En 1784, il fit con-
struire à ses frais, sur les dessins de l'archi-
tecte Girardon, l'hospice qui porte encore au-
jourd'hui son nom. Cette maison, destinée
d'abord à recevoir vingt-quatre orphelins de
la paroisse du Roule, alors séparée de Paris,
fut transformée en hôpital par décret de la
Convention. Admirablement restaurée, consi-
dérablement agrandie, elle peut aujourd'hui
servir de modèle aux constructions au même
genre. Beaujon assura l'existence de son hos-
pice par divers dons de terrains et de bâti-
ments, et surtout par une rente de 20,000 liv.
Cet opulent financier mourut sans enfants,
léguant plus de trois millions à différentes
institutions de bienfaisance. Il fut enterré
dans les caveaux de la chapelle Saint-Nicolas,
qu'il avait fait construire rue du Faubourg du
Roule pour en faire le lieu de sa'sépulture.
Sur la table de marbre de son tombeau, au
bas d'un écusson armorié, entouré de rameaux
de chêne et surmonté d'une couronne de
comte, on lit cette épita^phe : 0 Ici repose
Nicolas Beaujon, conseiller d'Etat, fondateur
de cette chapelle et del'hospice en faveur
des enfants orphelins et des écoles de cha-
rité de la paroisse Saint-Philippe-du-Roule,
décédé le 20 décembre 1786, âgé de soixante-
huit ans. *
On possède un seul portrait authentique de
Beaujon, peint, vers 1762, par Carie Vanloo.

BEAUJOUR
(Louis-Félix DE), diplomate et
publiciste français, né en Provence en 1765,
mort en 1836. Il fut successivement consul
général en Grèce et en. Suède, membre du
tribunat, commissaire des relations com-
merciales aux Etats-Unis, consul général à
Smyrne, député de Marseille, enfin pair de
France en 1835. Ses ouvrages sont nombreux
et importants. Nous citerons les principaux :
Tableau du commerce de la Grèce(l&00,2 vol.);
Aperçu des Etats-Unis (1814); Théorie des
gouvernements (1823, 2 vol.) ; Tableau des révo-
lutions de la France (1825); le Traité de Lu-
néville et le Traité d'Amiens (1801).

BEAULAC
(Guillaume), avocat et juriscon-
sulte français, né dans le Languedoc en 1745,
mort en 1804. Il a publié un liépertoire des lois
et des arrêts du gouvernement de 1789 à l'an XI
(1803), par ordre alphabétique, chronologique
et par classement de matières (Paris, an XI,
in-8°), véritable monument de la législation
républicaine, qui a rendu et rendra encore les
plus grands services aux historiens et aux
gens désireux de bien connaître l'époque dont
Beaulac s'est occupé.

BEAU-LIEU
s m. (bô-lieu). Manég. Mot
BEA
I usité seulement dans la locution Porter sa
| tête en beau-lieu, La porter bien, la porter
1 droite et fière : Ce cheval PORTE SA. TÊTE EN
I BEAU-LIEU, OU PORTE EN BEAU-LIEU.
BEAU LIEU, bourg du dép. du Loiret, arrond,
de Gien; pop. aggl. 636 hab.— pop. tôt.
2,507 hab. Il Bourg de France (Corrôze), ch.-l.
de cant., arrond. et à 39 kil. S.-E. de Brives,
sur la Dordogne ; pop. aggl. 2,028 hab. — pop.
tôt. 2,378 hab. Belle église gothique, remar-
quable surtout par son portail. 11 Bourg de
France (Indre-et-Loire), arrond. et à 30 kil.
S.-O. de Tours; 6,773 hab. Restes d'une
église fondée en 1010 par Foulques-Nerra,
comte d'Anjou, et d'une maison de plaisance
souvent habitée par Agnès Sorel. Il Village de
France (Calvados), à 2 kil. de Caen ; 2,500 hab.
Prison centrale ; ruines de l'antique abbaye
d'Ardaine. H Ville d'Angleterre, comté de
Hants, sur l'Exe, à 11 kil. N.-E. de Lymington ;
I ?500. Ruines d'une ancienne abbaye de cister-
ciens, fondée en 1204 par Jean sans Terre.

BEAULIEU
(Camus DE VERNET, DE), favori
de CharlesVII,né en Auvergne, moi'ten 1427.
Simple écuyer dans les écuries du roi, il suc-
céda au sire de Giac dans les faveurs de son
maître, abusa de son crédit avec insolence, et
fut tué par le connétable de Richemont, qui
avait déjà été la vie au seigneur de Giac.
Voici dans quels termes un historien de ce
temps raconte l'événement : « Or, une journée,
le roy estant dans le chasteau de Poitiers,
dédit de Beaulieu se voulut aller esbattre hors
du chasteau, n'ayant avec lui qu'un gentil-
homme nommé Jean de La Grange; et estant
dans un pré sur une rivière, où le Heu estoit
assez plaisant et agréable, survindrent là
soubdainement cinq ou six compagnons, qui
tirèrent tout à coup leurs espées, et frap-
pèrent sur lui tellement qu'ils le tuèrent tout
roide... Et s'en alla celui qui l'avoit amené, et
mena son mulet au chasteau, là où estoit le
roy, oui le regardoit. Et Dieu sçait s'il y eut
beau bruit... Mais il n'en fut autre chose. »
BEAULIEU (Lambert DE), musicien de la
chambre de Henri III, roi de France, vers 1580.
II a composé, en collaboration avec Salmon,
son collègue, la musique, assez correcte du
reste, du divertissement arrangé par Balta-
zarini, U l'occasion du mariage du duc- de
Joyeuse avec Mlle de Vaudemont.
BEAULIEU (Augustin), navigateur français,
né à Rouen en 15S9, mort à Toulon en 1637.
Dès l'âge de vin°;t-trois ans, il commandait un
vaisseau dans 1 expédition de Briqueville sur
les côtes d'Afrique. Il entra ensuite au service
de la compagnie des Indes, et la Relation de
ses voyages dans cette contrée asiatique a été im-
primée après sa mort (1064). Cette relation
renferme de curieux détails, et prouve des
connaissances nautiques très-étendues. Beau-
lieu prit ensuite part au siège de La Rochelle
et à la conquête des îles Sainte-Marguerite.
BEAULIEU (Sébastien DE PONTAULT, sieur
DE), ingénieur militaire français, mort en 1674.
Elève de Callot et de Leclerc, il levait, à la
suite des armées, le plan des batailles et des
sièges, et y joignait la représentation en
perspective des faits d'armes qui y avaient eu
lieu. Il est considéré comme le créateur de la
topographie militaire. Louis XIV le nomma
maréchal de camp et premier ingénieur. Son
ouvrage capital, qu'on nomme souvent le
Grand Jieaulieu, est intitulé : Glorieuses con-
quêtes de Louis le Grand, où sont représentés
les cartes^ plans, profils, etc. Ce magnifique
et curieux travail, dans lequel sont décrites
les grandes opérations militaires qui eurent
lieu sous Louis XIV, de 1643 à 1692, est en
3 vol. in-fol. Il a été réduit en deux recueils
in-40, désignés sous le nom de Petit Beaulieu,
pour les distinguer du premier.
BEAULIEU (Louis LE BLANC DE), théologien
protestant français, né en 1614 dans le bas
Limousin, à Plessis-Marly selon les uns, à
Beaulieu selon d'autres, mort en 1675. Mi-
nistre et professeur de théologie à l'académie
calviniste de Sedan, Beaulieu se signala à tel
point par son esprit de conciliation, que le
maréchal Fabert, gouverneur de Sedan (1662),
et plus tard le grand Turenne, le chargèrent
de dresser un plan de réunion entre les catho-
liques et les protestants. La haute considéra-
tion dont il jouissait chez les uns et chez les
autres semblait le rendre propre à une pa-
reille mission, s'il n'eût été impossible d at-
teindre le résultat cherché. Après trois années
de négociations et d'efforts, on dut renoncer à
ce projet. Pour amener ce rapprochement, de
Beaulieu avait réduit à un petit nombre les
questions essentielles à débattre entre les deux
Eglises, et était parvenu ainsi à diminuer les
sujets de division. En même temps, il soute-
nait à l'académie protestante de Sedan des
thèses, publiées sous le titre de Thèses seda-
nenses (16S3, in-fol.), pour prouver que les
points controversés n'étaient opposés que' de
nom, ce qu'elles ne purent persuader a per-
sonne. On a de lui des Se)*mons médiocres, et un
Traitéde l'origine de la sainte Ecriture (1660).
BEAULIEU (Charles GÏLLOTON DE), écono-
miste français du xvme siècle. U rit partie de
l'école des physrocrates, dont les principaux
membres étaientQuesnel, Dupontde Nemours,
.l'abbé Baudeau, et s'attacha d'une façon toute
spéciale à l'étude des questions financières.
On lui doit un assez grand nombre d'écrits,
aujourd'hui complètement oubliés. Les prin-
cipaux sont : De l'Aristocratie française, ou
BEA
Réfutation des prétentions de la noblesse (Paris,
17S9) ; Principes du gouvernement et projet de
réforme dans toutes les parties de l'administra-
tion (1789) - De la Nécessité de vendre (es biens
de Vli'g lise pour payer la dette publique (1789);
De la Liberté de la presse, principal moyen
d'instruction et de réforme (1780, in-8°), etc.
BEAULIEU ( Jean-Pierre, baron DE), général
autrichien, né en 1725 dans le Brabant, mort
en 1820. Il servit avec distinction dans la
guerre de Sept ans; comprima, en 1789, la
révolte des Brabançons, et fut ensuite opposé
aux Français dans les Pays-Bas (1792). A la
tête d'un petit corps autrichien, le général
Beaulieu, à qui sa bravoure et sa science stra-
tégique avaient acquis .une grande réputa-
tion, se signala par plusieurs succès, dont les
conséquences, il est vrai, étaient peu impor-
.tantes. Après avoir repoussé, près de Jem-
mapes, les Français commandés par Biron
(1792), il remporta des avantages marqués à
Tcmpleuvre et à Furnes, s'empara de Menin,
et gagna sur Jourdan la bataille d'Arlon en
1794. Appelé en 1796 au commandement en
chef de l'armée d'Italie, Beaulieu eut pour
adversaire le général Bonaparte. Il manquait
de ce prompt coup d'œil, et des qualités si
diverses qui font le grand homme de guerre ;
aussi éprouva-t-il une série non interrompue
de revers. Après avoir été vaincu à Montenotte,
où il avait eu l'imprudence de trop étendre sa
ligne de bataille, il fut battu à Millesimo, Mon-
dovi, Lodi, se vit contraint de gagner le
Tyrol, et, après avoir remis au général
Wurmser le commandement de son armée
(25 juin 1796), il alla terminer sa vie dans
son château de Lintz.
BEAULIEU (Claude-François), publiciste et
historien français, né à Riom en 1754, mort
en 1827. Il rédigea divers journaux royalistes,
tels que les Nouvelles de Versailles (1789) ; le
Posttllon de la guerre (1792), fut incarcéré
pour ses opinions ? rendu à la liberté après le
9 thermidor, mais proscrit de nouveau au
18 fructidor an V, pour une feuille anti-
républicaine intitulée le Miroir. De 1803 a
1815, il eut la rédaction du journal officiel du
département de l'Oise. On a de lui : Essais
historiques sur les causes et les effets de la
Révolution française (1801-1803, 6 vol. in-s<>),
livre plein de faits curieux sur les hommes et
les partis de cette époque, et qui, malgré sa
partialité, peut être consulté utilement; le
-Temps présent (i8\5); la lïéoolution fraiiçaise
considérée dans ses effets sur la civilisation
des peuples (1820). Beaulieu a fourni à la
Biographie universelle de Michaud un assez
grand nombre d'articles sur les personnages
de son temps.
BEAULIEU (Blanche DE). Pendant la guerre
de Vendée, Marceau, à la tête de l'armée
républicaine, poursuivait un jour les rebelles,
lorsqu'une jeune fille, échappant à des soldats
furieux, vint se jeter à ses pieds en lui de-
mandan-tde lui sauver lavie. Le jeunegénéral,
chez qui la générosité égalait le courage, prit
sous sa protection la belle Vendéenne, et,
malgré la loi qui punissait de mort tout répu-
blicain qui aurait épargné un rebelle, il la
cacha dans une famille dont il était sûr. Dé-
noncé pour ce fait, Marceau dut à la fermeté
seule du représentant Bourbotte, son ami, de
ne pas être mis en jugement et de ne pas
payer de sa tête son acte d'humanité. Quant
à Blanche de Beaulieu. l'asile où elle était
cachée ayant été découvert, elle fut jetée en
prison, et, bientôt après? condamnée à mort
par le tribunal révolutionnaire. Vainement
Marceau, qui éprouvait, paraît-il, une vive
affection pour la jeune fille à peine entrevue,
rit des efforts suprêmes pour la sauver ; toutes
ses tentatives, secondées par Bourbotte, furent
sans résultat. En apprenant la mort de Blan-
che, il tomba dans un accès de violent dés-
espoir, et, depuis lors, U ne pouvait parler de
cette nn tragique sans verser des larmes.
BEAULIEU (Jean-François BREMONT, dit),
acteur comique, mortà Paris en 1807. U entra
fort jeune au théâtre, et obtint de grands
succès dans les rôles de niais, en compagnie
de Volange et Bordîer, sur la scène joyeuse
et originale des Variétés-Amusantes. Le ré-
pertoire de Dorvigny, principalement, lui a
fourni l'occasion de se faire vivement ap-
plaudir. Il excellait dans les rôles où la charge
dépasse le comique; un masque théâtral, une
tournure qu'il savait rendre grotesque, un
débit simple et rapide contribuaient à faire
valoir son jeu, plein de franchise et de naturel.
Pendant la Révolution, il se -fit remarquer,
parut l'un des premiers à l'attaque de la
Bastille, et fut nommé capitaine de la »arde
nationale parisienne, en récompense de sa
bravoure. Les deux irères Agasse ayant été
condamnés à mort pour fabrication de faux
assignats, Beaulieu, par un sentiment géné-
reux donna sa démission, afin de faire nommer
à son poste, devenu vacant, un jeune frère
des deux coupables, et prouver, par les faits,
que le préjugé qui pesait sur la famille d'un
condamné, pouvait perdre toute son influence,
grâce aux nouveaux principes philosophiques
proclamés par la Révolution. Beaulieu par-
courut ensuite la province comme acteur, fré-
quenta les clubs, prononça à Metz des discours
énergiques, et disparut tout à coup jusqu'en
1802, ou il s'avisa de jouer le rôle de Mahomet
au théâtre de la Cité. Cette singulière tenta-
tive attira la foule pendant quelques jours,
mais ne répara pas la fortune délabrée de

Beaulieu, qui, ne parvenant plus, malgré ses
efforts, à faire vivre sa femme et ses enfants,
finit par le suicide une existence malheureuse,
espérant, d'ailleurs, que ceux qui l'avaient
abandonné viendraient en aide aux siens.
BEAULIEU {Jean-Louis DUGAT DE), archéo-
logue français, né à Nancy en 1788, mort en
18G2. Il exerça la profession d'avocat dans sa
ville natale, devint membre de la Société des
antiquaires de France, correspondant de la
Société des antiquaires de Londres, et fut
nommé chevalier de la Légion d'honneur
en 1845. On lui doit : Y Archéologie de la Lor-
raine (Paris, 1840-1843, 2 vol.), qui est son
principal ouvrage, et des études diverses :
Antiquités de Vichy, Plombières et Nider-
bronn (1851); Observations sur la ville nommée
Andesina (1853), etc. Quelques-uns de ses
travaux archéologiques ont été insérés dans
les Mémoires de la Société des antiquaires,
dans les Tablettes de l'Auvergne, etc.
BEAULIEU ( Marie - Désiré MARTIN, dit),
compositeur et musicographe français, né en
1791. Elève de Rodolphe Kreutzer pour le
violon, et de Benincori, puis de Méhul pour la
composition, il obtint, au concours de l'Institut
en 1809, le deuxième grand prix de composi-
tion, et le premier grand prix en 1810. Fixé à
Niort, M. Martin-Beaulieu organisa, en 1835,
l'Association musicale de l'Ouest, qui comprend
six départements. Grâce à cette société,-
M. Beaulieu put faire exécuter dans des villes
de second ordre, Angoulème, Niort, etc., de
grandes compositions classiques que Paris n'a
pu encore apprécier; tels sont, par exemple,
le Paulus .et l'Elie de Mendelssohn. Cette
vaste association subsiste encore de nos jours.
Comme compositeur, M. Beaulieu a produit
un grand nombre d'œuvres, des scènes lyri-
ques, notamment Sapho, Psyché et l'Amour,
Jeanne Darc, des oratorios, des hymnes, des
morceaux d'ensemble, des chœurs, des noc-
turnes, etc. On estime surtout sa messe de
Requiem, exécutée à la Sorbonne en 1840 et
à Saint-Eustache en 1851. Comme écrivain sur
l'art, on lui doit : Du Rhythme ( Paris, 1852) ;
Mémoire sur ce qui reste de la musique de
l'ancienne Grèce dans les premiers chants de
l'Eglise (Niort, 1852, in-S°); Mémoire sur le
caractère que dmt avoir la musique d'église, etc.
(Paris, 1858). L'Académie des beaux-arts
compte M. Beaulieu au nombre de ses cor-
respondants.

BEAULNOIS
ou BEAUNOIS (Belnensis pa~
gus), petit pays de France, dans l'ancienne
province de Bourgogne, arrond. de Beaune.
Le territoire du Beaulnois produit les vins de
Pomard, Volnay, etc.

BEAUMANOIR
nom d'une des plus an-
ciennes et des plus illustres familles de Bre-
tagne, qui remonte au temps des croisades.
Elle avait pour chef, à la tin du xme siècle,
Jean de Beaumanoir, qui, entre autres enfants,
laissa Robert de Beaumanoir, maréchal de
Bretagne pour Charles de Blois, fait prison-
nier avec celui-ci à la bataille de la Roche-
Derrien, en 1347; et Jean de Beaumanoir,
deuxième du nom, qui a continué la filiation.
Jean II fut père de Jean III de Beaumanoir,
le chef des Bretons au fameux combat des
Trente; la postérité de ce dernier s'éteignit
dans la personne de ses deux fils, et de Robert
de Beaumanoir, auteur de la branche des
vicomtes du Besso, devenue aînée en 1408.
Ce Robert laissa deux fils: l'aîné, Jean, con-
tinua la ligne directe, qui s'éteignit dans les
mâles en 1590, après avoir fourni plusieurs
officiers qui se sont distingués dans les guerres
des règnes de Charles VIII et de Louis XII;
le cadet, Guillaume, fut l'auteur de la branche
des marquis de Lavardin. Charles de Beau-
manoir, seigneur de Lavardin, issu du pré-
cédent Guillaume au cinquième degré, com-
manda l'avant-garde des protestants à la
bataille de Saint-Denis, en 1567, fut quelque
temps gouverneur du jeune roi de Navarre,
depuis Henri IV, et fut massacré lors de la
Saint-Barthélémy. Il fut père- de Jean de
Beaumanoir, marquis de Lavardin, fait maré-
chal de France en 1595, après s'être trouvé
aux sièges de Poitiers et de Saint-Lô, avoir
combattu en Périgord et en Gascogne, com-
mandé la cavalerie légère à la bataille de
Coutras, en 1587, servi aux sièges de Mauléon,
de Paris, de Chartres, de Rouen, etc., et rempli
la charge de gouverneur de la province du
Maine. Le marquis de Lavardin laissa plu-
sieurs fils, dont deux périrent sur le champ
de bataille. Son fils aîné, Henri de Beauma-
noir , gouverneur des comtés du Maine, du
Perche et de Laval, et qui a continué la filia-
tion , fut père de Henri II de Beaumanoir,
marquis de Lavardin, mort des blessures qu'il
reçut au siège de Gravelines, en 1644. Henri-
Charles de Beaumanoir, marquis de Lavardin,
fils unique du précédent, servit avec distinc-
tion sous Louis XIV, fut chargé d'une mission
extraordinaire à Rome, en 1687, et mourut
en 1706, laissant, de Louise-Anne de Noailles,
sa seconde femme, un seul fils, tué à la ba-
taille de Spire en 1703, et qui n'avait pas
d'enfants.
BEAUMANOIR (Jean, sire DE), le membre
le plus populaire de cette famille, naquit en
Bretagne dans le xive siècle. Compagnon
d'armes de l'illustre Duguesclin, dont il était
l'ami, il embrassa le parti de Charles de Blois
contre Jean de Montfort, lorsque ces deux
§rinces se disputaient le duché, prit la ville
e Vannes, défendue par les Anglais, que
BEA
Montfort avait appelés à son secours, et
succéda en 1347 a son père, comme maré-
chal de Bretagne. L'année suivante, une trêve
fut conclue à Calais entre les deux partis ;
toutefois, les Anglais n'en continuaient pas
moins à dévaster les campagnes, en faisant
la guerre de partisans. Beaumanoir, qui com-
mandait alors le château de Josselin, eut une
entrevue avec le commandant anglais du
château de Ploermel, nommé Bembro, et,
après une vive altercation, lui porta un défi
qui fut accepté. Les deux chefs décidèrent
qu'ils videraient leur querelle en se rencon-
trant près de Ploermel le 27 mars 1351, chacun
à la tête de vingt-neuf chevaliers. C'est ainsi
qu'eut Heu le fameux combat des Trente, resté
célèbre dans les traditions de la Bretagne.
Après une lutte sanglante et acharnée, où fut
tué Bembro, les Bretons restèrent vainqueurs.
Beaumanoir et un de ses compagnons, Tinte-
niac, avaient fait des prodiges de valeur.
Dévoré d'une soif ardente, le premier ayant
demandé à boire, un de ses chevaliers s'écria :
« Bois ton sang, Beaumanoir, ta soif passera. »
En 1354, il fut envoyé en Angleterre pour y
négocier la mise en liberté de Charles de
Blois. Dix ans plus tard, il fut fait prisonnier
à la bataille d'Auray, où périt Charles de Blois,
et qui mit fin à la guerre de Bretagne. Mis en
liberté peu de temps après, il fut chargé par
la duchesse Jeanne de défendre ses intérêts
lors de la conclusion de la paix de Guérande
(1365), et mourut dans un âge avancé, lais-
sant après lui un haut renom de loyauté et de
courage.
BEAUMANOIR (Philippe DE), célèbre juris-
consulte français, né en Picardie vers 1226,
mort vers 1295, appartenait, croit-on, à la
famille des précédents. Conseiller et bailli de
Robert, comte de Clermont, il présida les
plaids de Clermont, puis ceux de Vermandois,
remplit les fonctions de sénéchal à Senlis et
en Saintonge, en 1288, et celles de bailli de
Senlis en 1293 et 1295. Ce jurisconsulte doit
sa célébrité à son ouvrage sur les Coutumes
du Beavvoisis, qu'il recueillit en 1283, qui fut
publié pour la première fois avec les Assises
de Jérusalem, par La Thaumassière (1690,
in-fol.), et dont M. Beugnot a publié une
seconde édition {1842, 2 vol. in-S°). Cet ou-
vrage est un des monuments les plus précieux
de notre ancien droit. « C'est, dit Loiscl, le
premier et le plus hardi œuvre qui ait été
composé sur les coustumes de France, car
c'est luy qui en a rompu la glace et ouvert le
chemin à Jean Le Bouteiller et tous ceux qui
sont survenus depuis. Car messire Pierre des
Fontaines, conseiller et maistre des requestes
de saint Louis, autheur du livre de la roine
Blanche, n'avait point passé si avant; il ap-
pert par son .livre qu'il étoit grand légiste,
canomste et coustumier. » Ce livre, que Mon-
tesquieu appelle un admirable ouvrage, est un
répertoire des plus utiles a consulter sur la
société du xinc siècle, car il en est l'expres-
sion exacte. Non-seulement Beaumanoir y a
réuni en corps toutes les lois qui régissaient
alors les hommes et les choses, et jusqu'aux
règlements de police relatifs aux foires, aux
poids et mesures, aux hôtelleries, aux mar-
chands, aux usuriers, etc. ; mais, par des obser-
vations judicieuses et profondes, il y présente
d'une façon saisissante le régime féodal avec
ses guerres, ses communes, les deux puis-
sances, laïque et ecclésiastique, également
armées. Après la lecture de cet ouvrage, où
les historiens ont tant puisé, on ne saurait
s'empêcher de considérer, avec Montesquieu,
Philippe de Beaumanoir « comme une des lu-
mières de son temps, et une grande lumière. »
Il fut un des plus purs représentants de cette
école de légistes, qui battirent en brèche la
féodalité du moyen âge et préparèrent la so-
ciété moderne.
BEAUMANOIR (Jean DE), maréchal de
France. V. LAVARDIN.
BEAUMANOIR (le marquis DE), littérateur
français, de la même famille que les précé-
dents, né en Bretagne vers 1720, mort vers
1795. Après avoir servi en Flandre et en Alle-
magne, il fut mis à la retraite, et s'occupa de
littérature. Ses Œuvres diverses ont été pu-
bliées à Lausanne (Paris, 1770, 2 vol. in-8°).
Elles se composent de pièces de théâtre :
Osman III et Laodice, reine de Carthage;
les Ressources de l'esprit; les Mariages, etc.
On a aussi de lui une traduction en vers de
l'Iliade (Paris, 1781), qui n'eut aucun succès,
ce qui l'empêcha de mettre la dernière main
à une traduction de l'Odyssée,
Beaumanoir» ( LE DERNIER DES ), roman par
Kératry (Paris, 1824). Ce roman est de beau-
coup supérieur à tous ceux du même auteur.
Un jeune homme qui va s'engager dans les
ordres religieux est surpris par la nuit et
l'orage; il frappe h, la porte d'un château : on
lui accorde 1 hospitalité. Le prix de cette
hospitalité funeste est de veiller auprès d'une
jeune fille qui vient de mourir. Ni la voix delà
natureet de la morale, également outragées,
ni ce caractère d'une religieuse horreur que
la mort imprime à ceux qu'elle frappe, ne
peuvent arrêter le plus horrible des sacri-
lèges. Le prêtre, épouvanté de lui-même,
s'éloigne. Cependant la jeune fille n'était que
plongée dans une léthargie profonde : elle
revient bientôt à la vie. Le crime dont elle
n'est point complice retombe sur elle. L'infor-
tunée, en devenant mère, apprend qu'elle a
cessé d'être vierge. Le nombre des person-
BEA
nages est fort borné dans ce roman ; cinq seu-
lement y jouent un rôle actif : M^e de Beau-
manoir; Clémence, sa fille; Mme Allote, le
curé du village, M. Lévy, et le médecin,
M. Bonnet. M^e de Beaumanoir, restée veuve
à vingt ans, n'a point voulu se remarier; sa
tendresse est partagée entre Clémence, sa
fille, et Mm«J Ailote, l'amie de son enfance.
Quand Mlle de Beaumanoir, tombée en lé-
thargie, semble ravie à la terre, la tristesse
est égale chez les deux amies qui lui survi-
vent , et, quand elle revoit la lumière, leur
joie est pareille. La mort n'a paru un instant
les désunir que pour leur faire mieux goûter
combien l'une était nécessaire au bonheur des
deux autres. Mais bientôt Mlle de Beauma-
noir met au monde l'enfant qu'elle a conçu
dans les bras de la mort, et, dès ce moment,
tout bonheur a fui de la maison qu'habitent
les trois femmes. Mme de Beaumanoir ne
peut résister à ce coup affreux; elle expire
au bout de quelques jours; Mme Allote, la
compagne de ses jeunes années, ne tarde
pas à la rejoindre dans la tombe, et Clé-
mence ne leur survit un peu de temps que
pour revoir l'auteur de tous ses maux, lui
pardonner, et lui léguer son fils, dont il est le
seul appui sur la terre. Tel est cet ouvrage,
qu'on peut considérer comme le meilleur de
ceux qu'a composés l'auteur. 11 est original
dans sa conception, plein de situations fortes,
semé d'observations fines et heureusement
exprimées. A propos du Dernier des Beauma-
noirs, il nous revient une anecdote dont nous
ne voulons pas priver les lecteurs du Grand
Dictionnaire. Kératry, ancien directeur des
Beaux-Arts, s'était fait construire, auprès de
Marly, une propriété dont l'architecture était
d'un style douteux et d'un goût assez équivo-
que. De mauvais plaisants Pavaient mécham-
ment appelée : le dernier des beaux manoirs.
BEAUMARCHAIS. (Pierre-Augustin CARON
DE), auteur dramatique et littérateur, né à
Paris le 24 janvier 1732, fils d'un horloger de
la rue Saint-Denis, qui avait une instruction
assez étendue et un goût très-vif pour la lit-
térature et les arts. Le jeune Caron fit quel-
ques études classiques, apprit l'horlogerie,
sous la direction de son père, en même temps
qu'il cultivait la musique avec passion, et,
malgré quelques fredaines de jeunesse, s'ap-
pliqua si sérieusement à son art qu'il inventa,
à vingt ans, un nouvel échappement pour les
montres. Un horloger célèbre, Lepaute, à qui
il avait parlé de i,on invention , essaya de se
l'approprier, espérant avoir bon marché d'un
adolescent obscur. Mais celui-ci, loin d'être
intimidé, se défendit avec vigueur et gagna
définitivement son procès devant l'Académie
des sciences, en 1754. Ce fut sa première lutte
et son premier succès. Ce petit événement lui
donna une certaine notoriété, dont il tira ha-
bilement parti, et, peu de temps après, il ob-
tint le titre d'horloger du roi. L'achat d'une
petite charge de cour lui donna entrée à Ver-
sailles. Il renonça dès lors à sa profession, se
maria, et, en 1757, ajouta pour la première lois
à son nom celui de Beaumarchais, qu'il devait
rendre si fameux, et qu'il emprunta à un petit
domaine de sa femme, qui le laissa veut au
bout d'un an. Toutefois, il ne fut légalement
gentilhomme que cinq ans après, lorsqu'il eut
acheté la charge de secrétaire du roi, qui con-
férait la noblesse. Le spirituel ambitieux se
moquait gaiement de ces puérilités ; mais il
voulait parvenir. Plus tard, il répondra par
des. persiflages au conseiller Goëzman, qui
lui reprochait sa roture : « Savez-vous bien
que je prouve déjà près de vingt ans de no-
blesse (c'est douze qu'il voulait dire) ; que
cette noblesse est bien à moi, en bon parche-
min scellé du sceau de cire jaune; qu'elle
n'est pas, comme celle de beaucoup de gens,
incertaine et sur parole, et que personne n'o-
serait me la disputer, car j'en ai la quittance/»
Ce j'en ai ta quittance, ou éclate le rire de Fi-
garo, n'en dit-il pas plus que bien des livres
sur l'avilissement du principe aristocratique,
aux approches de la Révolution?
Beaumarchais, dont l'esprit vif était fait pour
tout comprendre, et qui était assez richement
doué pour réussir partout, s'attacha à l'étude
de la harpe, instrument alors peu connu en
France, et introduisit un perfectionnement
dans les pédales, avec la même aisance d'ar-
tiste qu'il en avait mis à perfectionner le mé-
canisme des montres. Bientôt, son talent de
harpiste charma Mesdames, filles de Louis XV,
qui voulurent l'avoir pour professeur; et voilà
notre jeune horloger, à peine échappé de sa
boutique, devenu l'âme des concerts de la fa-
mille royale et des soirées intimes. La faveur
dont il jouissait, des succès d'un autre genre,
dus à sa belle mine et à son esprit étincelant,
peut-être aussi une aisance de manières qui
tournait facilement à la fatuité, car l'excès de
modestie n'était point son défaut, soulevèrent
autour de lui des jalousies et des haines mani-
festées par des impertinences aristocratiques
qui ne déconcertèrent jamais sa présence d'es-
çrit, et auxquelles il savait répondre par de
fines moqueries. Entre autres histoires, on cou1
naît la scène de la montre : un courtisan aborda
un jour le protégé de Mesdames au moment où
il sortait, en habit de gala, de l'appartement
des princesses, et, lui présentant une montre
précieuse : « Monsieur, dit-il, vous qui vous
connaissez en horlogerie, voyez donc ce qu'a
ma montre ; elle est dérangée. » Sous le feu des
sourires insolents, Beaumarchais répond, avec
une parfaite tranquillité, qu'il est devenu fort
BEA 439
maladroit depuis qu'il a cessé de s'occuper
d'horlogerie. Mais le courtisan insiste et l'ac-
cable de supplications ironiques. Alors, Beau-
marchais prend la montre, l'ouvre , l'élève
en l'air et, feignant de l'examiner, la laisse
tomber sur le parquet, où elle se brise. < Je
vous l'avais bien dit, que j'étais devenu fort
maladroit. » Et, saluant le jeune fat avec un
beau sang-froid, il le quitte en lui laissant
ramasser piteusement les morceaux de sa
montre. Les choses ne s'en tinrent pas tou-
jours dans ces limites. Gravement insulté, un
jour, par un homme de cour, il eut le malheur
de le tuer en duel; heureusement pour lui,
l'affaire fut étouffée.
Sa position, si enviée, était cependant plus
brillante que fructueuse ; et, en attendant
l'occasion d'utiliser son crédit au profit de sa
fortune, il mettait gratuitement son temps,
son esprit et ses talents au service des prin-
cesses ; il se trouva même parfois dans des
embarras d'argent qui avaient leur côté co-
mique, et ces embarras ne laissaient pas d'être
assez désagréables pour un gentilhomme de
date récente, qui, malgré ses goûts littéraires,
trouvait à cette époque, à ce qu'il semble du
moins, plus urgent de conquérir un carrosse
qu'un fauteuil à l'Académie. Au reste, ses
premiers essais, dont nous possédons des spé-
cimens (il avait rimé dès l'âge de treize ans),
n'ont rien qui dépasse le niveau du médiocre.
Beaumarchais pensait donc à assurer d'abord
son indépendance d'homme de lettres par la
fortune, comme son maître Voltaire, qui avait
écrit : - J'ai vu tant de gens de lettres pau-
vres et méprisés, que j^n avais conclu, dès
longtemps, que je ne devais pas en augmenter
le nombre. Il faut être, en France, enclume ou
marteau. J'étais né enclume... » Chose singu-
lière, le même homme qui avait aidé Voltaire
à devenir marteau, le financier Paris Du Ver-
ney, commença également la fortune de Beau-
marchais. Le financier, chose un peu trop
oubliée, avait fondé l'École militaire ; mais
l'institution languissait faute d'appui. Il dési-
rait vivement une visite officielle du roi, pour
donner une sorte de consécration à cet éta-
blissement. Mais, combattu par de puissantes
coteries, il avait vainement employé les plus
hautes influences, lorsqu'il eut l'idée de re-
courir à ce jeune harpiste et d'utiliser la fa-
veur dont il jouissait auprès des princesses.
Beaumarchais, qui était né homme d'affaires,
jugea d'un coup d'œil tout ce que le succès
d'une semblable mission promettait à son ave-
nir. Il entraîna le consentement de Mesdames,
qui visitèrent l'Ecole et, peu de jours après,
y conduisirent leur père. Paris manifesta sa
reconnaissance en donnant à Beaumarchais
un intérêt dans quelques-unes de ses grandes
opérations, et en l'initiant aux affaires de
finances. C'est à dater de ce moment qu'il prit
ce goût si vif des spéculations, qui n'a pas peu
contribué à tourmenter sa vie, et qui donne à
sa physionomie littéraire un caractère de pi-
quante originalité. En même temps qu'il s'en-
richissait dans les entreprises, il songeait à
s'ouvrir une voie dans la carrière des hauts
emplois administratifs. Mais la ligue de ses
ennemis l'empêcha.d'acquérir une charge de
grand maître des eaux et forêts. Il n'était pas
homme à se décourager d'un premier échec,
et, quelques mois plus tard, il put acheter et
exercer la charge de lieutenant général des
chasses dans la capitainerie de PariSj charge
noble et qui conférait des fonctions judiciai-
res. On a peine à s'imaginer Beaumarchais,
travesti en Brid'Oison semi-féodal, membre
d'un tribunal conservateur des plaisirs du
roi, et venant chaque semaine au Louvre
s'asseoir sur les fleurs de lis pour juger,
comme il le dit, non les pâles humains, mais
les pâles lapins. Il remplit cependant, sans
trop sourire, ces fonctions pendant vingt ans,
et il n'est pas douteux qu'il ne fût alors très-
fier de s'asseoir à côté d'un La Vallière ou
d'un Rochechouart : il était philosophe, sans
doute; mais il était ambitieux et il était de
son temps.
C'est en 1764 qu'eut lieu sa fameuse aven-
ture avec Clavijo, littérateur espagnol qui
était fiancé avec une des sœurs de Beaumar-
chais, et qui refusa, au dernier moment, de
l'épouser. Blessé d'un procédé qui peut porter
une grave atteinte à la considération de sa
sœur, Beaumarchais part pour Madrid, où,
par un mélange d'énergie, de sang-froid et
d'habileté, il impose à Clavijo une déclaration
par laquelle ce personnage se reconnaissait
coupable d'avoir manqué,sans prétexte et sans
excuse, à une promesse d'honneur. 11 impose
tellement à l'Espagnol, que celui-ci sollicite
une réconciliation avec sa fiancée. Mais, au
moment où tout paraissait renoué, Beaumar-
chais apprend que Clavijo travaillait sourde-
ment pour le faire jeter en prison. Malgré les
ennemis^puissants dont il était entouré, seul
en pays étranger, il accepte résolument la
lutte, remue tout Madrid, pénètre jusqu'aux
ministres et même jusqu'au roi, et parvient
enfin à faire chasser son déloyal ennemi de
la cour et de son emploi. On sait que Gœthe
a composé un drame sur cette affaire, très-
honoraole pour Beaumarchais, et qui eut un
grand retentissement. Sa sœur vengée, il
passe de plain-pîed du roman aux affaires, et
utilise sa présence e'n Espagne en se jetant,
sans transition et avec sa prestesse habituelle,
dans ce tourbillon d'entreprises industrielles,
de plaisirs, de fêtes, de musique et de chan-
sons, qui est son élément; charmant les Espa-
gnols par son intarissable gaieté et séduisant
440
les ministres par ses plans, qui, d'ailleurs, ne
se réalisèrent point.
De retour à Paris, après un an de séjour en
Espagne, il ébauche un nouveau mariage, qui
ne réussit pas mieux que ses spéculations
espagnoles, et, enfin, débute au théâtre, en
1767, par son drame d'Eugénie, conçu d'après
les théories de Diderot, et qui, sans être un
chef-d'œuvre ni même une très-bonne pièce,
n'est cependant pas absolument médiocre,
comme on l'a répété. Fréron lui-même, si sé-
vère pour les écrivains philosophes, recon-
naissait que les trois premiers actes sont dia-
logues avec précision et vérité. C'est par
erreur qu'on imprime encore aujourd'hui que
cette pièce tomba complètement. Assez fai-
hlement accueillie d'abord, mais habilement
retouchée par l'auteur, elle se releva avec
éclat, ce sont les termes mêmes de Fréron, et
occupa longtemps le public. Elle fut même,
par les soins de Garrick, traduite en anglais
et représentée sur les théâtres de Londres.
En 1770, Beaumarchais donna son drame des
Deux Amis, qui n'eut aucun succès, et qui est
bien réellement au-dessous du médiocre. A
cette époque, le futur auteur du Barbier de
Séville était marchand de bois. Il avait acheté
de l'Etat une grande partie de la forêt de Chi-
non, et il occupait des centaines d'ouvriers
dans ses vastes exploitations. Bientôt, un pro-
cès fameux vint donner un aliment nouveau
à son étonnante activité, et mettre en lumière
toute la verve comique dont la nature l'avait
doué. Paris Du Verney étant mort, des héri-
tiers avides et déloyaux attaquèrent son rè-
glement de compte avec Beaumarchais et
accusèrent même, plus ou moins directement,
celui-ci de dol et de fraude. Malgré leur cré-
dit, ils perdirent en première instance, mais
gagnèrent en appel; enfin, quelques années
fdus tard, un arrêt définitif mit à néant toutes
eurs prétentions, et les flétrit même comme
calomniateurs. Mais Beaumarchais n'en de-
meura pas moins, pendant tout ce temps, sous
le coup de doutes aussi injustes qu'injurieux.
Dans 1 intervalle, il avait bien d'autres affaires
encore, et il fut même emprisonné quelque
temps au Fort-1'Evêque, par suite de violents
démêlés avec une manière de sauvage, le duc
de Chaulnes, qui tenta de l'assassiner pour une
rivalité à propos d'une actrice. Calomnié de
toutes parts, écrasé par de puissants ennemis,
persécuté, a demi ruiné, il luttait vaillam-
ment, menait de front mille affaires, ses pro-
cès, ses entreprises industriellesî et se délas-
sait du tout en composant le Barbier de Séville.
Après la perte de son procès en appel, alors
qu'on le croyait perdu, anéanti, il se releva
tout à coup en donnant à une mince affaire
les proportions d'un événement historique, en
passionnant la France entière et en contri-
buant à la chute d'un parlement avec un pro-
cès de quinze louis. Suivant la coutume con-
sacrée alors, il avait précédemment visité ses
juges et fait un présent à la femme du rap-
porteur de son affaire, le conseiller Goëzman.
Soit que l'autre partie eût employé un plus
grand nombre d'arguments irrésistibles, chose
vraisemblable, soit pour tout autre motif, le
rapporteur conclut contre Beaumarchais, dont
le droit était évident, et qui fut, comme nous
l'avons dit, condamné. D'après les conven-
tions, M"ie Goêzman se résigna à restituer le
présent qu'elle avait reçu , moins toutefois
quinze louis, que Beaumarchais imagina de
réclamer avec insistance , sans doute pour
amener un éclat qui, en mettant en lumière la
vénalité du magistrat, faciliterait ainsi la cas-
sation du jugement rendu sur son rapport.
Cette lutte offrait de grands dangers, mais il s'y
jeta résolument. Goezman, espérant l'écraser,
comptant avec raison sur l'appui de ses collè-
gues du parlement Maupeou, sur les procédu-
res secrètes, sur la faiblesse d'un adversaire
-récemment frappé d'un arrêt et dont les biens
étaient en ce moment saisis par les héritiers
Du Verney, osa le poursuivre en calomnie.
D'après la législation du temps, la peine pou-
vait, suivant le caprice des juges, aller tout
simplement jusqu'aux galères. Beaumarchais
ne s'effraya point, et, quoique menacé d'une
lettre de cachet, il entama hardiment le com-
bat. Pendant qu'on se prépare à l'exécuter
dans l'ombre, il porte la cause devant un tri-
bunal dont on avait jusqu'alors méprisé les
arrêts; il en appelle à l'opinion publique, et
publie ces fameux Mémoires judiciaires, chefs-
d'œuvre de verve, de bon sens et d'esprit, où
la satire la plus acérée s'unit à l'éloquence la
plus originale et à la dialectique la plus péné-
trante ; il transperce ses violents ennemis, il
les confond, il les dessine d'un trait qu'on n'ou-
blie plus, il réfute leurs imputations avec une
sérénité dédaigneuse, et culbute successive-
ment les époux Goezman et leurs auxiliaires
soldés, l'agioteur Bertrand, le romancier d'Ar-
naud-Baculard, si plaisant dans le genre fu-
nèbre, et le gazetier Marin, aussi plat qu'il
était venimeux, véritable sycophante qu'il
immola sans merci, aux applaudissements du
public.
En comptant sur l'appui qu'il pourrait trou-
ver dans 1 opinion publique, l'intrépide et ha-
bile plaideur ne s'était pas trompé} la haine
contre le parlement Maupeou aida, il est vrai,
à son succès"; mais, quoi qu'il en soit, pendant
les sept mois que dura l'affaire, toute la France
eut les yeux fixés sur lui. Dès son second fac-
tum, sa cause était moralement gagnée. Le
vieux Voltaire était ravi, quoiqu'il eût eu d'a-
bord des préventions. « Quel homme ! écri-
vait-il à d'Alembert; il réunit tout, la plai-
BEA
santerie, le sérieux, la raison, la gaieté, la
force, le touchant, tous les genres d'éloquence ;
! et il n'en recherche aucun, et il confond tous
! ses adversaires, et il donne des leçons à ses
! juges. » Horace Walpole en Angleterre,
1 Gœthe en Allemagne, n'étaient pas moins
: subjugués, et à la cour même de Louis XV,
: malgré Maupeou, on s'amusait des Goëzman
I dans des comédies improvisées.
| Paralysé dans ses projets de vengeance, le
I parlement rendit un arrêt singulier, et con-
! damna toutes les parties au blâme (1774). Il
parait que Beaumarchais était décidé à se
tuer s'il eût été condamné au pilori, comme
cela avait été mis en question. Tout Paris pro-
testa en se faisant inscrire chez lui, et le
prince de Conti et le duc de Chartres lui don-
nèrent une fête brillante le lendemain du jour
où la cour suprême avait cru le flétrir. Peu de
temps après, Louis XV le chargea d'une mis-
sion secrète en Angleterre. Quanta Goêzman,
il dut quitter sa charge, et alla cacher sa honte
dans l'obscurité.
C'est une histoire assez singulière pour nous
que celle des missions secrètes de Beaumar-
chais. Ces petites manœuvres de diplomatie
occulte nous paraissent à bon droit plus ou
moins honoraires ; mais , dans l'ancien ré-
gime, on n'avait point de ces scrupules, et,
d'ailleurs, dans les idées du temps, toute com-
mission du roi, quelle qu'elle fût, honorait
celui qui en était chargé. Il s'agissait, pour le
moment, d'acheter le silence d'un pamphlé-
taire qui spéculait sur le scandale et qui met-
tait à prix un libelle contre M"ie Du Barry.
Sans doute que la mission de sauvegarder
l'honneur d'une telle femme n'était pas d'un
ordre très-relevé : mais le libelliste (Théve-
neau de Morande) était lui-même un homme
fort méprisable, diffamateur vénal, qui ne choi-
sissait point ses victimes et qui rançonnait tout
aussi bien les honnêtes gens que les autres. Beau-
marchais réussit. Il paraît même qu'il aurait
à peu près décidé Morande à abandonner son
vilain métier. Sous Louis XVI, il fut encore
employé à des opérations de même nature, et
on le voit, pour arriver à la destruction d'un
Pamphlet contre Marie - Antoinette , courir
Angleterre, la Hollande et l'Allemagne, à
travers mille aventures, et négocier ensuite à
Londres avec la prétendue chevalière d'Eon
pour obtenir de cet agent secret la restitution
de sa correspondance avec Louis XV. Ce qu'il
y eut de piquant dans cette dernière affaire,
c'est que Beaumarchais fut complètement
dupe de la comédie de l'ancien capitaine de
dragons, et qu'il le prit réellement pour une
femme. Tout en dépensant son énergie et son
activité dans d'aussi misérables affaires, qui
ressemblent bien un peu à des besognes de
police, il s'occupait avec passion d'une entre-
prise plus diçne de lui, et, à force de sollici-
tations, il finit par décider le roi et le minis-
tère à donner l'appui secret de la France à
l'insurrection américaine. Lui-même fut chargé
de commencer cette grande opération, dans
laquelle il déploya un talent d'organisation et
une puissance de volonté dont nous verrons
les effets. Chose étrange, l'homme qu'on fai-
sait le dépositaire et l'agent d'un secret d'Etat
qui pouvait, d'un jour à l'autre, allumer la
guerre entre la France et l'Angleterre, n'était
pas relevé du jugement rendu contre lui par
le parlement Maupeou. Mais, comme il n'ou-
bliait jamais ses propres affaires, il profita du
rétablissement de l'ancien parlement pour
poursuivre sa réhabilitation, qu'il obtint enfin
par un arrêt solennel du 6 septembre 1776. Il
était alors lancé à corps perdu dans sa grande
opération d'Amérique, et, fidèle à sa coutume
de mener de front plusieurs entreprises, dans
le temps même où il préparait ses quarante
vaisseaux, il trouvait encore le loisir de don-
ner ses soins à la représentation du Barbier
de Séville.
Avant de se produire sur la scène, cette
pièce rencontra de grands obstacles et subit
plusieurs transformations. Composée en 1772,
dans la forme d'un -opéra-comique, elle fut
refusée par les comédiens dits Italiens; refus
heureux, qui nous fit perdre une pièce lyrique
f>robablement assez médiocre, et qui nous va-
ut une des plus charmantes comédies de notre
répertoire. Beaumarchais, en effet, remania
sa pièce à plusieurs reprises, et, après une
série de contre-temps, parvint enfin à la
faire représenter en 1775. Ce devait être, dans
l'origine, une farce de carnaval ; l'auteur la
transforma en une comédie, qui fut froidement
accueillie à la première représentation, mais
qu'il retoucha de nouveau, en vingt-quatre
heures, et si heureusement, qu'elle se releva
avec éclat et s'empara de notre scène pour ne
plus la quitter. C est dans cette pièce, on le
sait, qu'il introduisit pour la première fois le
personnage de Figaro, qu'il anima d'une vie
si puissante et qu'il doua de ses propres qua-
lités, la gaieté abondante, la fertilité de res-
sources, la saillie mordante, le rire inépuisa-
ble, le pétillement continuel de la verve et de
l'esprit.
Bientôt, ce lutteur infatigable se met une
nouvelle affaire sur les bras, et entreprend
'd'affranchir les auteurs dramatiques de la
servitude où les tenait la puissante compagnie
des comédiens du Théâtre-Français, à qui des
privilèges exorbitants permettaient de laisser
mourir les auteurs de faim, en s'enrichissant
eux-mêmes de leurs succès. Beaumarchais
était dans une position de fortune qui le ren-
dait complètement indépendant de ces petites
misères ue la vie littéraire, et c'est donc uni-
BEA
quement dans l'intérêt de ses confrères qu'il
entreprit ce nouveau combat, où il porta plus
de chaleur encore que dans ses propres affai-
res et dont il sortira vainqueur, mais après des
années de travail et d'efforts, et avec l'appui
de la grande libératrice, la Révolution.
On ignore généralement quel rôle impor-
tant joua Beanmarchais dans la guerre de
l'indépendance américaine, et les mieux infor-
més croient que ce rôle se borna à vendre
sous main des munitions et des armes aux
colonies insurgées. Cela tient à ce que ses
grandes opérations durent être d'abord se-
crètes et dissimulées sous des formes qui en
masquèrent l'importance. Affaiblie et humiliée
depuis la guerre de Sept ans, la France ne
pouvait voir que d'un œil favorable la sépara-
tion des colonies anglaises de la métropole.
En outre, dans l'état des esprits, la cause des
Américains était populaire chez nous. Mais
dans l'origine, les insurgents, comme on les
appelait, ne paraissaient avoir que de bien
faibles chances, et, d'un autre coté, le gou-
vernement n'était pas en mesure de risquer
une rupture ouverte avec l'Angleterre. Beau-
marchais pressait avec ardeur Vergennes et
Louis XVI d'accorder au moins l'appui secret
de la France aux Américains. Envoyé en An-
gleterre pour étudier la situation, il continua
(le plaider cette cause avec la chaleur et la
ténacité qu'il apportait en toutes choses, et
enfin, à force d éloquence passionnée et de
sollicitations, il fit partager son enthousiasme
au ministre et au roi. Il est donc indubitable
qu'il eutJa plus grande part aux décisions im-
portantes qui furent prises à ce sujet. Il fut
également l'agent le plus actif de ce mystère
d Etat, la cheville ouvrière de l'opération. Il
fut convenu que l'affaire aurait, aux yeux des
Américains eux-mêmes, l'aspect d'une entre-
prise individuelle sous la forme commerciale;
que Beaumarchais recevrait un million, plus
une somme égale qu'on espérait obtenir de la
cour d'Espagne, et qu'avec ces premières res-
sources il fonderait une grande maison de
commerce pour approvisionner l'Amérique
d'armes, de munitions, etc., le tout à ses ris-
ques et périls. Il n'est pas douteux, d'ailleurs,
qu'il dut rendre compte des fonds qu'il reçut.
Lui-même donna à l'affaire une extension bien
plus considérable. En décembre 1776, il expé-
die aux Américains 200 canons, des mortiers,
des bombes, 25,000 fusils, 200 milliers de pou-
dre, des effets pour 25,000 hommes, plus une
quarantaine de bons officiers. D'autres envois
suivirent, et, bientôt, il fréta des navires, il
monta ses opérations sur une échelle immense;
il eut, enfin, sa marine, qui combattit à côté
de celle du roi, quand la guerre eut éclaté
entre la France et l'Angleterre, et qui fournit
des officiers à la marine militaire. Un de ses
anciens matelots, notamment, devint un de
nos meilleurs amiraux (Ganteaume). En 1782,
après la désastreuse affaire où le comte de
Grasse perdit la plus belle de nos flottes, Beau-
marchais, au milieu de la consternation géné-
rale, remue toute la France, en propageant
l'idée de remplacer par souscription tous les
vaisseaux perdus, et la fait adopter d'enthou-
siasme par les villes, les corporations, les
chambres de commerce, etc. Le désastre
éprouvé par-notre marine fut ainsi réparé
avec une rapidité merveilleuse.
A tant d'occupations il faudraitjjoindre en-
core une multitude d'entreprises dont le détail
ne peut trouver place ici, et qui, sans doute,
réparaient les pertes causées par les fourni-
tures américaines. Beaumarchais ne rentra,
en effet, jamais entièrement dans ses avances.
Il lui resta dû un reliquat considérable, qui
donna lieu à des'débats interminables, dans
lesquels la diplomatie intervint souvent; ce
n'est qu'en 1835 que ce grand procès fut ter-
miné; les héritiers, pour en finir, durent se
contenter d'une partie seulement de ce qui
était dû à l'homme qui avait tant contribué à
l'affranchissement des Etats-Unis. » .
De toutes les grandes affaires entreprises à
cette époque par Beaumarchais, l'une des plus
aventureuses est sans contredit l'édition des
Œuvres complètes de Voltaire, dont il com-
mença à s'occuper en 1779. Imprimer Voltaire
en deux éditions, l'une en 70 volumes in-8°,
l'autre en 92 volumes in-12, pouvait déjà pas-
ser alors pour une opération gigantesque. En
outre, la moitié des ouvrages de Voltaire étant
officiellement prohibée en France, on ne pou-
vait songer à les imprimer dans ce pays ; ce-
pendant, le succès de l'entreprise exigeait
qu'on pût les y introduire et les y faire circu-
ler avec quelque sécurité; et il fallait pour
cela la tolérance secrète du gouvernement. Ce
que nul libraire n'eût osé tenter, Beaumar-
chais l'entreprit résolument. Il endoctrina le
ministre Maurepas, pour obtenir qu'on fermât
les yeux sur le transport clandestin des livres ;
il fonda une Société philosophique, littéraire
et typographique, qui se composait de lui tout
seul, et dont il s'intitula modestement le cor-
respondant ; il acheta, pour 160,000 livres, au
libraire Panckoucke, des manuscrits inédits
du grand écrivain; il fit acheter en Angle-
terre, moyennant 150,000 livres, les caractè-
res de Baskerville; il acheta trois papeteries
dans les Vosges ; enfin, il s'occupa de chercher,
hors de France et sur la frontière, quelque ter-
rain neutre où il pût fonder avec sécurité un
vaste établissement typographique. Après bien
des pourparlers, le margrave de Bade lui loua
un vieux fort qu'il possédait à Kehl, et ce
fut là qu'il installa ses ouvriers. Et le voilà
papetier, imprimeur et libraire, en même
BEA
temps qu'il était armateur, agent politique,
fondateur d'une caisse d'escompte, associé des
frères Périer pour l'établissement de la pompe
à feu de Chaillot, auteur dramatique, spécu-
lateur en toutes sortes d'affaires, et, par-des-
sus tout et toujours, homme d'esprit, d'une
intarissable gaieté et d'une bienveillance à
peu près universelle, quoiqu'il eût un nombre
assez raisonnable d ennemis. On est émer-
veillé de voir un homme conduire à la fois
tant d'opérations, et sans en être écrasé. - Ce
qui le caractérisait particulièrement, dit son
ami Gudin, c'est la faculté de changer d'occu-
pation inopinément, et de porter une attention
aussi forte, aussi entière sur le nouvel objet
oui survenait que celle qu'il avait eue pour
1 objet qu'il quittait. » Beaumarchais appelait
cela fermer le tiroir d'une a/faire.
Avant de fermer le tiroir de l'édition de
Voltaire, rappelons ici que cette opération lui
coûta à peu près un million de perte. Mais il
eut, outre la conscience d'avoir rempli tous
ses engagements avec une fidélité scrupu-
leuse, la satisfaction d'avoir, le premier, donné
un Voltaire exact et complet, plus 10 volumes
de cette correspondance précieuse qui n'a
cessé de s'enrichir depuis. Trouverait-on au-
jourd'hui beaucoup de grands seigneurs et
même de princes qui voulussent payer aussi
cher un plaisir purement littéraire et philoso-
phique ? Il est vrai que Beaumarchais comp-
tait bien, sans doute, rentrer dans ses frais;
mais il n'en a pas moins marché jusqu'au bout
sans découragement. Il imprimait encore les
derniers volumes en 1790.
Au moment où il entamait cette vaste en-
treprise, il était déjà, comme nous l'avons in-
diqué, absorbé par mille affaires, dont il se
délassait par la composition du Mariage de
Figaro. Cette pièce fameuse fit événement,
comme on le sait, et elle eut cette bonne for-
tune, assez rare pour une œuvre dramatique,
de s'imposer à l'histoire de l'époque où elle
apparut, et de conserver l'importance d'un
événement public. Terminée par l'auteur et
reçue au Théâtre-Français vers la fin de 1781,
elle ne fut jouée cependant, pour la première
fois, qu'en avril 1784, et, suivant le mot con-
sacré , Beaumarchais dépensa plus d'esprit
jpour la faire représenter que pour l'écrire.
Cet audacieux manifeste de l'esprit nouveau
contre les institutions anciennes, et qui ré-
pondait si bien aux besoins des esprits à la
veille de la Révolution, subit, en effet, de
nombreuses vicissitudes avant de pouvoir se
produire en public. Circonvenu déjà par le
garde des sceaux Miromesnil, Louis XVI s'é-
tait fait'lire la pièce, seul avec la reine et
Mme Campan. Après le fameux monologue,
il s'était écrié : « C'est détestable ; cela ne
sera jamais jouél II faudrait donc détruire la
Bastille? » Une telle objection lui paraissait
sans réponse. La Bastille était le saint de.i
saints de la vieille monarchie^ et, du moment
qu'une légère comédie pouvait entraîner des
conséquences aussi monstrueuses, il n'y avait
rien à répliquer. Donc, le Mariage de Figaro
ne sera jamais représenté ; le roi l'a prononcé
irrévocablement. Eh bien 1 Beaumarchais a
précisément décidé, non moins irrévocable-
ment, qu'il le serait, fût-ce dans le chœur de
l'église Notre-Dame. C'est encore une bataille
dont il sortira vainqueur. Il faut reconnaître,
d'ailleurs, que, s'il déploya dans cette lutte
disproportionnée une habileté consommée, sa
position particulière lui permettait de faire
jouer en même temps une foule de ressorts
très-divers. Outre qu'il était l'homme le plus
répandu de ce temps, il avait pour patrons,
ou plutôt pour clients, bon nombre de grands
seigneurs qui ne dédaignaient point de lui faire
de larges et fréquents emprunts. De plus, c'é-
tait une sorte d homme d Etat au petit pied,
consulté très-souvent en secret par les minis-
tres sur de.t questions de finances et d'admi-
nistration. Tout cela aida, sans aucun doute, à
son succès ; mais il fallait sa prodigieuse fé-
condité de ressources pour mettre ces élé-
ments en œuvre. Pendant plusieurs années, il
excita la curiosité par des lectures particu-
lières de sa pièce; il gagna successivement à
son parti la plupart des personnes de la cour,
et jusqu'à des ministres; il demanda, il obtint
des censeurs, et en transforma successivement
quatre ou cinq en avocats de sa cause ; enfin,
il manœuvra de telle sorte, qu'un moment ar-
riva où tout Paris et tout Versailles, moins le
roi et quelques esprits chagrins, voulaient
voir jouer la fameuse comédie, et le voulaient
avec une ardeur de curiosité contre laquelle
les gouvernements les plus absolus sont im-
puissants. Obsédé de toutes parts, le roi finit
par accorder, en septembre 1783, la permission
déjouer le Mariage de Figaro à Genevilliers,
maison de campagne du comte de Vaudreuil.
Toute la cour assistait à la représentation. -
Sept mois plus tard, après de nouveaux chefs-
d'œuvre de stratégie, l'autorisation pour la
représentation publique fut, enfin, enlevée de
haute lutte. Cette première représentation est
demeurée fameuse dans les annales du Théâ-
tre-Français; c'est un des épisodes les - plus
caractéristiques des derniers jours de l'ancien
régime. On en trouvera les détails, ainsi que
l'analyse de la pièce et des autres œuvres de
Beaumarchais, aux articles spéciaux qui leur
sont consacrés dans ce Dictionnaire. Le suc-
cès fut immense, on le sait, et cent représen-
tations ne purent l'épuiser. Napoléon disait
de Figaro que « c'était la Révolution déjà en
ac.tion. » Tous les contemporains y voyaient
dumoins une espèce de Fronde philosophique,

dirigeant contre les institutions anciennes
toute une artillerie de saillies mordantes, d'at-
taques audacieuses; d'allusions fines et meur-
trières. On peut imaginer l'effet produit à
cette époque quand on remarque qu'aujour-
d'hui même on supprime à la représentation
de cette piècedivers passages, et notamment
la phrase du monologue relative à la liberté de
là presse.
La vogue inouïe du Mariage de Figaro fut
troublée par des polémiques très-vives. Atta-
qué d'une manière outrageante, surtout par
Suard, derrière lequel était caché le comte de
Provence, dont on connaît les manies litté-
raires, Beaumarchais répliqua avec sa verve
habituelle; le prince du sang, atteint à travers
Suard , qui lui servait complaisamment de
mannequin, se vengea d'avoir moins d'esprit
et de raison que son adversaire en obtenant
du roi un ordre d'arrestation. Louis XVI était
à une table de jeu quand il signa cet ordre
brutal, et il l'écrivit au crayon sur le dos
d'un sept de pique; puis, joignant l'insulte à
l'arbitraire, il ordonna de jeter Beaumarchais à
Saint-Lazare, où l'on enfermait alors les jeunes
bandits, les prêtres dépravés et autres.êtres
avilis. Le public fut outré d'un acte aussi ré-
voltant, et l'explosion fut telle, qu'il fallut
faire sortir le prisonnier quelques jours plus
tard. A la représentation de Figaro, qui eut
lieu le jour même, une tempête d'applaudisse-
ments répondit à cette phrase du monologue :
« Ne pouvant avilir l'esprit, on se venge en
le maltraitant. »
C'est peu de ternes après que Beaumarchais
eut sa fameuse affaire avec Mirabeau. Il avait
précédemment établi avec les frères Périer,
pour faire distribuer l'eau de la Seine aux
quartiers de Paris, cette pompe à feu de Chail-
lot qui a fonctionné jusqu'à nos jours. Les
actions de cette entreprise utile, tombées d'a-
bord au-dessous du pair, avaient éprouvé, en
1785, une hausse rapide et considérable. Quel-
ques banquiers .qui, ayant spéculé sur la
baisse, avaient le plus grand intérêt à arrêter
ce mouvement, lancèrent en avant Mirabeau,
qui avait alors la réputation — méritée ou
non— d'être un aventurier besoigneux, avide
d'argent, de scandale et d'éclat. Le futur ora-
teur entra donc en campagne en lançant un
factum foudroyant contre la compagnie des
eaux de Paris, dont il déclarait 1 entreprise
détestable et contraire aux intérêts du public.
Beaumarchais, comme principal administra-
teur, avait un intérêt non moins patriotique à
démontrer le contraire. Il faut reconnaître,
au surplus, qu'il avait incontestablement rai-
son et que, s'il plaidait pro domo sua, il dé-
fendait en même temps une opération dont
l'utilité était évidente. Il réfuta son adversaire
avec beaucoup de calme et de lucidité; mais,
vers la rin, quittant les calculs, il compara
ironiquement les attaques du factum aux Phi-
lippiques :
« Quand elles étaient bien amères, disait-il,
on les nommait des philippiques ; peut-être,
un jour, quelque mauvais plaisant coiffera-t-il
celles-ci du joli nom de mirabelles, venant du
comte de Mirabeau, qui mirabilia fecit. » Puis,
l'artiste en calembours concluait en se deman-
dant quel motif avait pu porter un homme
d'un aussi grand talent que le comte de Mi-
rabeau à mettre sa plume au service « d'inté-
rêts de parti qui n'étaient pas même les siens ; »
et il terminait ainsi : « Notre estime pour sa
personne a souvent retenu l'indignation qui
nous gagnait en écrivant. Mais si, malgré la
modération que nous nous étions imposée, il
nous est échappé quelque expression qu'il dé-
sapprouve, nous le prions de nous la pardon-
ner... .Nous avons combattu ses idées sans
cesser d'admirer son stvle. » Le lion était tou-
ché ; peut-être le désirait-il ; il bondit sous
l'aiguillon et s'élança. Enonçant les motifs
qu'il avait eus pour entrer dans la discussion,
il alla droit à son adversaire, et, comme le dit
M. Sainte-Beuve, le frappant de l'épée au vi-
sage, selon le conseil de César, il le railla sur
cette prétention au patriotisme, au désinté-
ressement et au bien public, de laquelle Beau-
marchais aimait à recouvrir ses propres affai-
res et ses spéculations d'intérêt : a Tels furent
mes motifs-, et peut-être ne sont-ils pas di-
gnes du siècle où tout se fait pour l'honneur,
pour la gloire, et'rien pour l'argent; où les
chevaliers d'industrie, les charlatans, les ba-
ladins, les proxénètes n'eurent jamais d'autre
ambition que la gloire, sans la'moindre consi-
dération de profit ; où le trafic à la ville, l'a-
giotage à la cour, l'intrigue qui vit d'exac-
tions et de prodigalités, n ont d'autre but que
l'honneur, sans aucune vue d'intérêt ; où Ion
arme pour l'Amérique trente vaisseaux char-
gés de fournitures avariées, de munitions
éventées, de vieux fusils que l'on revend pour
neufs, le tout pour la gloire de contribuer à
rendre libre un des mondes, et nullement pour
les retours de cette expédition désintéressée...;
où l'on profane les chefs-d'œuvre d'un grand
homme (allusion à l'édition de Voltaire par
Beaumarchais), en leur associant tous les/u-
venilia, tous les Senilia, toutes les rêveries
qui, dans sa longue carrière, lui sont échap-
pés; le tout pour la gloire et, nullement pour
'e profit d'être l'éditeur de cette collection
monstrueuse ; où, pour faire un peu de bruit
et, par conséquent, par amour de la gloire
et haine du profit, on change le Théâtre-
Français en tréteaux et la scène comique
eu école de mauvaises mœurs; on déchire, on
insulte, on outrage tous les ordres de l'Etat,
toutes les classes de citoyens, toutes les lois,
l E
BEA
toutes les règles, toutes les bienséances... »
Puis, le puissant athlète demande à Beau-
marchais ce qu'il pense des mirabelles. Ja-
mais calembour ne fut plus rudement payé.
La péroraison par laquelle Mirabeau terminait
sa brochure est restée célèbre dans le genre
de l'invective : - Pour vous, monsieur, qui, en
calomniant mes intentions et mes motifs, m'a-
vez forcé de vous traiter avec une dureté que
la nature n'a mise ni dans mon esprit ni dans
mon cœur ; vous, que je ne provoquai jamais,
avec qui la guerre ne pouvait être ni utile ni
honorable..., croyez-moi : profitez de l'amère
leçon que vous m'avez contraint de vous don-
ner; retirez vos éloges bien gratuits, car,
sous aucun rapport, je ne saurais vous les
rendre ; retirez le pardon que vous m'avez de-
mandé ; reprenez jusqu'à l insolente estime que
vous me témoignez... « Et il finit par ce con-
seil terrible et le plus incisif, entre hommes
avides avant tout de popularité : * Ne songez
désormais qu'à mériter d'être oublié. »
(Voilà qui est dur, monsieur le comte; mais
avec quelle supériorité écrasante l'humble
fils de l'horloger vous aurait répondu, s'il
avait connu la millième partie de ce que nous
savons aujourd'hui. Certainement Beaumar-
chais est un astre où il est facile de décou-
vrir des taches sans faire usage du télescope ;
mais les fils de 89 n'oublieront Jamais que le
Mariage de Figaro et le Barbier de Sëville
ont été l'aurore de la Révolution, tandis que
vos honteuses palinodies... Non, monsieur le
comte, l'éloquence ici n'ennoblit rien : les ver-
tus démocratiques ressemblent à la rosée du
ciel, qui ne se conserve pure que si elle tombe
dans un vase pur... Fermons ici la parenthèse
comme si nous ne l'avions pas ouverte, et
continuons.)0
Pour n'oublier aucune circonstance dans
cette querelle des deux modernes, disons que
Beaumarchais avait précédemment refusé de
prêter à Mirabeau une somme de 12,000 fr.,
dans la crainte, comme il l'a dit lui-même, de
se brouiller avec lui au jour de l'échéance.
Beaumarchais ne répliqua point, soit qu'il
fût fatigué de tant de luttes , soit qu'il fût
intimidé par un si furieux polémiste ( chose
douteuse, cependant),"soit pour toute autre
cause. " Disons tout de suite que, quatre ans
plus tard, en 1790, le tribun, qui sans doute
n'avait jamais pris lui-même ses injures au
sérieux, et qui, d'ailleurs, avait alors besoin
de Beaumarchais pour une affaire particulière,
s'adressa à lui avec force caresses de courti-
san. L'auteur dé Figaro se vengea de son
ennemi par les procédés les plus généreux et
les plus délicats.
Dans cette lutte, on ne saurait méconnaître
que Beaumarchais avait donné au public l'idée
d'un homme qui commence à faiblir. Aussi, à
peine était-elle terminée, qu'il se vit assailli par
un nouvel adversaire, l'avocat Bergasse, qui
avait alors sa réputation à faire et qui recher-
chait les polémiques retentissantes. Quelques
années auparavant, Beaumarchais avait con-
tribué à faire rendre la liberté à une dame que
son mari, le banquier Kornmann, avait fait en-
fermer par lettre de cachet, après avoir couvert
d'une tolérance intéressée sa conduite irrégu-
lière. Après une série de débats, voulant dé-
cidément s'approprier la dot de sa femme, il
la fit poursuivre en adultère, et confia la cause
à Bergasse. L'adultère était probable; mais
l'ignoble tolérance du mari n'en était pas
moins évidente. En tout état de cause, Beau-
marchais était étranger à toutes ces affaires ;
et il ne s'en était un instant mêlé, à la sollici-
tation de la princesse de Nassau, que pour
demander là fin d'un emprisonnement arbi-
traire. Mais un homme d une telle notoriété
était une proie trop appétissante pour un avo-
cat obscur, avide de scandale et d'éclat. Ber-
gasse engloba donc effrontément Beaumar-
chais dans l'affaire Kornmann, et, dans les
pamphlets boursouflés qu'il décorait du nom
de mémoires, il le couvrit d'injures et de ca-
lomnies, poussant l'extravagance et la folie
jusqu'à le représenter comme un homme qui
suait le crime. Beaumarchais se donna la peine
de répondre aux inepties de cet énergumène,
qui fut condamné par le parlement comme
calomniateur, mais qui, chose bizarre, parut
avoir en sa faveur l'opinion publique, et dut
à cette juste flétrissure une manière de célé-
brité qui le conduisit à l'Assemblée consti-
tuante, où il joua, comme on le sait, le rôle le
plus rétrograde et le plus pitoyable. Tout ceci
avertissait assez l'auteur de fîigaro que l'opi-
nion, qu'il avait un peu surmenée et fatiguée,
commençait à se tourner contre lui, et qu'il
entrait dans la décadence de sa popularité.
Cependant, au milieu de l'affaire Bergasse, il
fit représenter son opéra de Tarare, qui attira
la foule et eut un certain succès, quoique ce
soit, en réalité, une-œuvre moins originale
que bizarre.
La Révolution surprit Beaumarchais au mo-
ment où il faisait construire, non loin de la
Bastille, cette superbe habitation, caprice d'ar-
tiste, qui lui coûta près de 1,700,000 fr., et qui
fut abattue, en 1818, pour cause d'utilité pu-
blique. Il vît tomber la Bastille, avec moins
d'enthousiasme peut-être que de frayeur, et il
parut dès lors moins préoccupé des monstruo-
sités de l'ancien régime que des orages de la
Révolution. Philosophe et réformateur, il
avait, comme tous les grands esprits de son
temps, combattu pour la justice et la vérité ;
mais, après avoir eu les enivrements de la
lutte , il n'eut point les joies du triomphe.
L'âge, le besoin de repos, un certain fond d'é-
BEA
golsme épicurien, les fatigues d'une existence
militante et orageuse lui faisaient désirer que
cette régénération de la France, que sans au-
cun doute il désirait, s'accomplît régulière-
ment et sans secousse, comme si les principes
nouveaux n'eussent pas eu à vaincre des résis-
tances obstinées, comme si l'enfantenient d'un
monde eût pu s'opérer sans souffrances et sans
déchirement I D'ailleurs, il était dépassé par
le mouvement, et même il ne le comprenait
pas ; car, sous beaucoup de rapports, il était
resté un homme de l'ancien régime, et il se fût
contenté de réformes bien inoffensives. Aussi,
le voit-on constamment, malgré sa prudence,
jouer le rôle d'un conservateur. Chose pi-
quante, ce voltairien pétitionne sans rire pour
I ouverture de nouvelles chapelles dans son
quartier, afin que les fidèles puissent jouir
d'un plus grand nombre de messes, et cela en
juin 1791, c'est-à-dire à une époque ou ces
préoccupations n'étaient pas précisément a
l'ordre nu jour. Nommé à la première com-
mune, il vit plusieurs districts demander son
exclusion. Il est à croire qu'un ^rand nombre
de ses vieux ennemis travaillaient avec fu-
reur pour le perdre. Il subit plusieurs visites
domiciliaires, sous le prétexte d'accaparement
de blés ou d'armes, et ne fut plus dès lors
occupé qu'à se défendre contre des accusa-
tions que sa renommée de grand faiseur d'af-
faires faisait paraître vraisemblables. Au mi-
lieu de ses inquiétudes, il avait néanmoins
composé la Mère coupable, qui .fut représen-
tée en 1792 et qui forme, avec le Barbier et le
Mariage, une espèce de trilogie. A la même
époque, le besoin d'activité et d'entreprises se
réveilla en lui, malgré tant de mécomptes. Il
fît avec Je gouvernement un marché pour
faire venir 60,000 fusils de Hollande. Privé
de l'appui qu'on lui avait promis, il s'épuise
en efforts impuissants. Ses ennemis répandent
le bruit qu'il cache ces armes dans l'intérêt
de la contre-révolution, et parviennent à le
faire emprisonner à l'Abbaye. Heureusement
pour lui, Manuel, procureur de la commune,
avec qui il avait eu des démêlés littéraires
fort vifs, se ven»e noblement en le faisant
mettre en liberté à la veille des massacres de
Septembre. A peine libre, il reprend l'affaire
des fusils, fatigue l'Assemblée et les minis-
tres, finit par obtenir pour cet objet une com-
mission en Hollande, voyage de tous côtés,
revient pour se défendre contre de nouvelles
accusations, repart comme commissaire du co-
mité de Salut public, toujours pour la fameuse
cargaison de fusils, que lui disputaient les
Anglais, et, enfin, à la suite d'une foule de
tribulations, se trouve porté, en son absence,
sur la liste des émigrés. Le séquestre fut mis
sur ses biens, et sa femme et sa fille furent
quelque temps emprisonnées, en l'an II. Quant
à lui, réfugié à Hambourg, il y vécut dans les
angoisses, et même un moment dans la dé-
tresse, pendant que les Anglais dépouillaient
son prête-nom des fusils, en les payant, par
une estimation arbitraire, fort au-dessous de
leur valeur. Enfin, au commencement du Di*
rectoire , Beaumarchais parvint à se faire
rayer de la liste des émigrés et revint à Paris.
II consuma ses dernières années dans des ré-
clamations inutiles pour obtenir du gouverne-
ment le remboursement de ses avances, et
dans des luttes stériles pour rassembler quel-
3ues débris d'une grande fortune à peu près
étruite. Néanmoins, malgré ses chagrins et
ses ennuis, malgré les huissiers et les procès,
cet homme infatigable, usé par l'âge et sur-
tout par les luttes, trouvait encore le temps
et l'énergie de s'occuper de mille choses étran-
gères à sa triste situation personnelle. Quel-
ques jours avant sa mort, il avait rédigé un
a Mémoire au Directoire, sur l'assassinat des
plénipotentiaires de la République au congrès
de Rastadt. »
Le 18 mai 1799, Beaumarchais fut trouvé
mort dans son lit, frappé d'une attaque d'apo-
plexie foudroyante. Il était mort sans mala-
die, comme il avait vieilli sans infirmités. Il
avait soixante-trois ans et trois mois. Quel-
ques écrivains ont parlé d'un suicide par l'o-
pium ; mais cette assertion a été tout à fait
détruite par M. de Loménie, dans le grand
travail que nous analysons plus loin. Outre
les ouvrages que nous avons cités et une infi-
nité de lettres, Beaumarchais a encore com-
posé un Mémoire justificatif de sa conduite et
un récit de ses malheurs, adressé à la Conven-
tion, et qui a pour titre : Mes six époques. Ce
n'est pas, on doit l'avouer, un de ses meilleurs
écrits, et même, comme l'a justement dit
M. Sainte-Beuve, « il arrive ici à Beaumar-
chais (chose inattendue et singulière !) d'être
ennuyeux. » Beaumarchais ennuyeux ! la chose
est, en effet, assez piquante et méritait d'être
remarquée. Il faut ajouter encore qu'il n'était
pas très-heureux en poésie, et que ses vers
sont fort souvent médiocres.
Qu'on nous permette de terminer cette no-
tice un peu étendue par quelques observations
sur l'ensemble de la vie, du caractère et du
talent de Beaumarchais. De tous les hommes
de son temps, il est un de ceux qui ont été le
plus violemment attaqués, et l'on doit recon-
naître qu'il n'a pas joui d'une considération
égale à sa célébrité. Si nous cherchons dans
sa vie, dont les plus minces détails nous sont
maintenant connus par le grand travail de
M. de Loménie, nous ne trouvons rien, ou
presque rien, qui justifie les attaques dont il
a été l'objet. Ses luttes continuelles, ses suc-
cès rapides, sa grande fortune, son redouta-
ble esprit, dont il abusait quelquefois, ses en-
BEA 441
treprises aventureuses, lui firent un grand
nombre d'ennemis, dont les invectives et les
calomnies ont, à la longue, laissé sur sa répu-
tation ce quelque chose dont parle Basile, Un
homme d'un esprit tiède et prudent, Fontanes,
a dit, précisément en défendant Beaumarchais
sous ce rapport : « Tout homme qui a fait du
bruit dans le monde a deux réputations : il
faut consulter ceux qui ont vécu avec lui,
pour savoir - quelle est la bonne et la véri-
table. -
Or, il est à remarquer que tous ceux qui
ont attaqué et déchiré l'auteur du Barbier, ou
ne le connaissaient point, ou le connaissaient
fort peu ; tandis qu'au contraire tous ceux qui
ont vécu dans son intimité lui ont conservé
un inébranlable attachement; plusieurs de. ces
hommes, peu susceptibles d'enthousiasme et
d'engouement, comme La Harpe, Fontanes,
Arnault, ne parlent de lui qu'avec estime et
respect, et vantent ses attrayantes qualités,
son commerce aimable et sûr, son infatigable
obligeance et sa générosité. Il vécut entouré
d'amitiés vives et dévouées, qui le suivirent
pendant trente et quarante ans, sans s'affai-
blir jamais. Sa tendresse pour sa famille est
bien connue; pendant toute sa vie et souvent
quand sa situation personnelle était fort diffi-
cile, il en fut la providence et l'appui, protêt
géant, pensionnant, dotant père, sœurs, ne-
veux, nièce3, et jusqu'aux parents les plus
éloignés. Sa bonté ne s'étendait pas seulement
sur sa famille, et le nombre des infortunés
qu'il a secourus est immense. L'inventaire fait
après sa mort offrait, indépendamment des
sommes données sans qu'il en restât aucuns
trace, plus de 900,000 fr. de titres pour sommes
prêtées sans garantie à des artistes, des gens
de lettres, des artisans, des malheureux de
toutes les classes. Sa facilité et sa bienfai-
sance étaient si connues, qu'il était journelle-
ment assailli d'âpres solliciteurs qui s'exagé-
raient sa richesse. Des gens de la plus haute
société même, comme le prince et la princesse
de Nassau, étaient pour lui de véritables pen-
sionnaires, par la fréquence de leurs emprunts.
Tous les gens à projets, les nobles ruinés, les
besoigneux de qualité, assiégeaient constam-
ment sa caisse. Il dut en éconduire un bon
nombre, qui naturellement devinrent ses en- -
nemis acharnés, comme Mirabeau, comme le
pamphlétaire Rivarol (dont il nourrissait la
femme et l'enfant, que ce défenseur de l'ordre
social avait abandonnés) et comme tant d'au-
tres, plus obscurs, mais beaucoup plus veni-
meux. Parmi les causes qui expliquent les
dénigrements dont Beaumarchais fut l'objet
pendant sa vie, il faut mentionner aussi qu'à
cette époque, on ne faisait encore qu'une part
fort injuste aux droits de l'intelligence, et que,
parti des derniers rangs dé la société, très-
ardent et très-ambitieux, sans cesse entravé
dans son essor, il avait dû, pour arriver, tour-
ner beaucoup d'obstacles et en briser quel-
ques-uns. La société d'alors ne pouvait lui
pardonner ses succès, qui étaient autant de
victoires remportées sur les préjugés ré-
gnants. Ses grandes entreprises commerciales
et. industrielles étaient aussi un motif de dé-
dain, non-seulement uour les gentilshommes,
mais aussi pour certains croquants littéraires,
qui trouvaient beaucoup plus noble de vivre
de mendicité ou de pamphlets soudoyés, et qui
enviaient, en outre, la fortune rapide que ce
garçon horloger devait à son opiniâtre éner-
gie et a sa capacité. Ainsi, l'origine plébéienne
de Beaumarchais, sa carrière à la fois indus-
trielle et littéraire, ont été pour lui un obstacle
permanent à la considération sociale, et lorsque
cet obstacle eut été brisé par la Révolution, il
était déjà trop vieux pour entrer dans le mou-
vement des hommes et des choses. En ce qui
touche ses spéculations et ses affaires, il a été
fort aventureux, quelquefois même un peu
aventurier, aimant les luttes d'habileté et les
jeux de l'intrigue, mais plus artiste encore
que spéculateur. D'ailleurs, s'il a aimé le lu-
cre, il n'a jamais spéculé sur la ruine de per-
sonne, et il a très-souvent associé ses entre-
prises à de grands intérêts publics. Ecoutons
' encore sur ce point Fontanes : « Ce Beaumar-
chais, qu'on a généralement regardé comme
un GilBlas, un Ouzman d'Alfarache, le modèle,
enfin, de son i-Y^aro, ne ressemblait nullement
à ces personnages : il portait plus de facilité
que d'industrie dans toutes les affaires d'ar-
gent. Il y était bien plus trompé que trom-
Eeur. Sa fortune, qu'il dut à des circonstances
eureuses, s'est détruite, en grande partie,
par un excès de bonhomie et de confiance dont
on pourrait donner des preuves multipliées. -
En résumé, et sans aller plus loin dans cette
analyse de caractère, on peut signaler dans
Beaumarchais les qualités suivantes : univer-
salité d'aptitudes, imagination exubérante,
mais non chimérique, esprit étincelant, habi-
leté dans le maniement des hommes, saga-
cité, énergie, entente des affaires les plus con-
sidérables et les plus compliquées, activité,
fersévérance, génie de la conception et de
organisation. Mais son étonnante diversité
d'aptitudes a, sans aucun doute, contribué
aussi à l'empêcher de s'élever, dans chaque
direction, à la hauteur qu'il n'eût pas manqué
d'atteindre si ses efforts eussent été moins
éparpillés. Il est tout à fait évident qu'il y
avait en lui l'étoffe d'un homme très-supérieur
airrôle dans lequel les circonstances l'ont en-
fermé, et qui, cependant, fut assez éclatant.
« Beaumarchais , dit l'historien anglais Car-
lyle, et c'est par cette citation que nous vou-
lons terminer cet article, Beaumarchais était,
56
412
après tout, une belle et vaillante espèce
d homme et? dans son genre, un brillant spé-
cimen du génie français. »
Bcoumnrclinls (MEMOIRES DE), pamphlets
célèbres, dont tous les critiques et histo-
riens de la littérature française se sont oc-
cupés. L'examen le plus complet en a été fait
par La Harpe, dans son Cours de littérature,
et cet examen est l'une des meilleures études
analytiques contenues dans cet ouvrage. Nous
en détachons-quelques passages, qui seront
suivis des jugements nouveaux, formulés par
les aristarques de notre temps.
« L'historique de ses procès, dit La Harpe,
serait superflu .* on s'en souvient jusqu'au-
jourd'hui , et l'on ne peut rien ajouter à l'idée
qu'en donnent ses Mémoires, qui sont de na-
ture à être relus dans tous les temps... Trois
procès occupèrent une partie de sa vie : le
procès contre le légataire universel de Du
Verney ; le procès Goëzman, qui n'en était
qu'un incident, mais plus sérieux que le prin-
cipal; et enfin le procès Kornmann. Il finit
par les gagner tous les trois, aussi complète-
ment qu il est possible ; mais il avait commencé
far perdre les deux premiers. Tous les trois
urent suscités par la haine, beaucoup plus que
par un intérêt litigieux, et ils fixèrent les
regards de la France et de l'Europe. Ils met-
taient en spectacle celui que l'on mettait en
cause... Les défenses de l'accusé l'agrandis-
saient en talent et en courage, au point de"
faire de sa cause celle de ses lecteurs ; et l'o-
pinion publique attachait cette cause à des
intérêts publics, lors des événements de 1771,
qui la portèrent devant des juges que la na-
tion ne reconnaissait pas pour les siens... »
La Harpe trace l'historique des démêlés
judiciaires de Beaumarchais, des épreuves
qu'il dut surmonter et des périls qu il eut à
conjurer. Ces faits rentrent dans la biogra-
phie du père de Figaro, et nous passons outre.
Revenons à. la partie littéraire.
« Ces Mémoires sont d'un genre et d'un ton
qui ne pouvaient avoir de modèle, car il n'y
en avait pas d'exemple.... Mais cette forme
si neuve, aussi saillante qu'inusitée ; ces sin-
guliers écrits, qui étaient tout a la fois une
plaidoirie, une satire, un drame , une comé-
die, une galerie de tableaux, enfin une espèce
d'arène ouverte pour la première fois, où il
semblait que Beaumarchais s'amusât à mener
en laisse tant de personnages, comme des
animaux de combat faits pour divertir les
spectateurs I mais tous ces personnages, si
richement et si diversement ridicules ou vils,
qu'on les croirait choisis tout exprès pour lui.
et que lui-même, en effet, rend grâce au ciel
de les lui avoir donnés pour adversaires !
mais cette continuelle variété de scènes qu'on
yoit bien qu'il n'a pu inventer, et qui n'en
sont que plus plaisantes, à force de vérité, de
cette venté qu'on ne peut saisir et crayonner
qu'avec le tact le plus fin et l'imagination la
plus gaie!... L'on peut concevoir l'allégresse
universelle d'un public mécontent et malin,
qui n'avait d'autres armes que celles du ridi-
cule, et qui les voyait toutes, au delà même
de ce qu'il pouvait en attendre, dans une
main légère et intrépide, qui frappait sans
cesse en variant toujours ses coups... Une
des armes de Beaumarchais, et qui lui a servi
& tout, c'est sa dialectique. Il n'y en a pas de
Slus pressante, de plus ingénieuse, de plus
iversifiée. Aucune induction ne lui échappe ;
jms une qu'il ne saisisse avec justesse et qu'il
ne pousse aux dernières conséquences; pas
une qu'il ne sache retourner sous plus d'une
forme, et qu'il ne fasse ressortir et reparaître
à propos, toujours avec un nouvel avan-
tage... »
La Harpe ne dissimule pas les défauts du
talent de Beaumarchais comme polémiste :
- Ces Mémoires, qui offrent tous les tons de
réloauence, tous les genres de mérite, offrent
aussi toutes sortes de fautes; ce qui n'em-
pêche pas que le talent, s'il n'est pas parfait,
ne soit supérieur, parce que les beautés pré-
dominent de beaucoup; et c'est là ce qui,,
d'abord, est décisif dans la balance de la cri-
tique... Il y a dans son style du Montaigne,
du Rabelais, du Swift : il a du premier 1 ex-
pression forte avec la tournure naïve; du se-
cond, la saillie bouffonne, mais imprévue et
originale; du dernier, l'invention des formes
satiriques et détournées, qui font attendre
longtemps le coup pour frapper plus fort. »
' Maintenant, écoutons M. Villemain appré-
ciant ces mêmes écrits et ce même talent
(Littérature au xvmc siècle).
«... Voilà que Beaumarchais se trouve en-
gagé dans un procès contre l'héritier du four-
nisseur Paris Du Verney. Il va solliciter ses
.nges, les conseillers du nouveau 'parlement;
jl fait de nombreuses visites au conseiller rap-ï porteur, et donné, pour avoir une audience,
!00 louis, puis 15 louis. Ces 15 louis devien-
nent le sujet d'un immense scandale ; ces
J5 louis, exploités, commantés par l'imagina-
tion féconde de Beaumarchais, sont l'origine
d'un grand changement, renversent cette ma-
gistrature bâtarde, élevée sur les ruines des
anciens parlements, et commencent une ré-
forme qui ne devait pas s'arrêter à la magis-
trature...
« Peut-on avoir raison avec tant de bouf-
fonnerie? Peut-on avoir une fierté si bien
S lacée, et manquer si souvent de justice et de
ignité? I^eut-on défendre à ce point la cause
£e l'opinion générale, et cependant employer
quelquefois des insinuations odieuses, des ré-
BEA
vélations que l'honnêteté défend? Il faut donc
regarder ce livre singulier comme un mé-
lange du mémoire judiciaire, du pamphlet, de
la comédie, de la satire, du roman; il faut y
voir, comme dans l'auteur même, une réunion
de tous les contrastes, quelque chose de rare
et d'équivoque, un talent admirable, mais plus
digne de vogue que d'estime, une verve de
plaisanterie qui nous entraîne, mais qui ré-
volte quelquefois en nous un sentiment de
décence et de vérité...
« Ce singulier talent de l'éloquence judi-
ciaire, tel que les anciens l'ont vanté, l'ont
pratiqué ; ce talent, plus puissant que moral,
analysé par Cicéron avec tant de plaisir et
d'orgueil ; cet art d'envenimer les choses les
filus innocentes, d'entremêler de petites ca-
omnies un récit naïf, de médire avec grâce,
d'insulter avec candeur, d'être ironique, mor-
dant, impitoyable, d'enfoncer dans la blessure
la pointe du sarcasme; puis de se montrer
grave, consciencieux, réservé, et bientôt
après, de soulever une foule de mauvaises
passions au profit de sa bonne cause; d'inté-
resser l'amour-propre, d'amuser la malignité,
de flatter l'envie, d'exciter la crainte, de ren-
dre le juge suspect à l'auditoire, et l'auditoire
redoutable au juge; cet art d'humilier et de
séduire, de menacer et de prier; cet art, sur-
tout, de faire rire de ses adversaires, au point
qu'il soit impossible de croire que des gens
si ridicules aient jamais raison; enfin, tout
cet arsenal de malice et d'éloquence, d'esprit
et de colère, de raison et d'invective; voilà
ce qui compose, en partie, les Mémoires de
Beaumarchais !....
« Ajoutez un mouvement qui prévient la
monotonie du ridicule, ses adversaires chan-
gés pour lui en personnages de comédie dont
il dispose? les formalités de la justice, les in-
terrogatoires , les récolements tournés en
scènes et en incidents dramatiques. Le con-
traste de cette moqueuse et implacable pu-
blicité avec le mystère dont s enveloppait
encore la procédure, ces- secrets du greffe
mis au jour, la femme du grave magistrat
balbutiant quelques mots de chicane que son
mari a eu la maladresse de lui apprendre, les
dits et les contredits, les écritures, le greffier :
tout cela commenté par Beaumarchais ; quelle
source de ridicule 1 mais cela est trop plaisant
pour être vrai... »
Que pensait Voltaire de ces Mémoires, Vol-
taire, le partisan plus ou moins sincère de la
création du parlement Maupeou ?... Son éloge,
où perce la jalousie, ne saurait être suspect :
« Ces Mémoires sont bien prodigieusement
spirituels ; je crois cependant qu'il faut encore
plus d'esprit pour faire Zaïre et Mérope. » Et
pour faire le Barbier de Séville ou le Mariage
de Figaro, fallait-il plus d'esprit ou de talent?
Voltaire dit encore : « J'ai lu tous les Mé-
moires de Beaumarchais, et je ne me suis ja-
mais tant amusé. Ces Mémoires sont ce que
j'ai jamais vu de plus singulier, de plus fort,
de plus hardi, de plus comique, de plus inté-
ressant, de plus humiliant pour ses adver-
saires. 11 se bat contre dix ou douze person-
nes à la fois, et les terrasse comme Arlequin
sauvage renversait une .escouade du guet. »
Encore ailleurs : « Enfin j'ai lu le- qua-
trième Mémoire de Beaumarchais; j'en suis
encore tout ému. Jamais rien ne m'a fait plus
d'impression; il n'y a point de comédie plus
plaisante, point d'histoire mieux contée, et
surtout point d'affaire épineuse mieux éclair-
cie. »
On comprendra que le Grand Dictionnaire
soit heureux de se taire, quand il voit sa pro-
pre pensée exprimée par d'aussi éloquents
interprètes.
Beaumarchais cl non tempn, Etudes Sur la
société en France au xvme siècle, d'après des
documents inédits, par Louis de Loménie,
(2 vol. in-8°, Paris, Michel Lévy, 1856). Cet
ouvrage, qui parut d'abord dans la Hernie des
Deux Mondes, est l'étude la plus complète qui
ait été faite sur l'auteur du Mariage de Figaro.
M. de Loménie, dont on connaît d'ailleurs
la conscience et le talent, a eu la bonne for-
tune de recevoir communication des maté-
riaux les plus abondants et les plus précieux.
MM. Delarue, gendre et petit-fils de Beau-
marchais, lui ont mis entre les mains tous les
papiers laissés par leur beau-père et aïeul, et
qui dormaient enfouis dans une mansarde
inhabitée de la rue du Pas-de-la-Mule, depuis
la démolition de la fameuse maison du boule-
vard, en 1818. M. de Loménie nous a dépeint
son émotion quand la famille lui ouvrit la
porte de cette chambre où personne n'était
entré depuis tant d'années, quand il se trouva
en présence d'une masse aussi considérable
de documents. « J'avais devant moi, dit-il,
dans cette cellule inhabitée et silencieuse,
sous cette couche épaisse de poussière, tout
ce qui restait de l'un des esprits les plus vifs,
d'une des existences les plus bruyantes, les
plus agitées, les plus étranges, qui aient paru
dans le siècle dernier... C'est ainsi que
des matériaux précieux pour l'histoire du
xvmc siècle ; c est ainsi que tous les souve-
nirs d'une carrière extraordinaire étaient res-
tés enfouis depuis plus de trente ans dans une
cellule abandonnée, dont l'aspect m'inspirait
une mélancolie profonde. En troublant le
sommeil de ce tas de papiers, jaunis par le
temps, écrits ou reçus autrefois dans le feu
de la colère ou de la joie, par un être duquel
on peut dire ce que h*me de Staël a dit de
Mirabeau, par UP être si animé, si fortement
BEA
en possession de ta vie, il me semblait que je
procédais à une exhumation. »
Toute la vie de Beaumarchais était, en effet,
renfermée dans cet amas de papiers souillés
de poussière, œuvres littéraires, correspon-
dance immense, papiers de famille, papiers
d'affaires, titres de créances, projets d'entre-
prises, etc., et jusqu'au modèle d'échappe-
ment de pendule inventé par le jeune Caron,
et qui reposait dans une malle sous les ma-
nuscrits du Barbier et du Mariage; juxtapo-
sition piquante, comme observe M. de Lomé-
nie, et qui semble une réminiscence de ce
monarque de l'Orient, oui plaçait dans le
même coffre ses anciens habits de berger et
son manteau royal.-
Ces documents étaient tombés entre bonnes
mains. Mais il fallait en opérer le classement,
en faire le dépouillement et l'analyse, et les
contrôler par une foule de recherches complé-
mentaires ; travail énorme, qui ne rebuta point
le laborieux biographe, soutenu dans ses re-
cherches par l'espoir de donner, pour la pre-
mière fois, une Vie de Beaumarchais complète
et sérieusement étudiée. Jusqu'alors, en effet,
tout ce qui avait été écrit de plus exact sur
l'auteur du Mariage de Figaro était emprunté
au travail de La Harpe (Cours de littérature),
qui n'est, en définitive, qu'une ébauche biogra-
phique vague-et incomplète, et contenant des
erreurs assez graves, religieusement repro-
duites par tous les compilateurs. Un littéra-
teur, qui fut pendant trente ans l'ami le plus
dévoué de Beaumarchais, Gudin de la Bre-
nellerie, entreprit de combler les lacunes de
l'étude de La Harpe, et rédigea une notice très-
détaillée de la vie de son ami. Mais ce tra-
vail est resté inédit, sauf un chapitre, qui a
été inséré dans l'édition que Gudin a donnée
des œuvres de Beaumarchais. Les études lit-
téraires sont plus nombreuses. Les principales
sont les articles acerbes et fort injustes du
célèbre critique Geoffroy; des articles plus
élégants et plus sensés de M. de Feletz ;
quelques pages pleines d'éclat de M. Ville-
main (Littérature au xvmc siècle) ; une étude
ingénieuse de M. Saint-Marc Girardin (Es-
sais de littérature et de morale); enfin, les
causeries brillantes de M. Sainte - Beuve
(Lundis, tome VI). Mais, outre qu'il était pos-
sible d'entrer plus avant dans les questions
littéraires, tout était à faire au point de vue
biographique. Beaumarchais, comme on le
sait, n a pas laissé de Mémoires sur sa vie, et
les deux volumes qui portent ce nom en li-
brairie ne sont que des factùms judiciaires,
des plaidoyers écrits à l'occasion de son pro-
cès contre Goëzman. M. de Loménie se mit
donc résolument à l'œuvre, et, à l'aide des
riches matériaux qu'il avait entre les mains,
joints à ses recherches personnelles, il entre-
firit une de ces biographies copieuses, détail-
ées et approfondies, où les citations se mê-
lent au récit pour l'éclairer et le justifier; où
les considérations historiques et littéraires
s'associent aux détails sur la vie privée et
publique du pei-sonnage. En un mot, il voulut
peindre l'homme, et esquisser en même temps
son époque, le milieu ou il a vécu. Une autre
de ses préoccupations a été de présenter au
public, non point un pur panégyrique, mais
une biographie exacte et sincère, un Beau-
marchais vrai, bien vivant et bien naturel,
sans dissimuler ses côtés faibles, mais en le
justifiant de toutes les calomnies dont il a été
Vobjet. Pour atteindre ce but, il ne.s'est pas
exclusivement inspiré des documents qui .lui
étaient confiés . et dont la surabondance eût
accablé tant d autres écrivains ; il a encore
fouillé les.écrits du temps, les correspondan-
ces, les archives publiques, afin d'étudier à
fond les innombrables affaires auxquelles son
personnage a été mêlé. De là, les développe-
ments de son travail. Ceux qui aiment les
esquisses rapides, les résumés faciles et plus
ou moins fidèles, lui reprocheront peut-être
les onze cents pages qu'il a consacrées à l'his-
toire d'un seul homme. Mais ceux qui appré-
cient par-dessus tout l'exactitude, la con-
science, la sûreté d'informations, la fidélité,
lui sauront gré d'un labeur aussi considérable
et qui fait, dès à présent, autorité. Il a pris
Beaumarchais au berceau, il l'a suivi dans
tous les actes de sa vie, il la conduit jusqu'à
la tombe, il nous l'a fait connaître tout entier,
justifiant chacune de ses assertions par des
preuves authentiques, et encadrant dans son
récit un grand nombre de pièces inédites, tou-
jours intéressantes, même quand il arrive
qu'elles ne sont pas absolument nécessaires.
Citer du Beaumarchais inédit est, en effet, une
tentation à laquelle il est difficile de résister;
car ce diable d'homme trouve le moyen d'être
attrayant et spirituel jusque dans ses lettres
d'affaires et dans ses comptes de commerce.
M. de Loménie ne s'est peut-être pas assez
défendu contre cette tentation ; mais qui au-
rait le courage de l'en blâmer? On pourrait
aussi signaler dans son récit quelques lon-
gueurs, par exemple, dans l'analyse de l'o-
péra de Tarare, dans l'exposé des opi-
nions de quelques critiques espagnols sur
Figaro, dans le récit des relations de Beau-
marchais avec divers personnages, et dans
quelques autres parties. Mais il est à croire
que l'auteur lui-même, dans une nouvelle
édition, revisera son beau travail, en y opé-
rant quelques retranchements utiles qui n'en
diminueront point l'intérêt. Il est d'autant
plus désirable de rechercher ici les améliora-
tions, que c'est un ouvrage qui restera et
dans lequel on puisera sans cesse pour l'his-
BEA
toire littéraire et la biographie. Ajoutons que
M. de Loménie est un maître passé dans le
maniement de la langue; il a le savoir, l'élo-
quence, le style, et par-dessus tout la passion
de parachever ce qu'il entreprend. L'esprit
non plus ne lui fait pas défaut, et si Beau-
marchais avait pu désigner testamentairement
son biographe, il n'en aurait pas choisi un
autre que M. de Loménie.

BEAUMARIE
s. f. (bo-ma-rï). Bot. Syn.
d'aristotélie maeguis,
lîEAUMARIS, ville et port d'Angleterre, au
N.-E. de l'île et du comté d'Anglesey, à 8 k.
N.-E. du pont de Menai; 2,500 hab. Restes
d'un château bâti par Edouard 1er, Bains de
mer très-fréquentés.

BEAUMARQUET
s. m. (bc-mar-kè). Or-
nith. Espèce de gros-bec d'Afrique à plu-
mage très-riche.
HEAUME (Joseph), peintre français, né à
Marseille en 1798. Il se forma à l'école de
Gros, et débuta au Salon de 1819 par uno
scène biblique : Nephtali et Rachel. Depuis
cette époque, il a pris part à toutes les expo-
sitions officielles qui ont eu lieu à Paris,
excepté à celles de 1835, 1842, 1848 et 18-19.
Une médaille de 2ème classe lui a été décernée
en 1824, pour deux compositions représentant,
l'une Alain Chartier embrassé -pendant son som-
meil par Marguerite d'Ecosse, Yautre l'Invalide
mourant. Ce dernier tableau, qui a eu les
honneurs de la gravure, obtint les plus grands
éloges ': « Il y a du naturel et de la simplicité
dans cette petite scène, dit l'auteur anonyme
d'une Bévue critique du Salon, publiée chez
Dentu en 1825; les figures sont parfaitement
dessinées, parfaitement touchées et d'un faire,
d'une précision très-remarquables. » M. Beaume
ne tarda pas à réaliser les espérances qu'avait
données son début; les tableaux suivants, qu'il
envoya au Salon de 1827, lui valurent une
médaille de ire classe : Balte de chasse, le
Jioi boit (gravé), Intérieur rustique. A la ma-
nière dont l'artiste traitaitles sujets familiers,
on crut voir en lui un continuateur de Greuze,
de ce peintre honnête et sentimental qui faisait
les délices de Diderot. M. Beaume exposa au
même Salon la Bénédiction et la pose de la
première pierre du monument de Louis XVJ,
tableau qui lui avait été commandé par le
ministère de la maison du roi. A dater de cetts
époque, il mena de front, dans ses travaux, le
genre et l'histoire, peignant*tantôt des scènes
familières pour les particuliers, tantôt des
batailles pour l'Etat, tantôt même des sujets
religieux pour les églises. Ses ouvrages prin-
cipaux dans le genre historique sont : les
Derniers moments de la grande Dauphine (Sa-
lon de 1834) ; Anne d'Autriche au Val-de-Grâce
(Salon 1835) ; le Passage du Rhin en 1795 et le
Combat de Diernstein (Salon 1836); le Combat
d'Albec/c (Salon 1337); la Bataille de Lut zen
(Salon 1838); la Prise de Halle, la Bataille
d'Opporto et la Bataille de Bautzen (Salon
1839); la Bataille de Toulouse (Salon 1840);
le Combat du Sig (Salon 1841); une seconde
Bataille d'Opporto (Salon 1843); la Bataille
de l'Aima (Salon 1855); la Mort de Charles-
Quint (Salon 1857); Louis XVII au Temple
(Salon 1863); un Épisode de la retraite de
Russie (Salon 1864). Plusieurs de ces tableaux
figurent dans les galeries historiques de Ver-
sailles. Les deux premiers sont au Luxem-
bourg; le dernier appartient au czar. Parmi
les sujets religieux peints par M. Beaume,
nous citerons d'Education de la Vierge (Salon
1844) ; le Repas de la sainte Famille (Salon
1855); Moïse orpose (Salon 1857) ; la Tentation
de saint Antoine (Salon 1864); la Fuite en
Egypte (Salon 1866). Quant aux petits tableaux
de genre exécutés par l'artiste marseillais, ils
sont trop nombreux pour que nous en donnions
la liste ; il nous suffira de rappeler ceux qui
ont eu le plus de succès : le Maître d'école
endormi (Salon 1831); une Scène d'orage pen-
dant la moisson (Salon 1833; collection do
M. de Rothschild); la Main chaude (même
Salon, collection de M. Tardif, à Marseille);
le Pardon (gravé), la Lecture de la Bible, le
Petit chaperon rouge (Salon 1840); les Bergers
des Pyrénées (Salon 1345) ; la Sortie de l'église
(Salon 184G; musée du Luxembourg); Rêve
de jeune fille (Salon i847);-.rOisiue*e {Salon
1850); la Dime, une Chasse au lion (Salon
1853); la Saison des fleurs, une Famille ita-
lienne (Salon 1859); les Voleurs et l'âne, le
Rendez-vous de chasse (Salon 1861); Margue-
rite au rouet (Salon 1864); les Convives inat-
tendus, le Pantin (Salon 1865). M. Beaume a
été nommé chevalier de la Légion d'honneur
en 1836.

BEAUMEL
chef de chouans, originaire du
Rouergue. Il était capitaine dans 1 armée ré-
publicaine lorsqu'il fut fait prisonnier au
combat de Légé. Les royalistes allaient le
tuer comme tous lès autres prisonniers ;
mais un de ses amis, qui servait parmi les
Vendéens, obtint qu'il fut épargné. Dès lors,
Beaumel s'attacha à Charette, devint un de
ses principaux officiers et son ami le plus
intime. Il fut tué en combattant à côté de
son nouveau général, à Froidefond.

BEAUMELLE
(DE LA). V. LA BEAUMELLE.

BEAUMERTE
s. f. (bo-mèr-te). Bot. syn.
de cresson de fontaine.

BEAUMESNIL
bourg de France (Eure),
ch.-l. de ciinton, arrond. et à 3 kil. S.-E. de
Bernay ; 603 hitb. Restes d'une abbaye de bé-
nédictines; ruines d'un château féodal, pris
* 443
. par les Anglais en 1448 et démoli par Riche-
lieu.
BEAUMESNIL (Henriette-Adélaïde VILLARS,
dite), cantatrice, née à Paris en 1748, morte
en 1803. Elle avait à peine sept ans, qu'elle
jouait déjà la comédie avec une intelligence
et une finesse des plus remarquables. La Co-
médie-Française ayant refusé plus tard d'ac-
cueillir la gracieuse et spirituelle actrice,
celle-ci, qui était en même temps une excel-
lente musicienne, entra à l'Opéra, où elle
débuta dans la pastorale de Sylvie, en 1766.
Elle eut un plein succès, bien que sa voix un
peu sèche manquât de souplesse et d'étendue.
On applaudit en elle surtout la charmante
. comédienne, au jeu plein d'une grâce savante,
au talent d'une flexibilité extrême. Cepen-
dant, son peu de voix ne lui permit jamais de
prendre rang parmi les premiers sujets, et elle
remplaça le plus souvent les chefs d'emploi
dans les rôles les moins faits pour elle. Les
opéras de Castor et Pollux et d'Iphigénie en
-Aulide furent ceux oùf elle obtint le plus
d'applaudissements. La santé de cette aima-
ble, coquette et capricieuse artiste s'étant al-
térée, elle quitta le théâtre en 1781, avec une
pension de 1,500 francs, et épousa quelque
temps après un homme d'affaires deladuchesse
de Bourgogne, nommé Philippe. Mllc Beau-
mesnil ne fut pas seulement comédienne,
cantatrice et, à l'occasion, danseuse agréable :
élève de Clément, qui lui avait appris l'har-
monie et l'accompagnement, elle s'adonna à
la composition musicale. Elle composa la
musique de Tibulle et Délie ou les Saturnales,
acte faisant partie des Fêtes grecques et ro-
maines de Fuizelier, représentées avec succès
à l'Opéra en 1784, et celle de Plaire, c'est
commander ou les Législatrices, opéra en deux
actes, dont les paroles étaient du marquis de
la Salle, et oui fut joué au théâtre Montansier
en 1792. Elle avait également composé un
opéra d'Anacréon, qui n'a point été joué. Les
qualités dominantes de sa musique sont,
d'après Bacbaumont, la grâce et le sentiment.

BEAUMETZ-LES-LOGES,
bourg de France
(Pas-de-Calais), arrond. et à 10 kil. S.-O.
d'Arras ; 583 liab. Récolte et commerce de
grains et d'hui-le.

BEAUMETZ
(Bon-Albert BRIOIS, chevalier
DE), célèbre constituant, né à Arras en 1759,
mort à Calcutta- vers 1809. Il était premier
président du conseil de sa province, lorsque
l'ordre de la noblesse l'élut député aux états
f énéraux,et il devint aussitôt un des chefs et
es orateurs les plus distingués du parti con-
stitutionnel. Il eut une grande part à la réforme
de notre législation pénale, fit décréter lapubli-
cité des débats judiciaires et l'abolition de la
torture ; obtint que tout accusé fût assisté
d'un conseil, appuya l'institution du .jury, la
création des assignats, se prononça contre
l'aliénation des biens du clergé, et demanda
pour le géomètre Lagrange un traitement de
6,000 livres. Beaumetz fut un des principaux
auteurs des amendements faits aux articles
constitutionnels pour en rendre plus facile
l'acceptation par le roi (1791). Elu membre
de l'administration départementale de Paris,
après la session, il défendit avec chaleur les
prêtres insermentés, se vit accuser d'entrete-
nir des liaisons avec la cour et les émigrés, et
donna sa démission après la journée du
21 juin 1792. Il quitta alors la France, par-
courut l'Allemagne et l'Angleterre, se rendit
en Amérique, et de là, il passa dans les Indes
anglaises, où il mourut. On a de lui un Code
pénal des jurés de la haute cour nationale
(1792, in-12). Ses principaux discours ont été
réunis dans le Choix des rapports, etc., pu-
blié à Paris (1822, in-8°).

BEAUMONT
petite ville de Belgique, pro-
vince du Hainaut, arrond. et à, 27 kil. S.-O.
de Charleroy; 2,051 hab. Exploitation de très-
beau marbre et de pierres a bâtir; fabrique
de serge et de gros lainages; dentelles; com-
merce de bestiaux.
BEAUMONT. Nom de deux petits pays de la
France féodale : le premier* était situé dans
la ci-devant province du Dauphiné et avait
pour localités principales : Saint-Laurent-en-
Beaumont, Saint-Michel-en-Beaumont, Quet-
en-Beaumont ; il fait aujourd'hui partie du
département de l'Isère, arrondissement de
Grenoble. Le second, compris dans l'ancienne
province de Normandie, avait pour lieux prin-
cipaux : Neuville-en-Beaumont et Sortville-
en-Beaumont ; il est actuellement compris
dans le département de la Manche, arrondis-
sement de Valognes.
BEAUMONT -HAGUE, bourg de France
(Manche), ch.-l. de canton, arrond. et à
17 kil. N.-O. de Cherbourg. Pop. aggl. 267 hab.
r- pop. tôt. 776 hab. Fabrication et commerce
de clouterie, vins et eaux-de-vie. Aux envi-
rons, retranchement dit Hague-Dick, long de
près de 4 kil.; restes d'un camp romain.
' BEAUMONT-DE-LOMAGNE, ville de France
(Tarn-et-Garonne), ch.-l. de canton, arrond.
et à 21 kil. S^-O. de Castel-Sarrazin, sur la rive
gauche de la Garonne. Pop. aggl. 3,390 hab.
— pop. tôt. 4,300 hab. Faorique de grosses
draperies , tuileries , tannerie , chapeaux ,
faïence; commerce de grains. Cette petite
ville, située dans une position très-agréable,
à peu de distance de la Gimone, est formée
de rues droites, larges et bordées de belles
maisons bien bâties. Territoire très-fertile ;
environs très-pittoresques.

BEAUMONT-DU-PERIGORD
bourg de
France (Dordogne), ch.-l. de canton, arrond.
et à 29 kil. S.-É. de Bergerac. Pop. aggl.,
859 hab.—pop. tôt. 1,800 hab. Eaux minérales ;
meules de moulin très-estimées ; on en expé-
die jusqu'en Amérique. On voit à Beaumont
une remarquable église gothique, fortifiée :
cet édifice fut construit en 1272 par Lucas de
Terny, maréchal de Gascogne, pour Henri III
d'Angleterre, et bâti de façon à servir tout à
la fois d'église et de forteresse. Dans son
état primitif, elle avait quatre tours, une à
chaque angle de son unique nef, des guérites
d'observation sur le transsept, un chemin de
ronde crénelé et une vaste salle d'armes dal-
lée. Aujourd'hui, sa façade, décorée d'une
belle galerie, est flanquée de deux tours j la
porte en est richement sculptée; à l'intérieur
est un puits profond. Près de Beaumont, on
admire le château de Banne, construction du
xv- siècle très-bien conservée.On a trouvé, aux
environs de ce château, une médaille de l'em-
pereur Yespasien et des tombeaux antiques,
et près du château de Luzier, situé non loin
de là, on a découvert une quantité considérable
de médailles gauloises.

BEAUMONT-EN-AUGE
village et commune
de France (Calvados), canton, arrond. et à
6 kil. O. de Pont-1'Evêque; 821 hab. Com-
merce de bestiaux, beurre et volaille. Ruines
d'un prieuré de bénédictins, fondé vers l'an
1060, et qui institua, au xvme siècle, un collège
auquel Louis XV donna le nom et le privilège
d'école militaire. Cet établissement compta
jusqu'à 300 élèves, dont plusieurs sont deve-
nus des personnages célèbres, entre autres :
Caulaincourt, l'ami de Napoléon, le général
d'artillerie Evains, et le savant Laplace, né à
Beaumont, en 1749, d'une famille de cultiva-
teurs. Ce village a donné aussi le jour à
Charles Langlois, l'habile peintre de panora-
mas.

BEAUMONT-LE-ROGER
bourg de France
(Eure), ch.-l. de cant., arrond. et à 25 kil. E.
de Bernay, sur la Rille. Pop. açgl., 1,295 hab.
— pop. tôt., 1,958 hab. Carrières de pierre
tendre; eaux minérales; moulins à blé, à huile
et à tan ; filature de laine, tannerie, fabrique
de draps, blanchisserie de toiles, verrerie,
fours à chaux, briqueterie ; commerce de bes-
tiaux, grains, lins et fils. Sur te penchant
d'un coteau qui domine le bourg, on voit les
ruines d'un ancien château fort, et au-dessous
les débris pittoresques de l'ancien prieuré ou
abbaye de la Sainte-Trinité, fondé auxnc siè-
cle. L'église paroissiale de Beaumont-le-Ro-
fer montre, au sud, un riche portail de style
amboyant; les piliers de la nef sont du
xine siècle; l'étage supérieur et les collaté-
raux sont du xive. La Renaissance avait do-
té cette église de magnifiques vitraux, en
partie conservés.
Sous les premiers ducs de Normandie,
Beaumont n'était encore qu'une chétive bour-
gade; mais Roger, fils du seigneur de Beau-
mont en fit une place forte en 1040, et lui
donna son nom.' En 1194, cette place tomba
au pouvoir de Henri Içr, roi d'Angleterre.
Philippe-Auguste s'en empara en 1192; mais
elle fut reprise en 1194 par Richard Cœur-de-
Lion. En H99, Philippe-Auguste s'en empara
de nouveau et la livra aux flammes; enfin
elle fut remise par un traité à Jean-sans-
Terre, roi d'Angleterre. Beaumont, érigé en
comté, fut possédé par plusieurs familles
puissantes. En 1253, saint Louis l'acheta et
le réunit à la couronne, à laquelle il resta
attaché pendant environ un siècle. En 1378,
Duguesclin s'empara de Beaumont, dont le
château fut démoli ; l'expulsion des Anglais
du territoire français fit entrer cette place
dans le domaine de la monarchie française.
- BEAUMONT-SUR-OISE, bourg et comm. de
France ( Seine-et-Oise ), canton de l'Isle-
Adam, arrond. et à 20 kil. N.-E. de Pontoise,
à 34 kil. N. de Paris, sur la rive gauche de
l'Oise et sur le chemin de fer du Nord ; pop.
aggl. 2,356 hab. — pop. tôt. 2,431 hab. Tanne-
ries, corroieries, verreries, salpêtreries, bon-
neterie et passementerie. Commerce de fari-
nes, grains, chevaux, bestiaux et fromages.
Cette petite ville, située sur la croupe d'une
montagne, au pied de laquelle coule l'Oise,
possède une belle promenade en terrasses,
d'où l'on jouit d'une vue agréable sur la riche
vallée de l'Oise. On y remarque : les ruines
d'une vieille tour, seul vestige de l'ancien
château fort; l'église paroissiale, construction
du xine siècle, avec un beau portail orné de
curieuses sculptures, malheureusement muti-
lées. L'intérieur se compose d'une nef qui a
été reconstruite en berceau, et de deux bas
côtés qui ont conservé leurs voûtes à nervu-
res. La tour est plus moderne que l'église.
Cette ville avait ses comtes particuliers
sous les successeurs de Charlemagne et sous
les premiers rois de la dynastie capétienne.
Le dernier, Thibaut, seigneur de Luzarche et
comte de Beaumont-sur-Oise, céda le comté
à saint Louis en échange d'autres terres.
Philippe le Hardi le donna h son fils Louis,
comte d'Evreux, dont le petit-fils, Charles le
Mauvais, roi de Navarre, le céda au roi Jean,
par traité de l'an 1353. Ce dernier en rit don
a son frère Philippe, duc d'Orléans, mort
sans postérité. A la fin du xve siècle, le comté
de Beaumont devint l'apanage du duc d'Or-
léans, qui, devenu roi sous le nom de Louis XII,
le réunit une quatrième fois à la couronne.
Un peu plus tard, il fut aliéné au profit du
connétable Anne de Montmorency, et retourna
une cinquième fois au domaine royal. Sous
Charles IX, il devint l'apanage du duc d'Anjou,
qui* le réunit de nouveau à la couronne en
montant sur le trône, sous le nom de Henri III.

BEAUMONT-SUR-SARTHE
OU LE-VICOMTE,
bourg de France (Sarthe), ch.-l. de cant., ar-
rond. et à 26 kil. S.-O. de Mamers, sur la
Sarthe; pop. aggl. 1,775 hab. — pop. tôt.
2,188 hab. Elève de bestiaux, volailles et
abeilles ; fabriques de toiles, cotonnades, cali-
cots, couvertures. On y remarque les restes
de l'ancien château, servant aujourd'hui de
prison; l'église paroissiale, d'architecture ro-
mane, avec ornementation grotesque; une
tombelle celtique, l'une des plus considérables
de France, et dont on a fait une charmante
promenade, dominant le cours de la Sarthe,
que l'on traverse sur un pont suspendu de
15 m. d'élévation au-dessus du niveau de
l'étiage.
Beaumont était autrefois le chef-lieu d'une
vicomte qui appartenait, au xe siècle, aux
comtes du Mans. La postérité de ces comtes
s'éteignit dans les mâles au milieu du xme siè-
cle. Le dernier, Richard, eut pour héritière
Agnès de Beaumont, sa sœur, qui avait épousé
Louis de Brienne, troisième fils de Jean de
Brienne, roi de Jérusalem et empereur de
Constantinople. Louis de Brienne laissa une
lignée qui s'éteignit dans les mâles pendant
la seconde moitié du xive siècle. Marie de
Brienne, vicomtesse de Beaumont, fille unique
et héritière de Jean de Brienne, deuxième du
nom, épousa Guillaume Chamaillart, dont la
fille Marie porta la vicomte de Beaumont
dans la maison d'Alençon, par son mariage
avec Pierre, comte d'Alençon. Françoise,
sœur de "Charles, duc d'Alençon, héritière de
sa maison, la porta à son tour dans la maison
de Bourbon, par son mariage avec Charles de
Bourbon, duc de Vendôme, et obtint, étant
veuve, l'érection de la vicomte en duché, pour
elle et ses successeurs mâles et femelles, par
lettres patentes du roi François Ier de l'an 1543.
De Antoine de Bourbon, fils aîné de Charles,
le duché passa à Henri IV, fils d'Antoine,, le-
quel, à son avènement au trône, le réunit à la
couronne.
BEAUMONT, nom d'une des familles les
plus-anciennes du Dauphiné, car elle remonte
a Humbert 1er de Beaumont, qui vivait vers
1080. Au commencement du xive siècle, cette
famille se divisa en deux branches, formées
par deux des fils d'Artaud, seigneur de Beau-
-mont et de la Freyte. La branche aînée, dont
l'auteur fut Artaud IV,"seigneur de la Freyte
et de Beaumont au xive siècle, se divisa en
deux rameaux, celui d'Autichamp et celui des
Adrets, auquel appartient le fameux baron
des Adrets (v. ce nom), et dont sont encore
sorties plusieurs subdivisions. La branche
cadette a été formée par Amblard de Beau-
mont, mort en 1375, et s'est également subdi-
visée en plusieurs rameaux.
BEAUMONT (Geoffroy DE), prélat français,
né à Bayeux, mort en 1213. Lorsque le frère
de saint Louis, Charles d'Anjou, alla prendre
possession du royaume de Naples, il emmena
avec lui Geoffroy de Beaumont, dont il fit son
chancelier. Celui-ci lui fut fort utile, et parvint
à réunir à Mantoue un corps important de ca-
valerie, qu'il conduisit lui-même au roi (1265).
De retour en France, il fut appelé à l'évôché
de Laon et nommé pair du royaume.
BEAUMONT (Jean DE HAINAUT, sire DE),
frère du comte de Hainaut Guillaume 1er, dû
le Bon, mort en 1356. Chargé de reconduire
en Angleterre Isabelle, femme d'Edouard II,
il assista à la déposition de ce prince, au cou-
ronnement de son fils Edouard III (1327), et
aida puissamment ce dernier à triompher des
Ecossais, qui lui avaient déclaré la guerre.
Lorsqu'il quitta l'Angleterre, Philippe de Va-
lois parvint à se l'attacher (1345), et de Beau-.
mont assista près de lui aux batailles de
Blanche-Taque et de Crécy. Dans cette der-
nière journée, le cheval du roi ayant été tué,
le sire de Beaumont mit pied à terre, donna
sa monture à Philippe, et continua à se battre
vigoureusement à pied. Il fut aussi habile po-:
litique que vaillant homme de guerre, et se
montra le protecteur des poètes et des sa-
vants, notamment de Jean le Bel, chanoine de
Saint-Lambert à Liège. Il était ami de Frois-
sart, à qui il témoigna la plus grande affec--
tion, et qui, de son côté, parle de lui avec les
plus grands éloges.
BEAUMONT (Amblard DE), mort en 1375,
s'est surtout fait connaître par la part qu'il a
Brise au traité par lequel la possession du
auphiné fut assurée à la France. Le dernier
dauphin du Viennois, Humbert II, ayant perdu
son fils, résolut de céder ses Etats a un prince
assez riche pour payer les nombreuses dettes
qu'il avait contractées. Il se trouvait en pour-
parlers avec le roi de Naples, qui possédait
déjà la Provence, lorsque Amblard de Beau-
mont, favori du dauphin, s'employa pour que
cette cession fût faite au roi de France. En-
voyé en ambassade auprès de Philippe de
Val iois, il mena à bien de longues et pénibles
négociations, et enfin, par le traité de Ro-
mans (1349), Humbert déclara abdiquer et
remettre son pouvoir à Charles le Sage, petit-
fils de Philippe de Valois, qui fut plus tard
Charles V. Beaumont conserva tout son crédit
auprès du nouveau dauphin, et administra
pendant vingt-deux ans les affaires de son
pays.
BEAUMONT (Simon-Herbert, VAN), poète,
botaniste et homme politique hollandais, nS
en 1574, mort en 1654. Il représenta plusieurs
fois les états généraux de son pays auprès des
cours de Pologne, de Danemark et de Suède,
occupa le poste de secrétaire des Etats, et
employa ses heures de loisir, soit à composer
des poésies latines, réunies sous le titre de
Poemata (in-4°), soit à s'adonner à son goût
pour les plantes rares. Il dépensa, en effet,
des sommes considérables pour introduire en.
Hollande des végétaux exotiques, qui enrichi-
rent son jardin de La Haye et le jardin bota-
nique d'Amsterdam. Linné, dans la préface
de son Hortus cliffortianus, fait le plus grand
éloge de van Beaumont.
BEAUMONT et FLETCHEB, poètes drama-
tiques anglais, le premier, né en 1585, mort
en 1615 ; le second, né en 1576, mort en 1625.
Ils ont laissé un grand nombre de tragédies
et de comédies, où ne manquent ni la vigueur
ni l'originalité. On connaît l'anecdote des deux
poëtes, attablés dans une taverne et méditant
le plan d'une tragédie. Tout à coup, Fletcher
se lève d'un air inspiré en s'écriant : a Je me
charge de l'assassinat du roi! » L'hôtelier
effrayé court les dénoncer au shérif, qui rît
de grand cœur du quiproquo, quand il eut dé -
couvert que les deux coupables ne conspi-
raient qu'en cinq actes et en vers. Les deux
poëtes, qui, depuis leur première liaison à
l'université de Cambridge, ne cessèrent de
travailler en commun pour le théâtre, pren-
nent rang après Shakspeare comme auteurs
tragiques, et sont regardés comme les fonda-
teurs de la comédie d'intrigue en Angleterre.
Parmi leurs pièces qui ont eu le plus de succès,
on cite les Coups du sort (The Chances) et
celle dont on peut ainsi traduire le titre :
Sachez diriger une femme avant de vous ma-
rier (Rule a wife and hâve a wife). On trouve
dans les Chefs-d'œuvre des théâtres étrangers
(Paris, 1823) la traduction de quelques co-
médies de Beaumont et Fletcher. L'édition
la plus estimée de leurs Œuvres complètes est
celle de Londres (1844, il vol.).
BEAUMONT (Basile), amiral anglais, né en
1669, mort en 1703. Il se distingua par la
guerre acharnée qu'il fit aux corsaires, dont
il capturait et brûlait les vaisseaux, et se fit
également remarquer lors du blocus du port
de Dunkerque. Ayantreçu l'ordre de se rendre
à Rotterdam, il fut assailli par une tempête si
violente, que, de mémoire d'homme, on n'en
avait vu de pareille. Le pont de Londres fut
emporté par les vagues, la ville de Bristol
submergée, trente navires échoués, brisés ou
engloutis, et parmi eux celui que montait
l'amiral Beaumont.
BEAUMONT (Claude-François), peintre, né
à Turin en 1696, mort en 1766. Après avoir
achevé ses études artistiques, il revint à. Tu-
rin, fut nommé par Charles-Emmanuel III
peintre de son cabinet, et appelé à la direction
de l'Académie de peinture. Ses plus belles
productions sont dans la galerie du palais de
Turin qui a conservé le nom de Galerie
Beaumont, et les tableaux de Saint Charles
Borromée donnant la communion à des pesti-
férés et du Saint Sépulcre.
BEAUMONT {Christophe DE), archevêquede
Paris, né dans le Périgord en 1703, mort en
1781. Nommé évêque de Bayonne en 1741, il
passa à l'archevêché de Vienne en 1745, et,
l'année suivante, Louis XV le força, malgré
sa résistance, à accepter le siège de Paris,
qu'il conserva jusqu'à sa mort. En 1750, il
reçut le titre de duc et pair de Saint-Cloud,
et fut élu proviseur de Sorbonne en 1759.
Arrivé au siège de Paris au moment où la cé-
lèbre bulle Unigenitus, acceptée par la Sor-
bonne et par l'immense majorité des évêques,
trouvait encore, chez un grand nombre de
Êrêtres jansénistes, une vive résistance, de
eaumont eut, pendant les trois quarts de son
épiscopat, à soutenir contre ces derniers une
lutte opiniâtre, dans laquelle il fut entraîné à
des rigueurs intempestives. Ses différends
avec les philosophes ne furent pas moins vifs. -
Il publia contre eux un grand nombre de
mandements et d'instructions pastorales, jus-
qu'au moment où Louis XV l'exila, pour mettre
un terme à son conflit avec le ministère.
J.-J. Rousseau répondit à un de ses mande-
ments par sa fameuse Lettre à M. de Beau-
mont. Ce prélat, malgré la véhémence de son
zèle, se fit universellement vénérer par sa
charité inépuisable, par une générosité vrai-
ment héroïque envers des hommes qui l'avaient
le plus cruellement offensé. On a de lui un
Recueil de mandements, lettres et instructions
pastorales (de 1747 à 1779, 3 vol. in-4°).
BEAUMONT ( Pierre-François ), graveur
français, né en 1719, obtint le titre de graveur
ordinaire de la ville de Paris, et mourut dans
cette ville en 1769. Il faisait le commerce des
estampes et tenait boutique au milieu du pont
Notre-Dame, à l'enseigne du Griffon couronné.
M. Ch. Blanc croit qu il eut pour maître Gas-
pard Duchange, et il a enregistré sous sca nom
27 estampes, gravées a l'eau-forte et au bu-
rin, parmi lesquelles : l'Apparition de l'ange
aux bergers, une Balte de cavalerie, une
Course de bague flamande, un Défilé de cava-
lerie, le Maréchal, la Pêche, le Repos, le
Voyageur altéré, etc., d'après Ph. "Wouwer-
mann ; une Vue de Flandre, un Port de mert
les Ruines de Tivoli, d'après Jean Breughel;
le Joueur de musette, d'après Jean Miel ; YOri~
gine du feu, la Pudeur et quatre sujets de
Chasse, d'après Noel-Nic. Coypel-, le portrai*
414
de Mme Favart en pèlerine, etc. Basan donne
à cet artiste le prénom d'Eustache, qui ne se
trouve sur aucune des estampes que nous ve-
nons de citer, tandis que plusieurs portent
une dédicace signée : P.-F. Beaumont.
BEAUMONT (Antoine-François , vicomte
DE), officier de marine français, né en 1753,
mort en 1805. Chef d'escadre en 1781, il se
signala par la prise de la frégate anglaise le
Fox. Député de la noblesse aux états géné-
raux de 1789, il protesta avec énergie contre
le décret qui abolissait la noblesse. Il émigra
ensuite,d'abord en Angleterre, puis en Russie,
et ne revint en France que sous le consulat.
BEAUMONT (George-Howland), peintre an-
glais, né à O'Dunmow, dans le comté d'Essex,
en 1753, mort en 1827. Il descendait de l'an-
cienne famille des Beaumont, qui figurèrent
aux croisades et qui s'allièrent aux royales
maisons de France et d'Angleterre. Dès sa
jeunesse, il montra un goût très-vif pour la
Îioésie, le théâtre et les arts, et reçut quelques
eçons de peinture de Wilson. Marié en 1778
à la petite-tille de lord Welles, il partit pour
l'Italie en 1782, et ce fut là que son admiration
pour Claude le porta vers la peinture de
paysage. Il fit preuve, d'ailleurs, d'un talent
assez ordinaire ; mais si l'école anglaise ne le
compte pas parmi ses illustrations, elle doit
beaucoup du moins à son patronage aussi
éclairé que persévérant. Revenu d'Italie, sir
George Beaumont se fixa dans son château
de Coleorton-Hall, dans le Leîcestershire. où,
pendant une longue existence, il offrit l'hos-
pitalité aux artistes et aux écrivains de son
temps. Il fut l'ami de Reynolds, de Gainsbo-
rough, de West, de Constable, de Louis
David, de Canova. Daus les différents voyages
qu'il fit sur le continent, il collectionna des
tableaux anciens et modernes, des marbres,
des curiosités, et fut un des fondateurs de la
National Gallery, à laquelle il donna seize ta-
bleaux, dont quatre Claude, un Poussin, deux
Rembrandt, un Rubens, etc. On voit, à cette
galerie, deux tableaux peints par lui.
BEAUMONT (Jean-François-Albanis), anti-
quaire, agronome et géographe, né à Cham-
béry vers 1755, mort en 1812. Après avoir
fait ses études à l'école de Mézières, il fut
nommé, en 1775, ingénieur de 2° classe a Nice,
où il connut le duc de Glocester, frère du roi
d'Angleterre. Ce prince, frappé du mérite de
Beaumont, s'efforça de se l'attacher et le dé-
cida à l'accompagner en Italie, en Allemagne,
en Suisse, et enfin en Angleterre, où il lui
confia l'éducation de ses enfants. Beaumont
se retira ensuite dans une terre qu'il possé-
dait à Vernay près de Genève, et partagea
son temps entre l'étude des sciences et l'agri-
culture. Les progrès qu'il fit faire, en ce pays,
à diverses parties de l'économie rurale, no-
tamment l'introduction du mérinos d'Espagne,
lui valurent, en 1808, une médaille d'or décer-
née par Napoléon. On a de lui un assez grand
nombre d'ouvrages, de récits de voyages, de
mémoires, etc., parmi lesquels nous citerons :
Voyage historique et pittoresque de la ville et
du comté de Nice (Genève, 1787, in-fol.) et
Description des Alpes grées et cottiennes
ou Tableau historique et statistique de la Sa-
voie (Paris, 1802).
- BEAUMONT (Claude-Etienne), architecte,
né h Besançon en 1757, mort en 1811. Il a
construit la salle du Tribunat, oui lui valut
des prix décennaux, et le Théâtre des "Variétés.
Lorsque le gouvernement impérial eut résolu
de transformer l'église de la Madeleine en
Temple de la Gloire, ses plans furent agréés,
et il reçut 10,000 fr. d'honoraires; mais on
chargea un autre architecte de la construction
de cet édifice. Le chagrin qu'il ressentit de
cette injustice hâta sa mort.
BEAUMONT (.Adalbert de) , littérateur et
peintre français contemporain. Il a exposé en
1838 une Vue intérieure de la cathédrale de
Drontheim; en 1841, une Vue de l'hôtel de
ville d'Utrecht (aquarelle) et une marine. Il a
écrit dans divers journaux et revues d'inté-
ressants articles sur des questions d'art.
BEAUMONT (Edouard-Charles DE) , peintre
et lithographe français contemporain, né à
Lannion vers 1815, élève de Boisselier. 11 a
commencé par peindre des paysages et en a
exposé aux Salons de 1838, 1839 et 1840. Il
s'est ensuite adonné à. la peinture de genre et
a produit, entre autres ouvrages : les Bohé-
miens (Salon, 1853) ; les Ecueils de la vie (Sa-
lon, 1855); les Femmes chassant la vérité (Sa-
lon, 1864). Mais c'est surtout par un grand
nombre de dessins et de lithographies que cet
artiste s'est fait connaître.
BEAUMONT DE LA BONNINIERE (Marc-
Antoine, comte DE), général français, né en
1763, mort en 1830. D'abord page de Louis XVI,
puis capitaine de cavalerie, il adopta les prin-
cipes de la Révolution et devint colonel du
5<Ï dragons en 1793. Ayant été envoyé à Lyon,
il fut arrêté comme suspect, condamné h
mort, et il allait être exécuté, lorsque, devant
l'attitude menaçante de ses dragons, les pro-
consuls jugèrent prudent de lui rendre la
liberté. Quelque temps après, il partit pour
l'Italie, où il se distingua sous le commande-
ment de Masséna, de Schérer et de Bona-
arte, particulièrement à Lodi, à Mantoue et
Marengo. Nommé successivement général
de brigade, général de division en 1803, séna-
teur et écuyer de Madame mère, il figura
honorablement aux batailles d'Austerlitz,
d'Iéna et de W'agram, fut appelé en 1814 à
siéger à la Chambre des pairs, servit Napo-
léon pendant les Cent-Jours et se battit à
-Waterloo. Il n'en fut pas moins conservé sur
la liste des pairs, lors de la seconde Restaura-
tion. Beau-frère et ami dévoué de Davoust,
le général de Beaumont a été inhumé dans le
même tombeau que le maréchal.
BEAUMONT DE LA BONNINIERE (Gustave-
Auguste DE), publiciste et homme politique,
né à Beaumont-la-Chartre (Sarthe) en 1802,
mort en 1806. Il était procureur du roi lorsque,
en 1831, il fut chargé, de concert avec M. de
Tocqueville, d'aller aux Etats-Unis étudier le
système pénitentiaire. A son retour, il fut
destitué pour avoir refusé de représenter le
ministère public dans le procès de la baronne
de Feuchères contre la famille de Rohan.
Elu député de la Sarthe en 1839, il s'occupa
beaucoup des chemins de fer et des intérêts
dé l'Algérie. Sur les questions politiques, il
votait avec la gauche dynastique. Il a siégé
dans toutes les assemblées politiques jusqu'en
1852. A l'*Assemblée constituante, il fit partie
du comité de constitution, vota avec les répu-
blicains modérés, remplit l'ambassade de Lon-
dres dans l'administration du général Cavai-
nac, puis celle de "Vienne pendant la durée
u ministère Odilon Barrot. Au 2 décembre,
il fut un des représentants qui se réunirent a
la mairie du 10e arrondissement pour protester
contre la dissolution de l'assemblée. Arrêté et
enfermé un moment au fort du mont Valérien,
il a vécu depuis dans la retraite. M. Gustave de
Beaumont, qui est membre de l'Académie des
sciences morales et politiques depuis 1841, a
publié, outre le travail sur le Système péni-
tentiaire aux Etats-Unis (1833), fait en colla-
boration avec M. de Tocqueville, divers écrits
de politique ou d'économie et deux ouvrages
qui ont été couronnés par l'Académie : Marie
ou l'Esclavage aux États-Unis (1835); l'Ir-
lande sociale, politique et religieuse (1839 et
1842). Ces livres sont remplis d'idées libérales,
et respirent la plus noble sympathie pour les
opprimés.
Il a édité les œuvres posthumés et la corres-
pondance de son ami de Tocqueville."En 1863,
à l'exemple de quelques-uns de ses anciens*
collègues de l'ancienne Chambre des députés
et des anciennes Assemblées constituante et
législative, M. de Beaumont essaya d'entrer
dans le Corps législatif. Il obtint seulement le
tiers des suffrages.
BEAUMONT, DE LA.-SOMME (Félix-Bellator,
comte DE), homme politique, né à Paris en
1793, mort en 18G6. Il fit les dernières campa-
nes de l'empire, et représenta le département
e la Somme à la Chambre des députés, sous
Louis-Philippe comme membre de l'opposi-
tion, puis à la Constituante et à la Législative
de la République, dans les rangs de Ta coali-
tion monarchique. Il a été appelé au Sénat en
1852.
Au Sénat, M. de Beaumont n'a pris qu'une
part très-restreinte aux grandes discussions.
Comme rapporteur, il a contribué à faire re-
pousser par l'ordre du jour, dans la session de
1805, une pétition qui demandait la translation
en France des restes du roi Charles X. Il a
demandé également que les Polonais obligés
de se réfugier en France fussent, autant que
possible, employés dans les services publics.
BEAUMONT (Jean-Baptiste-Armand-Louis-
Léonce ELIE DE), géologue français, secré-
taire perpétuel de l'Académie des sciences,
sénateur, né à Canon (Calvados) le 25 sep-
tembre 1798. Après de brillantes études faites
à l'Ecole polytechnique et à- celle des mines,
il fut nommé ingénieur des mines (1824), pro-
fesseur de géologie, à l'Ecole des mines d'a-
bord (1829), et plus tard au Collège de France
(1832), ingénieur en chef (1833), et enfin in-
specteur général de lrc classe. Elu successi-
vement correspondant de l'Académie de Berlin
1827), membre de la Société philomathique
1829), associé étranger de la Société royale
de Londres (1825), membre de l'Académie des
sciences en remplacement de Claude Lelièvre
le 21 décembre de la même année, il est se-
crétaire perpétuel de cette Académie depuis la
mort d'Arago. Le second empire l'a fait séna-
teur et grand-croix de la Légion d'honneur.
On voit que le mérite de M. Elie de Beaumont
n'a pas été méconnu, et que les honneurs n'ont
pas manqué à sa carrière de savant. Jetons un
coup d'œil sur cette carrière.
Les premiers écrits de M. Elie de Beau-
mont se rapportent à la métallurgie. Nous ci-
terons : une Notice sur les mines de fer et les
forges de Framont et de Rothau (Vosges), in-
sérée dans les Annales des mines (1822); et
l'article Mines du Dictionnaire des sciences
naturelles, réimprimé en 1824 sous le titre :
Coup d'œil sur les mines. En 1823, le directeur
général des ponts et chaussées et des mines,
M. Becquey, ayant conçu le projet de faire
préparer les documents nécessaires pour dres-
ser une carte géologique de la France, M. Elie
de Beaumont fut chargé, conjointement avec
M. Dufresnoy, d'aller étudier en Angleterre
les travaux du même genre, qui venaient
d'être exécutés dans ce pays Les observations
recueillies dans ce voyage furent publiées par
les deux savants dans les Annales des mines,
puis dans l'ouvrage spécial intitulé : Voyage
métallurgique en Angleterre ou Recueil de
mémoires sur le gisement, l'exploitation et le
traitement des minerais d'étain, de cuivre, de
plomb, de zinc et de fer dans la Grande-Bre-
tagne(lB2l). En 1825, MM. Elie de Beaumont
et Dufresnoy commencèrent les longs travaux
d'exploration géologique qui devaient doter
notre pays d'une œuvre scientifique vraiment
monumentale, de la Carte géologique de
France. Cette carte n'a pas moins de 7 à 8 m.
de largeur; on en a vu, a l'Exposition univer-
selle de 1855, un magnifique fragment sorti
des ateliers de l'Imprimerie impériale. A partir
de 1325, M. Elie de Baumont s'occupa pres-
que exclusivement de géologie. Il a publié
sur différents points de cette science une foule
de mémoires dans les Annales des mines, les
Annales des sciences naturelles, le Bulletin de
la Société géologique de France, les Comptes
rendus de l'Académie des sciences. Parmi ces
mémoires, nous signalerons : Observations sur
les différentes formations qui, dans le système
des Vosges, séparent la formation houillère de
celle du lias (Annales des mines, 1827) ; Notice
sur la ceinture jurassique du grand bassin
géologique qui comprend Londres et Paris
(Annales des sciences naturelles, 1829); Re-
cherches sur quelques-unes des révolutions de
la surface du globe (Annales des sciences na-
turelles, 1829-1830); Mémoire sur l'étendue du
système tertiaire inférieur dans le nord de la
France (Bulletin de la société géologique,
1832); Origine et structure du mont Etna
(Comptes rendus de l'Académie des sciences,
1835) ; Formation du cône du Vésuve (Comptes
rendus de l'Académie des sciences, 1837).
M. Elie de Beaumont est, parmi les géolo-
gues modernes, un de ceux dont les travaux
et les idées ont eu le plus d'influence sur la
marche et les progrès de la science. Il a
transformé la théorie du soulèvement des
montagnes, qui appartient à Léopold de Buch,
en une doctrine complète et précise, grâce h
-laquelle on a pu déterminer l'âge relatif des
chaînes de montagnes et des terrains, l'époque
de leur formation, reconnaître les modifica-
tions que chaque nouvelle révolution du
globe apportait dans la forme des mers et des
continents, et dresser des cartes géologi-
ques correspondant à ces âges, qui précédè-
rent peut-être de plusieurs myriades de siè-
cles l'apparition de l'homme sur la terre. Ces
résultats, qui paraissent merveilleux, sont
éUblis sur des témoignages qu'il est toujours
facile d'interroger et qui ne sauraient être
suspects de mensonge; ils supportent jusqu'à
l'épreuve du calcul mathématique, et l'on
peut les tenir pour beaucoup plus certains
qu'un grand nombre de chapitres de l'his-
toire ancienne. Ils sont consignés surtout dans
deux écrits qui appellent particulièrement
notre attention : les Recherches sur quelques-
unes des révolutions de la surface du globe
(1829-1830) et la Notice sur les systèmes de
montagnes (1849-1852).
Le mémoire contenant les Recherches sur
quelques-unes des révolutions de la surface du
globe fut lu par extraits à l'Académie des
sciences le 22 juin 1829, et parut in extenso
dans les Annales des sciences naturelles
(t. XVIII et XIX, 1829 et 1830). L'idée neuve
et féconde qu'il mettait en lumière était celle
d'une corrélation entre le redressement des
couches de certains systèmes de montagnes
et les changements soudains qui ont produit
les lignes de démarcation qu'on observe entre
certains étages consécutifs des terrains de
sédiment. Il appuyait cette corrélation sur un
certain nombre d'exemples fournis par les
observations les plus positives, et de ces
exemples s'élevait à une généralisation que
devaient légitimer toutes les observations
ultérieures. On peut résumer de la manière*
suivante les conclusions de cet important tra-
vail :
On ne peut attribuer à des modifications
lentes et progressives la totalité des change-
ments survenus à la surface du globe; il faut
nécessairement admettre des révolutions su-
bites, qui sont venues presque périodiquement
renouveler l'état de cette surface. Les faits
que présentent à notre observation les ter-
rains de sédiment se divisent en deux classes
distinctes : l'une comprenant les faits relatifs
à la marche tranquille et progressive qu'a
suivie l'accumulation de chacun des dépots,
et l'autre renfermant les faits relatifs aux
interruptions subites qui ont établi des lignes
de démarcation entre les divers dépôts consé-
cutifs. Ces interruptions subites, qui ont re-
nouvelé périodiquement la population animale
et végétale de chaque contrée, coïncident avec
l'apparition de certaines chaînes de monta-
gnes dont les couches redressées présentent
la même direction. C'est par cette identité de.
direction des couches redressées et des arêtes
que ces couches constituent, et non par l'iden-
tité de nature des roches qui en forment le
noyau, qu'on peut juger cjue deux montagnes
se sont formées à la même époque, ont le
même âge. La coïncidence d'époque, de date
entre le redressement des couches des divers
systèmes de montagnes et les diverses révo-
lutions géologiques qui ont séparé les étages
consécutifs des terrains de sédiment, indique
évidemment qu'une même cause a produit les
deux espèces de phénomènes, mais doit être
considérée comme un fait indépendant des
hypothèses qu'on peut faire sur cette cause.
En admettant ce fait, on reste libre, à la ri-
gueur, de choisir entre l'hypothèse de Deluc,
qui expliquait le redressement des couches
par l'affaissement d'une partie de l'écorce du
globe, et l'hypothèse généralement admise,
d'après laquelle les couches secondaires qu'on
trouve redressées dans les chaînes de monta-
gnes l'ont été par le soulèvement des masses
de roches primitives, qui constituent généra-
lement leur axe central et leurs principales
sommités. Quoi qu'il en soit, il faut rejeter
îo l'idée que toutes les chaînes de montagnes
se seraient formées en même temps ; 2<> celle
d'un nombre presque illimité de soulèvements
partiels, arrivés à des époques réparties sans
règles fixes dans toute la durée des périodes
géologiques. Il faut admettre que chaque sys-
tème de montagnes, caractérisé par une cer-
taine direction, a été produit d'un seul jet
entre deux périodes de tranquillité.
La Notice sur les systèmes de montagnes
n'est autre chose que l'article Systèmes de
montagnes du Dictionnaire des sciences natu-
relles de M. Ch. d'Orbigny, article publié en
ouvrage séparé, avec d'importantes additions,
en 1852. La doctrine de M. Elie de Beaumont
y est présentée sous sa forme définitive.
Elle nous apparaît clairement comme le
lien de deux grandes conceptions introduites
successivement, et indépendamment l'une de
l'autre, dans la géologie, celle d'une suite de
révolutions violentes et celle de la formation
des chaînes de montagnes par voie de soulè-
vement. « Il était naturel de se demander,
nous dit l'auteur, si des chaînes de montagnes
ont pu se soulever sans produire sur la sur-
face du globe de véritables révolutions ; si les
convulsions qui n'ont pu manquer d'accompa-
gner le surgissement de masses aussi puis-
santes, et d'une structure aussi tourmentée
que les hautes montagnes, n'auraient pas été
la même chose que les révolutions de la sur-
face du globe constatées d'une autre manière
par l'observation des dépôts de sédiment et des
races aujourd'hui perdues, dont ils recèlent
les débris ; si les lignes de démarcation qu'on
observe dans la succession des terrains, et à
partir de chacune desquelles le dépôt des sédi-
ments semble avoir recommencé sous des in-
fluences nouvelles, ne seraient pas tout sim-
plement les résultats des changements opérés
dans les limites des mers par les soulèvements
successifs des montagnes.» Ainsi,les révolu-
tions géologiques sont les effets ; les soulève-
ments des montagnes sont les causes. Ce sont
les montagnes qui nous donnent la clef do
l'histoire du globe. En cherchant à coordon-
ner les éléments du vaste ensemble de carac-
tères par lesquels la main du temps a gravé
cette histoire du globe sur sa surface, M. Elie
de Beaumont a trouvé que les montagnes sont
les lettres majuscules de cet immense manus-
crit, et que chaque système de montagnes en
comprend un chapitre.
BEAUMONT (EON DE). V. EON.
BEAUMONT (Mm° LEPRINCE DE). V. LE-
PRINCE.
BEAUMONT (LEPREVÔT DE). V. LEPRÊVUT.

BEAUMONT-VASSV
(Edouard-Ferdinand ,
vicomte DE), publiciste et littérateur, cousin
de M. Gustave de Beaumont, né au château
de la Mothe-Souzay en 1816. Il fut attaché à
l'ambassade de Suède, sous Louis-Philippe et
remplit les fonctions de maître des requêtes au
conseil d'Etat de 1852 à 1855, ainsi que celles
de préfet de Laon de 1851 à 1853. Des opéra-
tions financières auxquelles il prit part lui at-
tirèrent en 1859 une condamnation à deux
années d'emprisonnement. M. de Beaumont-
Vassy a publié des romans, parmi lesquels
nous citerons : une Marquise d'autrefois (1833,
in-8°); Don Louis (1839, in-8°); un dernier
rêve de jeunesse (1852); des brochures politi-
ques dirigées contre la révolution : la Politi'
que des honnêtes gens (1851); la Préface du
2 décembre (1853); enfin, divers ouvrages,
dont les principaux sont : les Suédois depuis
Charles XII (1841, 2 vol. in-8°); Histoire des
Etats européens depuis le congrès de Vienne
(1843-1853, 6 vol.); Histoire de mon temps
(1855-1858, 4 vol. in-8o), c'est un panégyrique
du règne de Louis-Philippe, etc.

BEAUMONTIE
s. f. (bo-mon-ti — àù Beau-
mont, n. pr.) Bot. Genre de plantes grimpan-
tes, de la famine des apocynées, tribu des
échitées, comprenant deux espèces qui crois-
sent dans l'Inde : La BEAUMONTIE à grandes
fleurs est une des plantes favorites de nos ser-
res chaudes. (C. Lemaire.)

BEAUMONTITE
s. f. (bo-mon-ti-te — do
Beaumont, nom d'homme). Miner. Substance
transparente, d'un blanc jaunâtre, aui so
présente en petits prismes quadrangulaires,
et qui a été ainsi appelée en l'honneur de
M. Elie de Beaumont. C est un silicate hydraté
d'alumine et de chaux, qui se trouve .aux en-
virons de Baltimore, aux Etats-Unis.
— Encycl. Dans la beaumontite, tous les
cristaux offrent deux sommets et sont étroi-
tement] engagés les uns dans les autres.
Ils se clivent facilement, parallèlement aux
faces latérales de la forme primitive, mais
mieux parallèlement à une des faces que pa-
rallèlement à l'autre; cette plus grande faci-
lité correspond à un état nacré particulier.
Cette différence dans le clivage et dans l'éclat
pourrait faire supposer que le prisme est sim-
plement rectangulaire. La couleur des cris-
taux de beaumontite est le blanc jaunâtre ; ils
sont translucides ; leur dureté est à peu près
la même que celle de la chaux phosphatée.
Leur densité est égale à 2,24. Dans le tube
fermé, la beaumontite donne de l'eau, blan-
chit, gonfle et devient farineuse. Sur le fil de
platine, elle produit une perle blanche et opa-
line. Elle résiste aux acides, ce qui paraît en
445
opposition avec les caractères qu'elle pré-
sente au chalumeau, et qui sont ceux des
zéolithes; cependant, en poudre fine, l'acide
sulfurique la décompose complètement, et la
silice se sépare à l'état grenu. Les cristaux
de beaumontite sont associés avec des cristaux
d'un jaune brunâtre; ils forment une petite
couche sur une roche granulaire composée,
en grande partie, de grains de quartz et de
haydénite.
- BEAUMULICE s. f. (bo-mu-li-se). Bot. Syn.
de réaumurie.
REAUNE {Belna), ville de France (Côte-d'Or),
ch.-l. d'arrond. et de deux cant., à 38 kil, S.-O.
de Dijon, 352 kil. S.-E. de Paris, sur la Bou-
zoise et le chemin de fer de Paris à Lyon ;
pop. aggl. 9,940 hab. — pop. tôt. 10,710 hab.
L'arrond. comprend 10 cant., 199 comm. et
120,510 hab. Tribunaux de lre instance, de
commerce et de justice de paix; collège com-
munal ; bibliothèque. Tonnellerie, fabriques de
fécule, draps, serges, vinaigre, huile, tablet-
terie, teinturerie, tanneries, tuileries,*rafnne-
rie de sucre. Récolte et grand commerce de
vins de premier choix; grains, bestiaux, vi-
naigres; pépinières d'arbres à fruits.
Beaune, située au pied d'un coteau fertile
en excellents vins, est bien bâtie, percée de
rues droites, propres et rafraîchies par les
eaux de fontaines abondantes; les remparts,
plantés de beaux arbres, offrent d'agréables
promenades. L'intérieur de la ville renferme
plusieurs édifices dignes d'attirer l'attention.
En première ligne se place l'église collégiale
de Notre-Dame, monument historique qui offre
un mélange de tous les styles depuis le
xnc jusqu'au xve siècle. On y remarque sur-
tout le porche et ses trois portails; les six
vantaux en bois des trois portes occidentales,
du xme siècle ; la tour du transsept ; le chœur,
avec chapelles circulaires ; la chapelle du bas
côté sud et la tribune de l'orgue, du xve siècle ;
l'Adoration du Sacré-Cœur de Le Brun; de
beaux bas-reliefs Renaissance, et une magni-
fique tapisserie du xve siècle. L'église Saint-
Nicolas date du xiv« siècle; le clocher paraît
avoir été copié sur la tour 'du transsept de
Notre-Dame, et se termine par une flèche
carrée en pierre. Le portail de l'ancienne cha-
pelle des Templiers, où Jacques Molayfut ad-
mis à faire partie de l'ordre, subsiste encore
au faubourg Saint-Jacques. Mais le monument
dont cette ville peut être fière, c'est son hôpi-
tal, bâti en 1443 aux frais d'un chrétien fervent
et généreux, le chancelier Nicolas Rollin, qui
le dota de 1,000 livres de rente. Cet édifice est
tel que le xve siècle nous l'a laissé, bien qu'il
soit en grande partie construit en bois. La
porte delà rue est protégée par un auvent à
trois arcades, à remparts garnis de feuilles
frisées en plomb, avec épis blancs et statuettes ;
la cour, d'un aspect riant, bien proportionnée,
avec son puits du xve siècle, son lavoir et sa
chaire, donnerait envie, dit M. Viollet-Leduc,
de tomber malade à Beaune ; les lucarnes des
toits a hauts pignons sont surmontées de gi-
rouettes en plomb finement découpées- une
dentelure d'épis du même métal orne 1 arête
du toit, surmonté d'un clocher plein de grâce
et de légèreté. A l'intérieur, on remarque la
grande salle des malades; la salle Saint-
Hugues, décorée de peintures murales de 1682;
la cuisine, avec sa belle et large cheminée, ses
crémaillères et ses chenets en fer, ouvrage de
la fin du xve siècle; le beau carrelage de la
salle des archives, et enfin un magnifique ta-
bleau attribué à Jean de Bruges, représentant
le Jugement dernier. On remarque encore, à
Beaune : le beffroi de l'ancien hôtel de ville,
haute tour carrée, surmontée d'une toiture
aiguë, d'une lanterne et de petits clochetons
d'un aspect pittoresque; plusieurs jolies mai-
sons Renaissance, notamment la cour de la
place Monge ; deux énormes tours rondes,
seuls restes de l'ancien château fort, déman-
telé par Henri IV; enfin, la statue en bronze
-de Gaspard Monge, originaire de cette-ville.
Les inscriptions, les médailles et les frag--
ments de sculpture romaine, trouvés dans le
territoire de Beaune, prouvant que cette ville
remonte à la plus haute antiquité. Elle fut
érigée en commune en 1203. Les ligueurs s'en
emparèrent en 1585; mais les habitants, ré-
voltés contre eux, rendirent la ville à Henri IV
en 1595. La révocation de l'édit de Nantes
porta un coup mortel à son industrie, qui s'est
lentement relevée depuis.
- La renommée des vins de Beaune est très-
ancienne : Pétrarque écrivait très-sérieuse-
ment au pape Urbain V que le bon vin dont
Philippe le Hardi avait régalé la cour du pape,
en 1395, les retenait à Avignon;» ils ne peuvent
plus vivre sans le vin de Beaune, disait-il; il
est devenu pour eux un cinquième élément. »
- Beaune est encore très-connue par les plai-
santeries que le poëte Piron faisait contre ses
habitants, qu'il avait surnommés les ânes de
Beaune, et auxquels il prenait plaisir à couper
les vivres, plaisanteries qui ne tiraient pas à
conséquence, car on sait que l'esprit satirique
troupes.
BEAUi\E-LA-HOLANDE, bourg de France
(Loiret), ch.-l. ^e cant., arrond. et à 17 kil.
N.-E. de Eithiviers; pop. aggl. 1,057 hab. —
oop. tôt. 1,987. Commerce de cire, miel, sa-
tran, graines de trèfle et de luzerne. Ce
bourg paraît remonter à une haute antiquité ;
quelques auteurs pensent que son existence
est antérieure à la conquête romaine ; on voit
encore sur le territoire de cette commune une
voie ferrée, qu'on appelle communément le
chemin de César. Beaune, pendant le moyen
âge, subit le sort de beaucoup d'autres villes
du royaume ; elle fut dévastée par les Anglais,
qui en brûlèrent l'église, que Charles VII fit
rebâtir. Sous le sanctuaire est une crypte
spacieuse, où repose le corps de saint Pipe,
originaire de Beaune.

BEAUNE
(Jacques DE). V. SEMBLANÇAY.
BEAUNE (Renaud DE), prélat français, né à
Tours eh 1527, mort en 1606. Fils du baron de
Samblançay, il fut rétabli dans les biens et
honneurs de sa famille, embrassa la carrière
ecclésiastique, et fut successivement nommé
évèque de Mende (1568), chancelier du duc
d'Alençon (1572), archevêque de Bourges
(1581), grand aumônier (1591) et archevêque
de Sens (1596). Ce prélat parut avec éclat aux
états de Blois (1588) et aux conférences de
Surènes (1593), où il soutint les droits de
Henri IV, bien qu'il fût encore protestant. Le
pape Clément VIII, irrité de ce qu'il avait
donné l'absolution à Henri IV et proposé d'é-
tablir en France un patriarche, lut fit attendre
pendant six ans les bulles qui lui conféraient
l'archevêché de Sens. Doué d'un esprit péné-
trant et ferme, il frondait sans- pitié le zèle
extravagant des ligueurs, ce qui le fit accuser
par ces derniers d'athéisme. Il acquit un grand
renom comme orateur; mais les oraisons fu-
nèbres , les discours et les harangues qui
nous sont restés de ce prélat n'annoncent
qu'un écrivain fort médiocre.
BEAUNE (Florimond DE), mathématicien, né
à Blois en 1601, mort en 1652. Il a commenté
la géométrie de Descartes, laissé son nom à
un problème sur les courbes, qui n'a été com-
plètement résolu que par Bernouilli, e,t inventé
divers instruments d'astronomie. Beaune était
conseiller au présidial de Blois. On a de lui :
DeJEquationibuss, opuscuta duo, etc., publiés
dans la Géométrie latine de Descartes.

BEAUNIER
s. m. (bô-nié). Hortic. V. BEAU-
CRIER.

BEAUNOIR
(Alexandre-Louis-Bertrand Ro-
BINEAU, plus connu sous l'anagramme de), au-
teur dramatique, né a Paris en 1746, mort en
1823. Poussé par son goût pour la littérature,
il quitta la maison de son père, notaire à
Paris, qui voulait lui céder sa charge, prit
l'habit ecclésiastique et débuta par des vers
et des pièces pour les petits spectacles. Une
comédie en deux actes et en prose, l'Amour
quêteur, tirée d'une chanson libertine à la mode
et jouée sur le théâtre de Nicolet en 3777, eut
un grand succès et mit en relief le nom de
l'auteur. L'archevêque de Paris ordonna à
Robineau de désavouer cette pièce ou de
quitter le petit collet. Celui-ci prit ce dernier
parti, changea son nom de famille en celui de
Beaunoir, s'adonna à la composition d'un grand
nombre de pièces de théâtre, devint succes-
sivement directeur du théâtre de Bordeaux,
directeur des théâtres de Saint-Pétersbourg
pendant la Révolution, revint à Paris en 1804
et fut employé, sous la Restauration, dans là
. division littéraire du ministère de la police.
Beaunoir a alimenté tous les théâtres de PariSj
et quelques-unes de ses pièces ne manquent ni
d'esprit, ni de grâce, ni d'originalité. Les
meilleures sont, avec l'Amour quêteur, Vénus
pèlerine, comédie en un acte (1778, in-8°) ;
Jeannot ou les Battus ne payent pas l'amende
(1780); Jérôme pointu (178i); Fanfanet Colas
(1784); Eustache pointu {\"i%i)\Jeannette{\1%\) ;
Greuze, comédie-vaudeville (1813), etc. On lui
doit encore un Voyage sur leÈhin (1791) ; l'Arc-
en-ciel, fade poésie en l'honneur du duc de
Bordeaux ; un roman historique, intitulé Attila
(1823, 2 vol.), et un grand nombre de bro-
chures et de pamphlets politiques.
Beaunoir, comme beaucoup d'autres esprits
légers de ce temps, qui ne oomprepaient pas
la grandeur de l'époque au milieu de laquelle
ils vivaient, a manifesté presque autant d'opi-
nions politiques qu'il a composé de comédies,
et le nombre s'en élève à près de deux cents :
il fut successivement, sans parler des nuances,
révolutionnaire, bonapartiste et bourbonien,
même directeur général des théâtres de l'em-
pereur de Russie, et la mort seule l'empêcha
sans doute de chanter les louanges du gou-
vernement de Juillet et de rimer un nouvel
Arc-en-ciel sur la naissance du comte de Paris!
BEAUNOlSjOlSE s. et adj. (bô-noi, oa-ze).
Habitant de la ville de Beaune; qui appartient
à cette ville ou à ses habitants : Les plaisan-
teries qu'on a faites sur les BEAUNOIS ne de-
vraient jamais passer Dijon, où elles sont tou-
jours en possession de plaire. (M.-Brun.)

BEAU-PARTIR
s. m. (de beau et partir).
Manég. Beau départ du cheval; action de
courir en droite ligne jusqu'au but.

BEAU-PÈRE
s. m. (bô-pè-re — rad. beau et
père. V. l'étym. de BEAU-FILS). Le père du
mari par rapport à la femme, ou de la femme
par rapport au mari : Dès ce moment, je me mis
à respirer et à songer qu'il y avait au monde
l'antipode de notre BEAU-PÈRE. (Mffie de Sév.)
M. Oronte est le phénix des BEAUX-PÈRES.
(Le Sage.)
Est-ce ainsi que d'un gendre un beau-père est l'appui ?
CORNEILLE.
On respecte beaucoup sa chère belle-mère,
On la voit rarement, encor moins le beau-père.
VOLTAIRE.
il Le second mari d'une femme, par rapport
aux enfants que cette femme a eus de son pre-
mier mariage : Un BEAU-PÈRE est presque
toujours moins injuste pour ses beaux-fils
qu'une marâtre pour ses belles-filles, il PI.
BEAUX-PÈRES.

BEAOPLAN
(Guillaume LE VASSEUR, sieur
DE), géographe, né en Normandie au commen-
cement du XVIJC siècle, mort vers 1670. Il fut
longtemps capitaine d'artillerie en Pologne,
sous Sigismond IH et Ladislas IV. Chargé de
lever la carte de l'Ukraine, il y fonda plus de
cinquante bourgades. Mais la mort de Ladislas
l'obi gea à revenir en France, où il publia sa
Description de l'Ukraine (1650). Il fit aussi
paraître une carte du même pays, et d'Anville
en parle avec de grands éloges. Enfin, on lui
doit la première carte un peu détaillée de la
Normandie (1653),

BEAUPLAN
(Amédée-Louïs-Joseph ROUS-
SEAU DE), littérateur et auteur dramatique
français, né à Versailles (Seine-et-Oise), le
11 juillet 1790, mort à Puris le 24 décem-
bre 1853, était fils d'un maître d'armes des
enfants de France, qui périt sur l'éehafaud
à l'époque de la Révolution. Amédée Rous-
seau de Beauplan avait pour tantesM^eCam-
pan et Mme Auguier, toutes deux attachées
an service de la reine Marie-Antoinette. Une
des filles de M^e Auguier épousa le maré-
chal Ney. On voit que le jeune homme, fi-
dèle à ses attaches aristocratiques, devait,
par la force des choses, être imprégné des
idées monarchiques. Après avoir reçu une
éducation distinguée, mais superficielle, et
étudié la musique avec l'aimable laisser-aller
d'un amateur, Amédée de Beauplan se lança
dans la carrière littéraire. Il eut la modestie
. de bon goût de se borner à glaner des succès
dans le genre relativement facile de la ro-
mance. Bien lui en prit, car il parvint à bril-
ler dans cette spécialité, qui ne souffre pas
de médiocrité. Il consacra aussi ses loisirs à
la littérature et à la peinture. Plusieurs de
ses œuvres, exposées au Salon, méritèrent
l'attention des connaisseurs; mais ses roman-
ces seules lui acquirent une renommée. Il fut
un temps où le nom d'Amédée de Beauplan,
mis au bas d'une romance ou d'une chanson-
nette, suffisait pour en déterminer la vogue.
Quelques-unes de ses productions resteront
comme des modèles du genre simple et gra-
cieux. Citons, entre autres : Dormes donc, mes
chères amours; Bonheur de se revoir; l'Ingé-
nue ; l'Anglais mélomane ; V En faut du régi-
ment, etc. Il publia aussi, dans les dernières
années de sa vie, un recueil de fables qui ne
pouvait qu'augmenter l'estime inspirée par le
talent de leur auteur. La pièce qui commence
ce volume, dédié à la comtesse de Persigny ;
celles qui ont'pour titre : la Carte de visite et
la Boule de neige, renferment toutes lès qua-
lités nécessaires pour exciter l'intérêt du
lecteur.
Voici la liste des ouvrages dramatiques
d'Amédée de Beauplan ; l'Amazone, opçra-
comique en deux actes, avec Scribe, Delestre-
Poirson et Mélesville (Opéra-Comique, 15 no-
vembre 1830). Le Dragon de Vincennes, conte
de Bouilly,avait fourni le sujet de cet ouvrage,
rempli de scènes habilement filées,et qui avait
déjà été applaudi au théâtre du Vaudeville, le
18 septembre 1817, sous le titre du Petit dra-
gon. « 11 n'y a que deux idées dans la pièce,
disait un critique de 1830 : une à chaque acte.
La première a déjà fourni Adolphe et Clara,
et la seconde la Jeune femme colère. Dans tout
cela, de l'amazone, point; à moins qu'un jupon
vert et un spencer de velours noir ne consti-
tuent la femme que les auteurs appellent une
amazone Musique de piano un peu tour-
mentée, sautillante et très-rarement drama-
tique, niais légère, agréable et d'asse2 bon
goût,» ajoutait le critique. On a dit que l'in-
strumentation de Y Amazone était due à Nie-
dermeyer ; il paraît que c'est à tort, et qu'elle
est bien d'Amédée de Beauplan. La pièce
réussit peu, Scribe garda l'anonyme, et Mé-
lesville ne se fit pas nommer le premier soir.
Le talent de M™e Casimir triompha six fois
de l'indifférence du public ; le Susceptible,
comédie en un acte et en vers (Comédie-
Française, 22. mai 1839). Le sujet, on le com-
-prend de reste, ne comportait ni intérêt, ni
gaieté. Un pareil caractère, gênant dans la
vie intime, manque du relief nécessaire pour
attirer l'attention du spectateur. La versifi-
cation froidement correcte retardait d'un
demi-siècle sur la montre de ceux qui ve-
naient d'applaudir Ruy-Blas à la Renaissance,
et qui étaient en guerre active avec les des-
sus de pendule de la Comédie-Française. La
Dame du second, eomédie-vauduville en un
acte, avec Emile Vanderburch (1840) ; Sur ta
riuière, tableau nautique en un acte, avec
M. Paul de Koek (1842) ; la Villa Du/lot, co-
- médie-vaudeville en un acte, avec Mélesville
( 18-13) ; Deux filles à marier, comédie-vaude-
ville en un acte (12 octobre 1844) ; le Mari au
bal, opéra-comique en un acte, avec M. Emile
Deschamps(Opèra-Comique, 25 octobre 1S45),
déclin d'un compositeur qui n'avait pas eu
d'aurore; Oui et non, comédie-vaudeville en
un acte, avec Jacques Arago (184G).
BEAUPLAN (Victor-Arthur ROUSSEAU DE),
auteur dramatique, né à Paris au mois de
juin 1823, tilsdu précédent,débuta en 1843 par
un petit poème des plus médiocres : le Monu-
ment de Molière. M. Arthur de Beauplan a été
plus heureux en s'ocoupant de théâtre. Ses
qualités naturelles et acquises lui ont valu
souvent d'honorables succès. M. Arthur de
Beauplan a été décoré en 1856,et il est aujour-
d'hui commissaire impérial près de l'Odéon.
Voici la liste de ses principales pièces : les
Suites d'un feu d'artifice, vaudeville en un
acte, avec MM. Clairville et'Léon Battu (Vau-
deville, 14 novembre 1848); les Grenouilles
qui demandent un roi, vaudeville en un acte,
avec MM. Clairville et Jules Cordier, pseudo-
nyme d'Eléonor de Vaulabelle (l84ô), pièce
réactionnaire ; l'Amour mouillé, comédie-vau-
deville en un acte, avec MM. Michel Carré et
Jules Barbier (Gymnase, 5 mai 1S50) ; Un coup
d'Etat, vaudeville en un acte, avec MM. de
Leuven et Brunswick (1850); le pendant des
Grenouilles ; les Pavés sur le pavé, revue-
vaudeville en un acte, avec MM. de Leuven
et Brunswick (1850); Suffrage premier ou le
Royaume des aveugles, journal-vaudeville en
un acte, avec MM. de Leuven et Brunswick
(1850), le titre railleur fait aisément deviner
l'intention de la pièce; le Règne des escar-
gots, revue-vaudeville en trois actes, avec
MM. de Leuven et Brunswick (1850); Rosette
et nœud coulant, vaudeville en un acte, avec
Mélesville (1850); les Baignoires du Gymnase,
vaudeville en un acte, avec MM. de Leuven
_et Siraudin (Gymnase, 31 octobre 1850); Clau-
dine ou l'Avantage de l'inconduite, étude pas-
torale et berrichonne en un acte (parodie de
Claudie, de George Sand), avec Siraudin
(1851) ; Hortense de Cemy, comédie en deux
actes, mêlée de chant, avec Bayard {Vaude-
ville, 24 novembre 1851) ; la Poupée de Nu-
remberg, opéra-comique en un acte, avec M. de
Leuven, musique d'Adolphe Adam (Théâtre-
Lyrique, 21 février 1852). « Au mois de no-
vembre 1851, raconte le compositeur, je fis
une maladie assez grave... A cette époque
Edmond Seveste était directeur de l'Opéra-
National, aujourd'hui Théâtre-Lyrique, cet
établissement que j'avais fondé, qui a été mon
rêve et qui fera un jour la fortune de quelque
spéculateur plus heureux que moi. Il vint me
demander de lui écrire un petit opéra en un
acte ; mais me voyant au lit, il s'apprêtait à
aller porter l'ouvrage à un autre; je l'arrêtai
à temps : — Croyez-vous, lui dis-je, parce que
je suis malade que je n'irai pas aussi vite
qu'un autre confrère bien portant ? Laissez-moi
ia pièce, et revenez me voir dans quinze jours.
En huit jours de temps, et sans quitter le lit,
j'écrivis ce petit ouvrage... Je me levai le
huitième jour, pour l'essayer et me le jouer
au piano, j'étais guéri : le travail avait tué la
maladie. Edmond Seveste mourut quelques
jours après la visite qu'il m'avait faite, et ne
vit jamais la pièce qu'il m'avait commandée
et qui ne fut jouée que le 21 février 1852. « Le
poëme et la musique étaient charmants et ob-
tinrent le plus légitime succès. Thérèse ou
Ange et diable, comédie-vaudeville en deux
actes, avec Bayard (Gymnase, 29 octobre 1852);
Guillery le trompette, opéra-comique en deux
actes, avec M. de Leuven, musique de M. Sar-
miento (Théâtre-Lyrique, 8 décembre 1852),
petit succès sans portée ; Elisa ou Un Chapitre
de.l'oncle Tom, comédie en deux actes (Gym-
nase, 21 février 1853); Boccace ou le Décamé-
ron, comédie en cinq actes, mêlée de chant,
avec Bayard et de Leuven (Vaudeville, 23 fé-
vrier 1853) ; Un Notaire à marier, comédie-vau-
deville en trois actes, avec MM. Marc-Michel
et Labiche (Variétés, 19 mars 1853); Un Coup
de vent, vaudeville en un acte, avec MM. Varin
et Brunswick (Palais-Royal, 22 mai 1S53); le
Lis dans la vallée, drame en cinq actes et en
prose, tiré du roman de Balzac, avec M. Théo-
dore Barrière (Comédie-Française, 14 juin
1853). MIIie Judith se montra très-touchante
dans le rôle principal de cet ouvrage, quîf mal-
gré un véritable mérite, ne lit pas recette.
Un Feu de cheminée, comédie-vaudeville en un
acte, avec M. Labiche (Palais-Royal, 31 juillet
1853) ; To be or not to be, comédie en deux
actes, mêlée de couplets, avec Brunswick
(1854); Un Mari qui ronfle, comédie-vaude-
ville en un acte, avec M. Siraudin (1854);
Dans les Vignes, tableau villageois en un acte,
avec Brunswick, musique de M. Louis Cla-
pisson (Théâtre-Lyrique, 31 décembre 1854);
les Pièges dorés, comédie en trois actes et en
prose (Comédie-Française, 21 janvier 1856);
les Marrons glacés, comédie mêlée de chant,
en un acte (Palais-Royal, 30 décembre 1850) ;
l'Ecole des ménages, drame en cinq actes et en
vers (Odéon, il mai 1S58).
- BEAUPOIL DE SAINT-AULA1RE. V. SAINT-
AULAIRE.

BEAUPRÉ
s. m. (bô-pré — de l'angl. bow~
sprit, formé lui-même de boio, arc, et spiHt, bâ-
ton, lesquels dérivent, à leur tour, del'anglo-
sax. bon, courber, et spreot, perche. Le mot
angl. signifie proprement bâton de l'arc, flèche
de l'are, par extension bâton de l'avant, mât
de l'avant). Mar. Mât plus ou moins incliné à
l'horizon, quelquefois tout à fait horizontal,
qui s'élance hors du navire, à l'avant, comme
une flèche s'élance d'un arc : Bisson monta sur
le BEAUPRÉ pour mieux observer la manœuvre
des deux embarcations qui s'approchaient à
force de rames. (***) Le second descendit sur
le radeau avec quelques hommes qui savaient
nagerypour le faire dériver sous le BEAUPRÉ.
(Quesnel.) Une frégate, rangeant la Perle, dU
rigea droit son BEAUPRÉ sur le mien : je crus
qu'elle voulait m'aborder. (Bouet.) Le gabier
de BEAUPRÉ, chargé de la manœuvre des focs
et des ancres, est souvent appelé à s'exposer
à des dangers plus grands encore. (LaLandelle.)
Courage, mon vaisseau! double ce cap lointain;
Penche-toi sur les mers ; que le beaupré s'inclintt.
Sous le foc déployé, qui s'enfle et le domine.
C. DÉLAVIONS.
4-16
— Etre beaupré sur poupe, Se dit d'un na-
vire dont le beaupré est peu éloigné de l'ar-
rière d'un autre bâtiment, qui se trouve placé
en avant, sur la même ligne : Les deux vais-
seaux se suivaient BEAUPRÉ SUR PODPE. NOUS
poursuivîmes le négrier BEAUPRÉ SUR POUPE.
, — Grand beaupré, Ancien nom de la civa-
dière. Il Petit beaupré ou perroquet de beaupré,
Mâtereau vertical, que l'on plaçait autrefois
à l'extrémité extérieure du beaupré, H Voile
gréée sur ce mâtereau. On l'appelait aussi
TOURMENTIN, BEAUPRETTE, ou même, mais plus
rarement, BEAUPRÉ.
— Antonymes. Cacatois ou catacois, ma-
jeur ou grand mât, misaine, perroquet.
— Encycl. Le beaupré est un des mâts que
l'on appelle majeurs ou bas mâts; mais, à la
différence des autres, qui sont tous verticaux,
il est plus ou moins incliné à l'horizon. L'angle
u'il forme à l'horizon est de-30 à 40 degrés
ans les vaisseaux, les frégates et les autres
bâtiments de grandes dimensions, et de 20 à
25 degrés dans les bricks et les goBlettes. Le
beaupré est presque horizontal dans les lou-
gres et les cutters, afin qu'on puisse le rentrer
en partie dans le bâtiment ; il est fait d'un seul
arbre, tandis que, pour les autres, il est formé
de plusieurs pièces assemblées, cerclées et
rousturées avec soin. Dans ces derniers, il est
prolongé par deux mâts d'un plus faible dia-
mètre, qui sont placés l'un à la suite de l'autre,
et qui se nomment : le premier, bout dehors de
beaupré on bâton de foc;le second, bout de-
hors de clin-foc ou bâton de clin-foc. Le beau-
pré est en quelque sorte la clef de la mâture,
parce que c'est sur lui que s'appuient les étais
du grand mât et du mât de misaine. Aussi,
quand un navire est démâté de son beaupré, il
est très-exposé à perdre ses autres mâts. Cette
considération a, de tout temps, fait sentir la
nécessité de l'assujettir avec une extrême so-
lidité et de lui donner de fortes dimensions.
Ordinairement, il a la même grosseur que le
mât de misaine, quoique plus court d'un tiers.
Voici, à titre d'exemple, les dimensions du
beaupré et de ses allonges pour un vaisseau
de 80 : longueur totale du beaupré, 51 m. 12;
du bâton de foc, 17 m. 86; du bâton de clin-
foc, 17 m. 54 ; plus fort diamètre du beaupré,
0 m. 95;.du bâton de foc, 0 m. 38;du bâton de
clin-foc, 0 m. 24.
Le beaupré et les mâts qui le prolongent
servent d'appui aux voiles triangulaires ou
focs du mât de misaine. De plus, on grée en
dessous du beaupré une vergue appelée civa-
dière, à laquelle est attachée une voile carrée,
ayant le même nom, et qui sert a retenir, au
moyen des bras qu'elle porte, les haubans du
bout dehors de beaupré.
Au xvic siècle et avant, quand on n'avait pas
encore imaginé de prolonger le beaupré par les
bouts dehors, on plantait verticalement, à l'ex-
trémité extérieure de ce mât, un mâtereau qui
se nommait petit beaupré ou mât de perroquet
de beaupré. Ce mâtereau avait, à sa base, une
petite hune ronde, et, à sa tète, des étais ap-
puyés par leurs extrémités inférieures sur
l'êtai du mât de misaine. U portait une voile
carrée, que l'on appelait tourmentin, perroquet
de beaupré, et, quelquefois simplement beaupré
ou beauprette.
BEAUPRÉ (Marotte), comédienne française
du xvne siècle. Elle fît partie de la troupe du
Marais jusqu'en 1669, entra à cette époque
dans celle du Palais-Royal, et quitta le théâtre
en 1G72. Elle passe pour avoir créé, cette année
même, le rôle de la comtesse d'Escarbagnas.
Cette actrice, qui était extrêmement jolie,
quitta la troupe du Marais, à la suite d'une
aventure qui fit grand bruit. Ayant eu une
querelle d'amour avec une de ses camarades,
Catherine des Urlis, elle lui adressa un cartel,
et les deux rivales se battirent en duel sur le
théâtre même, à la fin d'une pièce. Sauvai,
qui raconte cette aventure, ne fait pas con-.
naître l'issue du combat, ce qui prouve sura-
bondamment qu'on s'interposa entre les deux
amazones avant toute effusion de sang.
BEAUPRÉ (Jean-Nicolas), magistrat fran-
çais et antiquaire, né à Dieppe vers 1709. Con-
seiller à la cour impériale de Nancy, il a pu-
blié divers ouvrages sur les antiquités de la
Lorraine, et en particulier des Iiecherches sur
l'industrie vei'rière (1841, in-8°). Parmi ses
travaux, nous citerons en outre Des commen-
cements de l'imprimerie en Lorraine (1845);
Essai sur la rédaction des principales coutumes
(1854) ; Nouvelles recherches de bibliographie
lorraine (1854, in-8«).

BEAUPRÉAU,
ville de France (Maine-et-
Loire), eh.-l.de cant., arrond. et à 19 kil. N.-O.
de Cholet, sur le versant d'un coteau qui do-
mine la rive droite de l'Evre ; pop. aggl.
2,255 hab. ; — pop. tôt. 3,821 hab. Beau collège ;
fabriques d'étoffes de laine, de toiles et de
mouchoirs dits de Cholet; tanneries, teinture-
ries; nombreuses usines; aux Sablons,près de
Saint-Martin, exploitation d'un très-beau gise-
ment de sable. Commerce de bœufs, et surtout
de moutons, de laines, fils, lins. Beaupréau,
remplacé en 1857 par Cholet comme chef-lieu
d'arrondissement, conserve quelques pans de
murs et des tours en ruine de son ancienne
enceinte. Le château, bel édifice du xve et du
xvie siècle, flanqué de tours, s'élève sur la
colline au milieu d'un beau parc. Incendié
ainsi que la ville, pendant les guerres de la
Vendée en 1793, il fut restauré par le maréchal
d'Aubeterre, qui vint s'y établir après la Révo-
BEA
lution, et qui contribua beaucoup au rétablis-
sement de la ville de Beaupréau. Ce château
est aujourd'hui la propriété de la famille de
Civrac. Autrefois, la terre de Beaupréau avait
le titre de baronnie.
Cette seigneurie appartenait, au commence-
ment du xvitî siècle, à la famille de Montespe-
don, d'où elle entra par mariage dans la maison
de Bourbon. Elle fut érigée en marquisat en
1554, en faveur de Charles de Bourbon, prince
de la Roche-sur-Yon, et devint duché-pairie,
par lettres royales du mois de juin 1562.

BEAUPRÉSENT
s. m. (bo-pré-zan — de beau
et présent). Hortic. Variété de poire, qu'on
appelle aussi EPARGNE et SAINT-SAMSON.

BEAUPUY
(Nicolas-Michel BACHELIER DE),
homme politique français, né à Mussidan en
1750, mort en 1802. Sous-lieutenant à dix-huit
ans dans le régiment Dauphin-dragons, il était
parvenu au grade de major lorsque la Révo-
lution éclata. Il en adopta tous les principes,
donna sa démission et revint dans le Périgord,
où il commanda la garde nationale, fut élu
maire, administrateur du département, et enfin
député à l'Assemblée législative. Il parut à la
tribune pour déposer sa croix de Saint-Louis,
et fit partie du comité militaire, ainsi que de la
mission envoyée par l'Assemblée au camp de
Châlons. Commissaire du Directoire en 1797,
élu député au conseil des Anciens, il aida de
tout son pouvoir au triomphe de Bonaparte,
qui le nomma membre du Sénat conversateur.
BEAUPUY (Armand-Michel, BACHELIER DE),
général français, né à Mussidan en 1757, mort
en 1796. Comme son frère Nicolas Beaupuy,
il entra fort jeune dans la carrière des armes,
servit la République à la tète du bataillon des
volontaires de la Dordogne, et se conduisit
d'une façon brillante dans les journées de
AVonns, de Spire et de Mayence. Nommé gé-
néral de brigade en mars 1793, il se trouva
enfermé dans Mayence lors du siège qu'en fi-
rent les Prussiens, et fut envoyé plus tard en
Vendée, où il eut une grande part à la victoire
de la Tremblaye et au combat de Cholet.
Blessé d'un coup de feu après le passage de
la Loire par les révoltés, il se faisait soigner a
Angers, lorsque les Vendéens se présentèrent
devant cette place. Beaupuy se nt porter sur
le rempart pour combattre encore, et fut de
nouveau blessé. Appelé au commandement
d'une division à l'armée du Rhin, il se distin-
gua à Gorick, à Forsheim et dans la mémo-
rable retraite de Bavière. Le 19 octobre 1796,
comme il combattait à l'arrière-garde, à Emen-
dinghen, il fut atteint d'un coup de canon et
tué sur le coup.

BEAUQUESNE
comm. du dép. de la Somme,
arrond. et à 9 kil. de Doullens; pop. aggl.
2,864 hab. ; — pop. tôt. 2,871 hab. Ruines d'un
château fort, construit au xn« siècle par le
comte de Flandre, Philippe d'Alsace.

BEAURAIN
(Jean DE), ingénieur géographe,
né en 1696, mort en 1772. Il étudia la géogra-
phie sous le célèbre Pierre Moulart-Sanson,
féographe du roi, et fit de tels progrès-que,
es 1721, il obtenait le même titre. Le cardinal
Fleury et Amelot l'employèrent, à plusieurs
reprises, comme négociateur dans des mis-
sions délicates, où il fit preuve d'une grande
habileté. Il avait inventé en 1724 un Calen-
drier perpétuel, ecclésiastique et civil, qui le
fit connaître de Louis XV. Son ouvrage le
plus estimé est son Histoire militaire de la
campagne de Flandrepar le maréchal de Luxem-
bourg, de 1690 à 1694 (Paris, 1756, 3 vol. in-
fol.) — Son fils a dressé les cartes pour l'His-
toire de la campagne du grand Condé (1674),
et celles pour l'Histoire des quatre dernières
campagnes de Turenne (de 1672 à 1675).

BEAUREGARD-LÉVÊQUE
bourg et comm.
de France (Puy-de-Dôme), canton de Vertai-
zon, arrond. et à 20 kil. N.-E. de Clermont;
484 hab. Beau château, ancienne maison de
plaisance des évèques de Clermont, que
Massillon habitait presque toujours; de la ter-
rasse, on découvre onze villes et quatre-vingt-
dix-huit villages ou bourgs.

BEAUREGARD
(Jean-Nicolas), prédicateur
français, né à. Metz en 1731, mort en Souabe
en 1804. Il entra dans l'ordre des jésuites et
acquit une célébrité éphémère par son élo-
quence triviale et déclamatoire. On a prétendu
çiue dans un sermon à Notre-Dame, en 1777,
il avait prédit les malheurs de la Révolution.
Réfugié en Angleterre après 89, il exerça sa
véhémence oratoire contre les émigrés, ses
compagnons, qu'il traitait de mendiants fugi-
tifset de déserteurs. Lui-même mourut fugitif,
recueilli par la princesse Sophie de Hohenlohe.
On a publié une Ana^e de ses sermons (Lyon,
1825, l vol. in-12).
BEAUREGARD (Claude), physicien français.
V. BÉRIGARD.
BEAUREGARD (Charles-Victor), dit Woir-
gard, général français, né à "Metz en 1764,
mort en 1820. Il servit aux armées du Nord,
de l'Ouest et de l'Océan, et, en 1802, fut chargé
du commandement d'Alexandrie. En 1809, il
commanda une brigade de dragons en Espagne,
et fut tué au combat de Valverde, près de
Badajoz.
BEAUREGARD (Pierre-Gustave TOUTANT
DE), général américain confédéré, né près de
la Nouvelle-Orléans en 1818. Fils d'un très-
riche et très-influent planteur de la Louisiane,
et descendant par sa mère des ducs italiens de
Reggio, il embrassa la carrière militaire, et
fut incorporé comme sous-lieutenant dans le
1er régiment d'artillerie, puis promu lieute-
nant en 1839. 11 fit avec la plus grande dis-
tinction la campagne du Mexique (1846-1848),
assista aux combats de Contreras, de Cheru-
busco, de Chapultepec, où il fut deux fois
blessé, et à la prise de Mexico, où il reçut une
troisième blessure. Après la guerre, il fut
chargé de la construction des hôtels de la
Monnaie et de la Douane de la Nouvelle-
Orléans, et des fortifications avoisinant les
bouches du Mississipi. Il fut fait capitaine en
1853.
Lorsque les Etats du Sud des Etats-Unis se
séparèrent de ceux du Nord, et s'organisèrent
en confédération sous la présidence de Jefier-
son Davis, Beauregard se rangea parmi les
sécessionnistes, fut nommé brigadier général
par Jefferson Davis, et envoyé à Charleston
dans la Caroline du Sud. Le 23 avril 1862,
Beauregard attaqua et prit le fort Suinter, se
signalant à l'attention générale par cet acte
d'hostilité, le premier de cette guerre san-
glante et funeste. Appelé au commande-
ment en chef de l'armée confédérée, il s'a-
vança en Virginie, et marcha contre Butler, qui
menaçait Norfolk. Le 21 juillet 1861, il gagna
la fameuse bataille de Bull's Run, et, le même
jour, il fut élevé au grade de général, le plus
haut rang dans la hiérarchie militaire du Sud,
et qui correspond à celui de^ maréchal de
France. Bien que Beauregard eût fait preuve,
dans cette bataille, de hautes capacités mi-
litaires, il ne sut ou ne put profiter de sa
victoire. Au lieu de poursuivre les troupes *
de l'Union, il resta inactif pendant le reste
de la campagne. Les fédéraux, bientôt réor-
ganisés, se fortifièrent sur la ligne du Potomac
d'une façon formidable, et purent, non-seule-
ment arrêter la marche de l'armée victorieuse,
mais encore reprendre l'offensive. Remplacé
par le général Robert Lee, Beauregard reçut,
le 5 mars 1862, le commandement de l'armée
du Mississipi, et, avec le général Albert Syd-
ney Johnston, livra aux fédéraux la bataille de
Pittsburg-Landing, perdue par les confédérés
et dans laquelle Johnston fut tué. Après une
belle retraite, il se fortifia à Corinth (Alabama,
Mississipi), et y tint en échec pendant deux
mois l'armée du général fédéral Halleelt. Forcé
d'évacuer la place, il s'y prit si habilement que
les fédéraux perdirent toute conscience de
ses mouvements, et que son armée tout en-
tière sembla s'être évanouie comme par en-
chantement.
Quelque temps après, sa santé l'obligea de
prendre un congé, qu'il alla passer aux sources
d'Eufala (Alabama), et, pendant longtemps, on
désespéra de ses jours. A peine rétabli (juin
1862), il réclama du service actif, et reçut le
commandement du département militaire com-
prenant la Caroline du Sud et la Géorgie. Un
mois plus tard, le 22 octobre 1862, il battait
une armée de l'Union près de Savannah,
puis il fortifia Charleston, son quartier général,
et s'illustra dans la belle défense de cette ville,
assiégée sans succès par les fédéraux. Lors-
que, en 1864, la péninsule virginienne fut en-
vahie par la formidable armée fédérale du
général Grant, Beauregard fut appelé à dé-
fendre Richmond, menacée par Butler. 11 battit
_ les fédéraux à Drury's Bluff (16 mai 1864), et
immobilisa, pour ainsi dire, Butler dans ses re-
tranchements de Bermuda Hundreds, permet-
tant ainsi au général confédéré Lee de lutter
sans autre préoccupation contre Grant, son
rude adversaire. Après les sanglants échecs
éprouvés par les fédéraux, a Wilderness, a
Sçottsylvania et dans la vallée du Chickaho-
miny, échecs qui n'empêchèrent cependant
pas leur marche progressive, Beauregard re-
çut le commandement de Petersburg, la sen-
tinelle avancée de Richmond. Il arrêta l'élan
de Grant [et lui fit subir (31 août 1864) une
défaite dans laquelle les fédéraux eurent
10,000 tués et blessés. Reprenant quelque
temps après l'offensive, il marcha contre Mem-
phis; mais il dut se replier devant l'armée du
brillant Sherman, qui s'avançait en Géorgie.
La capitale des confédérés, Richmond, ne tarda
pas à tomber au pouvoir des fédéraux. Voyant
la cause du Sud définitivement perdue, l'armée
de Beauregard se rendit à Sherman, et depuis
ce moment l'ancien général en chef a vécu
. dans la retraite la plus profonde.

BEAUBEPAIRE
bourg de France (Isère),
ch.-l. de cant., arrond. et à 29 kil. S.-E. de
Vienne, sur le Suzon ; pop. aggl. 1,780 hab. —
pop. tôt. 2,661 hab. Foulons, fabrique de draps,
moulinage de soie ; taillanderie, tanneries,
commerce de grains, fromages et bestiaux.
Autrefois, place forte, assiégée plusieurs fois
pendant les guerres de religion, notamment
par le duc de Nemours, après la victoire qu'il
remporta près de Vienne sur le baron des
Adrets. Il Bourg de France (Saône-et-Loire),
ch.-l. de cant., arrond. et à 14 kil. N.-E. de
Louhans; pop. aggl. 179 hab. — pop. tôt. 887
hab. Beauchateau, autrefois fortifié.

BEAUREPAIRE
chef vendéen, seigneur de
Beaurepaire, près de Montaigu, commanda, en
93, une division d'insurgés qui se réunissait
tantôt à l'armée du centre, tantôt à celle de
Lescure. Lorsque la grande armée vendéenne
attaqua Saumur et se porta sur Nantes, il fit
une diversion vers Fontenai et Luçon, figura
avec éclat dans plusieurs affaires importantes,
commanda l'infanterie sous Lescure, h la se-
conde bataille de Châtillon (octobre 93), fut
grièvement blessé dans cette action, et ne dut
qu'au dévouement de ses soldats de n'être pas
laissé parmi les morts. Lors du fameux pas-
sage de la Loire par l'armée catholique, il se
fît porter au delà du fleuve, et mourut peu
.après, à Fougères, des suites de ses blessures.
BEAUREPAIRE (Nicolas-Joseph DE), hé-
roïque commandant de Verdun en 1792, né à
Coulommiers en 1740, fils d'un ancien échevin
de cette ville. Quelques biographes lui ont
donné le titre de vicomte, mais par erreur,
très-probablement, car les pièces de son état
civil ne portent aucun titre. U servit obscuré-
ment pendant une longue suite d'années, et
devint lieutenant dans les carabiniers de Mon-
sieur et chevalier de Saint-Louis. Au commen-
cement des guerres de la Révolution, il fut
élu lieutenant-colonel du 2e bataillon de
Maine-et-Loire. Il était à Verdun lors de l'in-
vasion austro-prussienne, et il avait reçu le
commandement de la place, comme doyen des
officiers du même grade qui faisaient partie
de la garnison. Après .la prise de Longwy,
l'ennemi se présenta devant Verdun (30 août
1792). Les fortifications de la ville étaient en
fort mauvais état, et la garnison ne s'élevait
Êas à beaucoup plus de trois mille hommes,
eaurepairc, cependant, résolu à périr plutôt
que de capituler, avait pris à la hâte toutes les
mesures possibles de défense. Le 31 août, le
duc de Brunswick envoya une première som-
mation, conforme â son trop fumeux Mani-
feste, menaçant les habitants de Verdun d'une
exécution militaire en cas de résistance. Les
princes, frères de Louis XVI, étaient dans les
rangs de l'ennemi, à la tête d'un corps d'é-
migrés. A cette époque de liberté constitution-
nelle, l'autorité militaire n'était pas tout, même
dans une ville assiégée, et le conseil général
de la commune délibérait conjointement avec
les chefs de la garnison. Dans ce conseil sié-
geaient des royalistes avoués. Cependant la ré-
ponse à la sommation du généralissime ennemi
fut un refus de rendre la place. Le bombar-
dement commença aussitôt (31 août, onze heu-
res du soir). Les quelques pièces qui garnis-
saient les remparts furent démontées; plusieurs
incendies éclatèrent dans la ville ; les habitants
étaient consternés. Le le* septembre, après
quinze heures de bombardement, la munici-
palité envoya une députation au roi de Prusse.
Mais cette démarche n'eut d'autre résultat que
de déterminer une deuxième sommation du
duc de Brunswick, qui accordait à la garnison
l'autorisation de se retirer, mais à la condition
que la ville se rendît dans les vingt-quatre heu-
res, sous peine d'une destruction totale. Ce
gracieux ultimatum était posé au nom de Sa
Majesté Très-Chrétienne et en vue de rendre
à la France le bonheur dont elle avait joui sous
le régime de la monarchie absolue.
Les royalistes de Verdun, exploitant les ter-
reurs publiques, poussèrent une partie de la
population à réclamer tumultueusement-la red-
dition immédiate. Le conseil général de la
commune n'était que trop disposé à une telle
lâcheté ; il supplia le eomité défensif d'épar-
gner à la ville les horreurs d'un assaut. Sous
1 empire de ces obsessions, le comité décide
qu'on entrera de nouveau en pourparlers avec
le roi de Prusse ; la capitulation est résolue,
d'après ces considérations que la place est
hors d'état d'opposer une résistance sérieuse
et prolongée, et qu'il vaut mieux conserver à
la nation une garnison de trois mille hommes
que de retarder d'un jour ou deux la prise
inévitable de Verdun. Beaurepaire subit-il
l'impérieuse nécessité, donna-t-il son consen-
tement? Voilà ce qui est resté plus que dou-
teux. Qu'il ait laissé se poursuivre les négo-
ciations, soit pour gagner du temps, soit pour
connaître les dernières résolutions de l'ennemi,
il n'y a rien là qui soit contraire aux obliga-
tions militaires; mais cela est bien loin de
Erouver qu'il fût arrivé à cette étonnante fai-
lesse de consentir à livrer la ville sans com-
bat. Tout démontre, au contraire, qu'il était
résolu à une résistance héroïque et désespérée,
et, notamment, les mesures qu'il continuait à
prendre et les secours qu'il demandait de toutes
parts. En outre, il avait précédemment écrit
à ses amis de Maine-et-Loire qu'il était décidé
à ne rendre la place qu'à la mort. (Voir la
séance de l'Assemblée législative du 3 sep-
tembre au soir, page 1055 du Moniteur.) Il
sentait bien l'importance du poste qui lui était
confié, et] qui ouvrait la route de Paris. Mili-
taire expérimenté, il n'ignorait point qu'à la
guerre quelques jours gagnés peuvent chan-
ger la face des choses, surtout à un mo-
ment où les volontaires se levaient de toutes
parts pour accourir à la défense des points
attaqués ; et, s'il ne pouvait conserver l'espoir
d'empêcher la ville d'être prise, il lui était du
moins permis d'espérer qu'il la défendrait assez
longtemps pour que des secours pussent ar-
river. En outre, dans l'état de la France, il
devait bien comprendre l'effet moral qu'exer-
cerait la reddition de Verdun ou une résistance
héroïque.
Quoi qu'il en soit, le conseil se sépara le soir
[1er septembre) à sept heures et demie, en sé-
journant au lendemain pour la rédaction de la
capitulation. Beaurepaire ne rentra chez lui
qu après avoir visité avec soin les remparts et
les postes, ce qui ne semble pas annoncer un
homme qui désespère de la défense. Il rentra
vers huit heures dans le logement qu'il occu-
pait à l'hôtel de ville. Depuis ce moment jus-
qu'à trois heures du matin, on n'entendit aucun
bruit, aucun mouvement. Tout à coup, dans
le silence de la nuit, un coup de pistolet éclata
dans la chambre du commandant, et les per-

sonnes accourues au bruit trouvèrent le mal-
heureux Beaurepaire la tête fracassée et deux
pistolets à côté de lui: Il était encore revêtu
de son habit de garde national, tout botté,
avec sa décoration de Saint-Louis sur la poi-
trine, soit qu'il eût veillé, soit qu'il eût reposé
tout habillé.
L'opinion qui se répandit alors dans toute la
France fut que le commandant de Verdun s'é-
tait brûlé la cervelle en plein conseil de guerre,
pour éviter la honte d'Une capitulation que son
conseil et les habitants jugeaient inévitable,
opinion qui a été adoptée par la plupart des
biographes et des historiens, et qui s'appuyait
sur les délibérations prises par l'Assemblée
législative au reçu des premières nouvelles.
Ainsi le 6 septembre, le député Laporte, en
rendant compte de la capitulation de Verdun,
disait : o Le conseil de guerre s'est assemblé ;
M. Beaurepaire, commandant de la place, s'est
tué d'un coup de pistolet, en pleine municipa-
lité, quand il a entendu la plupart des habi-
tants demander la reddition (Moniteur, no 252,
et Journal des Débats et décrets, n° 346). Quel-
ques jours après, le 12 septembre, Delaunay,
aîné, en demandant pour Beaurepaire les hon-
neurs du Panthéon, s'exprimait ainsi : « Il
s'est donné la mort en présence des fonction-
naires publics... lâches et parjures qui ont
livré le poste confié à son courage. » (Moni-
teur, no 258, et Journal des Débats, no 352).
La vérité est, cependant, que ce n'est ni dans
le conseil de la commune, ni dans le conseil
de guerre que le brave commandant s'est donné
la mort, et le fait s'est passé exactement
comme nous l'avons raconté plus haut. Cela
fut parfaitement établi par le représentant
Cavaignac, dans un rapport que le comité
de sûreté générale le chargea de faire à la
Convention (9 février 1793), et qu'il termina
par les paroles suivantes, dont l'austère sim-
plicité a son éloquence : a Je ne ferai aucune
réflexion sur la mort de Beaurepaire ; je laisse
à l'histoire le soin d'apprécier une action qui
lui a mérité les honneurs de l'apothéose. Je
me contenterai d'observer qu'il est à regretter
que cet officier, au Heu de se donner la mort,
ne l'ait pas reçue de la main d'un ennemi, sur
la brèche ou dans la citadelle; c'est là que son
sang pouvait couler utilement pour la patrie. »
Depuis, on a retrouvé, aux archives de la
f uerre à Berlin, le procès-verbal authentique
e la mort de Beaurepaire, dressé par le juge
de paix Louis Perrin, le commissaire des
guerres Pichon,et deux officiers municipaux.
Cette pièce, tombée entre les mains des Prus-
siens après la reddition de la place, confirme
de tous points le rapport de Cavaignac.
Le décret du 12 septembre, qui accordait à
Beaurepaire les honneurs du Panthéon, char-
geait en outre le président de l'Assemblée lé-
gislative d'écrire a la veuve et aux enfants du
commandant de Verdun. Héraut-Séchelles
écrivit la lettre suivante, qui ne jette au-
cune lumière nouvelle sur les questions qui
nous occupent, mais qui mérite d être citée, à
cause.de sa noblesse et de son élévation :
a Madame, l'intrépide Beaurepaire, votre
époux, a terminé par une mort héroïque qua-
rante années d'une vie guerrière. Il n'a pu
se résoudre à vivre dans une ville qui ne vou-
lait plus être française. Il laisse un grand mo-
dèle à tous les soldats de la liberté. L'Assem-
blée nationale, sensible à votre perte, qui est
à la fois une perte publique, me charge de
vous écrire et de vous envoyer le décret
qu'elle vient' de rendre. Vous y verrez, ma-
dame, que la nation française est digne d'a-
voir des Brutus pour la défendre. Puisse la
reconnaissance de la Patrie consoler t votre
douleur et celle du fils qui vous reste! Son
père est mort pour la liberté : puisse cet enfant
vivre longtemps pour elle ! Il ne peut manquer
d'être un citoyen prédieux à son pays, s'il se
rappelle toujours qu'il est le fils de 1 intrépide
Beaurepaire. u
Pour revenir au problème que. soulève la
mort de Beaurepaire, nous dirons que non-
seulement il est avéré qu'il ne se brûla point
la cervelle au sein du conseil, mais encore que
la thèse même du suicide est mise en question.
En 1842, le conseil municipal d'Angers dé-
libérait sur le projet d'élever une statue à
Beaurepaire, lorsque des discussions s'élevè-
rent sur le point de savoir si l'officier chargé
d'un commandement en chef peut jamais avoir
le droit de se tuer devant l'ennemi, même par
excès de courage et de patriotisme. On a vu
que c'est la question déjà posée par Cavaignac.
Ce point délicat fut débattu àdiverses reprises
par les meilleurs juges de l'honneur et des
devoirs militaires; cette controverse donna
lieu à de nouvelles recherches, d'où il résulta,
pour un certain nombre de personnes, que
Beaurepaire ne s'était pas tué, mais qu'il avait
été assassiné, et probablement à l'instigation
de quelques membres de cette municipalité
pusillanime, si empressée de livrer la ville aux
Prussiens, et qui désespéraient de vaincre la
résistance du courageux patriote, son opposi-
tion à la reddition immédiate, sa résolution de
se défendre jusqu'à la mort.
Nous possédons, aux manuscrits du dépôt de
la guerre, un document du plus haut intérêt et
qui laisse bien peu de doute à cet égard. C'est
un mémoire rédigé en 183G, à la demande du
roi Louis-Philippe,goar le général Lemoine.
Ce brave officier avait été un des détenseurs
de Verdun. Après la reddition, il s'enferma
' dans la citadelle {avec Marceau), et n'en sortit
qu'à la condition de garder ses armes, ses ba-
BEA
, gages, deux canons, et un fourgon pour trans-
porter le corps de Beaurepaire. Il avait péné-
tré, l'un des premiers, dans la chambre où
gisait le cadavre sanglant de son commandant.
Son témoignage a donc ici une grande auto-
rité. « J'interrogeai, dit-il, le secrétaire, le
domestique qui'était à sa porte au moment de
la détonation du pistolet; ce dernier me dé-
clara avoir entendu marcher sur la terrasse,
et ouvrir la chambre où reposait le comman-
dant, et, après la détonation, il entendit encore
fermer cette même porte et marcher sur la
terrasse avec précipitation, en se dirigeant
vers l'appartement où étaient en permanence
les membres de la municipalité. ».
L'appartement avait, en effet, deux portes,
l'une a l'intérieur de l'hôtel, gui fut trouvée fer-
mée et que l'on dut enfoncer; l'autre qui don-
nait sur une terrasse communiquant avec la
salle commune.
Le général Lemoine résumait ses observa-
tions en disant : « Je déclare hautement que
je n'ai jamais pu ployer ma raison jusqu'à
croire que cette mort fut l'effet d'un suicide. »
Ce récit d'un témoin oculaire, du caractère le
plus honorable, se fortifie encore d'autres gra-
ves considérations. Ainsi, comment admettre
que, tendre époux et père, le commandant de
Verdun n'ait pas, dans ces longues heures de
méditation douloureuse, écrit une ligue, un seul
mot d'adieu à sa famille (qui logeait dans un
autre quartier de la ville), qu'il ait laissé cette
veuve et cet orphelin seuls avec leur désespoir,
sans leur accorder un souvenir du cœur, une pa-
" rôle d'amour et de regret? Comment admettre
que, capitaine vigilant et scrupuleux, il n'ait pas
pris la précaution de laisser quelques instruc-
tions à ceux qui prendraient le commandement
après lui; qu'enfin, protestant par sa mort
contre la capitulation, il n'ait pas épanché,
dans quelques lignes brûlantes, son patriotisme
et son indignation? Un homme de cinquante-
deux ans, soldat depuis plus de trente, d'un
caractère grave, énergique et réfléchi, placé
en tles circonstances aussi solennelles, ne
.quitte pas ainsi son poste et la vie, pour ainsi
dire furtivement, sans laisser seulement une
parole, une ligne d'explication, ni même la
moindre trace d'un préparatif de mort. Le té-
moignage du général Lemoine est d'ailleurs
décisif, et il n'est que trop clair que le mal-
heureux Beaurepaire a été assassiné, très-
probablement, par ces municipaux qui n'avaient
pu, la veille, l'associer à leur lâcheté ou à leur
trahison. Une chose caractéristique, c'est
qu'après la prise de la ville, les Prussiens et
les émigrés ne leur firent pas l'honneur de les
destituer. La municipalité et le directoire de
district furent conservés.
La garnison de Verdun, aux termes de la
capitulation, put sortir de la place et emporta
le cadavre de Beaurepaire à Sainte-Menehould,
où sans doute il est encore ; car, au milieu des
événements, le décret de translation au Pan-
théon n'a jamais été exécuté. Une section de
Paris (les Thermes de Julien) prit le nom de
Beaurepaire. Mais il paraît que la rue de ce
nom, dans le quartier Montmartre, était déjà
désignée ainsi au moyen âge (Beau repaire,
belle retraite, beau séjour). Elle se trouvait
alors à peu près dans la campagne.
La veuve du commandant de Verdun reçut
une pension de la République.
Il est presque inutile de faire remarquer à nos
lecteurs que la version que nous donnons ici
de cette mort mystérieuse, et qui nous paraît
la plus vraisemblable, ne diminue en rien la
gloire de Beaurepaire. Son suicide même don-
nait lieu à quelques objections touchant les
devoirs militaires, et pouvait sembler un acte
de précipitation, d'exaltation patriotique, mais
irréfléchie. S'il fut, comme tout l'indique, as-
sassiné par ceux qui voulaient livrer'la ville,
c'est qu'évidemment il était le grand, le sé-
rieux obstacle à la reddition : il est donc mort
fidèle à la France, à sa parole de citoyen, à
son devoir de patriote et de soldat. Beaure-
paire reste un des martyrs de notre calendrier
républicain, de cette grande épopée qui, elle
aussi, a eu les siens.
On peut consulter, pour cette question, en-
core problématique, l'excellent travail publié
en 1849 par un officier distingué,^ M. Paul
Mérat, (Verdun en 1792) ; l'article substantiel
publié par le docteur Ad. Lachèse, dans la
Revue d'Anjou (isco); Observations médico-
légales sur la mort de M. de Beaurepaire;
enfin une intéressante notice de M. Léon de
la Sicotière, dans Y Amateur d'autographes du
1er novembre 1862.
Bcnnrcpnii'e (APOTHÉOSE DE), à-propos en
un acte de Lesur, représenté pour la première
fois à Paris, sur le théâtre de la Nation, le
23 novembre 1792. Cette pièce consiste en trois
ou quatre scènes dialoguées avec assez de na-
turel et de gaieté. Des citoyens raisonnent
entre eux sur les- mots liberté, égalité, pro-
priété, etc. Ils boivent dans un cabaret de la
place du Panthéon ; une très-belle toile de fond,
si l'on en croit le Moniteur, représentait ce su-
perbe édifice. La cérémonie en l'honneur de
Beaurepaire arrive et défile sur la place :
tandis que le sarcophage est arrêté devant le
Panthéon, et que le maire de Paris adresse un
discours à la statue de la Liberté, la déesse
elle-même descend du ciel, et vient honorer
ses héros en déposant une couronne sur la
coupole du Panthéon. La pièce se termine par
des couplets patriotiques, o II résulte de tout
cet ensemble un spectacle fort agréable, lisons-
nous dans le Moniteur du 2 décembre 1792; et
BEA
le jeune auteur, en donnant des espérant es du
côté du talent, a montré qu'il possède les idées
républicaines, l'amour de la liberté et le res-
pect des lois. »
Beaurepaire (LA PATRIE RECONNAISSANTE,
ou L'APOTHÉOSE DE), à-propos en un acte de
Lebceuf, musique de Candeille, représenté
pour la première fois à Paris, sur le théâtre
de l'Opéra-National, le 3 février 1793. Cet ou-
vrage était, comme le précédent, un hommage
au commandant de Verdun ; mais il devait être
bien mauvais, puisqu'on le siffla dans un temps
où les œuvres de ce genre étaient accueillies
avec enthousiasme. Inutile d'ajouter que l'O-
péra-National, comme les autres théâtres,
s'inspirant de l'opinion alors accréditée, mon-
trait le brave ofîicier se tuant pour ne pas si-
gner la capitulation déjà place. Tel était en-
core le sujet d'une Apothéose de Beaurepaire
par Méhul, donnée à Feydeau, et celui de la
Mort de Beaurepaire jouée au théâtre du Pa-
lais-Variétés le 30 novembre 1792. Les es-
tampes ont adopté la même version. Un dessin
du temps, non signé, et qui, depuis lors, a été
-reproduit, porte la légende suivante : Trait de
courage et de dévouement de Beaurepaire (oc-
tobre 1792). Beaurepaire, commandant du
1er bataillon de Maine-et-Loire, se donne ta
mort à Verdun, en présence des fonctionnaires
publics, lâches et parjures, qui veulent livrer
à l'ennemi le poste confié à son courage.
. BEAUREPAIRE-ROUAN ( Henrique DE),
voyageur et géographe brésilien, né vers 1818,
dans la province de Pïauhy, d'une famille d'o-
rigine française. Désireux de connaître l'im-
mense région inexplorée qui forme le sud du
Brésil, il partit de Cuyaba en 18-15, parcourut
le territoire mal défini qui sépare ,Rio-de-Ja-
neiro du Paraguay, et parvint à l'Assomp-
tion en compagnie d'un ancien officier fran-
çais, M. A. Leverger, devenu gouverneur bré-
silien et capitaine de frégate, etc. La relation
de cette excursion scientifique, d'abord impri-
mée dans la Bévue de l'Institut historique du
-Brésil, parut séparément en 1856 à Rio, sous
le titre de Descripçào de huma viagem de
Cuyaba as Rio de Janeiro. Il fit plus tard un
voyage au lac Guaïba, entra dans le corps des
ingénieurs, reçut en 1850 le titre de major, et
fut chargé quelque temps après par le gouver-
nement urésilien de réunir des informations
statistiques sur les provinces du centre de
l'empire, où les tribus indiennes vivent pres-
que indépendantes. On a annoncé qu'il tra-
vaillait à une Géographie complète et à une
Histoire générale des régions ;qu'il a visi-'
tées.

BEAU-REVOIR
s. m. Véner. Action du li-
mier qui, étant sur la voie, bande fort sur la
tête et sur le trait, [i Action de voir facilement
l'empreinte du pied de la bête : Sur un terrain
humide il fait BEAU-REVOIR.

BEAURIEU
(Gaspard-Guillard DE), littéra-
teur français, né à Saint-Pol en Artois, en
1728, mort à Paris, à l'hôpital de la Charité, en
1795. Boiteux, difforme, d'une laideur extrême,
portant un chapeau de Crispin, un manteau à
l'espagnole, des hauts-de-chausses du temps
de François Ier, Beaurieu attirait partout les
regards par la bizarrerie de sa mise et de sa
personne, et pourrait être surnommé l'Esope
moderne. Comme le fabuliste ancien, il portait
dans la conversation des tours si neufs et si
hardis, une vivacité d'esprit si grande et des
saillies si naïves et si piquantes, que sa diffor-
mité semblait disparaître quand on l'écoutait.
Simple et bon, il avait la plus complète insou-
ciance des choses de la vie : « J'ai trop aimé
l'honneur et le bonheur pour avoir jamais pu
aimer la richesse. » disait-il, et il nommait le
temps une dormeuse qui nous mène douce-
ment à l'éternité. Tous ses ouvrages, qui sont
assez nombreux, portent l'empreinte de sa na-
ture originale. Les principaux sont : L'heureux
citoyen (Lille , 1759 , in-12) ; Cours d'histoire
sacrée et\profane (Lille, 1763, 2 vol. in-12);
De l'allaitement et de la première éducation
des enfants (Genève, 17S2, in-12); L'élève de
la nature (1790, 2 vol.); L'accord parfait, ou
l'équilibre physique et moral (Paris, 1795,
in-8°) ; etc.
BEAU-SEMBLANT. V. SEMBLANT.

BEAU-SIRE-DIEU
Hist. relig. Cérémonie
particulière qui avait lieu tous les dimanches
chez les chanoinesses de Rerairemont, et qui
consistait en ce que l'une d'entre elles, parée
de la guimpe appelée barbette, communiait
pour les besoins de la maison.

BEAUSOBRE
(Isaac), célèbre théologien
protestant, né à Niort en 1659, mort en 1733.
Issu d'une ancienne famille de la Provence ou
du Limousin, dont le véritable nom était
Beauxpuis de Beaussart, que l'aïeul d'Isaac
avait transformé en celui de Beausobre lors
de l'émigration qui suivit la Saint-Barthélémy,
le jeune protestant fit ses premières études
au collège de sa ville natale. Confié ensuite
aux soins d'un gentilhomme, qui le faisait par-
ticiper aux leçons d'un précepteur attaché à
sa maison, il eut à souffrir de cruelles priva-
tions, dues à l'avarice sordide de la femme
de ce gentilhomme. Ses parents alarmés le
mirent alors auprès de M. de Villette. Son père
désirait le voir embrasser la carrière de la ju-
risprudence ; mais )^s goûts du jeune homme
ne l'y portaient nulk/nent. ï-1 aimait avant tout
la théologie; il alla d^nc l'étudier à l'académie
de Saumur. A l'âge de vingt-quatre ans, il
était pasteur, et peu apôs il rut appelé à des-
BEA 447
servir l'église protestante de Châtillon-sur-
Indre, en Touraine.
Sur ces entrefaites, une ordonnance royale
interdit la célébration du culte réformé à Châ-
tillon. Beausobre, ardent et courageux, brave
la défense du roi, et tient dans sa maison des
assemblées religieuses. Menacé d'une peine
infamante, il se réfugie en Hollande, trouve
un asile à Rotterdam, un protecteur influent
dans Jurieu, son coreligionnaire, qui le re-
commande à la princesse d'Orange, et la fille
de cette princesse le nomme son chapelain
(1680).
Tour à tour pasteur de la cour et pasteur
de l'église française de Berlin, en 1C95, Beau-
- sobre sut se concilier l'estime générale, autant
par son caractère aimable et doux que par
son érudition et ses talents. Sur le bruit de sa
réputation, diverses églises, entre autres celles
de Londres et de Hambourg, voulurent le pos-
séder; Beausobre put voir alors à quel poin
il était aimé par la colonie des réfugiés. Une
pétition, signée des noms les plus honorables,
lut présentée au roi pour qu'il s'opposât à son
éloignement. La reine elle-même joignit ses
instances à cette requête.
Jamais, du sein du refuge, les protestants
émigrés ne cessèrent de gémir sur les persé-
cutions dont leurs coreligionnaires, demeurés
en France, étaient l'objet. Beausobre fut sans
contredit un des plus actifs à défendre cette
noble cause, de sorte qu'en 1704 le consistoire
de Berlin lui confia la mission d'intercéder au-
près du général Marlborough, pour obtenir du
roi de France l'échange de protestants con-
damnés aux galères contre des soldats faits
prisonniers sur le champ de bataille d'Hochs-
tedt.
Beausobre mourut à Berlin, laissant d'univer-
sels regrets. Aimable et bienveillant, il capti-
vait tous ceux qui l'approchaient. Le grand
Frédéric disait de lui, dans une lettre à Vol-
taire : « C'est un homme d'honneur et de probité ;
grand génie, d'un esprit fin et délicat, grand
orateur, savant dans l'histoire de l'Eglise et
de la littérature, la meilleure plume de Ber-
lin, plein de feu et de vivacité, et que quatre-
vingts années n'ont pu glacer, »
On lit dans la Biographie universelle qu'à
l'âge de soixante-dix ans, Beausobre s'éprit
si vivement de la fille .d'un de ses collègues,
qu'un prompt mariage fut nécessaire pour ré-
parer les suites de son amour. MM. Haag, dans '
ta France protestante, mettent en doute la vé-
rité de ce récit. « Nos doutes à cet égard, di-
sent-ils, sont fortifiés par le silence absolu des
nombreux auteurs protestants et même catho-
liques que nous avons consultés; tous, sans
exception, se taisent sur l'aventure galante
racontée par là Biographie universelle. » La
pureté bien connue du caractère de Beau-
sobre, non moins que ce silence, relèguent en
effet cette anecdote dans le domaine des fic-
tions.
Jusqu'il la fin de sa vie, qui fut longue,
Beausobre remplit à Berlin des fonctions mul-
tipliées, qui firent de lui un personnage consi-
dérable. Il était pasteur de l'église française
de cette ville, chapelain du roi, directeur de
l'hospice appelé Maison française, et inspec-
teur de toutes les églises du district de Ber-
lin; mais il mérite surtout de fixer l'attention
de la postérité par des travaux d'un autre
genre, qui lui valurent de son vivant une
brillante renommée d'érudit, et qui lui ont as-
suré une place honorable parmi les historiens
et les exégètes. Quelques-uns de ses nom-
breux écrits ne furent imprimés que long-
temps après sa mort.
Ses disputes avec les ministres luthériens
lui fournirent l'occasion de puc.-^r, en 1093, la
Défense de la Doctrine des Réjormés sur la
Providence, sur la prédestination, sur la grâce
et sur l'Eucharistie (Magdebourg, in-8°). Le
duc de Saxe-Barby s'était converti au calvi-
nisme et avait essuyé, à ce propos, de vio-
lentes attaques de la part du luthérien George
Moebius; Beausobre, dans l'écrit mentionné
plus haut, relève vivement ces attaques, mon-
tre qu'on ne se déshonore pas en quittant la
religion de ses ancêtres, et développe les
principales doctrines des réformés pour éta-
blir leur supériorité sur les doctrines luthé-
riennes, en ce que les premières s'accordent
mieux avec le Symbole des apôtres.
Un autre ouvrage, auquel le nom de Beau-
sobre reste attaché, c'est la traduction nouvelle
du Nouveau Testament, que la cour de Berlin le
chargea d'entreprendre conjointement avec
son collègue Lenfant. Cette traduction parut
en 1718 sous ce titre : le Nouveau Testament
de N. S. J.-C, traduit en français sur l'ori-
ginal grec, avec des notes littérales pour éclair-
cir le texte, par MM. Beausobre et Lenfant
(Amsterdam, 2 vol. in-4°). Cet ouvrage fut
réimprimé successivement a Lausanne (1735/
2 vol. in-4<>), avec des additions et correc-
tions ; à Amsterdam (1742, 2 vol. in-4°), et, de
nouveau, à Lausanne (1776, 2 vol. in-40).
Beausobre ne traduisitque les Épîtres de saint
Paul; il les fit précéder d'une préface ouest
racontée l'histoire dei;es Epîtres, et celle de
l'apôtre qui en est l'auteur. Le reste de l'ou-
vrage revient à Lenfant. On s'accorde à re-
procher aux deux traducteurs un respect
exagéré pour les premières versions publiées
par les réformés. Beausobre a laissé encore
une Histoire critique du manichéisme (Amster-
dam, 1734 et 1739, 2 vol. in-4°). Le deuxième
volume a été rédigé par Formey sur les mé-
moires de l'auteur.
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L'immense réputation de Beausobre est due
en grande partie à ce beau livre. On y trouve
une connaissance approfondie de l'histoire ec-
clésiastique, un sens critique remarquable et
une rare pénétration. L'histoire de Manès y
est retracée, avec une sévère exactitude, d'a-
près les écrivains orientaux, et l'auteur y rat-
tache avec une grande autorité des aperçus
originaux sur les divers systèmes gnostiques
et philosophiques des premiers siècles de
l'Eglise. Gibbon porte sur YHi&toire de Ma-
nichée le jugement suivant dans son His-
toire de la décadence de l'empire romain :
« C'est un trésor de philosophie ancienne et
de théologie. Le savant historien présente
avec un art incomparable l'enchaînement sys- '
tématique des opinions, et se transforme lui-
même tour à tour en la personne d'un saint,
d'un sage ou d'un hérétique. »
Les journalistes de Trévoux lui reprochè-
rent avec amertume d'avoir traité légèrement
les Pères de l'Eglise. Il leur répondit dans les
tomes XXXVIUe et suivants de la Bibliothè-
que germanique. Ses autres ouvrages sont :
Remarques historiques, critiques et philolo-
giques sur le N. T. (La Haye, 1742), publica-
tion due aux soins de La Chapelle et précédée
d'une Vie de l'auteur ; Sermons sur le xn*5 cha-
pitre de l'Epitre aux Romains (Lausanne,
1744, 2 vol. in-8°); Sermons sur le xrc cha-
pitre de l'Evangile selon saint Jean (Berlin,
1751, 2 vol. in-8*>) ; Supplément à l'Histoire de
la guerre des hussites, de Lenfant (Lausanne,
1745, in-4°); Histoire de la Réformation ou
Origine et progrès du luthéranisme dans l'Em-
pire et les Etats de la-confession d'Augsbourg,
depuis 1517 jusqu'à 1630, ouvrage publié par
Pajon de Moncets (1785-1786, Berlin. 4 vol.
in-S°). Nous trouvons enfin dans la Bibliothè-
que germanique, à laquelle Beausobre donna
de riches et nombreuses dissertations : Iatzko
ou Commentaire sur l'endroit du plaidoyer des
jésuites contre les protestants de Thorn où il
est parlé de ce saint (tome X) ; Dissertation
sur la statue de Panéade ; Lettre sur la 2e édi-
tion de l'Histoire du Concile de Constance
(tome XIII) j la Vierge érigée en reine de Po-
logne {tome XVIII). On a deux Eloges de
Beausobre, l'un est dû h Formey et se trouve
en tête du second volume de l'Histoire du
manichéisme; l'autre est de La Chapelle. On
peut le lire dans les Remarques historiques et
critiques sur le Nouveau Testament.
Comme prédicateur, Beausobre se fit, parmi
les réfugiés, une réputation aussi brillante que
celle de Saurin. Formey dit à ce sujet : « Un
grand feu d'imagination, une abondance d'ex-
pressions, jointe a beaucoup de justesse, une
manière neuve et originale de traiter les su-
jets les plus communs, des "ouvertures sur-
prenantes, et cependant naturelles, pour l'ex-
plication de l'Ecriture sainte et des vérités
de la religion ; du brillant, du sublime, du pa-
thétique; en un mot, toutes les qualités de
l'orateur étaient réunies en sa personne, a
MM. Haag avouent cependant que les Ser-
mons de Beausobre, qui ont été publiés, ne
leur ont point donné de ses talents oratoires
une opinion aussi relevée; mais il en est ainsi
pour la plupart des prédicateurs. Combien peu
conservent la gloire dont ils furent entourés
par leurs contemporains! Entendre un dis-
cours ou le lire sont deux choses bien diffé-
rentes. Aussi est-il peu de serinons qui méri-
tent d'être imprimés.
BEAUSOBRE ( Charles -Louis DE), fils du
précédent, né le 24 mars 1690 à Dessau, mort
en 1753, entra malgré lui dans la carrière ec-
clésiastique, sur les instances de sa mère. Ap-
pelé en 1707 comme ministre à Bukholtz, il
quitta ce pays pour Hambourg, puis vint s'é-
tablir à Berlin en qualité de ministre adjoint
à son père, Il fut successivement nommé con-
seiller du roi de Prusse et membre de l'Aca-
démie de Berlin en 1751. Formey le dépeint
comme un homme droit et digne d'affection,
mais livré à une sorte d'hallucination : « Une
idée qui tombait dans son cerveau, plutôt
qu'elle n'y naissait, s'emparait tellement de
lui, qu'il l'aurait suivie sans s'en apercevoir
jusqu'au bord du précipice, et, par précipice,
je n'entends que ceux qui menaçaient son re-
pos et sa fortune. On l'en avertissait : il ou-
vrait les yeux, le fantôme disparaissait; mais,
le lendemain, il en rénaissait un nouveau à la
poursuite duquel Beausobre se livrait aux
mêmes risques et périls. »
Charles-Louis de Beausobre a cependant
laissé quelques ouvrages qui ne sont pas sans
valeur : Thorn affligée ou Relation de ce qui
s'est passé dans cette mile depuis le 16 juillet
1724 jusqu'à présent (Amsterdam, 1726, in-12);
Discours historiques sur les événements les plus
remarquables de l'Ancien et du Nouveau Tes-
tament {Amsterdam, 1720, 6 vol. in-8°); le
' Triomphe de l'innocence (Berlin, 1751, in-8<>).
Les protestants accusés de sédition sont dé-
fendus dans cet écrit. On a encore de lui une
Vie du cardinal Albert de Brandebourg, in-
sérée dans les Mémoires de l'académie de
Berlin.
BEAUSOBRE (Louis* DE), frère du précé-
dent, né à Berlin en 1730, mort en 1783, fut
adopté par Frédéric le Grand, par estime pour
son père. Frédéric se chargea de son éduca-
tion, le plaça d'abord au collège de Berlin, et
l'envoya dans la suite à Francfort-sur-l'Oder,
puis à Paris. A son retour, il fut admis (1755)
a l'Académie des sciences. Son protecteur
royal se plaisait a l'appeler le petit Beausobre
par opposition à son illustre père. Le petit
BEA
Beausobre fut tour h tour nommé conseiller
de revision, membre.du consistoire supérieur
et conseiller privé. La Biographie universelle
affirme qu'il ne produisit que des ouvrages
médiocres. Néanmoins, M. de Gérando, dans
son Histoire comparée des systèmes de philo-
sophie , soutient qu'il cultiva avec succès la
psychologie expérimentale et qu'il dota cette
science» d'observations utiles et judicieuses.
On a de" lui : Dissertations philosophiques sur
la nature du feu et les différentes parties de
la philosophie (Berlin, 1753, in-12) ; le Pyr-
rhonisme du sage (Berlin, Paris, 1754), écrit
qui fut condamné au feu par le parlement de
Paris. Les Songes d'Epicure, traduction du
grec car le docteur Ugtvo^t (Berlin, Paris,
1755 , in-12) ; Nouvelles considérations sur les
années ctimatériquest (a longueur de la vie de.
l'homme, etc. (Paris, 1757, in-12) ; Essai sur le
bonheur ou Réflexions sur les biens et les maux
de la vie humaine (Berlin, 1758; réimprimé avec
le système social de d'Holbach, Paris, 1795,
2 vol. in-8°) ; Relation de Phihihu (Cologne,
1760, in-12) : Discours sur le patriotisme (Berlin,
1761, în-s°); Introduction générale à l'étude
de la politique, des finances et du commerce
(Berlin, 1764 ; Amsterdam, 1765, 2 vol. in-8°);
Sept lettres sur la littérature allemande, in-
sérées dans le Mercure (1753), et divers Mé-
moires dans le Recueil de l'académie de Berlin.
Bachaumont, dans ses Mémoires secrets,
parle en ces termes de Y Introduction générale
à l'étude politique : « Il est question d'intro-
duire en France un livre étranger excellent,
mais où il se trouve des assertions hardies et
inadmissibles sur la religion ; M. de Sartines
travaille à le faire épurer, et cet ouvrage pa-
raîtra ensuite ici au moyen de l'édition châ-
trée qu'on en fera. »
BEAUSOBRE (Jean-Jacques DE BEAULT,
comte DE), général français, né en 1704, mort
en 1784, était de la famille des précédents II
prit part aux sièges de Menin, d'Ypres et
de Furnes, remporta en 1745 sur le prince de
Waldeck un avantage marqué, s'empara l'an-
née suivante de Malines, et fit les campagnes
d'Allemagne. Nommé maréchal de camp en
1748, il reçut le grade de lieutenant général
en 1759. Beausobre a publié un ouvrage plein
de recherches intéressantes sous le titre de
Commentaires sur la défense des places d'JEneas
le Tacticien, le plus ancien des auteurs mili~
taires {Amsterdam, 1757, 1 vol. in-40).

BEAUSOLE1L
(Jean DU CHÀTELET, baron
DE), minéralogiste et alchimiste allemand, né
en Brabant, vivait dans la première moitié du
xvne siècle. Il parcourut la plupart des con-
trées de l'Europe, cherchant des mines à l'aide
de la baguette divinatoire du grand com-
pas, etc., et visita deux fois la France en 1602
et 162g. En Bretagne, on le dépouilla de ses
instruments sous prétexte de sorcellerie, et
lui-même fut ensuite enfermé à la Bastille, où
l'on croit qu'il mourut vers 1645. Il a laissé
un opuscule intitulé : Diorismus, id est defini-
tio vera philosophiœ de materia prima lapidis
philosophalis (1617, in-8«). Malgré des su-
perstitions qui étaient celles de son siècle ,
Beausoleil était le métallurgiste le plus in-
struit qui eût encore paru en France.

BEAUSOLEIL
(Martine DE BERTEREAU, ba-
ronne DE), femme minéralogiste du xvne siè-
cle. Ayant épousé, en 1701, le baron de Beau-
soleil, inspecteur des mines des Etats ro-
mains, et celui-ci ayant ensuite été nommé
par l'empereur conseiller aulique et commis-
saire général des mines de Hongrie, elle le
suivit en Allemagne et revint avec lui en
Franco vers 1626. Le baron de Beausoleil de-
manda et obtint l'autorisation de faire sur le
territoire français les recherches nécessaires
pour y découvrir des mines. Deux ans après,
sa femme présenta au roi un mémoire qui fut
approuvé par le conseil; mais elle ne put ob-
tenir aucune réponse, et, après six ans d'at-
tente et de réclamations, le cardinal de Ri-
chelieu fit arrêter le baron et sa femme. On a
de Martine de Bertereau deux ouvrages fort
curieux sur la statistique minéralogique de la
France. Ils sont intitulés : la Véritable décla-
ration faite au roi et à nos seigneurs de son
conseil des riches et inestimables trésors nou-
vellement découverts dans le royaume de France
(Paris, 1G32) ; la Restitution de Pluton au car-
dinal de Richelieu des mines et minières de
France {Paris, 1640, in-8<>).
,'\ BEAUSSET (LE), bourg de France (Var),
ch.-l, de cant., arrond. et à 17 kil. N.-O. de
Toulon; pop. aggl. 1,954 hab. — pop. tôt.
2,692 hab. Fabriques de poterie commune,
goudron, savon, charbon de bois, récolte et
commerce de vin, huile, blé, câpres. Patrie
de Portails.

BEAUSSIER
de Lille (Louis-Joseph DE),
marin français, né à Toulon en 1700, mort en
1765. Entré fort jeune dans la marine, il fit
plusieurs voyages dans le Levant et la mer
du Nord, et il commandait la frégate la Subtile
lorsqu'elle soutint un combat acharné contre
deux vaisseaux anglais. Nommé capitaine de
vaisseau en 1749, il fut chargé, sept ans plus
tard, de transporter au Canada le gouverneur
Montcalm, avec des troupes et de l'argent, ce
qu'il exécuta sous les yeux des Anglais, qui
bloquaient presque le port de Brest. A son re-
tour, il combattit encore contre les Anglais,
fut fait prisonnier, et échangé en 1762. Il al-
lait prendre le commandement de l'escadre
préparée pour opérer une descente au Brésil,
quand la paix fut signée; mais on l'envoya
BEA
s'emparer des [Iles sous te Vent. Revenu en
France en 1764, il fut nommé chef d'escadre.
BEAUSSIER {Louis-André DE), neveu du
précédent, marin français, mort en 1789. Après
avoir fait sa première campagne en 1740, il
Srit part au, combat de Toulon-, à l'expédition
es îles Sainte-Marguerite, s'empara, en -pla-
nté de capitaine de la Sirène, de plusieurs
corsaires, et reçut en 1758 le commandement
de douze navires envoyés au Canada, pour
ravitailler cette colonie réduite à la dernière
extrémité, et qui, grâce à son arrivée, put or-
ganiser la résistance. Chargé en 1762, par le
duc de Choiseul, de porter à Saint-Domingue
des troupes et des munitions, Beaussier réus-
sit encore à échapper à tous les croiseurs an-
glais. Après avoir chassé des côtes de Saint-
Domingue les Anglo-Américaius (1772), aux-
quels il prit treize navires, il assista au combat
d'Ouessant, fit la guerre d'Amérique, et obtint
enfin le titre de chef d'escadre. Il mourut au
moment où la noblesse venait de le nommer
un de ses représentants à l'Assemblée des no-
tables.

BEAUTÉ
s. f. (bô-té — rad. beau). Qualité
de ce qui est beau ; ensemble harmonieux de
formes et de proportions, qui éveille en nous
le sentiment du plaisir et de l'admiration :
La BEAUT.É d'un homme, d'une femme, d'un
cheval, d'un monument. La BEAUTÉ du visage,
du corps, de la taille, des cheveux, des ôras.
Quant aux choses animées et vivantes, leur
BEAUTÉ n'est pas accomplie sans la bonne grâce.
(Saint François de Sales.) La BEAUTÉ est une -
pièce de grande recommandation au commerce
des hommes. (Montaigne.) La BEAUTÉ est une
lettre de recommandation que la nature donne
à ses favoris. (Voiture.) St. une femme approuve
la BEAUTÉ d'une autre femme, on peut conclure
qu'elle a mieux que ce qu'elle approuve. (La
Bruy.) L'agrément est arbitraire; la BEAUTÉ
est quelque chose de plus réel. (La Bruy.) Le
front est une des plus grandes parties de la
face, et l'une de celles qui contribuent le pkts à
la BEAUTÉ de sa forme. (Buff.) La BEAUTÉ du
corps inspire l'amour; la BEAUTÉ de l'âmê
inspire l'estime. (Fontenelle.) La BEAUTÉ hu-
maine réside tout entière dans l'expression des
perfections morales ou physiques qui appar-
tiennent à notre espèce. (Reid.) Le jour où l'on
prouvera que celui qui aime ne trouve pas son
amante la plus belle des femmes, je croirai
qu'il y a une théorie de la BEAUTÉ. (Paul
d'Ambly.) La BEAUTÉ est le premier présent
que la nature nous donne et le premier qu'elle
nous enlève. (Chev. de Méré.) La femme qui
s'estime plus pour les qualités de son âme ou
de son esprit que pour sa BEAUTÉ est supérieure
à son sexe. (Chamfort.) La BEAUTÉ sans la pu-
deur est une fleur détachée de sa tige. (Boiste.)
La BEAUTÉ est, pour la femme, la grâce unie à
un sentiment moral; pour l'homme, la grâce
unie à la force et à un sentiment généreux.
(Ballanche.) Le propre de la BEAUTÉ n'est pas
d'irriter et d'enflammer le désir, mais de l'é-
purer et de l'ennoblir. (V. Cousin.) Le fond de
la vraie BEAUTÉ, comme de ta vraie vertu,
comme du vrai génie est la force : sur cette
force répandez un rayon de soleil, l'élégance,
la grâce, la délicatesse, voilà la BEAUTÉ. (V.
Cousin.) Grandeur dans la simplicité, chasteté
dans la grâce, idéalité dans l'harmonie, tels
sont les éléments constants de la BEAUTÉ vraie.
(G. Planche.) La BEAUTÉ du corps n'est que le
premier degré de cette échelle du beau, qui
commence sur la terre et qui aboutit aux deux.
(St-Marc Gir.) La BEAUTÉ est la créature de
l'amour. (Lacord.) La BEAUTÉ, c'est toute la
femme. (Proudh.) La véritable BEAUTÉ est tou-
jours chaste et inspire un respect involontaire.
(G. Sand.) La BEAUTÉ est un diamant, qui doit
être monté et enchâssé dans l'or. (Th. Gaut.)
L'atmosphère italienne conserve les hommes
comme tes œuvres d'art ; elle est moins favo-
rable à la BEAUTÉ des femmes. (Mme L. Colet.)
Et la grâce, plus belle encor que la beauté.
LA FONTAINE.
Que ne peut la sagesse unie a la beauté ?
PlRON.
Beauté, présent d'un jour, que le ciel nous envie.
LAMARTINE.
De l'âme quelquefois la beauté se marie
A la difformité du corps.
FR. DE NEUFCHATEAU.
Beauté, fleur d'un instant, l'aurore te voit naître;
L'aurore, à son retour, ne peut te reconnaître.
F RÉ VILLE.
Or la beauté, c'est tout. Platon l'a dit lui-même,
La beauté, sur la terre, est la chose suprême.
A. DE MUSSET.
La grâce, la beauté ne sont que d'un printemps...
La laideur est solide et croît avec le temps.
E. Au CHER.
Beaucoup de modestie et beaucoup de bonté
Ont des charmes plus grands que n'en a la beauté;
Souvenez-vous en bien, ma petite mignonne.
BOURSAULT.
. . . La jeune Vénus, fille de Praxitèle,
Sourit encor, debout dans sa divinité,
Aux siècles impuissants qu'a vaincus sa beauté.
A. DE MUSSET.
La beauté passe,
Le temps l'efface :
L'âge de glace
Vient h sa place. MOLIÈRE.
La beauté, fatal aimant,
Est pareille au diamant
Que la fange peut mouiller
Sans le souiller. DE BANVILLE.
Ainsi que la rose
Fraîchement éclose,
La beauté séduit;
Mais, trop passagère,
D'une aile légère
La beauté s'enfuit. PESSELIER.
BEA
Quand la beauté seule téduit,
On s'aime un jour, puis on languit, fc
L'amour s'enfuit, on se déteste; .
Mais quand le cœur cède aux talents,
Au caractère, aux sentiments,
Le temps s'enfuit, et l'amour reste.
CAIIUSAC.
Les ombrages épais dans l'ardeur de l'été.
Les rayons du soleil, pendant l'âpre froidure :
La mer, quand elle est calme, un ruisseau qui mur-
[mure
Entre deux verts gazons, et qui semble exciter,
Au retour du printemps, les oiseaux'à chanter,
Ne touchent point nos sens, n'enchantent point nos
[âme»
Par des attraits si doux que la beauté des femmes.
— Dans un sens plus abstrait. Idée de la
perfection physique : En toute chose, la me-
sure et la proportion constituent la BEAUTÉ
comme la vertu. (Platon.) Il appartient à l'en-
tendement de juger de ta BEAUTÉ, parce que
juger de la BEAUTÉ, c'est juger de l'ordre, de la
proportion et de la justesse. (Boss.) Les idées
que les différents peuples ont de la BEAUTÉ
sont si singulières et si opposées, qu'il y a lieu
de croire que les femmes ont plus gagné par.
l'art de se faire désirer que par ce don même
de la nature, dont tes hommes jugent si diffé-
remment. (Buff.) L'unité est le fond, le principe
de toute BEAUTÉ. (Frayss.) La BEAUTÉ, c'est
l harmonie de la forme, avec la distinction,
(T. Thoré.) La BEAUTÉ est une partie, une
forme de la vérité. (Vinet.) La BEAUTÉ est le
plus grand des pouvoirs humains. (Balz.) La
BEAUTÉ n'a qu'une mesure} la force d'attraction.
(Toussenel.) La BEAUTÉ est le résultat de
l'ordre; partout où'l'ordre cesse, la BEAUTÉ
s'évanouit. ( Lacordairo.) La BEAUTÉ , c'est
l'harmonie. (Th. Gaut.) Il y a BEAUTÉ partout
où il y a ordre. (Lamenn.) Il y a deux genres
de BEAUTÉ, la BEAUTÉ matérielle ou indivi-
duelle delà forme,et la BEAUTÉ idéale de cette
même forme. (Lamenn.) La vraie BEAUTÉ est
la BEAUTÉ idéale, et la BEAUTÉ idéale est un
reflet de l'infini. (V. Cousin.) La BEAUTÉ n'est
rien autre chose que la perfection rendue intel-
ligible par la forme. (Gratiolet.) La BEAUTÉ
est la forme de ta finalité d'un objet; sans re-
présentation d'une fin en lui. (J. Tissot.) Le
BEAUTÉ est l'accord d'un tout avec ses parties,
(De Senancourt.) La BEAUTÉ résulte de la va-
riété réduite à l'unité. (Sulzer.)
— Perfection, charme, en parlant des di-
verses parties du corps humain, et, dans
cette acception, ne s'emploie qu'au pluriel :
De secrètes BEAUTÉS. Ses manches, qui s'étaient
un peu retroussées, me découvraient à moitié
ses bras si polis : je ne sus à laquelle de leurs

BEAUTÉS
donner l avantage, à leur forme ou à
leur blancheur. (La Font.)
Cest faire à vos beautés un triste sacrifice.
RACINE.
Si c'est un crime de l'aimer,
On n'en doit justement blâmer
Que les beautés qui sont en elle.
J. DE LlNGENDES.
— Caractère de ce qui plaît, de ce qui ilatto
agréablement la vue ou 1 ouïe : La BEAUTÉ du
jour. La BEAUTÉ du ciel, de la terre, des fleurs.
La BEAUTÉ des sons de la lyre. La BEAUTÉ
d'une étoffe. La BEAUTÉ d'une musique, d'une
voix, d'un spectacle, d'une fête. L'homme ne
sait plus admirer que les BEAUTÉS qui frappent
les sens. (Mass.) Le chaos se débrouille, la
nature étale toutes ses BEAUTÉS. (Mass.) Toutes
les BEAUTÉS de la terre ne sont qu'une ombre
projetée de celles qui sont dans le ciel. (J.
Joubert.)
RecueiHe-toi, ma lyre, et ne sors du silence
Que pour vaincre en beauté les plus beaux de mes vers,
MJLLEVOYE.
Ce qui donne du prix à l'humaine existence,
Ah! cest de la beauté le spectacle éternel.
A. BARBIER.
Il Se dit particulièrement de ce qui plaît, de
ce qui excite l'admiration dans les œuvres do
l'art ou de l'esprit : La BEAUTÉ d'une statue,
d'un tableau. Comme on dit BEAUTÉ poétique,
on devrait dire BEAUTÉ géométrique. (Pasc.)
La BEAUTÉ de l'éloquence consiste autant dans
un certain air facile et naturel que dans la
grandeur des pensées. (Nicole.) Racine est celui
de tous nos écrivains qui a le plus approché de
la perfection dans l'élégance et la BEAUTÉ con-
tinue de ses ouvrages. (Volt.) Il n'appartient
qu'à ceux qui sentent comme vous les BEAUTÉS
d'oser parler des défauts. (Volt.) Toutes les
BEAUTÉS de détail sont des ornements perdus
au théâtre; le succès est dans le sujet même.
(Volt.) Il est des BEAUTÉS de tous les temps et
de tous les pays. (Volt.) Il y a des BEAUTÉS
poétiques particulières à certaines époques,
impossibles à d'autres. (Valéry.) Ce qui fait la
BEAUTÉ d'une composition, de ce que, dans les
ceuvres d'art, on appelle la forme, c est la clarté,
la simplicité, l'unité symbolique du travail.
(Guiz.f On s'étudie à trouver dans les. ou-
vrages des anciens des BEAUTÉS qu'ils n'ont pas
prétendu y mettre. (Rigault.)
" Tout poème est brillant de sa propre beauté.
BOILEAU.
Ses ouvrages, tout pleins d'affreuses vérités,
Etinceilent pourtant de sublimes beautés.
BOH-EAU.
L'art est trop orgueilleux de ses beautés apprises,
Dont Je cœur est lassé dès qu'il les a comprises.
BRIZEUX.
— Type de perfection particulier à une
race humaine : BEAUTÉ grecque, BEAUTÉ ro-
maine. Ses traits offraient dans la plus gronde
pureté le caractère de .la BEAUTÉ juive. (Balz.)
— Par ext. Femme belle, gracieuse, sé-
duisante : De jeunes BEAUTÉS. Toutes les
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